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[2001] 2 C.F. 536

T-2382-97

Consorzio del Prosciutto di Parma (demandeur)

c.

Maple Leaf Meats Inc. (défenderesse)

Répertorié : Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc. (1re inst.)

Section de première instance, juge McKeown— Toronto, 27, 28 et 29 novembre 2000; Ottawa, 25 janvier 2001.

Marques de commerce — Radiation — Demande visant à faire radier du registre la marque de commerce « Parma » de la défenderesse, pour les motifs 1) qu’elle constitue une description fausse et trompeuse; 2) qu’elle est dépourvue de caractère distinctif — Marque enregistrée en 1971 pour être utilisée en liaison avec divers produits carnés — Le demandeur est une association de producteurs de prosciutto à Parme, en Italie, chargé de la réglementation de la production du prosciutto di parma et de l’utilisation des marques y afférentes — Demande rejetée — 1) Le consommateur pourvu d’une intelligence et d’une éducation moyennes en 1971 n’aurait pas présumé que le prosciutto portant la marque « Parma » provenait de Parme, en Italie, et qu’il était produit suivant les normes établies par le demandeur — La loi vise à protéger les consommateurs contre la tromperie quant à la source et à la qualité des marchandises, ainsi qu’à protéger les propriétaires de marques de commerce contre la concurrence déloyale — Cette politique s’inscrit dans le but plus vaste d’assurer la stabilité sur le marché en permettant aux propriétaires de marques déposées d’investir dans le développement d’une clientèle autour de leur marques validement enregistrées — Cela est particulièrement important dans un cas où, comme en l’espèce, le propriétaire de la marque de commerce utilise sa marque depuis longtemps — 2) La défenderesse bénéficie d’une présomption que l’enregistrement et les renseignements y contenus sont valides, tandis qu’il appartient au demandeur de prouver que la marque n’est pas distinctive — Le caractère distinctif doit s’apprécier uniquement en fonction du marché canadien — La preuve par sondage devrait évaluer la perception de la marque par le consommateur moyen — Une bonne partie de la preuve du demandeur a été fournie par des personnes ayant une connaissance particulière de l’industrie alimentaire italienne au Canada et en Italie — Les études effectuées visaient à démontrer que la marque de commerce « Parma » constituait une description fausse et trompeuse, non à en vérifier le caractère distinctif — Le demandeur n’a pas démontré que la marque de commerce a été dépouillée de son prestige et a perdu son caractère distinctif dans une succession de transferts de propriété — L’emballage n’est pas un facteur pertinent, dans une instance en radiation, en ce qui concerne le caractère distinctif — Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve.

Il s’agissait d’une demande visant à faire radier la marque de commerce « Parma », propriété de la défenderesse, du registre des marques de commerce. La marque « Parma » a été enregistrée en 1971 pour être utilisée en liaison avec divers produits carnés. La défenderesse continue d’utiliser l’emballage utilisé par le propriétaire précédent, lequel met en vedette le rouge, le blanc et le vert, et des mots tirés de l’italien. Le demandeur, une association de producteurs de prosciutto établie à Parme, en Italie, a été constituée en 1963. Il a créé, à l’intention de ses membres qui veulent l’utiliser en liaison avec leur prosciutto, une marque consistant en une couronne dans laquelle est inscrit le mot « Parma ». Depuis 1970, l’Italie a adopté des lois qui ont repris les règles de production, de contrôle de la qualité et de marque instaurées par le consortium et, depuis 1978, celui-ci est chargé par la loi italienne de réglementer la production du « prosciutto di parma » et l’utilisation des marques qui y sont associées.

Le demandeur n’a pas exploité d’entreprise au Canada avant 1997.

Les questions en litige étaient de savoir : 1) si la marque constituait une description fausse et trompeuse au moment de son enregistrement; et 2) si, à la date où les procédures en radiation ont été entamées, il existait dans l’esprit du public canadien une association quelconque entre le mot « Parma » et à la fois une région d’Italie et des produits carnés, rendant ainsi la marque invalide en raison de son absence de caractère distinctif.

Jugement : la demande est rejetée.

1) Pour déterminer si la marque de commerce « Parma » constituait ou non une description fausse et trompeuse en 1971, il faut décider si le public canadien serait induit en erreur sur l’origine du produit associé à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l’endroit désigné par le nom géographique utilisé. Le consommateur ayant une intelligence et une éducation moyennes en 1971 n’aurait pas présumé que le prosciutto portant la marque « Parma » venait de Parme, en Italie, et qu’il était produit selon les normes établies par le consortium. Étant donné cette conclusion, l’argument voulant que l’enregistrement de « Parma » devrait être radié parce que les noms géographiques font partie du « domaine public » et que « Parma » constitue probablement un terme que d’autres commerçants choisiraient d’utiliser en liaison avec la vente de produits carnés, ne tient pas.

L’argument du caractère tardif des procédures a un certain poids mais il n’est pas déterminant. Une procédure antérieure où l’on a contesté la marque pour défaut d’utilisation par le propriétaire, ne peut être considérée comme tenant lieu d’avis à la défenderesse que des procédures allaient probablement être introduites quant à la validité de la marque.

Bien que l’un des objets de la législation soit de protéger le consommateur d’une duperie quant à la source et/ou la qualité des marchandises disponibles sur le marché, elle a également pour objet de protéger les propriétaires de marques contre la concurrence déloyale. Ce principe s’inscrit dans l’objectif plus large d’assurer la stabilité dans le commerce, en permettant aux propriétaires de marques de commerce déposées d’investir dans le développement d’une clientèle autour de leurs marques de commerce validement déposées. Ce principe est particulièrement important dans une affaire comme la présente espèce, où la défenderesse et ses prédécesseurs en titre utilisent la marque de commerce depuis plus de 26 ans.

2) L’appréciation du caractère distinctif d’une marque de commerce soulève la question de savoir si le consommateur moyen de ce type de produit serait susceptible d’être induit en erreur quant à la source du produit. La marque de commerce de la défenderesse bénéficie d’une présomption de validité, et le demandeur a le fardeau de prouver que la marque en question n’a pas de caractère distinctif. Le caractère distinctif doit s’apprécier uniquement en fonction du marché canadien. La preuve par sondage concernant le caractère distinctif d’une marque de commerce devrait normalement évaluer la perception de cette marque par le consommateur moyen, et non par des consultants spécialisés dans le domaine. Une bonne partie de la preuve du demandeur a été fournie par des personnes ayant une connaissance particulière de l’industrie alimentaire italienne au Canada et en Italie. Cette preuve n’était pas représentative des connaissances du consommateur canadien type ayant une intelligence et une éducation moyennes. Les études du demandeur avaient pour but de démontrer que la marque « Parma » constituait une description fausse et trompeuse, et cette preuve n’a par conséquent aucun rapport avec la question du caractère distinctif.

Les cessions répétées de la marque n’ont pas affecté les droits de la défenderesse. La marque de commerce a été acquise par la défenderesse et ses prédécesseurs en titre au terme d’une succession valide de transferts de propriété de la marque de commerce qui remonte jusqu’à son propriétaire d’origine. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la marque a jamais été dépouillée de son prestige à la suite de l’un de ces transferts et n’a pas, par conséquent, réussi à démontrer que la marque de commerce a perdu son caractère distinctif dans cette succession de transferts.

Le demandeur a aussi allégué que l’emballage « pseudo-italien » de la défenderesse, qui a été utilisé en liaison avec la marque de commerce « Parma », a eu l’effet de diminuer le caractère distinctif de la marque. La présentation utilisée en liaison avec une marque de commerce n’est pas un facteur pertinent dans une demande de radiation.

L’emballage utilisé, soit l’emballage « pseudo-italien », n’est un facteur pertinent qu’en ce qui concerne la question de la description fausse et trompeuse, non en ce qui concerne le caractère distinctif de la marque de commerce.

Le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de preuve.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, art. 2, 12(1)b) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 59), 18(1), 45 (mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 200), 57.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Promotions Atlantiques Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1re inst.); Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (no 1) (1987), 17 C.P.R. (3d) 289; 81 N.R. 28 (C.A.F.); Imper Electrical Ltd. v. Winbaum (1927), 44 R.P.C. 405; Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (1987), 16 C.I.P.R. 282; 19 C.P.R. (3d) 3; 81 N.R. 257 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Pepsi-Cola Company of Canada, Ltd. v. The Coca-Cola Company of Canada, Ltd., [1940] R.C.S. 17; [1940] 1 D.L.R. 161; McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290 (1989), 23 C.I.P.R. 64; 23 C.P.R. (3d) 498; 25 F.T.R. 186 (1re inst.).

DEMANDE visant à faire radier du registre la marque de commerce « Parma » de la défenderesse, pour les motifs qu’elle constituait une description fausse et trompeuse au moment où elle a été enregistrée, ou qu’elle n’avait pas de caractère distinctif au moment où les procédures ont été entamées. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Brian D. Edmonds et Kirsten L. Thompson pour le demandeur.

James H. Buchan et A. Kelly Gill pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tetrault, Toronto, pour le demandeur.

Gowling Lafleur Henderson LLP, Toronto, pour la défenderesse.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge McKeown : Le demandeur sollicite une ordonnance prescrivant la radiation du registre des marques de commerce de la marque de commerce « Parma », propriété de la défenderesse. Deux questions sont soulevées en ce qui concerne la marque : 1) la question de savoir si elle constituait une description fausse et trompeuse au moment de son enregistrement; et 2) la question de savoir si, à la date où les procédures en radiation ont été entamées, il existait dans l’esprit du public canadien une quelconque association entre le mot « Parma » et à la fois une région d’Italie et des produits carnés, rendant ainsi la marque invalide en raison de l’absence de son caractère distinctif. La marque de commerce « Parma » a été enregistrée le 26 novembre 1971. Le demandeur n’a pas exploité d’entreprise au Canada avant 1997 et n’a entamé des procédures en radiation contre la défenderesse qu’au cours de cette même année.

LES FAITS

[2]        Le demandeur sollicite la radiation du registre des marques de commerce de la marque de commerce « Parma » (enregistrement no 179,637) en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi).

[3]        La marque de commerce « Parma » a été enregistrée le 26 novembre 1971 pour être utilisée en liaison avec des produits carnés, à savoir le prosciutto, la mortadelle, le salami, le capicollo, les socs de porc au poivre, le pepperoni et le saucisson sec. La demande d’enregistrement indiquait que la marque avait été utilisée depuis le 18 septembre 1958. La défenderesse, Maple Leaf Meats, a acquis la marque de commerce en question en mai 1997 de Principal Marques Inc. (PMI). PMI avait acquis la marque de Primo Foods Limited en mai 1994, qui l’avait elle-même acquise en 1982 de Parma Food Products Limited.

[4]        Maple Leaf Meats continue à utiliser la même présentation sur son emballage que celle qu’utilisait le propriétaire antérieur de la marque de commerce, PMI. Cette présentation met en vedette entre autres le rouge, le blanc et le vert, et des mots tirés de l’italien.

[5]        Le consortium demandeur a été constitué en 1963 par le regroupement de 23 producteurs de prosciutto de Parme, en Italie. En 1997, le consortium comptait 210 membres. Il a créé comme marque le symbole de la « couronne ducale » afin que ses membres puissent l’utiliser en liaison avec leur prosciutto. Cette marque consiste en une couronne dans laquelle est inscrit le mot « Parma ». Des variantes de cette marque ont été utilisées depuis 1963. Depuis 1970, l’Italie a adopté des lois qui ont repris les règles de production, de contrôle de la qualité et de marque instaurées par le demandeur.

[6]        Le demandeur a introduit en preuve des extraits de quelques livres de recettes américains populaires montrant que la région de Parme était réputée pour le prosciutto et bon nombre d’autres viandes. Cependant, je ne crois pas que cela suffise à démontrer que le consommateur canadien moyen des produits carnés « Parma » faisait un rapprochement entre ces produits et les produits Parma du consortium. « Parma » ne constitue pas un terme descriptif d’un produit. Il n’existe aucune preuve que les consommateurs canadiens étaient dans l’ensemble conscients de l’existence du consortium, de ses membres et de ses politiques en 1971.

[7]        En 1978, le consortium a été chargé, par la loi italienne, de réglementer la production du « prosciutto di parma » et l’utilisation des marques associées au « prosciutto di parma ».

[8]        Vers la fin des années 1960, le « prosciutto di parma » a été interdit aux États-Unis pour des raisons de santé, mais il y a été réintroduit en 1989, et a été commercialisé avec la marque de la couronne ducale depuis. Le gouvernement canadien a exprimé certaines craintes au niveau de la santé, mais a par la suite permis que le produit du consortium soit importé au Canada. Les ventes de ce produit ont commencé au Canada en 1997. Le demandeur prétend que certains Canadiens avaient entendu parler du « prosciutto di parma » avant cette date par divers moyens, dont des magazines étrangers, la publicité faite aux États-Unis et leur participation à des foires commerciales.

[9]        La marque de la défenderesse est enregistrée depuis 1971. La défenderesse allègue que le demandeur était au courant de l’existence de la marque au moins depuis 1985, et qu’il n’a pourtant pas exploité d’entreprise au Canada avant 1997 et n’a pas entamé de procédures de radiation contre la défenderesse avant cette même année, soit, note-t-elle, 26 ans après l’enregistrement de sa marque de commerce.

ANALYSE

[10]      La défenderesse a fait valoir que le rapport Goldfarb déposé à la Cour par le demandeur en réponse n’aurait pas dû admis en preuve. Cependant, le juge McGillis a rendu une ordonnance le 9 septembre 1999, rejetant la requête de la défenderesse en appel d’une décision autorisant le dépôt du rapport Goldfarb. Dans son ordonnance, le juge McGillis a affirmé qu’elle croyait que le rapport pouvait être utile à la Cour et, dans le but d’atténuer tout préjudice pouvant être causé à la défenderesse, elle a autorisé cette dernière à produire un affidavit en réponse au rapport. La défenderesse a effectivement produit une telle réponse. À la lumière de ce qui précède, l’admissibilité du rapport Goldfarb ne peut être contestée et le rapport est admissible.

[11]      J’aborde maintenant la question de la « description fausse et trompeuse ». Se fondant sur le paragraphe 18(1) et l’alinéa 12(1)b) (mod. par L.C. 1993, ch. 15, art. 59) de la Loi, le demandeur soutient que la marque de commerce de la défenderesse est invalide parce qu’elle constituait une description fausse et trompeuse au moment de son enregistrement. Essentiellement, le demandeur veut démontrer que l’emploi de la marque de commerce « Parma » laisse croire au consommateur que le prosciutto emballé sous ce nom vient de Parme, en Italie, et qu’il correspond au produit de qualité supérieure issu de l’application des normes rigoureuses établies par le Consorzio del Prosciutto di Parma. Je ne crois pas qu’au moment de l’enregistrement de la marque de la défenderesse, beaucoup de Canadiens étaient conscients du fait que Parme était une ville d’Italie, et que cette ville était la source de prosciutto de qualité supérieure, ou de tout autre produit carné énuméré dans l’enregistrement de la marque de commerce. Je note que le « prosciutto di Parma » n’a été ni annoncé directement au Canada ni vendu ici avant 1997.

[12]      Afin de déterminer si la marque de commerce « Parma » constituait ou non une description fausse et trompeuse en 1971, je dois décider :

[…] si le public canadien serait induit en erreur sur l’origine du produit associée à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l’endroit désigné par le nom géographique utilisé.

Promotions Atlantiques Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1re inst.), à la page 186.

[13]      En examinant cette question, je dois me mettre à la place d’un consommateur ayant une intelligence et une éducation moyennes, et déterminer ce qu’il (ou elle) penserait s’il (ou si elle) voyait la marque utilisée en contexte. Cette analyse implique également que la Cour évalue ce critère dans le contexte de l’année où la marque de commerce a été enregistrée. Je n’accepte pas l’argument du demandeur selon lequel les Canadiens étaient vraiment conscients, en 1971, du fait que la ville de Parme, en Italie, produisait du prosciutto de qualité supérieure. De même, je ne crois pas que le consommateur moyen aurait présumé que le prosciutto portant la marque « Parma » venait de Parme, en Italie, et qu’il était produit selon les normes établies par le consortium.

[14]      Le consortium allègue que l’enregistrement de la marque de commerce « Parma » devrait être radié parce que les noms géographiques font partie du « domaine public » et que « Parma » constitue probablement un terme que d’autres commerçants choisiraient d’utiliser en liaison avec la vente de produits carnés. Cependant, cet argument ne tient pas étant donné la conclusion à laquelle j’arrive qu’en 1971, le public canadien n’était pas dans l’ensemble conscient du fait qu’il existait un lien entre « Parma » et à la fois une région d’Italie et les produits carnés eux-mêmes.

[15]      La défenderesse soutient que le titulaire d’une marque de commerce enregistrée bénéficie selon la Loi d’une présomption de validité et que, par conséquent, il incombe au demandeur de prouver que la marque est invalide.

[16]      La défenderesse allègue que le demandeur ne peut faire cette preuve en raison du délai qu’il a laissé courir avant d’entamer les procédures en radiation. La défenderesse s’appuie sur la décision rendue dans Pepsi-Cola Company of Canada, Ltd. v. The Coca-Cola Company of Canada, Ltd., [1940] R.C.S. 17, dans laquelle le juge Davis s’est exprimé en ces termes à la page 29 :

[traduction] Le nom composé « Coca-Cola » a été enregistré au Canada dès 1905 et il a été employé par la demanderesse à titre de nom commercial et de marque de commerce relativement à la vente de ses boissons […] et la demande de la défenderesse tendant à faire déclarer invalide l’enregistrement de 1905 et à le faire annuler n’a été présentée qu’en 1936. S’il y avait des motifs légitimes de faire radier l’enregistrement de la marque « Coca-Cola » de 1905, le temps écoulé et l’acquiescement dont elle fait l’objet font qu’il se peut que tout doute ait été résolu en sa faveur. Ce serait commettre une grave injustice commerciale que d’annuler un enregistrement qui subsiste depuis 1905 et que, il faut en convenir, la demanderesse emploie énormément. [Non souligné dans l’original.]

[17]      Il convient de noter que, se fondant sur l’article 45 [mod. par L.C. 1994, ch. 47, art. 200] de la Loi, le demandeur a intenté des procédures relativement à la marque « Parma » en 1990. Dans le cadre de ces procédures, le demandeur a sans succès contesté la marque en soulevant la question de savoir si elle était employée par son propriétaire. La validité de la marque n’a pas été contestée à ce moment-là. Le demandeur fait valoir également qu’il a engagé des négociations avec ceux qui étaient propriétaires de la marque de commerce entre 1992 et 1996. Ces points diminuent d’une certaine façon la force de l’argument de la défenderesse en ce qui concerne le délai. Cependant, l’argument selon lequel le demandeur a tardé à entamer les procédures en radiation a encore du poids, étant donné surtout que la question soulevée dans la procédure antérieure ne peut être considérée comme tenant lieu d’avis à la défenderesse que des procédures allaient probablement être introduites quant à la validité de la marque. Je note également que le consortium n’en a pas appelé du résultat de cette procédure antérieure fondée sur l’article 45. De toute façon, l’argument du délai n’est pas déterminant dans la présente affaire.

[18]      La preuve ne démontre pas que, en 1971, l’utilisation de la marque en liaison avec les marchandises spécifiées dans l’enregistrement a pu tromper le public canadien en lui laissant croire que ces marchandises provenaient spécifiquement de Parme, en Italie. J’admets la preuve par sondage présentée par la défenderesse, selon laquelle une majorité de Canadiens à l’heure actuelle n’identifient pas « Parma » à une région d’Italie, pas plus qu’ils n’associent le mot « parma » à des produits carnés. L’étude du Dr Corbin a révélé que 68 % des Canadiens n’associaient aucune idée au mot « parma », et le résultat a été le même pour ceux qui consomment des produits dérivés du porc. Les résultats de l’étude du Dr Corbin ont également révélé que parmi les Canadiens d’origine italienne, 60 % n’associaient aucune idée au mot « parma ». En présence d’un conflit entre la preuve par sondage de la défenderesse et celle du demandeur, je préfère celle de la défenderesse.

[19]      Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qu’il avait de prouver qu’en 1971, le public aurait fait le lien entre l’utilisation de la marque et les produits spécifiques de Parme, en Italie. Les Canadiens ne peuvent avoir été trompés par l’utilisation de la marque en 1971, parce que selon la preuve par sondage, la majorité des Canadiens n’assimilent pas Parme à une source de jambon ou de produit dérivé du porc, pas plus qu’ils n’associent les produits carnés « Parma » à la région de Parme, en Italie.

[20]      Je note également que la marque de commerce de la défenderesse est enregistrée pour être utilisée en liaison avec un ensemble spécifique de marchandises, dont une seule est le prosciutto. Le demandeur n’a présenté aucune preuve en relation avec les autres marchandises que spécifie l’enregistrement de la défenderesse, à savoir la mortadelle, le salami, le capicollo, les socs de porc au poivre et le saucisson sec. La preuve du demandeur n’étaye aucunement sa prétention que la marque de commerce « Parma » devrait être radiée en relation avec ces marchandises.

[21]      Le demandeur a insisté sur la nécessité de réglementer les marques de commerce afin de protéger le consommateur d’une duperie quant à la source et/ou la qualité des marchandises disponibles sur le marché. Effectivement, il s’agit de l’un des objets de la législation. Cependant, la Loi a également pour objet de protéger les propriétaires légitimes de marques de commerce contre la concurrence déloyale. Ce principe fait partie de l’objet plus large d’assurer la stabilité dans le commerce, en permettant aux propriétaires de marques de commerce déposées d’investir dans le développement d’une clientèle autour de leurs marques de commerce valides et déposées. Je note que le juge Joyal commente cet objet particulier de la Loi dans McCabe c. Yamamoto & Co. (America) Inc., [1989] 3 C.F. 290 (1re inst.), à la page 298 :

J’interprète la Loi sur les marques de commerce comme ayant pour objet de continuer la politique et le but poursuivis par celle qui la précède, savoir la Loi sur la concurrence déloyale [S.R.C. 1952, chap. 274], pour assurer un certain ordre dans le commerce et consacrer ou organiser, par voie législative, les droits, obligations et privilèges que connaissaient en common law les détenteurs de propriété intellectuelle. Cette Loi a pour objet de promouvoir et de réglementer l’utilisation licite des marques de commerce.

[22]      Ce principe est particulièrement important dans une affaire comme celle dont je suis saisi, où la défenderesse et ses prédécesseurs en titre utilisent la marque de commerce depuis plus de 26 ans.

[23]      Le second volet de l’argumentation du demandeur met en doute le caractère distinctif de la marque de commerce de la défenderesse à la date du début des présentes procédures. L’appréciation du caractère distinctif d’une marque de commerce soulève la question de savoir si la marque permet au consommateur de distinguer la source des marchandises en liaison avec lesquelles elle est utilisée de celle des marchandises d’autrui. La Cour doit se demander si le consommateur moyen d’un tel type de marchandise serait susceptible d’être induit en erreur quant à la source de cette marchandise.

[24]      Se fondant sur l’article 2 et l’alinéa 18(1)b) de la Loi, le demandeur soutient que la marque de commerce de la défenderesse n’était pas distinctive à la date où les procédures en radiation ont été entamées, soit le 5 novembre 1997. Le demandeur fait valoir que la marque n’était pas distinctive à cette date en raison de :

1. la reconnaissance accrue sur le marché canadien de la réputation et du prestige dont jouit le prosciutto de Parme, en Italie;

2. les cessions répétées de l’enregistrement, de la marque de commerce et de l’entreprise s’y rapportant, sans avis opportun au public de ces changements de source;

3. l’utilisation par PMI et la défenderesse d’une présentation « pseudo-italienne » sur l’emballage employé en liaison avec la marque de commerce.

[25]      La défenderesse a raison de souligner que sa marque de commerce bénéficie d’une présomption de validité et que le demandeur a le fardeau de prouver que la marque en question a perdu son caractère distinctif.

[26]      Je note que la preuve du caractère distinctif d’une marque de commerce est établie lorsque des groupes représentatifs de la population qui habite la région visée par l’enregistrement perçoivent la marque comme étant distinctive. À ce titre, la preuve par sondage concernant le caractère distinctif d’une marque de commerce devrait normalement évaluer la perception de cette marque par le consommateur moyen, et non par des consultants spécialisés dans le domaine. Une bonne partie de la preuve du demandeur a été fournie par des personnes ayant une connaissance particulière de l’industrie alimentaire italienne au Canada et en Italie. De plus, l’avocat du demandeur a présenté à la Cour le témoignage de personnes faisant partie de la famille proche d’un partenaire ou d’un associé de son cabinet. Dans l’ensemble, je ne considère pas cette preuve comme représentative des connaissances du consommateur canadien type ayant une intelligence et une éducation moyennes.

[27]      Je note également que la preuve par sondage du demandeur ne peut servir à l’appui de ses prétentions en ce qui concerne le caractère distinctif. Le sondage en question avait pour but de démontrer que la marque de commerce « Parma » constituait une description fausse et trompeuse, et cette preuve n’a, par conséquent, aucun rapport avec la question du caractère distinctif.

[28]      La défenderesse et ses prédécesseurs en titre utilisent la marque de commerce « Parma » au Canada depuis son enregistrement en 1971. Bien qu’il ait pu y avoir un accroissement avec les années de la reconnaissance au Canada de la réputation du prosciutto produit à Parme, en Italie, il y a eu des ventes réelles de produits carnés en liaison avec la marque de commerce de la défenderesse au Canada. Le juge MacGuigan de la Cour d’appel a fait allusion au caractère non pertinent de l’effet « retombées » dans Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (no 1) (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.). À la page 296, il cite l’énoncé du droit fait par le juge Tomlin dans Imper Electrical Ltd. c. Winbaum (1927), 44 R.P.C. 405, à la page 410 :

[traduction] Pour déterminer si la marque est distinctive, nous ne devons considérer que notre marché intérieur. À cette fin, on ne peut prendre en considération les marchés étrangers, à moins que la preuve ne montre que des marchandises vendues dans notre pays portaient une marque étrangère et que, de ce fait, on établit un rapport entre la marque ainsi utilisée et le fabricant de ces marchandises.

[29]      De plus, comme le demandeur le fait lui-même remarquer aux paragraphes 46 et 47 de son argumentation, la défenderesse et son prédécesseur en titre, PMI, ont fait le nécessaire pour protéger le caractère distinctif de la marque de commerce en question. PMI a avisé le demandeur par écrit qu’une injonction allait être sollicitée si ce dernier tentait d’utiliser la marque « Parma » au Canada, et la défenderesse a écrit à l’un des membres du consortium pour les mêmes raisons.

[30]      À mon avis, les cessions répétées de la marque n’affectent pas les droits de la défenderesse. Bien que la défenderesse ait utilisé pendant un certain temps un emballage qui indiquait que PMI était le producteur des produits, il s’agissait d’un vieil emballage que la défenderesse avait décidé d’utiliser en attendant qu’un nouvel emballage soit conçu. Il convient de noter que la défenderesse avait fait l’acquisition de PMI, si bien que ces deux entités pouvaient être considérées comme constituant une seule et même entité au moment où l’emballage en question était utilisé. Le public canadien n’était donc pas susceptible d’être induit en erreur quant à la source des produits vendus par la défenderesse, et ce, tant par la marque de commerce que par le nom « PMI » apparaissant sur l’emballage.

[31]      La marque de commerce a été acquise par la défenderesse et ses prédécesseurs en titre au terme d’une succession valide de transferts de propriété de la marque de commerce qui remonte jusqu’à son propriétaire d’origine, Parma Food Products Ltd. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la marque de commerce a jamais été dépouillée de son prestige à la suite de l’un de ces transferts et n’a pas, par conséquent, réussi à démontrer que la marque de commerce a perdu son caractère distinctif dans cette succession de transferts de propriété.

[32]      Le demandeur allègue également que l’emballage « pseudo-italien » de la défenderesse, qui a été utilisé en liaison avec la marque de commerce « Parma », a eu l’effet de diminuer le caractère distinctif de la marque avec les années. Cependant, la présentation utilisée en liaison avec une marque de commerce n’est pas un facteur pertinent dans une action en contrefaçon de marque de commerce. La Cour d’appel fédérale s’est penchée sur cette question dans Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 À la page 101, le juge en chef Thurlow a examiné la décision rendue par le juge de première instance dans cette affaire, jugeant que ce dernier avait eu tort de prendre en considération des facteurs qui ne seraient pertinents que dans une action en commercialisation trompeuse (passing off). L’ex-juge en chef s’est exprimé en ces termes à la page 101 de sa décision :

À ce stade, le juge a considéré et semble avoir pris en considération le fait qu’il n’existait aucune ressemblance dans le style des caractères utilisés et la coloration des enseignes des parties, et que la présentation des deux marques qu’on retrouve sur les affiches, les boîtes, etc. est très différente. À mon avis, il s’agirait de facteurs très pertinents si l’action était une action en passing off en common law. Ces facteurs ne sont pas pertinents dans une action en contrefaçon d’une marque de commerce enregistrée, et on n’aurait pas dû en tenir compte en déterminant si les marques de commerce et les noms commerciaux litigieux créent de la confusion avec la marque enregistrée de l’appelante.

[33]      Bien que l’affaire Mr. Submarine ait porté sur une action en contrefaçon, la règle fondamentale s’applique tout de même en l’espèce où le demandeur sollicite la radiation de la marque de commerce de la défenderesse, puisqu’il n’a pas plaidé la commercialisation trompeuse.

[34]      Le demandeur allègue enfin que l’utilisation d’une présentation « pseudo-italienne » en liaison avec la marque de commerce de la défenderesse a pu laisser croire au public que le produit était fabriqué en Italie (probablement par le Consorzio di Parma). Le consortium fait valoir que la défenderesse cherche à tirer avantage du prestige dont il jouit en utilisant un emballage « pseudo-italien ». Cependant, la défenderesse est propriétaire de la marque de commerce au Canada, une marque de commerce qui est enregistrée depuis 1971. La défenderesse a le droit d’emballer son produit comme elle l’entend. L’emballage utilisé n’est un facteur pertinent qu’en ce qui concerne la question de la « description fausse et trompeuse », et il ne l’est pas en ce qui concerne celle du caractère distinctif de la marque de commerce.

[35]      En résumé, la défenderesse bénéficie d’une présomption que l’enregistrement et les renseignements y contenus sont valides, tandis qu’il appartient au demandeur de prouver que la marque n’est pas distinctive. Le caractère distinctif d’une marque de commerce doit s’apprécier uniquement en fonction du marché canadien. Les études du demandeur ne peuvent servir à l’appui de ses prétentions, puisque ces études n’avaient pas pour but d’évaluer le caractère distinctif. De plus, les témoignages sur lesquels le demandeur fonde la plus grande partie de sa preuve ont été fournis par des personnes faisant partie d’un petit groupe spécialisé non représentatif du marché canadien dans son ensemble. Le demandeur ne s’est donc pas acquitté de son fardeau de preuve.

ORDONNANCE

[36]      Pour les motifs énoncés ci-dessus, la demande est rejetée. Si les parties ne peuvent s’entendre sur les dépens, elles pourront me présenter des observations écrites.

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