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[1994] 2 .C.F. 406

A-249-92

Charles C. Roach (appelant)

c.

Le Ministre D’État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté (intimé)

Répertorié : Roach c. Canada (Ministre d’État au Multiculturalisme et à la Citoyenneté) (C.A.)

Cour d’appel, juges MacGuigan, Linden et McDonald, J.C.A.—Toronto, 4 novembre 1993; Ottawa, 20 janvier 1994.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Appel de décisions rendues en vertu de la Règle 419 radiant la déclaration au motif qu’elle ne révélait aucune cause raisonnable d’action — L’appelant voulait obtenir la citoyenneté canadienne, mais refusait de jurer allégeance à la Reine en raison de ses opinions républicaines — Le serment d’allégeance prévu dans la Loi sur la citoyenneté est-il inconstitutionnel? — Explication de la nature de serment — La prestation du serment ne constitue pas une entrave coercitive qui porterait atteinte aux droits garantis à l’appelant par la Charte — La comparaison entre les personnes qui ont obtenu la citoyenneté canadienne à leur naissance et celles qui veulent l’obtenir par la naturalisation ne tient pas — Il est évident que l’appelant n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause à la suite de l’instruction.

Droit constitutionnel — Charte des droits — L’appelant prétendait que l’obligation de prononcer le serment ou l’affirmation solennelle d’allégeance à la Reine pour obtenir la citoyenneté viole les droits garantis par la Charte — Le serment d’allégeance lie son auteur jusqu’à ce que la Constitution soit modifiée — Il ne porte pas atteinte à l’exercice des libertés fondamentales protégées par l’art. 2b), c) et d) de la Charte — L’appelant n’avait aucune chance d’avoir gain de cause à la suite de l’instruction — La Constitution est le critère ultime d’appréciation des lois, des actes et des entraves discriminatoires.

Il s’agit d’un appel du jugement par lequel le juge Joyal a confirmé la décision du protonotaire adjoint de radier la déclaration de l’appelant, en vertu de la Règle 419, parce qu’elle ne révélait aucune cause raisonnable d’action. L’appelant est un avocat de Toronto, né à Trinité et Tobago et résident permanent du Canada en qualité de sujet britannique depuis plus de 34 ans. Il a demandé la citoyenneté canadienne mais, en raison de ses opinions républicaines, il refusait de jurer allégeance à la Reine, ce qu’il était tenu de faire dans le cadre de la cérémonie de prestation de serment. L’appelant soutenait que l’obligation qui lui était imposée de jurer ou d’affirmer solennellement son allégeance à la Reine violait les droits que lui garantissait la Charte. Pour cette raison, il demandait au tribunal de déclarer qu’il avait le droit d’obtenir la citoyenneté sans prononcer le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté sous leur forme actuelle. Le juge de première instance a déclaré que la prestation du serment consistait à jurer allégeance à la Reine en sa qualité de chef d’État, qu’il n’était pas possible de contester le serment ou l’affirmation solennelle en invoquant la Charte, et que l’unique recours de l’appelant était d’ordre politique. L’appel portait sur la question de savoir si le serment d’allégeance à la Reine contenu dans la Loi sur la citoyenneté peut être considéré comme une atteinte aux droits constitutionnels garantis à l’appelant par la Charte.

Arrêt (le juge Linden, J.C.A., dissident en partie) : l’appel doit être rejeté.

Le juge MacGuigan, J.C.A. : Un serment est une déclaration solennelle faite devant Dieu, ou sur quelque chose de sacré, attestant qu’une affirmation est vraie; l’affirmation solennelle joue le même rôle pour les personnes qui ne veulent pas prêter serment. Le serment d’allégeance à la Reine en sa qualité de chef d’État lie son auteur au même titre que le reste de la Constitution du Canada, seulement jusqu’à ce que la Constitution soit modifiée à cet égard. Étant donné que l’appelant ne prônait pas de changements à caractère révolutionnaire, c’est-à-dire des changements qui seraient contraires à la Constitution même, sa liberté d’expression, sa liberté de réunion pacifique et sa liberté d’association protégées par l’article 2 de la Charte ne pouvaient être limitées par son serment d’allégeance, qui ne porte nullement atteinte à l’exercice de ces libertés. Il est « manifeste » et « au-delà de tout doute » que l’appelant n’a aucune chance d’avoir gain de cause à cet égard à la suite de l’instruction. En faisant valoir que le processus d’obtention de la citoyenneté exige que les non-citoyens prononcent un serment d’allégeance à la Reine, alors que les citoyens canadiens de naissance n’y sont pas tenus, l’appelant a établi entre ces groupes une comparaison qui ne mène à rien. Les citoyens de naissance ne sont pas tenus de prêter le serment d’allégeance parce qu’ils n’ont pas à se soumettre au processus d’obtention de la citoyenneté canadienne qu’ils possèdent déjà. Les serments ou les affirmations expriment l’intention solennelle d’adhérer à la pierre d’angle symbolique de la Constitution canadienne et, par conséquent, un engagement à accepter notre Constitution et notre vie nationale dans leur intégralité. L’appelant pouvait difficilement se plaindre que, pour devenir citoyen canadien, il devait donner expressément son accord à la structure fondamentale de notre pays. La Constitution est l’ultime critère à l’aide duquel les lois, les actes et les entraves discriminatoires sont appréciés.

Le juge Linden, J.C.A. (dissident en partie) : L’une des raisons déterminantes pour lesquelles le critère applicable à la radiation d’une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action est aussi exigeant tient à la volonté d’empêcher la Cour de s’engager dans la résolution des questions de fait en l’absence de toute preuve. Ce n’est que dans les cas les plus manifestes qu’une partie peut être privée de l’occasion de produire sa preuve et de faire valoir une argumentation complète en droit. En ce qui a trait à la liberté de conscience et à la liberté de religion, l’appelant devait démontrer que le fardeau qui lui était imposé par le serment n’était ni négligeable ni insignifiant. L’appelant n’a pas soulevé d’argument plausible relativement à l’imposition d’une entrave coercitive à ses opinions dictées par la conscience qui l’empêcheraient de prêter serment devant quelqu’un qui ne soit pas l’Être suprême. Sa véritable objection ne touchait pas la forme du serment, mais plutôt son contenu. Sa prétention fondée sur l’alinéa 2a) de la Charte concernant la liberté de conscience doit donc être radiée. Son allégation portant que le serment de citoyenneté restreint sa liberté de religion du fait que la Reine est le « chef de l’Église anglicane » doit également être radiée. Le serment ne comporte pas de déclaration d’allégeance à la religion anglicane, ni à la Reine relativement au rôle qu’elle joue dans l’Église d’Angleterre. La demande de l’appelant en ce qui a trait aux effets du serment sur sa liberté de religion ne révélait aucune entrave qui ne soit pas négligeable ou insignifiante. Le lien entre un serment d’allégeance à la Reine en sa qualité de chef d’État et la pratique et les croyances religieuses de l’appelant était trop éloigné. Bien que la liberté de pensée, de croyance et d’opinion protégée par l’alinéa 2b) de la Charte se distingue de la liberté de conscience, il est possible de lui appliquer une analyse assez semblable : une certaine entrave coercitive doit découler de la loi contestée. Comme, de nos jours, la liberté de critiquer la monarchie et d’autres institutions canadiennes est garantie par la Charte et comme l’appelant pouvait avoir le sentiment que son serment faisait obstacle, dans une certaine mesure, à ses activités antimonarchiques, la demande de l’appelant relative à sa liberté de pensée ne doit pas être radiée. Aucun élément de preuve n’indiquait que l’objet du serment ou de l’affirmation de citoyenneté est de limiter la liberté d’expression, mais l’appelant pouvait néanmoins avoir le sentiment que l’observation stricte de son serment ou de son affirmation solennelle de loyauté envers la Reine l’empêcherait d’exprimer son républicanisme, bien qu’elle n’ait peut-être pas cet effet en droit. En conséquence, la demande de l’appelant concernant l’atteinte que le serment ou l’affirmation solennelle porteraient à sa liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte ne doit pas être radiée. La liberté de réunion pacifique est axée sur la protection physique des assemblées et n’a pas pour but de protéger l’objet d’une assemblée organisée pour favoriser la liberté de pensée, de croyance, d’opinion ou d’expression ou la liberté d’association car ces libertés jouissent d’une protection indépendante. La partie de la déclaration de l’appelant qui concerne la liberté de réunion pacifique doit donc être radiée. En ce qui a trait à la liberté d’association que lui garantit l’alinéa 2d) de la Charte, on ne pouvait pas conclure à cette étape que l’appelant n’avait aucune chance d’avoir gain de cause sur ce point si on lui donnait l’occasion de présenter une preuve et une argumentation; cette partie de la déclaration ne doit donc pas être radiée. La norme applicable au traitement cruel et inusité visé à l’article 12 de la Charte tient à la question de savoir si le traitement visé porte atteinte à la dignité humaine. Les conséquences que subira l’appelant s’il ne prête pas serment ni ne fait l’affirmation solennelle ne peuvent être considérées comme portant atteinte à la dignité humaine. Par conséquent, cette partie de la déclaration de l’appelant doit être radiée.

La prétention de l’appelant que le serment ou l’affirmation solennelle sont contraires au paragraphe 15(1) de la Charte pourrait se justifier du fait qu’un résident permanent qui désire devenir un citoyen naturalisé doit prêter serment tandis que les personnes qui sont des citoyens canadiens de naissance n’y sont pas tenues. Les personnes qui ne sont pas citoyennes canadiennes seraient privées de l’égalité devant la loi du fait que la Loi sur la citoyenneté semble établir une distinction entre deux groupes, savoir les personnes qui obtiennent automatiquement la citoyenneté à leur naissance et celles qui doivent la demander. En plus d’établir qu’il est traité différemment, l’appelant devrait démontrer lors de l’instruction que son inégalité devant la loi est discriminatoire. La demande de l’appelant fondée sur l’article 27 doit aussi être radiée car cette disposition vise uniquement à faciliter l’interprétation et n’est pas une disposition de droit substantiel qui peut être violée.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2, 12, 15(1), 27.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 131 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 17).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 101.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 41a), 52.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 2, 5 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 44, art. 1), 10, 12(3), 24.

Règlement sur la citoyenneté, C.R.C., ch. 400.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 419.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 142; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; (1991), 75 O.R. (2d) 388; 71 D.L.R. (4th) 551; 63 C.C.C. (3d) 481; 5 C.R. (4th) 253; 3 C.R.R. (2d) 1; 125 N.R. 1; 47 O.A.C. 81; Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; (1980), 115 D.L.R. (3d) 1; 33 N.R. 304; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959; Benner c. Canada (Secrétariat d’État), [1994] 1 C.F. 250; (1993), 155 N.R. 321 (C.A.); R. v. Bannerman (1966), 55 W.W.R. 257; 48 C.R. 110 (C.A. Man.); R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40; (1993), 154 N.R. 321 (C.A.); United States v. Schwimmer, 279 U.S. 644 (1929); Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; (1989), 58 D.L.R. (4th) 577; 25 C.P.R. (3d) 417; 94 N.R. 167; West Virginia Board of Education v. Barnette, 319 U.S. 624 (1943); Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; (1987), 78 A.R. 1; 38 D.L.R. (4th) 161; [1987] 3 W.W.R. 577; 51 Alta. L.R. (2d) 97; 87 CLLC 14,021; [1987] D.L.Q. 225; 74 N.R. 99.

DÉCISIONS CITÉES :

Omychund v. Barker (1744), 26 E.R. 15; R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; (1990), 59 C.C.C. (3d) 92; 79 C.R. (3d) 1; 113 N.R. 53; 41 O.A.C. 353; R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Schneiderman v. United States, 320 U.S. 118 (1943); R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697; (1990), 114 A.R. 81; [1991] 2 W.W.R. 1; 77 Alta. L.R. (2d) 193; 61 C.C.C. (3d) 1; 3 C.P.R. (2d) 193; 1 C.R. (4th) 129; 117 N.R. 284; R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452; R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045; (1987), 40 D.L.R. (4th) 435; [1987] 5 W.W.R. 1; 15 B.C.L.R. (2d) 273; 34 C.C.C. (3d) 97; 58 C.R. (3d) 193; 31 C.R.R. 193; 75 N.R. 321; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 39 C.R.R. 306; 96 N.R. 115; 34 O.A.C. 115; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; (1989), 59 D.L.R. (4th) 321; [1989] 4 W.W.R. 193; 58 Man. R. (2d) 161; 26 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6183; 89 CLLC 17,012; 45 C.R.R. 115; 94 N.R. 373; Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252; (1989), 59 D.L.R. (4th) 352; [1989] 4 W.W.R. 39; 58 Man. R. (2d) 1; 25 C.C.E.L. 1; 10 C.H.R.R. D/6205; 89 CLLC 17,011; 47 C.R.R. 274; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232; (1990), 111 N.R. 161; Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69; (1991), 82 D.L.R. (4th) 321; 37 C.C.E.L. 195; 91 CLLC 14,026; 125 N.R. 241; R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577; (1991), 7 C.R. (4th) 117; 128 N.R. 81; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; (1992), 93 D.L.R. (4th) 1; 92 CLLC 14,036; 10 C.R.R. (2d) 1; 139 N.R. 1; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; (1993), 107 D.L.R. (4th) 342; 158 N.R. 1; R. v. Seaboyer (1987), 61 O.R. (2d) 290 (C.A.); R. v. Chief, [1990] N.W.T.R. 55; [1990] 1 W.W.R. 193; (1989), 39 B.C.L.R. (2d) 358; 51 C.C.C. (3d) 265; [1990] 1 C.N.L.R. 92; 74 C.R. (3d) 57; 44 C.R.R. 122 (C.A.T.Y.).

DOCTRINE

Abella, Irving M. A Coat of Many Colours : Two Centuries of Jewish Life in Canada. Toronto : Lester & Orpen Dennys, 1990.

Canada. Premier ministre. La constitution canadienne et le citoyen. Ottawa : Gouvernement du Canada, 1969.

Gochnauer, M. « Oaths, Witnesses and Modern Law » (1991), 4 Can. J. Law & Jur. 67.

Levinson, Sanford. « Constituting Communities Through Words That Bind : Reflections on Loyalty Oaths » (1986), 84 Mich. L. Rev. 1440.

MacKinnon, Frank. The Crown in Canada. Calgary : Glenbow-Alberta Institute, 1976.

Morton, Frederic. The Rothschilds : A Family Portrait. New York : Atheneum, 1962.

APPEL d’une décision de la Section de première instance ([1992] 2 C.F. 173; (1992), 53 F.T.R. 241 (1re inst.)) confirmant la décision du protonotaire adjoint de radier la déclaration de l’appelant en vertu de la Règle 419 parce qu’elle ne révélait aucune cause raisonnable d’action. Appel rejeté.

AVOCATS :

Charles C. Roach en son propre nom.

Bonnie J. Boucher pour l’intimé.

PROCUREURS :

Charles C. Roach, Toronto, en son propre nom.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge MacGuigan, J.C.A. : À mon avis, le juge Joyal en qualité de juge de première instance [[1992] 2 F.C. 173] et, avant lui, le protonotaire adjoint Giles ont eu raison de radier la totalité de la déclaration de l’appelant en vertu de la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] au motif qu’elle ne révélait aucune cause raisonnable d’action.

J’ai eu l’occasion de lire les motifs du jugement de mon collègue, le juge Linden, et je souscris à son explication de la loi, du critère applicable à l’absence de cause raisonnable d’action et de la nature du serment, ainsi qu’à sa décision de radier la demande de l’appelant relativement aux peines et aux traitements cruels et inusités (article 12 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]) et au patrimoine multiculturel des Canadiens (article 27). J’approuve également ses motifs à l’appui de sa décision de radier la déclaration de l’appelant en ce qui a trait à la liberté de conscience et de religion (alinéa 2b)), à l’exception du fait que je crois que le serment d’allégeance ne peut même pas être considéré comme une atteinte négligeable ou insignifiante à l’exercice par l’appelant de ses libertés. Quant au reste des motifs prononcés par mon collègue à l’appui de sa décision et à la façon dont il a tranché le litige, je ne partage pas son opinion.

Un serment est une déclaration solennelle faite devant Dieu, ou sur quelque chose de sacré, attestant qu’une affirmation est vraie; l’affirmation solennelle joue le même rôle pour les personnes qui ne veulent pas prêter serment. La personne qui prête le serment prescrit par la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29] jure ou affirme solennellement qu’elle sera fidèle et qu’elle portera « sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs ». Bien que le rôle du monarque en qualité de chef d’État repose sur une tradition immémoriale en common law, il est maintenant consacré par l’article 9 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30& 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]], qui prévoit ce qui suit en ce qui a trait au pouvoir exécutif : « À la Reine continueront d’être et sont par la présente attribués le gouvernement et le pouvoir exécutifs du Canada » et par l’article 17 qui traite du pouvoir législatif : « Il y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d’une chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des Communes. » Étant donné que le Canada est une monarchie constitutionnelle et non une monarchie absolue, la Reine ne dirige pas l’État personnellement, mais on peut plutôt dire qu’elle « règne » par convention constitutionnelle, sur avis des ministres choisis au sein du parti qui jouit d’une majorité réelle ou présumée à la Chambre des Communes[1].

Si les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 et celles qui en découlent (comme les articles 10 à 16) étaient abrogées ou modifiées, par exemple, pour substituer au monarque une personne désignée différente, il ne fait aucun doute que le monarque ne serait plus le chef d’État du Canada, à condition bien sûr que la modification constitutionnelle soit faite régulièrement en conformité avec la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], car l’alinéa 41a) de cette Loi prévoit expressément que « la charge de Reine » peut être modifiée « par des résolutions du Sénat, de la Chambre des Communes et de l’assemblée législative de chaque province. »

Dans ce contexte constitutionnel, il faut considérer le serment d’allégeance comme liant son auteur au même titre que le reste de la Constitution du Canada, c’est-à-dire non pas pour l’éternité, ni de façon inhérente, mais seulement jusqu’à ce que la Constitution soit modifiée à cet égard.

Tous s’entendent pour dire, et cela relève du simple bon sens, qu’il n’est ni inconstitutionnel, ni illégal, ni inapproprié de prôner la révision de la Constitution. Les promoteurs des Accords du Lac Meech et de Charlottetown n’ont pas ressenti de vives inquiétudes en prônant ces modifications du moins, pas à cet égard. L’alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982 elle-même « ose » légitimer, par voie constitutionnelle, l’abolition de la monarchie. Pour qu’une modification soit légitime sur le plan constitutionnel, il suffit que le mode de révision prévu par la Constitution soit suivi.

Étant donné que l’appelant ne prône pas de changements à caractère révolutionnaire (c’est-à-dire des changements qui seraient contraires à la Constitution même)[2], sa liberté d’expression (alinéa 2b)), sa liberté de réunion pacifique (alinéa 2c)) et sa liberté d’association (alinéa 2d)) ne sauraient être vraisemblablement limitées par son serment d’allégeance, car la prestation du serment d’allégeance n’a aucune incidence négative sur l’exercice de ces libertés. Le fait que le serment « personnifie » une disposition particulière de la Constitution n’a aucune importance sur le plan constitutionnel, puisque cette personnification découle de la Constitution elle-même. Comme l’a dit le professeur Frank MacKinnon dans The Crown in Canada, Glenbow-Alberta Institute, 1976, à la page 69, [traduction] « Elizabeth Deux est l’expression personnifiée de la Couronne du Canada ». Même ainsi personnifiée, cette partie de la Constitution qui concerne la Reine peut être modifiée; il est donc possible de prôner librement sa modification de façon compatible avec le serment d’allégeance, que ce soit par l’exercice de la liberté d’expression, de la liberté de réunion pacifique ou de la liberté d’association.

Ces motifs suffisent pour trancher la contestation, par l’appelant, du serment d’allégeance sur la base de l’article 2 de la Charte. Aucun fait ne pourrait être allégué à l’appui des prétentions de l’appelant. Il est « manifeste » et « au-delà de tout doute » que l’appelant n’a aucune chance d’avoir gain de cause à cet égard à la suite de l’instruction.

L’appelant prétend également que le serment ou l’affirmation solennelle sont contraires au paragraphe 15(1) de la Charte qui se lit comme suit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

La jurisprudence établit qu’en plus de prouver qu’il subit un traitement différent, le demandeur doit prouver que cette atteinte à l’égalité est discriminatoire : Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 142; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933.

L’affaire Andrews est particulièrement utile à cet égard, en l’espèce, car elle concernait aussi la situation des non-citoyens. Dans l’affaire Andrews, le Barreau refusait d’admettre les non-citoyens à l’exercice du droit. Le tribunal a conclu qu’il y avait discrimination pour deux raisons : (1) un fardeau était imposé aux aspirants avocats qui n’étaient pas citoyens canadiens du fait qu’ils devaient attendre trois ans, soit la période de résidence requise pour obtenir la citoyenneté; (2) ce fardeau imposé avait un lien avec la non-citoyenneté, et le tribunal a jugé qu’il s’agissait d’un motif analogue à ceux énumérés au paragraphe 15(1).

En l’espèce, ce n’est pas exactement la citoyenneté qui est en cause, mais plutôt le processus à suivre pour l’obtenir. L’objection de l’appelant ne porte même pas sur le fait qu’un processus doive être suivi pour obtenir la citoyenneté, mais uniquement sur le fait que ce processus exige la prestation d’un serment d’allégeance à la Reine, serment que les citoyens canadiens de naissance ne sont pas tenus de prêter.

La comparaison entre ces groupes ne mène à rien. Les citoyens de naissance ne sont pas, évidemment, tenus de prêter serment d’allégeance parce qu’ils n’ont pas à se soumettre au processus d’obtention de la citoyenneté canadienne qu’ils possèdent déjà. Ils sont exemptés, le cas échéant, non pas de prêter serment, mais de suivre le processus d’obtention de la citoyenneté.

Par ailleurs, le fardeau imposé à l’appelant est celui, minuscule, qui correspond au temps et à l’effort voulus pour prononcer les quelque 24 mots du serment d’allégeance. Statuer que ce fardeau constitue une entrave coercitive qui donne lieu à l’application du paragraphe 15(1) aurait, à mon avis, pour effet de banaliser la Charte.

Il va de soi que toutes les conséquences de ce serment ou de cette affirmation solennelle de quelque 24 mots (par opposition au fardeau symbolique de leur formulation) ne sont en rien négligeables. Dans leur ensemble, elles ne sont pas contraires à la Constitution mais, qui plus est, il ne serait pas exagéré de dire qu’elles sont la Constitution. Elles expriment l’intention solennelle d’adhérer à la pierre d’angle symbolique de la Constitution canadienne telle qu’elle a existé et qu’elle existe maintenant, en s’engageant ainsi à accepter notre Constitution et notre vie nationale dans leur intégralité. On pourrait difficilement accepter d’entendre l’appelant se plaindre que, pour devenir citoyen canadien, il doit donner expressément son accord à la structure fondamentale actuelle de notre pays.

Par contre, c’est aux millions des citoyens canadiens qu’il revient de décider ce que notre pays deviendra avec le temps, comme je l’ai indiqué relativement à l’article 2 de la Charte; l’appelant pourra participer à ce processus, si seulement il s’autorise à le faire. Il ne peut utiliser son idéal d’une Constitution républicaine pour nier en droit la légitimité de la forme de gouvernement déjà en place. La Constitution actuelle peut en effet évoluer pour se transformer en cette république idéale, à condition que le processus politique qui mène à cette transformation se déroule paisiblement en conformité avec la Constitution. Si l’appelant devait avoir le sentiment particulier qu’affirmer son allégeance à la Constitution existante constitue une « entrave », ce n’est pas là une entrave qui relève du droit. La Constitution, telle qu’elle existe à une époque donnée, ne peut pas être inconstitutionnelle ni créer une entrave sur le plan constitutionnel. Elle est elle-même l’ultime critère à l’aide duquel les lois, les actes et les entraves discriminatoires sont appréciés.

J’ai déjà tranché tous les autres aspects de la demande de l’appelant fondés sur le paragraphe 15(1) en me prononçant sur l’article 2.

La Cour s’est interrogée, avec les parties, sur la question de la compétence que l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 lui confère pour prononcer un jugement déclaratoire en l’espèce et leur a accordé des semaines supplémentaires, à la suite de l’audition, pour qu’elles lui présentent une plaidoirie à cet égard. Les arguments qui ont été exposés à la Cour ne me paraissent pas utiles et, comme la déclaration de l’appelant est radiée de toute façon, je ne juge pas nécessaire de résoudre cette question.

L’appel doit donc être rejeté avec dépens.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Linden, J.C.A. : L’appel porte sur la question de savoir si le serment d’allégeance à la Reine prévu par la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, peut être déclaré inconstitutionnel dans les circonstances de l’espèce. L’appelant, qui est républicain, prétend plus particulièrement que l’obligation qui lui est imposée de prêter serment d’allégeance à la Reine porte atteinte aux droits constitutionnels que lui garantissent différentes dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés. Le protonotaire adjoint a radié sa déclaration en vertu de la Règle 419 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663] parce qu’elle ne révélait « aucune cause raisonnable d’action »; cette décision a été confirmée par la Section de première instance. La Cour doit maintenant trancher cette question en appel.

L’appelant, qui est membre du Barreau de l’Ontario, est né à Trinité et Tobago et est résident permanent du Canada en qualité de sujet britannique depuis plus de 34 ans. L’appelant soutient que les droits dont il jouit à titre de sujet britannique et de résident permanent se sont érodés au cours des ans et qu’il ne peut désormais plus voter aux élections, occuper une charge publique ni obtenir un emploi dans la fonction publique. L’appelant a demandé la citoyenneté canadienne et y est admissible. Avant de s’adresser aux tribunaux, l’appelant a demandé à différents ministres du gouvernement de l’exempter de l’obligation de prêter le serment de citoyenneté sous sa forme actuelle. Ses demandes ont été rejetées. L’appelant est disposé à prêter un serment par lequel il s’engagerait à agir avec loyauté en qualité de citoyen canadien, à obéir aux lois du Canada et à remplir ses devoirs de citoyen. Toutefois, en raison de ses opinions républicaines, il refuse de jurer allégeance à la Reine, ce qu’il est actuellement tenu de faire dans le cadre de la cérémonie de prestation de serment.

L’appelant a déposé une déclaration afin d’introduire, contre la Couronne, une action visant à obtenir un jugement déclaratoire. Il demandait au tribunal de déclarer qu’il a le droit d’obtenir la citoyenneté sans prononcer le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté sous leur forme actuelle. Subsidiairement, l’appelant demandait au tribunal de déclarer qu’il a le droit d’être exempté de l’obligation de prêter le serment de citoyenneté sous sa forme actuelle. L’appelant soutenait notamment que l’obligation qui lui est imposée de jurer ou d’affirmer solennellement son allégeance à la Reine viole les droits que lui garantit la Charte.

LES DISPOSITIONS DE LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ

Les conditions d’admissibilité à la citoyenneté canadienne sont énoncées à l’article 5 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 44, art. 1] de la Loi sur la citoyenneté. Le ministre est tenu de délivrer un certificat de citoyenneté à la personne qui satisfait à ces conditions. En vertu du paragraphe 12(3), le certificat ne prend toutefois effet que lorsque la personne à laquelle il a été délivré s’est conformée aux dispositions de la Loi et du Règlement sur la citoyenneté, C.R.C., ch. 400, régissant le serment de citoyenneté. Le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté constituent la dernière étape à franchir pour obtenir la citoyenneté canadienne. L’article 24 de la Loi dispose :

24. Le serment de citoyenneté est prêté dans les termes prescrits par l’annexe et selon les modalités fixées par règlement.

Le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté se trouvent à l’annexe de la Loi sur la citoyenneté. En voici le libellé :

Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs et je jure d’observer fidèlement les lois du Canada et de remplir loyalement mes obligations de citoyen canadien.

ou

J’affirme solennellement que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien.

L’alinéa 5(3)b) de la Loi sur la citoyenneté confère au ministre le pouvoir d’exempter toute personne frappée d’incapacité des conditions relatives à la prestation du serment de citoyenneté. Il se lit comme suit :

5.

(3) Pour des raisons d’ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter :

b) dans le cas des personnes frappées d’incapacité, des conditions relatives … à la prestation du serment de citoyenneté.

Selon la définition énoncée à l’article 2 de la Loi sur la citoyenneté, on entend par « incapacité » celle qui découle de la minorité ou de l’altération des facultés mentales. Par conséquent, l’appelant n’est pas une personne frappée d’incapacité au sens de la Loi sur la citoyenneté, et le ministre n’est pas autorisé à l’exempter des conditions relatives à la prestation du serment de citoyenneté. Si le législateur avait conféré au ministre ou au Bureau de la citoyenneté des pouvoirs plus étendus d’exemption des conditions relatives à la prestation du serment dans les cas appropriés, le litige aurait pu être évité. Toutefois, sous le régime de la Loi présentement en vigueur, la Cour doit examiner la prétention de l’appelant selon laquelle le serment de citoyenneté est inconstitutionnel, à tout le moins en regard de sa situation.

DÉCISIONS DES INSTANCES INFÉRIEURES

La requête en radiation a été entendue par le protonotaire adjoint, qui l’a accueillie [traduction] « sous réserve du droit du demandeur de déposer une demande ou une déclaration qui révèle une véritable cause d’action, qui soit exempte de toute allégation non pertinente et relève de la compétence de la Cour » (voir page 22 du dossier). Les dépens de la requête ont été adjugés contre l’appelant sans égard à l’issue de la cause.

L’appelant a interjeté appel à la Section de première instance, mais celle-ci a rejeté l’appel. M. le juge Joyal a déclaré qu’au Canada, la Reine est l’équivalent de « l’État » et de la « Couronne » et que la prestation du serment de citoyenneté exige la prestation d’un serment d’allégeance au chef d’État de ce pays. Il a statué que le fait que notre chef d’État appartienne à la monarchie et à l’Église anglicane n’avait aucune importance sur le plan constitutionnel. Il a ajouté que l’appelant était libre de prononcer une affirmation solennelle si sa conscience l’empêchait de prêter serment.

M. le juge Joyal a conclu [à la page 179] :

L’appelant doit savoir que le Canada est un État laïc et que, bien qu’un bon nombre de ses lois reflètent des valeurs, des cultures et des traditions religieuses, elles ont néanmoins un caractère laïc ou positiviste. En accordant des dispenses comme celle réclamée par l’appelant, on permettrait d’imposer à des lois d’application générale, des croyances particulières, religieuses ou autres, ce qui serait contraire aux principes d’un État laïc.

M. le juge Joyal a déclaré que, selon lui, il n’était pas possible de contester le serment ou l’affirmation solennelle en invoquant la Charte, et il a souligné que l’unique recours de l’appelant était d’ordre politique. Il a rejeté l’appel avec dépens.

LE CRITÈRE APPLICABLE À L’ABSENCE DE CAUSE RAISONNABLE D’ACTION

Il est difficile de satisfaire au critère déterminant qui justifie le rejet d’une action ou la radiation d’une demande pour absence de cause raisonnable d’action. Nos tribunaux sont à juste titre réticents à mettre fin prématurément à des actions qui pourraient éventuellement s’avérer bien fondées. Nous préférons donner à chacun l’occasion d’être entendu et ne radier les demandes que dans les cas les plus manifestes. Pour reprendre les propos tenus par le juge Estey de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740 :

Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l’action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu’il est convaincu qu’il s’agit d’un cas au-delà de tout doute. [C’est moi qui souligne.]

La Cour suprême du Canada a adopté cette norme relativement à une demande fondée sur la Charte dans l’affaire Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441. Mme le juge Wilson, dans ses motifs concordants, a déclaré, à la page 486 :

Le droit donc paraît clair. Les faits articulés doivent être considérés comme démontrés. Alors, la question est de savoir s’ils révèlent une cause raisonnable d’action, c.-à-d. une cause d’action qui a quelques chances de succès. [C’est moi qui souligne.]

Dans l’affaire Operation Dismantle, supra, la majorité des juges, représentés par le juge en chef Dickson, ont mentionné la décision Inuit Tapirisat, supra, et ont cité les motifs concordants de Mme le juge Wilson, qu’ils ont approuvés.

Dans l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959, Mme le juge Wilson a analysé en profondeur le droit relatif à la radiation des demandes au motif qu’elles ne révèlent aucune cause raisonnable d’action. Dans la décision qu’elle a rédigée au nom de la Cour, elle conclut, à la page 980 :

[D]ans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il évident et manifeste que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable? Comme en Angleterre, s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être privé d’un jugement. [C’est moi qui souligne.]

Par conséquent, s’il est « évident et manifeste » ou « au-delà de tout doute » que l’appelant ne peut obtenir gain de cause, la déclaration doit être radiée, mais si l’action « a quelques chances de succès » ou « s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause », le tribunal doit permettre que l’action soit instruite.

Le document intitulé statement of claim ou déclaration, comme en l’espèce, ne comprend pas la preuve requise pour établir les faits allégués par la partie demanderesse. Ces faits peuvent ou non être établis lors de l’instruction, c’est-à-dire qu’il peut être démontré ou non que les opinions de l’appelant sont bien celles qu’il prétend avoir et que les conséquences négatives éventuelles se produiront effectivement. L’une des raisons déterminantes pour lesquelles le critère applicable à la radiation d’une déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action est aussi exigeant tient à la volonté d’empêcher la Cour de s’engager dans la résolution des questions de fait en l’absence de toute preuve. Le risque inhérent à cette entreprise est manifeste : le tribunal ne dispose pas d’éléments suffisants pour rendre les décisions sur les faits nécessaires au règlement du litige. De plus, la déclaration ne contient que l’essentiel de l’argumentation juridique qui sera étoffée lors de la présentation des prétentions des parties devant la Cour de première instance. Ce n’est donc que dans les cas les plus manifestes qu’une partie peut être privée de l’occasion de produire sa preuve et de faire valoir une argumentation complète en droit.

Si l’on applique cette norme à la déclaration de l’appelant, il faut se rappeler que les présents motifs n’ont aucune pertinence quant à la question de savoir si l’appelant aura ou devrait avoir gain de cause à la suite de l’instruction; leur portée est limitée à la question de savoir si l’appelant peut avoir gain de cause à la suite de l’instruction. Par conséquent, ils ne doivent pas être interprétés comme l’expression d’une opinion, quelle qu’elle soit, sur le bien-fondé en définitive des allégations de l’appelant.

LA DEMANDE DE L’APPELANT

Dans sa déclaration, l’appelant prétend que le serment de citoyenneté va à l’encontre de plusieurs dispositions de la Charte, y compris les alinéas 2a), 2b), 2c), 2d), l’article 12 et le paragraphe 15(1). L’appelant soutient en outre que l’interprétation de ses droits garantis par la Charte doit concorder avec l’article 27 qui vise à promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens. J’examinerai un à un les arguments de l’appelant.

Il faut souligner que l’appelant n’a établi aucune distinction dans sa déclaration entre le serment et l’affirmation solennelle. Le caractère religieux de la prestation de serment n’est pas en litige, du point de vue de l’appelant, et c’est bien ainsi, compte tenu de la possibilité qui lui est offerte de faire une affirmation solennelle. En d’autres termes, ce n’est pas la forme du serment qui est en cause, mais son contenu. L’appelant s’oppose à prendre tout engagement de fidélité et d’allégeance à Sa Majesté la Reine qui lierait sa conscience, peu importe que cet engagement prenne la forme d’un serment ou d’une affirmation solennelle. Par conséquent, le terme « serment » utilisé dans la déclaration doit s’entendre à la fois d’un serment et d’une affirmation solennelle.

LA NATURE DU SERMENT

La personne qui prête serment, ou qui fait une affirmation solennelle, atteste qu’elle s’engage en son âme et conscience à accomplir un acte ou à poursuivre un idéal avec fidélité et sincérité. Le serment [traduction] « s’appuie sur la conception intime que chacun a de sa valeur personnelle et de ce qui est bien ». Le serment engage [traduction] « l’âme et conscience de la personne qui prête serment ». (Voir Gochnauer, Oaths, Witnesses and Modern Law (1991), 4 Can. J. Law & Jur. 67, aux pages 71 à 73.) Autrefois, il invoquait invariablement l’aide de l’Être suprême [traduction] « qui récompense la vérité » et [traduction] « qui punit le mensonge ». (Voir la décision Omychund v. Barker (1744), 26 E.R. 15, à la page 32.)

Cependant, de nos jours, de simples affirmations solennelles sont généralement acceptées. Notre société a fait un grand pas vers le respect des droits de la personne lorsqu’elle a permis que l’affirmation solennelle puisse être substituée au serment. Par le passé, les groupes religieux minoritaires ont été privés de certains de leurs droits parce qu’ils ne pouvaient pas ou ne voulaient pas prêter serment. Ainsi, le professeur Irving Abella, dans son ouvrage fascinant, A Coat of Many Colours, (1990), à la page 20, raconte comment Ezekiel Hart, qui était de religion juive, a brigué les suffrages et a été élu membre de l’Assemblée législative du Québec dans la circonscription de Trois-Rivières en 1807. Néanmoins, comme il avait prêté serment sur l’Ancien Testament, sans s’être découvert, plutôt que sur le Nouveau Testament, on ne lui a pas permis d’occuper son siège et il a été remplacé par la personne qui avait obtenu le plus de votes après lui. M. Hart s’est représenté aux élections et a été réélu en 1808. À cette occasion, il a manifesté l’intention de prêter serment sur le Nouveau Testament, mais on l’a à nouveau privé de son siège au motif qu’il n’aurait pas été lié par son serment et qu’en agissant ainsi, il [traduction] « profanerait la religion chrétienne ». Ce n’est qu’en 1832 que les Juifs ont obtenu le droit d’occuper un poste électif au Québec. La situation était encore pire en Angleterre, où il a fallu 26 ans de plus pour que les Juifs puissent remplir une charge élective. Lionel de Rothschild a malheureusement dû vivre une saga similaire : il a dû se faire élire à six reprises entre 1847 et 1858 dans la ville de Londres avant de pouvoir enfin occuper son siège à la Chambre des Communes après avoir prêté serment sur l’Ancien Testament, sans se découvrir, conformément à la tradition juive. (Voir Morton, The Rothschilds : A Family Portrait, (1962), à la page 163.) Ce problème, qui nous couvrait de honte, est heureusement résolu.

On exige de certaines personnes qu’elles prêtent serment ou qu’elles fassent une affirmation solennelle pour s’engager en leur âme et conscience dans différentes situations, notamment lorsqu’elles témoignent devant le tribunal, qu’elles sont admises au Barreau, qu’elles sont élues députés, qu’elles joignent les rangs de la fonction publique et, bien sûr, lorsqu’elles prêtent le serment de citoyenneté sur lequel porte l’appel. Ce sont toutes des situations dans lesquelles nous poursuivons des objectifs qui prédominent tous les autres, telles la fidélité à la vérité ou la loyauté envers notre pays. Comme je l’ai affirmé dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétariat d’État) [1994] 1 C.F. 250 (C.A.), à la page 281 :

La prestation du serment du citoyen est un usage observé dans un grand nombre de pays à titre de condition préalable de la naturalisation. Il s’agit essentiellement d’une mesure destinée à s’assurer que l’intéressé s’engage vis-à-vis du pays et partage les principes et les idéaux fondamentaux sur lesquels celui-ci est bâti.

Cette opinion a été proclamée de façon éclatante dans le contexte américain par le juge Felix Frankfurter : (voir Levinson, Constituting Communities Through Words That Bind : Reflections on Loyalty Oaths (1986), 84 Mich. L. Rev. 1440, à la page 1441) :

[traduction] L’obtention de la citoyenneté américaine suppose l’entrée dans une confrérie dont les membres sont tenus par leur attachement à certains sentiments, à certaines idées et à certains idéaux se traduisant sommairement par leur obligation d’adhérer aux principes de la Constitution.

Il existe de la jurisprudence sur le lien qui existe entre les serments et la conscience de la personne qui jure de dire toute la vérité dans une instance judiciaire. Par exemple, dans l’affaire R. v. Bannerman (1966), 55 W.W.R. 257 (C.A. Man.), à la page 284, le juge Dickson, alors membre de la Cour d’appel, a déclaré que [traduction] « la loi qui exige le serment a pour objet de découvrir la vérité relativement aux questions contestées en faisant appel à la conscience du témoin ». Ce lien fondamental qui existe entre le serment et la conscience de la personne qui prête serment a été réitéré dans plusieurs décisions de la Cour suprême (voir, par exemple, R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, et R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740).

Des sanctions de nature pénale peuvent même être imposées aux personnes qui font le serment de dire la vérité et qui se parjurent (voir le Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, article 131 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 17]). De plus, une personne peut être déchue de sa citoyenneté si elle l’obtient « par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » (voir l’article 10 de la Loi sur la citoyenneté, supra).

On constate donc que le serment ou l’affirmation solennelle sont des processus solennels dont la fonction, dans notre société, est d’assurer l’atteinte d’objectifs importants comme la vérité, la justice, le bon gouvernement et la sécurité nationale. Comme l’a expliqué Gochnauer, supra, à la page 99 :

[traduction] Aussi loin qu’on puisse remonter dans l’histoire du serment, sa fonction sociale est d’engager publiquement, de la façon la plus irrévocable, la personne qui le prête à le respecter. Seuls les vœux constituent un engagement aussi extrême.

Dans sa déclaration, l’appelant prétend épouser cette conception du serment. Il affirme, au paragraphe 16 : [traduction] « L’appelant croit qu’un serment public est le rite le plus solennel et que ses termes doivent être observés fidèlement ».

On ne peut donc pas prendre un serment ou une affirmation solennelle à la légère; lorsque, pour des raisons de conscience, une personne estime qu’elle ne peut pas prêter serment ou faire une affirmation solennelle, il faut considérer cette position avec prudence, car elle démontre que la personne en cause attache de l’importance au serment, et c’est là une attitude que nous voulons encourager.

LIBERTÉS FONDAMENTALES

L’appelant soutient qu’il sera porté atteinte à ses libertés fondamentales si on l’oblige à prêter le serment de loyauté envers la Reine. L’article 2 de la Charte protège les libertés que nous qualifions de fondamentales :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion;

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

c) liberté de réunion pacifique;

d) liberté d’association.

L’appelant prétend que chacune de ces dispositions s’applique à sa situation. Je les examinerai une à une.

(a)       La liberté de conscience et de religion

La première prétention de l’appelant veut que le serment de citoyenneté sous sa forme actuelle viole sa liberté de conscience, protégée par l’alinéa 2a), car « sa conscience l’empêche de prêter serment devant quiconque sauf l’Être suprême et de souscrire à d’autres principes que ceux de vérité, de liberté, d’égalité, de justice et de primauté du droit ». L’appelant soutient en outre que le serment ou l’affirmation solennelle sous leur forme actuelle violent la liberté de religion que lui garantit l’alinéa 2a) dans la mesure où la Reine est le « chef de l’Église anglicane et [que l’appelant] n’est pas un adepte de cette religion ».

Il existe peu de jurisprudence qui ferait autorité sur la question de la liberté de conscience garantie par l’alinéa 2a) de la Charte. Toutefois, les motifs concordants de Mme le juge Wilson dans l’affaire R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la page 179, témoignent de la façon dont la Cour conçoit la liberté de conscience. Elle affirme :

Il me semble donc que, dans une société libre et démocratique, la « liberté de conscience et de religion » devrait être interprétée largement et s’étendre aux croyances dictées par la conscience, qu’elles soient fondées sur la religion ou sur une morale laïque. D’ailleurs, sur le plan de l’interprétation législative, les termes « conscience » et « religion » ne devraient pas être considérés comme tautologiques quand ils peuvent avoir un sens distinct, quoique relié.

Il semble donc que la liberté de conscience ait une portée plus large que la liberté de religion. Cette dernière se rattache davantage à des opinions religieuses transmises par des institutions religieuses établies alors que la première vise à protéger les opinions, fondées sur une conception morale très profondément ancrée du bien et du mal, qui ne reposent pas nécessairement sur des principes religieux organisés. Ce sont de graves questions de conscience. Par conséquent, l’appelant peut contester le serment ou l’affirmation solennelle en se fondant sur la liberté de conscience garantie par l’alinéa 2a) de la Charte, sans faire appel à des moyens découlant de ses croyances religieuses. Par exemple, une objection de conscience laïque au service militaire peut très bien se situer dans la portée de la liberté de conscience, bien qu’elle ne ressortisse pas à la liberté de religion. Toutefois, comme l’a exprimé Mme le juge Wilson, les termes « conscience » et « religion » ont des sens apparentés du fait qu’ils décrivent tous les deux le domaine des croyances éthiques et morales profondes, par opposition aux autres croyances et notamment à celles à caractère politique qui sont protégées par l’alinéa 2b).

À mon avis, en ce qui a trait à la fois à la liberté de conscience et à la liberté de religion, l’appelant devra démontrer que le fardeau qui lui est imposé par le serment n’est ni négligeable ni insignifiant. Pour reprendre les termes du juge en chef Dickson, dans R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la page 759 :

L’alinéa 2a) a pour objet d’assurer que la société ne s’ingérera pas dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu’on a de soi, de l’humanité, de la nature et, dans certains cas, d’un être supérieur ou différent. Ces croyances, à leur tour, régissent notre comportement et nos pratiques. La Constitution ne protège les particuliers et les groupes que dans la mesure où des croyances ou un comportement d’ordre religieux pourraient être raisonnablement ou véritablement menacés. Pour qu’un fardeau ou un coût imposé par l’État soit interdit par l’al. 2a), il doit être susceptible de porter atteinte à une croyance ou pratique religieuse. Bref, l’action législative ou administrative qui accroît le coût de la pratique ou de quelque autre manifestation des croyances religieuses n’est pas interdite si le fardeau ainsi imposé est négligeable ou insignifiant.

Pour désigner l’impact d’une loi ou d’une mesure prise par le gouvernement sur la liberté de conscience ou de religion, on a utilisé l’expression « entrave coercitive » dans la jurisprudence et notamment dans Edwards Books, supra. Dans cette affaire, le juge en chef Dickson traitait du coût imposé par l’État découlant de la loi interdisant le commerce le dimanche pour les détaillants qui, pour des motifs religieux, observaient le sabbat ou un jour de repos autre que le dimanche.

La même analyse doit être effectuée pour évaluer toute atteinte à la liberté de conscience. Elle exige que le demandeur démontre que ses opinions morales dictées par la conscience pourraient être raisonnablement menacées par la loi contestée et que l’entrave coercitive imposée à sa conscience n’est ni négligeable ni insignifiante.

Selon moi, l’appelant n’a pas soulevé d’argument plausible relativement à l’imposition d’une entrave coercitive à ses opinions dictées par la conscience qui l’empêcheraient de prêter serment devant quelqu’un qui ne soit pas l’Être suprême. Si l’on s’en remet aux faits exposés dans la déclaration et aux dispositions législatives, l’appelant n’est pas tenu de prêter serment devant la Reine comme il le prétend ni devant qui que ce soit d’autre que l’Être suprême, s’il décide de prêter serment. De plus, il peut faire une affirmation solennelle plutôt que jurer s’il s’oppose à prêter serment. Sa véritable objection ne touche pas la forme du serment, mais plutôt son contenu. Sa prétention fondée sur l’alinéa 2a) de la Charte concernant la liberté de conscience doit donc être radiée. (Ce qui ne veut pas dire que l’appelant n’aurait pas pu soulever un argument valable quant à la liberté de conscience s’il avait formulé une objection de conscience au contenu du serment ou de l’affirmation.)

L’allégation de l’appelant portant que le serment de citoyenneté restreint sa liberté de religion du fait que la Reine est le « chef de l’Église anglicane » doit également être radiée. Comme l’a conclu M. le juge Joyal, lorsque le législateur a établi le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté, son objet était de prescrire une déclaration de loyauté envers le chef d’État du Canada et ses institutions et non de porter atteinte à la liberté de religion. Ni la Constitution, ni le libellé du serment ne font allusion à la Reine en sa qualité de chef de l’Église d’Angleterre. Le serment ne comporte pas de déclaration d’allégeance à la religion anglicane, ni à la Reine relativement au rôle qu’elle joue dans l’Église d’Angleterre. En fait, l’Église anglicane du Canada est dirigée, non pas par la Reine, mais par un synode indépendant établi au Canada. Par conséquent, l’objet du serment ou de l’affirmation solennelle n’est pas de porter atteinte à la liberté de religion garantie, car leur objet ne vise d’aucune façon la loyauté envers l’Église anglicane.

Le serment ne restreint pas non plus la liberté de religion de l’appelant par ses effets. La Cour suprême a décidé, dans les affaires R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, et Edwards Books, supra, que non seulement l’objet mais également les effets de la loi sont pertinents pour en déterminer la validité sur le plan constitutionnel. Dans l’arrêt Edwards Books, supra, le juge en chef Dickson a déclaré [à la page 752] :

Même si une loi a un objet régulier, il est encore possible à un justiciable de faire valoir que, de par ses effets, elle porte atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte.

J’ai résumé le critère applicable en vertu de l’alinéa 2a), en ce qui a trait aux effets d’une loi sur la liberté de religion, dans les motifs que j’ai prononcés dans l’affaire Schachtschneider c. Canada, [1994] 1 C.F. 40 (C.A.), aux pages 65 et 66 :

Cependant, bien qu’une loi qui comporte une prétendue entrave coercitive à l’exercice, par un individu, d’une religion—ce qui, en réalité, ne signifie pas plus que la loi exerce une certaine influence sur la pratique religieuse de cet individu—puisse peut-être tomber sous le coup de l’alinéa 2a), il est évident que les lois de ce type n’enfreignent pas toutes cet alinéa. Une entrave négligeable ou insignifiante à la religion ne suffit pas pour qu’il y ait violation de l’alinéa 2a); l’entrave doit être suffisamment importante pour risquer de menacer ou menacer effectivement la pratique religieuse de l’individu en question.

La décision Edwards Books, supra, établit clairement qu’il en va de même de la menace raisonnable ou véritable qui toucherait une croyance ou un comportement d’ordre religieux (à la page 759).

La demande de l’appelant en ce qui a trait aux effets du serment sur sa liberté de religion ne révèle aucune entrave qui ne soit pas négligeable ou insignifiante. Le lien entre un serment d’allégeance à la Reine en sa qualité de chef d’État et la pratique et les croyances religieuses de l’appelant est trop éloigné. Fondamentalement, l’objection que formule l’appelant vise la religion de la Reine, qui ne peut avoir aucune incidence sur lui. Ironiquement, ce n’est pas le serment qui porte atteinte à la liberté de religion de l’appelant, mais on pourrait affirmer que c’est l’appelant qui veut limiter la liberté religieuse du monarque. Cette opinion reflète la conclusion de M. le juge Joyal selon laquelle les arguments de l’appelant relativement à la Reine en sa qualité de chef de l’Église anglicane « témoignent selon moi d’une dialectique dénuée de tout contenu juridique ou constitutionnel » (à la page 179). Par conséquent, l’allégation de l’appelant portant que le serment viole sa liberté de religion doit être radiée.

(b)       La liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression

L’appelant prétend que le fait de prêter un serment ou de faire une affirmation solennelle de loyauté envers la Reine porte atteinte à sa liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, garantie par l’alinéa 2b) de la Charte. Il existe de la jurisprudence distincte sur la liberté d’expression et je traiterai donc cette question séparément un peu plus loin.

La liberté de pensée, de croyance et d’opinion se distingue de la liberté de conscience. La liberté de pensée, de croyance et d’opinion englobe de nombreuses idées et de nombreux principes qui ne sont pas des questions de conscience, ni de distinction entre le bien et le mal; on vise ici les idées politiques, sociales, économiques ou culturelles. Ces problèmes appartiennent au domaine de la raison, et non à celui de la foi ou de la moralité. Il est évident qu’il n’existe pas de frontière bien définie entre ces questions; il se peut qu’elles se chevauchent, ce qui les rend difficiles à différencier.

Il me semble toutefois possible d’appliquer à ces libertés une analyse assez semblable à celle que l’on applique à la liberté de conscience et de religion. Une certaine entrave coercitive doit découler de la loi contestée. L’appelant prétend que, s’il jurait allégeance à la Reine, il se sentirait tenu par l’honneur de s’abstenir de penser et d’exprimer des croyances et des opinions sur l’abolition de la monarchie; il soutient donc que l’exercice de sa liberté de pensée, de croyance et d’opinion subirait une entrave coercitive.

La plupart des gens ne donneraient pas au serment d’allégeance à la Reine une interprétation qui limiterait ainsi la liberté de celui qui le prête. L’opinion exprimée par mon collègue, le juge MacGuigan, relativement à la signification usuelle du serment d’allégeance est sensée. Il est très possible que ce soit là l’interprétation à retenir. De toute évidence, les membres du Bloc québécois qui viennent d’être élus au Parlement ont, sans problème, juré allégeance à la Reine, bien qu’ils aient pris l’engagement de travailler démocratiquement à la création d’un État indépendant dont le chef n’appartiendrait pas à la monarchie.

Mais il n’est pas évident et manifeste, selon moi, que c’est là la signification actuelle du serment. Il ne faut pas oublier qu’à une certaine époque, le fait de critiquer la monarchie était considéré comme une trahison. Cette époque est heureusement révolue. De nos jours, la liberté de critiquer la monarchie et d’autres institutions canadiennes est de toute évidence garantie par la Charte. Il est peu probable que des poursuites criminelles pour parjure seraient engagées contre la personne qui violerait son serment, mais est-il certain qu’il serait impossible de prendre des mesures visant à retirer la citoyenneté à une personne qui, après avoir juré allégeance à la Couronne, participerait à des activités qui auraient pour objectif de l’abolir totalement? Si le serment de loyauté permet à celui qui l’a prêté de manifester sa loyauté envers la Couronne en prônant son abolition, à quoi sert ce serment? Est-ce de la loyauté ou un manque de loyauté? Le serment se résume-t-il à une formalité dépourvue de toute signification? Faut-il que la personne qui prête serment adhère à son contenu? Le serment a-t-il une utilité quelconque? Si le seul effet du serment d’allégeance est de faire promettre à la personne qui le prête de ne pas enfreindre les règles de droit criminel et de s’abstenir d’utiliser, à des fins politiques, des moyens illégaux et subversifs, c’est-à-dire respecter des obligations qu’elle a de toute façon, quelle valeur le serment peut-il avoir?

À mon avis, il est possible de soutenir, à tout le moins, que le serment d’allégeance a une signification qui dépasse la simple promesse d’obéir aux règles de droit criminel et de recourir à des moyens légitimes pour obtenir des changements d’ordre politique. Il ne s’agit pas ici simplement de murmurer quelques mots comme le laisse entendre mon collègue, le juge MacGuigan, mais d’exprimer l’« intention solennelle d’adhérer à la pierre d’angle symbolique de la Constitution canadienne telle qu’elle a existé et qu’elle existe maintenant, en s’engageant ainsi à accepter notre Constitution et notre vie nationale dans leur intégralité » comme il le reconnaît également. Si quelqu’un s’oppose fondamentalement à un aspect important de la Constitution et entend travailler à son abolition, et non à sa simple réforme, on peut soutenir que cette personne peut violer son serment par des paroles et un comportement qui viseraient cet objectif. Si l’appelant épouse véritablement les croyances qu’il prétend siennes, il n’est peut-être pas déraisonnable de sa part d’avoir le sentiment que ce serment fait obstacle, dans une certaine mesure, à ses activités antimonarchiques. En d’autres termes, le fait qu’il prenne le serment au sérieux doit être pris au sérieux. Il se peut qu’à l’issue de l’instruction, le tribunal conclue que l’appelant a été forcé de faire un choix entre ses principes politiques et l’obtention de la citoyenneté canadienne, ce que la Charte est censée éviter. Il se peut que l’opinion de M. le juge MacGuigan soit retenue. Il se peut que l’article premier de la Charte puisse ou ne puisse pas être invoqué pour justifier une violation prima facie de la Charte. Compte tenu de l’incertitude qui prévaut relativement à cette question, il serait indiqué de prendre connaissance des faits sous-jacents et d’entendre une argumentation complète en droit, fondée sur ces faits, avant de rendre une décision.

En ce qui a trait à la liberté de pensée dans le contexte des serments de citoyenneté, je me reporterais à la décision United States v. Schwimmer, 279 U.S. 644 (1929). Dans cette affaire, une femme, objecteur de conscience, s’est vu refuser la citoyenneté américaine après avoir déclaré qu’elle refuserait de prendre les armes pour défendre les États-Unis, alors que le serment de citoyenneté exigeait à l’époque qu’elle s’engage à le faire. Dans ses motifs dissidents, M. le juge Holmes a désapprouvé avec véhémence la décision majoritaire, aux pages 654 et 655 :

[traduction] S’il y a un principe de la Constitution qui doit absolument être observé, plus que tout autre, c’est bien le principe de la liberté de pensée—non pas la liberté de pensée de ceux qui partagent nos opinions, mais celle de ceux dont les pensées nous répugnent. Je pense que ce principe doit guider notre décision d’admettre ou non quelqu’un dans notre pays, comme il guide la vie que nous y menons.

L’affirmation de M. le juge Holmes, selon laquelle il faut protéger la liberté de penser de « ceux dont les pensées nous répugnent » et qui a été reprise dans des décisions ultérieures de la Cour suprême des États-Unis, étaye ma conclusion que la demande de l’appelant relative à sa liberté de pensée ne doit pas être radiée (voir, par exemple, Schneiderman v. United States, 320 U.S. 118 (1943)).

Quant à la liberté d’expression, l’appelant allègue que le fait de prêter serment ou de faire une affirmation solennelle de loyauté envers la Reine l’empêcherait, à l’avenir, d’exprimer ses opinions républicaines. L’arrêt de principe en matière de liberté d’expression est l’arrêt Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, dans lequel la Cour suprême a énoncé les étapes à suivre pour analyser une allégation d’atteinte à la liberté d’expression.

La première étape consiste à déterminer si l’activité en cause fait partie des activités protégées par la liberté d’expression, c’est-à-dire si cette activité tente de transmettre un message. La déclaration, bien que mal rédigée, semble viser le discours comme forme d’expression. La première étape serait donc manifestement franchie puisque ce discours tenterait de transmettre un message républicain. Le contenu du discours n’est pas pertinent à cette étape quant à la question de savoir si le discours est protégé par l’alinéa 2b) (voir, par exemple, R. c. Keegstra, [1990] 3 R.C.S. 697, et R. c. Butler, [1992] 1 R.C.S. 452).

La deuxième étape consiste à déterminer si l’objet ou l’effet de l’action gouvernementale est de restreindre la liberté d’expression. Aucun élément de preuve n’indique, ni ne pourrait être produit pour indiquer, que l’objet du serment ou de l’affirmation de citoyenneté est de limiter la liberté d’expression.

Quant à l’effet de la loi, il incombe à l’appelant de démontrer que l’effet du serment ou de l’affirmation solennelle est de restreindre sa liberté d’expression et que son activité d’expression vise à favoriser au moins l’un des principes qui sous-tendent la liberté d’expression, savoir la recherche de la vérité, la participation à la prise de décisions d’intérêt social ou politique, ou l’enrichissement et l’épanouissement personnels. La promotion du républicanisme satisfait vraisemblablement à ces exigences. Par conséquent, l’appelant peut avoir le sentiment que l’observation stricte de son serment ou de son affirmation solennelle de loyauté envers la Reine l’empêcherait d’exprimer son républicanisme, bien qu’elle n’ait peut-être pas cet effet en droit.

En conséquence, la demande de l’appelant concernant l’atteinte que le serment ou l’affirmation solennelle porteraient à sa liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte ne doit pas être radiée.

L’appelant aurait aussi pu faire valoir que son obligation d’affirmer son allégeance à la Reine constitue en soi une violation de sa liberté d’expression, comme l’a conclu la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire West Virginia Board of Education v. Barnette, 319 U.S. 624 (1943). Dans cette affaire, le tribunal a décidé que le salut obligatoire au drapeau américain violait la liberté d’expression. M. le juge Jackson a écrit, à la page 642, le passage qui suit, cité à maintes reprises :

[traduction] S’il est une étoile fixe de notre constellation constitutionnelle, c’est bien le fait qu’aucun membre de l’Administration, haut placé ou petit fonctionnaire, ne peut dicter ce qui sera tenu pour orthodoxe sur le plan de la politique, du nationalisme, de la religion … ni faire acte de foi en ces matières.

Toutefois, l’appelant n’a pas fait valoir cet argument devant la Cour.

Avant de passer au point suivant, il faut souligner qu’on pourrait soutenir que le sentiment personnel de l’appelant qu’il est empêché de croire au républicanisme et de l’exprimer n’est pas dénué de pertinence sur le plan constitutionnel ou juridique. On pourrait prétendre qu’il n’existe aucun lien entre le serment de citoyenneté et la liberté de l’appelant de croire au républicanisme et de l’exprimer. On pourrait avancer que c’est le républicanisme de l’appelant, combiné à sa conviction que les termes d’un serment doivent être fidèlement observés, et non le serment lui-même qui l’empêche d’obtenir sa citoyenneté. Cette thèse s’apparenterait à celle énoncée devant la Cour suprême dans l’affaire Edwards Books, supra, portant que c’est la religion des détaillants observant un jour de repos le samedi qui leur causait une entrave plutôt que les lois imposant la fermeture des commerces le dimanche. Le juge en chef Dickson a rejeté cet argument après avoir comparé la position relative des gens qui observaient le dimanche et le samedi comme jour de repos en l’absence de la loi contestée (et qui étaient les mêmes personnes), et après avoir démontré que la loi plaçait ceux qui observaient le samedi comme jour de repos devant une alternative : ou bien ils n’observaient pas le sabbat, ou bien ils étaient désavantagés sur le plan concurrentiel. Le tribunal a conclu en conséquence que la loi imposait une entrave coercitive au libre exercice de la religion des personnes qui observaient le samedi comme jour de repos.

On pourrait soutenir que, suivant une analyse minutieuse de la situation visée par l’appel, il est aussi injustifié d’affirmer que c’est l’appelant qui s’impose une contrainte et non pas la loi qui lui en impose une. Nos tribunaux doivent, sans l’ombre d’un doute, se méfier de ceux qui se plaignent constamment que leur liberté est menacée alors qu’elle ne l’est pas. Toutefois, il faut comparer la situation d’une personne née citoyenne canadienne à celle d’une personne qui est admissible à la citoyenneté canadienne et pour qui le serment est le dernier obstacle à franchir. Supposons que ces deux personnes soient républicaines, qu’elles soient d’une extrême fidélité à leurs croyances politiques, mais qu’elles croient également qu’il serait mal, après avoir prêté serment d’allégeance à une institution, d’en promouvoir l’abolition. En l’absence du serment de citoyenneté, ces deux républicains deviendraient citoyens canadiens (l’un par sa naissance, l’autre par sa naturalisation) et se trouveraient dans des situations équivalentes. Si le serment de citoyenneté est imposé par une loi aux personnes qui veulent obtenir la citoyenneté canadienne par la naturalisation, le républicain qui n’est pas né citoyen canadien se trouve toutefois devant une alternative imposée par la loi : il peut soit adhérer à ses croyances et renoncer à devenir citoyen canadien, soit, après avoir prêté le serment d’allégeance, agir à l’encontre de ses croyances quant à la signification de ce serment.

On pourrait donc affirmer qu’il est possible que la loi prescrivant un serment d’allégeance prive l’appelant de sa liberté de croire à un principe politique, s’il est en mesure d’établir les faits allégués lors de l’instruction. Si l’appelant réussit à établir que sa liberté garantie par l’alinéa 2b) est limitée, il se peut, bien sûr, que cette limite soit justifiée en application de l’article premier; ce n’est cependant pas là une question qui doit être tranchée dans le cadre de l’appel, comme je l’expliquerai plus loin.

(c)        La liberté de réunion pacifique

L’appelant allègue ensuite que le serment ou l’affirmation solennelle, sous leur forme actuelle, portent atteinte à la liberté de réunion pacifique que lui garantit l’alinéa 2c) de la Charte.

Il existe peu de jurisprudence concernant la liberté de réunion pacifique. Toutefois, la jurisprudence existante semble indiquer que la liberté de réunion pacifique est axée sur la protection physique des assemblées. Le serment ou l’affirmation solennelle n’empêchent en rien l’appelant de se rassembler avec d’autres. À mon avis, l’alinéa 2c) de la Charte n’a pas été édicté pour protéger l’objet d’une assemblée organisée pour favoriser la liberté de pensée, de croyance, d’opinion ou d’expression ou la liberté d’association car ces libertés jouissent d’une protection indépendante. La partie de la déclaration de l’appelant qui concerne la liberté de réunion pacifique doit donc être radiée.

(d)       La liberté d’association

En ce qui a trait à la liberté d’association que lui garantit l’alinéa 2d) de la Charte, l’appelant soutient que, pour remplir son engagement de loyauté envers la Reine contenu dans le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté, il ne pourrait se joindre à des associations républicaines ni participer à des rassemblements ou à des réunions républicaines. L’appelant affirme qu’il est républicain et que, pour respecter un serment ou une affirmation solennelle de loyauté envers la Reine, il se sentirait tenu de s’abstenir de se joindre à des associations républicaines ou de participer aux activités légales des associations républicaines.

L’arrêt de principe sur l’alinéa 2d) de la Charte est l’arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313. Le juge McIntyre, qui a rédigé le jugement majoritaire, ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le fait d’empêcher une personne de se joindre à certaines associations politiques viole sa liberté d’association. Toutefois, il a décrit le rôle que joue la liberté d’association dans une société démocratique, à la page 393 :

La liberté d’association constitue l’un des droits les plus fondamentaux qui existe dans une société libre. La liberté de se joindre à d’autres personnes, de vivre et de travailler avec elles, confère un sens et une valeur à l’existence de l’individu et rend possible l’existence d’une société organisée. La valeur de la liberté d’association, en tant que force unificatrice et libératrice, ressort du fait que, historiquement, le conquérant qui veut dominer des peuples étrangers s’attaque d’abord immanquablement à la liberté d’association afin d’éliminer toute forme d’opposition efficace. Les assemblées sont interdites, des couvre-feux sont imposés, le commerce est supprimé et des contrôles rigides sont institués pour isoler et ainsi débiliter l’individu.

Dans cet énoncé englobant de l’objet de l’alinéa 2d), le juge McIntyre a reconnu que la liberté d’association était indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Il engloberait certainement la notion voulant qu’une déclaration forcée de loyauté envers la Reine en sa qualité de représentante de la monarchie viole la liberté d’association si, dans les faits, le serment d’allégeance empêche une personne de se joindre à une association de nature antimonarchique.

L’alinéa 2d) protège plus particulièrement le droit de l’appelant d’exercer son droit à la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression collectivement avec d’autres personnes. Comme l’a expliqué le juge McIntyre, à la page 409, supra :

Il découle de cette analyse que j’interprète la liberté d’association de l’al. 2d) de la Charte comme une protection que cette dernière accorde à l’exercice collectif des droits qu’elle protège lorsqu’ils sont exercés par un seul individu. De plus, la liberté d’association s’entend de la liberté de s’associer afin d’exercer des activités qui sont licites lorsqu’elles sont exercées par un seul individu.

La liberté d’association protège donc l’aspect collectif de l’exercice des libertés individuelles telle la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Le partage des idées et des activités avec d’autres renforce et nourrit les convictions personnelles et provoque, en bout de ligne, une évolution vitale et des changements nécessaires dans une société démocratique.

On peut soutenir que ce serait porter un coup au cœur même de la démocratie que de restreindre les incitations au changement et les protestations collectives en exigeant la loyauté envers une théorie politique particulière. On pourrait aussi affirmer qu’il serait incorrect d’ériger une barrière qui empêcherait quelqu’un de se joindre à des associations vouées à la promotion d’une théorie politique différente. Bien qu’il ne lui soit pas interdit en droit de le faire, l’appelant peut très bien s’en sentir empêché, compte tenu de l’état primitif du droit actuel sur cette question. Par conséquent, je ne peux pas conclure à cette étape que l’appelant n’a aucune chance d’avoir gain de cause sur ce point si on lui donne l’occasion de présenter une preuve et une argumentation; cette partie de la déclaration ne doit donc pas être radiée.

ARTICLE 12—LIBERTÉ DE NE PAS SUBIR UNE PEINE CRUELLE ET INUSITÉE

L’article 12 de la Charte est une garantie juridique qui protège la liberté de ne pas subir de peines ou de traitements cruels et inusités :

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

L’appelant prétend que le fait de l’obliger, en le menaçant de lui faire perdre son statut quant à la résidence et de lui refuser la citoyenneté, à prêter le serment ou à faire l’affirmation solennelle sous leur forme actuelle, alors que sa conscience l’en empêche, constitue un traitement cruel et inusité. Cet argument n’est pas fondé.

La norme applicable au traitement cruel et inusité tient à la question de savoir si le traitement visé porte atteinte à la dignité humaine (voir R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045, à la page 1072, et Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711). Les conséquences que subira l’appelant s’il ne prête pas serment ni ne fait l’affirmation solennelle ne peuvent être considérées comme portant atteinte à la dignité humaine. Il se peut qu’il n’obtienne pas la citoyenneté, ce qui est très malheureux, mais on pourrait difficilement dire qu’il s’agit là d’un « traitement cruel et inusité ». Cette partie de la déclaration de l’appelant doit être radiée.

PARAGRAPHE 15(1)—DROITS À L’ÉGALITÉ

L’appelant soutient que le serment ou l’affirmation solennelle sont contraires au paragraphe 15(1) de la Charte qui se lit comme suit :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

L’appelant allègue que le serment ou l’affirmation solennelle de citoyenneté sont contraires au paragraphe 15(1) à trois égards. Premièrement, un résident permanent qui désire devenir un citoyen naturalisé doit prêter serment tandis que les personnes qui sont des citoyens canadiens de naissance ne sont pas tenues de prêter ce serment. Deuxièmement, un résident permanent qui désire devenir citoyen canadien et être ainsi investi de tous les droits politiques est forcé de prêter serment tandis que les résidents qui sont citoyens de naissance ne sont pas tenus de prêter ce serment pour jouir de tous leurs droits politiques. Enfin, l’appelant prétend que le serment établit une catégorie d’êtres humains (« la famille Windsor ») qui sont tenus pour perpétuellement supérieurs aux autres êtres humains, ce qui est contraire à la croyance de l’appelant que tous les êtres humains sont égaux, car cette situation empêche les personnes qui sont nées à l’extérieur de la Grande-Bretagne d’avoir accès à la plus haute charge au Canada. Je traiterai ces questions dans l’ordre inverse de leur énumération.

La troisième allégation fondée sur le paragraphe 15(1) doit être radiée. C’est la monarchie même et non le serment ou l’affirmation solennelle qui élève la famille Windsor à un rang supérieur. Ce sont également les traditions de la monarchie qui empêchent une personne née à l’extérieur de la Grande-Bretagne d’avoir accès à la plus haute charge dans ce pays. Quant à la prétention de l’appelant portant que le serment est contraire à sa croyance en l’égalité de tous les êtres humains, c’est une prétention qu’il aurait pu faire valoir de façon plus appropriée en invoquant les alinéas 2a) et 2b), ce qu’il n’a pas fait.

La deuxième prétention fondée sur le paragraphe 15(1) doit aussi être radiée. Aucun fait énoncé dans la déclaration n’appuierait, s’il était prouvé, la prétention de l’appelant selon laquelle [traduction] « les résidents qui ne sont pas citoyens de naissance » ne peuvent jouir de tous les droits politiques au Canada. La déclaration ne contient aucun fondement factuel à l’appui de cette prétention.

Je suis toutefois d’avis que la prétention restante de l’appelant fondée sur le paragraphe 15(1) ne doit pas être radiée. Le juge en chef Lamer a résumé la façon dont il fallait aborder le paragraphe 15(1) dans l’arrêt R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, à la page 992 :

La cour doit d’abord déterminer si le plaignant a démontré que l’un des quatre droits fondamentaux à l’égalité a été violé (i.e. l’égalité devant la loi, l’égalité dans la loi, la même protection de la loi et le même bénéfice de la loi). Cette analyse portera surtout sur la question de savoir si la loi fait (intentionnellement ou non) entre le plaignant et d’autres personnes une distinction fondée sur des caractéristiques personnelles. Ensuite, la cour doit établir si la violation du droit donne lieu à une « discrimination ». Cette seconde analyse portera en grande partie sur la question de savoir si le traitement différent a pour effet d’imposer des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres. De plus, pour déterminer s’il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, la cour doit considérer si la caractéristique personnelle en cause est visée par les motifs énumérés dans cette disposition ou un motif analogue, afin de s’assurer que la plainte correspond à l’objectif général de l’art. 15, c’est-à-dire corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne.

La déclaration de l’appelant révèle que les personnes qui deviennent citoyennes canadiennes par leur naissance ne sont pas tenues de prêter le serment ni de faire une affirmation solennelle de citoyenneté. À l’inverse, celles qui ne sont pas des citoyens canadiens mais veulent le devenir en passant par le processus de naturalisation doivent, en plus de satisfaire aux autres conditions d’admissibilité, prêter le serment ou faire l’affirmation solennelle de citoyenneté. Par conséquent, en supposant que les faits énoncés dans la déclaration soient vrais, il est possible d’affirmer que les personnes qui ne sont pas citoyennes canadiennes sont privées de l’égalité dans la loi du fait que la Loi sur la citoyenneté semble établir une distinction entre deux groupes, savoir les personnes qui obtiennent automatiquement la citoyenneté à leur naissance et celles qui doivent la demander. Le gouvernement n’est pas tenu d’accorder automatiquement la citoyenneté aux personnes qui naissent au Canada ou de parents canadiens. Toutefois, s’il crée deux catégories légales de personnes (celles qui obtiennent automatiquement la citoyenneté et celles qui doivent la demander), le gouvernement est tenu d’assurer l’égalité de ces deux groupes dans la loi.

Cela ne veut pas dire qu’il est interdit d’établir un processus à suivre par les nouveaux citoyens; ce processus ne doit cependant pas être discriminatoire. Ainsi, en plus d’établir qu’il est traité différemment, l’appelant devra démontrer lors de l’instruction que son inégalité dans la loi est discriminatoire. Comme l’a déclaré le juge en chef Lamer dans l’affaire Swain, supra, le demandeur doit, pour établir qu’il y a discrimination, démontrer l’existence d’un traitement différent qui lui impose un fardeau ou le prive d’un avantage sur la base d’une caractéristique personnelle liée à l’un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) ou à un motif analogue. Toutefois, le demandeur ne réussira pas à établir qu’il y a discrimination uniquement en soulignant qu’il y a une distinction désavantageuse fondée sur une caractéristique personnelle liée à un motif énuméré ou à un motif analogue. Les tribunaux doivent aussi s’assurer que la demande est visée par l’objet principal du paragraphe 15(1), qui est de « corriger ou empêcher la discrimination contre des groupes victimes de stéréotypes, de désavantages historiques ou de préjugés politiques ou sociaux dans la société canadienne. » (Swain, supra, à la page 992). Comme Mme le juge Wilson l’a déclaré dans l’affaire R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296, à la page 1332 :

À mon avis, la constatation d’une discrimination nécessitera le plus souvent, mais peut-être pas toujours, de rechercher le désavantage qui existe indépendamment de la distinction juridique précise contestée.

En tenant pour acquis que les faits énoncés dans la déclaration de l’appelant sont vrais, le traitement différent des non-citoyens en ce qui a trait au serment de citoyenneté peut être considéré comme privant de la citoyenneté une personne qui, en raison de ses croyances, juge qu’elle ne peut pas prêter serment. On pourrait prétendre qu’elle est par là privée d’un avantage (la citoyenneté), avantage dont ne serait apparemment pas privée une personne dont les croyances seraient semblables, mais qui serait née citoyenne canadienne.

Selon l’appelant, ce traitement différent des non-citoyens en tant que groupe est fondé sur une caractéristique personnelle (la citoyenneté) qui est également un motif analogue visé par le paragraphe 15(1). Comme je l’ai affirmé dans mes motifs concordants dans l’affaire Schachtschneider, supra, il faut établir une distinction entre le motif de discrimination et le groupe qui est victime de discrimination. Par exemple, les femmes, en tant que groupe, peuvent être victimes de discrimination fondée sur le sexe. La Cour suprême a reconnu récemment dans le contexte du paragraphe 15(1) qu’un sous-groupe peut aussi être victime de discrimination fondée sur un motif plus large (Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695). Ce principe a déjà été reconnu par la Cour suprême dans le contexte d’une loi sur les droits de la personne dans les affaires Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, et Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252. J’ai appliqué le raisonnement énoncé dans ces causes au paragraphe 15(1) de la Charte dans les motifs que j’ai prononcés dans l’affaire Schachtschneider, supra, et c’est également ce qu’a fait la Cour suprême dans l’affaire Symes, supra. Par conséquent, les personnes qui ne sont pas citoyennes canadiennes mais qui veulent le devenir par le processus de naturalisation, en tant que groupe, peuvent être victimes de discrimination fondée sur la citoyenneté.

De plus, il est possible que les non-citoyens, en tant que groupe, soient désavantagés indépendamment de la distinction qui fait l’objet de l’appel et que l’appelant puisse par conséquent réussir à prouver « des signes de discrimination tels que des stéréotypes, des désavantages historiques ou de la vulnérabilité à des préjugés politiques ou sociaux » (Turpin, supra, à la page 1333). La Cour suprême a déjà décidé, dans l’affaire Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 142, que la citoyenneté est un motif analogue visé par le paragraphe 15(1) de la Charte et que les non-citoyens constituent un groupe désavantagé sur le plan politique dans la société canadienne, qui peut être qualifié de « minorité discrète et isolée ». On peut par conséquent prétendre que la portée du paragraphe 15(1) englobe la demande formulée par l’appelant.

Avant de mettre un terme à mes propos sur le paragraphe 15(1), je voudrais ajouter que l’analyse qui doit être effectuée sous le régime du paragraphe 15(1) est différente de celle que commande l’alinéa 2a). En application de l’alinéa 2a), le demandeur doit établir qu’il existe une entrave coercitive à sa liberté de conscience ou de religion qui ne soit ni négligeable ni insignifiante. Ce n’est pas le cas en ce qui a trait au paragraphe 15(1). Comme je l’ai précisé dans l’affaire Schachtschneider, supra, à la page 79 :

Contrairement à la garantie de liberté de religion que reconnaît l’alinéa 2a) de la Charte cependant, la garantie d’égalité prescrite à l’article 15 n’exclut pas les plaintes pour le motif que la violation en question est infime, négligeable ou insignifiante.

Ce principe découle de la décision de la Cour suprême dans l’affaire Andrews, supra. Comme l’a écrit le juge McIntyre, à la page 182 :

Lorsqu’il y a discrimination, il y a violation du par. 15(1) et, lorsque le par. 15(2) ne s’applique pas, toute justification, tout examen du caractère raisonnable de la mesure législative et, en fait, tout examen des facteurs qui pourraient justifier la discrimination et appuyer la constitutionnalité de la mesure législative attaquée devraient se faire en vertu de l’article premier. Ce point de vue serait conforme aux directives données par cette Cour dans des arrêts antérieurs portant sur l’application de l’article premier et permettrait en même temps d’écarter les revendications manifestement futiles et vexatoires.

Par conséquent, même si le tribunal constatait que l’obligation de prêter le serment de citoyenneté viole le paragraphe 15(1), il se pourrait que cette obligation constitue une limite raisonnable, dont la justification puisse être démontrée dans une société libre et démocratique. C’est à l’intimé qu’il appartient d’en faire la preuve lors de l’instruction.

Pour ces motifs, la première prétention de l’appelant fondée sur le paragraphe 15(1) ne doit pas être radiée.

ARTICLE 27—PATRIMOINE MULTICULTUREL

L’appelant invoque l’article 27 de la Charte qui dispose :

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

L’appelant soutient que le principe d’une monarchie héréditaire anglaise empêche les membres de nombreux groupes raciaux et multiculturels différents de participer pleinement au gouvernement du Canada. Comme les autres prétentions de l’appelant, cet argument est mal structuré car il semble contester la monarchie proprement dite. Implicitement, toutefois, l’appelant prétend que le serment de citoyenneté va à l’encontre du maintien et de la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens du fait qu’il impose l’allégeance à une institution exclusivement britannique qui peut être incompatible avec les idéaux de personnes qui ne sont pas d’origine britannique.

Il n’est pas nécessaire de plaider cette disposition. Il ne s’agit pas non plus d’une disposition de droit substantiel qui peut être violée. Étant donné que l’article 27 ne protège pas un droit ou une liberté en particulier, qu’il n’est pertinent que pour faciliter l’interprétation, il ne doit pas être plaidé comme il l’a été. La demande de l’appelant fondée sur l’article 27 doit donc être radiée.

L’ARTICLE PREMIER

L’appelant n’est pas tenu, dans sa déclaration, de prévoir ou de réfuter les arguments du gouvernement relativement à l’article premier de la Charte. La probabilité que le serment ou l’affirmation solennelle, sous leur forme actuelle, puissent se justifier par application de l’article premier n’est donc pas pertinente aux fins de la requête en radiation de la déclaration; je n’examinerai donc aucun argument de fond à cette étape en ce qui a trait à la question de savoir si une violation éventuelle de la Charte alléguée dans la déclaration de l’appelant pourrait être validée par application de l’article premier.

RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS SUR LA CHARTE

La demande de l’appelant relative à la liberté de conscience et de religion fondée sur l’alinéa 2a), sa demande fondée sur l’alinéa 2c), sa demande fondée sur l’article 12, ses deuxième et troisième demandes fondées sur le paragraphe 15(1) et sa demande fondée sur l’article 27 doivent être radiées. Les parties restantes de la déclaration de l’appelant, comprenant ses arguments fondés sur les alinéas 2b) et d) et sa première demande fondée sur le paragraphe 15(1), bien qu’elles ne constituent pas un modèle de clarté ni d’exposé exhaustif des faits et du droit, ne peuvent pas être considérées, manifestement, comme ne révélant aucune cause raisonnable d’action et ne doivent donc pas être radiées à cette étape préliminaire.

RÉPARATIONS

Pour que la déclaration de l’appelant ne soit pas radiée, il doit avoir demandé une réparation qui relève de la compétence de la Cour. La Cour ne peut pas déclarer, comme l’appelant l’a demandé, que celui-ci a le droit d’obtenir la citoyenneté sans prêter le serment, sous sa forme actuelle, car l’appelant n’a aucun droit à la citoyenneté.

L’appelant a aussi demandé une exemption constitutionnelle de l’obligation de prêter serment. Les prétentions des parties à cet égard sont nettement défaillantes sur le plan de l’analyse, compte tenu, tout particulièrement, du caractère très litigieux des exemptions constitutionnelles. Je me contenterais de souligner qu’il n’est pas certain qu’une exemption constitutionnelle soit possible en l’espèce, car l’appelant conteste principalement non pas un acte du gouvernement pris en vertu d’une loi constitutionnelle, mais la constitutionnalité même de la loi. Une exemption constitutionnelle est une réparation possible sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte. Par contre, lorsqu’une loi est déclarée inconstitutionnelle, le redressement approprié est normalement celui prévu à l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui dispose qu’une loi incompatible avec la Constitution est inopérante. Les décisions R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 R.C.S. 1045; Rocket c. Collège royal des chirurgiens dentistes d’Ontario, [1990] 2 R.C.S. 232; Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69; R. c. Seaboyer; R. c. Gayme, [1991] 2 R.C.S. 577; Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679; et Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519, semblent toutes indiquer qu’une exemption constitutionnelle n’est peut-être pas possible lorsqu’une loi est déclarée inconstitutionnelle et que l’effet de la déclaration de nullité n’est pas suspendu. Il existe aussi certaines sources à l’appui du contraire (R. c. Seaboyer (1987), 61 O.R. (2d) 290 (C.A.); R. v. Chief, [1990] N.W.T.R. 55 (C.A.T.Y.)). Compte tenu de l’incertitude qui règne pour l’instant à cet égard, je préfère laisser le juge de première instance trancher la question de la réparation appropriée, le cas échéant.

Je note que la demande d’un jugement déclaratoire portant que l’appelant a le droit d’être exempté des conditions relatives à la prestation du serment de citoyenneté sous sa forme actuelle peut aussi être considérée comme une demande de dissociation de la partie contestée du serment. Ce type de réparation a été permise sous le régime de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 par la Cour suprême dans l’affaire Schachter, supra.

CONCLUSION

En conclusion, je confirmerais en partie la décision de la Cour de première instance, j’accueillerais l’appel en partie et j’ordonnerais que les demandes de l’appelant fondées sur les alinéas 2a) et 2c), sa demande fondée sur l’article 12, ses deuxième et troisième demandes fondées sur le paragraphe 15(1), et sa demande fondée sur l’article 27 soient radiées. Les demandes présentées en vertu des alinéas 2b) et 2d), ainsi que sa première demande fondée sur le paragraphe 15(1), subsisteraient. Un nouvel acte de procédure intitulé statement of claim ou déclaration, conforme aux présents motifs et plus détaillé, peut être déposé dans les 30 jours du prononcé des présents motifs, au gré de l’appelant.

Les présents motifs ne peuvent avoir aucune incidence sur le bien-fondé éventuel des demandes de l’appelant qui subsistent. Ils indiquent uniquement qu’il n’est pas « manifeste » qu’il est impossible que certaines demandes soient accueillies en définitive; il se peut qu’elles le soient ou qu’elles ne le soient pas, selon la preuve qui sera produite et les arguments qui seront présentés au juge de première instance. De plus, les présents motifs ne tiennent compte et ne peuvent tenir compte d’aucun élément de preuve produit, ni d’aucun argument que le gouvernement pourrait ou non faire valoir sous le régime de l’article premier de la Charte afin de justifier toute atteinte éventuelle aux droits que la Charte garantit à l’appelant. Je me suis limité à départager les demandes de l’appelant qui n’ont aucune chance de succès de celles qui en ont une, afin de radier les premières et d’ordonner que les deuxièmes ne soient pas radiées à cette étape, de sorte qu’elles puissent être tranchées à la suite d’une instruction.



[1] Le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 portant que le Canada a « une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni » confère aux conventions de la Constitution canadienne une autorité constitutionnelle. Ces conventions pourraient évidemment être précisées ou modifiées par une modification constitutionnelle. La principale proposition visant un énoncé réaliste des conventions qui sous-tendent le système canadien a été formulée par M. Trudeau, pendant qu’il était Premier ministre, dans La constitution canadienne et le citoyen; elle a été publiée par le gouvernement du Canada en 1969, mais elle n’a jamais été adoptée.

[2] S’il prônait des changements révolutionnaires, ce comportement ne pourrait bien sûr être protégé par la Constitution puisqu’il serait, par définition, anticonstitutionnel.

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