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2014 CAF 84

A-516-12

Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation (demanderesse)

c.

SODRAC 2003 Inc.

et

Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc. (défenderesses)

A-527-12

Astral Media Inc. (demanderesse)

c.

Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc. (défenderesse)

A-63-13

Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation (demanderesse)

c.

SODRAC 2003 Inc.

et

Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc. (défenderesses)

Répertorié : Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc.

Cour d’appel fédérale, juges Noël, Pelletier et Trudel, J.C.A.—Montréal, 1er octobre 2013; Ottawa, 31 mars 2014.

Note de l’arrêtiste : La demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada a été accordée le 4 septembre 2014.

Droit d’auteur — Demandes de contrôle judiciaire fusionnées en une seule de décisions de la Commission du droit d’auteur du Canada rendues en vertu de l’article 70.2 de la Loi sur le droit d’auteur par laquelle elle a fixé les modalités afférentes à une licence devant être accordée à la Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation (SRC), Astral Media Inc. (collectivement, les télédiffuseurs) par une société de gestion (SODRAC) chargée de l’administration des droits de reproduction de ses membres — Les modalités de la licence ont été établies en fonction de l’avis de la Commission voulant que des redevances soient payables à l’égard des copies éphémères d’œuvres faites par les télédiffuseurs dans le cours normal de leurs activités de production ou de diffusion — Les télédiffuseurs ont soutenu que, à la lumière d’un arrêt récent de la Cour suprême du Canada (Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), les copies éphémères ne devraient plus donner droit à des redevances et ont demandé l’annulation d’un certain nombre des modalités assortissant la licence qui lui a été accordée aux termes de la décision — La SRC et la SODRAC avaient auparavant conclu une entente fixant les conditions auxquelles la SRC pouvait utiliser les œuvres du répertoire de la SODRAC à la radio, à la télévision, etc. — Bien que l’entente ait été renouvelée antérieurement, les parties ne peuvent s’entendre actuellement quant aux modalités du renouvellement — Il s’agissait de savoir si l’analyse de la Commission était contraire au principe de la neutralité technologique établi par la jurisprudence; si la Commission ne s’est pas acquittée, ou s’est mal acquittée, de son rôle d’organisme de réglementation économique; si la Commission a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a imposé une licence générale aux télédiffuseurs malgré qu’ils aient expressément dit préférer les licences transactionnelles si la Commission ordonnait le paiement de redevances pour les reproductions éphémères; si la Commission a ignoré un facteur pertinent lorsqu’elle a refusé de tenir compte de la capacité de payer de la SRC au moment de fixer des droits de licence qui étaient substantiellement plus élevés que ceux qu’avait versés la SRC par le passé — La conclusion des télédiffuseurs voulant que l’adoption de technologies nécessitant la réalisation de copies n’ajoute pas à la valeur de l’entreprise était un argument essentiellement économique — La conclusion de la Commission à cet égard reposait sur un fondement probant; par conséquent, la conclusion ne pouvait être modifiée — La décision de la Commission n’omettait pas de donner effet au principe de la neutralité technologique — L’arrêt Entertainment a réaffirmé la distinction fondamentale entre la reproduction et l’exécution ou la représentation qu’a établie la C.S.C. dans l’arrêt Bishop c. Stevens — La Commission n’était pas autorisée à créer une catégorie de reproductions ou de copies qui cesserait d’être protégée par la Loi — Toutes les conclusions de la Commission à titre d’organisme de réglementation économique étaient intelligibles et appartenaient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — La Commission n’a pas outrepassé sa compétence lorsqu’elle a imposé une licence générale à la SCR — La formule de calcul de l’escompte établie par la Commission était bancale et devait être corrigée pour avoir l’effet voulu — Enfin, la Commission n’a pas ignoré un facteur pertinent lorsqu’elle a refusé de tenir compte de la capacité de payer de la SRC au moment de fixer des droits de licence qui étaient substantiellement plus élevés que ceux qu’avait versés la SRC par le passé — Demandes accueillies en partie.

Il s’agissait de trois demandes de contrôle judiciaire fusionnées en une seule de décisions de la Commission du droit d’auteur du Canada rendues en vertu de l’article 70.2 de la Loi sur le droit d’auteur par laquelle elle fixait les modalités afférentes à une licence devant être accordée à la Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation (SRC), Astral Media Inc. (collectivement, les télédiffuseurs) par une société de gestion (SODRAC) chargée de l’administration des droits de reproduction de ses membres. Les modalités de la licence ont été établies en fonction de l’avis de la Commission voulant que des redevances soient payables à l’égard des copies éphémères d’œuvres faites par les télédiffuseurs dans le cours normal de leurs activités de production ou de diffusion. Les copies éphémères sont des copies ou des reproductions dont le seul but est de faciliter une activité technologique qui entre dans la création ou la diffusion d’une œuvre audiovisuelle. Les télédiffuseurs ont soutenu que, à la lumière d’un arrêt récent de la Cour suprême du Canada (Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) (Entertainment), les copies éphémères ne devraient plus donner droit à des redevances et ont demandé l’annulation d’un certain nombre des modalités assortissant la licence qui leur a été accordée aux termes de la décision de la Commission.

Le litige découlait d’un contexte historique particulier en ce qui a trait à l’autorisation de faire des copies éphémères à des fins de diffusion. En 1992, la SRC et la SODRAC ont conclu une entente fixant les conditions auxquelles la SRC pouvait utiliser les œuvres du répertoire de la SODRAC à la radio, à la télévision et à d’autres fins. Cette entente a été renouvelée périodiquement, mais comme les pratiques de la SODRAC avaient changé, les parties n’ont pu s’entendre au moment du renouvellement. La SODRAC s’est appuyée sur l’article 70.2 de la Loi pour saisir la Commission de la question relativement aux deux télédiffuseurs. Les télédiffuseurs affirmaient, entre autres, que c’est normalement au producteur d’une œuvre audiovisuelle qu’il appartient d’obtenir une licence libre de tous droits auprès du titulaire des droits concernés. Cette licence autorise toute copie d’une œuvre musicale par le producteur ou d’autres personnes servant à livrer l’œuvre audiovisuelle au consommateur dans le marché visé. Par contre, la SODRAC a adopté une approche à plusieurs niveaux où chaque maillon de la chaîne de distribution doit acquérir (et payer) le droit de faire les copies nécessaires pour réaliser ses objectifs commerciaux.

La Commission a conclu que l’obligation de verser des redevances est imposée par la Loi et tient à l’utilisation de matériel protégé. Ainsi, la Commission ne peut exempter un utilisateur de matériel protégé des conséquences financières de cette utilisation. Quant aux pratiques de la SODRAC en matière d’octroi de licences, la Commission a conclu que celle-ci n’avait délivré que très peu, s’il en est, de licences libres de tous droits. Dans la mesure où la SODRAC avait octroyé des licences accordant à leur titulaire le droit de permettre à d’autres de reproduire des œuvres protégées, ce droit était accordé au télédiffuseur, non au producteur. Par conséquent, la licence que la SRC a obtenue de la SODRAC portait sur la synchronisation dans des œuvres audiovisuelles commandées par la SRC auprès de producteurs indépendants. La Commission s’est ensuite livrée à une analyse de la valeur économique des droits de reproduction détenus par les télédiffuseurs et les producteurs, analyse qu’elle a fondée sur deux propositions générales : a) l’adoption par les producteurs et les télédiffuseurs de technologies nécessitant la réalisation de copies ajoute à la valeur de leur entreprise et b) la Commission ne peut forcer la SODRAC à octroyer des licences libres de tous droits. La Commission a alors fixé plus en détail les modalités financières des licences octroyées aux télédiffuseurs, puis elle s’est employée, sous différentes rubriques, à déterminer les droits à payer par ces derniers.

Les questions principales constituaient à savoir si l’adoption de technologies nécessitant la réalisation de copies ajoute à la valeur de l’entreprise; si l’analyse de la Commission est contraire au principe de la neutralité technologique établi par l’arrêt Entertainment; si la Commission ne s’est pas acquittée, ou s’est mal acquittée, de son rôle d’organisme de réglementation économique lorsqu’elle a tiré des conclusions erronées sur un certain nombre de questions qu’elle a dû trancher pour arriver à sa décision; si la Commission a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a imposé une licence générale aux télédiffuseurs malgré qu’ils aient expressément dit préférer les licences transactionnelles si la Commission ordonnait le paiement de redevances pour les reproductions éphémères; et si la Commission a ignoré un facteur pertinent lorsqu’elle a refusé de tenir compte de la capacité de payer de la SRC au moment de fixer des droits de licence qui étaient substantiellement plus élevés que ceux qu’avait versés la SRC par le passé.

Jugement : les demandes doivent être accueillies en partie.

Les télédiffuseurs ont affirmé que l’adoption de technologies nécessitant la réalisation de copies n’ajoute pas à la valeur de l’entreprise, et que pour cette raison, il n’y a aucune valeur ajoutée à partager avec les artistes qui, incidemment, ne déboursent rien pour l’acquisition et l’entretien de ces nouvelles technologies. Il s’agissait là d’un argument essentiellement économique, à propos duquel la Commission a entendu de nombreux témoignages avant d’arriver à une conclusion qui repose sur un fondement probant. La Cour ne pouvait donc pas modifier cette conclusion.

La décision de la Commission n’a pas omis de donner effet au principe de la neutralité technologique formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Entertainment comme l’ont fait valoir les télédiffuseurs. L’arrêt Entertainment réaffirme la distinction fondamentale entre la reproduction et l’exécution ou la représentation (communication au public par télécommunication) qu’a établie la Cour dans l’arrêt Bishop c. Stevens. La Commission n’était pas autorisée à créer une catégorie de reproductions ou de copies qui, en raison de leur association avec la diffusion, cesserait d’être protégée par la Loi.

En ce qui concerne le rôle de la Commission en tant qu’organisme de réglementation, la Commission a conclu en particulier que les licences libres de tous droits existent sur le marché le plus pertinent, soit la province de Québec, mais ne constituent pas la norme. La Commission s’est fondée sur la preuve pour tirer sa conclusion, laquelle était intelligible et appartenait aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Quant à savoir si la Commission a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a imposé une licence générale à la SRC, l’argument de la SRC reposait sur le libellé de l’article 70.2 de la Loi, qui autorise la Commission à fixer les modalités d’une licence convenue entre deux parties, et non à fixer un tarif. L’argument de la SRC selon lequel la Commission pouvait imposer une licence générale si elle y consentait, mais qu’elle ne pouvait le faire sans son consentement a été rejeté. Une telle proposition contredirait l’objet de l’article 70.2, qui est de régler les différends que les parties n’ont pu régler elles-mêmes. Quant à la question de la formule de calcul de l’escompte, qui vise à accorder aux télédiffuseurs un crédit pour la diffusion d’une émission à l’égard de laquelle le producteur a obtenu une licence libre de tous droits de la SODRAC, la Commission a expliqué que si toutes les émissions utilisant de la musique du répertoire de la SODRAC au cours d’un mois étaient libres de tous droits, la formule devrait alors donner lieu à un escompte équivalant au total des redevances autrement payables pour le mois en question. Ce résultat est contraire à la loi, en ce sens que des redevances ne doivent pas être versées lorsque les droits relatifs à l’utilisation de la musique ont déjà été affranchis. La Commission l’a reconnu lorsqu’elle a proposé la formule comme façon d’accorder une exemption aux télédiffuseurs pour les émissions libres de tous droits. Les télédiffuseurs avaient alors raison de dire que la formule était bancale et qu’elle devait être corrigée pour avoir l’effet voulu.

La Commission n’a pas ignoré un facteur pertinent lorsqu’elle a refusé de tenir compte de la capacité de payer de la SRC au moment de fixer des droits de licence qui étaient substantiellement plus élevés que ceux qu’avait versés la SRC par le passé. La SRC est un télédiffuseur financé par des fonds publics dont les crédits sont votés par le Parlement. Si la SRC n’est pas correctement financée, les artistes dont elle utilise le travail pour ses émissions et productions n’ont pas à combler le manque à gagner en acceptant des redevances inférieures à celles auxquelles ils ont droit en vertu de la Loi. Le rôle de la Commission en tant qu’organisme de réglementation économique ne s’étend pas à chercher à protéger la SRC des conséquences pécuniaires de ses choix d’émissions.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, art. 3, 30.9, 70.2.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)d).

JURISPRUDENCE CITÉE

décision suivie :

Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467.

décisions examinées :

Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231, infirmant 2010 CAF 221, confirmant sub nom. Tarif no 22.A (Internet — Services de musique en ligne) 1996-2006, dossier : Exécution publique d’œuvres musicales, en ligne : ˂http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2007/20071018-m-e.pdf˃; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; CTV Television Network Ltd. c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1990] 3 C.F. 489 (1re inst.), conf. par [1993] 2 C.F. 115 (C.A.); Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Ltd. v. CTV Television Network Ltd. et al., [1968] R.C.S. 676; Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722.

décisions citées :

Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326.

DEMANDES de contrôle judiciaire de décisions (Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada c. Société Radio-Canada, et les chaînes télé Astral et Télétoon, dossiers : 70.2-2008-01; 70.2-2008-02; Reproduction d’œuvres musicales, en ligne : ˂http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2012/DecisionSODRAC5andArbitration02-11-2012.pdf˃; Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada c. Société Radio-Canada, dossier : 70.2-2012-01, en ligne : ˂http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2013/sodrac-16012013.pdf˃) de la Commission du droit d’auteur du Canada rendues en vertu de l’article 70.2 de la Loi sur le droit d’auteur par laquelle elle fixait les modalités afférentes à une licence devant être accordée à la SRC et à Astral Media Inc. par la SODRAC, une société chargée de l’administration des droits de reproduction de ses membres. Demandes accueillies en partie.

ONT COMPARU

Marek Nitoslawski et Karine Joizil pour la demanderesse Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation dans les dossiers A-516-12 et A-63-13 et pour la demanderesse Astral Media Inc. dans le dossier A-527-12.

Colette Matteau et Lisane Bertrand pour les défenderesses SODRAC 2003 Inc. et Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc. dans les dossiers A-516-12 et A-63-13 et pour la défenderesse Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc. dans le dossier A-527-12.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Fasken Martineau DuMoulin, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Montréal, pour la demanderesse Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation dans les dossiers A-516-12 et A-63-13 et pour la demanderesse Astral Media Inc. dans le dossier A-527-12.

Matteau Poirier Avocats Inc., Montréal, pour les défenderesses SODRAC 2003 Inc. et Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc. dans les dossiers A-516-12 et A-63-13 et pour la défenderesse Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc. dans le dossier A-527-12.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par  

[1]        Le juge Pelletier, J.C.A. : Dans une décision en date du 2 novembre 2012 [Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada c. Société Radio-Canada, et les Chaînes Télé Astral et Télétoon, dossiers : 70.2-2008-01; 70.2-2008-02; Reproduction d’œuvres musicales, en ligne : http://www.cb-cda.gc.ca/
decisions/2012/DecisionSODRAC5andArbitration02-11-2012.pdf] (la décision), la Commission du droit d’auteur du Canada (la Commission) a exercé le pouvoir que lui confère l’article 70.2 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) de fixer les modalités afférentes à une licence devant être accordée à deux télédiffuseurs par une société de gestion chargée de l’administration des droits de reproduction de ses membres. Les modalités de la licence ont été établies en fonction de l’avis de la Commission voulant que des redevances soient payables à l’égard des copies éphémères d’œuvres faites par les diffuseurs dans le cours normal de leurs activités de production ou de diffusion. Les copies éphémères, comme nous le verrons, sont des copies ou des reproductions dont le seul but est de faciliter une activité technologique qui entre dans la création ou la diffusion d’une œuvre audio-visuelle.

[2]        Cet aspect de la décision de la Commission repose sur l’arrêt Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467, dans lequel la Cour suprême du Canada a conclu que les enregistrements éphémères d’une œuvre, faits dans le seul but de faciliter la radiodiffusion de cette œuvre, constituent, s’ils sont faits sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, une violation de ses droits. Dans la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, les télédiffuseurs soutiennent que l’arrêt Bishop c. Stevens doit être interprété à la lumière de l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231 (ESA) dans lequel la Cour suprême a confirmé le principe de la neutralité technologique dans les affaires de droit d’auteur. Selon les demanderesses, cela signifie que, de nos jours, les copies éphémères ne devraient plus donner droit à des redevances.

[3]        Dans sa décision, la Commission a soulevé d’autres questions que nous examinerons plus loin, mais la question sur laquelle porte essentiellement le présent pourvoi est celle du traitement des enregistrements éphémères à la lumière de l’arrêt ESA.

[4]        Pour les motifs qui suivent, j’estime que les principes établis dans l’arrêt Bishop c. Stevens sont toujours valables.

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[5]        Les présents motifs s’appliquent aux trois demandes de contrôle judiciaire dont nous sommes saisis. Dans le dossier no A-516-12, la Société Radio Canada/Canadian Broadcasting Corporation (SRC) demande l’annulation de plusieurs des modalités de la licence 2008–2012 qui lui a été délivrée aux termes de la décision. Dans le dossier no A-527-12, Astral Media Inc. (Astral) demande elle aussi l’annulation d’un certain nombre des modalités assortissant la licence 2008–2012 qui lui a été accordée aux termes de la décision. Enfin, le dossier nA-63-13 porte sur une autre demande de contrôle judiciaire présentée par la SRC, cette fois-ci à l’égard de la décision, en date du 16 janvier 2013 [Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada c. Société Radio-Canada, dossier : 70.2-2012-01, en ligne : http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2013/sodrac-16012013.pdf], par laquelle la Commission a prolongé à titre provisoire la licence 2008–2012 pour la période 2012–2016 en attendant qu’une décision définitive soit rendue sur la demande présentée par la SODRAC en application de l’article 70.2 en ce qui concerne cette période. Les deux licences délivrées aux termes des décisions du 2 novembre 2012 et du 16 janvier 2013 font l’objet d’un sursis d’exécution — prononcé par la Cour le 28 février 2013 — jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur les présentes demandes de contrôle judiciaire.

[6]        Les présents motifs s’appliquent aux trois demandes; une copie de ceux‑ci sera versée dans chacun des dossiers. Un jugement sera rendu à l’égard de chacun des dossiers, conformément aux modalités prévues aux présents motifs.

[7]        La Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs et éditeurs au Canada (SODRAC) Inc, et SODRAC 2003 Inc. (collectivement, la SODRAC) sont des sociétés de gestion chargées de l’administration des droits de reproduction des titulaires de ces droits.

[8]        La SRC est le télédiffuseur public au Canada. Le volet francophone de son mandat est assuré par la Société Radio-Canada qui, depuis plusieurs années, produit et diffuse des émissions dans lesquelles elle incorpore des œuvres musicales d’artistes québécois. Comme la SODRAC représente la majorité des titulaires de droits de reproduction au Québec, Radio-Canada et la SODRAC se connaissent bien.

[9]        Astral exploite des chaînes de télévision spécialisées, mais contrairement à la SRC, elle ne produit aucune de ses émissions. Elle achète auprès de producteurs des œuvres audiovisuelles destinées à la diffusion, étant apparemment entendu que ces producteurs ont obtenu les droits nécessaires lui permettant de diffuser les œuvres sans qu’elle n’ait à verser de redevances supplémentaires.

[10]      Le présent litige découle de ce contexte historique particulier. Après que l’arrêt Bishop c. Stevens eut été rendu en 1990, la SODRAC a commencé a accorder aux télédiffuseurs des licences les autorisant à faire des copies éphémères à des fins de diffusion et à incorporer des œuvres de son répertoire dans leurs propres productions. Ces licences visaient également les producteurs à qui ces télédiffuseurs commandaient des émissions contenant des œuvres gérées par la SODRAC. Vers 1998, la SODRAC a commencé à exiger de ces producteurs qu’ils détiennent leurs propres licences, sans toutefois les obliger à verser des redevances. Vers 2006, SODRAC a commencé à exiger des producteurs qu’ils paient pour avoir le droit d’incorporer des œuvres de son répertoire dans leurs productions, même si le télédiffuseur qui commandait l’œuvre détenait une licence de la SODRAC.

[11]      En 1992, la SRC et la SODRAC ont conclu une entente fixant les conditions auxquelles la SRC pouvait utiliser les œuvres du répertoire de la SODRAC à la radio, à la télévision et à certaines fins accessoires. Cette entente a été renouvelée périodiquement, mais comme les pratiques de la SODRAC en matière d’octroi de licences avaient changé, les parties n’ont pu s’entendre au moment du renouvellement. La SODRAC s’est appuyée sur l’article 70.2 de la Loi pour saisir la Commission de la question. À peu près en même temps, elle s’est prévalue de l’article 70.2 de la Loi, mais cette fois à l’encontre d’Astral. La Commission a regroupé l’instruction des deux affaires.

[12]      L’article 70.2 prévoit une forme d’arbitrage, en ce sens où les parties qui sont incapables de s’entendre sur les modalités d’une licence peuvent demander à la Commission de fixer ces modalités :

70.2 (1) À défaut d’une entente sur les redevances, ou les modalités afférentes, relatives à une licence autorisant l’intéressé à accomplir tel des actes mentionnés aux articles 3, 15, 18 ou 21, selon le cas, la société de gestion ou l’intéressé, ou leurs représentants, peuvent, après en avoir avisé l’autre partie, demander à la Commission de fixer ces redevances ou modalités.

Demande de fixation de redevances

(2) La Commission peut, selon les modalités, mais pour une période minimale d’un an, qu’elle arrête, fixer les redevances et les modalités afférentes relatives à la licence. Dès que possible après la fixation, elle en communique un double, accompagné des motifs de sa décision, à la société de gestion et à l’intéressé, ou au représentant de celui-ci.    

Modalités de la fixation

[13]      Le nœud du litige qui oppose la SRC et Astral (collectivement, les télédiffuseurs), d’une part, et la SODRAC, d’autre part, réside dans le modèle d’affaires adopté par la SODRAC, dont les télédiffuseurs disent qu’il ne cadre pas avec celui de l’industrie. Les télédiffuseurs affirment que, dans l’industrie, c’est normalement au producteur d’une œuvre audiovisuelle (émission de télévision, film ou autre œuvre cinématographique) qu’il appartient d’obtenir une licence libre de tous droits auprès du titulaire des droits concernés.

[14]      Dans sa décision, la Commission décrit comme suit la licence libre de tous droits (la décision, au paragraphe 15) :

Un producteur obtient parfois une licence libre de tous droits (« through to the viewer »). Cette licence autorise toute copie d’une œuvre musicale par le producteur ou d’autres personnes servant à livrer l’œuvre audiovisuelle au consommateur dans le marché visé, télévision, cinéma, DVD, Internet ou autre. Une licence libre de tous droits est définitive ( « buyout ») lorsque les redevances y sont fixées à un prix forfaitaire payable à l’avance. D’autres licences libres de tous droits offrent au producteur une option de reconduction au-delà d’une certaine période, d’un certain territoire ou marché à des prix prédéterminés. Lorsque le producteur exerce une option aux termes d’une telle licence, les droits afférents sont libérés tant pour lui que pour les utilisateurs en aval. Selon les opposantes, les licences libres de tous droits sont les licences les plus courantes sur le marché de l’audiovisuel. [Note de bas de page omise.]

[15]      Les télédiffuseurs insistent sur le fait que ce type de licence concorde avec l’objectif que cherche à atteindre le producteur lorsqu’il demande une licence, c’est-à-dire de créer un produit destiné aux télédiffuseurs ou aux exploitants qui pourront à leur tour en faire une exploitation commerciale. Le fait que les droits acquis par une licence libre de tous droits puissent être limités dans le temps ou dans l’espace ne change en rien les caractéristiques essentielles de cette licence, c’est-à-dire que le producteur obtient ou « affranchit » tous les droits nécessaires pour le compte des utilisateurs en aval, selon les limites temporelles ou géographiques prévues à la licence.

[16]      Par contre, la SODRAC a adopté une approche à plusieurs niveaux où chaque maillon de la chaîne de distribution doit acquérir (et payer) le droit de faire les copies nécessaires pour réaliser ses objectifs commerciaux. On peut raisonnablement supposer que la SODRAC a adopté ce modèle afin de maximiser les revenus des artistes qu’elle représente.

[17]      Le changement de stratégie de la SODRAC coïncide avec l’adoption de nouvelles technologies qui obligent en général les producteurs à faire de multiples copies d’une œuvre musicale afin de l’incorporer dans une œuvre audiovisuelle. C’est ce qu’on appelle la synchronisation. Par ailleurs, les systèmes de gestion de contenu numérique et les systèmes de projection numérique obligent les télédiffuseurs ou les exploitants d’une œuvre audiovisuelle à faire plusieurs copies de l’œuvre pour pouvoir la diffuser ou la présenter. Ces copies, que nous avons précédemment appelées « copies éphémères », sont connues dans l’industrie sous le nom de copies accessoires et ont été décrites comme suit par la Commission (la décision, aux paragraphes 11 et 12) :

La synchronisation est le processus consistant à incorporer une œuvre musicale dans une œuvre audiovisuelle. La copie de synchronisation, est donc celle réalisée en vue d’incorporer l’œuvre dans la copie finale (maîtresse) d’une œuvre audiovisuelle. Une copie de postsynchronisation de l’œuvre musicale est effectuée chaque fois que l’œuvre audiovisuelle elle‑même est copiée, par exemple pour la diffuser, la livrer ou la distribuer.

La copie accessoire est nécessaire ou utile pour arriver à un résultat sans toutefois y être intégrée. La copie accessoire de production est effectuée dans le cadre de la production et de la distribution d’une œuvre audiovisuelle, avant ou après la création de la copie maîtresse : il s’agit d’une forme de copie de synchronisation. La copie accessoire de diffusion vise à faciliter la télédiffusion d’une œuvre audiovisuelle ou à la conserver dans les archives du télédiffuseur, alors que la copie accessoire de distribution a pour objet de préparer ou de conserver le film pour distribution au public : les deux sont des formes de copies de postsynchronisation. [Italiques dans l’original; note de bas de page omise.]

[18]      Pour conclure notre analyse des copies accessoires, il importe de souligner que, d’après la preuve présentée à la Commission, un producteur peut reproduire une œuvre musicale entre 12 et 20 fois dans le cadre du processus de synchronisation de la copie maîtresse. Les télédiffuseurs, qui ont recours aux systèmes de gestion de contenu numérique (ce qui constitue maintenant la norme dans l’industrie), font plusieurs copies d’une œuvre audiovisuelle dans le cadre du montage (par exemple, lors du réglage sonore et de l’équilibre chromatique) et de la diffusion, et à des fins de conservation. Bien que le recours aux copies accessoires ne soit pas un phénomène nouveau (voir Bishop c. Stevens), il semble que les avancées technologiques aient fait croître le nombre de copies accessoires faites dans le cadre des activités commerciales. La Commission dit que ce nombre a augmenté; les télédiffuseurs prétendent le contraire.

[19]      C’est sur cette toile de fond que je vais maintenant examiner la décision de la Commission. Après avoir établi le contexte historique et technologique de l’affaire, résumé ci‑dessus, la Commission a énoncé quelques principes juridiques généraux, dont voici le plus important (la décision, au paragraphe 62) :

Quatrièmement, la Commission ne peut imputer une responsabilité lorsque la Loi ne le fait pas ou dégager une responsabilité qui existe. Par conséquent, elle ne peut pas déterminer qui doit verser des redevances, mais seulement leur montant et les utilisations assujetties, et uniquement dans la mesure où l’utilisation prévue exige une licence. [Note de bas de page omise.]

[20]      Ce principe répond en partie à l’argument avancé par le télédiffuseur sur la question des redevances auxquelles les copies accessoires devraient ou non donner droit. De l’avis de la Commission, l’obligation de verser des redevances est imposée par la Loi et tient à l’utilisation de matériel protégé. Ainsi, la Commission ne peut exempter un utilisateur de matériel protégé des conséquences financières de cette utilisation.

[21]      La Commission s’est ensuite intéressée à ce qu’elle a appelé les « principes juridiques contextuels ». À ce chapitre, elle a procédé à un examen des pratiques passées et présentes de la SODRAC en matière d’octroi de licences. Elle a reconnu que l’octroi de licences libres de tous droits, par certains titulaires et dans certains marchés, était pertinent, mais non déterminant. Elle a axé son analyse sur les pratiques de la SODRAC, affirmant que, dans la mesure où celles‑ci sont cohérentes et importantes sur le marché pertinent, elle ne pouvait les écarter.

[22]      Après avoir examiné la preuve, notamment les pratiques de la SODRAC en matière d’octroi de licences, la Commission a conclu que celle‑ci n’avait délivré que très peu, s’il en est, de licences libres de tous droits. Dans la mesure où la SODRAC avait octroyé des licences accordant à leur titulaire le droit de permettre à d’autres de reproduire des œuvres protégées, ce droit était accordé au télédiffuseur, non au producteur. En vertu de ces licences, les producteurs n’acquéraient pas le droit d’autoriser la reproduction d’œuvres protégées en aval de la chaîne de distribution.

[23]      À l’issue de son examen de la preuve, la Commission a conclu que le dossier dont elle était saisie ne contenait aucune ambiguïté. « Sur le marché le plus pertinent, soit la province de Québec, les licences libres de tous droits existent, mais ne constituent pas la norme » : voir la décision, au paragraphe 78. Cette conclusion est importante parce que, dans la mesure où la Commission fixe les redevances et les droits afférents à une licence en fonction de la valeur économique des droits concernés, la définition du marché relatif à ces droits est une considération pertinente.

[24]      La Commission s’est ensuite livrée à une analyse de la valeur économique des droits de reproduction détenus par les télédiffuseurs et les producteurs, analyse qu’elle a fondée sur deux propositions générales :

a) L’adoption par les producteurs et les télédiffuseurs de technologies nécessitant la réalisation de copies ajoute à la valeur de leur entreprise, car elle leur permet de demeurer concurrentiels, même lorsque ces copies ne génèrent pas de bénéfices directs. Étant donné qu’une partie de cette valeur découle de l’utilisation de copies additionnelles, certains des avantages découlant de ces copies devraient se refléter dans la rémunération à verser.

b) La Commission ne peut, dans le cadre d’un arbitrage entre deux parties fondé sur l’article 70.2, imposer à l’une des parties une façon de mener ses affaires, ou une façon d’agir avec les tiers, tels que les producteurs. Autrement dit, la Commission ne peut forcer la SODRAC à octroyer des licences libres de tous droits ou à conclure des ententes types prévoyant l’octroi de licences libres de tous droits.

[25]      Après avoir établi ces principes, la Commission a fixé plus en détail les modalités financières des licences octroyées à la SRC et à Astral. Elle a d’abord reconnu que la SODRAC ne représentait pas tous les titulaires de droits des œuvres musicales incorporées dans la programmation des télédiffuseurs, puis elle s’est employée, sous différentes rubriques, à déterminer les droits à payer par ces derniers. La Commission a fixé les droits de licence applicables aux copies accessoires de radiodiffusion et de télédiffusion, ainsi que les droits payables par la SRC pour les licences de synchronisation. Enfin, elle a examiné les droits payables pour la télévision sur Internet, la vente d’émissions aux consommateurs pour usage privé (DVD et téléchargements), et les droits payables pour la vente ou concession en licences d’émissions de la SRC à des tiers.

[26]      Le principal argument que les télédiffuseurs ont fait valoir devant nous est que l’analyse effectuée par la Commission va à l’encontre du principe de la neutralité technologique formulé par la Cour suprême dans l’arrêt ESA. Par conséquent, et par souci de simplification, je propose d’aborder dès maintenant la question de la neutralité technologique, et d’analyser les autres arguments soulevés par les télédiffuseurs plus loin dans les présents motifs.

ANALYSE

[27]      La Commission fait figure d’exception parmi les tribunaux administratifs spécialisés en ce que ses décisions sur les questions de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : voir Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, aux paragraphes 10 à 15. Les conclusions sur des questions de fait ne sont susceptibles de contrôle que si elles sont « tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [le tribunal] dispose » : voir l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), la Cour suprême du Canada a dit de cette disposition législative qu’elle « précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cour fédérales » : Khosa, au paragraphe 46.

[28]      J’ai énoncé précédemment les deux propositions fondamentales qui ont guidé la Commission dans son analyse : voir le paragraphe 24. La première est que, si l’évolution technologique fait en sorte qu’il est nécessaire de faire plus de copies d’une œuvre musicale afin que l’œuvre audiovisuelle dans laquelle cette œuvre musicale est incorporée puisse être vendue, ces copies additionnelles ajoutent à la valeur de l’entreprise. Elles donnent donc droit à des redevances additionnelles qu’il ne convient pas nécessairement de calculer selon un taux par copie, mais plutôt selon un taux fondé sur la valeur additionnelle générée par ces copies. En termes simples, plus de copies signifie plus de valeur, et donc plus de redevances.

[29]      Les télédiffuseurs contestent cette proposition pour deux motifs connexes, mais distincts. Tout d’abord, ils affirment que l’adoption de technologies nécessitant la réalisation de copies n’ajoute pas à la valeur de l’entreprise, et que pour cette raison, il n’y a aucune valeur ajoutée à partager avec les artistes qui, incidemment, ne déboursent rien pour l’acquisition et l’entretien de ces nouvelles technologies. Il s’agit là d’un argument essentiellement économique, à propos duquel la Commission a entendu de nombreux témoignages avant d’arriver à une conclusion qui repose sur un fondement probant. La Cour ne peut donc pas modifier la conclusion de la Commission, compte tenu des raisons économiques sur lesquelles elle repose.

[30]      Le deuxième argument des télédiffuseurs est un argument juridique : la décision de la Commission omet de donner effet au principe de la neutralité technologique formulé par la Cour suprême dans l’arrêt ESA. Les télédiffuseurs admettent, comme il se doit, que l’incorporation d’une œuvre musicale dans une œuvre audiovisuelle (synchronisation) est une reproduction qui donne droit à des redevances. Cependant, ils ajoutent que les copies de l’œuvre qui sont faites simplement pour répondre aux exigences des systèmes technologiques utilisés par les producteurs et les télédiffuseurs ne devraient pas faire l’objet de redevances. Les changements technologiques ne devraient pas automatiquement donner lieu à une modification des redevances. Autrement, les droits de propriété intellectuelle viendraient freiner l’innovation et l’efficacité technologiques.

[31]      Le raisonnement de la Commission est fondé sur l’arrêt Bishop c. Stevens, dans lequel la Cour suprême a conclu que chacun des droits énumérés au paragraphe 3(1) de la Loi était un droit distinct, réservé au titulaire du droit d’auteur, et dont l’utilisation par autrui obligeait celui‑ci au paiement de redevances. Par souci de commodité, le paragraphe 3(1) de la Loi est reproduit ci‑dessous :

3. (1) Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante; ce droit comporte, en outre, le droit exclusif :

a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduction de l’œuvre;

d) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, d’en faire un enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’œuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement;

e) s’il s’agit d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d’adapter et de présenter publiquement l’œuvre en tant qu’œuvre cinématographique;

f) de communiquer au public, par télécommunication, une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique;

Est inclus dans la présente définition le droit exclusif d’autoriser ces actes.

Droit d’auteur sur l’œuvre

[32]      Plus précisément, la Cour suprême a conclu dans l’arrêt Bishop c. Stevens que les enregistrements éphémères faits dans le seul but de faciliter la diffusion d’une œuvre tombaient sous le coup de l’alinéa 3(1)d) de la Loi et n’étaient pas visés par le droit de diffuser une œuvre : voir Bishop c. Stevens, aux pages 479 à 481. À cet égard, l’arrêt Bishop c. Stevens est tout à fait pertinent et, à moins qu’il n’ait été infirmé ou écarté par la Cour suprême, il permet de trancher cet aspect des présentes demandes de contrôle judiciaire.

[33]      Les télédiffuseurs affirment que l’arrêt Bishop c. Stevens a été écarté par l’arrêt ESA.

[34]      Dans l’arrêt ESA, la Cour devait déterminer si le téléchargement d’un jeu contenant une œuvre musicale équivalait à communiquer celle‑ci au public par télécommunication, un des droits exclusifs conférés au titulaire du droit d’auteur par la Loi : voir alinéa 3(1)f). Dans l’affirmative, les éditeurs du jeu, qui avaient déjà payé pour obtenir le droit de reproduire la musique incorporée au jeu, devaient payer des redevances pour le téléchargement (la communication au public par télécommunication). En définitive, le recours à un mode de livraison plus avancé sur le plan technologique obligeait les éditeurs à verser des redevances qui n’étaient pas payées ou payables lorsque le jeu était vendu sur un support physique traditionnel, le DVD par exemple.

[35]      Dans sa décision, publiée à [Tarif no 22.A (Internet — Services de musique en ligne) 1996-2006, dossier : Exécution publique d’œuvres musicales, en ligne : http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2007/20071018-m-e.pdf], la Commission a conclu que le téléchargement d’un jeu contenant une œuvre musicale équivalait à communiquer celle-ci au public par télécommunication, décision que notre Cour a confirmée dans [l’arrêt Entertainment Software Association c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique] 2010 CAF 221. La Cour suprême a infirmé cette décision, dans un arrêt majoritaire [ESA, précité], et ce faisant, elle a confirmé le principe de la neutralité technologique.

[36]      La Cour suprême a d’abord exposé ce qu’elle considère être la source et l’effet de la neutralité technologique (ESA, au paragraphe 5) :

À notre avis, la conclusion de la Commission selon laquelle un tarif distinct s’applique au téléchargement pour la « communication » d’une œuvre musicale va à l’encontre du principe de la neutralité technologique, à savoir que la Loi sur le droit d’auteur s’applique uniformément aux supports traditionnels et aux supports plus avancés sur le plan technologique : Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, par. 49. Le paragraphe 3(1) de la Loi adhère au principe de la neutralité technologique en reconnaissant un droit de produire ou de reproduire une œuvre « sous une forme matérielle quelconque ». À notre avis, il n’y a aucune différence d’ordre pratique entre acheter un exemplaire durable de l’œuvre en magasin, recevoir un exemplaire par la poste ou télécharger une copie identique sur le Web. Internet ne représente qu’un taxi technologique assurant la livraison d’une copie durable de la même œuvre à l’utilisateur. [Non souligné dans l’original.]

[37]      Au paragraphe 9 de leurs motifs, les juges majoritaires laissent voir un point de vue légèrement différent :

La SOCAN n’a jamais pu percevoir de redevances pour la copie d’un jeu vidéo sur cartouche ou sur disque achetée en magasin ou obtenue par la poste. Or, elle soutient que la copie identique d’un jeu vendu et distribué sur Internet donne droit à une redevance à la fois pour la reproduction de l’œuvre et pour sa communication. Le principe de la neutralité technologique veut que, sauf intention contraire avérée du législateur, nous interprétions la Loi sur le droit d’auteur de manière à ne pas créer un palier supplémentaire de protection et d’exigibilité d’une redevance qui soit uniquement fondé sur le mode de livraison de l’œuvre à l’utilisateur. Toute autre interprétation imposerait en fait un coût injustifié pour l’utilisation de technologies Internet plus efficaces. [Non souligné dans l’original.]

[38]      Enfin, au paragraphe 10 de leurs motifs, les juges majoritaires expriment un troisième point de vue sur la neutralité technologique :

L’impair de la Commission ressort de sa définition du « téléchargement » : « fichier contenant des données […] que l’usager peut conserver » (par. 13). La Commission reconnaît que le téléchargement est une activité de reproduction qui crée une copie exacte et durable du fichier numérique dans l’ordinateur de l’utilisateur, identique à l’exemplaire acheté en magasin ou par la poste. Néanmoins, elle conclut que la distribution d’une copie sur Internet emporte l’exigibilité de deux redevances — une pour la reproduction et une pour la communication —, tandis que la distribution d’un exemplaire en magasin ou par la poste emporte le paiement d’une redevance seulement pour la reproduction. Elle arrive à cette conclusion en méconnaissant le principe de la neutralité technologique. [Non souligné dans l’original.]

[39]      L’examen attentif de ces passages révèle que les juges majoritaires de la Cour suprême incorporent dans leurs motifs au moins trois façons de voir la neutralité technologique :

a) La neutralité technologique consiste en la neutralité du support. La neutralité du support est une notion prescrite par la loi qui découle de la partie liminaire de l’article 3 de la Loi, lequel protège la production ou la reproduction d’une œuvre « sous une forme matérielle quelconque ». La neutralité du support a été reconnue par la Cour suprême dans l’arrêt Robertson c. Thomson Corp., 2006 CSC 43, [2006] 2 R.C.S. 363 (Robertson), une affaire portant sur le droit d’auteur rattaché au contenu initialement publié dans un journal et publié de nouveau en ligne.

b) La neutralité technologique est un principe d’interprétation des lois selon lequel, sauf intention contraire avérée du législateur, la Loi doit être interprétée de manière à empêcher l’imposition de redevances en fonction de la méthode de livraison de l’œuvre protégée.

c) L’équivalence fonctionnelle détermine la neutralité technologique, de sorte que si deux activités distinctes sur le plan technologique produisent le même résultat (livraison de la copie d’une œuvre au consommateur), l’effet des redevances devrait être le même dans les deux cas.

[40]      Compte tenu de ces différents points de vue sur la neutralité technologique, il est difficile de savoir de quelle manière il faut l’aborder après l’arrêt ESA. Le problème demeure entier si l’on considère que dans les arrêts Robertson et ESA, la Cour a pris sa décision après s’être livrée à une analyse qui ne reposait sur aucune des variantes possibles de la neutralité technologique.

[41]      Dans l’arrêt Robertson, la question en litige était celle de savoir si le Globe and Mail violait le droit d’auteur de pigistes collaborateurs en reproduisant leurs articles dans des bases de données électroniques. L’affaire concernait le chevauchement de droits d’auteur étant donné que les pigistes collaborateurs conservent leur droit d’auteur sur leurs articles, tandis que le Globe and Mail possède un droit sur le journal dans son ensemble, que celui-ci soit considéré comme une compilation ou un recueil : voir Robertson, au paragraphe 31. Les juges majoritaires de la Cour suprême ont conclu que les bases de données violent le droit d’auteur des pigistes parce que ce qui est reproduit dans ces bases de données n’est pas le journal lui-même, mais des éléments distincts, des articles par exemple, bien que le nom de la publication originale, la date de publication et d’autres détails permettant d’identifier la publication y soient mentionnés. La décision de la Cour suprême reposait sur le fait que la base de données reproduit l’originalité des articles rédigés par les pigistes collaborateurs, et non celle des journaux. Par conséquent, l’inclusion de l’article dans la base de données constitue une violation du droit d’auteur du pigiste qui échappe au droit d’auteur du journal.

[42]      L’arrêt Robertson concernait la reproduction de l’originalité de l’œuvre et non la nature du support sur lequel les articles sont publiés. Bien que la conclusion de la Cour ait été neutre sur le plan technologique, en ce sens que le support sur lequel l’œuvre était reproduite n’était pas un élément important, la Cour n’a donné aucune indication sur la manière d’assurer la neutralité technologique.

[43]      De même, la décision des juges majoritaires dans l’arrêt ESA était issue d’une analyse des antécédents législatifs de la Loi et de la jurisprudence selon laquelle la communication au public par télécommunication est, du point de vue historique, un aspect du droit d’exécution ou de représentation, et selon laquelle ce droit ne comporte pas la livraison d’une copie permanente de l’œuvre. Le téléchargement donnant lieu à la création d’une copie permanente de l’œuvre dans l’ordinateur de celui qui télécharge, il ne s’agit pas d’une exécution ou d’une représentation. Le téléchargement n’est donc pas une communication de l’œuvre au public par télécommunication.

[44]      Les juges majoritaires n’ont pas fondé leur analyse sur les nuances de la neutralité technologique qu’ils avaient exposées au début de leurs motifs, et n’y ont pas renvoyé non plus. En conséquence, si l’arrêt ESA reprend le principe de la neutralité technologique reconnu en matière de droit d’auteur, il n’y est donné aucune indication quant à la manière dont le tribunal devrait appliquer ce principe pour régler un problème en matière de droit d’auteur à l’égard duquel les changements technologiques constituent un fait important.

[45]      L’affaire Bishop c. Stevens était de cette nature. Dans cette affaire, le radiodiffuseur soutenait que le droit de diffuser une exécution comprenait le droit de faire des enregistrements éphémères au soutien d’une activité de radiodiffusion. Selon le radiodiffuseur, le pré-enregistrement était presque indispensable « pour assurer la qualité de la diffusion et pour permettre aux stations de diffuser les mêmes émissions, aux heures voulues, dans cinq fuseaux horaires différents » : voir Bishop c. Stevens, à la page 480. La Cour a rejeté cet argument sur le fondement de la distinction établie par la loi entre le droit d’enregistrer une œuvre et le droit de l’exécuter.

[46]      Il convient, à ce stade-ci, de répéter le raisonnement tenu par la Cour suprême dans l’arrêt Bishop c. Stevens, qui permet d’entrevoir les arguments avancés en l’espèce (Bishop c. Stevens, aux pages 484 et 485) :

      En résumé, je ne suis pas convaincue qu’il existe quelque motif de s’écarter de l’interprétation littérale de l’al. 3(1)d) et de la phrase liminaire du par. 3(1) de la Loi, qui visiblement établissent une distinction entre le droit d’effectuer un enregistrement et celui d’exécuter une œuvre. Ni les termes de la Loi, ni son objet, ni ses fins non plus qu’aucun motif de nécessité pratique ne permettent d’interpréter ces dispositions de façon que les enregistrements éphémères relèveraient de la phrase liminaire du par. 3(1) plutôt que de l’al. 3(1)d). Au contraire, des considérations de politique indiquent que s’il faut apporter cette modification à la Loi, il faut que ce soit fait par le législateur et non par le moyen d’une interprétation forcée. Je conclus que le droit de diffuser l’exécution d’une œuvre en vertu du par. 3(1) de la Loi ne comporte pas le droit de faire des enregistrements éphémères afin de faciliter la radiodiffusion.

[47]      La Cour a repris ce raisonnement dans le passage suivant tiré de l’arrêt ESA  (aux paragraphes 40 et 41) :

      La SOCAN soutient que la distinction entre le droit de reproduction et le droit d’exécution ou de représentation reconnue dans l’arrêt Bishop étaye en fait sa thèse selon laquelle le téléchargement d’une œuvre musicale sur Internet peut emporter l’application de deux tarifs. Comme le droit de reproduction et le droit d’exécution ou de représentation sont distincts et indépendants, le titulaire du droit d’auteur devrait avoir droit à une redevance distincte pour l’exercice de chacun d’eux. Cette prétention repose sur le renvoi que fait la Cour, dans l’arrêt Bishop, à la p. 477, aux propos tenus par le lord juge Greene dans l’arrêt Ash c. Hutchinson & Co. (Publishers), Ltd., [1936] 2 All E.R. 1496 (C.A.), p. 1507 :

[traduction] … la Copyright Act, 1911 [sur laquelle la Loi canadienne est modelée] expose les droits du titulaire d’un droit d’auteur. Il énumère certains actes que seul le titulaire d’un droit d’auteur peut accomplir. Le droit d’accomplir chacun de ces actes est, à mon avis, un droit distinct, créé par la loi, et quiconque accomplit l’un de ces actes sans le consentement du titulaire du droit d’auteur commet de ce fait un délit; s’il en accomplit deux, il commet deux délits et ainsi de suite. [Italiques ajoutés par les juges Abella et Moldaver.]

      À notre avis, dans l’arrêt Bishop, la Cour cite ce passage uniquement pour mettre en évidence le caractère distinct des droits énumérés au par. 3(1). Elle n’affirme pas qu’une seule activité (le téléchargement) peut porter atteinte à deux droits distincts en même temps. C’est ce qui ressort de l’extrait tiré de l’arrêt Ash c. Hutchinson, qui renvoie à [traduction] « deux actes ». Par exemple, dans l’affaire Bishop, deux activités étaient en cause : (1) la réalisation d’une copie éphémère de l’œuvre musicale en vue de sa diffusion et (2) la diffusion effective de celle-ci. Or, une seule activité fait l’objet de la présente espèce : le téléchargement de la copie d’un jeu vidéo contenant une œuvre musicale. [Italiques dans l’original.]

[48]      J’estime que ce passage réaffirme la distinction fondamentale entre la reproduction et l’exécution ou la représentation (communication au public par télécommunication) qu’a établie la Cour dans l’arrêt Bishop c. Stevens. Rien dans ce passage, ni ailleurs dans l’arrêt ESA, n’autorise la Commission à créer une catégorie de reproductions ou de copies qui, en raison de leur association avec la diffusion, cesserait d’être protégée par la Loi. Dans l’arrêt ESA, la Cour ne renverse pas l’arrêt Bishop c. Stevens, ni explicitement ni implicitement.

[49]      En conséquence, je ne puis accepter l’argument des télédiffuseurs selon lequel les commentaires faits par la Cour dans l’arrêt ESA sur la neutralité technologique ont changé le paysage juridique au point d’affirmer que la Commission a conclu à tort que les copies accessoires sont protégées par le droit d’auteur. L’argument des télédiffuseurs à l’égard de la neutralité technologique n’est pas retenu.

MOTIFS DE CONTRÔLE ADDITIONNELS

[50]      Les télédiffuseurs soulèvent plusieurs autres questions dans leur contestation de la décision de la Commission. En voici le résumé :

1) La Commission ne s’est pas acquittée, ou s’est mal acquittée, de son rôle d’organisme de réglementation économique lorsqu’elle a tiré des conclusions erronées sur un certain nombre de questions qu’elle a dû trancher pour arriver à sa décision.

2) La Commission a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a imposé une licence générale aux télédiffuseurs malgré qu’ils aient expressément dit préférer les licences transactionnelles si la commission ordonnait le paiement de redevances pour les reproductions éphémères.

3) La Commission a ignoré un facteur pertinent lorsqu’elle a refusé de tenir compte de la capacité de payer de la SRC au moment de fixer des droits de licence qui étaient substantiellement plus élevés que ceux qu’avait versés la SRC par le passé.

J’examinerai ces questions à tour de rôle.

1) La Commission ne s’est pas acquittée, ou s’est mal acquittée, de son rôle d’organisme de réglementation économique lorsqu’elle a tiré des conclusions erronées sur un certain nombre de questions qu’elle a dû trancher pour arriver à sa décision.

[51]      Cette rubrique couvre plusieurs conclusions distinctes tirées par la Commission, dont les répercussions économiques constituent le dénominateur commun. La Commission a tiré ces conclusions après avoir exercé son jugement pour évaluer la preuve présentée par les parties et pour donner une valeur aux droits de reproduction dans des contextes différents, comme ceux de la radio, de la télévision, de l’Internet et de la distribution de films et DVD.

[52]      Ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable puisqu’elles concernent inévitablement le poids à donner à la preuve présentée à la Commission et les conclusions tirées de la preuve. Dans ce contexte, le caractère raisonnable signifie que la décision « fait […] partie des issues acceptables au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 74.

[53]      Les télédiffuseurs tentent, dans bon nombre de questions qu’ils soulèvent, de débattre à nouveau devant la Cour les points qui avaient été présentés à la Commission. Les points soulevés par les télédiffuseurs reposent essentiellement sur la question de savoir si les copies éphémères ont une valeur économique et, dans l’affirmative, sur la bonne manière de calculer cette valeur pour fixer les redevances.

[54]      S’agissant de la valeur des copies éphémères, les télédiffuseurs ont d’abord fait valoir que la valeur rattachée aux copies éphémères est comblée par la licence libre de tous droits octroyée aux producteurs qui ont payé pour une licence de synchronisation pour une œuvre audiovisuelle. De nombreux éléments de preuve ont été présentés pour établir que la licence libre de tous droits constitue la norme dans l’industrie canadienne et que les modalités de cette licence rendaient la question des copies accessoires de diffusion redondante étant donné que les reproductions en aval sont couvertes par les modalités de la licence. Les télédiffuseurs disent que la Commission ne peut, ou ne devrait pas, rendre une ordonnance qui irait à l’encontre de la pratique commerciale établie dans l’industrie de la diffusion.

[55]      Il s’agit d’une pure question de fait. Les producteurs auprès desquels les télédiffuseurs ont obtenu des émissions (à l’égard desquels la SODRAC a administré les droits de reproduction) ont-ils obtenu de la SODRAC une licence libre de tous droits? Si la réponse à cette question est négative, il est inutile que les télédiffuseurs disent qu’ils croyaient que les producteurs avaient obtenu de telles licences ou qu’ils auraient dû en obtenir.

[56]      La Commission a examiné la preuve présentée par les parties sur cette question, notamment plusieurs licences de synchronisation délivrées par la SODRAC et elle en a conclu que « [s]ur le marché le plus pertinent, soit la province de Québec, les licences libres de tous droits existent, mais ne constituent pas la norme » : décision, au paragraphe 78. Il n’appartient pas à la Cour d’examiner la preuve et de décider si elle en arriverait à la même conclusion. La Commission s’est fondée sur la preuve pour tirer sa conclusion, laquelle est intelligible et appartient aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[57]      Les diffuseurs contestent également la conclusion de la Commission selon laquelle le Québec constitue le marché pertinent, mais compte tenu du fait que la SODRAC représente la majorité des titulaires de droits de reproduction au Québec (voir la décision, au paragraphe 18), il n’est pas déraisonnable que le marché dans lequel la SODRAC exerce le plus d’activités soit le plus pertinent.

[58]      Les télédiffuseurs affirment ensuite que la formule conçue par la Commission pour les créditer lorsque les émissions qu’ils diffusent ont été autorisées en aval est erronée et produit un résultat absurde parce que même si toutes les émissions diffusées dans une période précise étaient autorisées en aval, la formule les obligerait quand même à payer des redevances pour ces émissions. Pour des motifs qui ressortiront ultérieurement, j’estime que cette question doit être examinée sous la rubrique qui porte sur le pouvoir de la Commission de délivrer une licence générale malgré les objections de la SRC.

[59]      Les autres questions d’ordre « économique » portent sur des points qui concernent par exemple les redevances de la SODRAC fixées en pourcentage des redevances payables à la SOCAN, et le fait que certaines redevances imposées par la Commission (par ex., la télévision sur Internet) ne sont pas conformes à ces ratios. Ces décisions sont fondées sur la preuve qui avait été présentée à la Commission et elle y renvoie dans sa décision. La Commission possède une expertise dans la fixation des redevances appropriées parce qu’elle le fait depuis très longtemps. Elle a l’avantage d’avoir entendu tous les témoins et elle a une connaissance approfondie du contexte dans lequel ces questions se posent. Ces facteurs indiquent que notre Cour devrait faire preuve de retenue envers l’expertise de la Commission, à moins qu’il soit démontré que la Commission a tiré une conclusion déraisonnable. Rien de tel n’a été démontré à l’égard de ces questions.

2) La Commission a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a imposé une licence générale aux télédiffuseurs malgré qu’ils aient expressément dit préférer les licences transactionnelles si la commission ordonnait le paiement de redevances pour les reproductions éphémères.

[60]      La SRC prétend que la Commission a outrepassé sa compétence lorsqu’elle a imposé une licence de synchronisation générale. La SRC affirme qu’elle a indiqué à la Commission que, compte tenu des taux de redevances proposés par la SODRAC, elle privilégierait les licences transactionnelles au besoin. Cet argument ne concerne pas Astral, car il n’est pas un producteur d’œuvres audiovisuelles et il n’a pas besoin d’une licence de synchronisation.

[61]      L’argument de la SRC repose sur le libellé de l’article 70.2 de la Loi. Il s’agit de la disposition qui autorise la Commission à fixer les modalités d’une licence convenue entre deux parties, et non à fixer un tarif :

70.2 (1) À défaut d’une entente sur les redevances, ou les modalités afférentes, relatives à une licence autorisant l’intéressé à accomplir tel des actes mentionnés aux articles 3, 15, 18 ou 21, selon le cas, la société de gestion ou l’intéressé, ou leurs représentants, peuvent, après en avoir avisé l’autre partie, demander à la Commission de fixer ces redevances ou modalités.

Demande de fixation de redevances

(2) La Commission peut, selon les modalités, mais pour une période minimale d’un an, qu’elle arrête, fixer les redevances et les modalités afférentes relatives à la licence. Dès que possible après la fixation, elle en communique un double, accompagné des motifs de sa décision, à la société de gestion et à l’intéressé, ou au représentant de celui-ci. [Je souligne.]

Modalités de la fixation

[62]      Selon la SRC, le pouvoir de [traduction] « fixer des redevances et leurs modalités » ne comprend pas le pouvoir de décider si les parties concluront vraiment un contrat de licence. Si les parties ne s’entendent pas pour dire qu’elles veulent conclure un contrat de licence, il n’y aura aucun contrat à partir duquel la Commission pourra fixer les redevances et les modalités. Par conséquent, si [traduction] « la SRC ne veut pas une licence de synchronisation générale, la Commission n’a pas compétence pour lui en imposer une » : mémoire des faits et du droit des télédiffuseurs, au paragraphe 18.

[63]      La SODRAC signale que la SRC a le droit de ne pas utiliser la musique qui fait partie du répertoire de la SODRAC. Dans ce cas, la question concernant la forme de la licence ne se pose simplement pas. Cependant, si la SRC choisit d’utiliser le répertoire de la SODRAC dans ses productions, elle doit avoir une licence. Si elle ne peut s’entendre avec la SODRAC sur les modalités de cette licence, cette dernière a le droit de demander à la Commission, en vertu de l’article 70.2 de la Loi, de fixer les redevances et les modalités qui s’appliquent à elles, y compris les éléments sur lesquels repose le calcul de ces redevances.

[64]      Dans les observations qu’elle a présentées à la Commission, la SRC semble avoir admis que la Commission pouvait imposer une licence générale. Au paragraphe 119 de sa décision, la Commission résume l’une des options proposées par les experts de la SRC portant sur une licence générale libre de tous droits accordée à la SRC. Plus loin, au paragraphe 132, les mêmes experts proposent l’application d’un escompte à la redevance payable conformément à la proposition de licence générale privilégiée par la Commission.

[65]      Enfin, d’après les observations qu’elle a présentées à la Commission, la SRC semble avoir accepté que la Commission puisse imposer une licence générale (dossier conjoint de la demande, vol. 1, onglet 1) :

[traduction]

12.1 La Commission devrait délivrer une licence générale qui s’applique à toutes les activités de production télévisuelle et de radiodiffusion de la SRC/CBC.

[66]      La SRC a répondu à ces faits en disant que la Commission pouvait imposer une licence générale si elle y consentait, mais qu’elle ne pouvait le faire sans son consentement.

[67]      Dans ce cas, le pouvoir de réparation que l’article 70.2 confère à la Commission dépend du consentement de l’une des parties à l’arbitrage prévu par la loi. À première vue, une telle proposition contredit l’objet de l’article 70.2, qui est de régler les différends que les parties n’ont pu régler elles-mêmes. En l’espèce, la SRC, qui ne s’est pas entendue avec la SODRAC sur les modalités d’une licence, revendique le droit de s’entendre avec la SODRAC à l’avenir.

[68]      Selon la SRC, la décision CTV Television Network Ltd. c. Canada (Commission du droit d’auteur), [1990] 3 C.F. 489, de la Section de première instance de la Cour fédérale [maintenant la Cour fédérale] appuie sa thèse. Dans cette affaire, la question en litige était celle de savoir si CTV, à titre de réseau, était tenu de payer des redevances pour la communication d’une œuvre au public par télécommunication. Cette question avait été tranchée en défaveur de la Commission du droit d’auteur et des sociétés collectives parties à l’affaire Composers, Authors and Publishers Assoc. of Canada Ltd. v. CTV Television Network Limited et al., [1968] R.C.S. 676 (Capac), mais après certaines modifications apportées à la Loi, la Commission a proposé, encore une fois, d’envisager un tarif payable par le réseau. La Cour fédérale a convenu avec CTV que les modifications n’avaient pas eu les effets proposés par la Commission. Dans son raisonnement, la Cour a affirmé que la seule fonction qu’avait la Commission était celle de fixer les redevances que les sociétés collectives pouvaient exiger. En appel, notre Cour [[1993] 2 C.F. 115] a confirmé le jugement de la Cour fédérale, mais elle a interprété plus largement la compétence de la Commission. Elle a cité [à la page 124] le passage suivant tiré de l’arrêt Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722, à la page 1756 :

Les pouvoirs d’un tribunal administratif doivent évidemment être énoncés dans sa loi habilitante, mais ils peuvent également découler implicitement du texte de la loi, de son économie et de son objet. Bien que les tribunaux doivent s’abstenir de trop élargir les pouvoirs de ces organismes de réglementation par législation judiciaire, ils doivent également éviter de les rendre stériles en interprétant les lois habilitantes de façon trop formaliste. [Note de bas de page omise.]

[69]      Cet énoncé demeure valable : voir ATCO Gas & Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy & Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 51. Par conséquent, l’arrêt CAPAC n’est d’aucun secours pour la SRC. Son argumentation à cet égard doit être rejetée.

[70]      Cela dit, la question de la formule de calcul de l’escompte peut jusqu’à un certain point répondre à certaines des objections de la SRC concernant l’octroi d’une licence générale. La formule de calcul de l’escompte vise à accorder aux télédiffuseurs un crédit pour la diffusion d’une émission à l’égard de laquelle le producteur a obtenu une licence libre de tous droits de la SODRAC.

[71]      Avant d’examiner les particularités de l’application de la formule de calcul de l’escompte, il est peut‑être utile d’examiner le contexte. Au paragraphe 62 de sa décision, reproduit au paragraphe 19 des présents motifs, la Commission a déclaré que l’obligation de verser des redevances n’existe que dans la mesure où l’« utilisation prévue » exige une licence. Le corollaire de cette affirmation est que, dans la mesure où la licence a été obtenue par un tiers au bénéfice d’un télédiffuseur, il n’y aucune redevance à verser.

[72]      Il faut aussi tenir compte d’un deuxième facteur : la formule de calcul des redevances payables pour un mois donné reflète le fait que la musique du répertoire de la SODRAC ne constitue qu’une fraction de l’ensemble de la musique utilisée par le télédiffuseur au cours d’un mois. Par conséquent, pour calculer le taux de redevance pour la SODRAC, la Commission a accepté l’idée d’un « ajustement de répertoire ». Ainsi, au paragraphe 93 de sa décision, la Commission a précisé la portion de l’utilisation du répertoire de la SODRAC dans l’offre de service de diffusion. Par exemple, elle a conclu que la musique du répertoire de la SODRAC constituait 46,33 p. 100 de la musique diffusée à la télévision de la SRC. Pour obtenir le taux de redevance net, la Commission a multiplié le taux de l’assiette de redevance par le pourcentage de l’ajustement de répertoire. Pour la télévision de la SRC, le taux de l’assiette de redevance de 31,25 p. 100 a été réduit de 46,33 p. 100 pour atteindre le taux de redevance net de 14,78 p. 100 : voir le paragraphe 110 de la décision.

[73]      En ce qui concerne la formule elle-même, la SODRAC souligne que, dans son mémoire des faits et du droit, la Commission a proposé aux parties la formule de calcul de l’escompte lors de la médiation qui a eu lieu avant l’audience. Elle avait alors expliqué cette formule comme suit (dossier de demande, vol. 23, onglet 14, article 6.03, note de bas de page 10) :

Nouvelle disposition dont je suis maintenant autorisé à vous faire part. L’intention est de permettre à la SRC [Société Radio Canada] (et à Astral) de ne payer aucune redevance pour les reproductions incidentes de diffusion (broadcast incidental copies) si le producteur de l’émission a effectivement obtenu une licence « through to the viewer ».

[74]      Il convient de répéter que les redevances qui doivent être versées à la SODRAC ne le sont que pour l’utilisation de la musique du répertoire de la SODRAC. Ainsi, comme le dit la Commission, si toutes les émissions utilisant de la musique du répertoire de la SODRAC au cours d’un mois étaient libres de tous droits, la formule devrait donner lieu à un escompte équivalant au total des redevances autrement payables pour le mois en question.

[75]      La formule retenue par la Commission permettait de calculer un escompte pour chaque émission :

Escompte par émission = A x B / C

A = le taux de redevance net applicable au service qui diffuse l’émission visée,

B = le coût de production de l’émission, dans le cas d’une émission de la SRC, et le coût d’acquisition de l’émission, dans le cas d’une autre émission, et

C = les coûts totaux de production et d’acquisition pour la diffusion des émissions par le service au cours du mois.

[76]      Comme la formule propose un calcul pour chaque émission et que les redevances sont calculées pour chaque mois, l’escompte pour le mois est nécessairement la somme de tous les escomptes pour chacune des émissions. Ainsi, si, pour un mois, on additionne sous l’élément B les coûts pertinents de l’ensemble du matériel de la SODRAC dont la diffusion « est libre de tous droits », la formule permet d’obtenir l’escompte pour le mois.

[77]      Pour un mois, la redevance qu’un télédiffuseur doit payer à la SODRAC est le taux de redevance net moins le total des escomptes pour les émissions libres de tous droits. Si la formule est correctement interprétée, l’escompte devrait être égal au taux de redevance net pour chaque mois au cours duquel toute la musique provenant du répertoire de la SODRAC est libre de tous droits. Ainsi, ce mois‑là, aucune redevance ne devrait être payable. Pour que l’escompte soit égal au taux de redevance net (élément A de la formule), la fraction B/C doit être égale à 1.

[78]      Or, selon l’ajustement de répertoire, la musique du répertoire de la SODRAC n’équivaut qu’à 46,33 p. 100 de toute la musique diffusée par la télévision de la SRC. Par conséquent, l’élément C de la formule, les coûts totaux de production et d’acquisition de toutes les émissions diffusées par le service au cours du mois, sera toujours supérieur à l’élément B puisque cet élément B (musique du répertoire de la SODRAC) ne représente que 46,33 p. 100 de la diffusion musicale au cours d’un mois et, vraisemblablement, à peu près la même proportion des coûts totaux de production et d’acquisition de toutes les émissions pendant un mois. Ainsi, dans le cas où toute la musique du répertoire de la SODRAC diffusée au cours d’un mois est libre de tous droits, l’escompte total pour ce mois serait d’environ 46 p. cent, de sorte qu’une redevance de 54 p. 100 devrait être versée pour un mois pour lequel tous les droits ont déjà été affranchis.

[79]      Ce résultat est contraire à la loi, en ce sens que des redevances ne doivent pas être versées lorsque les droits relatifs à l’utilisation de la musique ont déjà été affranchis. La Commission l’a reconnu lorsqu’elle a proposé la formule comme façon d’accorder une exemption aux télédiffuseurs pour les émissions libres de tous droits. À mon avis, les télédiffuseurs ont raison de dire que la formule est bancale et doit être corrigée.

[80]      Pour que la formule de calcul de l’escompte ait l’effet voulu, C doit représenter le coût de production ou d’acquisition de toute la musique du répertoire de la SODRAC qui a été diffusée au cours du mois visé. Lorsque toute cette musique est libre de tous droits, la fraction B/C est égale à 1. Dans le cas où une partie de la musique est libre de tous droits et une autre ne l’est pas, la formule ainsi modifiée permet de réduire les redevances qui doivent être versées en proportion de la musique qui est libre de tous droits.

[81]      Il ne fait aucun doute que cette discussion est difficile à suivre dans l’abstrait. J’ai donc joint aux présents motifs, en annexe, un exemple qui démontre, d’une part, le problème de la formule proposée par la Commission et, d’autre part, l’effet de la formule modifiée que je propose.

[82]      En fin de compte, j’accueillerais en partie les demandes relatives aux dossiers A-516-12 et A-527-12 pour permettre la modification de la formule de calcul de l’escompte.

3) La Commission a ignoré un facteur pertinent lorsqu’elle a refusé de tenir compte de la capacité de payer de la SRC au moment de fixer des droits de licence qui étaient substantiellement plus élevés que ceux qu’avait versés la SRC par le passé.

[83]      À l’appui de sa prétention, la SRC invoque le titre se trouvant au paragraphe 157 de la décision de la Commission : « Récapitulatif des tarifs homologués, des redevances et de la capacité de payer » (les italiques sont de moi). La SRC souligne à bon droit que nulle part, dans les deux paragraphes qui forment cette partie de la décision de la Commission, il n’a été question de capacité de payer. La SRC fait en outre valoir que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en ordonnant une augmentation quatre fois plus élevée des redevances à un moment où, selon la preuve, les revenus de la SRC avaient considérablement diminué.

[84]      L’argument peut être réglé rapidement. La SRC est un télédiffuseur financé par des fonds publics dont les crédits sont votés par le Parlement. Si la SRC n’est pas correctement financée, comme elle le soutient dans ses observations, les artistes dont elle utilise le travail pour ses émissions et productions n’ont pas à combler le manque à gagner en acceptant des redevances inférieures à celles auxquelles ils ont droit en vertu de la Loi. Le rôle de la Commission en tant qu’organisme de réglementation économique ne s’étend pas à chercher à protéger la SRC des conséquences pécuniaires de ses choix d’émissions. Cette prétention est également rejetée.

[85]      Voilà qui règle les questions soulevées par les télédiffuseurs dans les dossiers A-516-12 et A-527-12. Je traiterai plus loin des modalités du jugement qui devra être rendu conformément aux présents motifs. Je passe maintenant au dossier A-63-12.

La demande de contrôle judiciaire de la licence provisoire délivrée le 16 janvier 2013

[86]      Les licences délivrées par la Commission à la suite de sa décision du 2 novembre 2012 ont expiré respectivement le 31 mars 2012, dans le cas de la SRC, et le 31 août 2012, dans le cas d’Astral. Toutefois, en 2009, la Commission a rendu des ordonnances provisoires qui prorogeaient les licences existantes pour la période 2008–2012. Ces ordonnances sont devenues inopérantes le 2 novembre 2012, lorsque la Commission a rendu sa décision et délivré les licences correspondantes. Un vide juridique a ainsi été créé, étant donné que les licences provisoires de 2009 ont pris fin et que les nouvelles licences avaient déjà expiré.

[87]      Pour combler ce vide juridique, la Commission a ordonné le 16 janvier 2013 que les licences visant la période 2008–2012 soient prorogées jusqu’à ce que la Commission rende une décision définitive au sujet de la demande présentée par la SODRAC au titre de l’article 70.2 pour la période 2012-2016. La décision provisoire de la Commission et les licences délivrées en conséquence font l’objet de la troisième demande de contrôle judiciaire de la SRC.

[88]      Dans ses motifs datés du 16 janvier 2013 (en ligne à http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2013/sodrac-16012013.pdf), la Commission a examiné les facteurs qui doivent être pris en considération pour rendre une ordonnance intérimaire. Elle a souligné que les ordonnances provisoires servent à éviter les effets néfastes des longues procédures et la création de vides juridiques. Elle n’a pas accepté la prétention de la SRC selon laquelle la licence visant la période 2008–2012 ne représentait pas le statu quo étant donné les grands changements au regard des rapports entre les parties dans le passé. Selon la Commission, le statu quo était l’état des rapports entre les parties à un moment donné, peu importe depuis quand il existe. Après que la Commission eut rendu son ordonnance relativement à la période 2008–2012, les modalités de cette ordonnance sont devenues le nouveau statu quo.

[89]      La SRC a aussi fait valoir que les changements législatifs et la jurisprudence récente de la Cour suprême avaient changé, ou changeraient, de façon importante la situation entre la SODRAC et elle. La Commission a jugé que les arguments de la SRC sur ces questions (l’effet de l’arrêt de la Cour suprême Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326, et l’effet des modifications de la Loi, notamment l’article 30.9 [mod. par L.C. 2012, ch. 20, art. 34]) pouvaient difficilement être qualifiés de non litigieux. La Commission a estimé qu’il était préférable d’examiner ces questions dans le cadre d’une instruction au fond plutôt qu’à un stade provisoire.

[90]      La Commission était toutefois consciente du fait que les parties pourraient choisir de s’organiser différemment après la délivrance de la licence visant la période 2008–2012. Selon elle, toute licence provisoire devrait faciliter le processus sans le court-circuiter. Par conséquent, elle a conclu que la licence générale de synchronisation imposée, malgré les objections de la SRC, pour la période 2008–2012 devrait prévoir un escompte de 20 p. 100 pour la période visée par la décision provisoire de manière à faciliter les changements de pratique, si jamais les parties étaient motivées à le faire.

[91]      La SRC a présenté les mêmes arguments devant notre Cour que devant la Commission. Elle a fait valoir que le statu quo était en fait la situation qui existait avant la délivrance de la licence visant la période 2008–2012, d’autant plus que l’application de cette licence a été suspendue en attendant l’issue de la présente instance. Elle a aussi souligné l’effet qu’aura, selon elle, le nouvel article 30.9 de la Loi sur la question des licences accessoires. Cet article prévoit une exception à l’égard des entreprises de radiodiffusion qui reproduisent des œuvres protégées aux seules fins de leur radiodiffusion, sous réserve de certaines conditions.

[92]      Enfin, la SRC se demande si la SODRAC serait en mesure de repayer les montants qui lui ont été versés conformément à la licence provisoire si elle a gain de cause dans la procédure qui l’oppose à la SODRAC.

[93]      Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le règlement des modalités de la licence visant la période 2008–2012 a créé un statu quo entre les parties, et ce, malgré la suspension de l’application de cette licence. Comme je propose de maintenir la licence visant la période 2008–2012, sous réserve d’une seule petite modification, je ne vois pas pourquoi on ne considérerait pas cette ordonnance comme le statu quo. En ce qui concerne les changements touchant la façon dont les parties feront des affaires dans le futur compte tenu de la licence visant la période 2008–2012, des modifications législatives et de l’évolution de la jurisprudence, il s’agit d’une question qu’il serait préférable que la Commission examine lors de l’instruction au fond concernant la licence visant la période 2012–2016, laquelle, si j’ai bien compris, doit commencer quelques jours après l’audition du présent appel.

[94]      Par conséquent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire dans le dossier no A-63-13.

CONCLUSION

[95]      Pour les motifs exposés, j’accueillerais en partie les demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers nos A-517-12, A-527-12 et A-63-12, à savoir seulement en ce qui a trait à la modification de la formule de calcul de l’escompte. Je modifierais la formule en définissant l’élément C de la formule figurant à la clause 5.03(2) de la licence de la SRC et à la clause 6.03(2) de la licence d’Astral pour qu’elle soit libellée comme suit :

(C) représente les coûts totaux de production et d’acquisition pour toutes les émissions contenant de la musique du répertoire de la SODRAC diffusée par le service au cours du mois.

[96]      Par les présentes, il est mis fin aux suspensions de l’application des licences par la Commission le 2 novembre 2012 et le 16 janvier 2013.

[97]      Les dépens sont adjugés à la SODRAC, qui est autorisée à présenter un unique mémoire de dépens pour toutes les demandes. Toutefois, comme les télédiffuseurs ont eu partiellement gain de cause, le montant des dépens, qui reste à fixer, sera réduit de 10 p. 100.

Le juge Noël, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE

Dans le présent exemple, je tiens pour avérés les faits suivants :

Le taux de redevance rajusté du répertoire de la télévision de la SRC est de 14,78 p. 100 de l’assiette de redevance (montant servant au calcul des redevances) : paragraphe 110 de la décision.

La quantité moyenne de musique du répertoire de la SODRAC diffusée par la SRC dans un mois correspond à 46 p. 100 de toute la musique diffusée : paragraphe 93 de la décision.

Les coûts totaux de production et d’acquisition des émissions contenant de la musique du répertoire de la SODRAC pour le mois visé s’élèvent à 100 000 $.

Les coûts totaux de production et d’acquisition de toutes les émissions diffusées au cours du mois visé s’élèvent à 210 000 $.

Les coûts d’acquisition/de production de toutes les émissions contenant de la musique du répertoire de la SODRAC pour le mois visé sont les suivants :

Émission 1 – 15 000 $

Émission 2 – 25 000 $

Émission 3 – 14 000 $

Émission 4 – 16 000 $

Émission 5 – 30 000 $

100 000 $

Si l’on tient pour acquis que les droits relatifs à l’émission 1 ont été affranchis, les redevances devant être versées par le télédiffuseur pour le mois visé seraient calculées en utilisant la formule de calcul de l’escompte A x B/C, où

A = le taux de redevance qu’il faudrait normalement verser,

B = le coût d’acquisition/de production de l’émission libre de tous droits, et

C = le coût total d’acquisition/de production des émissions diffusées au cours du mois visé.

Par conséquent

A = 14,78 %               B = 15 000 $              C = 210 000 $

Escompte émission 1 = 14,78 % x 15 000 $/210 000 $ =14,78 % x 0,071 = 1,03 %

Par conséquent, les redevances devant être versées par le télédiffuseur pour le mois visé s’élèveraient à :

14,78 % - 1,03 % = 13,75% x l’assiette de redevance

Si l’on applique la même formule, l’escompte pour chacune des autres émissions, dans le cas où le producteur a affranchi tous les droits, serait de :

Émission 2 = 1,77 %

Émission 3 = 0,88 %

Émission 4 = 1,12 %

Émission 5 = 2,11 %

Si toutes les cinq émissions sont libres de tous droits, l’escompte s’élèverait, selon la formule, à :

1,03 % + 1,76 % + 0,98 % + 1,12 % + 2,11 % = 7 %

Le résultat serait le même si on additionnait les coûts d’acquisition/de production pour le mois :

14,78 x 100 000 $/210 000 $ = 14,78 x 0,476 = 7 %

Par conséquent, si toutes les émissions contenant de la musique du répertoire de la SODRAC étaient libres de tous droits, le télédiffuseur devrait verser des redevances suivantes selon la formule de calcul de l’escompte établie par la Commission :

14,78 % - 7 % = 7,78 % de l’assiette de redevance

et ce, même pour un mois pour lequel il n’y a aucune redevance à verser, ce qui est contraire à la loi et aux objectifs que la Commission a elle‑même énoncés.

On peut corriger cette anomalie en définissant l’élément C de la formule comme étant le coût total d’acquisition/de production de toutes les émissions contenant de la musique du répertoire de la SODRAC diffusée au cours du mois visé.

En utilisant cette formule, si les droits relatifs à la musique du répertoire de la SODRAC ont été affranchis, l’escompte pour l’émission 1 serait de :

A = 14,78 %                B = 15 000 $                 C = 100 000 $

Escompte de l’émission 1 = 14,78 % x 15 000 $/100 000 $ = 14,78 x 0,15 = 2,22 %

Redevances devant être versées pour le mois visé = 14,78 % - 2,22 % = 12,56 %

Si toutes les émissions du mois sont libres de tous droits, l’escompte serait de :

A = 14,78 %                B = 100 000 $              C = 100 000 $

Escompte = 14,78 % x 100 000 $/100 000 $ = 14,78 % x 1 = 14,78 %

Redevances devant être versées : 14,78 % - 14,78 % = 0 x assiette de redevances = 0 $

C’est le résultat que voulait obtenir la Commission.

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