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Ciba-Geigy Canada Ltd. v. Novopharm Ltd.

T-2582-93 / T-2583-93

juge Rothstein

21-7-94

75 p.

Demandes d'injonctions interlocutoires enjoignant les défenderesses de ne pas commercialiser un médicament délivré sur ordonnance, d'apparence semblable à celui de la demanderesse car, à défaut d'interdiction, les défenderesses feraient de la commercialisation trompeuse (passing off), ce qu'interdit l'art. 7b) de la Loi sur les marques de commerce (causer de la confusion)-La demanderesse fabrique le «Voltaren SR 75» et le «Voltaren SR 100»-Il s'agit de deux dosages de diclofénac, appellation générique d'un agent anti-inflammatoire non-stéroïdien à propriétés analgésiques (soulagement de la douleur) et antipyrétiques (diminution de la fièvre), indiqué pour le traitement de l'arthrite rhumatoïde et de l'ostéo-arthrite, y compris l'arthrose-Certains consommateurs font du diclofénac un usage régulier-Les lettres «SR» (slow-release) indiquent que le médicament est un produit à libération lente, ce qui permet de mieux assurer que les patients prennent les médicaments qui leur sont prescrits-La demanderesse commercialise le «Voltaren SR 75» depuis 1989 et le «100» depuis 1985-Les défenderesses fabriquent des produits pharmaceutiques «génériques»-Elles ont obtenu l'approbation de la Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social pour commercialiser leurs propres comprimés de diclofénac à libération lente à la dose de 100 mg-Les comprimés de 100 mg de diclofénac à libération lente commercialisés par les défenderesses ont presque la même couleur, forme et taille que le comprimé de 100 mg de Voltaren SR de la demanderesse-Les défenderesses ont, de propos délibéré, commercialisé les comprimés d'apparence identique ou semblable à celle des fabricants d'origine-Les demandes déposées en l'espèce sont fondées sur la crainte du passing off allégué, et déposées avant que la demanderesse ne subisse effectivement un préjudice-Le dossier compte quelque 3 000 pages de preuve et plus d'une centaine de jugements et des textes de doctrine-Il s'agit de l'une des premières affaires du genre depuis l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, la Cour suprême ayant statué qu'il faut aussi tenir compte des patients qui consomment les médicaments lorsqu'il s'agit de savoir s'il y a passing off attribuable à des produits de même apparence dans le secteur pharmaceutique-Jusqu'à cet arrêt, les consommateurs visés dans les actions en passing off étaient les médecins, les dentistes et les pharmaciens-Pour les patients qui prennent des médicaments pharmaceutiques délivrés sur ordonnance, la question du passing off revêt donc un caractère de nouveauté au Canada-L'action en passing off vise à protéger toutes les personnes intéressées par le produit-Les clients ne doivent pas être trompés-L'apparence peut aider le consommateur à reconnaître un fabricant ou un produit particulier-L'apparence peut être une source d'information liée à la réputation-Il est important de donner au consommateur l'occasion d'exercer un certain contrôle sur le produit qu'il reçoit parce qu'il n'y a pas directement accès-Le changement d'apparence indiquera qu'il ne reçoit pas le même produit qu'avant-En matière de médicaments délivrés sur ordonnance, il faut traiter le passing off de la même manière que pour n'importe quel autre secteur-Le critère applicable en matière de demande d'injonction interlocutoire est celui de l'existence d'une question sérieuse à trancher: American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; Turbo Resources Ltd. c. Pétro-Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451 (C.A.)-Devant le juge des requêtes, les défenderesses font état d'une preuve abondante sous forme de nombreux contre-interrogatoires sur affidavits, faisant valoir que cela justifie l'application d'un critère plus rigoureux de l'apparence de droit-Dans l'affaire American Cyanamid, on a exclu les contre-interrogatoires sur affidavits et la preuve dont avait connaissance le juge des requêtes saisi d'une demande d'injonction interlocutoire au Royaume-Uni était donc beaucoup moins abondante qu'en l'espèce-Les défenderesses invoquent l'arrêt Chitel et al v. Rothbart et al. (1982), 60 C.P.R. (2d) 62 (C.A. Ont.), mais cet arrêt-là ne s'applique qu'aux injonctions Mareva-Les défenderesses invoquent également l'arrêt Smith, Kline & French Canada Ltd. v. Novopharm Ltd. (1983), 72 C.P.R. (2d) 197 (H.C. Ont.), affaire relevant de l'exception Woods-Les principes afférents à l'arrêt Woods ou à l'injonction Mareva, qui justifient l'exception de l'apparence de droit à la règle générale-Sans cela les défendeurs seraient tentés d'étoffer le dossier et de prolonger l'instance d'injonction interlocutoire pour ce seul motif-Si l'importance de la souplesse a été soulignée dans l'affaire Turbo Resources, et que l'on reconnaît l'exception Woods, rien ne justifie en l'espèce qu'on applique le critère de l'apparence de droit-Il n'y a pas d'exception au critère de la question sérieuse simplement parce qu'une preuve abondante a été présentée au juge de la requête saisi d'une demande d'injonction interlocutoire-RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, oú il est clairement affirmé qu'il n'est ni nécessaire, ni même souhaitable que le juge de la requête fasse un examen prolongé du fond de l'affaire, même s'il est d'avis que le demandeur sera probablement débouté au procès-Il existe une jurisprudence écrasante selon laquelle, sauf dans certains cas très particuliers, le premier critère à appliquer à une demande d'injonction interlocutoire consiste à se demander s'il y a une question sérieuse à trancher ou si l'affaire n'est pas futile ou vexatoire et qu'il y a une question importante à trancher-Bien que normalement le juge de la requête tranche sommairement le critère de la question sérieuse, les circonstances de la présente affaire (abondance de la preuve et la durée des débats) exigent un examen plus approfondi-La preuve par affidavit de la demanderesse est admissible-Les médecins et les pharmaciens peuvent témoigner sur la manière dont leurs patients et clients réagissent à l'apparence du produit pharmaceutique, et sur la question de savoir si les produits de même apparence créeront chez eux de la confusion ou les induiront en erreur-Pour établir qu'il y a passing off, la demanderesse doit pouvoir faire état d'une perte de l'achalandage, de la tromperie du public et d'un préjudice effectif ou potentiel-La question du caractère distinctif est une question de fait à trancher au vu de la preuve-(1) la demanderesse a établi qu'il y avait une question sérieuse à trancher en l'espèce-Certains patients associent l'apparence à la source commerciale-Certains patients qui reçoivent des échantillons de Voltaren SR ou à qui on délivre régulièrement ce médicament s'attendront à recevoir la même marque qu'avant et cette attente sera satisfaite s'ils reçoivent des comprimés de même apparence que ceux qu'ils ont reçu comme échantillon ou à la suite d'une ordonnance antérieure-Il y a une preuve suffisante du caractère distinctif des comprimés de la demanderesse pour établir qu'il y a une question sérieuse à trancher-Certains patients, au moment du renouvellement d'une ordonnance ou de l'exécution d'une ordonnance, après avoir reçu des échantillons, associeront l'apparence des comprimés qu'ils reçoivent à une source commerciale et il s'agit-là d'un groupe identifiable de patients qui satisfont au critère du «nombre important de patients», établi dans l'arrêt Roche Products Ltd v. Berk Pharmaceuticals, [1973] R.P.C. 473 (C.A.) et adopté dans l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc.-Bien que l'apparence d'un comprimé multicolore puisse être plus inhabituel, et plus facilement associée à une source commerciale, en l'espèce les comprimés unicolores ont acquis une telle notoriété propre que l'on peut conclure à l'existence d'une question sérieuse à trancher-Preuves selon lesquelles les pharmaciens peuvent substituer d'autres marques de produits pharmaceutiques, l'affichage dans les pharmacies ne garantit pas que les patients ne seront pas trompés par la délivrance de comprimés de même apparence-(2) Les dommages-intérêts ne seraient pas un redressement adéquat pour la demanderesse vu l'éventualité d'un préjudice irréparable-L'observation du juge Heald, J.C.A., dans l'arrêt Centre Ice Ltd. c. Ligue Nationale de Hockey (1994), 53 C.P.R. (3d) 34 (C.A.F.), selon laquelle la preuve du préjudice irréparable ne peut être inférée, est interprétée comme voulant dire que doit être appuyé par une preuve chacun des éléments, c'est-à-dire le caractère distinctif, la tromperie, la perte de l'achalandage et le préjudice irréparable non susceptible d'être indemnisé par des dommages-intérêts-Il n'est pas possible d'inférer la perte de l'achalandage d'une preuve de confusion ou d'inférer le préjudice irréparable d'une preuve de perte d'achalandage-Il doit y avoir une preuve quelconque à l'appui de chaque élément-Ce qui ne veut pas dire qu'un juge des requêtes ne peut pas faire d'inférences qui découlent raisonnablement de la preuve-Ces demandes ont été présentées quia timet-Aucune preuve réelle de préjudice, les défenderesses n'ayant pas encore mis leurs produits sur le marché-La preuve relative à une perte entraînant un préjudice irréparable [cp84d,88d]doit nécessairement être inférée-Le juge Heald ne s'opposait pas à ce que l'on fasse de telles inférences qui découlent logiquement de la preuve-Dans une action en passing off, le préjudice pertinent est la perte de l'achalandage-Dans le cadre d'une action en passing off, la demanderesse subit une baisse du chiffre d'affaires, une perte d'achalandage-La perte de réputation, découlant de la distribution de dépliants assurant les patients que leurs comprimés de diclofénac à libération lente ressemblant aux comprimés de Voltaren SR de 75 et de 100 mg proviennent de Ciba-Geigy, n'a pas été établie-La demanderesse subira une plus grosse baisse de son chiffre d'affaires si les défenderesses sont en mesure de commercialiser des comprimés de même apparence-La demanderesse subira une perte d'achalandage, une diminution de sa part de marché en raison de la commercialisation de comprimés de diclofénac à libération lente de 100 mg d'apparence identique-Aucune preuve sur la manière dont les dommages de la demanderesse pourraient être calculés si des injonctions interlocutoires n'étaient pas accordées et que la demanderesse avait gain de cause à l'instruction-On voit mal comment il serait possible de savoir dans quelle mesure la baisse du chiffre d'affaires de la demanderesse serait attribuable à une concurrence légitime et dans quelle mesure elle serait attribuable à la commercialisation trompeuse-Aucune preuve quant à la manière dont pourrait être calculée la baisse du chiffre d'affaires des défenderesses si celles-ci se voyaient interdire de commercialiser leur produit mais obtenaient gain de cause à l'instruction-Le juge des requêtes ne devrait pas imposer des conditions faisant qu'il incombe aux défenderesses, à l'instruction, de faire une preuve quant aux dommages, contrairement au principe bien établi qui veut que cette preuve incombe à la demanderesse; ce serait une ingérence inacceptable dans la conduite de l'instruction à venir si le juge des requêtes prenait sur lui de déterminer comment la preuve pourrait être présentée à l'instruction et sur qui repose le fardeau pour diverses questions-3) La prépondérance des inconvénients joue en faveur de la demanderesse-Le diclofénac à libération lente est vendu par la demanderesse depuis un certain temps alors que les défenderesses ne font que tenter de pénétrer ce marché-Le retard associé à un changement d'apparence des produits de diclofénac à libération lente, qui s'ensuivrait si les demandes d'injonction interlocutoire étaient accueillies, serait attribuable en grande partie au refus des défenderesses de se protéger en tentant d'obtenir plus tôt des approbations de la Direction générale de la protection de la santé pour les comprimés de diclofénac à libération lente d'apparence différente-Un certain poids est reconnu aux arguments voulant que le fait d'accorder des injonctions interlocutoires aurait une incidence moindre sur les défenderesses, étant donné que les demanderesses sont des compagnies de taille plus importante qui vendent plus de produits que la demanderesse et que, en outre, les défenderesses se feront concurrence pour augmenter leur part du marché-La normalisation des produits pharmaceutiques ne peut jouer en faveur des défenderesses dans l'évaluation de la prépondérance des inconvénients-La C.S.C. a établi que le droit en matière de passing off, et l'importance que les patients ne soient pas trompés à l'égard des produits pharmaceutiques qu'ils consomment, passent avant tout-Loi sur la réglementation des prix des médicaments délivrés sur ordonnance, L.R.O. 1990, ch. P. 23, art. 4(3) -R.R.O. 1990, Reg. 936, art. 1.

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