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Oswald c. Canada

T-2440-85

juge MacKay

24-2-97

34 p.

Action en dommages-intérêts découlant des souffrances et des malaises personnels et de l'incapacité qui s'en est suivie par suite de l'intervention chirurgicale buccale que le demandeur a subie en 1985, et du traitement subséquent inadéquat de son état, alors qu'il était incarcéré à l'établissement de Warkworth-Le demandeur avait demandé un rendez-vous chez le dentiste à cause d'un mal de dents-Lors de son premier rendez-vous au centre de santé de l'établissement de Warkworth, le demandeur a mentionné qu'il avait du mal à chanter certaines notes et à produire certains sons parce qu'il n'arrivait pas à étendre la langue assez loin-Le docteur Binder, un chirurgien dentiste, a brièvement examiné la langue du demandeur et lui a dit qu'il souffrait d'une brièveté anormale du frein de la langue et lui a parlé d'une «intervention assez simple», qui impliquait qu'on pratique une incision, pour améliorer son état-Le demandeur n'était pas prêt à subir cette intervention-Le demandeur a été rappelé au centre de santé en janvier 1985 pour une intervention chirurgicale visant à régler son problème de tension du frein-Après avoir parlé brièvement de l'intervention avec le dentiste, le demandeur a accepté que celui-ci pratique l'intervention-Au cours de l'intervention, le docteur Binder a utilisé un ouvre-bouche pour tenir la bouche du demandeur ouverte-Au milieu de l'intervention, après que le demandeur se fut plaint de douleurs aux muscles de la mâchoire, le docteur Binder a interrompu l'intervention brièvement-Après l'opération, il y a eu plus de saignements, d'enflure et de douleurs que prévu-Infection de la glande salivaire par suite de l'obturation d'un conduit par la cicatrice causée par l'intervention-Problèmes de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM) aggravés par l'intervention, particulièrement par l'utilisation de l'ouvre-bouche-C'est grâce aux spécialistes dont les services ont été obtenus par suite des démarches entreprises par le docteur Binder et payés par le Service correctionnel que les problèmes d'ATM ont pu être traités-Au 3 septembre 1985, les problèmes buccaux découlant de l'intervention étaient réglés, mais pas les problèmes d'articulation de la mâchoire-L'action est rejetée-(1) Comme le docteur Binder était un entrepreneur indépendant, Sa Majesté n'est pas responsable selon la common law et la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif-Le docteur Binder agissait comme sous-traitant du docteur Derumaux, avec qui il était associé au sein du même cabinet de dentistes-Le docteur Derumaux avait conclu avec le Service correctionnel un contrat de fourniture de services dentaires aux détenus de Warkworth-Il n'existait pas de contrat écrit formel entre Sa Majesté et le docteur Binder-Il n'existait pas d'entente écrite entre les deux dentistes-Il n'existe pas de disposition législative qui modifie l'application des règles de common law selon lesquelles la personne qui contracte avec un entrepreneur indépendant pour obtenir l'exécution de ses services n'est pas responsable des actes ou des omissions de l'entrepreneur à moins que le commettant ne soit lui-même tenu à un devoir de prudence indépendant qui ne peut être délégué ou confié à un entrepreneur indépendant, et que l'on conclue qu'il y a eu manquement à ce devoir dans des circonstances dans lesquelles ce manquement cause le préjudice en question ou y contribue-L'obligation de la Couronne envers le demandeur en tant que détenu de Warkworth consistait à prendre raisonnablement soin de sa santé et de sa sécurité alors qu'il était en détention-Pour ce qui est des services dentaires et médicaux, l'art. 16 du Règlement sur le service des pénitenciers prévoit que tout détenu doit bénéficier des «soins médicaux et dentaires essentiels» dont il a besoin-Sa Majesté a raisonnablement respecté l'obligation qu'elle avait envers le demandeur en concluant des contrats avec des médecins et des dentistes qualifiés en vue d'obtenir leurs services professionnels, tant à Warkworth qu'à l'extérieur de celui-ci, et en dispensant des soins au centre de santé de l'établissement, et des services à l'établissement et à l'extérieur de celui-ci au sein de la population générale-Sauf si la personne qui rend le service est un préposé de la Couronne, celle-ci n'est pas responsable du fait d'autrui pour les actes de négligence du médecin en cause-La responsabilité de la Couronne n'est pas engagée du fait de la responsabilité personnelle de toutes les personnes qui rendent des services à titre d'entrepreneurs indépendants, que les soins soient donnés à l'intérieur ou à l'extérieur de l'établissement-Imposer à Sa Majesté l'obligation générale de s'assurer que les services professionnels médicaux ou dentaires sont rendus sans négligence placerait Sa Majesté dans la position d'un assureur des services médicaux fournis par des entrepreneurs indépendants-Les circonstances ne sauraient être interprétées de manière à engager la responsabilité de Sa Majesté en tant qu'assureur-(2) Comme le docteur Binder n'a pas été constitué défendeur à la présente action, toute évaluation défavorable ne vaut que pour la présente affaire-Le docteur Binder a commis une négligence dans la façon dont il a effectué l'opération chirurgicale en raison du manque de jugement professionnel dont il a fait preuve en décidant de procéder à l'intervention, du fait qu'il n'a pas renseigné suffisamment le patient avant de pratiquer l'intervention pour s'assurer de son consentement éclairé, et de la procédure suivie-Le docteur Binder a également manqué à son obligation de dispenser des soins raisonnables après l'intervention chirurgicale, mais uniquement en raison du fait qu'il a attendu un mois ou plus pour envoyer le demandeur voir des spécialistes pour une consultation et des traitements-Le docteur Binder a pratiqué l'intervention sans avoir procédé à d'autres évaluations cliniques que son bref examen de la langue-Il a accepté les préoccupations que le demandeur avait lui-même exprimées au sujet de sa difficulté à chanter certaines notes pour justifier sa conclusion que le demandeur avait un problème causé par une tension du frein de la langue-Le docteur Binder n'a décelé aucun problème d'élocution chez le demandeur-Il n'avait jamais pratiqué une telle intervention-Il était de son devoir d'informer le demandeur avant l'intervention non seulement des conséquences possibles, mais également de l'existence de risques sérieux-Le docteur Binder n'a pas respecté la norme de prudence applicable en matière de divulgation des effets possibles de l'intervention chirurgicale-Pour pouvoir exciper du consentement du demandeur comme moyen de défense, il faut présenter des éléments de preuve au sujet de la manière dont la norme de prudence serait appliquée par d'autres membres de la profession dans les mêmes circonstances-Aucun élément de preuve n'a été présenté pour démontrer la norme professionnelle applicable en matière de divulgation ou pour établir que le docteur Binder l'avait respectée-L'inexpérience du docteur Binder ne diminue pas la norme de prudence à laquelle il était tenu envers le demandeur-Les seuls éléments de preuve soumis à la Cour sont le témoignage de deux dentistes généralistes qui n'auraient pas entrepris une telle intervention-Le docteur Binder reconnaît lui-même que, s'il avait su au moment de l'intervention ce qu'il sait maintenant, il n'aurait pas traité le demandeur de la même façon-Le fait de ne pas avoir procédé à une évaluation clinique approfondie avant de pratiquer l'intervention est un facteur qui a contribué aux complications survenues après l'opération-L'utilisation d'un ouvre-bouche pendant une période prolongée a aggravé les problèmes d'ATM dont souffrait déjà le demandeur-Le docteur Binder a manqué à son devoir de prudence professionnel envers le demandeur en n'adressant pas le demandeur à des spécialistes pour qu'il les consulte et reçoive des traitements alors qu'il était évident que les complications survenues après l'opération persistaient-Le retard n'a pas causé des problèmes mais a contribué à ce qu'ils durent plus longtemps que cela n'aurait été le cas si le demandeur avait pu recevoir plus tôt les mêmes services des spécialistes-(3) Compte tenu des sommes accordées dans d'autres affaires pour des lésions à la bouche et à la mâchoire, si elle a tort en ce qui concerne la responsabilité de Sa Majesté, la Cour évaluerait les dommages-intérêts généraux à 15 000 $, plus les intérêts antérieurs au jugement en conformité avec l'art. 31 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif-Ces dommages-intérêts se rapportent aux souffrances et aux malaises personnels généraux découlant de l'intervention elle-même, de l'infection de la glande sous-maxillaire gauche et de son conduit qui en a découlé, et de l'atrophie ultérieure de la glande, des complications relatives à l'ATM et des autres interventions chirurgicales et traitements entrepris pour traiter et corriger les problèmes causés par l'opération pratiquée par le docteur Binder-Il n'y a aucune raison d'envisager la possibilité d'accorder des dommages-intérêts spéciaux ou des dommages-intérêts punitifs-À ce dernier chapitre, la négligence commise en l'espèce découle d'une erreur de jugement et non d'un comportement dur, vengeur, répréhensible ou malicieux-Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., ch. 1251, art. 16-Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 2, 3, 10, 31, (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 31).

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