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Pratique

Actes de procédure

Requête en radiation

Requête en vue de radier la déclaration des demandeurs, sans autorisation de la modifier, déposée par les défendeurs pour le motif que la déclaration n’a révélé aucune cause d’action valable, en application de la règle 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 — Les demandeurs sont quinze enfants et jeunes de partout au Canada — La déclaration exposait le vécu de chacun des demandeurs en ce qui concerne le changement climatique — Bien qu’ils ne vivent pas tous au même endroit et que la situation de chacun soit différente, les demandeurs étaient unanimes quant aux effets négatifs du changement climatique sur leur santé physique, mentale et sociale ainsi que sur leur bien-être; ils ont allégué que le changement climatique a accentué la menace qui pèse sur les endroits où ils habitent, sur leur patrimoine culturel et sur leurs espoirs et aspirations pour l’avenir — Ils ont affirmé qu’en tant qu’enfants et jeunes, ils sont particulièrement vulnérables face au changement climatique en raison de leur stade de développement, de leur exposition accrue au risque et d’une prédisposition générale — La déclaration des demandeurs a porté tout particulièrement sur la contribution des gaz à effet de serre (GES) au changement climatique; elle a abordé le lien entre les effets cumulatifs des GES et les changements qui se produisent dans l’environnement; elle a mis en question l’ensemble du comportement présumé des défendeurs, comportement que les demandeurs associent aux émissions de GES — Le caractère justifiable de l’allégation était en cause ainsi que la question de savoir si les demandeurs ont soulevé des causes d’action valides en application des art. 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés — De plus, les parties ne s’entendaient pas sur l’opportunité de se fonder sur la « doctrine de la fiducie d’intérêt public » et d’utiliser celle-ci à l’instruction, selon la common law ou en tant que principe constitutionnel non écrit — Les demandeurs ont allégué que le comportement des défendeurs continue de causer, de favoriser et d’autoriser des émissions de GES incompatibles avec un [traduction] « système climatique stable »; ils ont avancé que le comportement reproché a porté atteinte de façon injustifiable à leurs droits (et aux droits des enfants et des jeunes au Canada) garantis par les art. 7 et 15 de la Charte — Ils ont ajouté que les défendeurs ne s’étaient pas acquittés de leurs obligations de fiducie publique en ce qui concerne les ressources publiques mentionnées, faisant valoir un manquement aux obligations qui, selon eux, relève de la « doctrine de la fiducie d’intérêt public » — Les demandeurs ont sollicité diverses formes de réparation, notamment une ordonnance déclarant que les défendeurs ont l’obligation, en application de la common law et de la constitution, d’agir d’une manière compatible avec le maintien d’un système climatique stable — Il s’agissait de savoir s’il était évident et manifeste que les actes de procédure ne révélaient aucune cause d’action valable ou que la demande n’avait aucune possibilité raisonnable d’être accueillie — Pour le déterminer, il fallait répondre à quatre sous-questions, soit celles de savoir si les revendications étaient justiciables; si la revendication fondée sur l’art. 7 de la Charte révélait une cause d’action valable; si la revendication fondée sur l’art. 15 de la Charte révélait une cause d’action valable; si la revendication fondée sur une « doctrine de la fiducie d’intérêt public » révélait une cause d’action valable — Les deux revendications formulées au titre des art. 7 et 15 n’étaient pas justiciables, mais la question liée à la doctrine de la fiducie d’intérêt public était justiciable — La justiciabilité porte sur le rôle qui revient à la Cour dans le cadre constitutionnel du Canada et sur la ligne de démarcation « traditionnelle » à respecter entre les pouvoirs des tribunaux et des autres branches de l’État; c’est une notion qui s’attache à l’objet du différend; il s’agit de décider si l’on est en présence d’une question qu’il convient de faire trancher par un tribunal — Les demandeurs ont soutenu que leur demande, quoique de nature systémique et complexe, n’était pas non justiciable pour autant; que le fait de demander à la Cour de déclarer que le comportement des défendeurs est inconstitutionnel était une question justiciable pour laquelle les tribunaux disposent tout à fait des attributions institutionnelles et de la légitimité requises, mais cette thèse n’a pas été retenue — La thèse des demandeurs n’a pas résisté au fait que certaines questions sont de nature si politique que les cours de justice sont incapables d’en traiter ou sont mal placées pour le faire; il s’agit notamment de questions d’interprétation fondée sur l’ordre public, c’est-à-dire d’interprétation à l’égard d’enjeux sociétaux importants — Pour faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte, les réponses politiques doivent se traduire par une mesure législative ou un acte de l’État — Une politique gouvernementale ou un ensemble de programmes gouvernementaux peut faire l’objet d’un examen fondé sur la Charte, mais l’approche des demandeurs consistant à reprocher aux défendeurs un nombre trop vaste et indéterminable d’actions et d’inactions ne respectait pas cette condition préliminaire et constituait effectivement une tentative d’examiner en fonction de la Charte une réponse politique globale en matière de changement climatique — La conclusion quant à la justiciabilité était appuyée à la fois par l’ampleur excessive et le caractère diffus du comportement reproché et par les réparations inadéquates recherchées par les demandeurs — Le caractère diffus du comportement reproché, tel qu’il a été exposé par les demandeurs, a effectivement mis en cause l’intégralité de la réponse politique globale du Canada en matière de changement climatique — La thèse des demandeurs minait cette fonction d’examen fondé sur la Charte, dont le but est de s’assurer de la constitutionnalité des mesures législatives et des actes de l’État, si les évaluations de violation de la Charte ne pouvaient être liées de manière précise à une mesure législative ou un acte de l’État — De plus, le caractère diffus de la demande qui ciblait tous les comportements engendrant des gaz à effet de serre ne pouvait pas être qualifié autrement qu’en donnant à penser que les demandeurs ont cherché à faire intervenir les tribunaux dans la réponse politique globale du Canada en matière de changement climatique — Lorsque les choix politiques se traduisent par une mesure législative ou un acte de l’État, cette mesure ou cet acte ne doit pas porter atteinte aux droits constitutionnels des demandeurs — C’est donc précisément la mesure législative ou l’acte de l’État (ou peut-être un ensemble de mesures législatives ou d’actes de l’État) qui fait l’objet d’un examen fondé sur la Charte et qui est à la base du reste de l’analyse fondée sur la Charte — Bien que les réparations fondées sur la Charte ressemblent à première vue à des recours judiciaires, les demandeurs n’ont pas tenu compte du fait que le contexte général de la mesure de redressement demandée, en lien avec l’ampleur excessive de la revendication, a fait jouer à la Cour un rôle dépassant les limites imposées par la justiciabilité — Malgré l’existence d’un grand nombre de réparations fondées sur la Charte, les mesures de réparation proposées en l’espèce n’étaient pas légitimes dans le cadre de démocratie constitutionnelle du Canada — Le jugement déclaratoire, en lien avec une conclusion selon laquelle on a porté atteinte de façon injustifiable aux droits des demandeurs garantis par les art. 7 et 15 de la Charte et que les défendeurs n’ont pas respecté la doctrine de la fiducie d’intérêt public, n’aborde pas les préjudices sous-jacents créés par la mesure législative ou l’acte de l’État — L’ampleur du comportement reproché assujetti à l’examen a fait en sorte qu’on a demandé à la Cour de mener une enquête publique afin de juger de l’efficacité de l’approche globale des défendeurs en matière de changement climatique — La réparation convenable et juste dans le contexte d’une demande fondée sur la Charte fait appel à des moyens légitimes dans le cadre de notre démocratie constitutionnelle — Bien qu’il puisse être nécessaire d’innover et de créer des réparations afin de tenir compte des besoins en cause, ce n’était pas le cas en l’espèce — La déclaration n’a révélé aucune cause d’action valable — Sur la base des actes de procédure, les revendications au titre des art. 7 et 15 de la Charte, tout comme la revendication en lien avec la doctrine de la fiducie d’intérêt public, n’avaient aucune chance raisonnable de succès — Plus précisément, l’ampleur excessive et le caractère diffus du comportement reproché ne permettaient pas d’étayer une analyse au titre de l’art. 7 de la Charte — Les demandeurs n’ont pas fait ressortir de distinction fondée sur un acte de l’État ou une mesure constitutionnelle, ce qui est nécessaire pour une analyse au titre de l’art. 15 de la Charte — De plus, l’existence de la doctrine de la fiducie d’intérêt public, ainsi que l’ont alléguée les demandeurs, n’est pas fondée en droit canadien — Il était évident et manifeste que les revendications liées à la doctrine de la fiducie d’intérêt public n’ont révélé aucune cause d’action valable — Requête accueillie.

La Rose c. Canada (T-1750-19, 2020 CF 1008, juge Manson, motifs du jugement en date du 27 octobre 2020, 38 p.)

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