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[2021] 4 R.C.F. F-14

GRC

Voir aussi : Droit administratif

Contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre de dernier niveau dans le cadre du système de règlement des griefs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) — Un membre de la GRC a soumis des reçus correspondant à une « procréation médicalement assistée homme‑femme » effectuée par suite de son infertilité masculine — L’arbitre ne lui a accordé que le remboursement des frais de l’injection intracytoplasmique d’un spermatozoïde (IICS), lui refusant celui des frais liés à la fécondation in vitro (FIV) parce que les interventions avaient été effectuées sur son épouse, qui n’était pas membre de la GRC — Le demandeur est membre de la GRC — Il est marié, et son épouse n’est pas membre de la GRC — En 2012, le demandeur a appris qu’il souffrait d’infertilité masculine — Le demandeur et son épouse ont subi des traitements de fécondation médicalement assistée — Ils ont recouru à la méthode de procréation médicalement assistée appelée FIV, par IICS — Le demandeur a soumis des demandes de remboursement de dépenses totalisant 35 710 $ pour le traitement de fécondation, soit 28 400 $ pour la FIV, et 6 770 $ pour l’IICS effectuée sur lui — La GRC a informé le demandeur que le remboursement de 6 770 $ pour l’IICS effectuée sur lui avait été approuvé, mais pas celui de la FIV — Le demandeur a déposé un grief au premier niveau — Il a fait valoir que le refus de remboursement de la FIV était contraire à la politique de la GRC, qui couvre la « procréation médicalement assistée homme‑femme » — Subsidiairement, il a affirmé que, si la politique était interprétée comme excluant le remboursement de la FIV aux membres de sexe masculin, alors elle était contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6, pour cause de discrimination fondée sur le sexe et la déficience — Un arbitre de premier niveau a rejeté le grief au motif que le demandeur n’avait pas établi, suivant la prépondérance de la preuve, que le refus de remboursement était contraire aux lois et politiques applicables et qu’il avait de ce fait subi un préjudice — Le demandeur a porté son grief au dernier niveau du processus de règlement des griefs, dans le cadre duquel la décision de l’arbitre de premier niveau a été confirmée — La question préliminaire était de savoir s’il fallait ou non admettre un document annexé à l’affidavit du demandeur alors même qu’il ne figurait pas dans le dossier; la question principale était de savoir si la décision de l’arbitre de dernier niveau était raisonnable et conforme à l’équité procédurale — En l’espèce, le demandeur a déposé son propre affidavit, qui contenait une décision de l’arbitre de premier niveau de la GRC se rapportant aux frais médicaux du caporal X, datée de janvier 2016 et annexée comme pièce H à l’affidavit du demandeur — Dans son affidavit, le demandeur a écrit qu’en décembre 2020, il a eu connaissance d’une décision antérieure dans laquelle la GRC avait fait droit au remboursement des dépenses de FIV d’un membre de sexe masculin; cette décision, qui accordait au caporal X un remboursement pour les mêmes interventions médicales, était d’une importance cruciale pour le grief du demandeur — Le défendeur a fait valoir que la pièce annexée à l’affidavit n’avait pas été soumise au décideur et qu’elle n’était pas visée par les exceptions reconnues autorisant la production de nouvelles preuves dans une procédure de contrôle judiciaire, énumérées dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, et qu’elle ne devrait donc pas être admise — La décision Caporal X intéressait directement l’affaire en l’espèce — L’arrêt Association des universités est la décision de principe à consulter pour déterminer le contenu du dossier qui servira dans un contrôle judiciaire — En règle générale, le dossier de la preuve qui est soumis à la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait la Commission, mais il y a quelques exceptions à la règle générale qui interdit à la Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire — L’application de ces principes au document annexé à l’affidavit du demandeur n’était pas chose aisée, puisque, bien que ce document soit essentiel et qu’il intéresse le processus décisionnel, il ne figurait pas au dossier — En outre, ce document était, semble‑t‑il, en la seule possession du défendeur, et il n’était pas accessible au demandeur — La décision Caporal X entre dans une exception Access Copyright à l’irrecevabilité générale de nouveaux éléments de preuve dans un contrôle judiciaire parce qu’il est contraire à l’équité procédurale qu’elle n’ait pas figuré dans le dossier soumis au décideur — La décision Caporal X entre dans l’exception concernant l’équité procédurale; il était donc nécessaire d’admettre les pièces annexées à l’affidavit, parce que le fait que la décision Caporal X n’ait pas figuré dans le dossier soumis au décideur constituait un manquement à l’équité procédurale — Ainsi, eu égard à ces circonstances très particulières, il était nécessaire d’admettre en preuve la décision Caporal X dans le présent contrôle judiciaire, même si elle était absente du dossier soumis au décideur, afin que la Cour puisse remplir son rôle d’organe de rectification des manquements à l’équité procédurale — D’après l’information en l’espèce, il est certain que le décideur n’a pas pris la décision Caporal X en considération alors qu’il lui appartenait de la connaître, et qu’elle n’était sans doute pas de notoriété publique — S’il ressort de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, qu’un décideur administratif n’est pas lié par sa décision antérieure suivant le principe de l’autorité de la chose jugée, les décideurs administratifs et les cours de révision doivent toutefois se soucier de l’uniformité générale des décisions administratives — Les personnes visées par les décisions administratives sont en droit de s’attendre à ce que les affaires semblables soient généralement tranchées de la même façon et que les résultats ne dépendent pas seulement de l’identité du décideur — En l’espèce, le point de savoir quelles interventions médicales devraient être remboursées était pour l’essentiel identique au point soulevé dans l’affaire Caporal X — Ainsi, bien que le décideur ne soit pas lié par la décision Caporal X, s’il décide de s’en écarter, cela pourrait jeter un doute quant à savoir si cette décision respecte la norme de l’uniformité générale des décisions administratives et le droit des administrés de s’attendre à ce que les mêmes affaires reçoivent le même traitement — Bien que la décision Caporal X ne soit clairement pas un précédent et qu’il ne soit pas obligatoire de la suivre au titre du principe de l’autorité de la chose jugée, elle constitue une information dont l’arbitre devait tenir compte pour que soit appliquée uniformément la politique relative à la couverture santé des membres — Compte tenu des circonstances de la présente affaire, l’arbitre était tenu d’appliquer la politique uniformément; en conséquence, l’affidavit et ses annexes devaient être déclarés admissibles pour éviter tout manquement à l’équité procédurale — Il se pourrait que la décision Caporal X relève d’une autre exception, c’est‑à‑dire qu’elle pourrait être utilisée pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée, à savoir qu’il n’a pas été établi que les membres femmes de la GRC se voyaient rembourser à la fois l’IICS et la FIV, à moins que ces deux interventions ne soient effectuées sur celle qui en réclamait le remboursement — Puisque le caporal X — un membre de la GRC de sexe masculin — s’est vu rembourser l’IICS et la FIV, alors qu’il avait seulement subi une IICS (comme c’est le cas pour le demandeur), on devait en déduire que le décideur a tiré sa conclusion en l’absence de toute preuve — En ce qui concerne la décision de l’arbitre de dernier niveau, est implicite dans les principes de l’arrêt Vavilov, à savoir celui de l’uniformité générale des décisions administratives et celui du traitement analogue, l’idée selon laquelle le décideur administratif doit se garder de tirer des conclusions factuelles qui sont en contradiction avec l’information qu’il a en sa possession, ou qu’il devrait avoir en sa possession, et qu’il doit adéquatement expliquer, différencier ou analyser les décisions semblables qui ont conduit à des résultats contradictoires — Dans un cas comme celui‑ci, où deux situations factuelles comparables n’ont pas été traitées de la même façon, et où le demandeur — ou un autre membre comme lui — n’aurait pas connaissance et ne pourrait avoir connaissance de cette différence de traitement, une telle disparité allait à l’encontre de l’équité procédurale ou pourrait être jugée déraisonnable au motif qu’elle ne saurait se justifier — Comme la décision Caporal X ne figurait pas dans le dossier soumis au décideur de dernier niveau, la décision de ce dernier était entachée d’un manquement à l’équité procédurale parce que cette absence a privé le demandeur de la possibilité de faire valoir pleinement son point de vue — Dans ce cas très particulier, où un document dont le décideur avait, ou aurait dû avoir, la connaissance et la possession était exclu de sa délibération, et où la décision rendue était en totale contradiction avec ce document, cette décision était contraire à l’équité procédurale à laquelle avait droit le demandeur et était déraisonnable — La décision était déraisonnable parce qu’elle n’était pas fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et qu’elle n’était pas justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti — Cette conclusion a tranché l’affaire, qui a été renvoyée à un autre décideur pour réexamen, sous réserve des observations complémentaires des parties — Demande accueillie.

Dhaliwal c. Canada (Procureur général) (T-114-21, 2021 CF 1480, juge McVeigh, motifs du jugement en date du 29 décembre 2021, 17 p.)

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