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[2022] 1 R.C.F. F-4

Éthique

Sujets connexes : Citoyenneté et Immigration; Fonction publique

Appel du jugement par lequel la Cour fédérale (2019 CF 1215) a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant à l’égard de la décision rendue par le commissaire à l’intégrité du secteur public — L’appelant, un agent principal des programmes à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), a fait trois divulgations — Dans sa décision, le commissaire a décidé de ne pas enquêter sur les allégations d’actes répréhensibles faites par l’appelant en vertu de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (Loi), dans lesquelles l’appelant a allégué avoir été témoin d’actes répréhensibles de la part de fonctionnaires de l’ASFC et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et d’un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa version qui était en vigueur du 17 avril 2009 au 5 février 2014 — Seulement deux divulgations étaient en cause dans le présent appel — La première divulgation visée par l’appel (divulgation 335) concernait le renvoi comme tel, par suite des efforts combinés de fonctionnaires d’IRCC et de l’ASFC, d’une personne détenue qui avait obtenu la citoyenneté canadienne par fraude — L’appelant a soutenu que cette personne ne pouvait être renvoyée du Canada parce qu’il fallait que sa citoyenneté canadienne soit d’abord révoquée suivant la procédure officielle de révocation prévue dans la Loi sur la citoyenneté — Il a soutenu que, bien que cette procédure ait été lancée, les fonctionnaires ont décidé de ne pas y donner suite et ont choisi de procéder au renvoi de la personne — La deuxième divulgation en cause (divulgation 336) concernait la décision de fonctionnaires d’IRCC de retarder, en raison de préoccupations liées à l’interdiction de territoire, la délivrance de documents de voyage à deux résidents permanents qui étaient parties à une instance devant la Section d’appel de l’immigration (SAI) et qui souhaitaient revenir au Canada — Selon l’appelant, les personnes avaient droit à ces documents en vertu de la LIPR et il n’y avait en droit aucune raison d’en retarder la délivrance — L’appelant a soutenu, plus particulièrement, que les fonctionnaires ayant pris part à ces décisions ont commis des actes répréhensibles au sens de l’art. 8a) de la Loi en contrevenant à une loi fédérale; que la conduite divulguée équivalait à une conduite criminelle interdite par l’art. 126(1) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 et, dans le seul cas de la divulgation 336, à une conduite interdite par l’art. 129(1)a) de la LIPR — Le commissaire a refusé de commencer une enquête sur ces divulgations; il a conclu qu’il était opportun, au sens de l’art. 24(1)f) de la Loi, de ne pas y donner suite étant donné qu’il ne semblait y avoir eu aucun acte répréhensible dans l’un ou l’autre cas — La Cour fédérale a refusé de modifier la décision du commissaire — Elle a signalé que la procédure qu’il convenait d’appliquer pour traiter de la validité juridique de la décision de renvoi et de la décision de ne pas délivrer de documents de voyage était le contrôle judiciaire et non le mécanisme de divulgation prévu par la Loi — Elle a dit être convaincue que le refus du commissaire de prendre d’autres mesures en l’espèce était raisonnable, signalant que les décisions prises par le commissaire en vertu des art. 8 et 24 de la Loi devaient faire l’objet d’une grande retenue, compte tenu du vaste pouvoir discrétionnaire que le législateur a accordé au commissaire — L’appelant a soutenu que la décision du commissaire de ne pas enquêter sur les divulgations 335 et 336 était déraisonnable — Il s’agissait de savoir si la décision du commissaire était raisonnable et, plus précisément, si la conclusion du commissaire selon laquelle aucun acte répréhensible n’a été commis était raisonnable; le cas échéant, s’il était raisonnablement loisible au commissaire de ne pas enquêter sur les divulgations en cause — Un contrôle de novo du caractère raisonnable de la décision du commissaire a mené à la conclusion qu’il n’y avait aucune raison de modifier celle-ci — Cette décision a été motivée par le fait qu’aucun acte répréhensible au sens de l’art. 8 de la Loi n’a été commis dans les circonstances énoncées soit dans la divulgation 335, soit dans la divulgation 336 — De l’avis du commissaire, la plainte de l’appelant était de la nature d’un désaccord quant à la façon dont la Loi sur la citoyenneté et la LIPR ont été appliquées dans deux cas au contexte factuel précis — L’appelant a fait valoir que toute erreur de droit ou toute erreur mixte de fait ou de droit qu’auraient commise des fonctionnaires dans l’application d’une loi ou d’un règlement équivalait à une « contravention d’une » loi (ou d’un règlement), déclenchant ainsi l’obligation du commissaire d’enquêter lorsque l’erreur n’est pas contestée judiciairement — L’interprétation de l’art. 8a) de la Loi avancée par l’appelant était une interprétation aux conséquences importantes que le commissaire avait raisonnablement le droit de rejeter — Le sens ordinaire de l’expression « la contravention d’une » à l’art. 8a) de la Loi (« contravention of » dans la version anglaise) exprime généralement une idée de manquement, d’infraction, de violation, de transgression, d’intrusion ou d’atteinte — Le terme utilisé dans la version anglaise exprime la même idée — On pourrait raisonnablement dire que cela peut difficilement englober le concept d’erreurs susceptibles de révision ou d’appel — Le fait de commettre ce genre d’erreur, d’une part, et celui de transgresser, d’enfreindre ou de violer une loi, d’autre part, n’impliquent généralement pas la même connotation juridique — Les tribunaux de révision sont appelés à revoir presque quotidiennement des actes administratifs — Compte tenu du texte de l’art. 8a) de la Loi, il était peu probable que le législateur ait voulu que les erreurs susceptibles d’examen ou d’appel soient des « actes répréhensibles » ou que le commissaire ait une sorte de pouvoir de substitution d’examiner la légalité d’une action gouvernementale dans les affaires où la personne directement touchée n’aurait institué aucune contestation judiciaire contre une telle action — Le contexte n’appuyait pas non plus la vision élargie prônée par l’appelant — L’examen des débats parlementaires qui ont mené à l’adoption de la Loi montrait clairement que la loi (le projet de loi C-11 à l’époque) visait les actes répréhensibles « graves » et non pas n’importe quel type d’acte répréhensible — Aux yeux des parlementaires, le projet de loi C-11 ne concernait pas seulement les divulgations, mais il visait surtout à protéger les fonctionnaires qui estiment que des actes répréhensibles graves ont été commis et qui souhaitent les divulguer — Rien dans les débats parlementaires n’indique que les défenseurs du projet de loi C-11 souhaitaient que la notion d’« acte répréhensible » soit élargie pour inclure le concept d’erreurs susceptibles de révision ou d’appel — La présence de l’art. 9 de la Loi, qui expose le fonctionnaire fautif à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement, indépendamment de toute autre peine prévue par la loi, est un autre indice — Cela montre encore une fois que la conduite envisagée par le législateur à l’art. 8a) se rapproche davantage du comportement pénal ou quasi pénal que de la notion d’erreurs susceptibles de révision ou d’appel — Il est en effet tout à fait concevable que la conduite associée aux actes répréhensibles prévus aux art. 8b) à e) de la Loi (usage abusif des fonds publics, cas graves de mauvaise gestion, acte ou omission créant un risque grave pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, etc.) puisse donner lieu à des sanctions ou à des mesures disciplinaires — Toutefois, ce lien devient moins évident en ce qui concerne l’art. 8a) de la Loi — En résumé, la position adoptée par le commissaire reposait sur une interprétation raisonnable de l’art. 8 de la Loi, lorsque lu dans son contexte — Contrairement à l’argument de l’appelant, l’interprétation téléologique de cette disposition ne modifiait pas le caractère raisonnable de cette position — L’appelant a soutenu que la position du commissaire en l’espèce venait contrarier l’objectif déclaré du législateur de maintenir et de renforcer la confiance du public dans l’intégrité des fonctionnaires — Le mot clé de l’objectif déclaré est « intégrité », mais le sens ordinaire de ce terme renvoie à la notion de rectitude morale — Il serait raisonnablement compréhensible que l’on n’associe pas immédiatement la notion d’intégrité au fait de commettre une erreur susceptible de révision ou d’appel — Tout cela s’applique également à l’allégation d’acte répréhensible fondée sur l’art. 8e) — Les questions soulevées dans les deux cas de divulgation relevaient clairement du domaine de ce qui est généralement qualifié, en droit administratif, d’erreurs de droit ou mixtes de fait et de droit alléguées (et susceptibles de contrôle judiciaire ou d’appel) — Il était donc raisonnablement loisible au commissaire de conclure que ni l’une ni l’autre divulgation n’a révélé un acte répréhensible au sens de l’art. 8 de la Loi, car on ne pouvait raisonnablement dire qu’il s’agissait dans l’un ou l’autre cas d’une conduite normalement associée à une infraction à la loi ou à un manquement grave à un code de déontologie — Le commissaire a plutôt conclu que ces allégations étaient de la nature d’un désaccord quant à la manière d’interpréter la LIPR et la Loi sur la citoyenneté et de les appliquer à ces deux cas au contexte factuel précis; que des recours juridiques étaient ouverts aux personnes directement touchées par la conduite faisant l’objet des plaintes de l’appelant — Par conséquent, il n’a pas semblé au commissaire qu’un acte répréhensible au sens de la Loi avait été commis — Le commissaire pouvait raisonnablement tirer cette conclusion — Le commissaire avait le droit de ne pas donner suite aux divulgations en cause — Selon l’art. 22b) de la Loi, il incombe au commissaire de recevoir, de consigner et d’examiner les divulgations d’actes répréhensibles afin d’établir s’il existe des motifs suffisants pour y donner suite — C’est ce que le commissaire a fait en l’espèce — L’art. 24(1)f) de la Loi a été interprété comme reconnaissant la possibilité de chevauchement entre les motifs pour lesquels le commissaire pourrait refuser de donner suite à une divulgation qui sont énoncés aux art. 24(1)a) à e) et ceux prévus à l’art. 24(1)f) — On pouvait difficilement reprocher au commissaire d’avoir eu recours à l’art. 24(1)f) de la Loi de la manière permise jusqu’à présent par la jurisprudence de la Cour fédérale — Le rôle de la Cour n’est pas de procéder à une nouvelle analyse de la question ni de se demander quelle aurait été la bonne décision — Son rôle, dans une affaire comme celle-ci, consiste à déterminer si l’interprétation qui découle de la décision du décideur s’inscrit dans un éventail des issues possibles et acceptables — L’interprétation qui découlait de la décision du commissaire s’inscrivait dans un éventail des issues possibles et acceptables — L’interprétation plus étroite de l’art. 24(1)f) prônée par l’appelant aurait pour effet, contrairement à l’intention du législateur, surtout lorsque l’art. 24(1) de la Loi est lu conjointement avec l’art. 22b), de restreindre indûment le pouvoir discrétionnaire du commissaire de ne pas enquêter sur une divulgation dans une affaire comme celle-ci — L’appelant n’a pas réussi à établir que, compte tenu de son texte, de son contexte et de son objet, l’art. 24(1)f) de la Loi ne permettait que sa propre interprétation étroite et interdisait tout chevauchement avec les alinéas précédents — L’exercice par le commissaire de son pouvoir discrétionnaire était bien ancré dans le libellé de la Loi, lue dans son contexte et en fonction de son objet; il permettait raisonnablement de conclure qu’il y avait une raison valable de ne pas enquêter sur les divulgations en cause — Il aurait été souhaitable que le commissaire fournisse des motifs plus détaillés, mais ses motifs de décision fournissaient, en l’espèce, une justification intelligible et transparente — Appel rejeté.

Burlacu c. Canada (Procureur général) (A-407-19, 2022 CAF 10, juge LeBlanc, J.C.A., motifs du jugement en date du 19 janvier 2022, 31 p.)

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