NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
Peuples autochtones
Obligation de consulter
Demandes de contrôle judiciaire de l’Entente de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale de la Nation métisse de Alberta (l’Entente) entre le Canada et la Nation métisse en Alberta (la NMA) visant à reconnaître l’autonomie gouvernementale de la collectivité dénommée « Nation métisse en Alberta » — La NMA, fondée en 1932, a obtenu une assise territoriale pour les Métis de l’Alberta, qui prenait à l’époque la forme de « colonies », aujourd’hui appelées « établissements » — La NMA représente ses membres sur le plan politique, notamment dans leurs relations avec les gouvernements du Canada et de l’Alberta — La Metis Settlements Act, R.S.A. 2000, ch. M-14 met de côté des terres pour huit établissements métis — Chaque établissement est régi par un conseil élu et est représenté au sein du Conseil général des établissements métis (le Conseil) — La demanderesse l’Association de la Nation Fort McKay s’est dissociée complètement de la NMA — La Nation métisse en Alberta comprend non seulement les membres (ou citoyens) de la NMA, mais également toutes les personnes considérées comme métisses — Des négociations entre la NMA, le Conseil et le Canada ont mené à des protocoles d’entente — La NMA et le Canada ont signé l’Entente en 2023 — L’Entente est un contrat qui lie les parties — L’Entente est une reconnaissance de certains aspects du droit à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale de la Nation métisse en Alberta — La définition de « Nation métisse en Alberta » dans l’Entente inclut non seulement les citoyens inscrits de la NMA, mais aussi des « communautés métisses », qui peuvent être composées de citoyens et de non-citoyens — L’article 6.06 de l’Entente confère au gouvernement métis (ou à la NMA) le droit exclusif de représenter la Nation métisse en Alberta, en ce qui a trait à l’autonomie gouvernementale en général, à la consultation et à l’accommodement en lien avec les droits protégés par l’article 35 et les [traduction] « revendications collectives en suspens », en particulier celles qui sont liées au système de délivrance de certificats — Les demandeurs ont allégué que le Canada ne les avait pas consulté avant de conclure l’Entente — Ils ont revendiqué les droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 indépendamment de la NMA — Il s’agissait de déterminer principalement si le Canada a consulté les demandeurs lors de la négociation de l’Entente avec la NMA — Le Canada n’a pas consulté les demandeurs — Les trois éléments du critère permettant de conclure à l’existence d’une obligation de consulter sont : 1) la connaissance par la Couronne, réelle ou imputée, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral; 2) la mesure envisagée de la Couronne; et 3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral — Le Canada a reconnu qu’il était au fait des droits que revendiquaient les demandeurs — Les premier et deuxième volets du critère ont été remplis — La question déterminante au titre du troisième volet du critère était celle de savoir si l’Entente était susceptible d’avoir des répercussions sur les droits garantis aux demandeurs par l’article 35 — L’Entente a une incidence potentielle sur les droits des demandeurs qui leur sont garantis par l’article 35, parce que le Canada s’est engagé par contrat à reconnaître la NMA comme la seule représentante d’un groupe autochtone qui inclut les demandeurs, aux fins de l’exercice de ces droits — L’Entente a produit cet effet par la combinaison de deux éléments — Premièrement, l’article 6.06 accorde à la NMA un monopole de représentation de la Nation métisse en Alberta en ce qui a trait à l’autonomie gouvernementale, à l’obligation de consulter et aux revendications historiques collectives dans toute négociation ou discussion avec le Canada — Deuxièmement, la Nation métisse en Alberta est définie d’une manière qui comprend les demandeurs — L’étendue du monopole de représentation prévu par l’Entente correspond à la définition de la Nation métisse en Alberta — La définition ne limite pas la Nation métisse en Alberta aux communautés qui ont choisi d’être représentées par la NMA — L’Entente ne prévoit aucun mécanisme objectif permettant de déterminer quelles communautés ont choisi d’être représentées par la NMA ou de faire partie de la Nation métisse en Alberta — Rien dans l’Entente ne donne à penser que les parties ont envisagé que des communautés métisses titulaires de droits puissent ne pas être visées par l’Entente — Les demandeurs font partie de la Nation métisse en Alberta, telle qu’elle est définie dans l’Entente — L’incidence de ces dispositions sur les droits des demandeurs est très évidente et loin d’être hypothétique — Le Canada a accordé à quelqu’un d’autre le droit exclusif « de représenter, de défendre et de gérer » leurs droits protégés par la Constitution — L’Entente reconnaît la NMA et exclut les demandeurs — La reconnaissance que l’article 6.06 accorde à la NMA et dont il prive les demandeurs est essentielle à la jouissance pratique d’un large éventail de droits que l’article 35 garantit aux peuples autochtones — Les droits des demandeurs n’ont pas été explicitement éteints, mais les demandeurs ont été intégrés dans la Nation métisse en Alberta contre leur volonté, ce qui les ont empêché de faire valoir leurs droits dans leurs interactions avec le Canada — Cette situation a eu des répercussions importantes sur leurs droits, ce qui a fait naître l’obligation de consulter — Le monopole que l’article 6.06 de l’Entente confère à la NMA a empêché les demandeurs d’emprunter la voie privilégiée pour parvenir à la réconciliation — L’article 6.06 équivaut à un engagement selon lequel le Canada ne consultera personne d’autre que la NMA lorsqu’il envisagera de prendre des mesures susceptibles d’avoir une incidence sur les droits protégés par l’article 35 de la Nation métisse en Alberta — Les répercussions alléguées par les demandeurs sur l’exercice des droits que leur garantit l’article 35 ne sont pas hypothétiques — L’obligation de consultation naît d’une « décision stratégique prise en haut lieu » qui a une incidence en aval sur des décisions futures plus précises — Les dispositions de non-dérogation de l’Entente ne constituaient pas un obstacle à la thèse des demandeurs — Le Canada ne pouvait pas « déclar[er] unilatéralement » que les dispositions de l’Entente étaient suffisantes pour sauvegarder les droits des demandeurs — Les dispositions problématiques de l’Entente, à savoir la définition de « Nation métisse en Alberta » et l’ensemble du chapitre 6, ont été annulées — Le ministre défendeur peut renégocier les dispositions problématiques de l’Entente après avoir consulté les demandeurs et, si les circonstances le justifient, après avoir tenu compte de leurs préoccupations — Demandes accueillies.
Conseil général des établissements Métis c. Canada (Relations Couronne-Autochtones) (T-611-23, T-589-23, 2024 CF 487, juge Grammond, motifs du jugement en date du 28 mars 2024, 67 p.)