NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
PRATIQUE
Sujets connexes : Concurrence; Droit administratif
Requête en radiation déposée par l’intimé à l’égard de l’avis de requête présenté par les demanderesses, Empire Company Limited, Sobeys Inc. — Dans leur requête, les demanderesses ont demandé le contrôle judiciaire de la décision du commissaire de la concurrence de lancer l’enquête au titre du sous-alinéa 10(1)b)ii) de la Loi sur la concurrence, L.R.C. 1985, ch. C-34 (la Loi) — Enquête en vue de déterminer les faits concernant l’utilisation de clauses restrictives et de clauses d’exclusivité dans des contrats de location conclus par les demanderesses dans certains marchés locaux au Canada — Les demanderesses cherchent à obtenir différentes réparations, dont une ordonnance d’annulation de la décision du commissaire d’enquêter du fait que l’enquête est nulle et illégale — Les demanderesses ont fait valoir que le commissaire ne pouvait pas avoir des «raisons de croire » qu’il existait des motifs justifiant une ordonnance au titre de l’article 79 de la Loi puisque le commissaire n’avait pas de raison de croire que des éléments du paragraphe 79(1) étaient réunis — Elles ont également fait valoir que la décision d’enquêter semblait avoir été prise dans un but illégitime ou en fonction de considérations non pertinentes — L’intimé a maintenu 1) que la décision d’enquêter n’était pas une mesure administrative donnant lieu à un contrôle judiciaire; 2) que les demanderesses n’ont pas allégué ou invoqué des faits importants en ce qui concerne l’ensemble des droits légaux, des obligations juridiques ou des effets préjudiciables découlant de la décision d’enquêter; 3) que la requête sous-jacente est prématurée — Il s’agit de savoir si la décision d’enquêter peut être susceptible de faire l’objet d’un contrôle judiciaire; le cas échéant, si les demanderesses ont allégué suffisamment de faits importants pour survivre à la requête en radiation; si la requête sous-jacente est prématurée — En demandant la radiation d’une requête sous-jacente, l’intimé renvoie au paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 — Cependant, la procédure sous-jacente est une demande de contrôle judiciaire, et non pas une action — Par conséquent, la règle 221 ne s’applique pas — Dans ce contexte, le critère applicable est celui de savoir si la requête sous-jacente est « vouée à l’échec » ou « est manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] » — Trois motifs distincts justifient ici que la requête en radiation soit accueillie — Premier motif : La requête sous-jacente était fondamentalement viciée du fait que la décision d’enquêter ne peut pas être susceptible de contrôle judiciaire puisque la décision n’affecte aucun droit légal, n’impose aucune obligation juridique sur les objectifs de l’enquête et n’entraîne aucun effet préjudiciable, selon les critères formulés dans Canada (procureur général) c. Démocratie en surveillance, 2020 CAF 69, [2020] 3 R.C.F. 623 (Démocratie en surveillance) — Les différences entre les types de décisions contestées dans Démocratie en surveillance et celles dans la présente procédure n’ont aucune incidence sur le principe général portant que certaines décisions décrites à l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 ne sont pas susceptibles de contrôle — Le fait que le paragraphe 10(1) de la Loi énonce un critère précis et obligatoire que le commissaire doit appliquer pour déterminer s’il y a lieu d’enquêter ne change rien au fait que la décision d’enquêter est soumise au critère énoncé dans Démocratie en surveillance — La décision du commissaire d’enquêter n’est qu’une simple étape de la procédure qui investit le commissaire des pouvoirs formels d’enquête décrits au paragraphe 11(1) de la Loi — Deuxième motif : La requête sous-jacente ne formule aucune allégation que ce soit en ce qui concerne l’incidence actuelle ou potentielle de la décision du commissaire d’enquêter sur les droits légaux des demanderesses. Il n’est pas non plus allégué dans la requête que la décision du commissaire impose des obligations juridiques ou entraîne des effets préjudiciables — Troisième motif : La requête sous-jacente est prématurée puisque des recours appropriés et efficaces sont disponibles ailleurs — La requête a été déposée suivant le mécanisme approprié indiqué à la règle 399 des Règles pour permettre aux demanderesses de contester la décision d’enquêter — Le critère pour les requêtes formulé à la règle 399 dans Canada (Commissaire de la concurrence) c. Canada Tax Reviews Inc., 2021 CF 921, [2022] 1 R.C.F. 232 offrirait aux demanderesses un recours approprié et efficace — Le critère permettrait aux demanderesses de demander l’annulation ou la modification de toute ordonnance qui pourrait être rendue à leur égard au titre de l’article 11 de la Loi, au motif que l’enquête a été ouverte à la suite de pressions politiques plutôt que pour les motifs énoncés au sous-alinéa 10(1)b)(ii), comme l’ont allégué les demanderesses — Le critère permettrait également aux demanderesses de contester la divulgation faite par le commissaire dans le cadre d’une ordonnance au titre de l’article 11 — La norme des « raisons de croire » formulée au paragraphe 10(1) de la Loi est un seuil assez bas à franchir — Le fait que le Parlement ait choisi d’adopter la norme des « raisons de croire » au titre des paragraphes 10(1) et 103.1(7) de la Loi, tout en adhérant à la norme des « motifs raisonnables de croire » ailleurs dans la Loi, implique que le Parlement considère que ces deux normes sont différentes — Le commissaire jouit d’une présomption selon laquelle « il agit de bonne foi et dans l’intérêt public lorsqu’il prend des mesures en vertu de la Loi » — Par conséquent, « la Cour devrait [au] stade de recherche des faits s’abstenir de tirer des conclusions, qui seraient essentiellement des conclusions définitives, concernant le bien‑fondé d’une enquête » — Même si ce principe excluait les contestations courantes des « raisons de croire » qu’il existe des motifs qui permettent de rendre une ordonnance au titre de la partie VII.1 ou VIII de la Loi, comme le prévoit le paragraphe 10(1), il n’exclurait pas les contestations fondées sur des éléments de preuve solides portant que de tels motifs ne pourraient pas raisonnablement exister dans les circonstances — Cependant, la preuve devrait comprendre plus que de simples énoncés non étayés sur l’absence de tels motifs — De même et de façon générale, il ne suffirait pas de simplement présenter des éléments de preuve démontrant un objectif clairement proconcurrentiel à la base du comportement qui fait l’objet d’une enquête — En conclusion, lorsque des éléments de preuve indiquent que le commissaire a ouvert une enquête pour des motifs irréguliers, l’intimé peut à ce titre demander l’annulation ou la modification d’une ordonnance rendue au titre de l’article 11 — Cette possibilité représente pour les demanderesses un autre recours approprié et efficace — La requête sous-jacente était donc vouée à l’échec en fonction de la doctrine de la prématurité — Requête accueillie.
Empire Company Limited c. Canada (Procureur général) (T-848-24, 2024 CF 810, juge en chef Crampton, motifs de l’ordonnance en date du 28 mai 2024, 28 p. + 7 p.)