NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.
PEUPLES AUTOCHTONES
Terres
Sujet connexe : Droit constitutionnel
Demande de contrôle judiciaire de la décision, prise par le ministre des Relations Couronne-Autochtones (le minister), de conclure un protocole d’entente (le PE) en vue de faire progresser la réconciliation avec la défenderesse Nunatukavut Community Council (NCC) — NCC se décrit comme un corps dirigeant inuit — En 2016, le Canada l’a invitée à participer à un processus de consultation pour la réconciliation visant à accélérer le règlement des revendications territoriales globales de NCC — Plus tard, NCC et le Canada, représenté par le ministre, ont conclu le PE — La demanderesse a affirmé, entre autres choses, que le PE reconnaît que NCC est [traduction] « un groupe autochtone habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 [de la Loi constitutionnelle de 1982] aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance de droits et l’autodétermination » — Elle a fait valoir que le PE porte atteinte aux droits garantis aux Innus par l’article 35 et peut donc faire l’objet d’un contrôle par la Cour fédérales — Finalement, la demanderesse a fait valoir que le ministre était tenu de la consulter avant de décider de conclure le PE, mais il ne s’est pas acquitté de son obligation de consultation — Elle a sollicité une ordonnance annulant le PE et déclarant que le ministre n’avait pas le pouvoir légal ni la compétence requise pour conclure le PE — À titre subsidiaire, elle a demandé à la Cour de rendre une ordonnance annulant le PE, déclarant que le ministre ne s’est pas acquitté de l’obligation de la Couronne de la consulter et de l’accommoder — Le PE est un document de six pages qui reconnaît la mise en place d’une table de discussion sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination (RDAA) et définit ainsi les objectifs de cette dernière — Le PE précise que les parties reconnaissent que le Canada pourrait être tenu de consulter un groupe autochtone autre que NCC qui a ou peut avoir des droits protégés par l’article 35 et qui pourrait subir des préjudices par suite d’un produit de la table de discussion sur la RDAA — Il s’agissait de déterminer principalement si la conduite que la demanderesse reproche à la Couronne, c’est-à-dire la décision de conclure le PE, est justiciable; si le ministre avait l’obligation de consulter la demanderesse avant de conclure le PE; et si la décision du ministre de conclure le PE était fondée ou raisonnable — La décision de conclure le PE n’est pas justiciable — Une affaire est justiciable si elle porte atteinte à des droits légaux, impose des obligations juridiques ou entraîne des effets préjudiciables — La demanderesse a soutenu que le PE porte atteinte à ses droits légaux dans cette disposition du préambule où il est « statué » que NCC, à titre de groupe autochtone, est habilitée à détenir des droits garantis par l’article 35 — Cependant, le préambule du PE indique que le Canada a reconnu que NCC est un groupe autochtone [traduction] « habilité à détenir des droits ancestraux garantis par l’article 35 aux fins d’entamer des discussions sur la reconnaissance des droits et l’autodétermination » — Il est expressément énoncé dans le corps du PE que le document n’est pas juridiquement contraignant — Aucune disposition du PE ne reconnaît que NCC fait partie des « peuples autochtones du Canada » ni que NCC détient des droits garantis par l’article 35 — Le PE n’avait pas pour objet de décider ou de confirmer que NCC détient des droits garantis par l’article 35 — La reconnaissance de NCC comme groupe autochtone se limite aux objectifs du PE — Aucun élément dans le dossier n’appuie l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le Canada avait pris une décision définitive portant que NCC [traduction] « n’était pas habilitée à » détenir des droits garantis par l’article 35 — L’objet du PE est de permettre au Canada et à NCC d’étudier le statut de cette dernière ainsi que la nature de tout droit garanti par l’article 35 découlant de ce statut — Il serait inquiétant que la décision du Canada d’entreprendre un processus de discussion avec un groupe qui s’identifie comme un peuple autochtone puisse être contestée à ce stade au motif que les discussions confèrent un [traduction] « avantage juridique » — Il est évident que ce qui était en cause en l’espèce est l’opinion d’Innu Nation selon laquelle NCC ne peut faire valoir aucune revendication légitime à l’égard de droits garantis par l’article 35 et NCC s’est faufilée dans la mesure où elle peut tirer profit d’une nouvelle politique de négociation qui, selon Innu Nation, est problématique — La demanderesse n’a subi aucun effet préjudiciable causé par la conclusion du PE — La Couronne n’a pas manqué à son obligation de consulter la demanderesse avant de signer le PE — Le critère pour déterminer si l’obligation de consulter prend naissance comporte trois éléments : 1) la connaissance par la Couronne de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, 2) la mesure envisagée de la Couronne et 3) la possibilité que cette mesure ait un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral — En l’espèce, le premier volet du critère pour déterminer le moment où est déclenchée l’obligation de consultation est établi dans le dossier — Le PE en soi n’est pas une [traduction] « décision stratégique prise en haut lieu » susceptible d’avoir un effet sur les revendications autochtones et les droits ancestraux de la demanderesse — Il faut quelque chose de plus, comme une autre mesure de la Couronne, pour qu’une possible incidence se profile — Comme le prévoit le PE, l’obligation de consultation pourrait être déclenchée si un produit de la table de discussion sur la RDAA est susceptible de porter atteinte aux droits de la demanderesse — La possibilité d’un effet préjudiciable sur les droits ancestraux revendiqués par la demanderesse au début du processus de la table de discussion sur la RDAA demeure hypothétique — La conclusion du PE n’empêche pas que les préoccupations de la demanderesse soient prises en compte lorsque l’obligation de consulter sera déclenchée — Il n’existe aucun lien direct ou lien de causalité entre la mesure de la Couronne, la conclusion du PE et tout effet préjudiciable éventuel sur les droits de la demanderesse garantis par l’article 35 — L’obligation de consultation se limite aux seuls effets préjudiciables de la décision ou de la mesure précise de la Couronne qui est visée — En l’espèce, cette décision concerne le PE et non la décision de participer à la table de discussion sur la RDAA ou de mettre en œuvre la politique qui sous-tend le processus de la table de discussion sur la RDAA — Le processus de la table de discussion sur la RDAA pourrait donner lieu à une mesure de la Couronne susceptible de faire naître l’obligation de consulter sur le fondement de la reconnaissance — Le PE reconnaît que les discussions de la table de discussion sur la RDAA se poursuivront — Il n’existe aucun lien de causalité entre la conclusion du PE et tout effet préjudiciable possible sur les droits de la demanderesse protégés par l’article 35 — Aucun élément de preuve ici ne laisse croire qu’une entente relative à un territoire ou à d’autres droits a été conclue avec NCC par suite du PE ou autrement — En conclusion, l’obligation de consulter n’a pas encore été déclenchée — Par conséquent, la Couronne n’a pas manqué à son obligation de consulter la demanderesse avant de signer le PE — Demande rejetée.
Innu nation Inc. c. Canada (Relations Couronne-Autochtones) (T-1606-19, 2024 CF 896, juge Strickland, motifs du jugement en date du 12 juin 2024, 66 + 6 p.)