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Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 31 BETWEEN : 1959 SUPPLIANT; Nov. 26, 27 EDGAR LOISELLE 1960 AND Oct. 6 HER MAJESTY THE QUEEN RESPONDENT. CrownPetition of rightExpropriationInjurious affection to land CompensationSt. Lawrence Seaway Authority Act, R.S.C. 1952, c. 242, ss. 3(1), 10, 18(3)—Exchequer Court Act, R.S.C. 1952, c. 98, ss. 1 E 8, 49. The suppliant, a garage operator, sought damages for loss of business and injury to his property resulting from the construction of a canal and locks on an adjoining property by the St. Lawrence Seaway Authority, an agent of the Crown in the right of Canada. He alleged that such construction resulted in the obstruction of the highway on which his land abutted and necessitated a relocation whereby he was deprived of access to the highway and his property left in a cul de sac. No land of the suppliant was expropriated for the purpose of the seaway. Held: That the evidence established that the construction of the works of the Authority, an agent of the Crown, rendered inevitable the consequences of which the suppliant complained. 2. That the St. Lawrence. Seaway Authority Act, R.S.C. 1952, c. 242, created the St. Lawrence Seaway Authority and authorized it in the exercise of its powers to acquire lands by expropriation and to pay compensation for lands injuriously affected by the construction of works erected by it.
32 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1960 3. That in a case of injurious affection a claim for loss of business profits LOIV LLE cannot be maintained. The damage or loss must be to the property itself and not in respect of any particular use to which it may from THE QUEEN time to time be put. Beckett & Midland Ry. Co. L.R. 3 C.P. 82. 4. That the lands of the suppliant were injuriously affected by the works erected by an agent of the Crown (the Authority) and for such injuries the suppliant was entitled to be paid compensation as provided by s. 18(3) of the St. Lawrence Seaway Authority Act. Autographic Register Systems v. C.N.R. [1933] Ex. C.R. 152; Renaud et al. v. C.N.R. [1933] Ex. C.R. 230 at 234; Beckett v. Midland Ry. Co. 3 L.R.C.P. 82; Metropolitan Board of Works v. McCarthy L.R. 7 H.L. 243, referred to. PETITION OF RIGHT for the recover of damages against the Crown for loss of business and injurious affection to suppliant's land resulting from the construction of a public work. The action was tried before the Honourable Mr. Justice Dumoulin at Montreal. François Dorval and M. S. Yellin for suppliant. André .Sabourin, Q.C., Lue Couture and Roger Tassé for respondent. DUMOULIN J. now (October 6, 1960) delivered the following judgment: Par cette pétition de droit, monsieur Edgar Loiselle fait valoir que, depuis 1949, il exerçait le métier de garagiste dans le village de Melocheville, municipalité rurale sur le parcours de la route nationale numéro 3, qui relie Mont-réal et Valleyfield. Sise à l'une des entrées de Melocheville, cette propriété était la première en direction de Valleyfield. Loiselle nous apprend qu'il acquit le terrain en 1948 au prix de $5,000, et que la construction de son garage aurait coûté approximativement $10,000. L'acte d'achat corroboratif, pièce P-1, daté le 16 juin 1948, porte que «... cet emplacement est maintenant connu et désigné comme étant partie de la 'subdivision du lot numéro UN du lot originaire numéro TROIS CENT (Ptie No. 300-1) des plan et livre de renvoi officiels de la paroisse de St-Clément, comté de Beauharnois; mesurant quatre-vingt-seize pieds de largeur par cent quarante-quatre pieds de profondeur, mesure anglaise; borné, en front au sud-est par le chemin public, ...» Attenante à ce garage, sur le lot n° 300-1, se trouve aussi la maison de M. Loiselle.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 33 L'évaluation des propriétés du pétitionnaire par le con-1960 structeur Rosaire Gratton, dont la version orale est aussi L OISEI.LE Consignée dans la pièce littérale P-16, assigne à cette THE QUEEN résidence et à ses dépendances, dépréciation déduite, une Dumoulin J. valeur de $9,761.80, avant le 30 juin 1957. «Le, ou vers le, 30 juin 1957 lisons-nous à l'art. 5 de la pétition, «l'Administration de la VOIE MARITIME DU SAINT-LAURENT «un mandataire de Sa Majesté, du chef du Canada», selon l'expression usitée au para. (2) de l'art. 3 du chap. 242, Statuts revisés de 1952, «... dans l'exercice de ses attributions et à l'occasion de la canali-sation du Saint-Laurent, a bloqué complètement la route nationale, et, en déviant la course, elle a isolé le commerce du demandeur dans un cul de sac, lui causant ainsi des dommages très considerables en compensation desquels le pétitionnaire réclame la somme de $85,000 et les intérêts. Loiselle explique, à l'art. 3 de sa pétition que son poste de commerce (garage) avait front alors sur la nationale 3, conduisant de Montréal à Valleyfield, route «. . . très achalandée ...» et qu'il «... y exploitait un commerce florissant». «L'Administration de la VOIE MARITIME DU SAINT-LAURENT ajoute la pétition en son art. 13, «ayant creusé son canal sur la propriété adjacente à celle du pétitionnaire, a obligé, par son fait, le Ministère de la Voirie de la Province de Québec, à trouver un moyen de permettre à la circulation routière de franchir le Canal, soit par un pont, soit par un tunnel, et peu importe la formule adoptée, les droits du pétitionnaire sont atteints . . Une partie des vastes propriétés de la Voie maritime est située, en effet, à l'est de l'emplacement d'Edgar Loiselle (voir, entre autres, le plan, pièce P-11), un mince intervalle de dix pieds séparant le garage de la ligne de division (pétition, art. 7). Aucune expropriation n'ayant été pratiquée sur le lot 300-1, les griefs allégués par le requérant, pour dépréciation de la valeur de ses immeubles et perte d'achalandage, commercial, découlent uniquement de ce détournement de la route nationale 3, dont j'essaierai de déduire les consé-quences physiques et pécuniaires selon la preuve soumise. 91991-0-3a
34 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1960 Le garage public et la résidence de M. Loiselle sont con- LoisELLE struits sur une rue qui porte le nom de «Principale», avec THE QUEEN accès direct, avant le 30 juin 1957, à la grande voie carros-Dumoulin J. sable Montréal-Valleyfield. Sur le graphique de localisation, pièce P-5, le témoin Loiselle a désigné par un «X» le site du garage et par «Y» celui de sa maison. Ce poste de commerce était affecté aux réparations «générales», mais de façon beaucoup plus rémunératrice aux ventes d'huiles lubrifiantes et de gazoline. A ce sujet, notons-le sans plus, Loiselle nous apprendra que: «Autrefois [c.-à-d. jusqu'au 30 juin 1957], ma clientèle passante, non résidente à Melocheville, repré-sentait 75% de mon achalandage; depuis, cette clientèle est tombée à 25% environ. Jadis, il me fallait trois employés, un seul suffit maintenant». Trois photographies (les pièces 6, 7 et 8), plusieurs devis ou esquisses, mais particulièrement le plan P-11, facilitent la compréhension des changements drastiques à l'état des lieux, nécessités par le creusage du canal de la Voie maritime du Saint-Laurent. La réalisation de ce gigantesque projet dans la région de Melocheville, a déterminé d'abord le sectionnement et la fermeture de la nationale 3 à 68 pieds, direction nord-ouest, du garage Loiselle, afin d'y aménager un canal de renvoi et l'écluse appropriée, comme le laisse entrevoir la photo, P-6, sur laquelle apparaissent aussi deux petits bâtiments de contrôle. Une partie de ces ouvrages, correspondant à ce qui était hier un élément de l'artère principale numéro 3, en occupe dorénavant l'assiette. Une clôture de broche, faiblement imprimée sur P-6, et posée par les agents de l'intimée à 70 pieds au nord-ouest de la propriété Loiselle, interdit toute circulation au-delà. M. Alphonse Gratton, de Westmount, ingénieur en chef adjoint au ministère provincial de la Voirie, l'un des deux signataires du plan P-11, dira que le canal secondaire ou de renvoi et l'écluse connexe sectionnent l'ancien tracé de la route nationale, reconstituée présentement à 600 pieds au sud-est du garage d'Edgar Loiselle (cf. plan P-11), mais sans aucune communication possible avec ce lot 300-1. Désormais, tout piéton ou automobiliste qui se rendrait au garage du pétitionnaire devra, au retour, rebrousser chemin sur une distance de 1,500 pieds jusqu'au rond-point, au sud-ouest du nouveau parcours de la route nationale 3.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 35 Loiselle témoigne que, par suite de ce bouleversement, «la i9 60 clientèle est éloignée de mon garage au point qu'elle ne sait LoISEI V. pas il se trouve». THE QUEEN Je ne saurais mieux terminer ce chapitre des transforma- Dumoulin J. tions radicales apportées à l'état des lieux par les manda-taires de l'intimée qu'en référant aux photographies, P-7, P-8 et au plan P-11, dont je résumerai les indications. P-7 est une photo aérienne montrant, au nord-ouest, le village de Melocheville avec, en aval, l'écluse du canal de la Voie maritime. Sur cette pièce, Loiselle a tracé un «X» à la hauteur de l'exutoire de renvoi, à 70 pieds de son terrain, indiquant par une ligne continue l'assiette de l'ancienne route 3, et, par des hachures, le nouveau chemin. P-8, autre photographie aérienne, montre de façon très nette le canal principal et le secondaire ou de renvoi marqué d'un «X». Le grand plan P-11, dressé par les cartographes du minis-tère de la Voirie, situe avec une précision absolue: a) le lot 300-1, et au moyen de deux rectangles rouges, le garage et la demeure du pétitionnaire; b) la course, maintenant dis-parue de la voie principale n° 3, coloriée en rose; c) le rond-point de raccord semblablement teinté, puis, d) la «nouvelle route n° 3», tracée à l'encre jaune avec ligne médiane verte. Enfin, il est de notoriété publique, et la correspondance déposée au dossier l'établit, qu'un tunnel à deux pistes ou tubes, ayant chacun 24 pieds de largeur, assure, sous le canal, la continuité de la nationale 3, récemment construite. L'intimée, par son plaidoyer de défense, nie les allégations de la pétition de droit, ajoutant (art. 12) «qu'il n'existe aucune atteinte défavorable (injurious affection) et que le requérant n'a subi aucun préjudice ou dommage par suite des actes de l'Administration de la Voie Maritime du St-Laurent». Cette négation des faits est suivie, à l'art. 13, d'une défense en droit énonçant que: «... il n'y a aucun lien de droit entre le requérant et l'intimée; le changement d'assiette de la Route n° 3 a été décidé par le ministère de la Voirie de la Province de Québec, lequel ministère a juridiction sur ladite route n° 3». Ce dernier moyen, une sorte de mise en cause proprio motu du ministère québécois de la Voirie, réapparaît à la p. 2 du mémoire ou factum de l'intimée. «C'est la province»,
36 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1960 voyons-nous, «qui effectivement a déplacé, détourné et LorsELLE relogé la route; à ces fins, l'Administration n'a qu'effectué THE v. QuE,N certains travaux ayant permis cette relocation suivant la Dumoulin s. décision ou détermination de la province elle-même, soit du Ministre de la Voirie, en raison de l'approbation des plans des travaux de la Voie Maritime ...» Conclusion, quelques lignes plus bas: «En conséquence, si l'Administration est responsable, sa responsabilité n'est qu'indirecte et ses travaux ne sont que la cause indirecte et trop loin-taine de l'isolement ou atteinte défavorable dont se plaint Loiselle». Disposons immédiatement de cette tentative d'exoné-ration en répondant à la question: Qui, en fait et en droit, a rendu inévitable par ses actes le détournement de la route n° 3? Le 11 janvier 1956, l'honorable Lionel Chevrier, alors président de l'Administration de la Voie maritime du Saint-Laurent, écrivait au ministre de la Voirie, l'honorable Antonio Talbot, une lettre dont il importe de reproduire les deux premiers paragraphes (pièce A) : Cher monsieur Talbot, L'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent est maintenant prête à mettre à exécution ses plans pour la construction d'écluses dans la section de Soulanges afin de relier le Canal hydraulique de Beauharnois au Lac Saint-Louis. La construction des écluses exigera une réorganisation des installations routières. Notre administration est prête à assumer à elle seule le coût du détournement de la route N° 3 sous le canal au moyen d'un tunnel à un seul tube avec route de 28 pieds et chaussée de 5 pieds, tel qu'indiqué sur les dessins N° 4819 et 4731-12A. Le 21 février 1956, l'honorable Monsieur Chevrier écrit à ce même sujet au Premier Ministre de la Province de Québec, l'honorable Maurice Duplessis. Je cite le troisième paragraphe de cette lettre, pièce B: Afin de hâter la solution de ce problème, je suggère l'arrangement suivant: 1. L'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent construira un tunnel à deux tubes (deux routes de 24 pieds), tel qu'indiqué sur les plans 4819 et 4731-13A déjà en votre possession. 2. La Province de Québec contribuera la somme de $300,000 à ces travaux [qui, tel que dit à la pièce A, devaient coûter $2,826,501]. 3. L'Administration se rend responsable de l'entretien du tunnel.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 37 Dans sa réponse à cette lettre, l'honorable Monsieur 1960 Duplessis, le 16 mars 1956 (pièce C) précisait que: LOISEIan V. Quant au tunnel, il est compris et accepté de part et d'autre: THE QUEEN (1) que l'Administration de la Voie Maritime du Saint-Laurent con- struira un tunnel à deux tubes (deux routes de 24 pieds), tel Dumoulin J. qu'indiqué sur les plans 4819 et 4731-13A qui nous ont été remis lors de l'entrevue à mon bureau, à Québec, le 10 février dernier. [ces deux plans furent préparés par les services techniques de l'intimée]. (2) que la province de Québec apportera une généreuse [ce souligne-ment n'est pas de moi] contribution de $300,000.00 à la construction de ce tunnel. (3) que l'entretien de ce tunnel sera à la charge et sous la responsabilité de l'Administration de la Voie Maritime du St-Laurent. Cette correspondance démontre bien que la cause, non seulement immédiate, mais unique, du détournement de la route nationale est spécifiée dans la lettre du 11 janvier 1956, de l'honorable Lionel Chevrier à l'honorable Antonio Talbot (pièce A), et je répéterai cette phrase: «La construction des écluses exigera une réorganisation des installations routières». N'eût été le creusage de ces écluses, appartenant à la Voie Maritime, jamais ne se fût soulevé le problème du déplacement de la route provinciale. Le gouvernement du Québec aurait eu mauvaise grâceet, probablement, mau- vaise cause de vouloir gêner la poursuite de ces travaux d'envergure internationale. Il reste que l'acte d'un «manda-taire» de l'intimée a rendu inéluctable les conséquences dont se plaint le pétitionnaire. Une loi particulière, le chap. 242 des Statuts revisés du Canada, 1952, crée «... une corporation appelée l'Administration de la voie maritime du Saint-Laurent» (art. 3-1); l'investit du pouvoir requis à la poursuite de ses objets (art. 10), par le moyen, entre autres, de l'expropriation (art. 18). Advenant une prise forcée de possession ou une «atteinte défavorable», l'art. 18(3) édicte que: L'Administration doit verser une indemnité à l'égard des terrains pris ou acquis sous le régime du présent article, ou à l'égard des dommages causés aux terrains défavorablement atteints par la construction d'ouvrages établis par elle, et toute réclamation contre l'Administration, pour une telle indemnité, peut être entendue et décidée en la Cour de l'Échiquier du Canada selon les articles 46 à 49 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier. Les biens immeubles du requérant n'ayant été l'objet d'aucune expropriation, il reste à voir, par ailleurs, s'ils n'auraient point subi une certaine «atteinte défavorable»,
38 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1960 comme le prévoit la loi, en conséquence directe de travaux Lols . ELLE exécutés ou rendus nécessaires par l'Administration de la v THE QuN voie maritime. Dumoulin J. Posons tout d'abord les principes qui devront guider cette investigation. Dans son remarquable traité: "The Law of Expropriation" (1954), l'honorable Juge Challies, de la Cour Supé-rieure à Montréal, rappelle, à la p. 136, que: The conditions that must be fulfilled to justify a claim for injurious affection, if no land is taken, are well set forth by Angers J. in Authographic Register Systems v. C.N.R. [1933] Ex. C.R. 152, 155. Ce quadruple facteur, feu le juge Angers, l'avait déjà consigné en français, antérieurement à l'instance précitée, dans la cause Renaud et al. v. Canadian National Railway Co.1, nous lisons que: Pour donner lieu à un recours en indemnité, quatre conditions sont requises: 1. il faut que le dommage ait été causé par un acte autorisé par le statut; 2. il faut que ce dommage provienne d'un acte qui, s'il n'eût pas été autorisé par le statut, aurait donné ouverture à une action en vertu du droit commun; 3. il faut que le dommage soit causé à l'immeuble lui-même, c'est-à-dire que la construction de l'ouvrage public le déprécie ou en diminue la valeur; il ne peut être question d'indemnité dans le cas de dommage personnel ou au Commerce; 4. il faut que le dommage résulte de la construction et non de l'exploitation de l'ouvrage public. Il semble manifeste que la réclamation de Loiselle satis-fasse d'emblée aux exigences de la première, de la seconde et de la quatrième condition. En effet, un texte législatif autorise, inter alia, le creusage de canaux, ouvrage qui, joint à la fermeture d'un élément de route nationale, eût été exorbitant du droit des individus ou de l'autorité municipale. Et il n'est pas moins assuré que la construction du canal de renvoi et de l'écluse, et non leur utilisation, est le facteur déterminant du préjudice pour lequel le requérant demande réparation. 1 [1933] Ex. C.R. 230, 234.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 3g La troisième condition demeure seule en cause; elle ne 1960 peut avoir d'effet que si la construction de l'ouvrage public LOISELLE déprécie ou diminue la valeur d'un immeuble, sans aucune T. Zume acception du préjudice occasionné à la jouissance person-Dumoulin J._ nelle ou aux avantages commerciaux. L'actuelle pétition de droit, il convient de le répéter, postule une indemnité de $85,000 pour perte d'achalandage, mais généralement aussi pour atteinte aux droits et dépré-ciation des biens du pétitionnaire (articles 10 et 13). Informés, comme nous le sommes maintenant, des prin-cipaux incidents du litige, il est compréhensible, sinon admissible en droit, que Loiselle, commerçant de son état, ait mis en vive lumière la perte de sa clientèle, et appuyé moins sur la dévalorisation de ses immeubles, indépendam-ment de leur destination mercantile. Or, une jurisprudence constante, britannique et cana-dienne, se refuse à indemniser le dommage infligé par la contraction des affaires ou du chiffre des profits. L'honorable Juge Anglin de la Cour Suprême du Canada (et peu après juge en chef), se prononçant dans l'affaire Canadian Pacifie Railway Co. and Alberta Albinl, à la. suite d'une revue de doctrine anglaise et de décisions cana-diennes sur un sujet analogue à celui qui nous occupe, concluait que: Under English law an award for loss of business profits in a case of injurious affection cannot be maintained. Dois-je joindre que le distingué juriste tenait que les- solutions apportées sur ce point par nos cours pouvaient. s'inspirer du droit anglais. C'est à cette opinion, je présume, que l'hon. Juge Angers, entendait se conformer quand, dans la cause citée plus haut de Renaud v. Canadian National Ry. Co., il s'exprimait en ces termes (p. 235) : Il ne suffit pas que le propriétaire subisse quelque inconvénient ou. encourt quelque perte dans son commerce pour qu'il ait droit à une-indemnité; il faut que l'immeuble lui-même, pour le propriétaire actuel ou. pour tout autre, soit détérioré .. Puis ceci, quatre lignes plus bas: Il ne faut pas que le dommage causé en soit un dont souffre le publie en général; ce dommage doit être particulier à la propriété du réclamant. 1(1919) 59 Can. S.C.R. 151, 161.
40 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1960 Et la conséquence résumée à la p. 242: Loissus En somme la doctrine aujourd'hui est bien établie et ne se discute plus; v. il ne peut y avoir recours en indemnité que lorsque la propriété est THE QUEEN détériorée ou lésée, en d'autres mots, lorsqu'elle est dépréciée ou diminuée Dumoulin J. en valeur, ou, selon l'expression anglaise, injuriously affected. Aucun recours n'existe lorsqu'il n'y a qu'un inconvénient dont souffre le public en général. Un précédent anglais, celui de Beckett v. Midland Railway Co.', dont l'âge vénérable n'obnubile pas la clarté, dans un cas identique au nôtre à toutes fins utiles, enseigne que: ... the damage complained of must be one which is sustained in respect of the ownership of the property,—in respect of the property itself, and not in respect of any particular use to which it may from time to time be put: in other words it must ... be a damage which would be sustained by any person who was the owner, to whatever use he might think proper to put the property ... The property is to be taken in statu quo, and to be considered with reference to the use to which any owner might put it in its then condition, that is, as a house. Conformément à ces directives, sans mettre en ligne de compte le métier du requérant, recherchons si l'ouverture d'un canal, le montage d'une écluse à proximité immédiate du lot 300-1, la fermeture de la route nationale à 70 pieds au-delà, l'enfouissement de cette propriété, naguère rive-raine de la grand-route, au fond d'une impasse ou cul-de-sac, recherchons, dis-je, si de pareilles perturbations, imputables aux agents de l'intimée, ont pu se produire et laisser intacte la valeur réelle ou marchande du terrain, de la maison et des bâtiments de Loiselle. Au vrai, cette recherche ne saurait être ni longue ni ardue, car poser la question c'est répondre, implicitement du moins, à tous les points soulevés. C'est reconnaître que Ies inconvénients majeurs infligés au propriétaire ne se limitent pas à «quelque perte dans son commerce", ne sont pas du genre de ceux dont souffrirait le public en général, mais, au contraire, sont «particuliers à la propriété du réclamant», et que l'immeuble ainsi affecté souffre d'une indéniable dépréciation «pour le propriétaire actuel ou pour tout autre». Voudrait-on une corroboration tangible de ce préjudice particularisé que la pièce P-2 ne laisserait pas de la procurer. Nous y trouvons la constatation authentifiée le 26 mai "1956, de l'achat par Edgar Loiselle, au prix de $3,500, 1 (1867) L.R. 3 C.P. 82, 94, 95.
Ex..C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 41 d'un emplacement en bordure de la nationale 3, «à deux 1960 milles de son ancien garage», afin, dira le réclamant, d'y L OISELLE V. ériger un nouveau poste commercial. THE QUEEN Par ailleurs, dans la cause de Metropolitan Board of Dumoulin J. Works v. McCarthyl, un arrêt des tribunaux anglais, vidant un litige qui s'apparente de près au nôtre, Lord Penzance écrivait que: The question then, is, whether when a highway is obstructed, the owners of those lands which are situated in a sufficient degree of proximity to it to be depreciated in value by the loss of that access along the highway which they previously enjoyed, suffer especial damage "more than" and "beyond" the rest of the public. It surely cannot be doubted but that they do. The immediate contiguity to a highway, commonly called frontage, [c'était naguère le cas pour le lot 300-11, is a well known and powerful element in the value of all lands in populous districts. Where frontage to a highroad does not exist, propinquity and easy access to a high road are equally undoubted elements of value in such districts, distinguishing lands which have them from those which have them not. If, then, the lands of any owner have a special value by reason of their proximity to any particular highway, surely that owner will suffer special damage in respect of those lands beyond that suffered by the general public if the benefits of that proximity are withdrawn by the highway being obstructed. And if so, the owner of such lands appears to me to fall within the rule under which an action is maintainable, though the right interfered with is a public one. De tout ce qui précède, les faits, la loi organique, la jurisprudence, il me faut conclure que les travaux exécutés par les mandataires de Sa Majesté la Reine ont causé aux immeubles du pétitionnaire ce tort sérieux qui astreint l'infracteur au paiement d'une adéquate indemnité, prévue à l'art. 18(3) du chap. 242. Les biens immobiliers d'Edgar Loiselle, indépendamment de toute affectation, ayant subi une dévalorisation appré-ciable en argent, quel en sera l'indice réel? Loiselle avait rapporté que: «Dans mon bout la canalisa-tion n'a déterminé aucune plus-value des terrains». Il n'était guère besoin de le signaler, pas même dans le dessein d'écarter l'hypothèse compensative suggérée à l'art. 49 de la Loi sur la Cour de l'Échiquier. Un courtier en immeubles, M. Guy Dansereau, de Port-Masson, s'est rendu sur place afin de dresser une évaluation de la propriété Loiselle dans sa condition présente. Danse-reau, par ailleurs, a pris connaissance du rapport déposé au dossier de la cause sous la cote P-16, par M. Rosaire Grat- i (1874) L.R. 7 H.L. 243, 263. 91992-8la
42 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1960 ton de Montréal, constructeur-évaluateur, dont il a entendu LOISELLE aussi le témoignage. Il corrobore les constatations consignées V. THE QUEEN dans l'expertise susdite ajoutant: «Je ne crois pas qu'il Dumoulin J. serait facile d'obtenir un prix de $10,000 actuellement pour le garage Loiselle». Il importe de remarquer, et j'en ai éprouvé l'impression très nette, que l'expression' «garage» englobait, dans l'opinion du témoin, la résidence et les dépendances. Six mois auparavant, soit à la fin de mai 1959, Guy Dansereau occupait encore les fonctions de gérant d'une compagnie de finance à Beauharnois, près de Melocheville. Il affirme qu'en cette qualité de financier, il n'aurait pas avancé $100 à M. Loiselle sur le crédit de ses immeubles: «parce qu'ils sont commercialement dévalorisés au com-plet». L'exagération péjorative ici est flagrante, car la dépré-ciation, si importante soit-elle, ne saurait être totale. Les indications fournies oralement par Rosaire Gratton, et réitérées avec de plus amples détails dans la pièce P-16, constituent l'apport basique et suffisant pour liquider les dommages-intérêts. Je résume ce relevé comptable que l'on pourra relire plus au long à la pièce P-16. Le terrain: Superficie totale de 14,283 pieds carrés. Valeur avant les travaux de canalisation, à raison de $0.50 le pied carré: $7,141.50 Le garage: 30 pieds de front par 50 en profondeur et 15 en hauteur; 22,500 pieds cubes, à $0.60 du pied, donnant une valeur de $13,500, moins la dépré-ciation depuis 1948, computée à 10%, soit $1,350, laissant un reliquat utile de .. $ 12,150.00 Cabinet d'aisance: Adjacent au garage; profondeur: 10 pieds par 6i en front et 12 de haut; 780 pieds cubes, évalué, après dépréciation, calculée tou- jours, depuis 1948 et au taux de 10%: 500.00 Entrepôt à marchandises: Situé à l'arrière du garage; 900 pieds cubes; valeur dépréciée: 500.00 Fosse à réparations (Repair Pit) : Creusée dans le roc; épaulements de béton; munie d'un dispositif pour ajustage des roues; évaluée, dépréciation déduite, à: 600.00 Piston hydraulique pour lubrification: (Hydraulic Hoist) Soit un cric hydraulique, avec rainures pour rails de soutien; évalué à: 400.00 $ 14,150.00
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 43 Le garage avec ses dépendances et accessoires auraient 1960 donc, selon les chiffres incontestés de M. Gratton, une LOISELLE valeur de $14,150, le terrain étant porté à $7,141.50. Voyons THE QJEEN maintenant ce qu'il faut penser des autres constructions. Dumoulin J. La résidence: Comprenant un cubage de 14,215 piedsmaison neuveavec lambris extérieurs en papier-brique; toit en bardeaux d'asphalte; cheminée en blocs de ciment; porche en façade, couvert; galerie grillagée; 5 chambres et une très grande cuisine; une chambre de bain; carré de la bâtisse principale (pièce sur pièce) de douze pouces (12") d'épaisseur, décoration â l'émail, évaluée à $0.60 le pied cube; dépréciation déduite depuis 1948: $ 8,529.00 Dépendance: Un cubage de 3,082 pieds, valant, à raison de $0.40 le p.c. après dépréciation: 1,232.80 Garage privé: En bois; volume total: 2,195 p.c., valeur dépréciée: 800.00 $ 10,561.80 Soit pour la résidence, dépendance et garage privé, une valeur résiduaire de $10,561.80 qui, additionnée avec celles du terrain, du garage et constructions annexes, forment un total de $31,853.30. J'ignore si le piston ou cric hydraulique, affermi à sa base dans le ciment du plancher peut être enlevé utilement. Dans le doute, je dois m'abstenir et n'accorder rien. En l'occurrence, le lot 300-1 et ses constructions diverses sont resserrés dans une sorte de cercle vicieux. Selon les témoignages, du reste non contredits, le garage commercial nuit à la maison auprès de qui n'entendrait acquérir que celle-ci; la maison, par choc en retour, nuisant au garage pour qui, et on ne sait trop dans quelle vue, désirerait acheter ce seul bâtiment. Tout considéré et attentivement pesé, j'estime que le terrain, la résidence, la dépendance attenante et le garage privé sont «défavorablement atteints» (injuriously affected), dans la proportion de moitié de leur valeur telle qu'elle était le, et avant le 30 juin 1957; quant au garage commercial avec ses dépendances et accessoires fixés à perpétuelle demeure, le coefficient de leur dépréciation, depuis la même date, ne saurait être inférieur aux deux tiers de leur valeur.
44 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1961] 1960 Appréciées en argent ces proportions de dévaluation LO V IS . ELLE donnent des montants de: THE QUEEN Pour le terrain: 50e -de $7,141.50, soit une indemnité de: $ 3,570.75 Dumoulin J. Pour la maison, etc.: 50% de $10,561.80, soit une indemnité de: 5,280.90 Pour le garage, etc.: 66w% de $13,750, soit une indemnité de: 9,166.67 $ 18,018.32 La compensation globale se totalise donc à cette somme de $18,018.32. Un dernier mot. Comme il ne m'est pas loisible d'indem-niser spécifiquement le garagiste Loiselle pour perte de clientèle et diminution corollaire du volume de ses affaires, je ne puis faire état de la pièce P-17, l'audition de ses livres, par M. A. Lavigueur, comptable accrédité, qui atteste une moyenne annuelle de profits réels de $6,347.10 durant la période quinquennale 1952-1956. Par tous les motifs qui précèdent, cette Cour ordonne et décide que le pétitionnaire a droit de recouvrer de Sa Majesté la Reine la somme de $18,018.32, étant une partie du recours sollicité dans sa pétition de droit, avec l'intérêt à 5% l'an depuis le 30 juin 1957, et les frais à taxer. Jugement en conséquence.
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