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Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 159 BETWEEN; 1956 May 14-17, DAME LIA LALANDE-DAGENAIS et al. SUPPLIANTS; 22, Sept. 17-19, AND 21, Oct. 1-5, HER . 94 19, MAJESTY THE QUEEN RESPONDENT 22 24 CrownPetition of RightExpropriationCompensationPrecarious 1958 TenureValue to ownersAllowance for compulsory takingExcheq- uer Court Act, R.S.C. 1952, c. 98, s. 46. Apr.1 The suppliants, proprietors of large piggeries, claimed $477,730 for damages occasioned by the expropriation by the Crown of a part of their land and the buildings thereon. The land was situate within the limits of the City of St-Laurent and evidence was led at the trial to establish the particular value of the site because of its proximity to the City of Montreal and the difficulty of re-establishing it as advantageously elsewhere due to the restrictive regulations of the suburban municipalities. It having been adduced that the business was being operated in violation of a municipal by-law, the Crown by an amendment to its defence, reduced its original offer of $77,000 as compensation to $8,840, on the grounds that if the suppliants were forced to discontinue their business, it was not due to the expropriation but because they were operating it contrary to the by-law in question. Held: That the Court in considering the amount of compensation allowable must weigh the precarious future of a business operated contrary to law against the preponderant fact that the piggeries had been enlarged from time to time and the business carried on for some 25 years without complaint by the municipality and that such tolerance in the past and present appeared to assure its continuance for a long and undisturbed future. 2. That under the existing conditions the Crown was estopped from pleading the doctrine of precarious tenure to justify reduction of the compensation originally offered. 3. That the compensation to be paid for an expropriated property is the value to the owner as it existed at the date of the taking and such value consists in all the advantages it possesses, present or future, but it is the present value alone of such advantages that may be taken into account. Cedar Rapids Manufacturing and Power Co. v. Lacoste [1914] A.C. 569; Lake Erie and Northern Ry. Co. v. Schooley 53 Can. S.C.R. 416; Pastoral Finance Association Ltd. v. The Minister [1914] A.C. 1083; Diggon-Hibben Ltd. v. The King [1949] S.C.R. 712 at 715, applied. 4. That to determine the value to the former owners a fair method was to estimate the value of the business by capitalizing its earning at any appropriate rate, in this case, 15 per cent. The Queen v. Potvin [1952] Ex. C.R. 436 at 444, 445, referred to. 5. That in the circumstances of the case an allowance of ten per cent for compulsory taking should be made. Diggon-Hibben Ltd. v. The King (supra) and Irving Oil Co. Ltd. v. The King [1946] S.C.R. 551, followed. 51481-0-1a
160 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 PETITION OF RIGHT to recover damages from the LALANDE- Crown for loss sustained by suppliants, owners of a property D eïa l. expropriated for the purpose of a public work. V. THE QUEEN The action was tried before the Honourable Mr. Justice Dumoulin at Montreal. Jacques Décary and Rhéal Brunet for suppliants. Rodolphe Paré for respondent. The facts and questions of law raised are stated in the reasons for judgment. DUMOULIN J. now (April 1, 1958) delivered the following judgment : Par leur pétition de droit amendée, les requérants réclament de Sa Majesté la Reine une indemnité de $477,730 pour les dommages divers que leur aurait occasion-nés l'expropriation de partie de leur terrain et des bâtiments industriels qui s'y trouvent. Le, ou vers le 7 janvier, 1954, le ministère des Transports, pour Sa Majesté la Reine aux droits du Canada, déposait selon la loi un plan d'expropriation sous le n° 1050353, s'emparant ainsi du lot n° 174 de la Paroisse St-Laurent, dans 1'Ile de Montréal, moins une parcelle de 900 pieds, à partir de la ligne du chemin, avec toutes dépendances attenantes. La partie expropriée est délimitée in extenso par la description intégrale annexée au plan enregistré et repro-duite à l'art. 8 de la pétition amendée. Les quatre pétitionnaires possèdent ces biens selon des attributions individuelles ci-dessous indiquées: Madame Lia Lalande (veuve d'Emmanuel Dagenais) 6 Robert Dagenais 3 Roland Dagenais Réal Dagenais Ces trois derniers sont les fils de la requérante. Le lot 174, du cadastre officiel de la Paroisse de St-Laurent, depuis 1955 Cité de St-Laurent, a une pro-fondeur de 4,230 pieds et une largeur de 99.5 pieds. Il se situe tout auprès de l'extrémité nord-est de l'aéroport de Dorval. C'est en prévision de l'agrandissement de cette Utilité publique que l'expropriation fut pratiquée. Ce lot débouche, à son extrémité nord, sur un chemin de terre,
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 161 large de 30 pieds, appelé Chemin St-François, et son 1958 extrémité opposée décrit un trait carré avec les aboutissants LALANDE-des lots 521 et 519. Une distance de sept milles environ D ei ZIs sépare cette terre du rond-point de Dorval. En direction QUEEN opposée, elle se trouve à 4 milles du rond-point de Ville T HE St-Laurent et à 9 milles de l'intersection des rues Peel et Dumoulin J. Ste-Catherine. La ligne d'expropriation sectionne ce terrain parallèle-ment au Chemin de la Côte St-François, avec retrait de 900 pieds. La superficie enlevée est de 8.96 arpents carrés. Les requérants sont donc privés de leur terre sur une pro-fondeur de 3,330 pieds, mais retiennent la section avant selon le prolongement précité de 900 pieds. La partie arrière de l'immeuble est marécageuse et d'aucune utilité agricole ou autre dans son état actuel. En 1953, un chemin de piètre qualité fut tracé, au coût de $500, afin de faciliter l'exploitation des requérants, dont il sera longuement question plus bas. Enfin, un fossé mitoyen, sur au moins 390 pieds de course, borde l'extrémité est et fait rencontre avec un cours d'eau: le ruisseau St-Maurice, d'un très faible débit, sauf un printemps ou en période de pluies abondantes. Madame Dagenais et ses trois fils exercent ensemble, et en parfaite entente, une entreprise de porcherie, avec moyenne semestrielle d'élevage de 1,300 à 1,400 animaux et des ventes annuelles se totalisant à 2,500 unités. Cette industrie fut commencée dès 1926 par M. Dagenais, père, décédé au mois de mai 1954, et continuée, nous l'avons vu; par sa veuve et ses fils. Les bâtiments comprennent trois porcheries, appartenant respectivement à Robert, Roland et Réal avec, en outre, un hangar pour la cuisson des déchets alimentaires et un second d'utilité générale, _le "hangar à ripes". Ces bâtisses, et leurs additions succes-sives, furent érigées pendant les années 1926, 1930, 1932, puis en 1940, 1943 ou 1944, 1946 et 1952. La longueur de la porcherie annexe de Robert et de Roland atteint environ 410 pieds; celle de Réal, comprenant aussi l'immeuble de cuisson, est de 270 pieds, donnant un cubage total de 268,995 pieds. Les fondations sont en béton; les matériaux de construction comprennent du bois recouvert de tôle, der papier-brique et des tuiles d'asbeste. A l'arrière des por- cheries, une plateforme de ciment, que les deux parties évaluent à $800, sert à la manutention des reliefs nourriciers.
162 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 Une nécessité impérative de l'industrie porcine consiste I.ALANDE- à recueillir quotidiennement des déchets alimentaires, DAAIS al. provenant d'établissements publics tels les hôtels, restau- T$H Q rants et hôpitaux. En argot de métier, c'est "la ronde des —. vidanges". Ces rebuts de table entrent, pour une forte Dumoulin J. proportion, dans l'alimentation des porcs et coûtent beau-coup moins que les moulées chimiques. Les cueillettes se font à trois reprises chaque jour; deux, à Montréal, une troisième à Ste-Anne de Bellevue. Ces vidanges ne sont pas cédés gratuitement; des contrats réguliers, dressés un an à l'avance, en déterminent les conditions d'enlèvement et le prix. Les acheteurs, d'après l'expression convenue, doivent en prendre livraison, chaque jour ouvrable. Robert Dagenais a spécifié, qu'en 1955, selon les ententes conclues à la fin de 1954, pas moins de $7,200 furent payés aux fournisseurs. Trois camions sont affectés à cette industrie qui, outre les frères Dagenais, requiert les services de trois journaliers. Les porcelets sont achetés au pesage de 50 à 60 livres, engraissés six mois durant, puis livrés à l'abattoir de Modern Packers dès qu'ils atteignent 200 livres. Robert Dagenais évalue le profit réel à $10 par animal mais, un témoin des requérants, porcher lui-même, Wilfrid Boudrias, de St-Isidore de Laprairie, réduit ce chiffre à $5 et, je note cette dernière indication comme la plus raisonnable. Le commerce, nous l'avons dit, est conduit de concert par la famille Dagenais, la mère et les trois fils, qui répartis-sent les dépenses en proportion des achats respectifs des co-associés, chacun ayant mandat tacite de transiger pour ses partenaires. Nous tenons de Robert Dagenais que les taxes foncières anuelles, affectant les porcheries, ne dépas-saient pas $38 jusqu'en 1954; toutefois, le taux actuel et l'évaluation du lot 174 et des bâtiments ne furent pas mentionnés. En 1955, les porcheries étaient assurées à concurrence de $65,000, avec primes annuelles de $960; trois ans aupa-ravant, en 1952, ces primes n'étaient que de $90 par année. Ce fut alors que les assureurs classèrent l'entreprise comme exploitation commerciale au lieu de négoce privé, ce qui explique le formidable accroissement des taux annuels. Le tracé d'expropriation, à 900 pieds du Chemin de la Côte St-François, ne permettrait pas aux Dagenais de
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 163 reconstruire leur porcherie sur la superficie reliquataire, 1958 car les règlements municipaux de la Paroisse St-Laurent, LALANDE- res p p ectivement numérotés 33 et 39A , lepremier du 22 mai DAGENAIS et al. 1930, le second du 3 juillet 1934, produits comme pièces y. THE QIIEEN 38 et 39, édictent que: (33) 1° Personne ne pourra établir, maintenir ou exploiter une por- Dumoulin J. cherie, et personne ne, pourra faire bouillir des déchets de table ou toutes autres sortes de déchets pour les fins de la dite porcherie, dans les limites de la paroisse de St-Laurent, à moins que la dite porcherie soit à quinze cent (1,500) pieds de tout chemin public, et au moins à mille (1,000) pieds de toute maison d'habitation. 2° Quant aux porcheries qui existent actuellement elles seront tolérées à l'endroit elles sont actuellement pourvu que le ou les propriétaires de ces dites porcheries n'y ajoutent aucune nouvelle construction et qu'au cas ces porcheries seraient démolies par le feu ou autrement, le ou les propriétaires de ces porcheries ne pourront rebâtir au même endroit à moins de se trouver à 1,500 pieds de tout chemin public et à 1,000 pieds de toute maison d'habitation. 3° Toute personne qui contreviendra aux dispositions du présent règlement sera passible d'une amende de dix (10) piastres plus les frais et si l'infraction se continue, le contrevenant sera passible de l'amende ci-dessus édictée pour chaque jour durant lequel l'infraction se continuera. * * * (39A) Que le règlement numéro trente-trois (33) des règlements de cette municipalité soit et il est par le présent règlement amendé en remplaçant l'article deuxième du dit règlement N° 33 par le suivant: "2 Quant aux porcheries qui existent actuellement elles seront tolérées à l'endroit elles sont actuellement pourvu que le ou les propriétaires de ces dites porcheries n'y ajoutent aucune nouvelle construction et que` les porcs, lorsqu'ils sont en quantité de quinze (15) et plus, soient gardés dans la porcherie seulement et non pas errants. Au cas ces porcheries seraient démolies par le feu ou autrement, le ou les propriétaires de ces porcheries ne pourront rebâtir au même endroit à moins de se trouver à mille cinq cent (1,500) pieds de tout chemin public et à mille (1,000) pieds de toute maison d'habitation." A l'audition, la pièce 162 fut déposée, un extrait du procès-verbal d'une assemblée spéciale du Conseil municipal de la Cité de St-Laurent, aux droits de la Paroisse du même nom, tenue le vendredi, 28 septembre 1956, con-firmant le rapport de l'inspecteur des bâtiments, M. Charles Robitaille, qui refusait de régulariser le site des porcheries Dagenais "attendu que la demande de permis de construction pour une porcherie n'est pas conforme aux exigences des règlements précités", nO8 33 et 39A. Ceci fait surgir un aspect important de la cause: la réinstallation éventuelle de l'industrie. Aucun des requé-rants n'a catégoriquement révélé l'intention de reprendre ailleurs ce commerce assez profitable auquel tous s'adonnent
164 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 depuis près de 20 ans. Toutefois, il a paru indubitable que LALANDE- ces trois jeunes gens, qui n'ont jamais exercé d'autre métier, D Als é t a l le continueront dans une autre localité, sitôt que l'expro- v. priante les obligera de déguerpir. THE QUEEN Près de 50 des 101 témoins entendus étaient des greffiers Dumoulin J. ou secrétaires-trésoriers de municipalités montréalaises ou des alentours, tant au nord qu'au sud de l'île, qui déposèrent les règlements appropriés de construction industrielle, édictant l'obtention de permis préalables dans les cas d'entreprises spécifiées, pour démontrer qu'une porcherie serait accueillie moins volontiers qu'un commerce de fleuriste. Toutefois, les pièces 52, 63, 64, 65, 66, révèlent que les municipalités de Montréal-Est, de Laval-Ouest, de Ste-Rose Est, de Ste-Rose Ouest, de Ville de Roxboro, ne prohibent point, sur leur territoire, l'élevage porcin. Il en va de même pour les villages de St-Janvier de Terrebonne, et deux ou trois autres, à 30 ou 40 milles des abattoires de le Compagnie Modern Packers. Advenant une velléité de réinstallations dans la périphérie même de Montréal, j'estime justifiée l'opinion de M. Victorien Pelchat, agronome, le 37e témoin, à l'effet qu'il ne connaît aucun endroit sur l'île de Montréal, ni sur l'île Jésus, il serait sage d'établir une porcherie, avec la menace d'un autre déménagement à brève échéance. Ce témoin cite le cas de la Ferme St-François Inc., la seconde porcherie en importance dans la Province de Québec (celle des Dagenais viendrait au troisième rang), qui dut se transporter, il y a un ou deux ans, à Ste-Anne des Plaines. Il est aisé de con-cevoir que le développement domiciliaire commercial et industriel intense sur l'île de Montréal, promet peu de durée à dés exploitations du genre, à l'exception possible du lot 174, dont la localisation et l'exiguïté font un cas particulier. Au mois d'octobre 1956, à l'audition, les requérants n'avaient pas encore arrêté leur choix, ce qui compliquera I'attribution d'une somme compensatrice pour l'accroisse-ment éventuel de distance entre le nouveau site et les abattoirs. J'ajouterai que la reconstruction des porcheries me semble impraticable sur l'île métropolitaine. Tin banc de terre noire existe sur le lot 174, pour lequel les pétitionnaires demandent $25,000, l'intimée n'offrant qu'une somme de $4,000. Cette terre sert à la préparation des 'platebandes d'ornementation et d'élément fixateur de
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 165 sols trop lourds ou glaiseux. M. Léo Varin, jardinier 1958 paysagiste de Ville St-Laurent, dit que le profit réel, si le LALANDE- fournisseur vend sans intermédiaire, peut atteindre $2.25 D et 1. la verge cube. Robert Dagenais, le premier témoin appelé THE QIIEEN par l'intimée, déclare que, du printemps de 1953 à l'automne de 1955, ses frères et lui auraient vendu approximativement Dumoulin J. 500 verges cubes de cet adjuvant agricole, soit environ 17Q verges cubes l'an, avec un profit annuel de $382.50, frais déduits. Selon les Dagenais, leur propriété renferme- rait encore 13,000 verges cubes de terre noire qui, au même rythme d'écoulement, durerait 76 ans. M. Eugène Therrien, expert cité par la défenderesse, établit à 10,000 verges cubes cette contenance, quantité qui, à raison du montant offert de $450 l'arpent carré donne un total de $4,000 pour 8.96 arpents. Retenant la quantité mentionnée par Robert Dagenais, 13,000 verges cubes, et le profit annuel moyen de $382.50, la capitalisation à 5% de ce rendement corres- pondrait à $7,650. En pareil cas, il est d'élémentaire prudence de prévoir des périodes de mévente comme aussi la concurrence de jardiniers spécialisés. On doit dire que ces ventes peu actives ne constituaient chez les requérants, porchers de leur état, qu'un à-côté tout à fait secondaire. Une compensation de $6,000 paraît amplement suffisante. Les facteurs principaux, qu'il importe de peser avec toute l'attention possible, ne sont autres, évidemment, que la valeur du terrain, des usines, celle du rendement réel du commerce, le chiffre de la perte de profits pendant la période de réinstallation et les dépenses afférentes au choix d'une localité plus éloignée des abattoirs. Les requérants entendirent quatre témoins experts, MM. Aimé Gagnon, agronome, Maurice Beaudry, ingénieur professionnel, Joseph Ste-Marie, comptable agréé, Paul-Emile Demers, courtier en immeubles et évaluateur de bâtiments pour la Corporation de Ville St-Laurent. Les indemnités globales suggérées s'élèvent respectivement à: Par Aimé Gagnon $ 1,008,158.20 Par Joseph Ste-Marie 275,000.00 (et alternativement $200,000.00 advenant une cessation des affaires) Par Maurice Beaudry 169,737.00 Par Paul-Emile Demers 90,817.10
166 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 M. Demers n'a pas recherché ce que pourrait être un LALANDE- dédommagement raisonnable pour l'interruption des affaires DAQE et a1l. d urant la période de reconstruction. v. THE QU N L'intimée, d'autre part, avait initialement offert une somme de $77,000, subséquemment réduite à $8,000, sous Dumoulin J. prétexte de précarité, parce que les expropriés maintien-draient leur porcherie en dérogation aux règlements munici-paux de Ville St-Laurent. Une tranche de $40,000 des offres ci-dessus était affectée à l'expropriation des bâtisses, évaluation identique au montant de $40,349 recommandé par l'expert Demers. Le 22 mai 1956, l'intimée, après permission, produisit une défense amendée se lit, entre autres, le para. 28a: Si les pétitionnaires se voient dans l'obligation de discontinuer leur commerce, ce n'est pas à raison de la présente 'expropriation mais par le fait des autorités compétentes et pour la raison qu'ils ont jusqu'ici opéré ledit commerce à l'encontre de la loi et des règlements; On sait quels sont les règlements allégués, les n0 8 33 et 39A (pièces 38 et 39), portés en 1930 et 1934 par l'autorité municipale de la Paroisse St-Laurent. Ils prescrivent un découvert de 1,000 pieds entre une porcherie et les maisons d'habitation, et de 1,500 pieds entre tel établissement et le chemin public. On n'y relève même pas l'obligation préalable d'un permis d'exploiter. Pareille réglementation ne contient rien de très menaçant et ne fut jamais invoquée à l'encontre des pétitionnaires qui, sans protestation aucune, agrandirent périodiquement leurs porcheries. Cette longue et persistante tolérance peut ne pas être constitutive de droits acquis, mais d'autre part, autorisait-elle la volte-face à tout le moins étrange, sinon même un peu confiscatoire, décrite par l'expropriante en raison de cette mince hypothèse, et justifie-t-elle une compression d'offres de $77,000 à $8,480? Assurément, l'autorité souveraine, s'appropriant un terrain pour des fins d'utilité collective, peut supputer l'intégrité du titre qu'elle acquiert sans être taxée pour autant d'exciper du droit d'autrui. Par contre, elle ne saurait exciper par anticipation des intentions d'autrui: celles, en l'espèce, d'une municipalité qui, depuis vingt-cinq ans, avalisait par un mutisme continu, les dérogations à sa réglementation civique. Et surtout nul ne saurait exciper de sa propre preuve en y contredisant. L'intimée, par tous
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 167 les moyens dont elle disposait, s'est employée à dévaloriser 1958 le lot 174, alléguant qu'il était impropre à l'agriculture LALANDE- comme aussi aux exigences basiques de la construction DAGENAIS et al. industrielle ou domiciliaire. v. THE QUEEN Elle n'a point paru différer d'opinion avec le courtier Dumoulin J. Paul-Emile. Demers, qui reportait à cinq ans ou davantage l'expansion immobilière de ce secteur. Ce ne fut pas sans motifs plausibles, je présume, que l'expert Therrien accorda tout juste une valeur de $500 l'arpent quand l'expert Demers la haussait au niveau de $1,500. Si, présentement, les pétitionnaires sont empêchés d'adapter les constructions existantes au gré littéral des ordonnances de la Cité de St-Laurent, seule la prise de possession pratiquée le 7 jan-vier 1954 en est la cause. Je dois déclarer que, dans le cas actuel, le passé, le présent et l'ensemble des conditions ambiantes auraient suffi à garantir aux Dagenais un long avenir de possession introublée. Un civiliste d'éminente renommée européenne, le juris-consulte belge Edmond Picard, aux pages 112, 113 et 114 de son Traité général de l'Expropriation, tome 1, étudie précisément cette complication de précarité. Avec les transpositions applicables à l'instance présente, la citation ci-après fera voir le cas à faire de cette prétendue précarité: L'indemnité pour être complète, doit-elle tenir compte des avantages dont l'exproprié jouissait à titre précaire, avec des chances plus ou moins grandes d'en voir durer la jouissance? ... un propriétaire ayant obtenu d'établir sur son fonds un marché, mais sans concession pour une durée précise, il était à supposer que l'autorité eut toléré longtemps encore cette destination; l'expropriant vient rendre cette bienveillance inutile en s'emparant du bien au sujet duquel elle se manifestait. Les expropriés ont presque toujours élevé ici des prétentions trop exagérées pour qu'il fut difficile aux tribunaux de ne pas tomber dans une exagération contraire. Nous croyons quant à nous que la vérité réside dans une appréciation intermédiaire. Considérer comme certain dans son avenir l'avantage dont l'exproprié jouissait, est une erreur. Cet avantage n'était-il pas exposé à des eventuadités? Ne pouvait-il pas tôt eu tard être anéanti par une résolution plus ou moins capricieuse de celui qui avait sur la chose un droit de disposition? Mais d'un autre côté n'est-ce pas également une erreur et une iniquité de traiter la jouissance précaire comme si elle eut nécessairement disparaitre par le fait du propriétaire au moment même l'expropriation est intervenue? N'était-il pas possible que sans celle-ci, elle eut eu encore une longue durée? Dès lors si elle est prématurément anéantie n'est-ce pas à l'expropriation qu'il faut l'imputer et n'y a-t-il pas lieu d'accorder une indemnité en vertu du principe qui exige que pour être complète et équitable l'indemnité com-prenne tous les préjudices qui ont l'expropriation pour cause? A notre
168 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 avis la solution affirmative n'est pas douteuse et l'influence de l'incertitude LA ` LA ~ N qu'avait la situation de l'exproprié ne devra se faire sentir que dans la DE- DAQENAIs du chiffre. Il est incontestable quu''on ne saurait attribuer et al. à un avantage incertain dans sa durée la même valeur qu'à un avantage v assuré. Il y aura lieu de tenir compte de toutes les circonstances et THE QUEEN d'arriver autant que possible à une appréciation raisonnable. Dumoulin J. En d'autres termes, on s'arrête, croyons-nous, beaucoup trop en matière d'expropriation à la situation de droit et trop peu à la situation de fait... . On enseigne en général que l'indemnité ne doit pas comprendre le préjudice simplement éventuel. Cela est exact en tant qu'il s'agit de la menace d'un mal qui n'est pas réalisé au moment de l'expropriation et que cette expropriation vient désormais rendre impossible... . En fonction des faits et de la doctrine qui précèdent, il ne m'est point loisible de faire acception utile de cette fin de non-recevoir inspirée par le langage peu comminatoire des pièces 38 et 39. Reprenant ici l'examen de l'expertise, je citerai deux passages de celle conduite par M. Aimé Gagnon qui, je le pense, paraîtront suffisamment révélateurs pour justifier une mise à l'écart de ce rapport à tout le moins fantaisiste. L'expert, dont je rapporte presque textuellement les paroles, appréciait les inconvénients résultant d'un nouvel établissement en dehors de Montréal et sans hésitation aucune il déclare: "Le roulage actuel des camions de l'entre-prise se fait sur une distance de 25 milles des marchés. Les requérants ne trouveront de site convenable qu'à 25 milles au delà du grand Montréal ce qui doublera la distance annuelle de 45,000 milles la portant à 90,000 par an. L'allure horaire normale des camions est de 30 milles. Il faudrait donc 1,500 heures de roulage par année. Incluant dans un même montant les gages du camionneur et les dépenses inhérentes au roulage d'un camion, on obtient une dépense de $3 l'heure, ce qui signifierait des déboursés supplémen-taires de $4,500 par année, soit 1,500 heures multipliées par $3. Donc $4,500, capitalisés à 5% font: $90,000". Et voilà. Autre exemple. L'expert Gagnon ajoute que présente-ment les frères Dagenais et leur mère "travaillent en coopé-ration". 'Ce négoce exige que deux et parfois trois des associés soient sur la route. Quand les trois s'absentent,, Madame Dagenais demeure sur les lieux et surveille les conditions générales et la préparation des déchets alimen-taires pour les animaux. Cette porcherie disparaissant, les Dagenais se sépareront, décide le témoin. Chacun d'eux
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 169 engagera un gérant et s'adonnera personnellement aux 1958 exigences des affaires qui requièrent leur présence au dehors. LALANnE-Le salaire d'un gérant compétent dans l'élevage du porc et D At I' AIS l'administration d'une porcherie ne sera pas inférieur à THE QUEEN $5,000 l'an. Ici encore nous devons prévoir une indemnité totale de $15,000, une capitalisation à 5% et une dépense Dumoulin J. de $300,000. Nous voici rendus au joli denier de $390,000 avant même d'avoir songé à la valeur du terrain, des bâtiments, de la terre noire et des ennuis causés par une interruption des affaires. Avant de départager des prétentions aussi contradictoires et de rechercher l'indice d'une compensation équitable, il est opportun de poser les principes dont ce labeur devra s'inspirer. Et d'abord l'art. 46 de la Loi sur la Cour de l'Echiquier, S.R. c. 98, prescrit que: 46. La Cour, en déterminant le montant qui doit être payé à un réclamant pour un terrain ou une propriété expropriée pour les fins d'un ouvrage public, ou pour dommages causés à un terrain ou à une propriété, en estime ou établit la valeur ou le montant à l'époque le terrain ou la propriété a été expropriée ou à l'époque les dommages dont il est porté plainte ont été causés. S.R., c. 34, art. 47. L'application concrète de cette règle fut, à maintes reprises, l'objet d'interprétations judiciaires. Je me limi-terai à celles qui ont davantage retenu l'attention des praticiens. Le Conseil Privé, en 1914, dans l'affaire Cedars Rapids Manufacturing and Power Co. v. Lacoste' par l'organe de Lord Dunedin édictait que: For the present purpose it may be sufficient to state two brief propositions: (1) The value to be paid for is the value to the owner as it existed at the date of the taking, not the value to the taker; (2) the value to the owner consists in all advantages which the land possesses, present or future, but it is the present value alone of such advantages that falls to be determined. Where, therefore, the element of value over and above the bare value of the ground itself (commonly spoken of as the agricultural value) consists in adaptability for a certain undertaking (though adaptability as pointed out by Fletcher Moulton, L.J. in the case cited, is really rather an unfortunate expression) the value is not a proportional part of the assumed value of the whole undertaking, but is merely the price, enhanced above the bare value of the ground, which possible intending undertakers would give. That price must be tested by the imaginary market which would have ruled had the land been exposed for sale before any undertakers had secured the powers or acquired the other subjects which made the undertaking as a whole a realized possibility. 1 [1914] A.C. 569.
170 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 Les autres décisions auxquelles il est coutumier de référer LALANDE- répètent à quelques mots près ces mêmes normes d'apprécia-ms Det al t i on qui, à mon sens déférent, font la part trop grande à v. la subjectivité d'appréciation. THE Q Retenons ces deux critères. Premièrement la conpensa- Dumoulin J. t ion doit équivaloir à la valeur pécuniaire que le propriétaire attache raisonnablement à l'immeuble exproprié lors de la prise de possession; deuxièmement, cette valeur pour le propriétaire comprend tous les avantages actuels et futurs inhérents à son patrimoine mais cette valeur s'apprécie au temps de l'expropriation. Ces mêmes règles sont réitérées dans les affaires: Lake Erie and Northern Ry. Co. v. Schooleyl, et Pastoral Finance Association Ltd. v. The Minister 2. Enfin, M. le Juge Rand de la Cour Suprême du Canada déclarait dans l'instance Diggon-Hibben, Limited v. His Majesty The Kings: . . . The statement means, . . . that the owner at the moment of expropriation is to be deemed as without title, but all else remaining the same, and the question is what would he, as a prudent man, at that moment, pay for the property rather than be ejected from it. Il incombe donc d'examiner non seulement les prin-cipaux facteurs mais les aspects incidents du problème. Le premier n'est autre que l'estimation du terrain et des por-cheries. Rappelons que les requérants demandent, par leur pétition, amendée le 14 mai 1956, $2,000 l'arpent, soit $18,000 pour les 9 arpents expropriés; l'offre initiale de la Couronne étant de $500 l'arpent, ou - ,480. Pour le compte des Dagenais, M. Paul-Emile Demers, courtier en immeubles, pratiqua une expertise générale des biens affectés. Le résultat de ses recherches me paraît plus rationnel que celui de l'ingénieur Beaudry en ce qu'il fait acception de l'état véritable. Toutefois, ce n'est pas à dire que j'accepterai les coefficients particularisés qu'il attache à certains éléments. Je ne m'accorderai certes pas avec sa suggestion d'un prix de $1,500 l'arpent, mais la somme globale de $90,817.10, indemnité de rétablissement non comprise, mérite d'être discutée. Monsieur Demers déposa au dossier plusieurs copies d'actes de vente de terrain situé dans la localité. Le tableau, pièce 121, libellé A O, résume quinze de ces 1(1916) 53 Can. S.C.R. 416. 2 [19141 A.C. 1083. [1949] S.C.R. 712 at 715.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 171 transactions et révèle un prix minimum de $1,710 et un prix 1958 maximum de $5,672.92 l'arpent carré. Deux objections LALANDE-maj eures interdisent d'appliquer ces prix au présent cas. D et al A IS L'article 46 de la Loi, nous l'avons vu, édicte que la valeur T$E v. EEN d'un bien ou le montant des dommages doit s'établir à l'époque la propriété est prise ou les dommages occasion- Dumoulin J. nés, en l'occurrence, le 7 janvier 1954. Cet énoncé statu-taire, comme bien d'autres, ne saurait recevoir une inter-prétation d'une rigueur littérale. C'est ce que décida récemment la Cour Suprême dans l'affaire de Roberts and Bagwell v. The Queen'. Le jugement unanime du plus haut tribunal au pays fut prononcé par M. le Juge Nolan dans les termes ci-après: In my view, evidence of a sale after the enactment can, in the absence of special circumstances, be relevant to the value prior to the enactment. The sale must be shown to be as free in all respects from extraneous factors such as prior sales and made within such time as the evidence shows prices not to have changed materially from those before the critical date. In other words, the mere circumstance of the sale being before or after a particular date cannot nullify the relevance of subsequent sales while the general market conditions have remained the same. The rule should allow the Court to admit evidence of such sales as it finds, in place, time and circumstances, to be logically probative of the fact to be found. J'hésiterais à sanctionner l'admissibilité de transactions deux ans après la date critique, si, par ailleurs, un de ces facteurs étrangers à l'indice normal des prix (extraneous factors) ne s'était introduit de façon intense dès le mois de février 1956. Cette conjoncture fut l'annonce du percement du Boulevard métropolitain, qui décrira une longue diagonale à travers le territoire de Ville St-Laurent, d'un point donné sur le Chemin de la Côte de Liesse, pour se prolonger en direction de Pointe-Claire. Aussitôt, une fièvre de spéculation s'alluma avec des conséquences anormales, dont la vue de la pièce 121 procure un exemple concluant. Pour ces motifs, je dois écarter les ventes sub-séquentes à 1954 d'autant qu'il fut démontré que dès 1950, la construction prévue du Boulevard métropolitain déter-minait déjà des acquisitions à des prix fabuleux. En regard de la pièce 121, nous avons le tableau dressé par M. Eugène Therrien, pièce I-9, avec les précisions essentielles de onze ventes en 1953, affectant des lots circonvoisins. Sur ce tableau, les montants varient de $600 à $3,000 l'arpent carré. Nous serions encore bien loin de $500 l'arpent, si 1 [1957] S.C.R. 28 at 36.
172 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 le témoin Therrien n'expliquait que l'étroitesse du lot 174 LALANDE- et sa condition bourbeuse ne le déclassaient tant pour fins DAdENAIs et al. de constructionquepour fins ag ~ r icoles. A ce sujet, M. Therrien spécifie que "la partie arrière du 174 comprend THE Q une terre basse et mal égouttée. Je m'y suis rendu trois Dumoulin J. fois et à chaque occasion il me fallut chausser des bottes. La photo I-10 montre l'étroitesse de ce terrain et aussi des flaques d'eau qui en indiquent le bas niveau. L'enlèvement de la terre noire accroît la présence de l'eau stagnante". Monsieur Demers repousse cette défaveur et soutient que "l'exiguïté, 99 pieds, en front de la propriété Dagenais n'enlève absolument rien à sa valeur marchande". Il signale la vente des lots 66, 67 et 69 appartenant à la succession Deslauriers, d'une largeur d'un demi-arpent chacun; les lopins 66 et 67 furent payés $250 l'arpent carré selon un jugement de la Cour de l'Echiquier en 1940. Dois-je com-prendre que la juxtaposition des lots 66 et 67, larges d'un arpent, leur imprimait une valeur que le lot 174, avec 99.5 pieds de front, ne pourrait avoir? Monsieur Demers continue: "Aujourd'hui [octobre 1956] les Dagenais trou-veraient de nombreux acheteurs pour leur propriété, mais en 1954, au moment de l'expropriation, leur terre, comme les autres de cet arrondissement aurait bien pu ne pas trouver preneur. Toutes ces terres de la Côte St-François, fait encore le témoin, étaient dévaluées, dépréciées en 1954". Malgré cette dépréciation, Demers porte la valeur de ces terrains, à cette même époque, à $1,000 l'arpent carré, opinion difficilement conciliable, il me semble, avec cette autre, manifestée par le témoin lors de son contre-interroga-toire, que "le prix des terres ayant front de quelque côté sur la Côte St-François était dérisoire avant l'annonce de l'ouverture du Boulevard métropolitan, il y a six ou sept mois, vers le mois de mars 1956". Ce témoin ajoutera que "actuellement le développement de Ville St-Laurent atteint le lot 483 il s'arrête. Le lot 174 se trouve à 32 milles plus loin vers l'ouest". Demers affirme, sans hésitation, "que l'industrie des Dagenais n'aurait pas été rejointe par l'expansion immolière avant cinq ans environ", et je me range, volontiers, à cette impression qui se dégage d'ailleurs de la comparaison de différentes expertises; de celle, par-ticulièrement, d'Eugène Therrien.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 173 Tout comme M. Demers, je pense que la reconstruction 1 9 58 éventuelle des porcheries à Côte de Liesse exigerait un prix L ALAND&- d'achat vraiment prohibitif. Les mêmes objections s'appli-IS Detail. queraient à tous les terrains avoisinants l'aéroport de y. Cartierville. Dès maintenant, j'envisage comme uniqTuHeE possibilité rentable le déménagement au delà de l'île de Dumoulin ̀T. Montréal et même de la région circonvoisine. Puisque nous en sommes au chapitre, du reste fort bref, de la concordance de certaines opinions entre les parties, j'ajouterai qu'elles conviennent qu'il en coûterait autant de reconstruire les porcheries ailleurs que d'en pratiquer le réaménagement sur les 900 pieds de terrain non atteints par l'emprise de l'Etat. Enfin l'expert Therrien reconnaît que "les porcheries expropriées n'ont aucune valeur de récupération". Après mûre réflexion, je conclus que la plus value arti-ficielle dont fut affecté le secteur, qui, depuis plusieurs années échappe à toute norme rationnelle d'appréciation, passant de $250 à près de $6,000 l'arpent, incite à recher-cher un autre mode de calcul si, par ailleurs, il en existe de valable. Deux autres experts, MM. Joseph Ste-Marie et Clément Primeau, tous deux comptables agréés, le premier cité par les requérants, le second par l'intimée, soumettent à la Cour une méthode à la fois plus scientifique et assurément mieux appropriée à l'équitable solution du litige, dans les circon-stances connues. Ce procédé consiste à obtenir les revenus réels d'une période de cinq ans, si possible, à préciser la moyenne annuelle, puis à capitaliser la résultante selon des barèmes de 10 à 30%, d'après le degré d'importance et de stabilité de l'industrie. Le Président de cette Cour avait en quelque sorte accrédité cette opération comptable dans la cause The Queen v. Potvinl disant que: While this method of appraising the value of farm property is comparatively new it is gaining acceptance: vide McMichael's Appraising Manual, 3rd edition, page 281. It is easy to appreciate why this should be so. It is, in my opinion, a sound approach to the determination of the value of an expropriated farm to its former owner to ascertain its productivity by computing the average annual gross revenues from its crop yields and deducting therefrom the appropriate costs of their production and to capitalize the net value of the production so ascertained at the appropriate rate. 1 [1952] Ex. C.R. 436 at 444, 445. 51481-0-2a
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174 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 There must be many cases where the value of a farm can be more LALANDE- nearly accurately determined by this method of appraisal than by any DAGENAIS other and I am of the view that the present case is one of them. et al. v. Un second économiste, Dewing, très écouté, paraît-il, THE QUEEN préconise un mode identique d'évaluation à la p. 390 de son Dumoulin J. traité intitulé: Financial Policy of Corporations, 5e édition, vol. 1, dont suivent les passages appropriés: SUMMARY STATEMENT OF CAPITALIZATION OF EARNINGS From these various methods of approach, it is possible to throw industrial businesses into diverse categories in accordance with which we can form some estimate of the value of a business by capitalizing its earnings. These categories could be described in the following manner: 1. Old established businesses, with large capital assets and excellent goodwill-16% a value ten times the net earnings. Very few industrial enterprises would come within this category. 2. Businesses, well established, but requiring considerable managerial care. To this category would belong the great number of old, successful industrial businesseslarge and small-121%a a value eight times the net earnings. 3. Businesses, well established, but involving possible loss in consequence of shifts of general economic conditions. They are strong, well established businesses, but they produce a type of commodity which makes them vulnerable to depressions. They require considerable managerial ability, but little special knowledge on the part of the executives-16%, a value approximately seven times the net earnings. Madame Dagenais, préposée à la comptabilité, s'est acquittée assez sommairement de ce soin essentiel. Comme il arrive fréquemment, des notations importantes furent inscrites sur des bouts de papier qui n'ont laissé aucune trace. La comptabilité véritable commence en 1952. Un relevé acceptable, sans être un modèle du genre, fut pré-paré pour les exercices fiscaux 1952 à 1955 inclusivement par le comptable, J. Orner Désilets, et produit sous la cote 37. Force sera donc de se satisfaire des bilans de trois années: 1952, 1953 et 1954. J'admettrai celui de 1954 puis-que certains besoins de l'exploitation, tels les contrats pour la cueillette des déchets sont conclus douze mois à l'avance. Voici maintenant le tableau des bénéfices réels des années susdites rapportés à la pièce 37: 1952 $ 21,195.24 1953 26,639.85 1954 32,913.75 $ 80,748.84
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 175 Cette somme atteste une moyenne par an de $26,916.28, 1958 dont il faut ensuite déduire les salaires annuels que les 1", quatre sociétaires ont négligé de s'attribuer. Sur ce point, IAIs D et je ne m'accorde pas avec la suggestion de l'intimée ni tout v. Q UEEN à fait avec celle de l'expert Demers, témoin des pétition- THE naires. Voici l'attribution que je crois raisonnable de faire: Dumoulin J. Madame Dagenais, comptabilité, surveillance générale, entretien domestique $ 1,200 Robert Dagenais, gérant 4,000 Roland Dagenais 3,000 Réal D agenais 3,000 Total $ 11,200 Défalcation faite des rémunérations, le profit réel et annuel obtenu s'établit à $15,716.28. Reste à déterminer un coefficient convenable de capitalisation. La porcherie Dagenais bien qu'elle ait attesté à date une constante progression, grâce au labeur et à l'esprit d'entente des associés, ne laisse pas toutefois de recéler quelques faiblesses. Tout bien pesé, elle dépend de la per-sistance de cette coopération familiale qui, un moment donné, peut être déjouée par des causes indépendantes de la volonté humaine: maladie, incapacité, décès prématuré. N'eussent été ces mauvaises chances toujours présentes, j'aurais appliqué le taux de 14-% à ce négoce exploité aux portes mêmes de la métropole canadienne. Je suis d'avis que le commerce d'alimentation n'est affecté qu'en dernier lieu par les perturbations économiques. S'il était permissible de confirmer ce sentiment par les faits de l'heure présente, je signalerais que, malgré la régression industrielle et le chômage généralisé, nous constatons la hausse ininter-rompue du coût de la vie au triple chapitre du loyer, du vêtement et des denrées comestibles. Je m'arrêterai à un indice de capitalisation de 15%, soit un report de $104,775.20, dont, le cas échéant, l'on devra soustraire l'actif récupérable. Monsieur Eugène Therrien a constaté, il est vrai, que les matériaux des porcheries n'avaient pas de valeur utile et que tout essai de remploi serait plus coûteux qu'une mise au rancart. 51481-0-2ta
176 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 Il n'en va pas ainsi de la bouilloire et des camions que les D LA LANDE- Dagenais pourront utiliser. Aimé Gagnon assigne un prix e al . AIS de $5,000 à l'appareil de cuisson, moins une dépréciation Qv. de 10% ce qui en établit la valeur à $4,500. Joseph Ste-THE uEEN - Marie, comptable, entendu par les requérants, mentionne DullloUlln J trois camions, l'un datant de 1955 et deux autres de 1956, qu'il évalue à $7,000, moins dépréciation approximative de 2070: $5,800. Le comptable Clément Primeau, de son côté, inscrit à la pièce I-38, un poste de $3,994.22 en regard de l'item "camions" que j'adopterai comme correspondant mieux à la dévalorisation réelle. Deux autres conjonctures dommageables doivent aussi être liquidées: la perte de profits occasionnée par le déménagement de l'industrie et sa reconstitution ailleurs; l'estimation de la dépense supplémentaire de camionnage nécessitée par le choix d'un site plus éloigné que l'actuel. L'intimée ne prenant pas immédiatement le terrain exproprié, laisse les exploitants en possession. Cette tolé-rance, depuis 1954, n'excuserait pas les frères Dagenais d'avoir différé le soin d'acquérir une autre propriété susceptible de convenir à la reprise de leur commerce. Six mois de la date de leur déguerpissement du. lot 174 me semblent suffire à la remise à pied d'oeuvre de l'entreprise et les demandeurs auront droit à une indemnité équivalente à six mois de profits réels, salaires non compris, soit un montant de $7,858.14. L'indemnité pour roulage additionnel est d'autant plus problématique que maintes localités furent mentionnées sans indication de préférence pour aucune. C'est ainsi que l'on a suggéré St-Janvier de Terrebonne, à 17 milles du Pont de Cartierville; la Paroisse de Laprairie, à 7 milles de l'extrémité sud du Pont Victoria; St-Philippe, sur la route 9A, à ,11 milles de l'extrémité sud du Pont Victoria; St-Mathieu, éloigné de 16 milles du point précité; la Munici-palité de Delson, à plus de 15 milles du Pont Victoria; St-Constant, à 16 milles du même pont. Une preuve, plutôt vague, laisserait croire que le site de la future porcherie allongerait d'au plus 10 milles le trajet à l'abattoir qui est actuellement, on le sait, de 20 milles. Wilfrid Boudrias, propriétaire d'une porcherie à St-Isidore de Laprairie, livre annuellement de 600 à 700 lards à l'abattoir de la rue Bridge, une distance de 15 à 17 milles. Rien
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 177 n'empêcherait, semble-t-il, les Dagenais de choisir une. 1958 localité qui ne serait pas éloignée davantage. Boudrias LALANDE- recueille, une fois le jour, les reliefs de table d'une trentaine D S e de restaurants. Les requérants pourraient aussi réduire à T$E v. l'unité les trois prélèvements quotidiens de vidanges, ce qui . Q EEN n'apparaît pas impossible. Or, 10 milles de plus, aller retour, Dumoulin J. font 20 milles par jour, et ces cueillettes s'effectuent dimanches, jours de congé, tout autant que les jours ouvriers. L'agronome Gagnon, et ce sera la seule de ses appréciations que je ratifierai, mentionne un prix de $3 l'heure pour l'essence motrice et les gages du camionneur. Vingt milles par jour font 7,300 milles par année, qui, à une vitesse horaire de 30 milles donnent 243f heures de roulage à $3 l'heure: un déboursé de $730 l'an qu'il ne m'est pas loisible, cependant, de capitaliser, ne serait-ce qu'en pré-vision de la cessation des affaires. J'estime équitable d'allouer une compensation de $5,000 pour cet alourdisse-ment des frais d'exploitation. Quant à la réclamation de déménagement, je prends pour acquis, selon l'assertion de M. Therrien, qu'une reconstruction complète s'impose, les vieux matériaux ne valant pas d'être récupérés. Les six mois accordés pour réinstallation permettront de disposer du stock animal dès le moment de la notification de déguerpir qui, il y a lieu de le présumer, comportera un préavis raisonnable. Il a été dit ailleurs que la période d'élevage durait au plus six mois et j'ai l'impression que trois mois suffiront à rebâtir les porcheries. Les affaires reprenant, les messieurs Dagenais auront eu le temps requis à la reconstitution de leur cheptel. La récapitulation des indemnités s'établit de la manière suivante: Valeur du terrain et des bâtisses $104,775.20 Terre noire 6,000.00 Indemnité (6 mois de perte de profits) 7,858.14 Indemnité (pour millage additionnel) 5,000.00 $123,633.34 dont il faut enlever: Pour camions et bouilloire 8,494.22 Total $115,139.12
178 EXCHEQUER COURT OF CANADA [1958] 1958 Convient-il d'ajouter à cette allocation un montant de LALANDE- 10% pour tenir compte de la dépossession forcée? Dans la D s et l cause Diggon-Hibben, Limited v. The Kingl, M. le Juge v Rand, à la p. 713, exprime l'avis ci-après relaté: THE QUEEN In the case of Irving Oil Company v. The King 2, it was held that while Dumoulin J. an allowance of 10 per cent for compulsory taking is not a matter of right, in circumstances presenting difficulty or uncertainty in appraising values, such as were found there, the practice of making that allowance applied. Similar circumstances are present here; in fact in the general character of the two situations there is no difference whatever. For that reason, I think the allowance should be made. M. le Juge Estey, aux pages 719 et 720, retraçait l'his-torique du droit à cette compensation occasionnelle, nous citons: The allowance for compulsory taking is founded upon a long established practice in the Courts and is granted as part of the compensation. It is a factor in the compensation separate and apart from what would be included as disturbance allowance. So well established was the practice in Great Britain that as early as 1890 when it was deemed undesirable to make this allowance in connection with certain properties a statute was enacted to that effect (s. 21 of the Housing of the Working Classes Act, 1890, 53 & 54 Viet., c. 70). It was there provided that when land was taken in an unhealthy area no "additional allowance in respect of compulsory purchase" shall be made. The distinction between the allowance for disturbance and that for compulsory taking was emphasized in Great Britain in 1919 with the passage of the Acquisition of Land (Assessment of Compensation Act, 1919) where in sec. 2(i) it is specifically provided that an allowance for compulsory taking is not permitted under that Act while in sec. 2(6) it is specifically provided that rule 2 should not affect the allowance for disturbance. This provision is dealt with in Horn v. Sunder-land (1941) 2 K.B. 26. In this Court the allowance for compulsory taking was granted in Irving Oil Co. Ltd. v. The King supra and prior thereto in The King v. Trudel3 ; The King v. Hunting, et a1.4; The King v. Hearns. L'honorable Juge Taschereau de la Cour Suprême du Canada appliquait de nouveau cette jurisprudence dans l'affaire de Lavoie v. Le Roi'. Pour parité de motifs, j'accorderai une indemnité de 10%, ce qui reportera l'allocation globale à la somme de $126,653.03. En terminant, je dirai que des références particularisées aux autres témoins n'eussent guère aidé en raison du mode d'évaluation choisi. Tous ces témoignages, en effet, ou presque, traitaient du prix superficiaire des terres circon-voisines de Montréal et du coût des matériaux requis à l'érection de porcheries. 1 [1949] S.C.R. 712 at 713, 719, 720. 4 (1917) 32 D.L.R. 331. 2 [1946] 2 S.C.R. 551. 5 (1917) 55 Can. S.C.R. 562. 3 (1914) 49 Can. S.C.R. 501. 6 Rendue en 1949 mais non rapportée.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA 179 La Cour, en conséquence, déclare par ce jugement que le 1 9 58 dépôt d'un plan et d'une description desdits terrains et LALANDE-immeubles, effectué le 7 janvier 1954, au Bureau de la D e t AlS Division d'enregistrement de Montréal, a investi Sa Majesté v QUEEN la Reine, depuis la date précitée, des différents droits de THE propriété foncière sur le lot n° 174 du cadastre officiel de la Dumoulin J. Paroisse St-Laurent, comté de Jacques-Cartier, Province de Québec, selon que spécifié dans le document produit en cette cause sous la cote R-2 ainsi qu'au paragraphe 8 de la péti-tion amendée; que les requérants, sur remise par eux faite, de titres clairs, nets et libres de toute charge et hypothèque, établissant naguère leur droit à la propriété expropriée, recevront à titre d'indemnité liquidée une somme de $115,139.12, avec, en outre, 10% de ce montant, soit $11,513.91, pour dépossession forcée, faisant une compensation globale de $126,653.03, le tout sans intérêt, à diviser entre les quatre requérants suivant leurs droits respectifs, selon les proportions apparaissant à l'art. 13 de la pétition de droit amendée. Les requérants devront recouvrer les dépens taxables. Jugement en conséquence.
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