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[2017] 1 R.C.F. 185

IMM-469-16

2016 CF 572

Mariam Magadlin John (demanderesse)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : John c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, protonotaire Aalto—Toronto, 25 mai 2016.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Requête présentée conformément à la règle 369 des Règles des Cours fédérales de prorogation du délai pour signifier et déposer le dossier de la demanderesse dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire — Le retard relatif à une demande d’aide juridique infructueuse était la principale explication avancée pour justifier que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’a pas été mise en état dans les temps — La demanderesse a déposé deux affidavits : l’un établi par son fils et l’autre par une auxiliaire juridique du cabinet de l’avocate de la demanderesse — L’affidavit de son fils décrivait les étapes suivies pour présenter une demande d’aide juridique — La demanderesse, dont la demande de statut de réfugié au sens de la Convention a été rejetée, a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue dans l’appel qui a échoué de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada — Son fils a eu de nombreuses difficultés à trouver un avocat — Le défendeur s’est opposé à la requête signifiée par l’avocate de la demanderesse au motif qu’il n’y avait pas de cause défendable et que l’explication fournie pour le retard ne suffisait pas — Il s’agissait de savoir si la requête de prorogation du délai pour signifier et déposer le dossier de la demanderesse devait être accueillie — L’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly de la Cour fédérale demeure l’arrêt de principe qui énonce les conditions à remplir pour obtenir une prorogation de délai — L’arrêt de principe Espinoza c. Canada, sur lequel le défendeur s’est fondé, a été clarifié en l’espèce — Il est important que la Cour ait en preuve les circonstances et l’état d’avancement de la demande d’aide juridique — Les prolongations sont discrétionnaires et les éléments de preuve doivent soutenir l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en faveur de l’octroi d’une prolongation lorsque cela est justifié — Seules les prolongations d’une durée indéterminée ne devraient pas être accordées lorsqu’une partie attend que l’aide juridique soit approuvée — L’affidavit du fils de la demanderesse constituait une preuve directe et fournissait une explication complète et approfondie du retard — Le défendeur n’a pas soutenu l’argument selon lequel le retard n’était pas expliqué — Quant au bien-fondé de la décision à examiner, une cause défendable a été établie et elle satisfaisait au critère du « bien-fondé » — Une requête interlocutoire en prorogation du délai n’est pas la procédure adéquate pour trancher les questions de fond — Le défendeur n’a pas allégué qu’il avait subi un préjudice en raison de l’octroi d’une prorogation et il n’y avait aucun préjudice dans les circonstances de l’espèce — En outre, l’octroi d’une prorogation de délai était nécessaire pour que justice soit faite entre les parties — Ainsi, tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly étaient respectés en l’espèce — Par conséquent, une prorogation était justifiée — Requête accordée.

Il s’agissait d’une requête présentée conformément à la règle 369 des Règles des Cours fédérales de prorogation du délai pour signifier et déposer le dossier de la demanderesse. Le retard relatif à une demande d’aide juridique infructueuse était la principale explication avancée pour justifier que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire n’a pas été mise en état dans les temps. La question de savoir si les retards inhérents à une demande d’aide juridique est une explication acceptable pour le défaut de mettre une demande en état dans le délai prescrit a été réexaminée.

La demanderesse a déposé deux affidavits à l’appui de sa demande : l’un établi par son fils et l’autre par une auxiliaire juridique du cabinet de l’avocate de la demanderesse. L’affidavit de son fils fournit un historique de l’expérience de la demanderesse avec le processus d’immigration et les efforts déployés par cette dernière pour obtenir le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile de la demanderesse et a conclu qu’elle n’avait qualité ni de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger. L’appel de cette décision devant le tribunal d’appel a échoué. L’affidavit de son fils expose ensuite les démarches qui ont été entreprises pour obtenir une aide juridique et ainsi permettre à la demanderesse de présenter sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La demande d’aide juridique de la demanderesse a été présentée. Une demande de complément d’aide juridique était en cours à ce moment-là et un avocat avait été choisi. Cependant, malgré les efforts du fils de la demanderesse pour trouver un avocat, de nombreuses complications sont survenues. En fin de compte, les services d’une autre avocate ont été retenus. La deuxième avocate a signifié une requête en prorogation de délai au défendeur, qui s’est opposé à la prorogation, principalement au motif qu’il n’y avait pas de cause défendable et que l’explication fournie pour le retard ne suffisait pas. En ce qui concerne le deuxième affidavit, il n’établissait pas des faits, mais des arguments et le droit. Il soulignait les erreurs dans la décision faisant l’objet du contrôle et, en ce sens, était inutile.

Il s’agissait principalement de savoir si la requête de prorogation du délai pour signifier et déposer le dossier de la demanderesse devait être accordée.

Jugement : la requête doit être accordée.

L’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly de la Cour d’appel fédérale demeure l’arrêt de principe qui énonce les conditions à remplir pour obtenir une prorogation de délai (il y a une intention constante de donner suite à la demande; la demande est bien fondée; le retard n’entraîne aucun préjudice; il existe une explication raisonnable pour le retard). En l’espèce, le retard, en grande partie, découlait des interactions avec l’aide juridique qui a finalement refusé d’aider la demanderesse dans la conduite de la demande, en plus des difficultés éprouvées dans les tentatives de communication avec l’ancienne avocate. L’arrêt de principe Espinoza c. Canada, sur lequel le défendeur s’est fondé, a été clarifié en l’espèce, plus particulièrement en ce qui concerne ce qui a en fait été décidé dans cet arrêt. Dans cet arrêt, seule une prolongation d’une durée indéterminée a été refusée. La Cour a, en fait, accordé une prolongation de 19 jours parce qu’une demande d’aide juridique était en suspens. Il est important que la Cour ait en preuve les circonstances et l’état d’avancement de la demande d’aide juridique. Les prolongations sont discrétionnaires et les éléments de preuve doivent soutenir l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en faveur de l’octroi d’une prolongation lorsque cela est justifié. D’après l’examen des courants de jurisprudence cités par le défendeur, seules les prolongations d’une durée indéterminée ne devraient pas être accordées lorsqu’une partie attend que l’aide juridique soit approuvée. L’affidavit du fils de la demanderesse fournissait, entre autres, la chronologie des événements relatifs à la décision en litige et les tentatives déployées pour obtenir l’aide juridique, et démontrait que des efforts avaient été déployés en temps opportun. Il s’agissait d’une preuve directe et cet affidavit fournissait une explication complète et approfondie du retard. Le défendeur n’a pas soutenu l’argument selon lequel le retard n’était pas expliqué. La preuve du fils de la demanderesse expliquait amplement le retard et démontrait une intention constante de poursuivre la demande. Ainsi, les facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly relativement à une prorogation de délai étaient respectés.

Quant au bien-fondé de la décision, à cette étape des procédures, il suffisait de démontrer que la requête présentée à la Cour avait un certain bien-fondé. En examinant les observations écrites de la demanderesse à l’appui de la requête, il en est ressorti qu’une cause défendable avait été établie et qu’elle satisfaisait au critère du « bien-fondé ». Une requête interlocutoire en prorogation du délai n’est pas la procédure adéquate pour trancher les questions de fond. Lorsque des questions sont soulevées et exigent une analyse minutieuse de la décision du tribunal, celles-ci devraient être tranchées à partir du dossier complet présenté au juge de l’audience. Le défendeur n’a pas allégué qu’il avait subi un préjudice en raison de l’octroi d’une prorogation et il n’y avait aucun préjudice dans les circonstances de l’espèce. En outre, l’octroi d’une prorogation de délai était nécessaire pour que justice soit faite entre les parties, et les autres parties du critère issu de l’arrêt Hennelly étaient satisfaites. Par conséquent, une prorogation du délai était justifiée en l’espèce, et une prorogation de 19 jours a été accordée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur les douanes, S.C. 1986, ch. 1.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 369.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Procureur général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190 (C.A.F.); Bloom c. Canada, 2010 CF 621; Varga c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1 novembre 2011), IMM-5284-11 (C.F.).

DÉCISIONS DIFFÉRENCIÉES :

Oduro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8869, [1999] A.C.F. no 1542 (1re inst.) (QL); Espinoza c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1992] A.C.F. no 437 (C.A.) (QL); Kiani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1692 (1re inst.) (QL); Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Tawanapoor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5202, [1997] A.C.F. no 585 (1re inst.) (QL); Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5447, [1997] A.C.F. no 1108 (1re inst.) (QL); Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 232 (1re inst.) (QL); Feder Holdings Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national pour les Douanes et l’Accise), [1987] A.C.F. no 843 (C.A.) (QL); Shanmugaratnam c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 1472 (1re inst.) (QL); Rafique c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 864 (1re inst.) (QL); Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 218 (1re inst.) (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Chen c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (17 novembre 2010), IMM-5341-10 (C.F.); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2010 CF 1175, [2012] 3 R.C.F. 3.

REQUÊTE présentée conformément à la règle 369 des Règles des Cours fédérales de prorogation du délai pour signifier et déposer le dossier de la demanderesse concernant le contrôle judiciaire d’un appel infructueux d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Requête accordée.

OBSERVATIONS ÉCRITES

Monica Bharadwaj pour la demanderesse.

Norah Dorcine pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Monica Bharadwaj, Toronto, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

Le protonotaire Aalto :

I.          Introduction

[1]        Il s’agit d’une requête présentée conformément à la règle 369 [des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106] de prorogation du délai pour signifier et déposer le dossier de la demanderesse. Le défendeur s’oppose à la prorogation et soulève à nouveau la question de savoir si les retards inhérents à une demande d’aide juridique est une explication acceptable pour le défaut de signifier et de déposer le dossier de la demanderesse dans le délai prescrit. En l’espèce, le retard relatif à une demande d’aide juridique infructueuse est la principale explication avancée pour justifier que l’application n’a pas été mise en état dans les temps.

[2]        Il est temps de revenir sur cette question étant donné que le défendeur s’oppose fréquemment aux prolongations de délai lorsque les retards dans l’obtention d’une aide juridique sont invoqués par un demandeur pour justifier le retard.

II.         Contexte

[3]        La demanderesse sollicite une prorogation du délai pour signifier et déposer son dossier de demande. La demanderesse a déposé deux affidavits à l’appui de sa demande. L’un des affidavits est établi par son fils, Ishaiah Peter (affidavit de M. Peter), et l’autre par Mary Teresa Connolly (affidavit de Mme Connolly), une auxiliaire juridique du cabinet de l’avocate de la demanderesse.

[4]        L’affidavit de M. Peter fournit un historique de l’expérience de la demanderesse avec le processus d’immigration et les efforts déployés par cette dernière pour obtenir le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. La Section de la protection des réfugiés a rejeté la demande d’asile de la demanderesse et a conclu qu’elle n’avait qualité ni de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger. L’appel de cette décision a échoué. La décision d’appel est datée du 15 janvier 2016. Le tribunal d’appel a décelé deux erreurs dans la décision initiale relative aux conclusions sur le retard et certains documents relatifs à la résidence de la demanderesse au Koweït. En dépit de ces erreurs, l’appel a été rejeté.

[5]        L’affidavit de M. Peter expose ensuite les démarches qui ont été entreprises pour obtenir une aide juridique et ainsi permettre à la demanderesse de présenter cette demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (la demande). Un certificat d’aide juridique a été émis dans le but limité de déposer la demande. L’aide juridique a demandé des documents supplémentaires afin de déterminer si un certificat serait délivré pour les autres étapes de la demande.

[6]        La demanderesse a présenté sa demande le 1er février 2016. La demande de complément d’aide juridique était en cours quand la demande a été présentée et un avocat avait été choisi. En fin de compte, le 25 février 2016, l’avocate a informé M. Peter que le certificat d’aide juridique avait été refusé et qu’il fallait un mandat de représentation en justice dans les 24 heures. M. Peter déclare qu’il ne vit pas à Toronto et qu’il a essayé de communiquer avec l’avocate pour discuter des détails du mandat de représentation en justice. Il déclare également que l’avocate n’était pas disponible et était en vacances. Bien qu’il lui ait demandé de le rappeler, il n’a jamais eu de nouvelles d’elle.

[7]        M. Peter décrit ensuite les efforts qu’il a déployés pour trouver un autre avocat, à savoir son avocate actuelle, mais précise que celle-ci ne pouvait pas rencontrer la demanderesse et son fils avant le 11 mars 2016. Le mandat de représentation en justice a été parachevé le 13 mars 2016. L’avocate a alors entrepris de communiquer avec l’ancienne avocate afin d’obtenir le dossier et elle a sollicité une prorogation auprès du défendeur. L’avocate a été informée par le défendeur qu’une décision serait prise une fois qu’une requête serait signifiée.

[8]        La requête a été signifiée. Le défendeur refuse de consentir à une prorogation et s’oppose à cette requête. À mon avis, pour les motifs suivants, le défendeur a pris la mauvaise décision.

[9]        En ce qui concerne l’affidavit de Mme Connolly, il n’établit pas des faits, mais des arguments et le droit. Il souligne les erreurs dans la décision faisant l’objet du contrôle et établit une liste des affaires qui étayent les arguments avancés. Dans l’ensemble, il n’est d’aucune utilité puisqu’il n’y a pas forcément besoin d’un affidavit pour souligner les erreurs de droit dans la décision et le bien-fondé juridique du contrôle judiciaire.

III.        Position des parties

[10]      Le défendeur fait valoir que les quatre facteurs établis dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Hennelly, 1999 CanLII 8190 (C.A.F.), n’ont pas été satisfaits. Le défendeur affirme, entre autres, que l’attente relative à l’approbation d’une demande d’aide juridique ne constitue pas une excuse légitime du retard; que la preuve à l’appui de la demande de prorogation ne suffit pas; qu’aucun poids ne doit être accordé aux affidavits justificatifs; et que, parce que la crédibilité était un élément clé de la décision faisant l’objet du contrôle, la demande est sans fondement.

[11]      La demanderesse se fonde à la fois sur l’affidavit de M. Peter et sur l’affidavit de Mme Connolly et soutient qu’il n’y a aucun préjudice pour le défendeur, que l’intention de poursuivre la demande est claire, que le bien-fondé de la demande a été démontré, et que le retard a été expliqué.

IV.       Analyse

[12]      Il ne fait aucun doute que l’arrêt Hennelly demeure l’arrêt de principe qui énonce les conditions à remplir pour obtenir une prorogation. Cette affaire et d’autres exigent que le demandeur démontre ce qui suit :

i.          qu’il y a une intention constante de donner suite à la demande;

ii.         que la demande est bien fondée;

iii.        que le retard n’entraîne aucun préjudice;

iv.        qu’il existe une explication raisonnable pour le retard.

[13]      Comme l’a fait remarquer le juge Richard Mosley dans la décision Bloom c. Canada, 2010 CF 621, l’approche à adopter dans l’application de l’arrêt Hennelly est la suivante (au paragraphe 12) :

Dans l’examen de la question de savoir si elle doit accueillir une demande de prorogation de délai, la Cour doit déterminer : (i) si le demandeur a démontré une intention constante de poursuivre sa demande; (ii) si la demande est bien fondée; (iii) si le défendeur ne subit pas de préjudice en raison du délai; (iv) s’il existe une explication raisonnable justifiant le délai : Canada (Procureur général) c. Hennelly (C.A.F.), (1999), 244 N.R. 399, [1999] A.C.F. no 846; Marshall c. Canada, 2002 CAF 172. La longueur de la prorogation de délai peut également être un facteur dont il faut tenir compte. Il faut d’abord s’assurer que justice soit faite entre les parties : Grewal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1985] 2 C.F. 263. Le critère en quatre volets exposé dans l’arrêt Hennelly constitue un moyen d’atteindre cet objectif. Une prorogation de délai peut être accordée même s’il n’est pas satisfait à l’un des éléments du critère : Canada (Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41.

[14]      Le défendeur s’oppose à la prorogation principalement au motif qu’il n’y a pas de cause défendable et que l’explication fournie pour le retard ne suffit pas.

[15]      Presque toutes les décisions invoquées par le défendeur sont des affaires plus anciennes et certaines d’entre elles sont difficiles à trouver et ne sont pas reproduites dans les bases de données accessibles au public. Il n’y a que peu de références à la jurisprudence récente de la Cour. Ainsi, bien que l’arrêt Hennelly demeure l’arrêt de principe qui énonce les facteurs à prendre en considération pour permettre à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation, un cinquième facteur a évolué. Ce cinquième facteur consiste à savoir si l’octroi d’une prorogation est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties comme cela est indiqué dans l’extrait précité de la décision Bloom.

[16]      À l’appui de ses différents arguments contre la prorogation du délai, le défendeur a sorti quelques ordonnances obscures contenant un à deux paragraphes et datant de plusieurs décennies et les cite en tant que précédents inattaquables constituant des principes de droit fondamentaux. Un grand nombre de ces affaires n’offrent aucune analyse des questions soulevées en l’espèce, ne fournissent aucun contexte de l’ordonnance rendue, et, ne représentent souvent que des déclarations de conclusions ayant peu, voire aucune, valeur ou orientation jurisprudentielles.

V.        Explication du retard

[17]      Le retard, en grande partie, découle des interactions avec l’aide juridique qui a finalement refusé d’aider la demanderesse dans la conduite de la demande. Il a également été fait mention des difficultés éprouvées dans les tentatives de communication avec l’ancienne avocate et de la nécessité d’obtenir le dossier auprès de cette dernière.

[18]      Dans ses observations écrites, le défendeur a soutenu que [traduction] « la Cour a toujours soutenu que l’attente relative à l’aide juridique ne justifie pas un retard dans le dépôt d’un dossier ». En ce qui concerne cette proposition, le défendeur s’appuie sur cinq décisions. Voici les décisions en question :

Oduro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8869 (C.F. 1re inst.)

Espinoza c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1992] A.C.F. no 437 (C.A.) (QL)

Kiani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1692 (1re inst.) (QL)

Tawanapoor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5202 (C.F. 1re inst.) (protonotaire)

Alam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5447 (C.F. 1re inst.) (protonotaire)

[19]      Il affirme que ces affaires appuient la proposition immuable selon laquelle l’attente d’un certificat d’aide juridique ne justifie pas le retard dans le dépôt d’un dossier de demande. Je ne suis pas d’accord. Il vaut la peine de lire vraiment les décisions sur lesquelles une partie se fonde. Les avocats qui invoquent cet argument comme s’il était inscrit dans la pierre n’ont tout simplement pas lu les décisions en question, notamment l’arrêt de principe Espinoza. Notamment, le défendeur n’a pas tenu compte des décisions plus récentes, à savoir Chen c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, dossier de la Cour no IMM-5341-10 (ordonnance en prorogation du délai datée du 17 novembre 2010, le protonotaire Aalto), et Varga c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, dossier de la Cour no IMM-6284-11 (ordonnance en prorogation du délai datée du 1er novembre 2011), lesquels abordent l’arrêt Espinoza.

[20]      La proposition que le défendeur invoque pour soutenir la position selon laquelle l’attente d’un certificat d’aide juridique ne justifie pas le retard dans le dépôt d’un dossier de demande est fondée sur l’arrêt Espinoza, une décision rendue en 1992 par le juge Patrick Mahoney, juge de la Cour fédérale du Canada, Section d’appel.

[21]      Cette décision portait sur un contrôle judiciaire de la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention. La demande a été déposée le 21 février. Le 30 mars, le demandeur a présenté une requête en prorogation de délai pour le dépôt de son dossier. La maladie d’un interprète espagnol était le motif invoqué pour justifier le retard. La requête ne faisait nullement mention de l’attente d’une réponse à une demande d’aide juridique. Le juge Mahoney a accordé une prorogation péremptoire jusqu’au 15 avril. Une motion de réexamen de l’ordonnance a ensuite été déposée et une prolongation d’une durée indéterminée a été sollicitée au motif qu’une demande d’aide juridique était en cours. La décision du juge Mahoney relativement à cette requête est la suivante [aux paragraphes 3 à 8] :

Le requérant souhaite maintenant que mon ordonnance soit réexaminée et que l’on accorde une prolongation de délai d’une durée indéterminée au motif qu’une décision n’a pas encore été prise au sujet d’une demande d’aide juridique et que le requérant a fait savoir aux avocats qu’il lui est impossible de procéder par voie de mandat privé. Le document n’indique pas quand la demande d’aide juridique a été faite. On y lit cependant que, le 14 avril, les services d’aide juridique ont informé les avocats qu’une décision n’avait été prise.

Le requérant invoque le paragraphe 337(5) des Règles, ce qui me semble tout à fait inutile. Une ordonnance de prolongation de délai ne règle pas d`une manière définitive un point litigieux quelconque et peut toujours être réexaminée, qu’elle ait été faite péremptoirement ou non.

Je ne suis pas disposé à accorder une prolongation d’une durée indéterminée. L’économie de la Loi sur l’immigration et des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration quant au traitement expéditif des demandes d’autorisation est on ne peut plus claire. On ne peut permettre que la mise en marche dilatoire des demandes d’aide juridique, les retards avec lesquels sont fournies les lettres d’opinion, qui, l’avocat le sait fort bien, seront exigées, et le temps sans cesse plus long que prennent certains comités d’aide juridique pour traiter de telles demandes fassent échec à l’économie de la Loi et des Règles. Comme j’ai eu l’occasion de le faire remarquer dans une autre demande de prolongation, [traduction] « le programme du Comité d’aide juridique du comté de Middlesex et de London ne peut dicter à la Cour comment appliquer la loi et ses règles ».

Par exemple, je ne comprends pas pourquoi la demande d’aide juridique n’a pas été faite en même temps que la demande d’autorisation et encore moins pourquoi elle n’a pas été faite avant la veille de l’expiration du délai prescrit pour se conformer à l’article 9 des Règles, ce qui est par trop souvent le cas. De même, je ne vois pas pour quelle raison les comités d’aide juridique ne traitent pas les demandes avec célérité. Il me semble que lorsque l’on cherche à obtenir une prolongation de délai pour pouvoir régler une demande d’aide juridique, il est nécessaire que la Cour sache quand la demande a été présentée, pourquoi elle n’a pas été faite au moment du dépôt de la demande d’autorisation, quand le comité d’aide juridique aura l’occasion de régler la demande et pourquoi cela n’a pas encore été fait s’il y a plus de deux semaines que la demande est en suspens. Ces questions sont au nombre de celles dont il faudrait traiter dans l’affidavit présenté à l’appui de la demande.

Si la demande d’aide juridique avait été présentée au moment du dépôt de la demande d’autorisation, elle aurait été en suspens pendant près de 30 jours avant qu’il faille demander une prolongation en vertu de l’article 9 des Règles. Il me semble qu’il devrait y avoir un motif convaincant pour lequel ladite demande n’a pas été réglée durant ce laps de temps. Le fait de n’avoir pas présenté la demande avec promptitude pourrait être une bonne raison de refuser une prolongation.

ORDONNANCE

Le délai accordé au requérant pour se conformer à l’article 9 des Règles de la Cour fédérale en matière d’immigration est prolongé de nouveau, jusqu’au 1er juin 1992. [Non souligné dans l’original.]

[22]      Comme on peut le voir, le juge Mahoney n’a pas refusé une prorogation à cause du temps écoulé dans l’attente de la demande d’aide juridique. Le juge Mahoney a refusé d’accorder une prolongation d’une durée indéterminée, mais a, en fait, accordé une prolongation de 19 jours (du 13 mai 1992, date de sa décision, au 1er juin 1992) parce qu’une demande d’aide juridique était en suspens.

[23]      D’une manière ou d’une autre, on est passé avec cet arrêt d’une décision qui a été prise (à savoir qu’une prolongation de durée indéterminée ne sera pas accordée) à une décision qui n’a pas été prise (à savoir que l’attente d’une demande d’aide juridique ne constitue pas une explication suffisante pour le retard). Comme l’a indiqué le juge Mahoney, il est important que la Cour ait en preuve les circonstances et l’état d’avancement de la demande d’aide juridique. Les prolongations sont discrétionnaires et les éléments de preuve doivent soutenir l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire en faveur de l’octroi d’une prolongation lorsque cela est justifié.

[24]      L’exigence selon laquelle la Cour doit avoir de la preuve concrète concernant l’état de la demande d’aide juridique est exprimée dans d’autres décisions de la Cour invoquées par le défendeur. Dans la décision Alam, le protonotaire adjoint Giles fait observer ce qui suit [au paragraphe 3] :

Dans de nombreuses affaires, il a été décidé que le fait que le demandeur attend d’obtenir l’aide juridique ne justifie pas pour autant un retard en l’absence de circonstances spéciales. Une demande d’aide juridique présentée rapidement et un suivi effectué avec diligence peuvent dans certaines circonstances excuser le retard. Dans ce cas-ci, le demandeur a découvert le 21 avril 1997 que la décision rendue par la SSR lui était défavorable. L’avocat qui représentait alors le demandeur a conseillé à celui-ci, le 28 avril 1997 seulement, de présenter une demande d’aide juridique. L’aide juridique qui a alors été demandée ne visait initialement qu’à faire préparer une opinion visant à l’obtention d’une aide juridique supplémentaire en vue du dépôt d’un dossier. Le demandeur a cherché à obtenir l’aide juridique le 1er mai 1997 et l’aide initiale a été accordée le 16 mai 1997. Le bureau de l’aide juridique a apparemment admis qu’on avait tardé à accorder l’aide juridique initiale; toutefois, ce n’est que le 23 mai 1997 que la lettre d’opinion nécessaire aux fins de l’obtention d’une aide juridique additionnelle a été envoyée (la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée le 6 mai 1997 sans qu’on attende l’« approbation » de l’aide juridique). [Non souligné dans l’original.]

[25]      Dans la décision Alam, la requête a été rejetée, mais sans préjudice du droit de déposer une autre requête fondée sur des meilleurs éléments de preuve.

[26]      Dans la décision Tawanapoor, qui a également été invoquée par le défendeur, le protonotaire adjoint Giles a déclaré ce qui suit (aux paragraphes 1 à 4) :

[…] Comme c’est souvent le cas, il semble que rien n’ait été fait dans ce dossier pour favoriser la préparation du dossier d’un requérant alors que tous les intéressés attendaient de voir si l’aide juridique serait accordée. Attendre l’aide juridique n’excuse pas le retard dans le dépôt dans le cas habituel. Je ne dispose d’aucune preuve quant au moment où l’aide juridique a été demandée, ni quant à l’existence d’une raison spéciale expliquant pourquoi il a fallu attendre longtemps avant d’obtenir une réponse de l’Aide juridique.

Pour qu’une demande de prorogation du délai prévu pour déposer un dossier soit accueillie, le requérant doit non seulement justifier tout le retard, mais il doit également démontrer qu’il existe des éléments de preuve qui étayent une cause défendable en vue de l’autorisation. Cela n’a pas été fait, et la requête en prorogation sera donc rejetée.

Puisque le requérant représente lui-même, je lui accorderai l’autorisation de présenter une nouvelle demande de prorogation de délai au plus tard le 1er juin 1997. Une telle demande doit être appuyée par la preuve par affidavit nécessaire, par les observations faites par le requérant à l’appui de la nouvelle demande de prorogation. Déposer une réponse n’est pas la façon appropriée de soumettre l’argument du requérant.

ORDONNANCE

La requête en prorogation de délai est rejetée, et il est accordé l’autorisation de présenter une nouvelle demande de prorogation de délai étayée par des éléments de preuve appropriés au plus tard le 1er juin 1997. [Non souligné dans l’original.]

[27]      En l’espèce, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve concernant l’état d’avancement de la demande d’aide juridique et il n’y avait pas d’éléments de preuve quant à la raison pour laquelle la demande avait pris autant de temps. Nonobstant, le protonotaire a accordé l’autorisation de déposer une nouvelle demande fondée sur des éléments de preuve appropriés.

[28]      Si l’on examine maintenant la décision Oduro, il ne fait aucun doute que le paragraphe 7 énonce ce qui suit :

Il est bien établi que les délais administratifs de l’aide juridique pour accorder un mandat ne justifient aucunement une prorogation de délai. La Cour d’appel fédérale a tranché la question dans l’affaire Espinosa c. M.E.I. (1992), 142 N.R. 158, et le principe y énoncé a depuis été maintes fois appliqué.

[29]      Il convient toutefois de préciser qu’il s’agissait d’une requête en réexamen d’une ordonnance qui rejetait la demande au motif qu’elle était superflue. La requête en réexamen concernait un argument selon lequel l’ordonnance initiale reposait sur un mauvais principe. Rien dans la décision n’établit quels sont les éléments de preuve pertinents au sujet de la demande d’aide juridique hormis le fait qu’elle ne pouvait pas être complétée dans un délai de 10 jours. Étant donné que l’arrêt Espinoza a servi de fondement à la déclaration susmentionnée, cela veut dire que l’intention était d’obtenir une prolongation d’une durée indéterminée. En tout état de cause, la Cour a également noté que la motion était vouée à l’échec puisqu’elle ne relevait pas de la règle relative au réexamen. À mon avis, donc, à la simple lecture de la décision Oduro, il est également question de prolongations d’une durée indéterminée dans le cadre de demandes d’aide juridique et non pas de situations où il existe une preuve de la date et de l’état de la demande qui permettrait à la Cour d’accorder une prolongation pour une durée fixe.

[30]      Enfin, dans la décision Kiani, le juge Francis Muldoon de la Cour fédérale du Canada, Section de première instance, a invoqué l’arrêt Espinoza en déclarant ce qui suit [au paragraphe 5] : « Il a été dit maintes fois qu’attendre la confirmation d’une aide juridique n’est pas une excuse adéquate pour permettre qu’un délai prescrit passe. Ce principe est pratiquement gravé sur pierre. » La décision Kiani reposait sur une requête visant à obtenir une prorogation de délai pour le dépôt d’un mémoire en réplique. Le juge Muldoon a conclu [au paragraphe 7] que la réponse « ne renforcera guère la cause du requérant ». Ce facteur a clairement contribué au refus de la prolongation parce que l’avocat avait attendu l’approbation de l’aide juridique avant de chercher à déposer la réponse qui, malheureusement, n’était hors délai que de six jours. Si la prolongation a été refusée pour plusieurs raisons, l’affaire sous-jacente sur laquelle la Cour s’est fondée pour déterminer que l’attente d’un certificat d’aide juridique ne constituait pas un motif suffisant pour accorder une prolongation est l’arrêt Espinoza et il est clair que cet arrêt se rapporte uniquement à des prolongations d’une durée indéterminée.

[31]      Ainsi, après avoir examiné les courants de jurisprudence cités par le défendeur, le point de vue de la Cour d’appel fédérale l’emporte en ce sens que les prolongations d’une durée indéterminée ne devraient pas être accordées lorsqu’une partie attend que l’aide juridique soit approuvée. En outre, lorsqu’un demandeur sollicite une aide juridique, il est nécessaire que les éléments de preuve à l’appui de la demande de prolongation fassent état du moment où la demande a été faite et de l’état d’avancement de la demande. De plus, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de permettre au demandeur de déposer une autre requête pour corriger les lacunes de la requête initiale.

[32]      En ce qui concerne les faits de l’espèce, il y a l’affidavit de M. Peter qui retrace la chronologie des événements relatifs à la décision en litige et les tentatives déployées pour obtenir l’aide juridique. L’affidavit de M. Peter décrit aussi ce qui s’est passé avec l’avocate qui a préparé la demande et son refus de poursuivre sans approbation de l’aide juridique. De plus, comme le fils de la demanderesse le déclare, elle n’a pas répondu aux appels téléphoniques qui auraient pu permettre au fils de la demanderesse de prendre d’autres dispositions pour retenir ses services.

[33]      Il ressort également de l’affidavit de M. Peter que des efforts ont été déployés en temps opportun pour obtenir l’assistance de l’aide juridique. La demande d’aide juridique en l’espèce a été faite le 1er février 2016. Le refus d’aide juridique du comité d’appel du Bureau d’aide juridique de l’Ontario a été reçu le 26 février 2016. Par la suite, des efforts ont été déployés par le fils de la demanderesse, au nom de celle-ci, pour retenir les services d’un avocat et ils n’ont seulement pu rencontrer Mme Bharadwaj que le 11 mars 2016. Mme Bharadwaj devait obtenir le dossier auprès de l’ancienne avocate et a contacté le greffe de la Cour fédérale qui l’a informée qu’une requête en prorogation devait être déposée. Mme Bharadwaj a également sollicité le consentement du ministère de la Justice, mais a apparemment été invitée à signifier et à déposer la requête et a été informée qu’une décision serait prise à ce moment-là. Mme Bharadwaj, d’après la preuve, a préparé la requête dès qu’elle a pu le faire et la requête a été parachevée le 30 mars 2016. Aucune requête de prolongation d’une durée indéterminée n’a été faite au vu des faits.

[34]      Le défendeur critique également le fait que la demanderesse n’a pas déposé son propre affidavit et qu’elle s’est appuyée sur l’affidavit de son fils et sur l’affidavit d’une auxiliaire juridique.

[35]      En ce qui concerne cette proposition, le défendeur s’appuie sur la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 232 (1re inst.) (QL), une décision d’un paragraphe du protonotaire adjoint Giles. Soi-disant, cette affaire appuie la proposition selon laquelle le demandeur est tenu de fournir un affidavit. Cette affaire n’établit aucune règle de la sorte. Le principe que cette affaire appuie plutôt, et c’est un principe de droit, est qu’un avocat ne devrait pas agir en qualité de témoin et d’avocat dans la même affaire. Il est inapproprié pour un avocat de se fonder sur son affidavit tout en agissant comme avocat dans la même affaire. Dans la décision Singh, la seule preuve présentée à la Cour qui avait été jugée inadéquate et inappropriée était celle de l’avocat du demandeur. La requête en prorogation a été rejetée, mais l’autorisation de présenter une nouvelle requête fondée sur de meilleurs éléments de preuve a été accordée.

[36]      En l’espèce, l’affidavit de M. Peter détaille les efforts déployés pour obtenir de l’aide juridique, les communications visant à obtenir un avocat et, les difficultés à obtenir le dossier auprès de l’ancienne avocate. Il s’agit d’une preuve directe puisque le fils de la demanderesse était impliqué dans le processus. Comme il est indiqué au paragraphe 2 de l’affidavit de M. Peter, [traduction] « J’ai aidé ma mère avec sa demande d’asile et le processus d’appel ». Il possède une preuve directe des faits.

[37]      Il n’y a rien d’incorrect dans le fait de se fonder sur son affidavit. On se demande si l’avocat du défendeur a lu et compris le contenu de la preuve directe contenue dans l’affidavit de M. Peter. Si le défendeur avait des préoccupations quant à la véracité du contenu de l’ensemble de la preuve, il aurait pu procéder à un contre-interrogatoire, ce qu’il n’a pas fait. L’affidavit de M. Peter fournit une explication complète et approfondie du retard.

[38]      Tout bien considéré, le défendeur n’a pas, sur la base des décisions invoquées, soutenu l’argument selon lequel le retard n’était pas expliqué. À mon avis, la preuve du fils de la demanderesse explique amplement le retard et démontre une intention constante de poursuivre la demande. Ainsi, les facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly relativement à une prorogation de délai ont été respectés.

VI.       Le bien-fondé de l’affaire

[39]      Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas de cause défendable et donc, que la prorogation ne devrait être accordée en aucun cas puisque les quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Hennelly doivent être satisfaits. Voici les observations écrites du défendeur au paragraphe 10 :

[traduction] Une prorogation de délai ne devrait être accordée que si le demandeur a démontré que la demande de prorogation du délai soulève une question sérieuse à trancher et présente une cause défendable, avec une chance raisonnable de succès sur le fond.

[40]      À cet égard, la barre est placée trop haut. La demande n’est pas traitée sur le fond à ce stade de la procédure. Il suffit de démontrer que la demande est quelque peu fondée. Comme il a été mentionné dans la décision Varga [à la page 2] :

Le défendeur soutient qu’une prorogation ne devrait pas être accordée pour deux raisons : [traduction] 1) les candidats n’ont pas « démontré que la demande de prorogation du délai [sic] soulevait une question sérieuse à trancher et présentait une cause défendable, avec une chance raisonnable de succès »; et 2) « la Cour a toujours soutenu que l’attente de l’aide juridique ne justifie pas un retard dans le dépôt d’un dossier ». Or aucune de ces deux propositions n’est soutenue par la jurisprudence. En ce qui concerne la première, il suffit de démontrer que la demande est « quelque peu » fondée. Les termes « question sérieuse à trancher », « cause défendable » et « chance raisonnable de succès » placent la barre trop haut. L’évaluation du bien-fondé d’une cause relativement au critère de la « question sérieuse à trancher » ne doit pas avoir lieu dans le cadre d’une demande de prorogation du délai. Il suffit de démontrer que la demande est quelque peu fondée, ce critère n’étant pas exigeant. Ce critère est satisfait en l’espèce.

Quant à l’argument concernant les certificats d’aide juridique, il repose sur un principe erroné […]

[41]      Pour soutenir sa position, le défendeur se fonde sur l’arrêt Feder Holdings Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national pour les Douanes et l’Accise), [1987] A.C.F. no 843 (C.A.) (QL), une autre décision du juge Mahoney. Cette affaire concernait une requête en prorogation de délai pour présenter une demande d’annulation d’une décision en vertu de la Loi sur les douanes, S.C. 1986, ch. 1. La Cour a jugé que la Cour n’avait pas compétence et a rejeté la requête. Le juge Mahoney a fait référence à la nécessité d’une cause « défendable », mais il ne définit pas cette expression et ne fournit aucune analyse de ce qui serait considéré comme une cause « défendable ». L’affaire n’évoque pas de question « sérieuse à trancher » ou de « chance raisonnable de succès sur le fond ».

[42]      Le défendeur fait valoir en outre qu’il faut une preuve pour « démontrer » qu’il y a une question « sérieuse à trancher » et une cause « défendable ». Le défendeur fait valoir [traduction] « qu’il incombait à la demanderesse de présenter des éléments de preuve à cet égard » et que, même après avoir joint une copie des motifs de la décision visée par le contrôle, la demanderesse n’a pas démontré que des erreurs avaient été commises. Trois affaires sont citées à l’appui de cette proposition : Shanmugaratnam c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 1472 (1re inst.) (QL); Rafique c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 864 (1re inst.) (QL); et Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 218 (1re inst.) (QL).

[43]      Dans la décision Shanmugaratnam, le protonotaire adjoint Giles, dans une courte ordonnance de deux paragraphes, fait observer que, pour obtenir une prorogation, trois facteurs doivent être satisfaits, le troisième consiste à déterminer « si on établi le bien fondé de la demande d’autorisation (le mot important est “établi”) ». Il poursuit en ajoutant ce qui suit [au paragraphe 2] :

En l’espèce le retard est dû à ce que l’avocat était malade et n’a pas pu remplir le dossier. Dans les circonstances exposées, cela pourrait constituer une excuse suffisante. Il n’a toutefois pas été établi que le requérant avait une cause défendable. “Établir” exige des éléments de preuve. Or, la preuve à cet égard fait défaut.

[44]      À cet égard, je ne suis pas d’accord pour dire qu’il faut toujours de la preuve pour « démontrer » qu’une demande est fondée ou pour montrer qu’une cause a été « démontrée ». Fréquemment, le bien-fondé d’une demande peut être démontré par une analyse de la décision visée par le contrôle. Il peut se fonder sur des arguments juridiques à l’effet que le tribunal a mal appliqué le droit pertinent ou a appliqué un principe de droit erroné. Il n’y a pas besoin de preuve de ces types d’erreurs commises par un tribunal étant donné qu’elles découlent des motifs de celui-ci. Il incombe à l’avocat d’un demandeur, dans ses observations écrites, d’établir pour la Cour les liens, à savoir en quoi le tribunal a commis une erreur. Ce n’est que si le bien-fondé de la cause repose sur des faits qui peuvent ne pas ressortir de la décision que certains éléments de preuve convaincants sont requis. Citons par exemple des allégations de partialité, le défaut d’application régulière de la loi ou le défaut du tribunal d’examiner la preuve offerte par un demandeur. Ces dernières circonstances ne consisteraient pas nécessairement de la preuve au vu du dossier ou dans les motifs du tribunal et, par conséquent, il faudrait de la preuve pour démontrer le bien-fondé de la cause.

[45]      Il est à noter que, dans la décision Shanmugaratnam, le protonotaire a ajourné la requête pour accorder au demandeur un délai supplémentaire pour présenter de la preuve devant la Cour.

[46]      L’affaire suivante invoquée par le défendeur est la décision Rafique, une décision de la juge Barbara Reed de la Cour fédérale, Section de première instance. Cette affaire concernait une motion de réexamen d’une ordonnance rendue antérieurement. L’ordonnance précédente avait rejeté une prorogation de délai. Comme l’a fait observer la juge Reed dans cette très brève décision quant à l’ordonnance précédente : « les documents versés au dossier étaient si insuffisants qu’il était impossible de juger si la requête était fondée ou non ». En ce qui concerne le réexamen, la juge Reed a déterminé qu’il n’existait aucune autorité pour accueillir la demande de réexamen. Bien que cette courte décision évoque la nécessité de démontrer le bien-fondé, elle ne propose pas d’analyse et représente tout simplement une déclaration de ce qui est évident — que le dossier doit contenir suffisamment de renseignements pour déterminer si la demande est quelque peu fondée.

[47]      La troisième affaire invoquée pour soutenir la proposition selon laquelle la demanderesse doit fournir de la preuve pour démontrer que la décision est erronée est la décision Moreno. Il s’agit d’une décision du protonotaire Richard Morneau, qui expose une nouvelle fois la proposition fondamentale selon laquelle certains arguments doivent être présentés pour démontrer le bien-fondé de la demande. Le protonotaire Morneau déclare ce qui suit au paragraphe 15 de la décision :

Toutefois, il y a plus. Au niveau du bien fondé du dossier ou du fait que les requérants auraient une cause défendable, aucune argumentation un tant soit peu soutenue ne nous est offerte. L’affidavit de l’avocate est muet sur cet aspect. Les observations écrites à l’appui de la requête ne font qu’établir, et je cite : “[Que] la partie requérante considère avoir des motifs sérieux et réels à faire valoir au soutien de sa demande”. Tel qu’établi plus avant, une simple affirmation du genre n’est pas suffisante. [Note en bas de page omise.]

[48]      Là encore, la décision Moreno reprend simplement la proposition bien connue selon laquelle les déclarations vagues d’un demandeur que leur cause est fondée ne suffisent pas. Il doit y avoir plus qu’une déclaration d’opinion vide de sens.

[49]      Il est donc nécessaire de déterminer si le bien-fondé de la requête présentée à la Cour a été démontré. Le défendeur fait valoir que la demande n’est pas fondée et conteste l’affidavit de Mme Connolly en le qualifiant d’inapproprié.

[50]      En ce qui concerne l’affidavit de Mme Connolly, le défendeur a des motifs plus solides. Pour une grande part, l’affidavit de Mme Connolly se résume à des arguments et à des énumérations de renseignements obtenus auprès de l’avocate. Dans certaines circonstances, notamment les questions interlocutoires, il est acceptable pour les avocats de fournir des renseignements fondés sur ce qu’ils croient en ce qui a trait à des questions non controversées. En l’espèce, toutefois, les questions sont plus importantes et fournissent des renseignements qui ont légitimement leur place dans l’argumentation puisqu’elle énumère des affaires et des renseignements tirés du cartable national de documentation (CND). Il n’y a pas besoin d’affidavit pour ces renseignements. On ne tient pas compte de l’affidavit et aucun poids n’y est accordé (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huntley, 2010 CF 1175, [2012] 3 R.C.F. 3, aux paragraphes 266 à 271).

[51]      Le défendeur fait valoir qu’aucun fondement n’a été démontré puisque la décision est fondée sur le manque de crédibilité de la demanderesse. Le défendeur se fonde sur l’arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.) pour appuyer la proposition selon laquelle il était loisible au tribunal de conclure que le témoignage de la demanderesse n’était pas crédible compte tenu des incohérences et donc de mettre en doute la preuve dans son ensemble. Par conséquent, le défendeur affirme que la demande n’est pas fondée. Si, dans l’arrêt Sheikh il est allégué [a la page 244] que « la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage », cette déclaration repose sur un dossier complet présenté au tribunal. En outre, contrairement à cette déclaration, le fait que l’absence de crédibilité « peut en théorie » s’appliquer à l’ensemble de la preuve n’est pas un principe absolu.

[52]      Dans ses observations écrites, le défendeur, en tout état de cause, formule simplement une conclusion concernant la crédibilité, sans fournir d’analyse des motifs de la décision. Le défendeur semble s’attendre à ce que la Cour analyse les motifs de la décision visée par le contrôle alors qu’il n’a pas indiqué sur quelles parties de la décision il s’appuie pour prendre cette position.

[53]      L’objectif de l’argumentation est d’établir le lien entre la preuve et les arguments. Le défendeur ne l’a tout simplement pas fait. Les hypothèses à elles seules ne suffisent pas.

[54]      En examinant les observations écrites du demandeur à l’appui de la requête, il ressort qu’une cause défendable a été établie. L’affidavit de Mme Connolly n’est pas nécessaire. Plus précisément, les observations écrites de la demanderesse se rapportent à des erreurs dans l’évaluation faite par le tribunal des questions de droit relatives à l’application erronée de la conclusion de protection de l’État; à l’absence d’analyse correcte pour déterminer la crainte d’être persécutée; au non-respect de la norme de la décision raisonnable requise; au défaut de prendre en compte la base objective de l’allégation de la demanderesse quant au risque; et, à une mauvaise application du droit en fondant une conclusion sur une autre.

[55]      Il y a peu de doute dans mon esprit que les arguments avancés par la demanderesse sont suffisants pour satisfaire au critère du « bien-fondé » de la demande. Il est possible qu’une fois que les dossiers sont complets, ces arguments ne résistent pas à un examen minutieux. Cela doit toutefois être déterminé à partir des dossiers des parties et, si l’autorisation est accordée, à partir du dossier et des arguments présentés au juge de l’audience.

[56]      Je suis d’avis qu’une requête interlocutoire en prorogation du délai n’est pas la procédure adéquate pour trancher les questions de fond. Lorsque des questions sont soulevées et exigent une analyse minutieuse de la décision du tribunal, celles-ci devraient être tranchées à partir du dossier complet présenté au juge de l’audience.

[57]      Le défendeur n’a pas allégué qu’il a subi un préjudice en raison de l’octroi d’une prorogation. Il n’y a aucun préjudice dans les circonstances de l’espèce. Le critère issu de l’arrêt Hennelly a été satisfait. Le défendeur, compte tenu des faits de l’espèce, à juste titre, n’a pas fait valoir que la demanderesse n’avait pas démontré une intention constante de donner suite à la demande. Ce critère issu de l’arrêt Hennelly a également été satisfait. En outre, l’octroi d’une prorogation de délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.

[58]      Une prorogation du délai est justifiée pour l’ensemble de ces motifs. Une prorogation de 19 jours est accordée.

[59]      Pour conclure, les parties qui se représentent elles-mêmes devraient être encouragées à demander une aide juridique. Il est évident qu’il est bénéfique pour l’administration de la justice qu’un demandeur soit aidé par un avocat. Souvent, les personnes qui se retrouvent dans le labyrinthe de l’immigration et qui sollicitent un contrôle judiciaire des décisions défavorables du tribunal n’ont pas de moyen facile de retenir les services d’un avocat pour faire valoir leurs droits. Ces personnes agissent souvent à leur propre compte. Elles ne comprennent pas les subtilités du droit de l’immigration ou les subtilités du processus judiciaire. Le défendeur et la Cour, eux, sont grandement aidés d’un avocat. Ainsi, les efforts visant à obtenir l’aide juridique ou l’aide bénévole d’organisations telles que Pro Bono Law Ontario devrait être encouragée tant qu’elle est demandée en temps opportun. L’équité et l’accès à la justice devraient être l’objectif.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE qu’une prorogation de 19 jours soit accordée à la demanderesse à compter de la date de la présente ordonnance afin qu’elle puisse signifier et déposer son dossier.

1.         Le demandeur se voit accorder une prorogation de délai de 19 jours, à compter de la date de la présente ordonnance, en vue de signifier et de déposer le dossier du demandeur.

2.         Le délai permettant de prendre des mesures ultérieures dans la procédure est prolongé à compter de la date de signification du dossier de la demanderesse au défendeur.

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