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A-541-02

2004 CAF 50

Minnie Norma MacNeil et Robert Gary Miller en sa qualité de représentant des héritiers de feue Minnie Norma MacNeil (appelants)

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, Charlotte Mildred Martin, Randolf Lawrence Martin, Annette Dianne Martin et Joyce Patricia Martin (intimés)

Répertorié: Succession MacNeil c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Stone, Sexton et Sharlow, J.C.A.--Toronto, 15 décembre 2003; Ottawa, 3 février 2004.

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Jugement sommaire -- Question de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en accordant un jugement sommaire rejetant une demande fondée sur la négligence présentée contre la Couronne pour le motif qu'elle était prescrite -- Le Ministère avait délivré un certificat absolu de possession à une personne qui détenait un intérêt viager en vertu du testament d'un Indien -- Question de savoir à quelle date la demanderesse avait d'abord appris que l'intérêt résiduel avait été radié -- La charge de la preuve qui incombe à la partie qui répond dans une requête en jugement sommaire -- Pouvoir discrétionnaire du juge des requêtes en vertu de la règle 216(3) des Règles de la Cour fédérale (1998) -- Le juge n'a pas tenu compte d'une preuve par affidavit relative à la connaissance de la demanderesse -- Cette preuve soulevait une véritable question litigieuse -- Lorsqu'il se pose une question de crédibilité, l'affaire ne doit pas être tranchée au moyen d'un jugement sommaire -- Un jugement sommaire n'est pas accordé sur le fondement de déductions -- Il convient d'appliquer les règles de pratique provinciales -- La décision du juge révélait qu'il régnait de la confusion au sujet du sens de la règle 216 et du rôle de la Cour dans le cadre d'une requête en jugement sommaire -- Problèmes posés par la règle 216 -- Les jugements sommaires sont utiles pour éliminer les demandes et les défenses fictives, mais ils ne visent pas à priver un plaideur qui a une véritable question litigieuse de son droit à une instruction -- Ils sont utiles pour abréger la durée de l'instruction en réglant les questions accessoires.

Pratique -- Prescription -- Demande fondée sur la négligence présentée contre la Couronne rejetée par le juge des requêtes pour le motif qu'elle était prescrite en vertu de la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario -- La Couronne avait accordé à une personne qui détenait un intérêt viager en vertu du testament d'un Indien un certificat absolu de possession -- Le juge avait conclu que la personne qui détenait l'intérêt résiduel était au courant ou aurait dû être au courant de la délivrance du certificat 20 ans avant l'introduction de l'action -- Le délai de prescription prévu par la loi était de six ans -- Question de savoir si la demanderesse avait été informée que la délivrance du certificat avait une incidence sur son intérêt -- Question de savoir à quel moment la cause d'action avait pris naissance -- «Principe de la possibilité de découverte» -- Le juge avait omis d'analyser les arguments relatifs à la disposition applicable de la Loi sur la prescription des actions -- Il avait omis de se demander si une véritable question litigieuse était soulevée.

Peuples autochtones -- Terres -- Le juge des requêtes avait commis une erreur en rejetant la demande fondée sur la négligence présentée contre la Couronne au moyen d'un jugement sommaire parce qu'elle était prescrite -- Le testament d'un membre de la réserve Six nations accordait à une personne un intérêt viager si elle ne retournait pas habiter avec son mari -- La Direction des affaires indiennes avait délivré à cette personne un certificat absolu de possession éliminant ainsi les droits d'une personne qui détenait l'intérêt résiduel -- Question de savoir si cette dernière personne avait été informée par la Couronne que la délivrance du certificat avait une incidence sur son intérêt -- La question de la crédibilité ne doit pas être tranchée dans le cadre d'une requête en jugement sommaire -- La Couronne s'était fondée sur la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario et sur l'art. 47 de la Loi sur les Indiens (selon lequel un certificat de possession peut être contesté dans un délai de deux mois seulement) -- Il n'était pas nécessaire pour la C.A.F. de traiter de la question fondée sur l'art. 47.

Dans cet appel, il s'agissait de savoir si le juge de requêtes avait commis une erreur en rejetant la demande que les appelants avaient présentée contre la Couronne pour le motif que la demande était prescrite. La demande présentée contre la Couronne se rapportait à la façon dont celle-ci avait traité certaines terres de réserve qui avaient été léguées par testament par un membre de la réserve Six nations. Les appelants affirment que le ministère a par négligence délivré un certificat absolu de possession à une personne qui détenait simplement, en vertu du testament, un intérêt viager, de sorte que l'intérêt résiduel de Minnie N. MacNeil était éliminé. La décision rendue par le juge des requêtes était fondée sur la conclusion selon laquelle Mme MacNeil était au courant ou aurait dû être au courant de la délivrance du certificat au moins 20 ans avant l'introduction de l'action.

Le testament du grand-père de Minnie MacNeil, David General, conférait à Charlotte Martin un bail à vie [traduction] «tant que sa situation ne changera[it] pas», mais stipulait que si elle retournait habiter avec son mari, elle devrait quitter les lieux, qui seraient alors vendus, le produit étant divisé entre Minnie, Charlotte, Morgan General et Theodore General. Après le décès du testateur, la Direction des affaires indiennes a envisagé de considérer la clause testamentaire comme constituant une donation conditionnelle de la terre en faveur de Charlotte, à condition qu'elle ne retourne pas habiter avec son conjoint, plutôt que comme un simple intérêt viager. Le certificat de possession délivré à Charlotte en avril 1968 n'était pas assorti de conditions et n'indiquait pas que cette dernière détenait uniquement un intérêt viager. Cependant, selon la preuve, Minnie avait été mise au courant de la situation vers 1990 seulement, lorsqu'elle avait consulté un avocat. Le gouvernement a répondu à une lettre de cet avocat, indiquant qu'on ne pouvait rien faire étant donné [traduction] «le temps qui s'[était] écoulé et les droits des autres parties en cause». Au mois de juin 1991, Minnie a poursuivi la Couronne en alléguant que celle-ci avait été négligente en délivrant un certificat absolu à la bénéficiaire d'un intérêt viager. Minnie et Charlotte sont décédées en 1999. Toutefois, l'action a été poursuivie par l'un des fils de Minnie, Robert G. Miller, agissant pour le compte de tous les héritiers.

La Couronne a ensuite présenté une requête en jugement sommaire pour le motif que l'action n'avait pas été intentée dans le délai prévu au paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario. Le délai de prescription prévu par la loi est de six ans. Le moyen de défense invoqué par les appelants à l'encontre de la requête était que la Couronne n'avait jamais informé Minnie qu'elle envisageait de radier ses intérêts et que Minnie avait uniquement appris en 1990 que la délivrance du certificat de possession avait une incidence sur l'intérêt qu'elle possédait dans le homestead. Ce n'est qu'alors que le délai de prescription aurait commencé à courir. La Couronne s'est fondée sur une note au dossier en date du mois d'août 1968, laquelle était susceptible d'indiquer que Minnie était au courant de la délivrance d'un certificat. Les appelants ont soutenu que cette note de service n'indiquait pas que Minnie avait été informée que le certificat n'avait pas été délivré sous réserve des dispositions du testament et qu'il avait pour effet d'éteindre les intérêts des bénéficiaires résiduels. Le juge des requêtes a expliqué qu'une fois qu'il est démontré qu'un délai de prescription est à première vue expiré, le demandeur a la charge de prouver qu'il ne savait pas et qu'il n'aurait pas pu savoir, même en faisant preuve d'une diligence raisonnable, qu'il possédait un droit d'action. De l'avis du juge, on ne s'était pas acquitté de cette obligation.

Lors de l'appel, il a été soutenu que le juge avait commis une erreur en omettant de conclure qu'il existait une véritable question litigieuse au sujet du délai de prescription applicable. Les appelants ont signalé les paragraphes 5(11) et 6(1) de la Loi, en vertu desquels la cause d'action de Minnie n'avait pris naissance qu'au moment où elle avait obtenu, en vertu du testament, le reste de l'intérêt, soit lors du décès de Charlotte, en 1999. Subsidiairement, si le délai de prescription applicable est de six ans, la cause d'action ne prend naissance, selon le «principe de la possibilité de découverte», qu'au moment où le demandeur est au courant ou aurait dû être au courant des faits pertinents donnant lieu à la cause d'action. En l'espèce, il existait une véritable question litigieuse. De plus, étant donné que, dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, il incombe au requérant d'établir qu'il n'existe aucune véritable question litigieuse, le juge a commis une erreur en concluant que la charge incombait aux appelants. La Couronne a soutenu qu'une fois que le certificat avait été délivré à Charlotte, Minnie ne possédait plus un «intérêt futur» dans la terre et que les paragraphes 5(11) et 6(1) ne pouvaient pas s'appliquer. Enfin, selon l'article 47 de la Loi sur les Indiens, la décision du ministre de délivrer un certificat peut uniquement être contestée dans un délai de deux mois.

Arrêt: l'appel est accueilli.

Le juge Sexton, J.C.A. (la juge Sharlow, J.C.A., souscrivant à son avis): La partie qui répond à une requête en jugement sommaire n'a pas la charge qu'elle aurait à l'instruction pour ce qui est de la preuve. Selon la règle 215 des Règles de la Cour fédérale (1998), elle est uniquement tenue de présenter une preuve montrant qu'il existe une véritable question litigieuse.

En se fondant sur le paragraphe 216(3) des Règles de la Cour fédérale (1998), le juge a conclu que les appelants n'avaient pas présenté de preuve au sujet de la question de la possibilité de découverte. En vertu du paragraphe 216(3), le juge des requêtes a le pouvoir discrétionnaire de rendre un jugement sommaire malgré l'existence d'une véritable question litigieuse s'il parvient, à partir de l'ensemble de la preuve, à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit. Cependant, le juge a commis une erreur en concluant que les appelants «[n'avaient] pas présenté de preuve» au sujet de la connaissance de Minnie. Il n'a pas tenu compte de la preuve par affidavit du fils de Minnie qui, lors du contre-interrogatoire, a fait savoir qu'il croyait qu'avant 1990, Minnie n'avait pas reçu de copie du certificat et qu'on ne lui avait pas dit qu'un certificat avait été délivré. Or, étant donné qu'elle [traduction] «ne s'y connaissait pas en matière de succession indienne», même si elle avait été mise au courant de la délivrance d'un certificat, elle n'aurait pas compris qu'il faisait disparaître son intérêt résiduel. La note de service de 1968 indiquait qu'une rencontre avait eu lieu avec un représentant de la Couronne et certains bénéficiaires, y compris Minnie, mais rien ne montrait que des explications avaient été données au sujet de la teneur du certificat de possession. Un certificat délivré à Charlotte conformément aux dispositions du testament n'aurait peut-être pas empêché Minnie d'acquérir un intérêt lors du décès de Charlotte. La preuve par affidavit soulevait clairement une véritable question litigieuse. Le juge présidant l'instruction qui aura entendu le témoignage oral de Robert Miller est mieux placé pour apprécier sa crédibilité. La jurisprudence montre clairement que lorsqu'il se pose une question de crédibilité, l'affaire ne devrait pas être tranchée au moyen d'un jugement sommaire.

Au cours de l'argumentation orale, on a donné à entendre devant le juge des requêtes que les enfants de Charlotte avaient construit des habitations sur la terre et, cela étant, le juge a inféré que Minnie devait avoir été au courant de la chose et s'être rendu compte que cela allait à l'encontre de son intérêt résiduel. Cependant, la présente cour a statué qu'en vertu du paragraphe 216(3) des Règles, le juge des requêtes peut uniquement tirer des conclusions de fait ou de droit à condition qu'il existe dans le dossier des éléments de preuve pertinents qui ne portent pas sur une question de fait ou de droit «sérieuse» reposant sur des inférences.

Le juge a également fait savoir que la Cour fédérale ne devait pas suivre les décisions de la Cour d'appel de l'Ontario selon lesquelles, dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, où se pose la question de «possibilité de découverte» en vertu de la Loi sur la prescription des actions, le juge ne devrait pas tirer de conclusions de fait. Cela allait à l'encontre du jugement rendu dans l'affaire Granville Shipping, qui a été retenu par la présente cour dans l'arrêt ITV, à savoir que dans les cas de jugements sommaires, les règles de pratique provinciales peuvent faciliter l'interprétation.

La décision rendue par le juge des requêtes en l'espèce démontrait la confusion qui règne au sujet du sens de la règle 216 et du rôle de la Cour dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. La chose présente des problèmes tant pour le juge que pour les parties, car le juge qui rejette, en vertu du paragraphe 216(1) des Règles, une requête en jugement sommaire parce qu'il existe une véritable question litigieuse, peut alors avoir à examiner une demande fondée sur le paragraphe 216(3) des Règles et, s'il accueille la demande, il prive d'une instruction la partie qui a déjà établi qu'il existe une véritable question litigieuse. Le paragraphe 216(3) peut donner lieu à une iniquité fondamentale en déniant aux parties leur droit à une instruction lorsqu'il y a de véritables questions à soumettre au juge des faits. En premier lieu, le juge des requêtes ne disposera probablement pas de tous les éléments de preuve qui seraient soumis à l'instruction. La règle 215 exige uniquement que la partie qui répond à la requête démontre l'existence d'une véritable question litigieuse; cette partie n'a pas à avancer suffisamment d'éléments de preuve pour que les questions soient réglées dans le cadre de la requête. Une seconde différence est que, même si à l'instruction, les témoignages oraux sont entendus et que cela peut aider le juge à apprécier la crédibilité, dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, le juge ne dispose que d'une preuve par affidavit. La présente cour a souscrit à la remarque que la Cour d'appel de l'Ontario a faite dans l'affaire Aguonie c. Galion Solid Waste Material Inc., à savoir [traduction] qu' «[e]n statuant sur une requête en jugement sommaire, la cour n'évalue jamais la crédibilité, elle n'apprécie jamais la preuve et elle ne tire jamais de conclusion de fait [. . .] L'évaluation de la crédibilité, l'appréciation de la preuve et la formulation de déductions factuelles sont toutes des fonctions réservées à l'appréciation du juge des faits». La Cour a ajouté qu'un jugement sommaire, aussi important soit-il pour éliminer les demandes et les défenses fictives, ne visait pas à priver un plaideur qui pouvait démontrer l'existence d'une véritable question litigieuse de son droit à une instruction.

Cela ne voulait pas pour autant dire qu'un jugement sommaire n'a aucun rôle à jouer dans le règlement de questions accessoires, qui peuvent abréger la durée de l'instruction et, de fait, lorsqu'aucune véritable question litigieuse n'est constatée, éviter la nécessité de tenir une instruction.

Le juge des requêtes n'a pas analysé les arguments relatifs à la question de savoir quelle était la disposition de la Loi sur la prescription des actions qui s'appliquait en l'espèce. Il a commis une erreur en rejetant les arguments des appelants sans se demander s'ils soulevaient une véritable question litigieuse. Si les appelants ont raison de soutenir que les articles 5 et 6 s'appliquent, la question de la possibilité de découverte n'a plus qu'un intérêt théorique parce que le délai de prescription n'aurait commencé à courir que lors du décès de Charlotte, en 1999.

L'argument de l'intimée, fondé sur l'article 47 de la Loi sur les Indiens, n'avait pas été soulevé dans le cadre de la requête en jugement sommaire et il ne convenait pas pour la Cour d'appel de trancher la question. Quoi qu'il en soit, si Mme MacNeil n'avait pas été informée qu'un certificat avait été délivré à Charlotte, d'une façon qui n'était pas conforme aux dispositions du testament, elle n'aurait peut-être pas su qu'elle était «intéressée» au sens de l'article 47.

Le juge Stone, J.C.A. (concourant quant au résultat): Le juge souscrivait entièrement aux motifs prononcés et au dispositif proposé par le juge Sexton, J.C.A., mais, selon lui, il ne fallait pas exprimer un avis définitif au sujet de l'application du paragraphe 216(3) des Règles étant donné que la présente affaire ne l'exigeait pas. Il était préférable de remettre à plus tard la question, lorsqu'elle serait carrément soulevée et pleinement débattue.

lois et règlements

Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L.15, art. 5(11), 6(1), 45(1).

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 42, 43, 46, 47.

Règles de la Cour du Banc de la Reine, Règl. du Man. 553/88, règle 20.03(4).

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 432.3(4) (édicté par DORS/94-41, art. 5).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 213(2), 215, 216(1),(3).

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194.

jurisprudence

décisions appliquées:

Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; (1994), 116 D.L.R. (4th) 61; 21 C.R.R. (2d) 236; 24 Imm. L.R. (2d) 117; 167 N.R. 282; 72 O.A.C. 348; Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242; (2002), 214 D.L.R. (4th) 429; 19 C.P.R. (4th) 163; 291 N.R. 96 (C.A.); Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853; (1996), 111 F.T.R. 189; 7 W.D.C.P. (3d) 217 (1re inst.); ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd. (2001), 11 C.P.R. (4th) 174; 199 F.T.R. 319 (C.F. 1re inst.); Wetzel c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 155 (1re inst.) (QL); Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225; 45 C.P.C. (2d) 168; 33 C.P.R. (3d) 515 (Div. gén.); Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68; (1995), 184 N.R. 307 (C.A.); Aguonie v. Galion Solid Waste Material Inc. (1998), 38 O.R. (3d) 161; 156 D.L.R. (4th) 222; 17 C.P.C. (4th) 219; 107 O.A.C. 115 (C.A.); Irving Ungerman Ltd. v. Galanis (1991), 4 O.R. (3d) 545; 83 D.L.R. (4th) 734; 1 C.P.C. (3d) 248; 50 O.A.C. 176 (C.A.).

décisions citées:

Findlay v. Holmes (1998), 111 O.A.C. 319 (C.A.); Pronovost c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1985] 1 C.F. 517; [1986] 1 C.N.L.R. 51 (C.A.); Dek-Block Products Ltd. c. Patio Drummond Ltée, 2002 CAF 188; [2002] A.C.F. no 723 (C.A.) (QL).

APPEL de la décision d'un juge des requêtes ((2002), 222 F.T.R. 265), accordant un jugement sommaire et rejetant une demande présentée contre la Couronne pour le motif qu'elle était prescrite. Appel accueilli.

ont comparu:

Gerard T. Tillmann pour les appelants.

Jennifer M. Roy et Gary N. Penner pour les intimés.

avocats inscrits au dossier:

Harrison Pensa LLP, London, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Sexton, J.C.A.:

Introduction

[1]Il s'agit en l'espèce de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur susceptible de révision en rejetant la demande que les appelants avaient présentée contre la Couronne à la suite d'une requête en jugement sommaire pour le motif qu'ils ne pouvaient poursuivre leur demande parce qu'elle était prescrite [(2002), 222 F.T.R. 265].

[2]La demande que les appelants ont présentée contre la Couronne se rapportait essentiellement à la façon dont celle-ci avait traité une parcelle de terre de réserve qui avait été léguée par testament par un membre de la réserve Six Nations qui était décédé. En particulier, les appelants affirment que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a par négligence délivré un certificat absolu de possession pour cette parcelle à une personne qui détenait simplement, en vertu du testament, un intérêt viager dans la terre en question, de sorte que l'intérêt résiduel que possédait l'appelante Minnie Norma MacNeil dans cette terre était éliminé. Il n'incombe pas à la Cour de décider du bien-fondé de la demande que les appelants ont présentée contre la Couronne; il s'agit plutôt de savoir si le juge des requêtes a commis une erreur en accordant un jugement sommaire pour le motif que Minnie Norma MacNeil ne pouvait pas poursuivre sa demande contre la Couronne à cause de la prescription, étant donné qu'elle était au courant ou aurait dû être au courant de la délivrance du certificat de possession au moins 20 ans avant de présenter sa demande.

Les faits

[3]Le 6 janvier 1952, David General, le grand-père de l'appelante Minnie Norma MacNeil (autrefois Minnie Miller), est décédé; il avait rédigé un testament. David General était membre des Six Nations de la rivière Grand.

[4]Pour les besoins du présent appel, la clause pertinente du testament de David General prévoyait ce qui suit:

[traduction] Charlotte (Martin) sera également titulaire d'un bail à vie à l'égard du homestead et des immeubles situés sur le lot 18, concession 3, composé de 25 acres, tant que sa situation ne changera pas. Si elle retourne habiter avec son mari, elle devra quitter les lieux, sur le lot 18, et l'immeuble devra être vendu et le produit de la vente divisé à parts égales entre Minnie Miller, Charlotte Martin, Morgan General et Theodore General. Si Charlotte décède sans être retournée habiter avec son mari, le partage susmentionné s'appliquera à cette parcelle.

[5]Le 1er mai 1952, le sous-ministre, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, Direction des affaires indiennes, a approuvé le testament de David General et a désigné la fille de David General, Charlotte Martin, à titre d'exécutrice testamentaire.

[6]Selon certains éléments de preuve, après le décès de David General, la Direction des affaires indiennes du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration a exprimé des préoccupations au sujet de la façon dont devait être interprétée la clause du testament qui est ici en cause. Dans une lettre en date du 7 juillet 1952, le surintendant intérimaire, Réserves et fidéicommis, envisageait de considérer la clause comme constituant une donation conditionnelle de la terre en faveur de Charlotte Martin à condition qu'elle ne retourne pas habiter avec son conjoint, plutôt que comme un simple intérêt viager. La partie pertinente de la lettre est ainsi libellée:

[traduction] À notre avis, ce legs ne doit pas être considéré comme un intérêt viager, mais plutôt comme une donation conditionnelle. Toutefois, si l'un des héritiers estime que cet avis est erroné, nous le soumettrons à nos conseillers juridiques pour qu'ils expriment leur opinion [. . .]

Sur réception d'une entente de la part des héritiers, ou d'une lettre de votre part nous informant que les héritiers ne peuvent pas en arriver à une entente, nous tenterons de vous informer de la façon de mettre fin à l'administration des successions d'Annie et de David General.

[7]Dans une note de service adressée au surintendant de l'Agence indienne des Six Nations, en date du 4 octobre 1967, l'administrateur des successions, J. F. Cullinan, semblait dire qu'un certificat de possession serait délivré à Charlotte Martin, sous réserve des dispositions du testament:

[traduction] Le dossier de la succession ici en cause a encore une fois été examiné; nous notons que le seul problème non résolu se rapporte au partage des actifs immobiliers dans la moitié nord du lot 18, concession 3, à Tuscarora.

Les dispositions du testament ont été minutieusement examinées; puisqu'il semble maintenant certain que Charlotte Martin ne retournera pas habiter avec son conjoint, nous sommes prêts à transférer cet actif de la succession; un certificat de possession sera ensuite délivré au nom de Charlotte Martin, sous réserve des dispositions testamentaires. Par conséquent, nous demandons aujourd'hui le transfert et, dès que la preuve de titre nécessaire sera disponible au nom de la cessionnaire, nous vous informerons de la chose.

Nous croyons être en mesure de vous informer de la conclusion de l'administration de la succession à brève échéance. [Non souligné dans l'original.]

[8]Le 5 avril 1968, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a délivré un certificat de possession en faveur de Charlotte Martin. Toutefois, contrairement à la note de service du mois d'octobre 1967, le certificat de possession délivré à Charlotte Martin n'était pas assorti de conditions et n'indiquait aucunement que cette dernière détenait uniquement un intérêt viager dans la terre en question.

[9]Selon la preuve fournie par les appelants, Minnie Norma MacNeil a appris pour la première fois, en consultant un avocat en 1990, que la délivrance du certificat de possession en faveur de Charlotte Martin avait une incidence sur ses droits. L'avocat de Minnie Norma MacNeil a envoyé une lettre au bureau des Affaires indiennes et inuit le 23 avril 1990. Le 18 juillet 1990, en réponse à cette lettre, le Chef des opérations de successions, institutions des bandes et direction des successions d'Indiens, Affaires indiennes et inuit, a fait savoir que Charlotte Martin avait obtenu, 17 ans plus tôt, un titre absolu sur la terre en question. Cette lettre était ainsi libellée:

[traduction] La lettre que vous avez envoyée au bureau de Brantford des Affaires indiennes le 23 avril 1990 a été portée à mon attention.

Vous remarquerez, à la lecture des pages ci-jointes du résumé du titre, que des tiers ont acquis à titre onéreux les lots 18-13-2 et 8-13-3. Le lot 18-13-1 est encore enregistré au nom de Charlotte Mildred Martin, mais elle a obtenu le titre y afférent il y a plus de 17 ans.

Étant donné le temps qui s'est écoulé et les droits des autres parties en cause, le transfert en faveur de Mme Martin ne peut pas maintenant être modifié afin d'indiquer un simple intérêt viager.

[10]Le 5 juin 1991, l'appelante, Minnie Norma MacNeil, a déposé une déclaration contre la Couronne. La demande que l'appelante a présentée contre la Couronne était essentiellement fondée sur ce que le testament de David General accordait simplement à Charlotte Martin un intérêt viager dans les terres en question, Minnie Norma MacNeil étant titulaire d'un intérêt résiduel dans ces terres. Par conséquent, la Couronne avait été négligente en délivrant un certificat absolu de possession à la bénéficiaire de l'intérêt viager, Charlotte Martin, lequel avait pour effet de faire disparaître l'intérêt résiduel que Minnie Norma MacNeil avait obtenu par testament.

[11]Le 4 mars 1999, l'appelante, Minnie Norma MacNeil, est décédée; le 24 juin 1999, Charlotte Martin est décédée.

[12]Après le décès de Minnie Norma MacNeil, l'action intentée contre la Couronne a été poursuivie par Robert Garry Miller, l'un des fils de la défunte. M. Miller agissait pour le compte de tous les héritiers de Minnie Norma MacNeil. La déclaration a été modifiée le 5 mai 2000 en vue d'indiquer ce changement. La déclaration a également été modifiée en vue d'ajouter le nom de Charlotte Martin et de divers membres de la famille de celle-ci qui détiennent des certificats de possession pour la terre en question, à titre de défendeurs dans l'action. La déclaration a encore une fois été modifiée le 6 septembre 2001.

[13]Le 27 mars 2002, la Couronne a déposé un avis de requête en jugement sommaire pour le motif que l'appelante, Minnie Norma MacNeil, n'avait pas présenté sa demande dans le délai prévu au paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1990, ch. L.15 (la Loi sur la prescription des actions). La Couronne a délivré le certificat de possession à Charlotte Martin en 1968 et l'appelante n'a présenté sa demande qu'en 1991, bien après l'expiration du délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 45(1).

[14]Les appelants ont invoqué, comme moyen de défense à la requête en jugement sommaire, que la Couronne n'avait jamais informé Minnie Norma MacNeil qu'elle envisageait de radier ses intérêts dans la terre en question. À l'appui de leurs arguments, ils ont présenté une preuve par affidavit. L'appelant Robert Gary Miller, qui était le fils de Minnie Norma MacNeil, a témoigné que sa mère croyait toujours détenir un intérêt dans la terre en question après le décès de Charlotte Martin et avoir uniquement appris en 1990 que la délivrance d'un certificat de possession avait une incidence sur l'intérêt qu'elle possédait dans le homestead. Le délai de prescription n'avait donc commencé à courir qu'en 1990. Subsidiairement, le délai de prescription n'avait commencé à courir qu'au moment où l'intérêt que possédait Minnie Norma MacNeil en vertu du testament a été dévolu, lors du décès de Charlotte Martin.

[15]Le seul élément de preuve présenté par la Couronne dans le cadre de la requête en jugement sommaire qui était susceptible d'indiquer que Minnie Norma MacNeil était au courant de la délivrance du certificat de possession en faveur de Charlotte Martin était une note au dossier en date du 16 août 1968, apparemment rédigée par un employé du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Cette note de service était ainsi libellée:

[traduction] Le 16 août, des gens qui se sont présentés comme étant Mme Geddes, Mme Norma McNeale [sic] ainsi que M. et Mme Ken Miller m'ont rendu visite. Mme Geddes est apparemment la fille de David General; Norma McNeale [sic] est la petite-fille. Ken Miller est l'arrière-petit-fils. Mme Geddes voulait se renseigner sur le droit que possédait Norma McNeale s[sic] dur une parcelle de 25 acres, lot 18, concession 3; elle a semblé passablement surprise lorsque je l'ai informée qu'un certificat de possession avait été délivré à Charlotte Mildred Martin. L'affaire porte sur l'interprétation d'un testament renfermant une clause prévoyant un intérêt viager. Je lui ai en fin de compte conseillé de revenir et de voir (en ma présence) M. Hill lorsqu'il reviendrait de ses vacances pour que nous puissions étudier l'affaire.

[16]Les appelants soutiennent que cette note de service dit uniquement que des renseignements ont été donnés à Mme Geddes au sujet du certificat de possession. Elle ne dit pas que des renseignements ont été donnés à Minnie Norma MacNeil et qu'elle les a bien compris. En outre, cette note de service n'indique pas que la Couronne ait informé qui que ce soit, et notamment Minnie Norma MacNeil, que le certificat de possession n'avait pas été délivré sous réserve des dispositions du testament et qu'il aurait donc pour effet d'éteindre les intérêts que possédaient les bénéficiaires résiduels dans les terres.

La décision d'instance inférieure

[17]Le juge des requêtes a conclu que, lorsque le défendeur démontre qu'un délai de prescription est à première vue expiré, le demandeur a la charge de démontrer qu'il ne savait pas et qu'il n'aurait pas pu savoir, même en faisant preuve d'une diligence raisonnable, qu'il possédait un droit d'action tel que le délai de prescription n'était pas expiré. Le juge des requêtes a conclu que les appelants ne s'étaient pas acquittés de l'obligation qui leur incombait; voici ce qu'il a dit [au paragraphe 9]: «En l'espèce, les demandeurs n'ont pas présenté de preuve montrant que Minnie Norma MacNeil ne savait pas et ne pouvait pas raisonnablement découvrir que Charlotte Martin avait traité la propriété d'une façon fort publique et d'une façon qui était incompatible avec sa demande, une vingtaine d'années avant l'introduction de l'action.» Le juge des requêtes a dit que le nombre peu important d'éléments de preuve disponibles, et il n'était pas convaincu qu'ils soient admissibles, montrait que, dès 1968, on avait informé Mme MacNeil de la délivrance du certificat de possession.

[18]De plus, le juge des requêtes a rejeté l'argument des appelants selon lequel le délai de prescription n'avait commencé à courir à leur encontre que lors du décès de Charlotte Martin et de la «dévolution» des droits que possédaient les demandeurs sur la propriété.

Dispositions législatives pertinentes

Règles de la Cour fédérale (1998) (DORS/98-106)

213. [. . .]

(2) Le défendeur peut, après avoir signifié et déposé sa défense et avant que l'heure, la date et le lieu de l'instruction soient fixés, présenter une requête pour obtenir un jugement sommaire rejetant tout ou partie de la réclamation contenue dans la déclaration.

[. . .]

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse.

216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

[. . .]

(3) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu'il existe une véritable question litigieuse à l'égard d'une déclaration ou d'une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l'ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

Loi sur la prescription des actions

5 [. . .]

(11) Si le domaine ou l'intérêt revendiqué est un domaine ou un intérêt futur, notamment de réversion ou résiduel, et que personne n'a obtenu la possession ni perçu les profits du bien-fonds ou le loyer relativement à ce domaine ou à cet intérêt, le droit est réputé avoir pris naissance à la date à laquelle ce domaine ou cet intérêt est devenu un domaine ou un intérêt en possession.

[. . .]

6 (1) Si la personne, ayant droit en dernier lieu à un domaine particulier auquel un domaine ou un intérêt futur se rattachait en expectative, n'était pas en possession d'un bien-fonds ou n'en percevait pas les profits ni le loyer à la date de résolution de son intérêt, le droit d'entrer, de pratiquer la saisie-gagerie ou d'intenter l'action que peut exercer la personne qui acquiert un droit en possession sur un domaine ou un intérêt futur se prescrit par dix ans à compter de la date à laquelle le droit d'entrer, de pratiquer la saisie-gagerie ou d'intenter une action en revendication du bien-fonds ou du loyer a pris naissance en faveur de la personne dont l'intérêt a été résolu, ou par cinq ans à compter de la date à laquelle le domaine de la personne acquérant le droit en possession a été dévolu en possession, selon la plus longue de ces deux périodes.

[. . .]

45 (1) Les actions suivantes se prescrivent par les délais respectifs indiqués ci-dessous

[. . .]

g)     l'action pour atteinte à la possession mobilière ou de biens-fonds, l'action sur contrat sans le sceau, en remboursement d'une dette fondée sur un prêt ou un contrat sans acte scellé, ou en remboursement d'une dette pour arriérés de loyer, l'action pour détention illicite, l'action en restitution ou l'action pour atteinte indirecte autre que pour diffamation verbale,

se prescrit par six ans à compter de la naissance de la cause d'action [Non souligné dans l'original.]

Arguments

[19]Les appelants ont soutenu que le juge des requêtes avait commis une erreur en omettant de conclure qu'il existait une véritable question litigieuse au sujet du délai de prescription applicable en l'espèce. Selon les appelants, le délai de prescription pertinent n'est pas fixé au paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions, mais il est plutôt fixé aux paragraphes 5(11) et 6(1). Selon ces dernières dispositions, la cause d'action de Minnie Norma MacNeil contre la Couronne n'a pris naissance et le délai de prescription n'a commencé à courir qu'au moment où Mme MacNeil a obtenu, en vertu du testament, le reste de l'intérêt dans la terre en question, soit lors du décès, en 1999, de Charlotte Martin, qui était titulaire d'un intérêt viager.

[20]Les appelants ont également soutenu que même si le délai de prescription applicable expire six ans après que la cause d'action a pris naissance, comme le prévoit le paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions, la cause d'action ne prend naissance, selon le «principe de la possibilité de découverte», qu'au moment où le demandeur est au courant ou aurait dû être au courant des faits pertinents donnant lieu à la cause d'action. En l'espèce, la question de savoir si Minnie Norma MacNeil était au courant ou aurait dû être au courant des faits pertinents donnant lieu à sa cause d'action plus de six ans avant de déposer la déclaration est une véritable question litigieuse. Les appelants affirment que, contrairement à la conclusion du juge des requêtes selon laquelle ils n'avaient pas présenté de preuve sur ce point, ils ont soumis une preuve par affidavit attestant que Minnie Norma MacNeil n'a appris qu'en 1990 que la délivrance d'un certificat de possession en faveur de Charlotte Martin avait une incidence sur l'intérêt qu'elle possédait dans la succession. Le juge des requêtes a donc commis une erreur en concluant qu'il disposait d'un nombre suffisant de faits pour statuer que Minnie Norma MacNeil aurait dû savoir avant 1990 que le certificat de possession n'avait pas été délivré sous réserve des dispositions du testament. Étant donné que l'action a été intentée en 1991, le délai de prescription n'était pas expiré.

[21]Les appelants ont en outre soutenu que, dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, il incombe au requérant d'établir qu'il n'existe aucune véritable question litigieuse. Le juge des requêtes a donc commis une erreur en concluant que la charge incombait aux appelants.

[22]L'intimée a soutenu qu'en vertu du paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions, les appelants étaient tenus de présenter leur demande dans les six ans qui suivaient la date à laquelle la cause d'action avait pris naissance. Étant donné que le certificat de possession avait été délivré en 1968, le délai de prescription était à première vue expiré. Les appelants avaient donc la charge de déposer un affidavit ou un autre élément de preuve établissant qu'il existait une véritable question litigieuse, à savoir si leur cause d'action pouvait raisonnablement être découverte au moment de la délivrance du certificat de possession. Le juge des requêtes n'a pas commis d'erreur en statuant que les appelants ne s'étaient pas acquittés de cette obligation.

[23]L'intimée a également soutenu que le juge des requêtes n'avait pas commis d'erreur en concluant que les paragraphes 5(11) et 6(1) de la Loi sur la prescription des actions ne s'appliquaient pas. La demande que les appelants ont présentée contre la Couronne est fondée sur l'allégation selon laquelle les préposés de la Couronne avaient agi d'une façon inappropriée en 1968 et que le délai de prescription devait donc commencer à courir à compter de la date à laquelle la cause d'action avait pris naissance plutôt qu'à la date du décès de Charlotte Martin. En outre, une fois que le certificat de possession a été délivré à Charlotte Martin, Minnie Norma MacNeil ne possédait pas un «intérêt futur» dans la terre en question et les paragraphes 5(11) et 6(1) ne s'appliquaient donc pas non plus, et ce, pour la même raison. Quoi qu'il en soit, l'intimée a soutenu que, selon l'article 47 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149 (la Loi sur les Indiens), la décision du ministre de délivrer un certificat de possession peut uniquement être contestée dans les deux mois qui suivent la date de la décision.

Points litigieux

1. Quelle était l'obligation qui incombait aux appelants dans le cadre de la requête en jugement sommaire, pour ce qui est de la question de savoir si Minnie Norma MacNeil était au courant ou aurait dû être au courant des faits pertinents ayant donné lieu à la cause d'action, de sorte que le paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions l'empêchait de présenter sa demande?

2. Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur susceptible de révision en statuant que les appelants ne s'étaient pas acquittés de leur obligation?

3. Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur susceptible de révision en décidant que le délai de prescription prévu aux paragraphes 5(11) et 6(1) de la Loi sur la prescription des actions ne s'appliquait pas?

Analyse

1.     Quelle était l'obligation qui incombait aux appelants dans le cadre de la requête en jugement sommaire, pour ce qui est de la question de savoir si Minnie Norma MacNeil était au courant ou aurait dû être au courant des faits pertinents ayant donné lieu à la cause d'action, de sorte que le paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions l'empêchait de présenter sa demande?

[24]La décision du juge des requêtes ne montre pas clairement s'il était d'avis que la charge de la preuve qui incombait aux appelants dans le cadre de la requête en jugement sommaire consistait à établir que Minnie Norma MacNeil ne savait pas et n'aurait pas pu savoir, même en faisant preuve d'une diligence raisonnable, qu'elle possédait un droit d'action lorsque le certificat de possession a été délivré ou s'il disait simplement que telle était l'obligation qui incomberait aux appelants à l'instruction. Si le juge des requêtes était d'avis que telle était la charge de la preuve incombant aux appelants dans le cadre de la requête en jugement sommaire, il s'agissait d'une erreur de droit.

[25]Si le défendeur soutient à l'instruction qu'un délai de prescription est à première vue expiré, le demandeur a la charge de prouver que le délai de prescription n'est pas expiré parce qu'il n'a pas pris connaissance des faits pertinents ayant donné lieu à la cause d'action dans le délai requis avant le dépôt de la déclaration. Voir Findlay v. Holmes (1998), 111 O.A.C. 319 (C.A.). Toutefois, les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire n'ont pas la charge qu'elles auraient si elles étaient demanderesses à l'instruction. Les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire n'ont pas la charge de prouver tous les faits de l'affaire; selon la règle 215 des Règles de la Cour fédérale (1998), elles sont uniquement tenues de présenter une preuve montrant qu'il existe une véritable question litigieuse:

215. La réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure déposés par le requérant. Elle doit plutôt énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse.

Par conséquent, dans le cadre de la requête en jugement sommaire, les appelants devaient soumettre une preuve montrant qu'il existait une véritable question litigieuse, à savoir si Minnie Norma MacNeil savait ou aurait dû savoir qu'elle possédait une cause d'action contre la Couronne avant le délai de six ans qui a précédé le dépôt de la déclaration.

[26]On ne sait pas trop si le juge des requêtes a correctement compris la charge qui incombait aux appelants, mais de toute façon cela n'aurait probablement rien changé à sa décision parce qu'il a conclu que les appelants n'avaient pas présenté de preuve montrant que Minnie Norma MacNeil n'était pas au courant et n'aurait pas raisonnablement pu être au courant de la cause d'action avant le dépôt de la déclaration.

2.     Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur susceptible de révision en statuant que les appelants n'avaient pas présenté de preuve au sujet de la question de la possibilité de découverte?

[27]En l'espèce, le juge des requêtes s'est fondé sur le paragraphe 216(3) des Règles de la Cour fédérale (1998). Voici ce qu'il a dit [au paragraphe 7]: «À mon avis, le libellé du paragraphe 216(3) des Règles prévoit expressément que la Cour peut tirer des conclusions de fait si elle est en mesure de le faire d'une façon équitable et juste compte tenu des éléments dont elle dispose.» Il a ensuite conclu que les appelants n'avaient pas présenté de preuve au sujet de la question de la possibilité de découverte [au paragraphe 9]:

En l'espèce, les demandeurs n'ont pas présenté de preuve montrant que Minnie Norma MacNeil ne savait pas et ne pouvait pas raisonnablement découvrir que Charlotte Martin avait traité la propriété d'une façon fort publique et d'une façon qui était incompatible avec sa demande, une vingtaine d'années avant l'introduction de l'action. On n'a pas satisfait à la charge de la preuve. En outre, les éléments de preuve qui existent, et il en existe de fait fort peu, et je ne suis aucunement convaincu qu'ils soient admissibles, indiquent que, dès 1968, on avait informé Mme MacNeil qu'un certificat de possession avait été délivré à Charlotte Martin et que Mme MacNeil avait bien fait savoir à Charlotte Martin qu'elle ne devait pas agir à l'encontre de ses intérêts. Cela indiquerait à tout le moins selon moi qu'elle a été informée de la situation. À mon avis, cela suffit pour trancher la question de la possibilité de découverte à l'égard de laquelle, comme je l'ai dit, le demandeur a la charge de la preuve.

[28]En vertu du paragraphe 216(3), le juge des requêtes a le pouvoir discrétionnaire de rendre un jugement sommaire en faveur d'une partie malgré l'existence d'une véritable question litigieuse s'il parvient, à partir de l'ensemble de la preuve, à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit. Selon l'arrêt Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, la norme de contrôle à appliquer à la décision discrétionnaire du juge des requêtes est de savoir s'il a accordé suffisamment d'importance à toutes les considérations pertinentes. Ce critère a également été suivi par la Cour dans l'arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242 (C.A.).

[29]Le juge des requêtes a commis une erreur en concluant que les appelants «[n'avaient] pas présenté de preuve» pour démontrer que Minnie Norma MacNeil n'était pas au courant ou n'aurait pas raisonnablement pu être au courant de la cause d'action au moment où le certificat de possession a été délivré. En tirant cette conclusion, le juge des requêtes a clairement omis de tenir compte de la preuve par affidavit présentée sur ce point par le fils de Minnie Norma MacNeil, Robert Gary Miller, ce qui était une considération fort pertinente. Dans son affidavit, M. Miller a déclaré croire que sa mère [traduction] «a[vait] toujours cru qu'elle détenait un intérêt dans le homestead après le décès de Charlotte Martin». De plus, lorsque M. Miller a été contre-interrogé au sujet de son affidavit, il a fait savoir qu'il croyait qu'avant 1990, Minnie Norma MacNeil n'avait jamais reçu de copie du certificat de possession et qu'on ne lui avait jamais dit qu'un certificat avait été délivré. En outre, voici ce qu'il a déclaré dans son affidavit: [traduction] «[Ma mère] ne s'y connaissait pas en matière de succession indienne. Même si elle avait été mise au courant de l'existence d'un certificat de possession, elle n'aurait pas compris qu'il faisait disparaître tout intérêt résiduel qu'elle possédait dans le homestead après le décès de Charlotte Martin.» M. Miller a également déclaré croire que sa mère aurait appris pour la première fois en 1990 que la délivrance d'un certificat de possession avait des incidences sur l'intérêt qu'elle détenait dans le homestead.

[30]Même si la norme de contrôle à appliquer à la conclusion tirée en l'espèce par le juge des requêtes était celle de l'erreur manifeste dominante, il a été satisfait à cette exigence préliminaire.

[31]Le seul élément de preuve dont le juge des requê-tes semblait avoir pris connaissance, pour ce qui est de la question de la possibilité de découverte, était la note de service de 1968 indiquant qu'une rencontre avait eu lieu avec un représentant de la Couronne et certains bénéficiaires, en vertu du testament de David General, y compris Minnie Norma MacNeil, et que lors de cette rencontre, le représentant de la Couronne avait dit à Mme Geddes, fille de David General, qu'un certificat de possession avait été délivré. Toutefois, les appelants ont soumis des éléments de preuve donnant à entendre que même si Minnie Norma MacNeil savait qu'un certificat de possession avait été délivré à Charlotte Martin, elle n'en aurait pas compris l'effet juridique. En outre, rien ne montre que le représentant de la Couronne ait expliqué la teneur du certificat aux bénéficiaires, et notamment à Minnie Norma MacNeil. Par conséquent, même si Minnie Norma MacNeil savait qu'un certificat de possession avait été délivré, pour être au courant des faits pertinents donnant naissance à la cause d'action, elle aurait dû savoir que le certificat de possession avait été délivré d'une façon qui n'était pas conforme aux dispositions du testament. Un certificat de possession délivré à Charlotte Martin conformément aux dispositions du testament n'aurait peut-être pas empêché Minnie Norma MacNeil d'acquérir son intérêt dans le homestead lors du décès de Charlotte Martin. Voir Pronovost c. Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, [1985] 1 C.F. 517 (C.A.), à la page 522.

[32]À mon avis, la remarque du juge des requêtes selon laquelle les appelants n'ont pas présenté de preuve sur ce point était clairement erronée. Dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, la preuve est présentée par affidavit. Or, la preuve par affidavit, en l'espèce, soulève clairement une véritable question litigieuse. En outre, la décision relative à la question de savoir s'il faut retenir la preuve soumise par Robert Miller sur ce point se résumera à une question de crédibilité; or, le juge présidant l'instruction qui entendra le témoignage oral de Robert Miller est mieux placé pour trancher la question. La jurisprudence montre clairement que lorsqu'il se pose une question de crédibilité, l'affaire ne devrait pas être tranchée au moyen d'un jugement sommaire rendu en vertu du paragraphe 216(3), mais qu'elle devrait plutôt faire l'objet d'une instruction parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès. Voir la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (1re inst.) (Granville Shipping), qui a été approuvée par la présente Cour dans l'arrêt ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd. (2001), 11 C.P.R. (4th) 174 (C.F. 1re inst.) (ITV).

[33]Les conclusions tirées par le juge des requêtes [au paragraphe 9], lorsqu'il a dit que les appelants n'avaient pas présenté de preuve montrant que Minnie Norma MacNeil ne savait pas ou n'aurait pas raisonnablement pu découvrir que «Charlotte Martin avait traité la propriété d'une façon fort publique et d'une façon qui était incompatible avec sa demande [la demande de Minnie Norma MacNeil], une vingtaine d'années avant l'introduction de l'action» repose également sur des inférences. Au cours de l'argumentation orale, on a donné à entendre que les enfants de Charlotte Martin avaient construit des habitations sur la terre en question avant l'année 1990. Le juge des requêtes a semblé inférer, par suite de la construction de ces habitations, premièrement que Minnie Norma MacNeil devait avoir vu ces habitations et deuxièmement qu'elle devait nécessairement savoir que la construction de ces habitations allait à l'encontre de l'intérêt résiduel qui lui était accordé par testament. Dans la décision Wetzel c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 155 (1re inst.) (QL), le juge des requêtes a refusé de faire une inférence dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Voici ce qu'il a dit [au paragraphe 9]:

Je dis seulement que pareille conclusion est possible, je ne dis pas qu'elle est inéluctable parce que je ne pense pas que, sur requête en jugement sommaire, il y ait lieu pour la Cour de se prononcer dans un sens ou dans l'autre sur un point de fait, qui ne doit être tranché qu'après les conclusions appropriées. [Non souligné dans l'original.]

De même, dans l'arrêt Apotex Inc. c. Merck & Co., précité, la présente Cour a également statué qu'en vertu du paragraphe 216(3) des Règles, le juge des requêtes peut uniquement tirer des conclusions de fait ou de droit, à condition qu'il existe dans le dossier des éléments de preuve pertinents qui ne portent pas sur une question de fait ou de droit «sérieuse» reposant sur des inférences. À mon avis, la conclusion du juge des requêtes dans ce cas-ci repose sur des inférences et, cela étant, le juge des requêtes a commis une erreur en accordant un jugement sommaire.

[34]Je note que lorsque le juge des requêtes a conclu qu'il pouvait tirer des conclusions de fait, il a dit que la jurisprudence de l'Ontario en matière de jugements sommaires ne devait pas être suivie par la présente Cour. Il a donc refusé de tenir compte de deux arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario dans lesquels il avait été statué que, dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, où se pose une question de «possibilité de découverte» en vertu de la Loi sur la prescription des actions, le juge des requêtes ne devrait pas tirer de conclusions de fait. Toutefois, dans la décision Granville Shipping, précitée, qui a été retenue par la présente cour dans l'arrêt ITV, précité, la Cour [au paragraphe 8] a expressément statué que, dans les cas de jugements sommaires, «les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [. . .] peuvent faciliter l'interprétation» tout en reconnaissant que les Règles de l'Ontario [Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194] ne sont pas aussi générales que les Règles de la Cour fédérale. Dans la décision Granville Shipping, précitée, la Cour a également suivi le principe énoncé dans la décision Pizza Pizza Ltd. c. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 225 (Pizza Pizza), une décision de la Division générale de la Cour de l'Ontario, selon lequel le critère à appliquer aux fins de l'octroi d'un jugement sommaire est de savoir si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits.

[35]La décision rendue par le juge des requêtes au sujet de la pertinence de la jurisprudence de l'Ontario démontre en partie la confusion qui règne au sujet du sens qu'il convient de donner à la règle 216 et du rôle de la cour dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Le juge des requêtes a conclu que le paragraphe 216(3) des Règles l'autorisait à tirer des conclusions de fait eu égard aux circonstances de l'affaire. Toutefois, en se fondant en partie sur la décision rendue en Ontario dans l'affaire Pizza Pizza, précitée, la présente Cour a statué que lorsque des questions de crédibilité se posent, l'affaire doit faire l'objet d'une instruction. Voir Apotex, précité, et Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68 (C.A.), aux pages 83 et 84. Dans l'arrêt Feoso Oil, précité, le juge Stone, J.C.A. a cité un passage du jugement de l'Ontario dans l'affaire Pizza Pizza, précitée, au sujet de la question de la crédibilité. Il a dit ce qui suit à la page 80:

Dans l'affaire Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie (1990), 75 O.R. (2d) 255 (Div. gén.), le juge Henry a passé en revue plusieurs décisions antérieures des tribunaux ontariens avant de déclarer, aux pages 237 et 238:

[traduction] À mon avis, il existe une norme minimale moins exigeante établie par la nouvelle règle 20 et la jurisprudence qui se développe. Selon cette norme, la Cour doit, en examinant minutieusement le bien-fondé d'une instance, décider si l'affaire mérite d'être renvoyée à un juge qui l'instruira. Il ne fait aucun doute que l'affaire sera instruite s'il existe de véritables questions de crédibilité qui doivent absolument être tranchées pour qu'une décision sur les faits soit rendue. [Non souligné dans l'original.]

Comme il en a déjà été fait mention, étant donné que la crédibilité est clairement en cause en l'espèce, un jugement sommaire n'aurait pas dû être rendu.

[36]La règle 216 présente des problèmes tant pour le juge qui entend la demande que pour les parties. Une fois que le juge refuse, en vertu du paragraphe 216(1) des Règles, de rendre un jugement sommaire parce qu'il existe une véritable question litigieuse, ce juge peut bien se faire demander de rendre un jugement sommaire en vertu du paragraphe 216(3). S'il rend le jugement, il prive d'une instruction la partie qui a déjà établi qu'il existe une véritable question litigieuse. Cela met le juge dans une situation difficile. La partie qui répond soutiendrait qu'elle s'est déjà conformée à la règle 215 en énonçant des faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse, mais le demandeur soutiendrait que le juge devrait parvenir, à partir de l'ensemble de la preuve, à rendre un jugement sommaire. Il serait fort difficile pour un juge de savoir s'il dispose réellement de suffisamment d'éléments de preuve pour rendre pareille décision, étant donné que le défendeur n'était pas obligé de présenter toute sa preuve.

[37]Le paragraphe 216(3) des Règles peut donner lieu à une iniquité fondamentale en déniant aux parties leur droit à une instruction lorsqu'il y a de véritables questions à soumettre au juge des faits. Il n'est pas équitable que des questions qui ont déjà été considérées comme des questions véritables exigeant la tenue d'une instruction soient réglées dans le cadre d'une requête à cause des différences fondamentales existant entre une requête et une instruction. En premier lieu, le juge des requêtes ne disposera probablement pas de tous les éléments de preuve qui seront soumis à l'instruction. De fait, la règle 215 exige uniquement que la partie qui répond à la requête en jugement sommaire présente sa cause sous son meilleur jour en énonçant les faits «démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse». Aucune disposition des Règles n'oblige la partie qui répond à avancer suffisamment d'éléments de preuve pour que les véritables questions litigieuses puissent être réglées dans le cadre d'une requête en jugement sommaire. Par conséquent, une fois que le juge des requêtes décide qu'il existe une véritable question litigieuse, le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré de rendre néanmoins un jugement sommaire en tranchant les questions de fait pourrait donner lieu à une iniquité.

[38]De plus, le genre de preuve présentée dans le cadre d'une requête et à l'instruction est tout à fait différent. À l'instruction, les parties ont la possibilité de raconter leur histoire à la cour en témoignant oralement elles-mêmes et en présentant le témoignage oral d'autres personnes. Par suite de ces témoignages de vive voix, le juge qui préside l'instruction est mieux placé pour apprécier comme il se doit la crédibilité et pour examiner à fond la preuve et la soupeser. Dans le cadre d'une requête en jugement sommaire, le juge reçoit une preuve par affidavit et n'a pas la possibilité de voir et d'entendre la preuve soumise par les témoins. En l'absence de témoignages de vive voix, le juge des requêtes qui fait face à une véritable question litigieuse ne peut pas apprécier la crédibilité de la façon appropriée ou encore examiner à fond la preuve et la soupeser. À mon avis, la remarque ci-après énoncée que la Cour d'appel de l'Ontario a faite dans l'affaire Aguonie v. Galion Solid Waste Material Inc. (1998), 38 O.R. (3d) 161, en interprétant les Règles de procédure civile de l'Ontario, R.R.O. 1990, Règl. 194, portant sur les jugements sommaires jette la lumière sur les problèmes associés au paragraphe 216(3) des Règles [aux pages 173 et 174]:

[traduction] Une question de fait doit se rapporter à un fait pertinent. Comme le juge en chef adjoint de l'Ontario Morden l'a signalé dans l'arrêt Ungerman, précité, à la page 550: «Si un fait n'est pas pertinent dans une action, en ce sens que le résultat de l'instance ne dépend pas de son existence ou de son inexistence, il ne peut pas se rapporter à une "véritable question litigieuse"» En statuant sur une requête en jugement sommaire, la cour n'évalue jamais la crédibilité, elle n'apprécie jamais la preuve et elle ne tire jamais de conclusion de fait. Le rôle de la cour, qui est strictement délimité, consiste plutôt à apprécier la question préliminaire de savoir s'il existe, en ce qui concerne les faits pertinents, une véritable question litigieuse exigeant la tenue d'une instruction. L'évaluation de la crédibilité, l'appréciation de la preuve et la formulation de déductions factuelles sont toutes des fonctions réservées à l'appréciation du juge des faits.

[. . .]

Selon l'interprétation que je donne de ces observations, le juge des requêtes doit clairement estimer, lorsque la requête est présentée par le défendeur comme c'est ici le cas, qu'il convient de priver les demandeurs de leur droit d'appel. Un jugement sommaire, aussi important soit-il pour éliminer les demandes et les défenses fictives qui empêchent de connaître directement la vérité dans une affaire, ne visait pas à priver un plaideur de son droit à une instruction et ne peut pas priver un plaideur de ce droit, à moins qu'il ne soit clairement démontré qu'il n'existe aucune véritable question litigieuse, une question pertinente pour ce qui est de la demande ou de la défense, qu'il incombe habituellement au juge chargé de l'instruction de régler. [Non souligné dans l'original.]

À cause des différences fondamentales entre les requêtes et les instructions, les véritables questions litigieuses soulevées par la preuve par affidavit ne devraient pas, à mon avis, être tranchées dans le cadre d'une requête en jugement sommaire.

[39]Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire qu'un jugement sommaire n'a aucun rôle à jouer dans le règlement de questions accessoires qui peuvent abréger la durée de l'instruction et, dans certains cas, lorsqu'aucune véritable question litigieuse n'est constatée, éviter la nécessité de tenir une instruction. Dans l'arrêt Irving Ungerman Ltd. v. Galanis (1991), 4 O.R. (3d) 545 (C.A), le juge en chef adjoint de l'Ontario Morden a dit ce qui suit [aux pages 550 et 551]:

[traduction] Le droit d'une partie à un litige «de se faire entendre», au sens de la tenue d'une instruction, peut avoir été considéré traditionnellement comme l'élément essentiel de la justice procédurale, et le fait d'en priver une partie comme la marque d'une injustice procédurale. Il se peut toutefois que dans des procédures ne comportant pas de véritables questions litigieuses qui commandent une instruction, la tenue d'un procès soit inutile et représente donc un manquement à la justice procédurale. Dans ce type de procédure, la partie qui a gain de cause a, à la fois, subi un retard inutile avant d'obtenir justice sur le fond et dû engager des frais additionnels.

Toutefois, à mon avis, le fait que le paragraphe 216(3) des Règles confère au juge des requêtes le pouvoir discrétionnaire de trancher des questions qui ont déjà été qualifiées de véritables questions litigieuses dans le cadre d'une requête «sommaire» peut donner lieu à une iniquité ainsi qu'à de l'incertitude au sujet de l'étendue précise du pouvoir du juge des requêtes. À mon avis, une fois qu'il existe une véritable question litigieuse, les parties devraient avoir le droit de faire régler ces questions dans le cadre d'une instruction.

3.     Le juge des requêtes a-t-il commis une erreur en décidant qu'il n'existait pas de véritable question litigieuse au sujet de la question de savoir si ce sont les paragraphes 5(11) et 6(1) de la Loi sur la prescription des actions qui s'appliquent plutôt que le paragraphe 45(1)?

[40]Le juge des requêtes a simplement rejeté l'argument des appelants selon lequel c'étaient les paragraphes 5(11) et 6(1) de la Loi sur la prescription des actions qui s'appliquaient plutôt que le paragraphe 45(1), et ce, sans analyser ces arguments. Avant de décider qu'il n'existe aucune véritable question litigieuse, le juge des requêtes devrait du moins analyser dans une certaine mesure les arguments. Je note qu'en l'espèce, les appelants ne demandaient pas simplement des dommages-intérêts contre la Couronne, mais qu'ils demandaient également certaines déclarations se rapportant à l'intérêt accordé par testament à Minnie Norma MacNeil. Je refuse de me prononcer sur le délai de prescription applicable en l'espèce, mais je crois que le juge des requêtes a commis une erreur en rejetant simplement les arguments des appelants, apparemment sans se demander s'ils soulevaient une véritable question litigieuse. Si les arguments soulevés par les appelants sont exacts et si les articles 5 et 6 de la Loi sur la prescription des actions s'appliquent en l'espèce, la question préalable de la possibilité de découverte n'a plus qu'un intérêt théorique parce que le délai de prescription n'aurait commencé à courir que lors du décès de Charlotte Martin, en 1999.

[41]Enfin, dans cet appel, en plus de soutenir que le délai de prescription prévu au paragraphe 45(1) de la Loi sur la prescription des actions est déjà expiré, l'intimée a également soutenu qu'en vertu de l'article 47 de la Loi sur les Indiens, le délai de prescription qui s'applique aux appels d'une décision prise par le ministre conformément aux articles 42, 43 ou 46 de la Loi sur les Indiens est de deux mois à compter de la date de la décision et que ce délai était également expiré. Le paragraphe 47(1) de la Loi sur les Indiens prévoyait ce qui suit:

47. (1) Une décision rendue par le Ministre dans l'exercice de la juridiction ou de l'autorité que lui confère l'article 42, 43 ou 46 peut être portée en appel devant la Cour de l'Échiquier du Canada dans les deux mois de cette décision, par toute personne y intéressée, si la somme en litige dans l'appel dépasse cinq cents dollars ou si le Ministre consent à un appel.

Étant donné que cet argument n'a pas été soulevé dans le cadre de la requête en jugement sommaire, je ne crois pas qu'il convienne de trancher la question.

[42]Quoi qu'il en soit, étant donné que, selon la preuve dont disposait la Cour, Mme MacNeil n'a peut-être pas été informée qu'un certificat de possession avait été délivré à Charlotte Martin d'une façon qui n'était pas conforme aux dispositions du testament, il se peut qu'elle n'ait pas su qu'elle était «intéressée» au sens de l'article 47 de la Loi sur les Indiens. Il faudrait attendre la tenue d'une instruction complète pour trancher cette question.

Conclusion

[43]L'appel devrait être accueilli avec dépens.

[44]Étant donné que le juge des requêtes a commis une erreur en rendant un jugement sommaire et en rejetant la demande que les appelants avaient présentée à l'encontre de la Couronne, il est inutile d'examiner l'appel incident de l'intimée, selon lequel la Cour devrait également rejeter la demande présentée contre les autres défendeurs désignés dans la déclaration des appelants.

Le juge Sharlow, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[45]Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris entièrement aux motifs de jugement du juge Sexton en ce qui concerne les questions qui ont été soulevées pour décision et je souscris au dispositif qu'il propose.

[46]Je préférerais ne pas exprimer d'avis définitif au sujet de l'application du paragraphe 216(3) des Règles, question qui est examinée par mon collègue aux paragraphes 36 à 40, étant donné que je n'ai pas à le faire dans ce cas-ci. Je tiens simplement à faire remarquer que la disposition telle qu'elle est actuelle-ment libellée a été adoptée lorsque les règles de la Cour ont fait l'objet d'une révision générale en 1998, et que c'est une variante de la Règle 432.3(4) des anciennes Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (édicté par DORS/94-41, art. 5)], laquelle de son côté semble avoir été inspiré du paragraphe 20.03(4) des Règles de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba [Règl. Du Man. 553/88]. Le paragraphe 216(3) des Règles permet au juge, par suite d'une requête en jugement sommaire, après avoir conclu qu'il existe une «véritable question litigieuse», de mener une instruction en se fondant sur la preuve par affidavit en vue de trancher les questions qui se posent dans l'action s'il est possible de le faire. Toutefois, la jurisprudence de la présente Cour donne à entendre qu'il n'est pas toujours possible de le faire, en particulier en présence d'éléments de preuve contradictoires, lorsque l'affaire repose sur des inférences ou lorsqu'une question de crédibilité est en jeu: Feoso Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 69 (C.A.); Dek-Block Products Ltd. c. Patio Drummond Ltée, 2002 CAF 188; [2002] A.C.F. no 723 (C.A. ) (QL); Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242 (C.A.). Dans ces cas, il a fallu tenir une instruction complète afin de régler les questions factuelles.

[47]Il serait préférable que je m'en tienne à ces remarques et que je remette à plus tard la question, lorsqu'elle sera carrément soulevée et pleinement débattue.

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