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     A-123-03

    2003 CAF 377

Le Procureur général du Canada (demandeur)

c.

Vaden Sacrey (défendeur)

Répertorié: Canada (Procureur général)c. Sacrey (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Desjardins, Décary et Pelletier, J.C.A.--Halifax, 1er octobre; Ottawa, 14 octobre 2003.

Assurance-emploi -- Un travailleur a quitté son emploi à Halifax lorsqu'une amie lui a dit que de l'emploi était disponible chez une certaine entreprise au Manitoba -- Cette amie n'avait pas de liens avec l'entreprise -- Le défendeur s'est rendu au Manitoba, où il a appris que l'entreprise n'embauchait personne pour le moment -- La question de savoir s'il était «fondé à» quitter son emploi et s'il avait l'«assurance raisonnable» d'un autre emploi -- Le conseil arbitral a statué que le défendeur avait suffisamment l'assurance d'un autre emploi pour satisfaire au critère de la justification -- La juge-arbitre a statué que la décision n'était pas abusive ou arbitraire -- Demande de contrôle judiciaire accueillie -- En quoi consiste la «justification» -- Définition maintenant dans la Loi, avec liste de circonstances énumérées -- Question de fait et de droit -- Norme de contrôle -- L'«assurance raisonnable» suppose un certain degré de garantie--L'objectif de la Loi n'est pas de fournir des prestations aux personnes qui quittent leur emploi pour en rechercher un meilleur -- Il n'y avait pas assurance d'un emploi en l'espèce -- La juge-arbitre a commis une erreur en qualifiant de question de fait une question mixte de fait et de droit -- L'interprétation de l'«assurance raisonnable» par le conseil arbitral était erronée.

Interprétation des lois -- Art. 29c)(vi) et 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi -- «Justification» pour quitter un emploi, «assurance raisonnable» d'un autre emploi -- Définitions de dictionnaire examinées -- Le qualificatif «raisonnable» laisse croire que moins qu'une assurance formelle peut suffire -- Il n'y avait pas assurance raisonnable en l'espèce.

Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une juge-arbitre a rejeté l'appel interjeté à l'encontre de la décision du conseil arbitral portant que, pour les fins de la Loi sur l'assurance-emploi, le défendeur était fondé à quitter son emploi à Halifax comme il avait l'assurance raisonnable d'un autre emploi au Manitoba.

Le défendeur s'était fié sur les conseils d'une amie qui, sur la foi de conversations avec son oncle, lui avait dit qu'il y trouverait du travail chez Inco. Arrivé à Thomson, il a appris qu'Inco n'embaucherait pas d'employés avant quelques mois. Cette amie n'avait pas de liens avec Inco et le défendeur n'avait communiqué avec aucun représentant de l'entreprise avant de se rendre dans l'Ouest.

Le conseil arbitral a conclu que le défendeur avait «fait un choix raisonnable, sur la foi de renseignements reçus d'une amie et du cabinet d'avocats MacDonald, établi de longue date à Thomson (Manitoba)». Il a aussi conclu que le défendeur avait «suffisamment l'assurance d'un autre emploi pour satisfaire au critère de la justification». Une juge-arbitre a rejeté l'appel, au motif que la conclusion de fait quant à la justification n'avait pas été tirée de façon abusive ou arbitraire.

La question à trancher par la Cour d'appel concernait l'interprétation et l'application du sous-alinéa 29c)(vi) et du paragraphe 30(1) de la Loi sur l'assurance-emploi.

Arrêt: que la demande doit être accueillie.

Dans la décision Tanguay c. Comm. d'assurance-chômage de 1985, on a statué que la définition à donner au mot «justification» constitue une «pure question de droit». Selon la Cour dans Tanguay, cependant, la définition que l'on peut donner du terme «justification» n'est guère si précise, de sorte que des cas peuvent survenir où l'on peut décider dans un sens ou dans l'autre sans faire offense à la notion juridique de «justification». Ces dernières années, les dispositions législatives pertinentes ont été précisées. De fait, la «justification» («est fondé à») n'a été définie qu'en 1990 dans la Loi. Celle-ci renferme maintenant une liste des circonstances où l'on est fondé à quitter volontairement son emploi. Ce qu'on qualifiait de question de droit est devenu, par suite de précisions détaillées et adaptées aux situations concrètes, une question mixte de fait et de droit. Selon le droit actuel, lorsqu'on a affaire à une question de droit et de fait, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte quant à l'interprétation de la norme juridique et celle de la décision raisonnable quant à l'application de cette norme aux faits d'espèce.

Ce qui était en litige en l'espèce, c'était l'«assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat» (sous-alinéa 29c)(vi)). L'obligation de «justification» doit être interprétée de la même manière que l'obligation de tout assuré de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque. L'«assurance raisonnable» d'un nouvel emploi suppose un certain degré mesurable de garantie. Dans Le Petit Larousse illustré, on définit «assurance» comme «certitude, garantie formelle». Dans les dictionnaires anglais, on définit «assurance» notamment comme «a positive declaration intended to give confidence» et «a pledge or guarantee». Le qualificatif «raisonnable» laisse croire, toutefois, que moins qu'une assurance formelle peut suffire. La Cour a récemment statué que l'objectif de la Loi n'est pas de fournir des prestations aux personnes qui quittent leur emploi pour rechercher un travail plus intéressant et mieux rémunéré.

En l'espèce, il n'y a pas même eu la moindre communication entre le défendeur et Inco, et il n'y avait donc pas assurance d'un emploi. En de telles circonstances, l'on n'avait pas à se demander si l'assurance était ou non «raisonnable». La juge-arbitre a commis une erreur en qualifiant de question de fait une question mixte de fait et de droit. Si elle s'était demandée si le conseil arbitral avait fait une interprétation correcte de l'«assurance raisonnable» lorsqu'il l'a appliquée aux faits, elle aurait uniquement pu conclure que l'interprétation du conseil était erronée.

lois et règlements

Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48, art. 41(1).

Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 28(1), (4) (édicté par L.C. 1990, ch. 40, art. 21; 1993, ch. 13, art. 19).

Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 29c) (mod. par L.C. 2000, ch. 12, art. 108), 30(1).

jurisprudence

décisions appliquées:

Crewe v Social Security Comr, [1982] 2 All ER 745 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Traynor (1995), 185 N.R. 81 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Lessard (2002), 300 N.R. 354 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Shaw, 2002 CAF 325; [2002] A.C.F. no 1290 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Laughland (2003), 301 N.R. 331 (C.A.F.).

décision examinée:

Tanguay c. Comm. d'assurance-chômage (1985), 10 C.C.E.L. 239; 68 N.R. 154 (C.A.F.).

décisions citées:

Canada (Procureur général) c. Martel (1994), 7 C.C.E.L. (2d) 130; 175 N.R. 275 (C.A.F.); Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235; (2002), 211 D.L.R. (4th) 577; [2002] 7 W.W.R. 1; 10 C.C.L.T. (3d) 157; 30 M.P.L.R. (3d) 1; 286 N.R. 1; 219 Sask. R. 1; Budhai c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 57; (2002), 216 D.L.R. (4th) 594; 42 Admin. L.R. (3d) 306; 42 C.C.L.I. (3d) 1; 292 N.R. 379 (C.A.).

doctrine

    Black's Law Dictionary, 7th ed. St. Paul, Minn.: West Group, 1999, «assurance».

    Concise Oxford Dictionary, 10th ed. Oxford: Oxford Univ. Press, 1999, «assurance».

    Merriam-Webster Online Dictionary, «assurance».

    Nouveau Petit Robert. Paris: Dictionnaires Le Robert, 2000, «assurance».

    Petit Larousse illustré. Paris: Larousse, 1996, «assurance».

DEMANDE de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle une juge-arbitre (Sacrey (2002), CUB 56252) a confirmé la décision d'un conseil arbitral portant qu'un prestataire d'assurance-emploi était fondé à quitter son emploi. Demande accueillie.

ont comparu:

Scott E. McCrossin pour le demandeur.

Vaden Sacrey pour son propre compte.

avocat inscrit au dossier:

Le sous-procureur général du Canada, pour le demandeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Décary, J.C.A.: Le défendeur a quitté son emploi à Halifax, sur les conseils d'une amie qui lui avait dit qu'il se trouverait un emploi auprès d'INCO à Thomson (Manitoba). Lorsque le défendeur est arrivé à Thomson, il a appris qu'INCO n'embauchait pas d'employés et ne le ferait pas avant quelques autres mois. La Commission de l'assurance-emploi du Canada (la Commission) a rejeté sa demande de prestations au motif qu'il avait quitté son emploi sans justification. Le défendeur a interjeté appel de la décision devant le conseil arbitral.

[2]Selon la preuve présentée au conseil, l'amie sur les conseils de laquelle le défendeur s'est fondé n'avait pas de liens avec l'employeur, et le défendeur n'avait non plus jamais communiqué avec un représentant de l'employeur (dossier du demandeur, page 26). L'amie s'était fiée sur des conversations qu'elle avait eues avec son oncle, décrit par elle comme un avocat bien en vue de Thomson (dossier du demandeur, page 36).

[3]Le conseil arbitral était convaincu que, dans les circonstances, le défendeur avait [traduction] «fait un choix raisonnable, sur la foi de renseignements reçus d'une amie et du cabinet d'avocats MacDonald, établi de longue date à Thomson (Manitoba)». Selon le conseil, le défendeur avait [traduction] «suffisamment l'assurance d'un autre emploi pour satisfaire au critère de la justification» (dossier du demandeur, page 42). La Commission a interjeté appel devant un juge-arbitre [(2002), CUB 56252].

[4]Le juge-arbitre a rejeté l'appel en ces termes (dossier du demandeur, page 5):

Le conseil a conclu que l'assurance fournie par l'ami du prestataire était une assurance suffisante d'emploi qui respectait le critère de la justification. C'est une conclusion de fait qui s'inscrit dans la compétence du conseil. Je ne crois pas que j'aurais pu tirer une telle conclusion, mais je ne peux dire qu'elle a été tirée de façon abusive ou arbitraire. Il s'agit certainement d'une conclusion de fait qui a tenu compte des éléments portés à la connaissance du conseil.

[5]La question en litige, en l'espèce, concerne l'interprétation et l'application du sous-alinéa 29c)(vi) [art. 29c)(ii) (mod. par L.C. 2000, ch. 12, art. 108)] du paragraphe 30(1) que voici de la Loi sur l'assurance-emploi [L.C. 1996, ch. 23]:

29. Pour l'application des articles 30 à 33:

    [. . .]

        c) le prestataire est fondé à quitter volontairement son emploi ou à prendre congé si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ ou son congé constitue la seule solution raisonnable dans son cas:

        (i) harcèlement, de nature sexuelle ou autre,

        (ii) nécessité d'accompagner son époux ou conjoint de fait ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence,

        (iii) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne,

        (iv) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité,

        (v) nécessité de prendre soin d'un enfant ou d'un proche parent,

        (vi) assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat,

        (vii) modification importante de ses conditions de rémunération,

        (viii) excès d'heures supplémentaires ou non- rémunération de celles-ci,

        (ix) modification importante des fonctions,

        (x) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur,

        (xi) pratiques de l'employeur contraires au droit,

        (xii) discrimination relative à l'emploi en raison de l'appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs,

        (xiii) incitation indue par l'employeur à l'égard du prestataire à quitter son emploi,

        (xiv) toute autre circonstance raisonnable prévue par règlement.

30. (1) Le prestataire est exclu du bénéfice des prestations s'il perd un emploi en raison de son inconduite ou s'il quitte volontairement un emploi sans justification, à moins, selon le cas:

    a) que, depuis qu'il a perdu ou quitté cet emploi, il ait exercé un emploi assurable pendant le nombre d'heures requis, au titre de l'article 7 ou 7.1, pour recevoir des prestations de chômage;

    b) qu'il ne soit inadmissible, à l'égard de cet emploi, pour l'une des raisons prévues aux articles 31 à 33.

[6]Il n'est pas contesté que la définition de la «justification», au sens du paragraphe 30(1) de la Loi, constitue une question de droit. Pour reprendre les termes du juge Pratte, J.C.A. dans Tanguay c. Comm. d'assurance-chômage (1985), 10 C.C.E.L. 239 (C.A.F.), à la page 242:

Il est vrai que l'on dit parfois que la question de savoir si un employé était justifié de quitter son emploi est une question de fait. Il est clair, cependant, que lorsqu'on s'interroge sur la définition qu'il faut donner au mot «justification» dans le paragraphe 41(1), on se pose une pure question de droit. Il s'ensuit que si une décision est prononcée qui ne puisse se concilier avec cette définition, cette décision est entachée d'une erreur de droit.

Le juge Pratte a toutefois ajouté, au même paragraphe et entre parenthèses, qu'à son avis, appliquer la définition appropriée de la «justification» à un ensemble de faits donné constitue une «question d'opinion» plutôt qu'une «question de fait»:

(Comme la définition que l'on peut donner du terme «justification» dans le paragraphe 41(1) n'est cependant pas si précise qu'elle permette toujours de dire avec certitude si l'employé a quitté son emploi sans justification, des cas peuvent survenir où l'on peut décider dans un sens ou dans l'autre sans faire offense à la notion juridique de «justification». On dit alors qu'il s'agit d'une question de fait; il serait plus exact de parler de question d'opinion.)

Notre Cour a cité en l'approuvant le paragraphe entier dans Canada (Procureur général) c. Martel (1994), 7 C.C.E.L. (2d) 130 (C.A.F.), à la page 137.

[7]Les dispositions pertinentes de la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage [S.C. 1970-71-72, ch. 48] en vigueur à l'époque de Tanguay (le paragraphe 41(1)) et de la Loi sur l'assurance-chômage [L.R.C. (1985), ch. U-1] en vigueur à l'époque de Martel (le paragraphe 28(1)) n'étaient pas aussi détaillées qu'elles le sont devenues au fil des ans. On y prévoyait uniquement qu'un prestataire était exclu du bénéfice des prestations s'il «quitte volontairement son emploi sans justification».

[8]La «justification» («est fondé à») n'a pas été définie avant l'ajout en 1990 (L.C. 1990, ch. 40, article 21) du paragraphe 28(4) de la Loi sur l'assurance-chômage. Ce paragraphe prévoyait alors ce qui suit:

28. [. . .]

(4) Pour l'application du présent article, le prestataire est fondé à avoir quitté volontairement son emploi si, compte tenu de toutes les circonstances, notamment de celles qui sont énumérées ci-après, son départ immédiat constituait la seule solution raisonnable dans son cas:

    a) harcèlement, de nature sexuelle ou autre;

    b) nécessité d'accompagner son conjoint ou un enfant à charge vers un autre lieu de résidence;

    c) discrimination fondée sur des motifs de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

    d) conditions de travail dangereuses pour sa santé ou sa sécurité;

    e) nécessité de prendre soin d'un enfant.

[9]En 1993 (L.C. 1993, ch. 13, article 19), on a ajouté les alinéas f) à n) qui suivent à la liste des circonstances énumérées au paragraphe 28(4):

28. (4) [. . .]

    f) assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat;

    g) modification importante de ses conditions de rémunération;

    h) excès d'heures supplémentaires ou non-rémunération de celles-ci;

    i) modification importante des fonctions;

    j) relations conflictuelles, dont la cause ne lui est pas essentiellement imputable, avec un supérieur;

    k) pratiques de l'employeur contraires au droit;

    l) discrimination relative à l'emploi en raison de l'appartenance à une association, une organisation ou un syndicat de travailleurs;

    m) incitation indue par l'employeur à l'égard d'employés à quitter leur emploi;

    n) toute autre circonstance raisonnable prescrite.

[10]Lorsqu'on a adopté la Loi sur l'assurance-emploi en 1996 (L.C. 1996, ch. 23), le paragraphe 28(1) a été remplacé par le paragraphe 30(1) et le paragraphe 28(4) par l'alinéa 29c), avec de légères modifications non pertinentes pour nos fins.

[11]La formulation du concept de «justification» s'étant affinée avec les années, il me semble que ce qu'on qualifiait de question de droit à l'origine est devenu, par suite de précisions détaillées et adaptées aux situations concrètes, une question mixte de fait et de droit. Je pense que, dans Tanguay, le juge Pratte avait entrevu que l'observation stricte du concept d'erreur de droit serait malaisée lorsqu'il a introduit la notion de «question d'opinion», et il a reconnu que «des cas peuvent survenir où l'on peut décider dans un sens ou dans l'autre sans faire offense à la notion juridique de "justification"». En ses propres termes, le juge Pratte a décrit simplement ce qui est maintenant devenu la norme de contrôle de la décision raisonnable. Ce qu'il disait, si on l'adapte à l'après Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, c'est que lorsqu'on a affaire à une question de droit et de fait et qu'il est clairement possible de distinguer la norme juridique à appliquer, la norme de contrôle sera généralement celle de la décision correcte quant à l'interprétation de la norme juridique et celle de la décision raisonnable quant à l'application de cette norme aux faits d'espèce.

[12]Il faut, par conséquent, interpréter la norme juridique correctement mais, cela fait, l'application de cette norme peut entraîner divers résultats, dont l'ensemble ou une partie peuvent s'y concilier. La norme de la décision correcte s'appliquera à l'interprétation de la norme juridique, la norme de la décision raisonnable à son application (se reporter à Budhai c. Canada (Procureur général), [2003] 2 C.F. 57 (C.A.), au paragraphe 47). Dans les cas où l'on pourrait trancher dans un sens ou dans l'autre sans porter atteinte à la norme juridique concernée, ou sans que cela soit incompatible avec celle-ci, la décision résistera au contrôle judiciaire.

[13]La norme juridique spécifique en cause, en l'espèce, est celle de l'«assurance raisonnable d'un autre emploi dans un avenir immédiat» (sous-alinéa 29c)(vi) de la Loi sur l'assurance-emploi). Cette norme juridique spécifique doit être examinée en regard des normes juridiques de plus large portée de la «justification» et du départ constituant «la seule solution raisonnable». Les principes énoncés par le juge Pratte dans Tanguay sont assurément d'actualité. Ils sont résumés en une phrase souvent citée, portant que les dispositions relatives à la justification «doivent être interprétées en ayant égard à l'obligation qui pèse normalement sur tout assuré de ne pas provoquer délibérément la réalisation du risque» (à la page 244). Est particulièrement pertinent, dans ce contexte, l'extrait suivant, cité de manière favorable par le juge Pratte dans Tanguay, aux pages 244 et 245, des motifs du jugement du lord juge Donaldson, de la Cour d'appel de l'Angleterre, dans Crewe v. Social Security Comr, [1982] 2 All ER 745, à la page 750:

[traduction] [. . .] bien qu'il ait pu s'exposer au chômage en quittant volontairement son emploi, il a pu veiller à minimiser ce risque en obtenant la promesse d'un nouvel emploi immédiat ou en prenant des mesures susceptibles de lui procurer un tel emploi [. . .] [Non souligné dans l'original.]

[14]Les mots «assurance raisonnable», selon le contexte et leur sens naturel, laissent entendre un certain degré mesurable de garantie. On définit le mot «assurance» dans Le Nouveau Petit Robert, 2000, à la page 159, comme «4. Promesse ou garantie qui rend certain de qqch.» et, dans Le Petit Larousse illustré, 1996, à la page 97, comme «1. [. . .] certitude, garantie formelle». En anglais, le mot «assurance» est défini dans le Black's Law Dictionary, 7e éd. (St. Paul: West Group, 1999) comme «2. A pledge or guarantee, dans The Concise Oxford Dictionary, 10e éd. (Oxford: Oxford University Press, 1999) comme «1. a positive declaration intended to give confidence», et dans Merriam-Webster Online Dictionary (http://www. merrian-webster.com/cgi-bin/dictionary) comme (2b:), «a being certain in the mind». Le qualificatif «raisonnable» assouplit le sens plus rigoureux qu'on prête sinon au mot «assurance»; ce qui constitue moins qu'une assurance formelle peut ainsi constituer une «assurance raisonnable».

[15]Ces mots ont maintes fois été examinés par notre Cour.

[16]Dans Canada (Procureur général) c. Traynor (1995), 185 N.R. 81 (C.A.F.), notre Cour a conclu que «la lettre aussi bien que le fondement et l'objectif du programme d'assurance-chômage» n'autorisaient pas la requérante à quitter son emploi «dans le seul dessein d'améliorer sa situation sur le marché» (au paragraphe 11). Dans cette affaire, la requérante travaillait comme commis d'épicerie à Montréal. Elle a posé, avec succès, sa candidature à un poste dans le cadre d'un programme d'internat communautaire en diététique, à Kingston (Ontario). Il s'agissait d'un programme à plein temps, d'une durée de 10 mois, de formation pratique, sans aucun cours théorique. Par le passé, le gouvernement provincial versait une allocation aux stagiaires, mais il a mis fin à cette pratique en raison de réductions budgétaires. On a informé la requérante avant son départ de Montréal qu'aucun revenu ne lui serait versé pendant son stage. La Cour a alors conclu que faute de revenu, actuel ou éventuel, il ne pouvait y avoir assurance raisonnable d'un autre emploi, une rémunération étant requise pour qu'une situation constitue un «emploi» aux fins de la Loi. Comme la requérante n'avait pas quitté son travail en s'attendant à obtenir un «emploi» dans un proche avenir, elle ne tombait pas sous le coup de l'exception du sous-alinéa 29c)(vi).

[17]Dans Canada (Procureur générale) c. Lessard (2002), 300 N.R. 354 (C.A.F.), notre Cour a conclu que, quand l'obtention d'un emploi est conditionnelle à la réussite d'un stage non encore commencé de 13 semaines, il n'y a pas assurance raisonnable d'un autre emploi «dans un avenir immédiat» aux fins du sous-alinéa 29c)(vi). La Cour a déclaré, à titre de remarque incidente, qu'il était douteux qu'il «puisse y avoir "assurance raisonnable d'un autre emploi" [. . .] quand l'obtention d'un emploi est conditionnel à la réussite d'un stage non encore commencé de treize semaines» (au paragraphe 14). Notre Cour s'est attaquée directement à cette dernière question dans Canada (Procureur général) c. Shaw, 2002 CAF 325; [2002] A.C.F. no 1290 (C.A.) (QL), où elle a conclu qu'une offre conditionnelle d'emploi ne constituait pas une «assurance raisonnable d'un autre emploi». Se reporter également à Canada (Procureur général) c. Laughland (2003), 301 N.R. 331 (C.A.F.), où notre Cour s'est dit d'avis, au paragraphe 12, que le régime d'assurance-emploi n'a pas pour objectif de «fournir à des personnes qui ont un emploi instable qu'ils quittent sans motif valable des prestations lorsqu'elles recherchent un travail plus intéressant et mieux payé».

[18]En l'espèce, faute de toute offre de l'employeur éventuel, de toute communication entre l'employeur et le défendeur et de la moindre idée, quant à ce dernier, de ce que serait le travail ou la rémunération, il n'y a pas d'«assurance» et il n'y a pas d'«emploi». Nous n'en arrivons même pas au point où l'on pourrait se demander si l'assurance d'un emploi était ou non «raisonnable».

[19]En bout de ligne la juge-arbitre a appliqué une norme de contrôle inappropriée, comme elle a statué que la question dont elle était saisie en était une de fait. Or, manifestement, il s'agissait d'une question de fait et de droit. La juge-arbitre aurait dû se demander si le conseil arbitral avait fait une interprétation correcte de l'«assurance raisonnable» lorsqu'il l'a appliquée aux faits. L'eût-elle fait, elle aurait uniquement pu conclure que l'interprétation du conseil arbitral était erronée. La question du critère qu'il convient d'appliquer étant une question de droit (Housen, précité), la juge-arbitre était tenue d'intervenir pour appliquer le critère approprié (Budhai, précité, paragraphe 48). Si elle avait agi ainsi, elle aurait conclu que le demandeur n'avait pas l'assurance raisonnable d'obtenir un autre emploi; décision devrait être rendue en tenant cela pour acquis.

[20]La demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie sans dépens, la décision de la juge-arbitre infirmée et l'affaire renvoyée au juge-arbitre en chef ou à son représentant pour qu'il rende une nouvelle décision, en tenant pour acquis que le défendeur devrait être exclu du bénéfice des prestations parce qu'il a quitté volontairement son emploi sans justification.

Le juge Desjardins, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Pelletier, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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