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A-248-02

2003 CAF 303

David Alfred Wagg (demandeur)

c.

Sa Majesté la reine (défenderesse)

Répertorié: Wagg c. Canada (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juge en chef Richard, juges Isaac et Pelletier, J.C.A.--Regina, 21 mai; Ottawa, 11 juillet 2003.

Juges et tribunaux -- Procédure informelle de la C.C.I. -- Demande d'annulation d'un jugement sur consentement ou jugement convenu -- Plaideur non représenté -- A-t-il été contraint de signer un jugement convenu? -- La C.C.I. avait refusé au demandeur un ajournement qui lui aurait permis de consulter un avocat, bien que la Couronne n'y fût pas opposée -- Appel rejeté -- La décision discrétionnaire d'un juge de refuser un ajournement est rarement l'objet d'une réformation -- Il n'est pas injuste de contraindre un plaideur à respecter son choix de se représenter lui-même après que le procès a débuté -- Question des nécessités administratives du système judiciaire: il n'est pas dans l'intérêt de la justice que les juges soient inactifs et que les salles d'audience soient vides -- Dans la procédure informelle de la C.C.I., comme devant les tribunaux des petites créances, il n'est pas déplacé pour un juge d'exercer un rôle interventionniste et de vouloir diriger et aider les parties en leur signalant tel ou tel aspect qui intéresse le tribunal -- Le juge Isaac, J.C.A. (dissident): le juge de la C.C.I. était motivé par une volonté d'aider le demandeur à épargner de l'argent, mais il a refusé d'accorder l'ajournement demandé par lui, il ne l'a pas laissé achever son témoignage et présenter ses arguments et il l'a fortement encouragé à accepter la cotisation établie, et cela équivalait à une contrainte -- Certaines remarques du juge laissaient croire qu'il savait que sa conduite pouvait susciter quelques doutes.

Pratique -- Jugements et ordonnances -- Jugement sur consentement -- Demande d'annulation d'un jugement sur consentement signé par un plaideur non représenté, dans une procédure informelle de la C.C.I. -- La C.C.I. avait refusé l'ajournement qu'avait demandé le plaideur pour pouvoir consulter un avocat, et elle lui avait accordé un délai de réflexion d'une heure -- Question: le contribuable a-t-il été contraint à signer le jugement convenu? -- Il n'y a pas eu déni d'équité procédurale -- L'ordonnance sur consentement constitue un accord de compromis, et elle peut être annulée par tout moyen qui suffirait à faire invalider un contrat -- La contrainte, si elle est avérée, est un motif d'invalidation d'une transaction, mais c'est à celui qui veut faire annuler le jugement convenu qu'il appartient de prouver la contrainte -- Les interventions du juge de la C.C.I. visaient à aider le contribuable à exposer ses arguments devant la Cour -- Hormis une preuve impérieuse tendant à montrer que le présumé consentement était tout sauf un consentement, la Cour d'appel devrait hésiter à annuler une entente librement consentie.

Le demandeur voulait, en application de l'article 28, faire annuler un jugement sur consentement rendu par la Cour canadienne de l'impôt qui faisait droit en partie à son appel formé contre une nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise et contre le rejet de certains crédits de taxe sur les intrants. La question dont la Cour fédérale était saisie ne tenait pas aux faits examinés par la Cour de l'impôt, mais plutôt à la conduite de l'audience tenue devant la Cour de l'impôt selon la procédure informelle, audience à laquelle le contribuable avait comparu en son propre nom. À la suite de certaines observations faites par le juge durant l'audience, le contribuable avait demandé un ajournement afin de pouvoir consulter un avocat, mais le juge lui avait répondu qu'il n'était pas enclin à lui accorder un ajournement. Après d'autres débats, le contribuable avait demandé du temps «pour avoir la possibilité de penser à tout cela», et le juge lui avait offert un délai de réflexion d'une heure. Il avait ajouté: «Vous avez eu l'avantage de certaines observations. Ou bien vous les abandonnez ou bien vous allez de l'avant. Je ne veux pas vous bousculer. Il vous appartient d'aller de l'avant. . ., mais, tout ce que je fais,. . . c'est vous dire. . . l'inconvénient possible que la décision de la Cour pourrait vous causer». Lorsque le contribuable avait répondu: «Je crois que nous en resterons là», le juge lui avait proposé de consentir à jugement. Le juge voulait un consentement signé afin que le contribuable n'ait pas la possibilité plus tard «de changer d'avis ou quelque chose d'autre». Le contribuable avait signé un consentement à jugement qui entraînait pour lui une nouvelle cotisation et qui lui conférait un crédit de 323 $, ce qui avait pour effet de ramener sa dette à 5 556 $.

La question posée dans cet appel était celle de savoir si le contribuable avait été contraint de signer le consentement à jugement. Bien que le demandeur n'eût pas soulevé la question, la Cour devait se demander si le refus de la C.C.I. d'accorder un ajournement constituait un déni de justice naturelle ou un manquement à l'équité procédurale.

Arrêt (le juge Isaac, J.C.A., dissident): l'appel doit être rejeté.

Le juge Pelletier, J.C.A. (le juge en chef Richard souscrivant à ces motifs): la décision d'un juge d'accorder ou non un ajournement est une décision discrétionnaire et la Cour n'interviendra pas dans le refus d'accorder un tel ajournement sauf circonstances exceptionnelles. Il a été jugé que, sauf s'il en résulte un préjudice, le refus d'accorder un ajournement ne prive pas un tribunal de sa compétence ni ne constitue un motif d'annuler son jugement. Le demandeur n'a pas été privé d'un procès équitable. Après qu'un procès a débuté, il n'est pas injuste de contraindre un plaideur à respecter son choix de se représenter lui-même. Lorsqu'un appelant est incertain de sa position, comme c'était le cas ici, l'impératif d'équité peut être accompli par l'octroi d'un délai de réflexion. Dans la décision qu'un plaideur a prise de se représenter lui-même, il y a la volonté d'accepter les conséquences qui peuvent découler de son manque d'expérience ou de formation. Il ne faut pas ignorer la question des nécessités administratives du système judiciaire: il n'est pas dans l'intérêt de la justice que les juges soient inactifs et que les salles d'audience soient vides parce que les plaideurs ont négligé de faire ce qu'ils étaient tenus de faire avant que leur cause ne soit appelée. Le refus du juge de première instance d'accorder un ajournement plus long n'était pas injuste.

S'agissant de la contrainte, une ordonnance inscrite par consentement constitue un accord de compromis et une telle ordonnance peut être annulée par tout moyen qui suffirait à faire invalider un contrat. La contrainte, si elle est avérée, invaliderait la transaction, mais c'est à celui qui veut faire annuler le jugement convenu qu'il appartient d'établir les faits propres à l'invalider. Un examen de la transcription révélait que le juge du procès avait conduit l'audience d'une manière très énergique, en mettant le demandeur au fait de la contradiction inhérente à sa position: si l'on devait constater que le demandeur fournissait des services non exonérés, de telle sorte qu'il serait admissible à des crédits de taxe sur les intrants, il serait également tenu alors de verser la taxe sur les services fournis par lui. Lorsqu'un plaideur n'est pas représenté, le tribunal peut intervenir afin de diriger les débats vers la question dont il est saisi. Dans la procédure informelle, il n'est pas déplacé pour les juges de la Cour de l'impôt--tout comme pour les juges des petites créances--d'exercer un rôle interventionniste afin de diriger et d'aider les parties en leur signalant tel ou tel aspect qui intéresse le tribunal. Vues dans leur globalité, les interventions du juge de première instance visaient à aider le demandeur à présenter ses arguments devant la Cour de l'impôt et elles n'étaient aucunement coercitives. Il est vrai que le juge avait exprimé un point de vue sur l'issue probable de l'affaire, mais il avait expliqué son raisonnement au demandeur, en précisant que c'était au demandeur qu'il appartenait de choisir la manière de s'y prendre. Rien ne donnait au demandeur le droit de revenir sur le choix qu'il avait fait. Hormis une preuve impérieuse tendant à montrer que le présumé consentement était tout sauf un consentement, une juridiction de contrôle devrait hésiter à annuler une entente librement consentie.

Le juge Isaac, J.C.A. (dissident): Pendant que le demandeur témoignait à la barre, le juge de la Cour de l'impôt lui a dit que, s'il allait de l'avant avec son appel, il risquait de se retrouver dans une situation pire qu'auparavant. Sans avoir entendu tous les faits ou tous les arguments du demandeur, et sans être certain des principes juridiques applicables, le juge avait encouragé le demandeur à envisager d'accepter la cotisation établie par le ministre. Lorsque le demandeur avait sollicité un ajournement afin de pouvoir consulter un avocat, le juge avait refusé l'ajournement bien que la Couronne ne fût pas opposée à l'ajournement demandé. Le juge avait exprimé l'avis qu'«il ne s'agit pas de savoir si la situation est claire ou imprécise, la question est que vous avez une date de procès, et ce procès a lieu aujourd'hui». Après une suspension d'audience qui devait donner à l'avocat de la Couronne le temps de préparer un jugement convenu, le procès s'est terminé--apparemment en l'absence du demandeur--par la remarque suivante du juge faite à l'avocat de la Couronne: «J'espère qu'il n'a pas été trop grincheux. Je crois comprendre qu'il l'a signé cependant» et, après que l'avocat eut expliqué au juge les avantages que le demandeur tirerait du jugement par consentement, le juge avait conclu en disant: «comme il allait avoir un pied à l'intérieur et un pied à l'extérieur, il n'allait pas obtenir de moi une décision faisant date,. . . et je pense donc que vous avez très bien fait».

Le dossier révélait que le juge avait semblé être motivé par la volonté d'aider le demandeur à épargner de l'argent. Cependant, les efforts que le juge avait faits en faveur du demandeur étaient annulés par trois choses: il avait refusé l'ajournement demandé, il n'avait pas laissé le demandeur achever son témoignage et présenter ses arguments, et il avait fortement encouragé le demandeur à accepter la cotisation. Le refus d'ajournement, qui avait conduit au jugement convenu, équivalait à une contrainte. Nous n'avions pas ici affaire à un cas où le plaideur avait tout simplement sous-estimé la complexité de son dossier, mais plutôt à un cas où un contribuable autoreprésenté avait reçu une surprise inattendue quand le juge lui avait dit qu'il devrait consentir à un jugement au lieu d'aller en procès, et cela afin d'éviter le risque d'accroître son obligation fiscale. La conduite du juge avait été oppressive et avait sans aucun doute donné au demandeur un sentiment d'impuissance, et le sentiment qu'il n'avait pas le choix. Le juge avait dit au demandeur qu'il ne voulait pas le «bousculer», et il avait dit à l'avocat de la Couronne qu'il espérait que le demandeur n'avait pas été «trop grincheux». Ces mots laissaient croire que le juge de la Cour de l'impôt savait que sa conduite pouvait susciter quelques doutes. Un nouveau procès devrait être ordonné.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 18.3001 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 61; 1998, ch. 19, art. 296).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par S.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 148(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 9), 171(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 37; 1997, ch. 10, art. 163), 240(1) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 100), (3) (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 100; 1997, ch. 10, art. 54, 218), ann. V, partie VII (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 18).

jurisprudence

décisions appliquées:

Asomadu-Acheampong c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 69 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.); Kinley v. Krahn (1995), 96 W.A.C. 139; 58 B.C.A.C. 139 (C.A.); Lieb v. Smith et al. (1994), 120 Nfld. & P.E.I.R. 201 (C.S. 1re inst.); Racz v. Mission (Dist.) (1988), 22 B.C.L.R. (2d) 70; 28 C.P.C. (2d) 74 (C.A.); Davids v. Davids (1999), 125 O.A.C. 375 (C.A.); Garry v. Pohlmann (c.o.b. Bro Bros Roofing) (2001), 12 C.P.C. (5th) 107 (C.S. C.-B.).

décision examinée:

Clayton v. Earthcraft Landscape Ltd. (2002), 210 N.S.R. (2d) 101 (C.S.).

décisions citées:

Pierre c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 849; (1978), 21 N.R. 91 (C.A.); Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560; (1989), 57 D.L.R. (4th) 663; [1989] 3 W.W.R. 289; 36 Admin. L.R. 72; 7 Imm. L.R. (2d) 253; 93 N.R. 81; Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 10 Admin. L.R. (2d) 285; 18 Imm. L.R. (2d) 239; 151 N.R. 76 (C.A.F.); R. v. Richard and Sassano (1992), 55 O.A.C. 43 (C.A.); Garden c. Canada, [2000] 1 C.T.C. 106 (C.A.F.); Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; (1985), 24 D.L.R. (4th) 44; [1986] 1 W.W.R. 577; 69 B.C.L.R. 255; 16 Admin. L.R. 233; 23 C.C.C. (3d) 118; 49 C.R. (3d) 35; 63 N.R. 353.

doctrine

Krishna, Vern. The Fundamentals of Canadian Income Tax, 7th ed. Toronto: Carswell, 2002.

DEMANDE de contrôle judiciaire, selon l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, à l'encontre d'un jugement sur consentement rendu par la Cour canadienne de l'impôt. Demande rejetée par les juges majoritaires d'une formation de la Cour d'appel fédérale.

ont comparu:

David A. Wagg, en son propre nom.

Lyle Bouvier, pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

Le sous-procureur général du Canada, pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Pelletier, J.C.A.: Le demandeur, David Alfred Wagg, est un inscrit selon la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la Loi). Par avis de nouvelle cotisation en date du 25 mai 1999, le ministre du Revenu national avait envoyé une nouvelle cotisation au demandeur pour la période allant du 1er avril 1995 au 31 mars 1999, en conséquence de quoi le demandeur devenait redevable d'une taxe non versée de 745,08 $, en même temps que lui étaient refusés des crédits de taxe sur les intrants totalisant 3 970,59 $, que le demandeur avait réclamés. Le demandeur a fait appel de sa nouvelle cotisation à la Cour canadienne de l'impôt, où il a comparu sans avocat le 8 août 2001. Au fil des événements, le demandeur a signé un consentement à jugement (ou jugement convenu), par lequel son appel fut accueilli en partie, pour tenir compte d'une erreur de calcul, mais qui autrement était rejeté pour ce qui touchait son droit à des crédits de taxe sur les intrants. Le demandeur prétend aujourd'hui que le compromis devrait être annulé pour divers motifs, et en particulier parce qu'on lui aurait fait sentir qu'il n'avait d'autre choix que de signer le consentement à jugement.

LES FAITS

[2]Les faits à l'origine du présent appel ne sont pas d'une complexité particulière. Le demandeur s'est inscrit aux fins de la Loi en 1992, et un numéro d'enregistrement lui a été assigné. Le demandeur exerçait des activités de gestion foncière durant 1995, activités au cours desquelles il fournissait des services taxables pour lesquels il ne versait aucune taxe. Dans la nouvelle cotisation signifiée au demandeur, le ministre a présumé que le demandeur avait reçu pour les services en question une contrepartie de 14 192 $, de telle sorte que le demandeur était tenu de percevoir et de verser la somme de 745,08 $ au titre des services de gestion foncière qu'il avait fournis.

[3]Simultanément, le demandeur avait aussi reçu une contrepartie de 3 578,80 $ pour la fourniture de services d'assurance de personnes en 1995. Le demandeur n'avait pas fourni de services de gestion foncière après 1995, puisqu'il avait tiré de ses activités d'assurance de personnes la totalité de son revenu pour le reste de la période visée par l'examen. Pour les périodes de déclaration commençant le 30 juin 1995 jusqu'au 31 mars 1999, le demandeur avait produit des déclarations dans lesquelles il n'avait fait état d'aucune taxe perçue, mais dans lesquelles il réclamait des crédits de taxe sur les intrants totalisant 4 385,14 $. Le ministre a refusé la réclamation du demandeur pour les crédits de taxe sur les intrants, au motif que ses activités d'assurance de personnes concernaient une fourniture exonérée sur laquelle aucune taxe n'était encaissable, et pour laquelle aucun crédit de taxe sur les intrants ne pouvait donc être réclamé. Le point que le demandeur avait tenté d'avancer dans son appel était qu'il ne devrait pas être considéré comme une personne effectuant une fourniture exonérée et qu'il devrait donc pouvoir réclamer ses crédits de taxe sur les intrants.

[4]Au cours du procès, le demandeur avait expliqué qu'il avait été informé qu'il serait avantageux pour lui de s'inscrire afin de pouvoir réclamer des crédits de taxe sur les intrants, mais que, par ailleurs, des ventes inférieures à 30 000 $ étaient exonérées de la TPS (dossier de l'intimée, à la page 25). Il se trouve que la Cour de l'impôt et le demandeur ont été informés qu'en réalité, un fournisseur dont les ventes ne dépassent pas 30 000 $ n'est pas tenu de s'inscrire, mais que, une fois qu'un fournisseur est inscrit, la taxe est encaissable sur toutes les ventes d'une fourniture taxable (dossier de l'intimée, à la page 43).

[5]Voilà pour les faits qui définissaient la question fiscale posée à la Cour de l'impôt. Mais la question dont la Cour fédérale est saisie ne tient pas aux faits en question, mais plutôt à la conduite de l'audience devant le juge de la Cour de l'impôt. Afin de bien communiquer la teneur de la procédure qui s'est déroulée devant le juge, il sera nécessaire de citer abondamment la transcription de l'audience.

L'INSTRUCTION DE L'APPEL

[6]L'affaire s'est déroulée selon la procédure informelle qui est prévue dans l'article 18.3001 [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 61; 1998, ch. 19, art. 296] et suivants de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2. La procédure informelle est l'équivalent d'une procédure des «petites créances». Elle n'est possible que lorsque le total de toutes les sommes fiscales ne dépasse pas 12 000 $, lorsque le montant en litige ne dépasse pas 24 000 $ ou lorsque le seul montant contesté est celui des intérêts. La procédure informelle est une procédure simplifiée dans laquelle le contribuable peut se représenter lui-même ou peut être représenté par un mandataire: Vern Krishna, The Fundamentals of Canadian Income Tax, 7e édition (Toronto: Carswell, 2002), aux pages 25 et 26.

[7]Le juge a commencé par expliquer brièvement la procédure au demandeur. Le demandeur a ensuite été assermenté et il a fait une brève déclaration liminaire. Puis le juge lui a posé quelques questions à propos des contrats que le demandeur avait conclus avec les assureurs vie qu'il représentait. Le juge a ensuite appelé l'attention du demandeur sur la réponse à l'avis d'appel et lui a demandé s'il souscrivait ou non à chacune des hypothèses factuelles du ministre. Plusieurs contradictions sont alors apparues dans les chiffres du ministre. Le juge a tenté de préciser, du mieux qu'il le pouvait, les chiffres exacts, faisant observer à l'avocat du ministre que la responsabilité des contradictions incombait au ministre (dossier de l'intimée, à la page 40). À la fin de cet exercice, le juge a résumé ainsi la situation:

[traduction]

LE JUGE: Oh, j'ai glissé sur cela, je suis désolé, parce que j'ai dit que l'appelant ne voulait pas l'admettre, j'ai donc glissé sur cela. Merci. Donc, en ce qui a trait aux questions, M. Wagg, vous avez une réduction de vos crédits pour 1995--une partie de la période de cotisation tombe en 1995. Vous avez une réduction de vos crédits de 106 $ [. . .]

LE TÉMOIN: Mmhmm.

LE JUGE: [. . .] parce qu'ils disent que cela concerne les services d'assurance. Vous avez exprimé votre accord là-dessus. Vous n'êtes pas d'accord pour dire que l'assurance devrait nécessairement être traitée de cette façon, mais vous avez exprimé votre accord avec les pourcentages et les chiffres?

M. BOUVIER: C'est exact, monsieur le juge.

LE JUGE: Vous comprenez également qu'il y a une autre somme de 755 $ qu'ils voudront recouvrer auprès de vous parce que vous n'avez pas perçu la TPS ni versé la TPS sur vos services de gestion, et vous allez devoir expliquer pourquoi vous n'avez pas cette responsabilité, ou m'exposer les faits à l'appui de votre argument ultime. Puis finalement, ils vous ont refusé vos crédits pour vos services d'assurance tout au long de cette période. Vous n'avez pas perçu de taxes ni versé de taxes. Ils ne disent pas que vous deviez le faire, mais ils ne veulent tout simplement pas vous accorder les crédits.

LE TÉMOIN: C'est exact.

[8]Le juge a alors prié le demandeur de lui dire pourquoi, selon lui, il n'était pas tenu de percevoir et de verser les taxes sur ses services de gestion et pourquoi, selon lui, il avait droit à des crédits de taxe sur les intrants pour ses ventes d'assurance de personnes. Le demandeur a relaté ce qu'il avait entendu dire à propos de l'enregistrement et du seuil de 30 000 $ pour la perception et le versement de la taxe. Le juge a alors demandé à l'avocat de la Couronne si le demandeur pouvait rétroactivement renoncer à son enregistrement afin de ne plus avoir à remettre la taxe sur des ventes inférieures à 30 000 $. Le juge a alors dit la raison pour laquelle il posait cette question (dossier de l'intimée, à la page 44):

[traduction] Je pose la question à ce stade parce que je n'ai pas encore entendu le reste des faits ou le reste des arguments, mais je doute énormément de pouvoir trouver quoi que ce soit qui puisse vous dispenser de l'obligation de verser la taxe, tout en vous autorisant à rester dans le système pour recueillir vos crédits. Il est très improbable que la loi dise cela et il est très improbable que je puisse vous donner une marge de manoeuvre.

[9]Au cours de sa discussion avec l'avocat du ministre, le juge est revenu sur cette même question (dossier de l'intimée, à la page 46):

[traduction] [. . .] je ne sais pas si la Couronne peut ou non, sur le plan administratif, régler pour vous cette question des 300 $--c'était l'un des objets de mes questions--parce que je n'y vois aucun mal, sous réserve de la possibilité pour le ministère du Revenu de le faire. Je veux dire, Revenu Canada a l'obligation de s'assurer que la loi est appliquée selon ses termes. Revenu Canada ne peut faire constamment avec tout un chacun des petits arrangements secondaires. Ce serait contraire aux principes du droit. En revanche, s'il existe une pratique administrative qui permet à un inscrit de mettre fin à son inscription, et de faire de nouveau concorder les chiffres, alors je proposerais que, même pour 300 $, c'est quelque chose que M. Bouvier [l'avocat du ministre] peut envisager. Cela nous mènerait à la question plus importante, c'est-à-dire celle de savoir si vos services sont ou non des services exonérés, c'est-à-dire--nous devons en savoir un peu plus sur les faits, j'imagine, et il y a un point de droit qui en dépend. Ce serait un aspect plus important, je suppose.

[10]Le juge en est venu à considérer la question du statut des services fournis par le demandeur dans ses activités d'assurance de personnes:

[traduction]

LE JUGE: [. . .] Bien, passons au point suivant, qui concerne les réclamations d'assurance. Vous savez que Revenu Canada dit que les services d'assurance et services financiers sont exonérés et, s'ils sont exonérés, vous n'avez pas l'obligation de percevoir la TPS et vous obtenez des crédits. Encore une fois, vous devez cependant comprendre que, si vos services sont admissibles à des crédits en tant que services non exonérés, alors il n'y a pas moyen de s'en sortir, vous devez percevoir la TPS et la verser. Vous ne pouvez être dans le système seulement pour ce qu'il y a de bon, et être en dehors pour ce qu'il contient de mauvais. Je ne crois pas que la Couronne vous laissera affirmer cela. Maintenant, si vous comprenez cela, alors nous avons quelques choix à faire. Nous pouvons aller de l'avant et, si je constate que vous avez raison, vous allez leur devoir sept pour cent. Je ne suis pas sûr de pouvoir faire cela. Revenu Canada n'a pas vraiment établi la cotisation sur cette base, mais, s'ils n'ont pas établi la cotisation sur cette base, il m'est impossible d'augmenter la cotisation.

M. BOUVIER: Vous ne pouvez pas augmenter la cotisation--mais le montant de la taxe calculée peut augmenter, mais, si vous concluez que c'est un service non exonéré, si c'est là la conclusion de la Cour, alors une cotisation sera émise après que l'affaire sera renvoyée pour nouvelle cotisation, en ce qui a trait aux sept pour cent. Il s'agit simplement d'appliquer la Loi. Il est impossible que quelqu'un obtienne les crédits sans être taxable.

LE JUGE: Bien, je ne sais pas si c'est exact, mais vous vous exposez à un risque si M. Bouvier a raison, mettons les choses ainsi.

M. BOUVIER: Bon, très bien, je dirais qu'il y a un risque. Il m'est impossible de le dire avec certitude.

LE JUGE: Je dirais qu'il y a un risque: qu'arriverait-il si je statue en votre faveur, votre situation sera pire qu'avant, comprenez-vous cela?

LE TÉMOIN: Voudriez-vous répéter cela, monsieur le juge?

LE JUGE: Je crois que le risque est que, si je statue en votre faveur, vous pourriez vous retrouver dans une situation pire qu'avant parce que j'ai--pour que vous obteniez les CTI que vous réclamez, je vais devoir conclure que vos services sont des services taxables. S'ils sont des services taxables, vous auriez dû facturer, percevoir et verser sept pour cent, et la Couronne va pouvoir dire: «Si je vous donne vos CTI»--ils vont revenir et vous dire: «Bien, vous nous devez maintenant les sept pour cent». Et, s'ils réussissent à faire cela, vous paierez les sept pour cent--et théoriquement c'est juste, n'est-ce pas? Vous ne pouvez prendre ce qu'il y a de bon et refuser ce qu'il y a de mauvais.

LE TÉMOIN: Je comprends cela. Je comprends cela, monsieur le juge, et [. . .]

LE JUGE: Vous vous exposez donc à être dans une situation pire, à la suite de cette cotisation. Par ailleurs, vous pourriez tout simplement accepter la cotisation et ainsi épargner de l'argent. Pourquoi n'y réfléchissez-vous pas? Peut-être est-ce un bon moment pour suspendre la séance. Comprenez-vous ce que je veux dire?

LE TÉMOIN: Je comprends ce que vous voulez dire, monsieur le juge. Je voudrais apporter une précision, lorsque la séance reprendra [. . .]

LE JUGE: Très bien.

LE TÉMOIN: [. . .] et j'exposerai alors ma position sur le fait d'être défini comme une institution financière.

LE JUGE: Mais ne comprenez-vous pas que, si vous n'êtes pas une institution financière, vous devez facturer sept pour cent? Allez-vous pouvoir revenir sur tous ces contrats et demander sept pour cent aux gens qui vous ont acheté de l'assurance?

LE TÉMOIN: Non.

LE JUGE: Ce sera à vous de payer; comprenez-vous cela?

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: Si vous réussissez dans votre argument, vous allez perdre financièrement; comprenez-vous cela?

LE TÉMOIN: Je comprends cela.

LE JUGE: Très bien. La séance est suspendue [. . .]

LE TÉMOIN: Puis-je poser une question, monsieur le juge?

LE JUGE: Oui, allez-y.

LE TÉMOIN: Alors supposons que je ne suis pas un vendeur d'assurance-vie, et que je suis un vendeur d'épiceries à commission, qui paie ses propres dépenses opérationnelles--je reviendrai sur ce point plus tard en ce qui a trait au contrat--allez-vous dire qu'il me sera impossible de réclamer des crédits de taxe sur les intrants à moins que je ne perçoive la taxe en amont? Est-ce là ce que vous dites?

LE JUGE: Oui.

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: Et vous pouvez me dire que tout employé de Revenu Canada à qui vous avez parlé, et vous pouvez me montrer les lettres où l'on vous a dit que tout cela était faux, cela ne fera aucune différence. Vous êtes soumis aux lois fédérales, et les gens de Revenu Canada qui vous ont bien ou mal informé ne peuvent écrire la loi. Espérons qu'ils font de leur mieux.

LE TÉMOIN: Oui.

LE JUGE: Et le fait que vous avez pu entrer dans le système, par exemple, en vous inscrivant alors que vous n'y étiez peut-être pas tenu ou que vous n'auriez pas dû [. . .]

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: [. . .] peut-être peuvent-ils faciliter administrati-vement quelque chose si c'est une pratique administrative. Ils ne peuvent conclure une entente. Nous avons déjà réglé cette question, et M. Bouvier se renseignera sur ce qui peut être fait là-dessus. Je vous demande simplement de considérer si, oui ou non, vous voulez aller de l'avant avec votre appel. La question fondamentale que vous soulevez n'est pas une question insignifiante, et je suis sûr que les tribunaux ont été saisis de nombreux exemples portant sur des contrats de représentation non soumis à la taxe ou, plus particulièrement, des services exonérés que l'on tente de faire entrer dans le système ou d'en faire sortir. Mais je ne crois pas que ce soit nécessairement à votre avantage de vous trouver dans ce débat. Pouvons-nous suspendre l'audience?

[11]Lorsque la Cour de l'impôt a repris l'audience, l'avocat du ministre a informé la Cour que le demandeur souhaitait un ajournement afin de pouvoir consulter son avocat:

[traduction]

M. BOUVIER: Merci pour votre patience, monsieur le juge. J'ai eu une discussion avec M. Wagg durant la pause, la suspension, et il me dit qu'il voudrait avoir la possibilité de parler de cette affaire avec un avocat, et la possibilité de réfléchir à ce que vous avez dit. Nous ne nous opposons pas à un ajournement de cette affaire.

LE JUGE: Je ne suis pas enclin à ajourner cette affaire. Vous avez une date qui était fixée. Vous savez que l'affaire doit être entendue aujourd'hui. Vous devez être prêt, avec vos documents et vos arguments. Avez-vous téléphoné à Winnipeg?

[12]Puis la discussion s'est portée sur la possibilité pour le demandeur de cesser rétroactivement d'être inscrit, une mesure qui, selon l'avocat du ministre, n'était pas offerte au demandeur. Le juge a résumé la position du demandeur puis est retourné à la question du statut des activités d'assurance de personnes:

[traduction]

LE JUGE: [. . .] Le seul point sur lequel vous ayez fait quelques progrès est le fait que les crédits refusés ont été réduits, passant de 3 855 $ à 3 696 $, soit une amélioration d'environ 150 $ en votre faveur. Et nous n'avons pas nécessairement résolu la question sur le plan juridique, mais je puis vous dire qu'il vous est impossible d'avoir un pied dans le système et l'autre en dehors du système, voyez-vous ce que je veux dire?

LE TÉMOIN: Oui.

LE JUGE: Cela ne se peut pas. Et ce sera la même chose pour l'assurance de personnes. Il vous est impossible d'avoir un pied en dedans et l'autre en dehors. Si vous avez gain de cause dans votre appel, vous allez donc probablement être dans une situation pire qu'auparavant, dans l'hypothèse où Revenu Canada [. . .]

LE TÉMOIN: Il faudrait que je revienne en arrière et que je perçoive la TPS.

LE JUGE: Bonne chance. Vous allez devoir la payer.

LE TÉMOIN: Très bien, je comprends cela.

LE JUGE: Quelles sont vos chances de la percevoir, je n'en ai aucune idée. Vous pouvez sur ce point faire appel à vos propres suppositions. Quoi qu'il en soit, voulez-vous aller de l'avant? Nous allons de l'avant, je ne vais pas ajourner.

LE TÉMOIN: Bon, je crois que mon impression prend le pas sur ce qui a été dit, et je voudrais simplement--monsieur le juge, pour préciser ce que vous avez dit, je ne peux réclamer de crédits de taxe sur les intrants en ce qui concerne mes dépenses, qu'il s'agisse d'une fourniture exonérée ou non exonérée, si je ne perçois pas la TPS à l'autre extrémité; c'est bien ce que vous avez dit, ou est-ce que je me trompe?

LE JUGE: Les seules dispositions de la Loi qui me sont familières et qui disent autrement sont celles qui concernent les fournitures détaxées, parce que celles-là sont dans le système, et vous devez facturer la taxe, la percevoir et la verser à Revenu Canada, et donc vous avez alors les crédits. La somme que vous percevez et que vous versez est nulle, de telle sorte que, mécaniquement, la Loi dit que vous obtenez le crédit. Il ne s'agit pas ici d'un service détaxé, et par conséquent vous ne pouvez avoir un pied dans le système et l'autre en dehors. Et je présume que non seulement c'est là la position de l'intimée, mais encore l'intimée, dans son argumentation, va m'indiquer des articles de la Loi qui mettent le demandeur dans cette position. Je me suis aventuré dans ce domaine auparavant, je n'émets pas de simples hypothèses, et, si un avocat vous dit autre chose, faites appel, mais vous ne le ferez pas, j'imagine que non.

LE TÉMOIN: Eh bien, je crois--même avec les arguments que j'ai, sur la question de savoir si je suis ou non une institution financière, je voudrais, monsieur le juge, avoir la possibilité de penser à tout cela, mais je ne crois pas de toute façon qu'il y ait tant que cela sur quoi il faille réfléchir.

LE JUGE: Combien de temps voulez-vous? Je veux dire, si vous voulez que je vous donne une heure supplémentaire, je vous donnerai une heure supplémentaire. Si vous me demandez la possibilité de revenir ici un autre jour ou une autre fois, la réponse est non.

LE TÉMOIN: Non.

LE JUGE: La situation est que--il ne s'agit pas de savoir si la situation est claire ou imprécise. La question est que vous avez une date de procès, et ce procès a lieu aujourd'hui.

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: Hormis une raison nouvelle et impérieuse d'ajourner, je ne vais pas vous accorder d'ajournement. Vous avez reçu avis de l'audience, vous vous y présentez et vous exposez vos arguments. Vous avez eu l'avantage de certaines observations. Ou bien vous les abandonnez ou bien vous allez de l'avant. Je ne veux pas vous bousculer. Il vous appartient d'aller de l'avant si vous le souhaitez, mais, tout ce que je fais, par courtoisie, c'est vous dire ce qu'est la Loi, ce que je comprends de la Loi, ce que sera probablement la décision de la Cour, et l'inconvénient possible qu'elle pourrait vous causer. Maintenant, si vous voulez une autre heure pour y réfléchir, je vous donnerai une autre heure. Si vous voulez trois heures pour y réfléchir, alors je reviendrai. Je ne crois pas qu'il soit raisonnable pour moi de vous donner plus de temps que cela.

LE TÉMOIN: Non, je ne le crois pas. Je crois que nous en resterons là et [. . .]

LE JUGE: Voulez-vous vous désister de votre appel ou voulez-vous tirer parti des 2 ou 300 $, auquel cas je crois que j'aimerais avoir un consentement à jugement?

[13]Le demandeur n'a pas répondu, car le juge et l'avocat de la Couronne se sont engagés dans une conversation sur la manière de conclure l'affaire, conversation au cours de laquelle le juge a expliqué comment il souhaitait s'y prendre:

[traduction]

LE JUGE: [. . .] Je reviendrai pour vous sur la pratique administrative, si vous le souhaitez, mais, ce qu'il faut reconnaître, c'est qu'il y a un consentement sur une nouvelle cotisation selon une certaine base, et que, si cette nouvelle cotisation sur ladite base n'a pas lieu dans le délai applicable, 60 ou 90 jours, alors la Cour en est saisie de nouveau. Or, je préfère ne pas en venir là parce que M. Wagg pourrait alors changer d'avis, ou quelque chose d'autre. J'aimerais plutôt avoir un consentement signé, pas quelque chose qui est écrit et qui se trouve dans le dossier. Je voudrais sa signature, je voudrais la vôtre, et, si vous avez besoin de plus de temps, alors prenez plus de temps. Mais, la raison pour laquelle je fais cela plutôt que de rejeter l'action, c'est que je ne veux pas que vous perdiez l'avantage de ce qui a été--ce que j'ai déclaré comme un renversement du fardeau de la preuve, que M. Bouvier a accepté. Il a accepté que le chiffre du désaccord, deux cents ou trois cents dollars, soit résolu en votre faveur.

L'appel sera donc admis, mais seulement dans la mesure où il vous accorde un crédit additionnel en sus de l'évaluation de l'écart. Une fois que vous aurez défini le montant, je crois qu'alors le consentement sera de trois lignes, plus votre intitulé.

[14]Le juge et M. Bouvier ont parlé de la durée de l'ajournement, et le demandeur est alors intervenu:

[traduction]

LE TÉMOIN: Vous voulez donc que je revienne ici à 13 h 30?

M. BOUVIER: Eh bien, vous pouvez quitter la barre, et nous allons en parler [. . .]

LE JUGE: Oui, vous pouvez quitter la barre des témoins et simplement attendre que soit réglée cette courte affaire, qui prendra cinq minutes, et alors vous pourrez discuter de la suite des événements avec M. Bouvier.

[15]Lorsque l'audience a repris, l'avocat du ministre a produit le consentement à jugement signé par le demandeur. La nouvelle cotisation résultant du consentement à jugement a eu lieu, et il en a résulté pour le demandeur un crédit d'environ 323 $, ce qui a eu pour effet de ramener sa dette à 5 556,29 $.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[16]Dans son avis de demande, le demandeur expose les moyens suivants au soutien de sa demande:

[traduction]

- Il y a des déclarations antagonistes dans LA RÉPONSE À L'AVIS D'APPEL

- La Cour canadienne de l'impôt a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées lorsqu'elle a décidé de ne pas autoriser la production de certaines pièces comme preuves. Les pièces en question sont les suivantes:

1- Contrat entre Industrial Alliance Pacific Insurance et le demandeur (PIÈCE C)

2- Exposé des arguments et faits pertinents au soutien de mon appel--(PIÈCE D)

- La Cour canadienne de l'impôt n'a pas observé les principes de justice naturelle et d'équité procédurale lorsqu'elle est arrivée à sa décision.

- LE DEMANDEUR S'EST SENTI CONTRAINT DE SIGNER LE «CONSENTEMENT À JUGEMENT» ET IL A ÉTÉ AMENÉ À CROIRE QU'IL N'Y AVAIT PAS D'AUTRE SOLUTION. [Soulignement figure dans l'original.]

[17]Pour autant que soit concerné le fait que le demandeur n'a pas eu l'occasion de produire sa preuve, la transcription montre que le contrat conclu par le demandeur avec Industrial Alliance Pacific Insurance (auparavant Northwest Life) a été produit comme pièce A-1 (dossier de l'intimée, à la page 27). Par ailleurs, à la fin de l'audience, le demandeur a soumis au juge, qui l'a accepté, un document qui n'est pas décrit dans la transcription. Rien ne permet d'affirmer que le demandeur a été empêché de produire les documents qu'il souhaitait produire.

POINTS EN LITIGE

[18]Par son appel, le demandeur voudrait essentiellement faire annuler un jugement sur consentement, au motif qu'il aurait été contraint d'y consentir. Bien qu'elle ne soit pas expressément soulevée par le demandeur, la question du refus d'accorder un ajournement pourrait également être présentée comme grief de contrôle. À mon avis, les points soulevés dans le présent appel sont les suivants:

1) Le refus du juge d'accorder au demandeur un ajournement pour qu'il puisse consulter son avocat équivaut-il à un déni de justice naturelle ou à un manquement à l'équité procédurale?

2) Le consentement à jugement devrait-il être annulé?

ANALYSE

DÉNI D'AJOURNEMENT

[19]Il est bien établi en droit que la décision d'accorder ou non un ajournement est une décision discrétionnaire, qui doit être prise équitablement (voir l'affaire Pierre c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 849 (C.A.), à la page 851, citée avec approbation dans l'arrêt Prassad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, à la page 569). Il n'existe aucune présomption selon laquelle il existe un droit automatique à un ajournement. La Cour n'interviendra pas dans le refus d'accorder un ajournement sauf circonstances exceptionnelles (voir l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 10 Admin. L.R. (2d) 285 (C.A.F.)). De même, bien qu'il soit dans l'intérêt de la Cour et dans celui du plaideur que les parties soient représentées par des avocats, le droit à l'assistance d'un avocat n'est pas absolu. Dans l'affaire Asomadu-Acheampong c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 69 F.T.R. 60 (C.F. 1re inst.), le juge Joyal s'était exprimé ainsi en réponse à un argument selon lequel le droit à l'assistance d'un avocat était inconditionnel (au paragraphe 8):

Avec égards, je ne suis pas d'accord. Le droit aux services d'un conseil n'est pas plus absolu que le droit qu'a un tribunal de déterminer sa propre procédure. S'il y a conflit entre les deux, je crois que, pour que le droit aux services d'un conseiller l'emporte sur l'autre, il faut tenir compte des circonstances applicables pour déterminer si la partie requérante a bel et bien été victime de quelque préjudice. À mon sens, le droit aux services d'un conseiller n'est qu'un complément aux principes de la justice naturelle et de l'équité, à la règle d'audi alteram partem, à la règle de la défense pleine et entière ainsi qu'à des règles similaires de longue date, afin de s'assurer que les droits et les obligations de toute personne visée par une enquête quelconque sont adjugés et déterminés en accord avec le droit. À moins d'une violation d'une telle règle, portant préjudice à quelqu'un, on ne peut dire qu'un refus d'ajourner prive un tribunal de sa compétence ou justifie l'annulation de la décision qu'il a rendue.

[20]Il en est ainsi même dans les affaires pénales (voir l'arrêt R. v. Richard and Sassano (1992), 55 O.A.C. 43 (C.A.), au paragraphe 6). Par conséquent, le point de départ de l'analyse de cette question doit être que le demandeur n'avait pas un droit automatique à un ajournement qui lui aurait permis de retenir les services d'un avocat.

[21]Sur des faits très semblables à ceux portés à la connaissance de la Cour dans le présent appel, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, dans l'arrêt Kinley v. Krahn (1995), 96 W.A.C. 139 (C.A.C.-B.) avait confirmé, pour les raisons suivantes, le refus d'un juge de première instance d'accorder à un plaideur autoreprésenté un ajournement qui lui aurait permis de retenir les services d'un avocat [au paragraphe 19]:

[traduction] L'hésitation de la cour à intervenir dans les affaires se rapportant à la gestion des procès est bien connue. Cette hésitation est fondée sur un principe, ainsi que sur des précédents trop nombreux pour être mentionnés ici. Je relève cependant que les remarques de monsieur le juge Macfarlane, siégeant en référé dans une demande d'autorisation d'appel, sont tout à fait adaptées aux faits que nous avons ici. Je me réfère à la page 7 de ses motifs dans l'arrêt GEAC Canada Ltd. v. Prologic Computer Corporation, inédit, le 11 avril 1989, greffe de Vancouver no CA010671 (C.A.C.-B.):

La cour répugne à intervenir dans la gestion des procès. Elle répugne à modifier la décision d'un juge d'ajourner ou de ne pas ajourner un procès. La question des ajournements relève largement du pouvoir d'appréciation des juges, et la Cour n'interviendra pas dans l'exercice que fait un juge de son pouvoir d'appréciation, à moins que l'on ne puisse montrer qu'il s'est manifestement fourvoyé dans la décision qu'il a rendue. Je ne suis pas persuadé que monsieur le juge Spencer ait commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de refuser l'ajournement. Je partage son avis lorsqu'il dit que les préparatifs pourraient se poursuivre indéfiniment, mais qu'ils doivent un jour cesser et le procès commencer.

[22]On pourrait débattre la question de savoir s'il y a eu refus d'accorder un ajournement ou si l'ajournement qui a été consenti était raisonnable eu égard aux circonstances. Cependant, dans les deux cas, le critère est le même. Le demandeur s'est-il vu refuser un procès équitable lorsque le juge du procès a refusé d'inscrire l'affaire au rôle pour une autre date afin de permettre au demandeur de consulter un avocat, après que le juge du procès lui eut expliqué les conséquences de sa position? À mon avis, la réponse est négative.

[23]Les plaideurs se représentent eux-mêmes pour une diversité de raisons. S'ils viennent à se rendre compte avant le début du procès qu'ils ont sous-estimé la complexité de la tâche qui les attendait, il est dans leur intérêt et dans celui de la Cour qu'ils puissent se faire représenter. Mais, une fois qu'un procès a débuté, je ne crois pas qu'il soit injuste de contraindre un appelant à respecter son choix de se représenter lui-même et de s'en remettre à son propre entendement.

[24]La décision de se représenter soi-même n'est pas irrévocable, et elle n'est pas sans importance non plus. Ceux qui entreprennent de se représenter eux-mêmes dans des affaires aussi complexes que la Loi de l'impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] ou la Loi sur la taxe d'accise doivent s'arranger pour être prêts à se faire entendre quand leur appel est sur le point d'être plaidé. S'ils se lancent eux-mêmes dans l'instruction de leur appel, ils font savoir à la Cour qu'ils comprennent la matière suffisamment pour pouvoir aller de l'avant. Il se peut que plus tard il devienne manifestement évident qu'ils ne le sont pas et, dans un tel cas, le juge du procès doit s'en remettre à des considérations d'équité, à la fois pour l'appelant et pour l'intimé. Cependant, lorsqu'un appelant est tout simplement incertain de sa position, comme c'était le cas ici, l'impératif d'équité peut être accompli par l'octroi d'un délai de réflexion.

[25]En d'autres termes, les plaideurs qui choisissent de se représenter eux-mêmes doivent accepter les conséquences de leur choix (Lieb v. Smith et al. (1994), 120 Nfld. & P.E.I.R. 201 (C.S. 1re inst.), au paragraphe 16):

[traduction] La cour tiendra donc compte du manque d'expérience et de formation du plaideur, mais ce plaideur doit également comprendre que, dans la décision qu'il a prise de se représenter lui-même, il y a aussi la volonté d'accepter les conséquences qui peuvent découler de son manque d'expérience ou de formation.

[26]Les nécessités administratives du système judiciaire ne sauraient faire obstacle à une audience équitable, mais elles ne sont pas des considérations hors de propos lorsque vient le temps de décider ce qui est raisonnable eu égard aux circonstances. Il n'est pas dans l'intérêt de la justice que les juges soient inactifs et que les salles d'audience soient vides afin que les plaideurs puissent faire ce qu'ils étaient tenus de faire avant que leur cause ne soit appelée. Il ne peut en résulter que des délais dans la liquidation des affaires dont les tribunaux sont saisis, outre que les autres plaideurs doivent attendre encore davantage l'audition de leurs causes et que les coûts de fonctionnement du système judiciaire s'accroissent.

[27]Je suis d'avis que le refus du juge de première instance d'accorder un ajournement plus long que celui qu'il avait offert au demandeur n'était pas injuste et qu'il ne justifie pas l'intervention de la Cour.

ANALYSE

ANNULATION DU JUGEMENT CONVENU

[28]Le deuxième grief d'appel du demandeur est que le jugement auquel il a consenti devrait être annulé au motif que son consentement lui a été extorqué.

[29]Dans l'arrêt Racz v. Mission (Dist.) (1988), 22 B.C.L.R. (2d) 70 (C.A.), à la page 72, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique avait décrit ainsi un jugement convenu:

[traduction] Une ordonnance inscrite par consentement est en fait un accord de compromis, et une telle ordonnance peut être annulée par tout moyen qui suffirait à faire invalider un contrat. À tous autres égards, le jugement est parfaitement valide.

[30]C'est à celui qui veut faire annuler le jugement convenu qu'il appartient d'établir les faits qui invalideraient l'«accord de compromis». La contrainte, si elle est avérée, invaliderait une transaction. Les extraits de la transcription qui sont reproduits plus haut dans les présents motifs montrent que le juge du procès a conduit l'audience d'une manière très énergique. Il décourageait le demandeur de profiter de son témoignage pour se perdre en palabres. Il guidait le demandeur dans chacune des hypothèses factuelles exposées par la Couronne dans sa réponse à l'avis d'appel afin de voir lesquelles étaient admises et lesquelles ne l'étaient pas. Il tentait de trouver une solution administrative au problème du demandeur en s'enquérant de la possibilité de révoquer rétroactivement l'enregistrement du demandeur. Finalement, il mettait le demandeur au fait de la contradiction inhérente à sa position: si l'on devait constater qu'il fournissait des services non exonérés, de telle sorte qu'il serait admissible à des crédits de taxe sur les intrants, il serait également tenu alors de verser la taxe sur les services fournis par lui.

[31]Ce niveau d'intervention de la part d'un juge de première instance serait condamnable si le plaideur était représenté par un avocat. Mais, lorsque le plaideur est auto-représenté, le tribunal peut intervenir afin de diriger les débats vers la question dont il est saisi. Dans l'arrêt Davids c. Davids (1999), 125 O.A.C. 375 (C.A.), la Cour d'appel de l'Ontario examinait le rôle d'un juge de première instance lorsque l'une des parties n'est pas représentée [au paragraphe 36]:

[traduction] L'équité n'exige pas que le plaideur non représenté soit en mesure de présenter ses arguments aussi efficacement qu'un avocat ayant les qualités requises. Elle exige plutôt qu'il ait une occasion raisonnable de présenter ses arguments du mieux qu'il le peut. L'équité ne signifie pas non plus que le plaideur non représenté connaît aussi bien qu'un avocat la procédure et les techniques du prétoire. Elle exige que le juge du procès traite loyalement le plaideur non représenté et s'efforce de le guider dans la procédure, pour qu'il puisse présenter ses arguments. Ce faisant, le juge du procès doit naturellement respecter les droits de l'autre partie.

[32]Il semble établi qu'un juge de première instance devant lequel comparaît un plaideur non représenté a l'obligation d'appeler l'attention de ce plaideur vers les points saillants du droit et de la procédure. Dans l'affaire Clayton v. Earthcraft Landscape Ltd. (2002), 210 N.S.R. (2d) 101 (C.S.), la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a infirmé la décision d'un arbitre de petites créances qui n'avait pas appelé l'attention du plaideur sur le fait que sa preuve documentaire aurait eu davantage de poids s'il avait appelé l'auteur du document à témoigner. Les observations suivantes du juge Preston dans l'affaire Garry v. Pohlmann (c.o.b. Bro Bros Roofing) (2001), 12 C.P.C. (5th) 107 (C.S.C.-B.), faites dans le contexte d'une procédure introduite devant un tribunal des petites créances, sont applicables, selon moi, aux relations avec des plaideurs non représentés, dans la procédure informelle introduire devant la Cour de l'impôt [au paragraphe 46]:

[traduction] Vu la nature de la procédure des petites créances, les juridictions d'appel reconnaissent que le rôle des juges de première instance dans les affaires relatives aux petites créances est souvent, par nécessité, un rôle plus interventionniste. Ainsi que le faisait observer le juge Farley dans l'affaire Wil v. Burdman (c.o.b. Cingarella Restaurant), [1998] O.J. No. 2533 (C.J. Ont.--Div. gén.), la tâche d'un juge des petites créances est en général difficile et il n'est pas déplacé pour un juge de première instance de vouloir diriger et aider les parties en leur signalant tel ou tel aspect qui intéresse le tribunal.

[33]Je crois que cette position de principe est juste. Un juge de première instance qui a affaire à un plaideur non représenté a le droit et l'obligation de s'assurer que le plaideur comprend la nature de la procédure. Le juge pourrait bien, de ce fait, être tenu d'intervenir dans la procédure. Cependant, le juge de première instance doit se garder de donner l'impression qu'il considère comme résolue l'affaire dont il est saisi. Je suis d'avis que, vues dans leur globalité, les interventions du juge de première instance visaient à aider le demandeur à présenter ses arguments devant la Cour de l'impôt et qu'elles n'étaient aucunement coercitives.

[34]Cependant, on pourrait dire que le juge de première instance est allé trop loin lorsqu'il a exprimé son avis sur l'issue probable de l'appel avant d'avoir entendu tout ce que le demandeur avait à dire. Assurément, le demandeur se plaint aujourd'hui qu'on ne lui ait pas donné la possibilité de présenter tous ses arguments. J'ai déjà rejeté l'idée selon laquelle le demandeur n'avait pas été autorisé à produire ses documents, mais il se peut que le demandeur ait eu l'impression que l'issue de son appel était courue d'avance.

[35]Les interventions du juge de première instance ont-elles dépassé le seuil des commentaires justifiés? Il est vrai que le juge a exprimé un point de vue sur l'issue probable de l'affaire, mais il a expliqué son raisonnement au demandeur, qui a répondu qu'il comprenait les points soulevés. Le point clé était un point de droit qui ne dépendait pas de conclusions factuelles. Le juge de première instance a bien précisé que c'était au demandeur qu'il appartenait de choisir la manière de s'y prendre. Il lui a offert un délai pour lui permettre de réfléchir à la conduite à tenir. Je ne vois rien qui puisse donner au demandeur le droit de revenir sur le choix qu'il a fait.

[36]La tâche de composer avec des plaideurs non représentés retombe tout particulièrement sur les juridictions de première instance. Les juridictions de contrôle devraient se garder de rendre cette tâche encore plus difficile en censurant indûment leurs tentatives d'aider les plaideurs et de faire avancer la procédure. La responsabilité primordiale du juge de première instance est de veiller à ce que le procès soit équitable. Si, après avoir pris en compte l'ensemble des circonstances, la juridiction de contrôle est persuadée que le procès a été équitable, elle doit s'abstenir d'intervenir du seul fait que le juge du procès a pu faire, ici ou là, une entorse aux normes de la perfection. Cela est d'autant plus vrai lorsqu'une affaire est résolue par consentement. Hormis une preuve impérieuse tendant à montrer que le présumé consentement était tout sauf un consentement, la juridiction de contrôle devrait hésiter à annuler une entente librement consentie.

[37]Pour ces motifs, je rejetterais l'appel, avec dépens.

Le juge en chef Richard: Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[38]Le juge Isaac (motifs dissidents): J'ai eu l'avantage de lire, sous forme d'ébauche, les motifs distribués par mon collègue, le juge Pelletier. Malheureusement, il m'est impossible d'y souscrire, et je me dois d'exposer mes propres motifs.

LES FAITS

[39]Le jugement de la Cour canadienne de l'impôt qui est l'objet de cette demande introduite en vertu de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)] avait, du consentement des parties, fait droit partiellement à l'appel du demandeur à l'encontre d'une cotisation établie par le ministre du Revenu national (le ministre) en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (la LTA).

[40]David Wagg (le demandeur) est un agent d'assurance-vie indépendant. En 1992, il s'est inscrit aux fins de la LTA et s'est vu attribuer un numéro d'enregistrement de la taxe sur les produits et services (TPS), bien qu'il ne fût pas tenu de s'inscrire. En application du paragraphe 240(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 100] de la LTA (disposition qui précise qui est tenu de s'inscrire) et du paragraphe 148(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1997, ch. 10, art. 9] (qui définit l'expression «petits fournisseurs»), celui dont les fournitures taxables ne dépassent pas 30 000 $ par année n'est pas tenu de s'inscrire.

[41]Outre la vente de polices d'assurance-vie, le demandeur fournissait des services de gestion foncière pour lesquels il a reçu durant 1995 une contrepartie se chiffrant à 10 644 $. Il a aussi reçu 3 578,80 $ au titre de l'émission et du maintien de polices d'assurance-vie durant la même année.

[42]Le paragraphe 240(3) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 100; 1997, ch. 10, art. 54, 218] de la LTA autorise les petits fournisseurs, dont les fournitures taxables ne dépassent pas 30 000 $, à s'inscrire facultativement, et le paragraphe 171(1) [édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1993, ch. 27, art. 37; 1997, ch. 10, art. 163] prévoit que les petits fournisseurs qui choisissent de s'inscrire sont traités sur le même pied que les autres inscrits. Ils sont tenus de percevoir et de verser la TPS et ils ont le droit de recevoir des crédits de taxe sur les intrants (CTI).

[43]Le demandeur était tenu de percevoir et de verser la TPS, soit 745,08 $, pour avoir fourni des services de gestion foncière en 1995, mais il a négligé de verser cette taxe. Il a néanmoins réclamé des CTI se chiffrant à 529,36 $ au titre de cette fourniture et au titre des services d'assurance-vie fournis par lui durant la période allant du 1er avril 1995 au 31 décembre 1995, ainsi que des CTI se chiffrant à 3 855,78 $ pour des services d'assurance-vie fournis entre le 1er janvier 1996 et le 31 mars 1999.

[44]L'intimée reconnaît que le demandeur avait le droit de réclamer des CTI selon la somme de 255,35 $ pour avoir fourni des services de gestion foncière au cours de 1995, mais elle refuse d'admettre qu'il avait droit à des CTI pour avoir fourni des services d'assurance-vie. L'intimée affirme en effet que l'assurance-vie est une fourniture de services financiers qui est exonérée (en conformité avec la partie VII [édictée par L.C. 1990, ch. 45, art. 18] de l'annexe V de la LTA), à laquelle la TPS ne s'applique pas et qui ne donne pas droit à des CTI. Le ministre a donc refusé les CTI de 106,61 $ réclamés pour les services d'assurance-vie fournis par le demandeur en 1995.

[45]Par un avis de cotisation daté du 25 mai 1999, le ministre a établi la taxe nette du demandeur à 489,73 $, les intérêts à 449,58 $ et les pénalités à 624,05 $, pour la période allant du 1er avril 1995 au 31 mars 1999. La somme établie comme taxe nette comprenait des redressements pour les 745,08 $ de taxe non déclarée et refusait des CTI de 3 970,59 $. Au procès, l'avocat de l'intimée a admis que le ministre avait commis une erreur en ne refusant pas des CTI de 166,55 $ se rapportant aux services de gestion foncière fournis par le demandeur. Le jugement convenu en tient compte.

[46]Par avis d'opposition daté du 20 août 1999, le demandeur a contesté la cotisation établie par le ministre au motif que, en tant qu'agent d'assurance-vie indépendant, il devrait pouvoir réclamer les CTI afférents à ses dépenses. Le ministre a confirmé la cotisation par un avis de décision en date du 13 juin 2000, dans lequel il expliquait pourquoi le demandeur n'avait pas droit à des CTI à compter de 1996.

[47]Le demandeur a fait appel de sa cotisation à la Cour canadienne de l'impôt. L'appel a été instruit le 8 août 2001, et le demandeur n'y était pas représenté par un avocat. À la fin de l'audience, la Cour de l'impôt a fait droit partiellement à l'appel et a renvoyé l'affaire au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation devant tenir compte du jugement convenu.

LE PROCÈS TENU DEVANT LA COUR DE L'IMPÔT

[48]Au début du procès, le juge de la Cour de l'impôt a expliqué la procédure au demandeur, en l'informant qu'il lui appartenait d'établir que les hypothèses du ministre ne tenaient pas. Le demandeur a alors entrepris de témoigner sous serment. Le juge a guidé le demandeur tout au long de son témoignage sur la nature de son travail d'agent d'assurance-vie. Il a ensuite entrepris de guider le demandeur dans la réponse de l'intimée à l'avis d'appel, afin de distiller les faits et points litigieux pertinents, mais cet exercice est demeuré incomplet à cause des interventions du juge, comme on le verra plus loin dans les présents motifs.

[49]Tout au long du témoignage du demandeur, le juge a tenté de lui expliquer les principes juridiques applicables. Le demandeur a dit qu'il les comprenait. Le juge s'est intéressé aussi à la question de savoir s'il existait ou non un mécanisme administratif permettant au demandeur de se désinscrire rétroactivement aux fins de la LTA, afin de réduire ses obligations fiscales. La préoccupation du juge au regard de cette question ressort des échanges suivants (transcription du procès, aux pages 24 à 27):

[traduction]

LE JUGE: Existe-t-il une pratique administrative reconnaissant un engagement de ne pas recueillir de CTI si l'on s'est inscrit par erreur? Y a-t-il une pratique qui [. . .]

M. BOUVIER: Sur le plan administratif, je ne crois pas que M. Wagg ait jamais atteint le chiffre de 30 000 $ à partir duquel on est tenu de s'inscrire aux fins de la TPS. Sur le plan administratif, il aurait dû mettre fin à son inscription et se libérer de son obligation de percevoir la TPS.

LE JUGE: Bien, parlons sur le plan de la pratique administrative, et supposons que M. Wagg ait dit: «J'ai mal compris, je me suis inscrit. J'aurais dû mettre fin à mon inscription. Je sais que, si je mets fin à mon inscription, je ne vais pas obtenir mes CTI, mais mes CTI sont inférieurs à mon obligation de versement, et je peux donc revenir à l'endroit où j'aurais dû être» [. . .]

M. BOUVIER: Exact.

LE JUGE: [. . .] et le résultat net sera une obligation financière moindre. Alors, je pose la question à ce stade, parce que je n'ai pas encore entendu le reste des faits ou le reste des arguments, mais je doute énormément de pouvoir trouver quoi que ce soit qui puisse vous dispenser de l'obligation de verser la taxe tout en vous autorisant à rester dans le système pour recueillir vos crédits. Il est très improbable que la loi dise cela et il est très improbable que je puisse vous donner une marge de manoeuvre.

M. BOUVIER: Nous ne parlons que de la période de 1995, pour laquelle on a calculé le versement, c'est-à-dire ce que vous deviez percevoir et verser, et il ne s'agit que de 745 $. On lui a accordé des CTI sur les 745 $, moins 106 $. Donc, en réalité, en 1995, l'obligation fiscale de M. Wagg est négligeable, et je n'ai pas le chiffre devant moi.

LE JUGE: Eh bien, il s'agit de quelques centaines de dollars.

M. BOUVIER: Oui.

LE JUGE: Je veux dire, 700 $ qu'il doit payer et 400 $ qu'il a le droit de recevoir. Il n'a pas les 500 $ qu'il a réclamés parce qu'il y a 106 $ que l'on attribue aux services d'assurance [. . .]

M. BOUVIER: Exact.

LE JUGE: [. . .] quoi qu'il en soit, il va encore devoir payer environ 300 $. En passant, on s'écarte à peine du principe, que je m'en voudrais de prendre à la légère, mais l'on consacre beaucoup de ressources ici aujourd'hui pour imaginer ce qu'est la disposition applicable [. . .]

M. BOUVIER: Oui.

LE JUGE: [. . .] pour 300 $, d'un côté ou de l'autre. Je ne sais pas si la Couronne peut ou non régler administrativement pour vous cette question des 300 $--c'était l'un des objets de mes questions--parce que je n'y vois aucun mal, sous réserve de la possibilité pour le ministre du Revenu de le faire. Je veux dire, Revenu Canada a l'obligation de s'assurer que la Loi est appliquée selon ses termes. Revenu Canada ne peut faire constamment avec tout un chacun des petits arrangements secondaires. Cela serait contraire aux principes du droit. En revanche, s'il existe une pratique administrative qui permet à un inscrit de mettre fin à son inscription, et de faire de nouveau concorder les chiffres, alors je proposerais que, même pour 300  $, c'est quelque chose que M. Bouvier peut envisager.

[. . .]

M. BOUVIER: [. . .] Il faudrait que je m'enquière si la pratique administrative autorise M. Wagg à mettre fin à son inscription pour la période de 1995. Si je pouvais disposer de cinq minutes, je pourrais probablement examiner cette question.

LE JUGE: Très bien, attendons une autre raison de suspendre la séance, et vous pourrez alors faire tout cela. Vous pouvez faire l'appel--ce n'est pas comme si cela allait tout régler. [Soulignement ajouté.]

[50]Avant de suspendre la séance, le juge a dit au demandeur, qui témoignait à la barre, que, s'il allait de l'avant avec l'appel, il risquait de se retrouver dans une situation pire qu'auparavant. Par commodité, je reproduis ci-après une partie de la transcription du procès qui renferme lesdites déclarations (transcription du procès, aux pages 28 à 33):

[traduction]

LE JUGE: [. . .] Vous savez que Revenu Canada dit que les services d'assurance et services financiers sont exonérés et, s'ils sont exonérés, vous n'avez pas l'obligation de percevoir la TPS et vous obtenez des crédits. Encore une fois, vous devez cependant comprendre que, si vos services sont admissibles à des crédits en tant que services non exonérés, alors il n'y a pas moyen de s'en sortir, vous devez percevoir la TPS et la verser. Vous ne pouvez être dans le système seulement pour ce qu'il y a de bon, et être en dehors pour ce qu'il contient de mauvais. Je ne crois que la Couronne vous laissera affirmer cela. Maintenant, si vous comprenez cela, alors nous avons quelques choix à faire. Nous pouvons aller de l'avant et, si je constate que vous avez raison, vous allez leur devoir sept pour cent. Je ne suis pas sûr de pouvoir faire cela. Revenu Canada n'a pas vraiment établi la cotisation sur cette base, mais, s'ils n'ont pas établi la cotisation sur cette base, il m'est impossible d'augmenter la cotisation.

M. BOUVIER: Vous ne pouvez pas augmenter la cotisation--mais le montant de la taxe calculée peut augmenter, mais, si vous concluez que c'est un service non exonéré, si c'est là la conclusion de la Cour, alors une cotisation sera émise après que l'affaire sera renvoyée pour nouvelle cotisation, en ce qui a trait aux sept pour cent. Il s'agit simplement d'appliquer la Loi. Il est impossible que quelqu'un obtienne les crédits sans être taxable.

LE JUGE: Bien, je ne sais pas si c'est exact, mais vous vous exposez à un risque si M. Bouvier a raison, mettons les choses ainsi.

M. BOUVIER: Bon, très bien, je dirais qu'il y a un risque. Il m'est impossible de le dire avec certitude.

LE JUGE: Je dirais qu'il y a un risque: qu'arriverait-il si je statue en votre faveur, votre situation sera pire qu'avant, comprenez-vous cela?

LE TÉMOIN: Voudriez-vous répéter cela, monsieur le juge?

LE JUGE: Je crois que le risque est que, si je statue en votre faveur, vous pourriez vous retrouver dans une situation pire qu'avant parce que j'ai--pour que vous obteniez les CTI que vous réclamez, je vais devoir conclure que vos services sont des services taxables. S'ils sont des services taxables, vous auriez dû facturer, percevoir et verser sept pour cent, et la Couronne va pouvoir dire: «Si je vous donne vos CTI»--ils vont revenir et vous dire: «Bien, vous nous devez maintenant les sept pour cent». Et, s'ils réussissent à faire cela, vous paierez les sept pour cent--et théoriquement c'est juste, n'est-ce pas? Vous ne pouvez prendre ce qu'il y a de bon et refuser ce qu'il y a de mauvais.

LE TÉMOIN: Je comprends cela. Je comprends cela, monsieur le juge, et [. . .]

LE JUGE: Vous vous exposez donc à être dans une situation pire, à la suite de cette cotisation. Par ailleurs, vous pourriez tout simplement accepter la cotisation et ainsi épargner de l'argent. Pourquoi n'y réfléchissez-vous pas? Peut-être est-ce un bon moment pour suspendre la séance. Comprenez-vous ce que je veux dire?

LE TÉMOIN: Je comprends ce que vous voulez dire, monsieur le juge. Je voudrais apporter une précision, lorsque la séance reprendra.

LE JUGE: Très bien.

LE TÉMOIN: [. . .] et j'exposerai alors ma position sur le fait d'être défini comme une institution financière.

LE JUGE: Mais ne comprenez-vous pas que, si vous n'êtes pas une institution financière, vous devez facturer sept pour cent? Allez-vous pouvoir revenir sur tous ces contrats et demander sept pour cent aux gens qui vous ont acheté de l'assurance?

LE TÉMOIN: Non.

LE JUGE: Ce sera à vous de payer; comprenez-vous cela?

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: Si vous réussissez dans votre argument, vous allez perdre financièrement; comprenez-vous cela?

LE TÉMOIN: Je comprends cela.

LE JUGE: Très bien. La séance est suspendue [. . .]

LE TÉMOIN: Puis-je poser une question, monsieur le juge?

LE JUGE: Oui, allez-y.

LE TÉMOIN: Alors supposons que je ne suis pas un vendeur d'assurance-vie, et que je suis un vendeur d'épiceries à commission, qui paie ses propres dépenses opérationnelles--je reviendrai sur ce point plus tard en ce qui a trait au contrat--allez-vous dire qu'il me sera impossible de réclamer des crédits de taxe sur les intrants à moins que je ne perçoive la taxe en amont? Est-ce là ce que vous dites?

LE JUGE: Oui.

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: Et vous pouvez me dire que tout employé de Revenu Canada à qui vous avez parlé, et vous pouvez me montrer les lettres où l'on vous a dit que tout cela était faux, cela ne fera aucune différence. Vous êtes soumis aux lois fédérales, et les gens de Revenu Canada qui vous ont bien ou mal informé ne peuvent écrire la loi. Espérons qu'ils font de leur mieux.

LE TÉMOIN: Oui.

LE JUGE: Et le fait que vous avez pu entrer dans le système, par exemple, en vous inscrivant alors que vous n'y étiez peut-être pas tenu ou que vous n'auriez pas dû [. . .]

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: [. . .] peut-être peuvent-ils faciliter administrati-vement quelque chose si c'est une pratique administrative. Ils ne peuvent conclure une entente. Nous avons déjà réglé cette question, et M. Bouvier se renseignera sur ce qui peut être fait là-dessus. Je vous demande simplement de considérer si, oui ou non, vous voulez aller de l'avant avec votre appel. La question fondamentale que vous soulevez n'est pas une question insignifiante, et je suis sûr que les tribunaux ont été saisis de nombreux exemples portant sur des contrats de représentation non soumis à la taxe ou, plus particulièrement, des services exonérés que l'on tente de faire entrer dans le système ou d'en faire sortir. Mais je ne crois pas que ce soit nécessairement à votre avantage de vous trouver dans ce débat. Pouvons-nous suspendre l'audience? [Soulignements ajoutés.]

[51]Ces deux échanges montrent que, sans avoir entendu tous les faits ou tous les arguments du demandeur, et sans être certain des principes juridiques applicables, le juge a encouragé le demandeur à envisager d'accepter la cotisation établie par le ministre.

[52]Après avoir reçu cet avis, le demandeur a indiqué qu'il comprenait le point soulevé par le juge; mais, lorsque l'audience a repris, il a demandé un ajournement afin de pouvoir discuter de cette affaire avec un avocat et d'examiner les choix qui s'offraient à lui. Le juge a refusé cette demande, bien que l'intimée ne se fût pas opposée à l'ajournement. Voici les propos échangés entre le juge et l'avocat de l'intimée sur le sujet (transcription du procès, à la page 33):

[traduction]

M. BOUVIER: Merci pour votre patience, monsieur le juge. J'ai eu une discussion avec M. Wagg durant la pause, la suspension, et il me dit qu'il voudrait avoir la possibilité de parler de cette affaire avec un avocat, et la possibilité de réfléchir à ce que vous avez dit. Nous ne nous opposons pas à un ajournement de cette affaire.

LE JUGE: Je ne suis pas enclin à ajourner cette affaire. Vous avez une date qui était fixée. Vous savez que l'affaire doit être entendue aujourd'hui. Vous devez être prêt, avec vos documents et vos arguments.

[53]Par la suite, le juge a demandé au demandeur s'il voulait aller de l'avant avec l'appel, et les propos suivants ont alors été échangés (transcription du procès, aux pages 35 à 40):

[traduction]

LE JUGE: [. . .] Quoi qu'il en soit, voulez-vous aller de l'avant? Nous allons de l'avant, je ne vais pas ajourner.

LE TÉMOIN: Bon, je crois que mon impression prend le pas sur ce qui a été dit, et je voudrais simplement--monsieur le juge, pour préciser ce que vous avez dit, je ne peux réclamer de crédits de taxe sur les intrants en ce qui concerne mes dépenses, qu'il s'agisse d'une fourniture exonérée ou non exonérée, si je ne perçois pas la TPS à l'autre extrémité; c'est bien ce que vous avez dit, ou est-ce que je me trompe?

LE JUGE: Les seules dispositions de la Loi qui me sont familières et qui disent autrement sont celles qui concernent les fournitures détaxées, parce que celles-là sont dans le système, et vous devez facturer la taxe, la percevoir et la verser à Revenu Canada, et donc vous avez alors les crédits. La somme que vous percevez et que vous versez est nulle, de telle sorte que, mécaniquement, la Loi dit que vous obtenez le crédit. Il ne s'agit pas ici d'un service détaxé, et par conséquent vous ne pouvez avoir un pied dans le système et l'autre en dehors. Et je présume que non seulement c'est là la position de l'intimée, mais encore l'intimée, dans son argumentation, va m'indiquer des articles de la Loi qui mettent le demandeur dans cette position. Je me suis aventuré dans ce domaine auparavant, je n'émets pas de simples hypothèses, et, si un avocat vous dit autre chose, faites appel, mais vous ne le ferez pas, j'imagine que non.

LE TÉMOIN: Eh bien, je crois--même avec les arguments que j'ai, sur la question de savoir si je suis ou non une institution financière, je voudrais, monsieur le juge, avoir la possibilité de penser à tout cela, mais je ne crois pas de toute façon qu'il y ait tant que cela sur quoi il faille réfléchir.

LE JUGE: Combien de temps voulez-vous? Je veux dire, si vous voulez que je vous donne une heure supplémentaire, je vous donnerai une heure supplémentaire. Si vous me demandez la possibilité de revenir ici un autre jour ou une autre fois, la réponse est non.

LE TÉMOIN: Non.

LE JUGE: La situation est que--il ne s'agit pas de savoir si la situation est claire ou imprécise. La question est que vous avez une date de procès, et ce procès a lieu aujourd'hui.

LE TÉMOIN: Très bien.

LE JUGE: Hormis une raison nouvelle et impérieuse d'ajourner, je ne vais pas vous accorder d'ajournement. Vous avez reçu avis de l'audience, vous vous y présentez et vous exposez vos arguments. Vous avez eu l'avantage de certaines observations. Ou bien vous les abandonnez ou bien vous allez de l'avant. Je ne veux pas vous bousculer. Il vous appartient d'aller de l'avant si vous le souhaitez, mais, tout ce que je fais, par courtoisie, c'est vous dire ce qu'est la Loi, ce que je comprends de la Loi, ce que sera probablement la décision de la Cour, et l'inconvénient possible qu'elle pourrait vous causer. Maintenant, si vous voulez une autre heure pour y réfléchir, je vous donnerai une autre heure. Si vous voulez trois heures pour y réfléchir, alors je reviendrai. Je ne crois pas qu'il soit raisonnable pour moi de vous donner plus de temps que cela.

LE TÉMOIN: Non, je ne le crois pas. Je crois que nous en resterons là et [. . .]

LE JUGE: Voulez-vous vous désister de votre appel ou voulez-vous tirer parti des 2 ou 300 $, auquel cas je crois que j'aimerais avoir un consentement à jugement?

M. BOUVIER: Très bien, ce que je vais faire, c'est que je vais devoir rédiger quelque chose, évidemment, avec les bons chiffres, parce que la réponse à l'avis d'appel est plutôt inexacte, et je vais donc organiser quelque chose.

LE JUGE: Très bien. Pouvez-vous faire cela au cours des deux ou trois prochaines heures?

M. BOUVIER: Oui, c'est possible--si nous pouvions ajourner jusqu'à 13 h 30.

LE JUGE: Très bien. Nous ajournerons jusqu'à 13 h 30, et [. . .]

M. BOUVIER: Si ce n'est pas un jugement convenu rédigé dans les formes, du moins j'aurai quelque chose à proposer oralement à la Cour, avec les chiffres exacts.

LE JUGE: Bon, l'autre moyen de s'y prendre est--où est-ce? Cent soixante [. . .]

M. BOUVIER: 169(3).

LE JUGE: Très bien, et [. . .]

M BOUVIER: C'est la disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu, et je ne suis pas sûr qu'il y a [. . .]

LE JUGE: Eh bien, en réalité, la procédure judiciaire sur ce point est que, en fait, nous ajournons et vous disposez d'une période de temps [. . .] Je reviendrai pour vous sur la pratique administrative, si vous le souhaitez, mais, ce qu'il faut reconnaître, c'est qu'il y a un consentement sur une nouvelle cotisation selon une certaine base, et que, si cette nouvelle cotisation sur ladite base n'a pas lieu dans le délai applicable, 60 ou 90 jours, alors la Cour en est saisie de nouveau. Or, je préfère ne pas en venir là parce que M. Wagg pourrait alors changer d'avis, ou quelque chose d'autre. J'aimerais plutôt avoir un consentement signé, pas quelque chose qui est écrit et qui se trouve dans le dossier. Je voudrais sa signature, je voudrais la vôtre, et, si vous avez besoin de plus de temps, alors prenez plus de temps. Mais, la raison pour laquelle je fais cela plutôt que de rejeter l'action, c'est que je ne veux pas que vous perdiez l'avantage de ce qui a été--ce que j'ai déclaré comme un renversement du fardeau de la preuve, que M. Bouvier a accepté. Il a accepté que le chiffre du désaccord, deux cents ou trois cents dollars, soit résolu en votre faveur.

L'appel sera donc admis, mais seulement dans la mesure où il vous accorde un crédit additionnel en sus de l'évaluation de l'écart. Une fois que vous aurez défini le montant, je crois qu'alors le consentement sera de trois lignes, plus votre intitulé.

M. BOUVIER: Oui, très bien.

LE JUGE: Nous ajournerons jusqu'à 13 h 30, ou bien voulez-vous que ce soit midi, ou bien voulez-vous que ce soit 14 heures?

M. BOUVIER: 13 h 30, c'est très bien pour moi. Nous devrions en fait appeler l'affaire Gunner Industries.

LE JUGE: Oui, merci de me le rappeler.

LE TÉMOIN: Vous voulez donc que je revienne ici à 13 h 30?

M. BOUVIER: Eh bien, vous pouvez quitter la barre, et nous allons en parler [. . .]

LE JUGE: Oui, vous pouvez vous retirer de la barre des témoins et simplement attendre que soit réglée cette courte affaire, qui prendra cinq minutes, et alors vous pourrez discuter de la suite des événements avec M. Bouvier.

LE TÉMOIN: Vouliez-vous ma copie de [. . .]

LE JUGE: Je peux la prendre si vous voulez, mais vous disposez de cette affaire par consentement, c'est, d'après ce que je comprends, ce que vous êtes disposé à faire.

LE TÉMOIN: Oui.

LE JUGE: Alors je n'en ai pas besoin. Si vous le voulez, je vais la prendre et la verser dans le dossier.

LE TÉMOIN: Oui, j'imagine que vous le pouvez.

LE JUGE: Merci. [Soulignements ajoutés.]

[54]Ensuite, le juge de la Cour de l'impôt a suspendu l'audience pour un peu plus de deux heures et demie afin de donner à l'avocat de l'intimée le temps de préparer un jugement convenu. Après cette deuxième suspension d'audience, le procès s'est terminé avec l'échange suivant entre l'avocat de l'intimée et le juge, échange qui s'est déroulé apparemment en l'absence du demandeur (transcription du procès, aux pages 40 et 41):

[traduction]

LE JUGE: J'espère qu'il n'a pas été trop grincheux. Je crois comprendre qu'il l'a signé cependant.

M. BOUVIER: Il l'a signé effectivement. Nous lui avons en fait donné satisfaction, parce qu'il a exclu une partie de la TPS de ses dépenses, de telle sorte qu'il peut rouvrir la dépense qu'il a exclue et qui lui a été refusée à titre de crédits de taxe. Les cent soixante--le chiffre que j'utilise est une anomalie, les 166.55.

LE JUGE: Et comment expliquez-vous que la réouverture [. . .]

M. BOUVIER: Eh bien, parce qu'il a exclu la portion de TPS de ses dépenses et qu'il a demandé des crédits de taxe sur les intrants dans sa déclaration de revenus, il peut revenir et rouvrir ses déclarations de revenus pour 1998 et 1999, celles qui ne sont pas prescrites, et les réclamer comme dépenses, ce qu'il va faire, et il va mettre fin à son inscription aujourd'hui.

LE JUGE: Je suis surpris que vous n'ayez pu l'aider quelque peu sur ce point, mais, comme il allait avoir un pied à l'intérieur et un pied à l'extérieur, il n'allait pas obtenir de moi une décision faisant date, je ne le crois pas, et je pense donc que vous avez très bien fait. Merci beaucoup.

[55]Comme je l'ai déjà dit, le demandeur a signé le jugement convenu, qui faisait droit partiellement à son appel et qui lui donnait droit à des CTI additionnels pour la somme de 166,55 $, pour la période allant du 1er avril 1995 au 31 décembre 1995, au regard des services de gestion foncière fournis par lui.

CONCLUSIONS DES PARTIES

[56]Dans les conclusions qu'il a présentées à la Cour, le demandeur soutient que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas observé les principes de justice naturelle et d'équité procédurale et qu'il n'a pas exercé son pouvoir de décider les points dont il était saisi. Plus précisément, le demandeur déplore qu'il n'ait pas été autorisé à présenter ses arguments et ses preuves à la Cour de l'impôt et qu'il n'ait pas compris ce à quoi il s'engageait lorsqu'il a signé le jugement convenu. Par ailleurs, le demandeur dit qu'il s'est senti contraint de signer le jugement convenu.

[57]L'intimée, quant à elle, affirme que le demandeur a eu tout le loisir de présenter ses arguments et qu'il a décidé de signer le jugement convenu.

POINTS EN LITIGE

[58]Cette demande requiert la Cour de dire si le jugement de la Cour de l'impôt devrait être annulé parce que le consentement du demandeur lui aurait été extorqué.

ANALYSE

[59]Je reconnais avec le juge Pelletier que l'ajournement d'un procès relève du pouvoir d'appréciation du juge qui préside le procès. Mais ce sont les circonstances entourant la demande d'ajournement et son refus qui diront si un nouveau procès doit découler du refus du juge d'accorder l'ajournement (voir l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 10 Admin. L.R. (2d) 285 (C.A.F.); et l'arrêt Garden c. Canada, [2000] 1 C.T.C. 106 (C.A.F.)).

[60]Comme le fait observer mon collègue, le juge de la Cour de l'impôt s'est donné un mal considérable pour s'assurer que le demandeur comprenait bien la procédure. Le dossier révèle qu'il semble avoir été motivé par une volonté d'aider le demandeur à épargner de l'argent. C'est la conclusion que j'ai tirée des passages du dossier qui concernent la proposition faite par le juge à l'avocat de l'intimée pour qu'il examine s'il était ou non administrativement possible pour le demandeur de mettre fin à son inscription rétroactivement pour 1995 comme moyen de réduire ses obligations fiscales de quelques centaines de dollars. De même, le juge a encouragé le demandeur à tirer parti de l'inversion du fardeau de la preuve, inversion qui lui donnait droit à des CTI additionnels. Cependant, les efforts que le juge a faits en faveur du demandeur, si louables à première vue qu'ils puissent être, sont, à mon avis, annulés par trois choses: il a refusé d'accorder l'ajournement sollicité par le demandeur, il n'a pas laissé le demandeur achever son témoignage et présenter ses arguments, et il a fortement encouragé le demandeur à accepter la cotisation établie par le ministre. À mon humble avis, ce refus de l'ajournement, qui a conduit au jugement convenu, équivaut à une contrainte, et il était injuste pour le demandeur.

[61]Par cette remarque, je ne veux nullement dire que je suis indifférent à la nécessité d'expédier les affaires, dans la mesure où cela est commode et possible, afin d'alléger autant que faire se peut les rôles déjà encombrés des tribunaux. Les juges de première instance ont, surtout lorsqu'ils traitent avec des plaideurs non représentés, l'obligation d'établir un équilibre entre l'impératif de liquider promptement les litiges et la nécessité de juger les affaires d'une manière structurée, en recourant à une procédure équitable et en préservant l'apparence de justice.

[62]À mon humble avis, nous n'avons pas ici affaire à un cas où le plaideur a tout simplement sous-estimé la complexité de son dossier. Nous avons plutôt affaire à un cas où un contribuable auto-représenté a reçu une surprise inattendue quand le juge lui a dit qu'il devrait consentir à un jugement au lieu d'aller en procès, et cela afin d'éviter le risque d'accroître son obligation fiscale. Le juge a refusé au demandeur l'ajournement qu'il sollicitait, il ne l'a pas laissé achever sa preuve, il ne l'a pas autorisé à présenter des arguments, et il lui a conseillé de consentir à jugement. Dans ces conditions, nous sommes devant un manquement à l'équité procédurale. Sans vouloir nullement contredire ceux qui pensent autrement, la conduite du juge a été oppressive et elle a sans aucun doute donné au demandeur un sentiment d'impuissance, et le sentiment qu'il n'avait pas le choix. Pour reprendre les propos du demandeur: il s'est vu contraint de signer le jugement convenu.

[63]Les propos employés par le juge autorisent cette conclusion. Par exemple, il a dit au demandeur qu'il ne voulait pas le «bousculer», et il a dit à l'avocat de l'intimée qu'il espérait que le demandeur n'avait pas été «trop grincheux» lorsqu'on l'avait prié de signer le jugement convenu. Ces mots, tels qu'ils apparaissent dans la transcription du procès, m'amènent à conclure que le juge de la Cour de l'impôt savait que sa conduite pouvait susciter quelques doutes.

[64]Ayant conclu que le juge a manqué à l'équité procédurale à laquelle avait droit le demandeur, je suis d'avis qu'un nouveau procès devrait être ordonné. Pour arriver à cette conclusion, je m'en rapporte aux enseignements exposés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 661. Le juge LeDain, s'exprimant pour la Cour, écrivait:

[. . .] la négation du droit à une audition équitable doit toujours rendre une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non que l'audition aurait vraisemblablement amené une décision différente. Il faut considérer le droit à une audition équitable comme un droit distinct et absolu qui trouve sa justification essentielle dans le sens de la justice en matière de procédure à laquelle toute personne touchée par une décision administrative a droit. Il n'appartient pas aux tribunaux de refuser ce droit et ce sens de la justice en fonction d'hypothèses sur ce qu'aurait pu être le résultat de l'audition.

CONCLUSION

[65]Pour tous ces motifs, j'accueillerais cette demande présentée en vertu de l'article 28, avec dépens, j'annulerais la décision du juge de la Cour de l'impôt et j'ordonnerais un nouveau procès devant un autre juge de la Cour de l'impôt.

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