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2004 CAF 6

A-375-01

Audrey J. Sero (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

A-376-01

Cyril Frazer (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié: Sero c. Canada (C.A.F.)

Cour d'appel fédérale, juges Stone, Rothstein et Sharlow, J.C.A.--Toronto, 27 novembre 2003; Ottawa, 12 janvier 2004.

Peuples autochtones -- Taxation -- Indiens imposés sur un revenu d'intérêt gagné sur un montant d'argent placé auprès d'une succursale de la Banque Royale située dans une réserve indienne -- Ils prétendaient que les intérêts sont exonérés d'impôt en raison de l'art. 87(1)b) de la Loi sur les Indiens -- Le revenu d'intérêt en l'espèce est un bien meuble appartenant aux contribuables -- Ce bien est-il «situé sur une réserve»? -- Les principes applicables dans la détermination du situs d'un bien aux fins de l'art. 87 de la Loi sur les Indiens doivent reposer sur l'objet visé par l'exonération d'impôt qu'il prévoit -- Application du critère des facteurs de rattachement de l'arrêt Williams c. Canada (C.S.C.) -- Le critère exige la prise en compte de l'ensemble des caractéristiques du bien en litige -- La source des revenus d'intérêt gagnés par les contribuables se trouve dans le marché commercial -- Le revenu d'intérêt n'est pas situé sur une réserve.

Institutions financières -- Les contribuables prétendaient que le revenu d'intérêt qu'ils ont gagné est réputé être situé à la succursale de la Banque Royale de la réserve indienne, selon l'art. 461(4) de la Loi sur les banques -- Sens des expressions «dépôt» et «compte de dépôt» à l'art. 461(4) -- Le sens de l'expression «compte de dépôt» découle du contexte dans lequel elle est utilisée dans les dispositions de la Loi sur les banques -- Le compte d'épargne et les titres de placement à terme des contribuables sont des «dépôts», chacun de ces comptes est un «compte de dépôt» -- L'interprétation de la disposition déterminative prévue à l'art. 461(4) doit être conforme à l'arrêt R. c. Verrette -- Le critère des facteurs de rattachement remplace les principes du droit international privé aux fins de la détermination faite en vertu de l'art. 87 de la Loi sur les Indiens, et il doit l'emporter sur la règle déterminative prévue au à l'art. 461(4) de la Loi sur les banques -- Le revenu d'intérêt n'est pas «situé sur une réserve» aux fins de l'art. 87.

Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre d'une décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt selon laquelle les intérêts qu'ont reçus les appelants sur un montant d'argent placé auprès d'une succursale de la Banque Royale du Canada qui se trouve à l'Iroquois Village Plaza d'Ohsweken (Ontario), dans la réserve des Six-nations, n'étaient pas exonérés d'impôt par l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Les appelants sont des «Indiens» au sens de la Loi sur les Indiens. Audrey J. Sero vit à Etobicoke depuis 1977 et n'a jamais résidé, ni travaillé sur une réserve. Elle a gagné un revenu d'intérêt d'environ 13 000 $ qui a été généré par neuf titres de placement à terme qu'elle avait acquis à la succursale de la Banque Royale d'Ohsweken. Aucune des sommes que Mme Sero a investies dans les titres de placement à terme n'a été gagnée sur une réserve. Cyril Frazer est né dans la réserve des Six-nations en 1932 et y a résidé jusqu'à l'âge de 17 ans. Après une longue absence, il y est retourné en 1985 et il a ouvert une entreprise de blanchissage. M. Frazer et son épouse détenaient un compte d'épargne conjoint à la succursale d'Ohsweken de la Banque Royale. Entre 1993 et 1996, M. Frazer a investi des sommes d'argent dans des dépôts à terme à la même succursale en utilisant des fonds provenant de son entreprise de blanchissage. M. Frazer a reçu des intérêts de ses titres de placement à terme pour une somme d'environ 10 000 $. La seule question en litige était de savoir si le revenu d'intérêt était «situé sur une réserve» au sens de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens.

Arrêt: les appels sont rejetés.

Le fondement législatif de l'exonération d'impôt demandée par les appelants, l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, fait partie d'un cadre législatif relatif à la protection de certains biens appartenant à un Indien ou à une bande indienne, s'ils sont situés sur une réserve. En vertu de cette disposition, les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve sont exemptés de taxation. Il est incontesté que, pour l'application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le revenu d'intérêt en l'espèce est un bien meuble appartenant aux appelants. Dans l'arrêt Williams c. Canada, la Cour suprême du Canada (C.S.C.) a déclaré que les principes applicables dans la détermination du situs d'un bien aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens doivent reposer sur l'objet visé par l'exonération d'impôt qu'il prévoit. Après avoir expliqué l'objet visé par les exemptions prévues dans la Loi sur les Indiens, la C.S.C. a défini le critère des «facteurs de rattachement» pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants: l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Dans l'arrêt Recalma c. Canada, la Cour d'appel fédérale a appliqué le critère des facteurs de rattachement afin de déterminer si l'article 87 exonérait d'impôt certains revenus de placement. Dans cette affaire, le seul lien entre la réserve et les placements était que la banque qui offrait les placements, le faisait par l'entremise d'une succursale située sur la réserve. Ce lien n'était pas assez étroit pour supplanter cet autre lien qui existait entre le titre de placement et son fondement économique qui se trouvait en dehors de la réserve. En l'espèce, la source des revenus d'intérêt tirés par les appelants se trouve dans le marché commercial dans lequel la Banque Royale exerce ses activités et non pas sur une réserve. Il s'ensuit que, aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le revenu de placement en litige n'était pas situé sur une réserve, à moins que la Loi sur les banques ne prévoit un résultat contraire. Le fait que, dans le cas de M. Frazer, la source des fonds utilisés pour acquérir les titres de placement était l'entreprise que celui-ci exploitait sur la réserve est un lien relativement peu étroit avec la réserve. De plus, il n'est pas anormal de déterminer le situs d'un revenu sur un titre de créance en se reportant au lieu des activités du débiteur plutôt qu'au lieu des activités du créancier. Le critère des facteurs de rattachement de l'arrêt Williams exige la prise en compte de l'ensemble des caractéristiques du bien en litige. Lorsque le bien est l'intérêt sur une dette, il est important d'analyser les caractéristiques économiques du débiteur. Les appels ne peuvent être accueillis sur la base du critère des facteurs de rattachement.

Le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques prévoit que la dette de la banque résultant du dépôt effectué à un compte de dépôt est réputée avoir été contractée au lieu où est situé la succursale de tenue du compte. La Loi sur les banques ne définit pas les expressions «dépôt» ou «compte de dépôt». Selon un auteur, un dépôt est un contrat par lequel un client prête de l'argent à une banque. Selon cette définition, le compte d'épargne de M. Frazer et les titres de placement à terme de Mme Sero et de M. Frazer sont des «dépôts». Chacun de ces comptes est un «compte de dépôt» dans le sens où cette expression est utilisée au paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques. L'assertion de la Couronne selon laquelle un «compte de dépôt» ne peut avoir une échéance déterminée n'est pas compatible avec le Règlement sur la communication de l'intérêt (banques). Le sens de l'expression «compte de dépôt» découle du contexte dans lequel elle est utilisée dans les dispositions de la Loi sur les banques. Un examen rapide de ces dispositions donne à penser que l'expression «compte de dépôt» est utilisée pour décrire le dossier qu'une banque conserve pour suivre le solde impayé de sa dette envers un client donné. Selon les appelants, le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques a pour effet juridique d'écarter le critère des facteurs de rattachement de telle sorte que le compte d'épargne et les titres de placement à terme sont situés sur la réserve des Six-nations. L'argument des appelants s'articule d'abord autour du mot «réputée» et ensuite sur les mots «for all purposes» qui figurent au paragraphe 461(4). Dans l'arrêt R. c. Verrette, la Cour suprême du Canada a interprété les dispositions législatives déterminatives et a souligné qu'une disposition déterminative crée une fiction et que la fiction légale découlant d'une règle déterminative ne s'applique généralement qu'aux fins de la loi qui la crée. L'objet du paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques est d'empêcher tout débat selon lequel le situs de la dette d'une banque découlant d'un dépôt est situé ailleurs qu'à la succursale de tenue du compte. Toutefois, il n'y a aucun motif de conclure que le législateur entendait, lorsqu'il a adopté le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques, empêcher tout débat concernant le critère des facteurs de rattachement de l'arrêt Williams dans une affaire dans laquelle une décision doit être prise quant à savoir si l'exonération d'impôt prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens s'applique à l'intérêt versé par une banque sur un dépôt. Pour le même motif que le critère des facteurs de rattachement remplace les principes du droit international privé aux fins de la détermination faite en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, ce critère doit l'emporter sur la règle déterminative prévue au paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques. Enfin, l'expression «for all purposes» qui figure dans la version anglaise du paragraphe 461(4) n'ajoute rien à la portée de la règle déterminative. Ces mots n'ont pas leur équivalent dans la version française. Le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques ne l'emporte pas sur le critère des facteurs de rattachement de telle sorte que l'on ne peut s'empêcher de conclure que le revenu d'intérêt en litige dans la présente affaire est «situé sur une réserve» aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens.

lois et règlements

Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1.

Loi sur la Société d'assurance-dépôts du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-3.

Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, art. 413.1(1)a) (édicté par L.C. 1997, ch. 15, art. 43; 2001, ch. 9, art. 103), 439.1 (édicté, idem, art. 113), 445 (mod. par L.C. 1997, ch. 15, art. 48; 2001, ch. 9, art. 116), 446, 447, 448 (mod., idem, art. 117), 448.1 (édicté, idem), 448.2 (édicté, idem), 458.1 (édicté, idem, art. 123), 459.2 (édicté, idem, art. 125), 461(4), 462 (mod., idem, art. 126).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 2(1) «Indien», 87, 89(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 12), 90(1).

Règlement sur la communication de l'intérêt (banques), DORS/92-321, art. 2 «compte de dépôt», 5.

jurisprudence

décision suivie:

R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; (1978), 85 D.L.R. (3d) 1; 40 C.C.C. (2d) 273; 3 C.R. (3d) 132; 21 N.R. 571.

décisions appliquées:

Recalma c. Canada (1998), 158 D.L.R. (4th) 59; [1998] 3 C.N.L.R. 279; [1998] 2 C.T.C. 403; 98 DTC 6238; 232 N.R. 7 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [1998] 3 R.C.S. vii; Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877; (1992), 90 D.L.R. (4th) 129; 41; C.C.E.L. 1; [1992] 3 C.N.L.R. 181; [1992] 1 C.T.C. 225; 92 DTC 6320; 136 N.R. 161; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85; (1990), 71 D.L.R. (4th) 193; [1990] 5 W.W.R. 97; 67 Man. R. (2d) 81; [1990] 3 C.N.L.R. 46; 110 N.R. 241; 3 T.C.T. 5219; Schreiber c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 269; (2002), 216 D.L.R. (4th) 513; 167 C.C.C. (3d) 51; 22 C.P.C. (5th) 207; 292 N.R. 250; 164 O.A.C. 354.

décision examinée:

Lewin c. Canada, [2003] 3 C.T.C. 151; 2002 DTC 7582 (fr.); 2003 DTC 5476 (ang.) (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2003]1 R.C.S. xiii.

décisions citées:

Canadian Imperial Bank of Commerce v. E. & S. Liquidators Ltd., [1995] 1 C.N.L.R. 23; (1994), 34 C.P.C. (3d) 338 (C.S.C.-B.); Gifford v. Lax Kw'Alaams Indian Band (2000), 72 B.C.L.R. (3d) 363; [2000] 2 C.N.L.R. 30 (C.S.); autorisation d'interjeter appel à la C.A.C.-B. accordée: 2000 BCCA 280; [2000] B.C.J. no 883 (QL); Houston v. Standingready, [1991] 1 W.W.R. 744; 88 Sask. R. 316; [1991] 2 C.N.L.R. 65 (C.A. Sask.); Alberta (Workers' Compensation Board) v. Enoch Indian Band (1993), 141 A.R. 204; 106 D.L.R. (4th) 279; [1993] 8 W.W.R. 77; 11 Alta. L.R. (3d) 305; [1994] 2 C.N.L.R. 3; 20 C.P.C. (3d) 192 (C.A.); Webtech Controls Inc. v. Cross Lake Band of Indians, [1991] 3 C.N.L.R. 182 (B.R. Man.).

doctrine

Biberdorf, Donald K. «Aboriginal Income and the Economic Mainstream» dans Report of Proceedings of the Forty-Ninth Tax Conference, 1997 Conference Report. Toronto: Association canadienne d'études fiscales, 1998.

Crawford and Falconbridge, Banking and Bills of Exchange: a Treatise on the Law of Banks, Banking, Bills of Exchange and the Payment System in Canada, 8th ed. par Bradley Crawford. Toronto: Canada Law Book, 1986.

Maclagan, Bill. «Section 87 of the Indian Act: Recent Developments in the Taxation of Investment Income» (2000), 48 Rev. fiscale can. 1503.

Marshall, Murray. «Business and Investment Income and Section 87 of the Indian Act: Recalma v. Canada» (1998), 77 R. du B. can. 528.

McDonnell, Thomas E. «Taxation of an Indian's Investment Income» (2001), 49 Rev. fiscale can. 954.

O'Brien, Martha. «Income Tax, Investment Income and the Indian Act: Getting Back on Track» (2002), 50 Rev. fiscale can. 1570.

APPELS d'une décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt (Sero c. Canada, [2001] 4 C.N.L.R. 307; [2001] 3 C.T.C. 2224; 2001 DTC 575) selon laquelle le revenu d'intérêt gagné par les appelants sur un montant d'argent placé auprès d'une succursale de la Banque Royale du Canada située dans la réserve des Six-nations à Ohsweken (Ontario) n'était pas exonéré d'impôt par l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Appels rejetés.

ont comparu:

Richard B. Thomas et Laura J. Stoddard pour les appelants.

Wendy M. Yoshida et Tom Torrie pour l'intimée.

avocats inscrits au dossier:

McMillan Binch LLP, Toronto, pour les appelants.

Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]La juge Sharlow, J.C.A.: Les appelants Audrey J. Sero et Cyril Frazer, qui sont des «Indiens» au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 [art. 2(1)], ont reçu des intérêts sur un montant d'argent placé auprès d'une succursale de la Banque Royale du Canada qui se trouve à l'Iroquois Village Plaza d'Ohsweken (Ontario), dans la réserve des Six-nations. Ils se sont vu imposés sur ce revenu d'intérêt en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1. Ils ont interjeté appel à l'encontre de leurs cotisations à la Cour canadienne de l'impôt pour le motif que les intérêts étaient exonérés d'impôt en vertu de l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens. Leurs appels ont été rejetés: voir Sero c. Canada, [2001] 4 C.N.L.R. 307 (C.C.I.). Mme Sero et M. Frazer interjettent maintenant appel à la Cour.

L'article 87 de la Loi sur les Indiens

[2]Le fondement législatif de l'exonération d'impôt demandée par les appelants, l'alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, fait partie d'un cadre législatif relatif à la protection de certains biens appartenant à un Indien ou à une bande indienne, s'ils sont situés sur une réserve. Les parties de ce cadre législatif qui sont les plus pertinentes en l'espèce sont ainsi libellées [art. 89(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 17, art. 12)]:

87. (1) Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation:

a) le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b) les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

(2) Nul Indien ou bande n'est assujetti à une taxation concernant la propriété, l'occupation, la possession ou l'usage d'un bien mentionné aux alinéas (1)a) ou b) ni autrement soumis à une taxation quant à l'un de ces biens.

[. . .]

89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve ne peuvent pas faire l'objet d'un privilège, d'un nantissement, d'une hypothèque, d'une opposition, d'une réquisition, d'une saisie ou d'une exécution en faveur ou à la demande d'une personne autre qu'un Indien ou une bande.

[. . .]

property that was

90. (1) Pour l'application des articles 87 et 89, les biens meubles qui ont été:

a) soit achetés par Sa Majesté avec l'argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l'usage et au profit d'Indiens ou de bandes;

b) soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

La question en litige

[3]Il est incontesté que, pour l'application de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le revenu d'intérêt en l'espèce est un bien meuble appartenant aux appelants. La seule question en litige est de savoir si ce bien est «situé sur une réserve». Le principal argument invoqué par Mme Sero et M. Frazer est que, en vertu du paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46, le revenu d'intérêt est réputé être situé à la succursale d'Ohsweken qui se trouve sur la réserve.

Les faits

[4]Mme Sero vit à Etobicoke depuis 1977. Avant sa retraite, elle travaillait comme bibliotechnicienne au conseil scolaire de la ville de York. Elle n'a jamais résidé, ni travaillé sur une réserve.

[5]Le revenu d'intérêt en litige dans l'appel de Mme Sero s'élève environ à 13 000 $ et il a été généré par neuf titres de placement à terme qu'elle avait acquis à la succursale de la Banque Royale d'Ohsweken. Chaque titre de placement à terme était régi par un contrat appelé «convention de compte de dépôt à terme» et était confirmé par un «reçu de dépôt à terme». Aucune des sommes que Mme Sero a investies dans les titres de placement à terme n'a été gagnée sur une réserve.

[6]Cyril Frazer est né dans la réserve des Six-nations en 1932 et y a résidé jusqu'à l'âge de 17 ans. Avant de prendre sa retraite en 1985, il travaillait à Simcoe (Ontario), non pas dans une réserve, comme surveillant de travaux de construction. Entre 1949 et 1985, il n'a pas habité sur une réserve d'une manière continue ou pendant une longue période de temps. Depuis 1985, M. Frazer habite sur la réserve des Six-nations et y exploite une entreprise de blanchissage qui lui rapporte un revenu d'environ 80 000 $ par année, déduction faite des frais. On a dit à la Cour que le revenu de l'entreprise de blanchissage était exonéré d'impôt.

[7]M. Frazer et son épouse détenaient un compte d'épargne conjoint à la succursale d'Ohsweken de la Banque Royale. M. Frazer pouvait avoir accès à ce compte grâce aux guichets automatiques bancaires ou aux terminaux de point de vente. Entre 1993 et 1996, M. Frazer a également investi des sommes d'argent dans des dépôts à terme à la même succursale en utilisant des fonds provenant de son entreprise de blanchissage. Chaque titre de placement à terme était régi par un contrat confirmé par une «convention de compte de dépôt à terme» et un «certificat de placement à terme». En 1996, M. Fraser a reçu des intérêts de son compte d'épargne pour une somme d'environ 200 $ et de ses titres de placement à terme pour une somme d'environ 10  000 $. L'ensemble de ces montants d'intérêt est en litige en l'espèce.

[8]La Banque Royale est une «banque figurant à l'annexe I» au sens de la Loi sur les banques. En l'an 2000, elle exploitait au Canada environ 1 300 succursales et autres éléments (comme des comptoirs de service dans des magasins) ainsi qu'environ 4 500 guichets automatiques. En 1999, le nombre de succursales et autres éléments s'élevait à 1 400. À l'extérieur du Canada, la Banque Royale possède 300 bureaux dans plus de 30 pays. Environ 30 p. 100 de ses revenus nets proviennent de l'extérieur du Canada. De toutes les activités génératrices de revenus de la Banque Royale, un très faible pourcentage provient de réserves et seul un très faible pourcentage de ses actifs est situé sur des réserves. Ni le siège social, ni le conseil d'administration de la Banque Royale ne sont situés sur une réserve. Les réunions des administrateurs ne se tiennent pas sur une réserve et le contrôle et la gestion de la Banque Royale ne s'effectuent pas sur une réserve.

[9]La Banque Royale exploite six succursales sur des réserves au Canada. L'une d'elles est la succursale d'Ohsweken qui se situe à l'Iroquois Village Plaza d'Ohsweken (Ontario), sur un terrain loué. La succursale d'Ohsweken a ouvert ses portes le 2 décembre 1991. En 1991 ou 1992, la Banque Royale a vendu des «titres de placement à terme Premières nations» à sa succursale d'Ohsweken. Il était possible de se procurer des titres de placement à terme comportant exactement les mêmes modalités à toutes les succursales de la Banque Royale, mais, dans celles-ci, ils n'étaient pas appelés titres de placement à terme Premières nations. Ces titres de placement à terme offraient des taux d'intérêt comparables aux taux d'intérêt offerts sur des certificats de placement garantis. Ils étaient remboursables avant l'échéance. Un certain nombre des titres de placement à terme de Mme Sero et de M. Frazer peuvent avoir été des titres de placement à terme Premières nations, mais ni eux, ni la Banque Royale ne peuvent déterminer lesquels étaient de tels titres.

[10]Les modalités des titres de placement à terme Premières nations, notamment les taux d'intérêt, ont été conçues par des membres du personnel du siège social de la Banque Royale. Ceux-ci ont également conçu le matériel de promotion ainsi que les documents bancaires pertinents et ont autorisé la vente de ces titres de placement aux clients. Les membres du personnel du siège social n'approuvaient pas chaque vente de titres de placement à terme. N'importe quel client de la Banque Royale, indien ou non, pouvait acheter un titre de placement à terme Premières nations à la succursale d'Ohsweken.

[11]La succursale d'Ohsweken conserve des registres pour le compte d'épargne de M. Frazer et pour chacun des titres de placement à terme acquis par Mme Sero et M. Frazer à cette succursale. La Banque Royale verse des intérêts dans le compte d'épargne de M. Frazer en créditant le montant des intérêts à son compte d'épargne. De même, la Banque Royale verse des intérêts sur chacun des titres de placement à terme et crédite le montant de ces intérêts au compte d'épargne pour chacun d'eux.

[12]Il est impossible pour la Banque Royale ou la succursale d'Ohsweken de retracer l'utilisation que la Banque Royale a faite des fonds qu'elle a reçus de Mme Sero ou de M. Frazer. Ces fonds ont été amalgamés à l'ensemble des fonds de la Banque Royale dont celle-ci se sert à sa discrétion pour gagner ses revenus.

L'arrêt Williams c. Canada et le critère des facteurs de rattachement

[13]Selon l'arrêt Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, les principes applicables dans la détermination du situs d'un bien aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens doivent reposer sur l'objet visé par l'exonération d'impôt qu'il prévoit. Avant 1992, ces déterminations étaient fondées sur les principes du droit international privé. Après l'arrêt Williams, ces principes ne peuvent plus être utilisés à cette fin.

[14]L'objet visé par l'exonération d'impôt prévue dans la Loi sur les Indiens a été expliqué de la manière suivante par le juge La Forest dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, aux pages 130 et 131:

Historiquement, les exemptions de taxe et de saisie ont protégé de deux façons la capacité des Indiens de profiter de cette propriété. Premièrement, elles empêchent qu'un palier de gouvernement, par l'imposition de taxes, puisse porter atteinte à l'intégrité des bénéfices accordés par le palier de gouvernement responsable du contrôle des affaires indiennes. Deuxièmement, la protection contre les saisies assure que l'exécution de jugements obtenus par des non-Indiens en matière civile ne pourra entraver les Indiens dans la libre jouissance des avantages qu'ils ont acquis ou pourront acquérir conformément à l'exécution par la Couronne de ses obligations prévues par traité. Dans les faits, ces articles ont protégé les Indiens contre l'imposition d'obligations de nature civile qui pouvaient conduire, quoique indirectement, à l'aliénation de leurs terres à la suite de ventes forcées et par d'autres moyens semblables [. . .]

En résumé, le dossier historique indique clairement que les art. 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, auxquels s'applique la présomption de l'art. 90, font partie d'un ensemble législatif qui fait état d'une obligation envers les peuples autochtones, dont la Couronne a reconnu l'existence tout au moins depuis la signature de la Proclamation royale de 1763. Depuis ce temps, la Couronne a toujours reconnu qu'elle est tenue par l'honneur de protéger les Indiens de tous les efforts entrepris par des non-Indiens pour les déposséder des biens qu'ils possèdent en tant qu'Indiens, c'est-à-dire leur territoire et les chatels qui y sont situés.

Il est également important de souligner la conséquence de la conclusion que je viens de tirer. Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

[15]C'est sur ce fondement que le juge Gonthier dans l'arrêt Williams a défini ce que l'on appelle maintenant le critère des «facteurs de rattachement», qu'il a décrit de la manière suivante dans le contexte des biens personnels immatériels (aux pages 899 et 900):

Pour déterminer le situs d'un bien personnel incorporel, un tribunal doit évaluer divers facteurs de rattachement qui relient le bien à un endroit ou à l'autre. Dans le contexte de l'exemption fiscale prévue dans la Loi sur les Indiens, il y a trois facteurs importants: l'objet de l'exemption, la nature du bien en question et l'incidence fiscale sur ce bien. Compte tenu de l'objet de l'exemption, il s'agit, en fin de compte, de déterminer dans quelle mesure chaque facteur est pertinent pour décider si le fait d'imposer d'une certaine manière ce type de bien particulier porterait atteinte au droit d'un Indien à titre d'Indien de détenir des biens personnels sur la réserve.

Recalma c. Canada (1998, C.A.F.)

[16]Dans l'arrêt Recalma c. Canada (1998), 158 D.L.R. (4th) 59 (C.A.F.) la Cour a appliqué le critère des facteurs de rattachement afin de déterminer si l'article 87 exonérait d'impôt certains revenus de placement. Il est maintenant l'arrêt de principe sur cette question. L'arrêt Recalma a été suivi récemment dans l'arrêt Lewin c. Canada, [2003] 3 C.T.C. 151 (C.A.F.). La Cour suprême du Canada a refusé l'autorisation de pourvoi dans les deux cas: Recalma c. Canada, [1998] 3 R.C.S. vii; Lewin c. Canada, [2003] 1 R.C.S.xiii.

[17]Le revenu de placement dans l'arrêt Recalma provenait de titres d'un fonds commun de placement et d'acceptations bancaires achetés par des Indiens à une succursale d'une banque canadienne située sur une réserve. La partie essentielle du raisonnement dans cette affaire figure au paragraphe 11 et se lit comme suit:

[. . .] lorsqu'un revenu de placement est en cause, ce revenu doit être considéré en fonction de son lien avec la réserve, de son effet bénéfique sur le mode de vie traditionnel des autochtones, du risque potentiel d'une atteinte aux biens des autochtones et de la mesure dans laquelle il peut être considéré comme provenant d'une activité du marché ordinaire. À notre avis, le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à la façon dont le revenu de placement a été produit, comme les tribunaux l'on fait dans les cas mettant en cause un emploi, des prestations d'assurance- chômage et un revenu d'entreprise. Étant un revenu passif, le revenu de placement n'est pas produit par le travail individuel du contribuable. D'une certaine façon, le travail est accompli par l'argent qui est investi partout dans le pays. Le juge de la Cour de l'impôt a à bon droit accordé beaucoup d'importance à des facteurs comme la résidence de l'émetteur des titres, l'endroit où sont exercées les activités génératrices du revenu de l'émetteur, et l'endroit où se trouvent les biens de l'émetteur des titres. Le courtier de ces titres, la succursale locale de la Banque de Montréal, était situé sur la réserve, mais pas les émetteurs des titres; les sociétés qui offraient les acceptations bancaires et les gestionnaires des fonds communs de placement en cause n'avaient aucun lien avec la réserve. Ils se trouvaient dans les sièges sociaux des sociétés dans des villes bien éloignées des réserves. De même, l'activité principale qui génère le revenu des émetteurs est située dans les villes du Canada et partout dans le monde, et non pas dans les réserves. En outre, les biens des émetteurs des titres en question se trouvaient principalement en dehors des réserves ce qui, en cas de défaillance, serait un facteur des plus importants.

[18]Dans l'arrêt Recalma, le seul lien entre la réserve et les placements était que la banque qui offrait les placements, le faisait par l'entremise d'une succursale située sur la réserve. Ce lien n'était pas assez étroit pour supplanter cet autre lien qui existait entre le titre de placement et son fondement économique qui se trouvait en dehors de la réserve.

[19]Le revenu de placement en litige dans l'arrêt Lewin provenait de certificats de placement détenus par un Indien, lesquels certificats avaient été émis par une Caisse populaire située sur une réserve. Par conséquent, les titres de placement dans cette affaire tiraient leur valeur des actifs de la Caisse populaire elle-même et non pas, comme dans l'arrêt Recalma, des actifs de sociétés tierces. Les Indiens résidant sur la réserve sont devenus membres de la Caisse populaire et ont déposé des sommes d'argent auprès de celle-ci. La Caisse populaire à son tour consentait certains prêts à ces membres, surtout des prêts hypothécaires. Toutefois, les besoins d'emprunt des habitants de la réserve n'étaient pas assez importants pour soutenir les activités de la Caisse populaire. En conséquence, la Caisse populaire dirigeait principalement ses capitaux vers les marchés de capitaux traditionnels à l'extérieur de la réserve.

[20]Il a été allégué dans l'arrêt Lewin que le fait que la Caisse populaire était située sur une réserve, conjugué au fait que les titres de placement en litige étaient des contrats de prêt émis par la Caisse populaire elle-même plutôt que par des sociétés tierces, créait un lien suffisamment étroit avec la réserve pour que l'on puisse faire une distinction entre l'arrêt Lewin et l'arrêt Recalma. Toutefois, la Cour a conclu qu'il n'y avait aucune raison de faire une distinction entre ces deux affaires.

[21]Lorsque Mme Sero et M. Frazer ont prêté leur argent à la Banque Royale, ils ont obtenu le droit de recevoir des intérêts selon les modalités qui leur ont été offertes par la Banque Royale à ce moment-là, lesquelles modalités étaient essentiellement les mêmes que celles offertes par la Banque Royale à l'ensemble de ses clients au Canada.

[22]La Banque Royale exerce ses activités sur le «marché commercial» pour reprendre l'expression retenue dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis. La source des revenus d'intérêt tirés par Mme Sero et M. Frazer se trouve dans ce marché commercial et non pas sur une réserve. Je ne vois aucune raison d'établir une distinction factuelle entre ces affaires et les arrêts Recalma et Lewin. Il s'ensuit que, aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le revenu de placement en litige n'est pas situé sur une réserve, à moins que la Loi sur les banques ne prévoit un résultat contraire (les arguments fondés sur la Loi sur les banques sont examinés sous la rubrique suivante).

[23]En concluant que les présents appels doivent être décidés de la même manière que dans l'arrêt Recalma, je n'ai pas omis de tenir compte du fait que, dans le cas de M. Frazer, la source des fonds utilisés pour acquérir les titres de placement était l'entreprise que celui-ci exploitait sur la réserve. Il s'agit d'un lien avec la réserve mais, selon moi, d'un lien relativement peu étroit. Cela ne change rien au fait que dès que M. Frazer a eu placé ses fonds à la Banque Royale, ses placements sont devenus une source de revenu qui n'était pas plus rattachée à la réserve que le titre de placement de Mme Sero.

[24]Je n'ai pas non plus manqué de tenir compte des critiques portant sur l'arrêt Recalma qui ont été publiées: voir, par exemple, Donald K. Biberdorf, «Aboriginal Income and the Economic Mainstream» dans Report of Proceedings of the Forty-Ninth Tax Conference, 1997 Conference Report (Toronto: Association canadienne d'études fiscales, 1998), à la page 25:1-23; Murray Marshall, «Business and Investment Income and Section 87 of the Indian Act: Recalma v. Canada» (1998), 77 R. du B. can. 528; Bill Maclagan, «Section 87 of the Indian Act: Recent Developments in the Taxation of Investment Income» (2000), 48 Rev. fiscale can. 1503; Thomas E. McDonnell, «Taxation of an Indian's Investment Income» (2001), 49 Rev. fiscale can. 954; Martha O'Brien, «Income Tax, Investment Income, and the Indian Act: Getting Back on Track» (2002), 50 Rev. fiscale can. 1570.

[25]Il semble que certaines de ces critiques portant sur l'arrêt Recalma puissent avoir un certain fondement. Par exemple, il ne me semble pas clair que, lorsque l'on détermine le situs d'un revenu de placement aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, il soit pertinent d'examiner dans quelle mesure le revenu de placement est bénéfique pour le «mode traditionnel de vie des Indiens». Ce critère m'apparaît difficile d'application car il est permis de croire que le «mode traditionnel de vie des Indiens» a peu ou rien à voir avec les réserves. Toutefois, il n'est pas nécessaire d'exprimer une opinion sur ce point parce que cela importe peu dans les présents appels.

[26]La principale critique portant sur l'arrêt Recalma est qu'il est anormal de déterminer le situs d'un revenu sur un titre de créance en se reportant au lieu des activités du débiteur plutôt qu'au lieu des activités du créancier. Je ne vois rien d'anormal dans cette approche. Le critère des facteurs de rattachement de l'arrêt Williams exige la prise en compte de l'ensemble des caractéristiques du bien en litige. Il me semble que lorsque le bien est l'intérêt sur une dette, il est important d'analyser les caractéristiques économiques du débiteur.

[27]Certains critiques soulignent également que l'arrêt Recalma a comme conséquence d'empêcher un Indien de tirer un revenu de placement exonéré d'impôt, sauf peut-être s'il investit dans une entreprise financière ou dans une autre entreprise dont les actifs sont situés ou sont principalement situés sur une réserve. Cette critique est fondée sur la prémisse que l'article 87 a pour objet de permettre à un Indien de tirer un revenu exonéré d'impôt d'un placement tant qu'il est acquis par l'entremise d'une institution financière qui possède une succursale sur la réserve. Voilà la prémisse qui a été jugée mal fondé dans l'arrêt Recalma.

[28]Je souligne enfin que la jurisprudence qui étaye la proposition selon laquelle l'article 89 exempterait de saisie une somme due par une banque à un Indien si la dette a été contractée dans une succursale de la banque située sur la réserve. Il y a au moins deux affaires dans lesquelles une ordonnance de saisie d'un tel compte de banque a été annulée en vertu de l'article 89: Canadian Imperial Bank of Commerce v. E. & S. Liquidators Ltd., [1995] 1 C.N.L.R. 23 (C.S.C.-B.); Gifford v. Lax Kw' Alaams Indian Band (2000), 72 B.C.L.R. (3d) 363 (C.S.), autorisation d'interjeter appel à la Cour d'appel de la Colombie-Britannique accordée: 2000 BCCA 280; [2000] B.C.J. no 883 (QL). D'autres affaires comportent une brève analyse qui pourrait étayer la proposition selon laquelle l'article 89 de la Loi sur les Indiens exempte de saisie un compte de banque détenu sur une réserve par un Indien ou une bande indienne, bien que dans ces affaires la saisie n'ait pas été annulée ou qu'elle ait été annulée pour des motifs autres que l'article 89: Houston v. Standingready, [1991] 1 W.W.R. 744 (C.A. Sask.); Alberta (Workers' Compensation Board) v. Enoch Indian Band (1993), 141 A.R. 204 (C.A.); Webtech Controls Inc. v. Cross Lake Band of Indians, [1991] 3 C.N.L.R. 182 (B.R. Man.). On peut prétendre que, parce que l'exemption de saisie figurant à l'article 89 de la Loi sur les Indiens est formulée dans des termes semblables à ceux utilisés à l'article 87 quant à l'exemption de taxe, la portée des deux exemptions devraient être la même. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de concilier les incohérences qui peuvent exister entre l'une ou l'autre de ces affaires et l'arrêt Recalma. Elles ont toutes été décidées avant l'arrêt Recalma, sauf Gifford v. Lax Kw' Alaams Indian Band, dans laquelle on ne fait aucune mention de l'arrêt Recalma.

L'article 461 de la Loi sur les banques

[29]Après avoir conclu, me fondant sur l'arrêt Recalma, que les appels interjetés par Mme Sero et M. Frazer ne peuvent être accueillis sur la base du critère des facteurs de rattachement, j'examinerai maintenant leur principal argument selon lequel le situs de leurs titres de placement bancaire est réputé, par le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques, être la succursale d'Ohsweken, et, pour ce seul motif, leur revenu tiré de ces titres de placement devrait être considéré comme étant visé par l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques est ainsi libellé:

461. [. . .]

(4) La dette de la banque résultant du dépôt effectué à un compte de dépôt est réputée avoir été contractée au lieu où est situé la succursale de tenue du compte.

[30]La Couronne prétend que le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques ne s'applique pas en l'espèce parce que le paragraphe 461(4) n'est qu'une codification d'un principe de droit international privé. Comme il a été décidé dans l'arrêt Williams que ces principes ne s'appliquent pas à la détermination du situs d'un bien aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le paragraphe 461(4) ne doit pas non plus s'appliquer. La Couronne prétend également que les titres de placement à terme en l'espèce ne sont pas des «comptes de dépôt», que le paragraphe 461(4) n'est pertinent que pour des questions de pratique bancaire et que le paragraphe 461(4) peut au plus déterminer le situs d'une dette d'une banque et non pas le situs du revenu d'intérêt tiré de cette dette.

[31]Je commencerai par tenter de préciser le sens de l'expression «compte de dépôt», mais je dois d'abord comprendre la signification du mot «dépôt». La Loi sur les banques ne définit aucun de ces mots.

[32]J'accepte la définition suivante du mot «dépôt» tirée de l'ouvrage de Bradley Crawford intitulé Crawford and Falconbridge, Banking and Bills of Exchange: a Treatise on the Law of Banks, Banking, Bills of Exchange and the Payment System in Canada, 8e ed. (Toronto: Canada Law Book, 1986), page 747 (§3301.1):

[traduction] Le mot «dépôt» paraît plus simple qu'il ne l'est en réalité. Le premier sens que lui donne le dictionnaire est «action de placer quelque chose dans un lieu sûr, de confier quelque chose à la garde de quelqu'un». L'application de cette définition aux opérations bancaires reflète probablement les origines historiques des banques modernes aux fonctions de dépôt des orfèvres. Un sens plus technique découle d'un examen de la nature contractuelle du lien créé par l'activité bancaire, laquelle a été décrite dans la jurisprudence comme un lien débiteur-créancier (voir §3202). Dans ce sens, un dépôt est un contrat par lequel un client prête de l'argent à une banque. Les modalités de ce contrat peuvent varier au gré de l'ingéniosité des banquiers et des clients. [Non souligné dans l'original].

[33]Selon cette définition, le compte d'épargne de M. Frazer et les titres de placement à terme de Mme Sero et de M. Frazer sont des «dépôts». La Couronne ne conteste pas cette conclusion mais prétend qu'un «compte de dépôt» est une sorte de dépôt caractérisé par son échéance indéterminée et par le droit du client d'augmenter le solde à l'occasion en ajoutant des montants d'argent ou de diminuer le solde en effectuant des retraits. Selon l'argument de la Couronne, les titres de placement à terme de Mme Sero et de M. Frazer ne sont pas des «comptes de dépôt» parce que leur échéance est déterminée et qu'ils sont émis pour des montants déterminés (bien qu'il soit permis de faire des retraits avant l'échéance). La Couronne ne prétend pas que le compte d'épargne de M. Frazer n'est pas un «compte de dépôt».

[34]L'assertion de la Couronne selon laquelle un «compte de dépôt» ne peut avoir une échéance déterminée n'est pas compatible avec le Règlement sur la communication de l'intérêt (banques), DORS/92-321, (le Règlement) qui énumère les renseignements que les banques doivent fournir à leurs clients concernant le taux d'intérêt applicable aux «comptes de dépôt». L'article 2 du Règlement définit l'expression «compte de dépôt» aux fins du Règlement comme étant «un compte de dépôt portant intérêt». Cette définition ne nous est pas très utile. Toutefois, l'article 5 du Règlement donne à penser qu'un dépôt à terme peut être un «compte de dépôt». Il est ainsi libellé:

5. En cas de renouvellement par la banque d'un compte de dépôt à échéance fixe, celle-ci communique le taux d'intérêt et le mode de calcul de l'intérêt qui y sont applicables, de la manière prévue aux sous-alinéas 3(1)b)(i) or (ii).

[35]Je ne suis pas convaincue que la définition donnée par la Couronne de l'expression «compte de dépôt» soit bien fondée. Il me semble plus utile d'extraire le sens de l'expression «compte de dépôt» du contexte dans lequel elle est utilisée dans les dispositions de la Loi sur les banques. Un examen rapide de ces dispositions donne à penser que l'expression «compte de dépôt» est utilisée pour décrire le dossier qu'une banque conserve pour suivre le solde impayé de sa dette envers un client donné.

[36]C'est le sens où est employé l'expression «compte de dépôt», par exemple, à l'alinéa 413.1(1)a) [édicté par L.C. 1997, ch. 15, art. 43; 2001, ch. 9, art.103] de la Loi sur les banques. Une banque qui n'est pas une institution membre de la Loi sur la Société d'assurance-dépôts du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-3, ne peut accepter des dépôts au Canada à moins qu'elle ne reçoive une autorisation spéciale en vertu de cette Loi. L'alinéa 413.1(1)a) prévoit qu'une banque qui a reçu une telle autorisation spéciale doit, avant d'ouvrir un «compte de dépôt» au Canada, aviser la personne qui en fait la demande du fait que ses dépôts ne seront pas assurés par la Société d'assurance-dépôts du Canada. D'autres utilisations semblables de l'expression «compte de dépôt» figurent aux articles 439.1 [édicté par L.C. 2001, ch. 9, art. 113], 445 [mod. par L.C. 1997, ch. 15, art. 48; 2001, ch. 9, art. 116] à 448 [mod., idem. art. 117], 448.1 [édicté, idem], 448.2 [édicté, idem], 458.1 [édicté, idem, art. 123], 459.2 [édicté, idem, art. 125] et 462 [mod., idem, art. 126] de la Loi sur les banques.

[37]Le compte d'épargne de M. Frazer et les titres de placement à terme de Mme Sero et de M. Frazer, sont des «dépôts» tel qu'expliqué plus haut. Dans chaque cas, le solde courant est inscrit dans un compte distinct dans lequel la Banque Royale crédite l'intérêt au fur et à mesure qu'il est versé. Il me semble qu'il va de soi que chacun de ces comptes est un «compte de dépôt» dans le sens où cette expression est utilisée au paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques.

[38]Il s'ensuit que, dans la mesure où le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques s'applique, il s'applique à la dette de la Banque Royale envers M. Frazer et Mme Sero conformément aux modalités du compte d'épargne ainsi qu'aux modalités des titres de placement à terme en litige dans la présente affaire. Cela comprendrait la dette découlant de l'intérêt sur les titres de placement à terme qui est crédité à ces comptes.

[39]La question consiste alors à savoir si, comme le prétendent les appelants, le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques a pour effet juridique d'écarter le critère des facteurs de rattachement de telle sorte que le compte d'épargne et les titres de placement à terme sont situés sur la réserve des Six-nations. Il me semble que l'argument des appelants quant à la Loi sur les banques s'articule d'abord autour du mot «réputée» et ensuite sur les mots «for all purposes» qui figurent au paragraphe 461(4).

[40]L'arrêt R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, est l'arrêt de principe quant à l'interprétation des dispositions législatives déterminatives. Dans cette affaire, le juge Beetz, au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit aux pages 845 et 846:

Une disposition déterminative est une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu'une chose n'est pas ce qu'elle est censée être, mais décrète qu'à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu'elle n'est pas ou ne semble pas être. Par cet artifice, une disposition déterminative donne à un mot ou à une expression un sens autre que celui qu'on leur reconnaît habituellement et qu'il conserve là où on l'utilise; elle étend la portée de ce mot ou de cette expression comme le mot «comprend» dans certaines définitions; cependant, en toute logique, le verbe «comprend» n'est pas adéquat et sonne faux parce que la disposition crée une fiction. Ainsi, une personne peu vêtue n'est pas vraiment nue; mais si une disposition interdisant la nudité prévoit dans certaines conditions que cette personne est censée être nue, le mot «nu» conserve son sens habituel qui s'étend en même temps à quelque chose qui n'est pas la nudité. [Non souligné dans l'original.]

[41]Ce passage renferme deux notions qui me semblent importantes quant à l'interprétation du paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques. La première est qu'une disposition déterminative crée une fiction. La deuxième est que la fiction légale découlant d'une règle déterminative ne s'applique généralement qu'aux fins de la loi qui la crée. Il s'ensuit que l'objet du paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques est d'empêcher, du moins en autant que la banque est concernée, tout débat selon lequel le situs de la dette d'une banque découlant d'un dépôt est situé ailleurs qu'à l'endroit où est située la succursale de tenue du compte. Il s'ensuit également que, dans la mesure où un tel débat ferait normalement intervenir les principes du droit international privé, le paragraphe 461(4) l'emporte sur ces principes.

[42]Toutefois, il n'y a aucun motif de conclure que le législateur entendait, lorsqu'il a adopté le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques, empêcher tout débat concernant le critère des facteurs de rattachement de l'arrêt Williams dans une affaire dans laquelle une décision doit être prise quant à savoir si l'exonération d'impôt prévue à l'article 87 de la Loi sur les Indiens s'applique à l'intérêt versé par une banque sur un dépôt. Je suis d'accord avec la Couronne que, pour le même motif que le critère des facteurs de rattachement remplace les principes du droit international privé aux fins de la détermination faite en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, le critère des facteurs de rattachement doit l'emporter sur la règle déterminative prévue au paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques.

[43]Il ne reste qu'à examiner la question de savoir si l'expression «for all purposes» mentionnée au paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques étend la portée de la règle déterminative au-delà de la Loi sur les banques, de telle sorte qu'elle s'applique aux fins d'autres dispositions législatives, notamment l'article 87 de la Loi sur les Indiens. Je ne suis pas convaincue que l'expression «for all purposes» a cet effet, mais de toute manière, la force de cet argument est affaiblie par le fait que ces mots n'ont pas leur équivalent dans la version française. Les versions anglaise et française du paragraphe 461(4) sont répétées ici par souci de commodité.

461. [. . .]

(4) La dette de la banque résultant du dépôt effectué à un compte de dépôt est réputée avoir été contractée au lieu où est situé la succursale de tenue du compte.

[44]Une traduction directe de la version française se lirait comme suit:

Bank indebtedness resulting from a deposit made to a deposit account is deemed to have been contracted at the location of the branch where the account is maintained.

[45]Si l'expression «for all purposes» était interprétée de façon à étendre l'application de la règle déterminative prévue au paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques aux déterminations faites en vertu de l'article 87 de la Loi sur les Indiens, la version anglaise du paragraphe 461(4) aurait une portée plus large que la version française. Il ne peut en être ainsi. Selon moi, il s'agit d'un cas où il conviendrait d'appliquer le principe suivant tiré de l'arrêt Schreiber c. Canada (Attorney General), [2002] 3 R.C.S. 269 (le juge LeBel), paragraphe 56 (citations omises):

Selon un principe d'interprétation des lois bilingues, lorsqu'une version est ambiguë tandis que l'autre est claire et sans équivoque, il faut privilégier à priori le sens commun aux deux versions [. . .] De plus, lorsqu'une des deux versions possède un sens plus large que l'autre, le sens commun aux deux favorise le sens le plus restreint ou limité [. . .]

[46]L'application de cette règle mène à la conclusion que l'expression «for all purposes» qui figure dans la version anglaise du paragraphe 461(4) n'ajoute rien à la portée de la règle déterminative.

[47]Pour ces motifs, je ne puis souscrire à l'argument des appelants selon lequel le paragraphe 461(4) de la Loi sur les banques l'emporte sur le critère des facteurs de rattachement de telle sorte que l'on ne peut s'empêcher de conclure que le revenu d'intérêt en litige dans la présente affaire est «situé sur une réserve» aux fins de l'article 87 de la Loi sur les Indiens.

Conclusion

[48]Les présents appels sont rejetés avec dépens.

Le juge Stone, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

Le juge Rothstein, J.C.A.: Je souscris aux présents motifs.

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