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[2017] 1 R.C.F. 209

A-571-14

2016 CAF 99

McGillivray Restaurant Ltd. (appelant)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : McGillivray Restaurant Ltd. c. Canada

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Ryer et de Montigny, J.C.A.—Winnipeg, 3 mars; Ottawa, 30 mars 2016.

Impôt sur le revenu — Sociétés — Appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) a confirmé la décision du ministre du Revenu national de rejeter la demande de déductions présentée par l’appelante — Les déductions ont été refusées au motif que l’appelante était associée à au moins une société au sens de l’art. 256(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et n’avait pas signé de convention avec ces sociétés, comme le prévoit l’art. 125(3) — Il s’agissait de déterminer si l’appelante était associée à d’autres sociétés, sur le fondement que M. Gordon R. Howard, qui avait un contrôle de droit et de fait sur ces sociétés, avait également un contrôle de fait sur l’appelante au sens de l’art. 256(5.1) de la Loi — L’appelante a été constituée dans le but d’exploiter un nouveau restaurant acquis par les sociétés — M. Howard était un actionnaire minoritaire, unique administrateur et seul dirigeant de l’appelante — Aucune convention écrite entre les actionnaires n’a été conclue — La C.C.I. a statué que la décision rendue par la Cour dans Silicon Graphics Limited c. Canada avait établi une interprétation étroite de l’art. 256(5.1) — Elle a jugé que les décisions rendues dans Mimetix Pharmaceuticals Inc. c. Canada et Plomberie J.C. Langlois inc. c. Canada avaient élargi le critère relatif au contrôle de fait établi dans Silicon Graphics — Elle a donc conclu qu’elle devait prendre en considération les sources d’influence plus générales pour décider qui a en réalité un contrôle de fait sur l’appelante — Elle a conclu, entre autres, que M. Howard n’aurait pas pu avoir de contrôle effectif factuel sur l’appelante — Il s’agissait de déterminer si la C.C.I. a commis une erreur dans son interprétation des exigences relatives au contrôle de fait énoncées à l’art. 256(5.1) de la Loi, et si elle a commis une erreur en concluant que l’appelante était associée à des sociétés au sens de l’art. 256(1)b) de la Loi — La C.C.I. n’a pas appliqué le bon critère concernant le contrôle de fait — Rien dans 9044 2807 Québec Inc. c. Canada (C.A.F.), qui a confirmé le critère établi dans Silicon Graphics, ne laisse croire que la Cour avait l’intention de s’éloigner de la formulation du critère relatif au contrôle de fait établie dans Silicon Graphics — Le critère étroit établi dans Silicon Graphics n’a jamais été directement contesté dans Mimetix Pharmaceuticals et Plomberie J.C. Langlois — Dans la mesure où les décisions Mimetix Pharmaceuticals et Plomberie J.C. Langlois prescrivent un critère relatif au contrôle de fait qui est incompatible avec le critère établi dans Silicon Graphics, elles ne peuvent être suivies en l’espèce — Le critère relatif au contrôle de fait n’est pas fondé sur le « contrôle opérationnel » — L’art. 256(1)b) et l’art. 256(5.1) de la Loi portent précisément sur le contrôle d’une société et non sur le contrôle des affaires et des activités de celle-ci — La liste des facteurs qui peuvent être pris en considération lorsque l’on applique le critère établi dans Silicon Graphics n’est pas limitative — Cependant, un facteur qui n’inclut pas de droit et de capacité ayant force exécutoire de procéder à une modification du conseil d’administration ou d’influencer les actionnaires ne peut pas être pris en considération — Un facteur qui n’inclut pas une telle exigence va à l’encontre de la mise en garde de la Cour suprême du Canada selon laquelle les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu doivent être interprétées de manière à assurer l’uniformité, la prévisibilité et l’équité — Une interprétation de l’art. 256(5.1) qui englobe le contrôle « opérationnel » entraînerait une imprévisibilité — M. Howard n’a pas de contrôle de droit sur l’appelante — Néanmoins, le droit de M. Howard de choisir le conseil d’administration de l’appelante constitue une influence du genre de celle qu’envisage l’art. 256(5.1) — Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (C.C.I.) a confirmé la décision du ministre du Revenu national, par l’entremise de nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de l’appelante, de rejeter la demande de déductions de son impôt payable par ailleurs, présentée par l’appelante. Le ministre a refusé les déductions au motif que l’appelante était associée à au moins une société lors de chacune de ces années d’imposition, au sens du paragraphe 256(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et n’avait pas signé de convention avec ces sociétés, comme le prévoit le paragraphe 125(3).

Il s’agissait en l’espèce de déterminer si, durant les années visées par les nouvelles cotisations, l’appelante était associée à G.R.R. Holdings Ltd. (GRR) et MorCourt Properties Ltd. (MorCourt), sur le fondement qu’un particulier, M. Gordon R. Howard, qui avait un contrôle de droit et de fait sur GRR et MorCourt, avait également un contrôle de fait sur l’appelante au sens du paragraphe 256(5.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. M. Howard détenait toutes les actions émises de GRR et de Morcourt. MorCourt a été constituée en vue d’acquérir les restaurants et le terrain où ils étaient situés. L’appelante a été constituée en 2005 dans le but d’exploiter un nouveau restaurant, y compris la franchise permettant d’exploiter ce restaurant. L’épouse de M. Howard a reçu 760 actions ordinaires pour 76 $ à l’égard de l’organisation de l’appelante, et M. Howard, 240 actions ordinaires pour 24 $. M. Howard a été élu comme unique administrateur de l’appelante et seul dirigeant. Aucune convention écrite entre les actionnaires n’a été conclue. La C.C.I. a jugé qu’il existait deux interprétations opposées du paragraphe 256(5.1). Elle a statué que la décision rendue par la Cour dans Silicon Graphics Limited c. Canada avait établi une interprétation étroite du paragraphe 256(5.1) et qu’à l’inverse, les décisions rendues dans Mimetix Pharmaceuticals Inc. c. Canada et Plomberie J.C. Langlois inc. c. Canada avaient élargi le critère établi dans Silicon Graphics (c.-à-d. « que pour que l’on puisse conclure à un contrôle de fait, une personne ou un groupe de personnes doivent avoir le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d’administration ou des pouvoirs du conseil ou d’influencer d’une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d’administration »). La C.C.I. a donc conclu que le critère l’obligeait à aller au-delà du droit et de la capacité de modifier la composition ou les pouvoirs du conseil, et à prendre en considération les sources d’influence plus générales pour décider qui a en réalité un contrôle effectif sur les affaires et les destinées de la société en question. En appliquant ce critère élargi, la C.C.I. a jugé, entre autres, que M. Howard n’aurait pas pu avoir de contrôle effectif factuel sur la gestion et l’exploitation de l’appelante et de son entreprise.

Il s’agissait de déterminer si la C.C.I. a commis une erreur dans son interprétation des exigences relatives au contrôle de fait énoncées au paragraphe 256(5.1) de la Loi, et si elle a commis une erreur en concluant que l’appelante était associée à GRR et à MorCourt au sens de l’alinéa 256(1)b) de la Loi.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La C.C.I. n’a pas appliqué le bon critère concernant le contrôle de fait. Le critère établi dans Silicon Graphics a été confirmé dans 9044 2807 Québec Inc. c. Canada. Rien dans 9044 2807 Québec Inc. ne laisse croire que la Cour avait l’intention de s’éloigner de la formulation du critère relatif au contrôle de fait établie dans Silicon Graphics, et cette décision n’élargit ni ne modifie autrement le critère. Bien qu’il soit vrai qu’un critère élargi semble avoir été pris en considération dans Mimetix Pharmaceuticals et Plomberie J.C. Langlois, le critère établi dans le ratio decidendi de l’arrêt Silicon Graphics n’a jamais été directement contesté devant la Cour dans l’une ou l’autre des ces affaires. Dans la mesure où ces décisions peuvent être considérées comme ayant prescrit un critère relatif au contrôle de fait qui est incompatible avec le critère établi dans Silicon Graphics, elles ne peuvent être suivies. Le critère relatif au contrôle de fait n’est pas fondé sur le « contrôle opérationnel ». L’alinéa 256(1)b) et le paragraphe 256(5.1) de la Loi portent précisément sur le contrôle d’une société et non sur le contrôle des affaires et des activités de celle-ci. Le contrôle d’une société aux fins des dispositions relatives aux sociétés associées de la Loi n’a jamais été interprété de manière à signifier le contrôle par gestion, ou ce que l’on pourrait autrement appeler le contrôle opérationnel. La liste des facteurs qui peuvent être pris en considération lorsque l’on applique le critère établi dans Silicon Graphics n’est pas limitative. Cependant, un facteur qui n’inclut pas de droit et de capacité ayant force exécutoire de procéder à une modification du conseil d’administration ou de ses pouvoirs ou d’influencer les actionnaires qui ont ce droit et cette capacité ne peut pas être considéré comme ayant la possibilité d’établir un contrôle de fait. Une interprétation du contrôle de fait au sens du paragraphe 256(5.1) qui n’inclut pas une telle exigence va à l’encontre de la mise en garde de la Cour suprême du Canada dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, où la Cour a déclaré que « les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu doivent être interprétées de manière à assurer l’uniformité, la prévisibilité et l’équité requises pour que les contribuables puissent organiser intelligemment leurs affaires ». Une interprétation du paragraphe 256(5.1) qui englobe le contrôle « opérationnel » supposerait un degré de subjectivité dans l’analyse du contrôle de fait, ce qui entraînerait une imprévisibilité.

Les droits accordés à M. Howard par la convention non écrite conclue avec son épouse ne lui assuraient pas un contrôle de droit sur l’appelante, car il ne possédait pas une majorité de ses droits de vote et la convention n’était pas une convention unanime entre les actionnaires au sens des lois qui s’appliquent aux sociétés. Néanmoins, tant que cette convention n’était pas répudiée par Mme Howard, le droit de M. Howard de choisir le conseil d’administration de l’appelante constituait une influence du genre de celle qu’envisage le paragraphe 256(5.1), conformément à l’interprétation que la Cour a énoncée dans l’arrêt Silicon Graphics.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 125(1)a),(3),(7), 256.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions non suivies :

Mimetix Pharmaceuticals Inc. c. Canada, 2003 CAF 106; Plomberie J.C. Langlois inc. c. Canada, 2006 CAF 113; Lyrtech RD Inc. c. Canada, 2014 CAF 267.

décisions appliquées :

Silicon Graphics Limited c. Canada, 2002 CAF 260, [2003] 1 C.F. 447; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; 9044 2807 Québec Inc. c. Canada, 2004 CAF 23, sub nom. Transport M.L. Couture Inc. c. Canada; Buckerfield’s Ltd. et al. v. Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C. de l’É. 299, [1964] C.T.C. 504; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601.

décisions examinÉes :

Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795; Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370.

appel d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt (2014 CCI 357) a confirmé la décision du ministre du Revenu national, par l’entremise de nouvelles cotisations établies pour les années d’imposition 2007, 2008 et 2009 de l’appelante, de rejeter la demande de déductions de son impôt payable par ailleurs, présentée par l’appelante. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Thor J. Hansell pour l’appelante.

Julien Bedard et Neil Goodridge pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Aikins, MacAulay & Thorvaldson LLP, Winnipeg, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Ryer, J.C.A. : Il s’agit d’un appel de la décision rendue par le juge Patrick Boyle de la Cour canadienne de l’impôt (le juge) le 28 novembre 2014 (2014 CCI 357). L’appel porte sur de nouvelles cotisations (les nouvelles cotisations) établies par le ministre du Revenu national (le ministre) conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1  (la Loi), à l’égard de McGillivray Restaurant Ltd. (la contribuable) pour ses années d’imposition 2007, 2008 et 2009. Sauf indication contraire, tous les renvois à des dispositions légales dans les présents motifs visent les dispositions de la Loi qui s’appliquaient aux nouvelles cotisations.

[2]        Par chaque nouvelle cotisation, le ministre a refusé d’accorder à la contribuable la déduction prévue à l’alinéa 125(1)a) de la Loi (la déduction accordée aux petites entreprises) à l’égard de l’impôt payable par ailleurs en vertu de la partie I de la Loi. Le ministre a conclu que la contribuable était associée à une ou plusieurs sociétés, au sens du paragraphe 256(1), au cours de chaque année d’imposition et qu’elle n’avait pas déposé l’entente conclue avec les autres sociétés visée au paragraphe 125(3).

[3]        La question en litige dans le présent appel est de savoir si, durant les années visées par les nouvelles cotisations, la contribuable était associée à G.R.R. Holdings Ltd. (GRR) et à MorCourt Properties Ltd. (MorCourt) parce que Gordon R. Howard, qui exerçait un contrôle de droit et un contrôle de fait sur GRR et sur MorCourt, exerçait aussi un contrôle de fait sur la contribuable au sens du paragraphe 256(5.1).

[4]        Le juge a conclu que MorCourt, GRR et la contribuable étaient des sociétés associées au sens du paragraphe 256(1) et a confirmé le bien-fondé des nouvelles cotisations.

[5]        Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejetterais l’appel.

I.          LE CONTEXTE

[6]        L’appel dont le juge était saisi faisait l’objet d’un exposé conjoint partiel des faits. En outre, le juge a fait un résumé détaillé des éléments de preuve qui lui ont été présentés, soit des extraits de l’interrogatoire préalable de M. Howard produits par la Couronne et un recueil conjoint de documents. Les faits essentiels pour traiter des questions soulevées dans le présent appel sont résumés ci-dessous.

[7]        Pendant toute la période pertinente, M. Howard et Mme Ruth Howard étaient mariés. M. Howard détenait l’intégralité des actions émises de GRR et de MorCourt. GRR a été constituée au début des années 1980 et MorCourt a été constituée à peu près en même temps que la contribuable. Comme la contribuable, GRR et MorCourt sont des sociétés privées sous contrôle canadien au sens du paragraphe 125(7).

[8]        En 1997, GRR a conclu des contrats de franchise avec Keg Restaurants Ltd. (le franchiseur) et a acquis des droits d’exclusivité territoriale relativement à l’exploitation en franchise de restaurants Keg à Winnipeg. Grâce à ces contrats, GRR a exploité avec succès trois restaurants Keg à Winnipeg, jusqu’à la fin de l’année 2005. Les droits d’exclusivité n’étaient accordés que si GRR exploitait au moins trois restaurants Keg à Winnipeg.

[9]        À un moment quelconque avant la constitution en société de la contribuable, M. Howard a décidé que le restaurant de la route Pembina devrait être réinstallé ailleurs. À cette fin, des ententes ont été conclues pour acquérir un terrain avenue McGillivray et pour obtenir le consentement du franchiseur quant à la réinstallation.

[10]      De concert avec la réinstallation, M. Howard a sollicité des conseils de professionnels et, en conséquence, il a déterminé qu’il serait prudent de [traduction] « commencer à séparer certaines choses », étant donné le succès connu depuis l’acquisition des trois restaurants franchisés Keg.

[11]      À cette fin, MorCourt a été constituée en société dans le but d’acquérir les nouveaux bâtiments du restaurant et le terrain sur lequel ils étaient situés. Fait plus pertinent à l’espèce, la contribuable a été constituée en société dans le but d’acquérir et d’exploiter le nouveau restaurant avenue McGillivray, y compris les droits de franchise qui permettraient d’exploiter ce restaurant.

[12]      Conformément aux conseils de professionnels reçus par M. Howard, la contribuable a été constituée en société en août 2005. Lors de la constitution, Mme Howard s’est vu émettre 760 actions ordinaires avec droit de vote au prix de 76 $ et M. Howard s’est vu émettre 240 actions ordinaires avec droit de vote au prix de 24 $. De plus, M. Howard a été élu comme unique administrateur de la contribuable et a été nommé unique dirigeant. Aucune convention écrite des actionnaires n’a été mise en place. Le capital de la contribuable était symbolique.

[13]      Le dossier contient peu d’éléments expliquant la façon dont la contribuable a acquis le terrain situé avenue McGillivray dont elle s’est servie à partir de décembre 2005, peu après la fermeture du restaurant situé sur la route Pembina, ou la façon dont elle a financé l’achat de ce terrain. Cependant, le dossier comprend des documents qui prévoyaient la cession de l’entente de franchise pour le restaurant de la route Pembina de GRR à la contribuable et le consentement du franchiseur à la cession.

[14]      M. Howard comprenait très bien l’importance de se conformer aux modalités des contrats de franchise des trois restaurants ainsi qu’aux exigences liées au consentement du franchiseur pour la réinstallation du restaurant de la route Pembina et la cession du droit de franchise à la contribuable. Lors de son interrogatoire préalable, il a dit qu’il avait assuré au franchiseur qu’en dépit de ces changements, les activités seraient menées de la même façon que par le passé. Il a également indiqué lors de l’interrogatoire préalable qu’il avait donné des assurances semblables aux anciens employés du restaurant de la route Pembina dont les emplois ont été transférés à la contribuable. Mme Howard a peu participé aux activités de la contribuable. Elle et son mari ont garanti à titre personnel les obligations de la contribuable et de GRR envers le franchiseur.

[15]      La participation de 76 p. 100 de Mme Howard dans la contribuable était fondée sur les conseils de professionnels qui ont été donnés à M. Howard. Néanmoins, la contribuable était organisée de sorte que M. Howard n’ait pas besoin de l’accord de son épouse pour prendre des décisions au nom de la contribuable. À ce sujet, M. Howard a assuré à son épouse qu’en dépit du fait qu’elle était propriétaire de 76 p. 100 de la contribuable, les restaurants continueraient d’être exploités comme ils l’ont toujours été, et la preuve indique que c’est ainsi que les choses se sont déroulées.

II.         LA DÉCISION DU JUGE

[16]      Le juge a déterminé qu’il existait deux interprétations différentes du paragraphe 256(5.1). Il a conclu que la décision de la Cour dans l’arrêt Silicon Graphics Ltd. c. Canada, 2002 CAF 260, [2003] 1 C.F. 447 (Silicon Graphics), offrait une interprétation restrictive en vertu de laquelle une personne ne serait considérée comme exerçant un contrôle de fait que si elle avait le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d’administration ou des pouvoirs du conseil ou d’influencer d’une façon très directe les actionnaires qui auraient la capacité de choisir le conseil d’administration.

[17]      En revanche, il a conclu que les décisions de la Cour dans les arrêts Mimetix Pharmaceuticals Inc. c. Canada, 2003 CAF 106 (Mimetix Pharmaceuticals) et Plomberie J.C. Langlois inc. c. Canada, 2006 CAF 113 (Plomberie J.C. Langlois), ont élargi le critère énoncé dans l’arrêt Silicon Graphics. Il a ainsi conclu que le critère l’amenait à ne pas tenir compte uniquement du droit et de la possibilité d’influencer la composition ou les pouvoirs du conseil d’administration et à prendre en considération des sources d’influence plus générales pour déterminer qui, en réalité, exerce un contrôle réel sur les activités et les destinées de la société en question.

[18]      En appliquant ce critère plus large, le juge a conclu que M. Howard n’aurait pas pu exercer un contrôle de fait plus réel sur la gestion et l’exploitation de la contribuable et de son entreprise.

[19]      En outre, au paragraphe 59 de ses motifs, le juge a conclu que M. et Mme Howard avaient convenu que le contrat de franchise du restaurant avenue McGillivray ne serait transféré à la contribuable et que Mme Howard ne ferait l’acquisition d’une participation de 76 p. 100 dans la contribuable pour une somme symbolique que si elle acceptait de faire en sorte que M. Howard soit l’unique administrateur et dirigeant de la contribuable et que, comme il l’avait assuré au franchiseur, les activités continueraient à être menées comme elles l’ont toujours été.

[20]      Enfin, le juge a conclu que même si Mme Howard aurait pu remplacer son époux comme unique administrateur de la contribuable (répudiant ainsi leur entente orale), elle ne l’a pas fait, et il a fait observer que si elle avait choisi de le faire, il aurait fallu qu’elle se soucie des conséquences qui auraient pu découler de cette décision.

III.        LES DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

[21]      Les dispositions de la Loi pertinentes en l’espèce sont l’alinéa 256(1)b) et le paragraphe 256(5.1), qui se lisent comme suit :

Sociétés associées

256 (1) Pour l’application de la présente loi, deux sociétés sont associées l’une à l’autre au cours d’une année d’imposition si, à un moment donné de l’année :

[…]

b) la même personne ou le même groupe de personnes contrôle les deux sociétés, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit;

[…]

Contrôle de fait

(5.1) Pour l’application de la présente loi, lorsque l’expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une société est considérée comme ainsi contrôlée par une autre société, une personne ou un groupe de personnes — appelé « entité dominante » au présent paragraphe — à un moment donné si, à ce moment, l’entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l’exercice entraînerait le contrôle de fait de la société […]

IV.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[22]      Deux questions sont soulevées dans le présent appel :

a)         Le juge a-t-il commis une erreur dans son interprétation des exigences en matière de contrôle de fait au paragraphe 256(5.1)?

b)         Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la contribuable était associée à GRR et à MorCourt pour l’application de l’alinéa 256(1)b)?

V.        LA NORME DE CONTRÔLE

[23]      Dans un appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt, la Cour applique la norme de la décision correcte aux questions de droit et la norme de l’erreur manifeste et dominante aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit à l’égard desquelles il n’y a pas de question de droit facilement isolable (voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 8, 10 et 37).

VI.       ANALYSE

A.        Introduction

[24]      Les circonstances dans lesquelles la contribuable a été constituée en société, organisée, capitalisée et ensuite gérée montrent clairement que Mme Howard n’avait pas de participation importante dans la contribuable ou dans ses activités, sauf son placement de 76 $ dans ses actions ordinaires. De plus, l’ensemble des circonstances indique que le but principal de la constitution en société de la contribuable et de son acquisition du restaurant situé sur la route Pembina ainsi que du droit de franchise connexe pouvait avoir été de contourner les règles sur les sociétés associées afin d’obtenir une déduction accordée aux petites entreprises supplémentaire.

[25]      Les règles sur les sociétés associées à l’article 256 visent notamment à assurer que le droit à la déduction accordée aux petites entreprises soit limité. Il n’est pas nécessaire de discuter du régime légal de ce stimulant fiscal dans les présents motifs.

[26]      Avant la constitution en société de la contribuable, GRR exploitait trois restaurants Keg et n’avait droit qu’à une seule déduction accordée aux petites entreprises. La constitution en société de la contribuable et son acquisition du restaurant de l’avenue McGillivray donnaient droit à une deuxième déduction accordée aux petites entreprises en ce qui concerne un des trois restaurants exploités par GRR.

[27]      Le ministre s’est opposé à la demande d’une deuxième déduction accordée aux petites entreprises et a établi les nouvelles cotisations en tenant compte du fait que GRR et MorCourt étaient associées à la contribuable, au sens de l’alinéa 256(1)b), car ces sociétés et la contribuable étaient toutes contrôlées par M. Howard. Que M. Howard exerçât un contrôle de droit et de fait sur GRR et sur MorCourt n’est pas en cause. Le ministre a affirmé que M. Howard exerçait aussi un contrôle de fait sur la contribuable, au sens du paragraphe 256(5.1).

[28]      Le ministre n’a pas affirmé que les parties aux transactions en vertu desquelles la contribuable a fait l’acquisition du restaurant situé avenue McGillivray et des droits de franchise connexes s’étaient livrées à une planification fiscale abusive. En d’autres termes, il ne s’agit pas ici d’un cas où la règle générale anti-évitement du paragraphe 245(2) s’applique : l’objet de la création et de la mise en oeuvre de la contribuable n’est pas pertinent.

[29]      La question primordiale est de savoir si l’on peut dire que M. Howard ou GRR avaient une influence directe ou indirecte qui, si elle avait été exercée, se serait soldée par un contrôle de fait de l’un ou de l’autre sur la contribuable.

B.        Le juge a-t-il commis une erreur dans son interprétation des exigences en matière de contrôle de fait au paragraphe 256(5.1)?

[30]      Le fait de déterminer la personne qui contrôle une société ou le moment où se produit l’acquisition du contrôle d’une société a une importance considérable en vertu de la Loi. Avant l’ajout du paragraphe 256(5.1), la Loi comprenait les expressions « contrôle » et « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit », mais dans les deux cas, le contrôle était considéré comme le contrôle de droit.

[31]      Dans l’arrêt Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 795 (Duha Printers), l’arrêt de principe de la Cour suprême du Canada sur le contrôle d’une société, le contrôle de droit a été décrit comme le pouvoir des détenteurs de la majorité des voix dans une société d’élire les administrateurs de la société et, par conséquent, d’exercer un contrôle réel sur la société. En langage courant, l’actionnaire majoritaire peut convaincre les administrateurs de faire ce qu’il souhaite pour ce qui est de l’exploitation de la société; sinon, l’actionnaire utilisera son droit de vote majoritaire pour remplacer ces administrateurs par d’autres administrateurs qui exécuteront ses ordres.

[32]      Il est utile de rappeler qu’au paragraphe 71 de l’arrêt Duha Printers, la Cour suprême a confirmé qu’une convention ordinaire des actionnaires, par opposition à une convention unanime des actionnaires, n’est pas pertinente pour déterminer le contrôle de droit. Ainsi, le droit de vote attribuable aux actions, déterminé au regard des actes constitutifs et du registre des actionnaires d’une société, est généralement le facteur déterminant dans l’analyse du contrôle de droit, sauf dans des circonstances précises qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, où le contrôle de droit peut ne pas être exercé par la personne qui détient la majorité des voix dans une société.

[33]      Dans l’analyse du contrôle de fait, comme on pourrait s’y attendre, il existe un plus grand nombre de facteurs — en plus des droits de vote selon les actes constitutifs et le registre des actionnaires — qui doivent être pris en considération pour déterminer si les conditions du paragraphe 256(5.1) ont été remplies dans un cas donné. Par exemple, les droits d’une personne en vertu des dispositions d’une convention des actionnaires (qui n’est pas une convention unanime des actionnaires) qui stipule que la personne pourra choisir les administrateurs correspondraient à la définition du terme « influence » au sens du paragraphe 256(5.1). L’influence requise doit-elle donc découler de conventions juridiquement contraignantes ou exécutoires, ou d’autres types d’influence peuvent-ils mener à conclure à un contrôle de fait? Par exemple, peut-on dire qu’une personne exerce un contrôle de fait sur une société si elle a l’influence requise sur l’actionnaire qui exerce le contrôle de droit en raison de menaces ou d’autres moyens ignobles, ou, au contraire, en raison de l’amour et de l’affection conjugaux ou familiaux?

[34]      Heureusement, dans le présent appel, nous ne sommes pas obligés de nous livrer à une analyse fondée sur des principes de base, car la Cour a déjà examiné le sens du contrôle de fait pour l’application du paragraphe 256(5.1).

[35]      Dans l’arrêt Silicon Graphics, le juge Sexton a formulé le critère en ces termes [au paragraphe 67] :

Par conséquent, je suis d’avis que pour que l’on puisse conclure à un contrôle de fait, une personne ou un groupe de personnes doivent avoir le droit et la capacité manifestes de procéder à une modification importante du conseil d’administration ou des pouvoirs du conseil ou d’influencer d’une façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le conseil d’administration.

[36]      Ce critère a été confirmé dans l’arrêt 9044 2807 Québec Inc. c. Canada, 2004 CAF 23 [sub nom. Transport M.L. Couture Inc. c. Canada] (Transport Couture), où le juge Noël (tel était alors son titre) a affirmé ce qui suit [au paragraphe 24] :

Il n’est pas possible d’énumérer tous les facteurs qui peuvent être utiles afin de déterminer si une société est ou non assujettie à un contrôle de fait (Duha Printers, [1998] 1 R.C.S. 795, paragraphe [38]). Cependant, quels que soient les facteurs retenus, ils doivent démontrer qu’une personne ou un groupe de personnes possède la capacité manifeste de modifier le Conseil d’administration de la société visée ou d’influencer de façon très directe les actionnaires qui auraient autrement la capacité de choisir le Conseil d’administration (Silicon Graphics, 2002 CAF 260, paragraphe [67]           ). En d’autres mots, la preuve doit démontrer que le pouvoir décisionnel de la société visée réside dans les faits ailleurs qu’entre les mains de ceux qui possèdent le contrôle de jure. [Non souligné dans l’original.]

[37]      La description du juge Noël du critère juridique qui s’applique au contrôle de fait est essentiellement une reformulation du critère énoncé par le juge Sexton dans l’arrêt Silicon Graphics. Rien dans l’extrait des motifs du juge Noël ne suggère une intention de sa part de s’écarter de la formulation du critère du contrôle de fait énoncé dans l’arrêt Silicon Graphics.

[38]      Je n’interprète pas la dernière phrase du juge Noël dans le paragraphe cité ci-dessus comme élargissant ou modifiant le critère de l’arrêt Silicon Graphics. Elle suit immédiatement une approbation claire et directe du critère de l’arrêt Silicon Graphics. De plus, je suis d’avis que le passage « En d’autres mots » au début de la phrase indique qu’elle résume le critère. Bien que cette phrase puisse, si elle est interprétée isolément, laisser entendre qu’on propose une approche plus vaste, son contexte exige qu’elle soit interprétée à la lumière d’une approbation claire du critère de l’arrêt Silicon Graphics.

[39]      Comme il a été mentionné précédemment, le juge a conclu que les arrêts Mimetix Pharmaceuticals et Plomberie J.C. Langlois l’obligeaient à prendre en considération des sources d’influence plus générales, notamment l’exercice du contrôle sur les activités quotidiennes, dans l’analyse du contrôle de fait. Bien qu’il soit vrai que dans ces deux décisions, un critère plus large semble avoir été pris en considération, le critère étroit énoncé au paragraphe 67 de l’arrêt Silicon Graphics, qui constituait à mon avis son ratio decidendi, n’a jamais été directement contesté devant la Cour dans l’une ou l’autre de ces décisions.

[40]      Il est bien établi que la Cour respectera ses décisions antérieures, à moins que « la décision en cause soit manifestement erronée, du fait que la Cour n’aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d’un précédent qui aurait dû être respecté » (voir Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, au paragraphe 10). La Cour ne s’est pas penchée sur la question de savoir si l’arrêt Silicon Graphics était manifestement erroné de sorte qu’on ne devrait pas le suivre dans les arrêts Mimetix Pharmaceuticals et Plomberie J.C. Langlois. De plus, dans ces deux arrêts, la Cour s’est principalement intéressée à l’appréciation par la Cour canadienne de l’impôt de la preuve dont elle disposait.

[41]      En clair, à mon avis, si ces décisions peuvent être interprétées comme ayant prescrit un critère du contrôle de fait incompatible avec le critère de l’arrêt Silicon Graphics, on ne devrait pas les suivre.

[42]      À l’audience, l’avocat de la Couronne a affirmé que la Cour avait [traduction] « ajouté des précisions » concernant l’arrêt Silicon Graphics dans l’arrêt Lyrtech RD Inc. c. Canada, 2014 CAF 267 (Lyrtech), une décision qui n’a apparemment pas été soumise au juge.

[43]      Dans l’arrêt Lyrtech, la Cour a affirmé que le critère qui s’applique au contrôle de fait est celui de l’arrêt Silicon Graphics, ajoutant que le paragraphe 24 de la décision Transport Couture ajoutait des précisions au critère de l’arrêt Silicon Graphics. Comme je l’ai mentionné, je suis d’avis que le paragraphe tiré de l’arrêt Transport Couture doit être considéré comme une approbation du critère de l’arrêt Silicon Graphics. De plus, l’arrêt Lyrtech est un autre exemple où la Cour a examiné des erreurs de fait alléguées dans le jugement porté en appel. L’arrêt Lyrtech ne peut pas, selon moi, être interprété comme ayant déterminé que le critère étroit de l’arrêt Silicon Graphics était manifestement erroné et qu’on ne devrait pas le suivre. Si l’arrêt Lyrtech peut être interprété comme ayant répudié le critère de l’arrêt Silicon Graphics, on ne devrait pas le suivre.

[44]      L’avocat de la Couronne a soutenu qu’un appui pour l’approche plus générale relative au contrôle de fait se trouve dans l’arrêt Silicon Graphics lui-même. Aux paragraphes 63 à 65 de cette décision, la Cour a abordé un certain nombre d’observations qui lui ont été présentées quant à l’applicabilité de facteurs plus généraux. Puisque le juge Sexton a rejeté ces arguments au motif qu’ils n’étaient pas étayés par le dossier, je suis d’avis qu’on ne peut pas considérer qu’il ait miné le critère qu’il a clairement énoncé au paragraphe 67 de ses motifs.

[45]      Par conséquent, je confirme que le critère étroit énoncé au paragraphe 67 de l’arrêt Silicon Graphics est correct et qu’il n’a pas été infirmé par la Cour.

[46]      Je rejette toute affirmation selon laquelle le critère du contrôle est, en réalité, fondé sur le « contrôle de l’exploitation ». Le contrôle de fait, comme le contrôle de droit, porte sur le contrôle exercé sur le conseil d’administration et non sur le contrôle exercé sur les activités quotidiennes de la société. L’alinéa 256(1)b) et le paragraphe 256(5.1) font expressément référence au contrôle exercé sur une société et non au contrôle exercé sur les activités ou l’exploitation d’une société. En fait, ce point de vue correspond à la conclusion du président Jackett énoncée dans l’arrêt Buckerfield’s Ltd. et al. v. Minister of National Revenue, [1965] 1 R.C. de l’É. 299, aux pages 302 et 303 :

[traduction] Il est concevable qu’il puisse exister plusieurs façons de comprendre le mot « contrôle » dans une loi telle que la Loi de l’impôt sur le revenu, quand on applique ce mot à une société. Il peut par exemple se rapporter au contrôle par les dirigeants, lorsque les dirigeants et le conseil d’administration sont distincts, ou il peut se rapporter au contrôle par le conseil d’administration. Le genre de contrôle qu’exercent les dirigeants ou le conseil d’administration n’est évidemment pas, toutefois, celui que vise l’article 39 en parlant du contrôle d’une société par une autre de même que du contrôle d’une société par des particuliers (voir le paragraphe (6) de l’article 39). On conçoit très bien que le mot « contrôle » puisse se rapporter au contrôle de fait par un actionnaire ou par plusieurs actionnaires détenant ou non une majorité des actions. Je crois cependant qu’à l’article 39 de la Loi de l’impôt sur le revenu, le mot « contrôlée » vise le droit de contrôle qui découle de la propriété d’un nombre d’actions suffisant pour donner la majorité des voix à l’élection du conseil d’administration […]

[47]      Tandis que le contrôle de droit porte généralement uniquement sur la propriété des actions dans le sens limité énoncé dans l’arrêt Duha Printers pour déterminer qui exerce un contrôle sur l’élection du conseil d’administration, et donc sur la société, rien ne laisse penser que le contrôle de fait soit autre chose qu’un contrôle exercé par un moyen quelconque insuffisant pour satisfaire au critère du contrôle de droit. À mon avis, le contrôle d’une société pour l’application des dispositions sur les sociétés associées de la Loi n’a jamais signifié ce que le président Jackett a désigné comme étant un contrôle par les dirigeants ou ce qui pourrait être qualifié de contrôle « de l’exploitation ».

[48]      La différence entre un contrôle de fait et un contrôle de droit se limite donc à l’étendue des facteurs qui peuvent être pris en considération pour décider si une personne ou un groupe de personnes exerce un contrôle réel au moyen de la capacité d’élire le conseil d’administration d’une société. Cela dit, il n’en demeure pas moins que la liste des facteurs qui peuvent être pris en considération au moment d’appliquer le critère de l’arrêt Silicon Graphics est non limitative. Cependant, à mon avis, un facteur qui ne comprend pas un droit et une capacité ayant force exécutoire de procéder à une modification du conseil d’administration ou de ses pouvoirs, ou d’influencer les actionnaires qui ont ce droit et cette capacité, ne devrait pas être considéré comme étant susceptible d’établir un contrôle de fait.

[49]      Je suis d’avis qu’une interprétation du contrôle de fait au sens du paragraphe 256(5.1) qui ne comporte aucune exigence selon laquelle l’influence en question doit être fondée sur un droit ou une capacité ayant force exécutoire est contraire au ferme avertissement lancé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 [Hypothèques Trustco], au paragraphe 12, dans lequel la juge en chef et le juge Major déclarent catégoriquement :

Les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu doivent être interprétées de manière à assurer l’uniformité, la prévisibilité et l’équité requises pour que les contribuables puissent organiser intelligemment leurs affaires […]

[50]      Une interprétation du paragraphe 256(5.1) qui englobe le contrôle « de l’exploitation » supposerait un degré de subjectivité dans l’analyse du contrôle de fait qui, à mon avis, nuirait à la prévisibilité au lieu de la maintenir, tel que le prévoit l’approche interprétative de l’arrêt Hypothèques Trustco.

[51]      Après avoir précisé que le critère de l’arrêt Silicon Graphics demeure le critère à appliquer pour le contrôle de fait, et puisqu’il semble que le juge ait appliqué un critère différent, j’aborderai maintenant les faits du présent appel.

C.        Le juge a-t-il commis une erreur en concluant que la contribuable était associée à GRR et à MorCourt pour l’application de l’alinéa 256(1)b)?

[52]      Après avoir décidé que le juge avait appliqué le mauvais critère pour le contrôle de fait, je dois appliquer le bon critère aux faits de l’espèce.

[53]      Le juge a conclu que M. et Mme Howard étaient parvenus à une entente selon laquelle le droit de franchise relatif au restaurant de la route Pembina ne serait transféré de GRR à la contribuable que si Mme Howard acceptait d’exercer les droits de vote dont elle disposait grâce à ses 760 actions ordinaires de la contribuable afin de voir à ce que M. Howard soit élu unique administrateur de la contribuable et qu’il conserve ce poste. Essentiellement, le juge a conclu que M. et Mme Howard avaient conclu une entente en vertu de laquelle la composition du conseil d’administration de la contribuable relèverait de M. Howard.

[54]      À l’audience, l’avocat de la contribuable a affirmé que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante en concluant que M. et Mme Howard avaient conclu une telle entente orale. L’avocat a noté avec raison que le dossier ne contient aucun élément de preuve direct d’une telle entente. Il a cependant convenu que s’il existait une entente écrite en ce sens, la thèse du ministre selon laquelle les sociétés sont des sociétés associées serait inattaquable. L’avocat a affirmé, à juste raison, que le contrat de franchise auquel la contribuable était une partie n’exigeait pas que M. Howard soit l’unique administrateur de la contribuable. Ainsi, la contribuable demande à la Cour de déduire qu’il n’y a eu aucune entente orale en ce sens et que le juge a commis une erreur en concluant à l’existence d’une telle entente.

[55]      Un examen fondé sur la norme de l’erreur manifeste et dominante oblige la cour d’appel à faire preuve de grande retenue à l’égard des conclusions de fait d’un juge de première instance. Compte tenu des circonstances, j’estime que le juge pouvait conclure, au vu de la preuve dont il disposait, qu’il existait une entente orale entre M. et Mme Howard et, par conséquent, qu’il n’a commis aucune erreur manifeste et dominante.

[56]      L’absence d’une entente écrite ne suffit pas à prouver qu’il n’existe aucune entente orale. Le juge connaissait la longue et fructueuse relation entre M. Howard et le franchiseur, soulignant la confiance qui s’était installée entre les deux au fil des années. Cette relation permet de conclure que le franchiseur aurait bien pu estimer suffisantes les assurances orales de M. Howard que rien n’allait changer dans les trois restaurants.

[57]      Même si les parties ont indiqué dans l’exposé conjoint partiel des faits que Mme Howard pouvait mettre fin au poste d’administrateur de M. Howard en tout temps, elle ne l’a pas fait. Aussi longtemps que l’entente orale était valide, M. Howard avait le droit de choisir tous les administrateurs de la contribuable, c’est-à-dire qu’il serait l’unique administrateur. Il est clair que les droits que possédait M. Howard en vertu de l’entente orale avec son épouse ne lui conféraient pas un contrôle de droit sur la contribuable, puisqu’il ne détenait pas la majorité des actions avec droit de vote et que l’entente ne constituait pas une convention unanime des actionnaires aux termes de la loi régissant les sociétés par actions. Néanmoins, aussi longtemps que l’entente n’était pas répudiée par Mme Howard, le droit de M. Howard de choisir les administrateurs de la contribuable constituait le genre d’influence visé par le paragraphe 256(5.1), tel que l’a interprété la Cour dans l’arrêt Silicon Graphics.

VII.      CONCLUSION

[58]      Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

La juge Dawson, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge de Montigny, J.C.A. : Je suis d’accord.

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