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[2017] 1 R.C.F. 153

A-322-15

2016 CAF 144

Yasmen Al Atawnah, Diana Elatawna, Karam Elatawna, Retal Aisha Elatawna (appelantes)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimés)

Répertorié : Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Near et Boivin, J.C.A.—Toronto, 11 avril et 9 mai 2016.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de réfugiés — Processus de renvoi — Appel visant une décision de la Cour fédérale de rejeter la requête en jugement déclaratoire des appelantes — Il a été conclu que les demandes d’asile des appelantes avaient été abandonnées — L’art. 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés interdit aux appelantes, en tant que ressortissantes d’un pays d’origine désigné qui se sont désistées de leur demande d’asile, de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) si moins de 36 mois se sont écoulés depuis qu’il y a eu conclusion de désistement — La Cour fédérale a rejeté l’argument des appelantes selon lequel l’art. 112(2)b.1) de la Loi est arbitraire, de portée excessive et totalement disproportionné — La question de savoir si l’art. 112(2)b.1) de la Loi porte atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés a été certifiée — L’art. 112(2)b.1) de la Loi ne porte pas atteinte à l’art. 7 de la Charte — Il existe un mécanisme pour contester une décision déraisonnable d’un agent d’exécution, notamment en saisissant la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et en présentant une requête en sursis d’un renvoi — Le rôle de surveillance de la Cour fédérale et le pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration d’exempter un demandeur de l’application de l’art. 112(2)b.1) de la Loi agissent comme des « soupapes de sécurité » — L’interdiction relative à l’ERAR dont il est ici question n’est pas de portée excessive, arbitraire ou totalement disproportionnée — Appel rejeté.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — La Cour fédérale a rejeté la requête en jugement déclaratoire des appelantes — Il a été conclu que les demandes d’asile des appelantes avaient été abandonnées — L’art. 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés interdit aux appelantes, en tant que ressortissantes d’un pays d’origine désigné qui se sont désistées de leur demande d’asile, de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) si moins de 36 mois se sont écoulés depuis qu’il y a eu conclusion de désistement — Il s’agissait de savoir si l’art. 112(2)b.1) de la Loi était arbitraire, de portée excessive ou disproportionnée et s’il portait atteinte à l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés — L’art. 112(2)b.1) de la Loi ne porte pas atteinte à l’art. 7 de la Charte — La possibilité qu’un agent d’exécution n’examine pas de façon appropriée les éléments de preuve du risque et refuse de reporter le renvoi ne fait pas intervenir l’art. 7 — Il existe des mécanismes pour contester une décision déraisonnable d’un agent d’exécution — L’obligation de procéder à un examen des risques avant le renvoi n’est pas un principe fondamental de justice — Le principe affirmé va à l’encontre de la jurisprudence selon laquelle l’art. 7 de la Charte n’exige pas de type particulier de procédure.

Il s’agissait d’un appel visant une décision de la Cour fédérale de rejeter la requête en jugement déclaratoire des appelantes.

Les appelantes, citoyennes d’Israël, ont demandé l’asile. Étant donné que la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu que leurs demandes d’asile avaient été abandonnées, les appelantes n’ont pu obtenir un examen des risques avant renvoi (ERAR) en raison de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui interdit au ressortissant d’un pays d’origine désigné qui s’est désisté de sa demande d’asile de présenter une demande d’ERAR si moins de 36 mois se sont écoulés depuis que la Section de la protection des réfugiés a conclu au désistement. Les appelantes ont soutenu devant la Cour fédérale que leur renvoi du Canada sans qu’un décideur compétent ait procédé à un ERAR conformément aux principes de justice fondamentale et l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi portent atteinte aux droits que leur confère l’article 7 de la Charte canadienne des droits et liberté. Elles ont également fait valoir que l’alinéa 112(2)b.1) est arbitraire, de portée excessive et totalement disproportionné.

La Cour fédérale a rejeté l’argument des appelantes selon lequel l’alinéa 112(2)b.1) est arbitraire, de portée excessive et totalement disproportionné. La question de savoir si l’interdiction prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi contre la demande d’examen des risques avant renvoi, si moins de 36 mois se sont écoulés depuis le désistement de la demande d’asile, porte atteinte à l’article 7 de la Charte a été certifiée.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

L’alinéa 112(2)b.1) ne porte pas atteinte à l’article 7 de la Charte. La possibilité qu’un agent d’exécution n’examine pas de façon appropriée les éléments de preuve du risque et refuse de reporter le renvoi ne fait pas intervenir l’article 7. Il existe bien un mécanisme pour contester une décision déraisonnable d’un agent d’exécution. Les appelantes, et toutes les personnes dans une situation similaire, peuvent contester le refus d’un agent d’exécution de reporter un renvoi en saisissant la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Elles peuvent également présenter une requête en sursis d’un renvoi dans l’attente de l’issue de leur demande de contrôle judiciaire. La jurisprudence démontre que le rôle de surveillance de la Cour fédérale et le pouvoir de l’intimé, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, d’exempter un demandeur de l’application de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi agissent comme des « soupapes de sécurité » de telle sorte que l’interdiction relative à l’ERAR dont il est ici question n’est pas de portée excessive, arbitraire ou totalement disproportionnée. Le principe de justice fondamentale avancé par les appelantes selon lequel avant d’exécuter une mesure de renvoi du Canada à l’encontre d’une personne, un décideur doit procéder à un examen du risque conforme aux principes fondamentaux d’équité, comprenant notamment le pouvoir de convoquer une audience si des préoccupations relatives à la crédibilité sont en cause, n’a pas été reconnu. Les appelantes n’ont pas réussi à démontrer que le principe allégué est un principe de justice fondamentale parce que, contrairement à l’argument des appelantes, il énonce un processus par lequel un seul décideur est requis pour examiner le risque. Il s’ensuit que le principe affirmé va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle l’article 7 de la Charte exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 25.1, 112(2)b.1), 117.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Farhadi, 2000 CanLII 15491 (C.A.F.); Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311; Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133; Etienne c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 415; Ragupathy c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1370; Toth c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1051; Kopalakirusnan c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 330; Peter c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1073, [2016] 2 R.C.F. 501, conf. par 2016 CAF 51; Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.

DÉCISION CITÉE :

Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 774) de rejeter la requête en jugement déclaratoire des appelantes. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Samuel E. Plett pour les appelantes.

Catherine Vasilaros et Aleksandra Lipska pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Desloges Law Group Professional Corporation, Toronto, pour les appelantes.

Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Dawson, J.C.A. : Yasmen Al Atawnah et trois de ses enfants, ses filles Diana, Karam et Retal Aisha, sont des citoyennes d’Israël qui ont demandé l’asile au Canada. Leurs demandes d’asile n’ont jamais été jugées sur le fond, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ayant conclu au désistement des demandes.

[2]        Par conséquent, les appelantes n’ont pu obtenir avant leur renvoi du Canada un examen des risques avant renvoi (ERAR), en raison de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) qui interdit au ressortissant d’un pays d’origine désigné qui s’est désisté de sa demande d’asile de présenter une demande d’ERAR si moins de 36 mois se sont écoulés depuis que la Section de la protection des réfugiés a conclu au désistement.

[3]        Les appelantes se sont adressées à la Cour fédérale pour que soit rendu un jugement déclaratoire portant que l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi porte atteinte aux droits que leur confère l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et qu’elles ont été renvoyées du Canada sans qu’un décideur compétent ait procédé à un examen complet des risques conformément aux principes de justice fondamentale.

[4]        Dans des motifs détaillés et approfondis énoncés sous la référence 2015 CF 774, une juge de la Cour fédérale a rejeté la demande. En rejetant la demande, la juge a rejeté l’argument des appelantes selon lequel l’alinéa 112(2)b.1) est arbitraire et de portée excessive. La juge a également rejeté l’argument que la disposition était totalement disproportionnée. La juge a énoncé et certifié la question grave de portée générale suivante :

L’interdiction prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contre la demande d’examen des risques avant renvoi, si moins de 36 mois se sont écoulés depuis le désistement de la demande d’asile, porte-t-elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

[5]        C’est sur ce jugement de la Cour fédérale que porte le présent appel.

[6]        Dans le présent appel, les appelantes font valoir que la juge a commis une erreur en rejetant leurs arguments selon lesquels l’alinéa 112(2)b.1) est arbitraire, de portée excessive et totalement disproportionné.

[7]        Dans la mesure où les appelantes plaident de nouveau les mêmes questions dont elles ont saisi la Cour fédérale et que cette dernière a rejetées, je rejetterais leurs affirmations. À mon avis, la juge a appliqué la bonne norme de contrôle, celle de la décision correcte, et l’a appliquée correctement. Je constate que la juge n’a commis aucune erreur. Je parviens à cette conclusion essentiellement en raison des motifs fournis par la juge.

[8]        En l’espèce, les appelantes ont invoqué avec beaucoup d’insistance l’arrêt R. c. Appulonappa, 2015 CSC 59, [2015] 3 R.C.S. 754 et la déclaration du juge en chef au paragraphe 74 selon laquelle le paragraphe 117(4) de la Loi, qui exige que le procureur général autorise des poursuites au titre de l’interdiction applicable au passage de clandestins du paragraphe 117(1) de la Loi, ne règle pas le problème de portée excessive que crée le paragraphe 117(1) de la Loi. Il en était ainsi puisque le paragraphe 117(1) :

[...] est encore susceptible d’application, et dans la mesure où il n’est pas impossible que le procureur général consente à intenter des poursuites, les personnes qui aident un membre de leur famille, celles qui fournissent de l’aide humanitaire à un demandeur d’asile entrant au Canada ou encore les demandeurs d’asile qui s’assistent mutuellement risquent l’emprisonnement. Si le procureur général autorise qu’une telle personne soit poursuivie, en dépit de l’objet restreint de l’art. 117, la disposition ne prévoit aucune autre protection pour éviter une déclaration de culpabilité ou une peine d’emprisonnement. Cette possibilité, à elle seule, fait intervenir l’art. 7 de la Charte. [Non souligné dans l’original.]

[9]        Les appelantes font valoir que la possibilité qu’un agent d’exécution n’examine pas de façon appropriée, s’agissant des risques, les éléments de preuve du risque et refuse de reporter le renvoi porte atteinte aux droits qu’elles tirent de l’article 7.

[10]      Je suis en désaccord, en tout respect, puisque cet argument ne tient pas compte de l’explication du juge en chef au paragraphe 75 des motifs :

Il ressort implicitement de la position de la Cour d’appel que la possibilité que des travailleurs humanitaires ou des membres d’une famille soient poursuivis en vertu de l’art. 117 de la LIPR est un problème de droit administratif et qu’en cas de contestation constitutionnelle, c’est l’exercice irrégulier, par le procureur général, de l’obligation qui découle du par. 117(4) de ne pas intenter de poursuites contre ces personnes qui devrait être contesté. Je ne suis pas de cet avis. Comme je le souligne précédemment, s’il est vrai que l’art. 117 de la LIPR n’était pas censé viser ces personnes, rien dans la disposition qui a effectivement été adoptée ne l’interdit. En conséquence, il serait difficile pour la personne accusée de l’infraction prévue à l’art. 117 de contester la décision. Qui plus est, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, et ce pour de bonnes raisons. Ainsi que le fait remarquer la Cour dans l’arrêt Anderson, la surveillance judiciaire des décisions du ministère public d’engager ou non des poursuites brouille les rôles distincts des différents acteurs de notre système accusatoire : [Citation omise; non souligné dans l’original.]

[11]      Comme il ressort de ce passage, une décision du procureur général d’autoriser des poursuites, comme la décision d’un agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi, peut être prise par erreur. La distinction importante entre les deux situations, c’est que, même si aucun mécanisme n’existe pour contester un exercice abusif du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, comme il est expliqué ci-dessous, il existe bien un mécanisme pour contester une décision déraisonnable d’un agent d’exécution.

[12]      Comme notre Cour l’a reconnu dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Farhadi, 2000 CanLII 15491, au paragraphe 3, « pour que la décision de renvoyer une personne du Canada soit valide, il faut au préalable qu’une évaluation du risque ait été effectuée et qu’une décision ait été prise à cet égard conformément aux principes de justice fondamentale ».

[13]      Dans le contexte particulier où un agent d’exécution utilise son pouvoir discrétionnaire pour surseoir à un renvoi, dans l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311, au paragraphe 51, la Cour a déclaré que « [l’]exercice du pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi devrait être réservé aux affaires où le défaut de le faire exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain ».

[14]      Par la suite, dans l’arrêt Shpati c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CAF 286, [2012] 2 R.C.F. 133 [Shpati], aux paragraphes 41 et 42, le juge Evans, écrivant pour la Cour, a déduit que, si M. Shpati avait présenté certains nouveaux éléments de preuve démontrant l’existence d’un nouveau risque (survenu depuis l’ERAR) auquel il serait exposé, l’agent d’exécution aurait été obligé de tenir compte de ces éléments de preuve s’ils justifiaient un report et d’exercer son pouvoir discrétionnaire en conséquence.

[15]      Comme la Cour fédérale l’a noté dans la décision Etienne c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 415 [Etienne], au paragraphe 48, à la suite d’une décision de la Cour, l’arrêt Shpati, l’Agence des services frontaliers du Canada a diffusé le Bulletin opérationnel PRG-2014-22, intitulé « Procédures relatives à la considération de nouvelles allégations de risque par un agent dans le cadre d’une demande pour reporter un renvoi ». Ce bulletin confère à l’agent d’exécution, dans le report de l’exécution d’une mesure de renvoi, un pouvoir discrétionnaire plus large que celui indiqué dans l’arrêt Shpati :

Dans l’affaire Shpati, la CAF a confirmé que l’exécution d’une mesure de renvoi ne devrait être reportée que dans les circonstances suivantes :

-     le défaut de reporter le renvoi exposerait le demandeur à un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain;

-     les risques invoqués doivent être survenus depuis le prononcé de la décision d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) (ou depuis le dernier examen des risques);

-     les risques allégués exposent le demandeur à un préjudice personnel grave en cas de renvoi.

À noter que même si la jurisprudence peut être un guide très utile, il n’en demeure pas moins que l’agent d’exécution de la loi dispose du pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi dans les cas où ces trois éléments ne sont pas satisfaits de manière stricte. [Soulignement ajouté par le juge Zinn.] Un agent pourrait vouloir reporter le renvoi par exemple, si de nouveaux faits peuvent confirmer un risque qui avait déjà été considéré. De même, si des éléments de preuve n’ayant pu être présentés lors du dernier examen des risques font surface. [Non souligné dans l’original.]

[16]      L’agent d’exécution est chargé [traduction] « d’examiner les éléments de preuve qui lui ont été soumis lorsqu’il y a des allégations selon lesquelles le demandeur sera exposé à un risque si la mesure de renvoi est exécutée ». Lorsque l’agent conclut que le report du renvoi est justifié, les allégations de risque doivent être transmises à Citoyenneté et Immigration Canada, maintenant Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, pour examen en vertu de l’article 25.1 de la Loi. Entre autres choses, l’article 25.1 permet au ministre, de sa propre initiative, d’exempter un ressortissant étranger de l’application de l’interdiction relative à l’ERAR établie par l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi.

[17]      Comme la juge l’a noté au paragraphe 101 de ses motifs, les appelantes, et toutes les personnes dans une situation similaire, peuvent contester le refus d’un agent d’exécution de reporter un renvoi en saisissant la Cour fédérale d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Elles peuvent également présenter une requête en sursis d’un renvoi dans l’attente de l’issue de leur demande de contrôle judiciaire. Il n’est pas rare que la Cour fédérale puisse procéder à un examen plus approfondi dans le cadre d’une demande de sursis que ne peut le faire un agent d’exécution dans le cadre d’une demande de report (arrêt Shpati, au paragraphe 51).

[18]      Ces droits ne sont pas illusoires, comme le démontre l’examen de certaines décisions de la Cour fédérale ci-dessous.

[19]      Dans la décision Ragupathy c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1370, le demandeur a déposé de nombreux éléments de preuve démontrant les changements relatifs à la situation au Sri Lanka après que son examen des risques avant renvoi eût été effectué dans l’avis de danger. La Cour fédérale a conclu que le risque allégué était évident et très grave. Bien que l’agent d’exécution ait correctement déterminé qu’en droit, le demandeur n’avait pas droit à un ERAR, la Cour fédérale a conclu que l’agent d’exécution avait le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi du demandeur et que la décision de l’agent de ne pas reporter le renvoi était déraisonnable. La mesure de renvoi du demandeur ne serait pas exécutée avant que le risque allégué de persécution, de torture ou d’autres traitements inhumains n’ait été réexaminé par le délégué du ministre.

[20]      Dans la décision Toth c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1051, la Cour fédérale a établi au paragraphe 23 que, s’il est démontré qu’un changement concernant sa situation ou les conditions dans le pays où il doit être renvoyé fait en sorte que le demandeur est exposé à un nouveau risque ou à un risque plus grand que celui qui a été examiné précédemment, ou que la protection de l’État a été compromise, « l’agent d’exécution doit évaluer ce risque et déterminer si un report du renvoi est justifié » (non souligné dans l’original).

[21]      Dans le même sens, dans la décision Kopalakirusnan c. Canada (Minister de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CF 330, un agent d’exécution a refusé de reporter le renvoi du demandeur jusqu’à ce qu’il soit admissible à l’ERAR. La Cour fédérale a sursis au renvoi du demandeur, affirmant au paragraphe 7 des motifs que, à la suite de l’examen du risque, des circonstances peuvent survenir qui soulèvent la question de savoir si un demandeur peut faire l’objet d’un renvoi d’une manière qui est conforme à la Charte. Un demandeur est habilité à présenter des éléments de preuve à cet effet et [traduction] « s’il y a des éléments de preuve manifestes et convaincants que, soit la situation du demandeur a changé, soit les conditions dans le pays vers lequel il doit être renvoyé ont changé ou se sont détériorées de façon telle que le demandeur est exposé à un risque de traitement inhumain ou à la mort, le demandeur a le droit d’exiger que le risque auquel il est exposé soit examiné à la lumière de ces éléments de preuve nouveaux ». En outre, la preuve à l’appui du risque n’a pas à être concluante. Le simple fait que les éléments de preuve comportent un élément de spéculation n’est pas déterminant.

[22]      Enfin, dans la décision Etienne, un agent d’exécution a rejeté de nouveau une demande de reporter le renvoi. La Cour fédérale a cassé la décision de l’agent, précisant que, lorsque l’agent d’exécution a déterminé que les demandeurs ne sauraient faire l’objet d’un renvoi vers le refuge interne déterminé par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’agent d’exécution était tenu d’analyser la preuve produite et d’en prendre compte, et si la preuve démontrait que les demandeurs pouvaient être à risque dans le pays de renvoi, l’agent « devait reporter l’exécution de la mesure de renvoi afin que le risque puisse être examiné » (non souligné dans l’original) (motifs, au paragraphe 53). La Cour fédérale a poursuivi en faisant remarquer que le risque que l’agent d’exécution devait examiner ne se limitait pas à un « nouveau » risque, c’est-à-dire un risque soulevé après une décision relative à la demande d’asile ou après une autre instance. Les risques que l’agent d’exécution est tenu de prendre en compte comprennent les risques qui n’ont jamais été examinés par un décideur compétent (motifs, au paragraphe 54).

[23]      À mon avis, cette jurisprudence démontre que le rôle de surveillance de la Cour fédérale et le pouvoir du ministre d’exempter un demandeur de l’application de l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi agissent comme des « soupapes de sécurité » de telle sorte que l’interdiction relative à l’ERAR dont il est ici question n’est pas de portée excessive, arbitraire ou totalement disproportionnée.

[24]      En appel, les appelantes ont invoqué trois arguments supplémentaires qui n’avaient pas été exposés devant la Cour fédérale et que cette dernière n’avait pas considérés. Elles soutiennent ce qui suit :

i)          Un principe de justice fondamentale veut qu’avant d’exécuter une mesure de renvoi du Canada à l’encontre d’une personne, un décideur habilité à examiner le risque procède à un examen du risque conforme aux principes fondamentaux d’équité, comprenant notamment le pouvoir de convoquer une audience si des préoccupations relatives à la crédibilité sont en cause.

ii)         La juge a commis une erreur en qualifiant leur critique de la décision de l’agent d’exécution de ne pas reporter leur renvoi du Canada de contestation incidente de cette décision. Les appelantes reconnaissent le caractère définitif de la décision de l’agent d’exécution. Le fait que l’agent a sans doute tiré des conclusions quant à la crédibilité sans avoir entendu les demanderesses dans le cadre d’une audience souligne les faiblesses constitutionnelles du régime législatif actuel.

iii)        La juge a erré en se fondant principalement sur la décision de la Cour fédérale dans la décision Peter c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1073, [2016] 2 R.C.F. 501 [Peter], une décision jugée « viciée » par la Cour en appel (2016 CAF 51, au paragraphe 15).

[25]      À mon avis, aucun de ces arguments ne peut aider les appelantes. J’en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

[26]      Le principe de justice fondamentale articulé par les appelantes n’a pas été reconnu jusqu’ici. Il s’ensuit que les appelantes doivent démontrer que le principe juridique allégué est le fruit d’un consensus suffisant quant à son « caractère primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société » et que le principe allégué peut être identifié « avec précision et être appliqué aux situations de manière à produire des résultats prévisibles » (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), 2004 CSC 4, [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 8).

[27]      Les appelantes n’ont pas réussi à démontrer que le principe allégué est un principe de justice fondamentale parce que, contrairement à l’argument des appelantes, il énonce un processus par lequel un seul décideur est requis pour examiner le risque (par opposition à un processus différent tel que celui où, comme en l’espèce, un agent d’exécution évalue le caractère suffisant de la preuve du risque, et, s’il est convaincu que la preuve est suffisante, reporte le renvoi et transmet à un autre décideur l’examen du risque). Il s’ensuit que le principe affirmé va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle l’article 7 exige non pas un type particulier de procédure, mais une procédure équitable eu égard à la nature de l’instance et des intérêts en cause (voir, par exemple, l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, au paragraphe 20).

[28]      En tout état de cause, je ne suis pas convaincue que cet argument ajoute quelque substance que ce soit à l’observation des appelantes selon laquelle leur renvoi du Canada sans un examen complet du risque et l’alinéa 112(2)b.1) contreviennent à l’article 7 de la Charte.

[29]      En ce qui concerne le deuxième argument avancé par les appelantes, je conviens que l’agent d’exécution a pu à tort tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur des observations écrites pour refuser de reporter le renvoi du Canada. Les appelantes n’ont cependant pas mis en état une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Je conviens également qu’au paragraphe 95 de ses motifs, la juge a noté que les appelantes cherchaient en réalité à contester indirectement la décision de l’agent d’exécution.

[30]      Toutefois, avant cela, au paragraphe 94 de ses motifs, la juge a souligné que la demande dont elle était saisie n’était pas une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution de refuser le report du renvoi des appelantes. La juge a ensuite déclaré, à bon droit selon moi, que la « question qui se pose en l’espèce n’est pas de savoir s’il y a eu atteinte aux droits que les [appelantes] tirent de l’article 7 de la Charte en raison de la manière dont l’agent d’exécution a évalué la preuve du risque qu’elles alléguaient, mais plutôt de savoir si l’interdiction relative à l’ERAR prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la LIPR est invalide au plan constitutionnel ». Cette distinction correspond aux situations où la loi est jugée constitutionnelle, mais la manière par laquelle les représentants de l’État ont exercé l’autorité conférée par la loi est jugée inconstitutionnelle. À mon avis, c’est une réponse complète à l’argument des appelantes voulant que leur observation ait été mal interprétée par la juge.

[31]      En outre, sur ce point, je rejetterais la notion selon laquelle, si un agent d’exécution devait tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant sur des observations écrites, la Cour fédérale pourrait néanmoins juger la décision raisonnable. Comme l’a noté la juge au paragraphe 93 de ses motifs, les agents d’exécution doivent se limiter à évaluer le caractère suffisant de la preuve qui leur est présentée. Citant l’arrêt Singh et autres c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 214, la juge a déclaré que la Cour suprême « a jugé que, eu égard aux importants intérêts en jeu dans les demandes d’asile fondées sur l’existence de risques, lorsque se pose une question importante de crédibilité, “la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition” ».

[32]      Compte tenu de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Singh, un agent d’exécution ne peut pas raisonnablement tirer des conclusions quant à la crédibilité sans procéder à une entrevue.

[33]      Comme l’avocate du ministre l’a souligné dans sa plaidoirie, rien n’empêche un agent d’exécution d’interviewer une personne qui a présenté une demande de report de son renvoi, et les agents le font de temps à autre.

[34]      Le dernier argument des appelantes selon lequel, vu que la juge a accordé trop d’importance au raisonnement dans l’arrêt Peter et vu la décision de la Cour selon laquelle la décision était viciée, la décision en question doit être infirmée.

[35]      On peut toutefois répondre de deux façons à cet argument.

[36]      Premièrement, dans l’arrêt Peter, la Cour n’a pas conclu que l’analyse de la Charte de la Cour fédérale était incorrecte. Elle a plutôt conclu que la Cour fédérale n’était pas censée aborder son analyse de la Charte quand elle n’était pas étayée par un dossier de preuve régulier (motifs de la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 22).

[37]      Deuxièmement, la juge n’a pas fondé son analyse sur la décision de l’arrêt Peter. Comme le démontrent amplement ses motifs, la juge a mené son propre examen indépendant du régime de la Loi et de la jurisprudence pertinente.

[38]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel. Je répondrais à la question certifiée de la façon suivante :

Question : L’interdiction prévue à l’alinéa 112(2)b.1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contre la demande d’examen des risques avant renvoi, si moins de 36 mois se sont écoulés depuis le désistement de la demande d’asile, porte-t-elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

Réponse : Non.

Le juge Near, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Boivin, J.C.A. : Je suis d’accord.

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