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[2017] 2 R.C.F. 44

A-520-15

2016 CAF 195

Le procureur général du Canada (appelant)

c.

Abdullah Almalki, Khuzaimah Kalifah, Abdulrahman Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Sajeda Almalki, représentée par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Muaz Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Zakariyy A Almalki, représenté par son tuteur à l’instance Khuzaimah Kalifah, Nadim Almalki, Fatima Almalki, Ahmad Abou-Elmaati, Badr Abou-Elmaati, Samira Al-Shallash, Rasha Abou-Elmaati, Muayyed Nureddin, Abdul Jabbar Nureddin, Fadila Siddiqu, Mofak Nureddin, Aydin Nureddin, Yashar Nureddin, Ahmed Nureddin, Sarab Nureddin, Byda Nureddin (intimés)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. Almalki

Cour d’appel fédérale, juges Gauthier, Scott et de Montigny, J.C.A.—Ottawa, 14 juin et 8 juillet 2016.

Renseignement de sécurité — Communication de renseignements — Sources humaines — Appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale ayant conclu que l’application de l’art. 18.1 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité (la Loi sur le SCRS) dans les circonstances particulières de l’espèce était invalide — Les intimés ont intenté une poursuite en dommages-intérêts découlant de la violation alléguée des droits et libertés que leur garantit la Charte canadienne des droits et libertés — L’appelant a refusé d’identifier les sources humaines secrètes du SCRS — Il a introduit une demande (DES-1-11) en vertu de l’art. 38 de la Loi sur la preuve au Canada (la LPC) relative à la demande de communication de tous les documents pertinents faite par les intimés — Le nouvel art. 18.1 de la Loi sur le SCRS a créé un nouveau privilège générique pour les sources humaines — La Cour fédérale a conclu, entre autres, que l’application de l’art. 18.1 aux sources humaines qui ont fourni des informations avant la date d’adoption du texte législatif donnerait un effet rétrospectif à ce texte et que les intimés avaient un droit acquis au régime de communication établi au moment où l’art. 18.1 est entré en vigueur — Il s’agissait de savoir si l’art. 18.1 devait s’appliquer rétrospectivement ou prospectivement et si la présomption de non-atteinte aux droits acquis a été réfutée — L’art. 18.1 s’appliquait à l’instance soulevant l’application de l’art. 38 de la LPC dans le dossier DES-1-11 — L’art. 18.1 n’est pas destiné à avoir un effet rétroactif et ne prévoit pas une règle de preuve de nature procédurale — L’art. 18.1 confère un droit substantiel aux sources humaines ainsi qu’une exception au droit du public à la « preuve émanant de toutes les sources » — L’art. 18.1 l’emporte sur l’intérêt public à la communication de toute la preuve en soustrayant cette dernière à la compétence que l’art. 38 de la LPC confère à la Cour fédérale — Cette interprétation cadre avec le choix du législateur qui est de protéger les sources humaines et d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au SCRS — Dès lors qu’une personne physique répond aux critères énoncés à l’art. 2 de la Loi sur le SCRS, elle constitue une source et elle conserve ce statut de manière continue — Les nouvelles dispositions sont destinées à s’appliquer à une situation en cours, à savoir le statut de source humaine; la présomption de non-rétrospectivité des dispositions législatives en cause n’était pas en jeu — La présomption de non-atteinte aux droits acquis a été réfutée en l’espèce — L’art. 18.1 comble une lacune apparente en ce qui a trait au privilège de common law et accorde une plus grande protection aux sources humaines du SCRS — Le législateur a soupesé tous les facteurs pertinents et a jugé que l’intérêt public dans la non-communication de ce type précis et plutôt limité d’informations doit l’emporter sur tous les autres droits, sous réserve de l’art. 18.1(4)b) de la Loi sur le SCRS — Le législateur avait l’intention d’interdire la communication des informations indiquées à l’article 18.1 dans toutes les instances — Il est impossible de conclure que le législateur avait l’intention de ménager la possibilité d’une communication — L’atteinte aux droits en cause n’était ni arbitraire ni injuste — Appel accueilli.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale ayant conclu que l’application de l’article 18.1 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité (la Loi sur le SCRS) dans les circonstances particulières de l’espèce était invalide.

Les intimés ont intenté une poursuite devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario en vue de réclamer des dommages-intérêts découlant de la violation alléguée des droits et libertés que leur garantit la Charte canadienne des droits et libertés. L’appelant a refusé de produire des renseignements qui identifieraient des sources humaines secrètes du SCRS. Par conséquent, il a introduit une demande (DES-1-11) en vertu de l’article 38 de la Loi sur la preuve au Canada (la LPC) qui se rapportait à la demande relative à la communication de tous les documents pertinents faite par les intimés. Au cours de l’instruction de la présente instance, qui soulève l’application de l’article 38, des modifications ont été apportées à la Loi sur le SCRS et à d’autres lois. Les modifications faisant l’objet du présent litige ont été apportées en réponse à l’évolution de la jurisprudence portant que les sources humaines du SCRS ne bénéficiaient pas du privilège absolu qu’accorde la common law aux indicateurs de police. Le nouvel article 18.1 a remplacé la règle antérieure qui s’appliquait aux sources humaines du SCRS en supprimant la mention de ces sources à l’ancien paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS. L’ancien paragraphe 18(2) permettait l’application de l’article 38 de la LPC jusqu’à l’introduction des modifications. La Cour fédérale a conclu, entre autres, que d’appliquer l’article 18.1 aux sources humaines qui ont fourni des informations plusieurs années avant la date d’adoption du texte législatif donnerait un effet rétrospectif à ce texte, et que l’article 18.1 établit un nouveau privilège générique qui crée des droits substantiels pour les sources humaines et ne constitue pas une simple règle de preuve ou de procédure. La Cour fédérale a indiqué que l’application de l’article 18.1 pourrait nuire à la faculté pour les intimés de prouver leurs allégations devant la Cour supérieure. La Cour fédérale ne pouvait pas accepter que, dans un examen mené en application de l’article 38, le droit d’obtenir des informations ne soit acquis qu’au moment même où celles-ci sont communiquées. Dans la cadre du processus judiciaire civil, les intimés disposaient plutôt « dès le début » d’un droit à la communication. La Cour fédérale a conclu qu’au moment où l’article 18.1 est entré en vigueur, les intimés avaient un droit acquis au régime de communication établi pour la durée de l’instance dont l’instruction soulevait l’application de l’article 38.

Il s’agissait principalement de savoir 1) si l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS devait s’appliquer rétrospectivement (c.-à-d., s’il porte sur l’effet juridique futur d’une situation qui est survenue entièrement avant son adoption) ou prospectivement (c.-à-d., s’il porte sur l’effet juridique futur d’une situation en cours, comme le statut d’une personne physique à titre de source humaine); et 2) si la présomption de non-atteinte aux droits acquis a été réfutée.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

L’article 18.1 s’appliquait à l’instance qui soulève l’application de l’article 38 de la LPC dans le dossier DES-1-11.

L’article 18.1 de la Loi sur le SCRS n’est pas destiné à avoir un effet rétroactif, c’est-à-dire influer sur les conséquences juridiques passées d’une situation qui est survenue entièrement dans le passé. L’article 18.1 ne prévoit pas simplement une règle de preuve de nature procédurale. Bien que certaines dispositions de l’article 18.1 portent sur la procédure applicable, l’article confère un droit substantiel aux sources humaines découlant de leur statut et de leur relation particulière avec le SCRS. L’article 18.1 crée une exception au droit du public à la « preuve émanant de toutes les sources ». L’article 18.1 l’emporte sur l’intérêt public à la communication de toute la preuve en soustrayant cette dernière à la compétence que l’article 38 de la LPC confère à la Cour fédérale. Cette interprétation est la seule qui cadre avec le choix du législateur d’inclure un paragraphe précis qui indique clairement que l’objet de la disposition est de protéger la vie et la sécurité des sources humaines et d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au SCRS.

Quant à savoir si la présomption de non-rétrospectivité était en jeu, le fait qu’une disposition législative vise à attacher des conséquences à un statut ou à une situation en cours est très différent de la situation où une disposition prévoit les conséquences juridiques futures ou passées d’un événement qui est survenu entièrement dans le passé. Cette étape importante n’a pas été examinée par la Cour fédérale, qui a surtout accordé du poids en l’espèce au fait que les faits ayant engendré la relation entre une personne et le SCRS s’étaient déroulés bien avant l’adoption de l’article 18.1. Il n’était pas réellement nécessaire d’inclure une définition de « source humaine » dans la Loi sur le SCRS. Lorsque le libellé de la définition est examiné dans son contexte, l’intention du législateur est claire. Dès lors qu’une personne physique répond aux critères énoncés à l’article 2 (où l’expression « source humaine » est définie), elle constitue une source et elle conserve ce statut de manière continue. C’est l’« état » de source qui produit les conséquences juridiques décrites à l’article 18.1, même si la relation ayant donné lieu à ce statut a été établie avant l’adoption de la Loi sur le SCRS. Étant donné que les nouvelles dispositions sont destinées à s’appliquer à une situation en cours, à savoir le statut de source humaine, la présomption de non-rétrospectivité des dispositions législatives en cause n’était pas en jeu.

La présomption de non-atteinte aux droits acquis a été réfutée en l’espèce. Lorsque l’on examine le contexte historique et l’évolution législative de l’article 38 de la LPC et de l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS, il ne fait aucun doute que la nouvelle disposition prive les intimés du bénéfice de la version plus libérale du privilège découlant de l’application de l’article 38 de la LPC. Le nouvel article 18.1 vise à accroître la protection des sources humaines du SCRS. On ne peut dire que les modifications étaient redondantes et qu’elles n’ajoutaient rien de plus à la protection accordée au titre de l’article 38 de la LPC. Le législateur ne parle pas inutilement et le nouveau texte législatif est présumée apporter une solution de droit. Les nouvelles dispositions législatives étaient destinées à combler une lacune apparente après que la Cour suprême eut confirmé que le privilège absolu de common law accordé aux indicateurs de police ne s’appliquait pas aux sources humaines du SCRS. L’adoption de l’article 18.1 signifie que le législateur a soupesé tous les facteurs pertinents et a jugé que l’intérêt public dans la non-communication de ce type précis et plutôt limité d’informations doit l’emporter sur tous les autres droits, sous réserve de l’alinéa 18.1(4)b). Le législateur avait l’intention d’interdire la communication des informations indiquées à l’article 18.1 dans toutes les instances. Il est difficile, voire impossible, de conclure que le législateur avait l’intention de ménager la possibilité d’une communication car, selon le législateur, la communication pourrait avoir une incidence directe sur la vie et la sécurité des sources humaines. L’atteinte aux droits en cause n’était en l’espèce ni arbitraire ni injuste.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38 à 38.16.

Loi sur la protection du Canada contre les terroristes, L.C. 2015, ch. 9.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « source humaine », 18(1),(2), 18.1.

Projet de loi C-44, Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois (sanctionné le 23 avril 2015), L.C. 2015, ch. 9.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Dikranian c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 73, [2005] 3 R.C.S. 530; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Procureur général) c. Almalki, 2010 CF 1106, [2012] 2 R.C.F. 508, inf. par 2011 CAF 199, [2012] 2 R.C.F. 594; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33; R. c. Dineley, 2012 CSC 58, [2012] 3 R.C.S. 272; Wildman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 311; R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477; Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358; Abou-Elmaati v. Canada (Attorney General), 2011 ONCA 95, 104 O.R. (3d) 81.

DÉCISIONS CITÉES :

Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Procureur général) c. Telbani, 2014 CF 1050.

DOCTRINE CITÉE

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 4e éd. Montréal : Thémis, 2009.

Côté, Pierre-André. « La position temporelle des faits juridiques et l’application de la loi dans le temps » (1988), 22 R.J.T. 207.

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2e éd. Toronto : Butterworths, 1983.

Driedger, Elmer A. « Statutes : Retroactive Retrospective Reflections » (1978), 56 R. du B. can. 265.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2014.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2015 CF 1278, [2016] 4 R.C.F. 66) ayant conclu que l’application de l’article 18.1 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité dans les circonstances particulières de l’espèce était invalide. Appel accueilli.

ONT COMPARU

Christopher Rupar et Derek Rasmussen pour l’appelant.

Barbara L. Jackman pour les intimés.

John Norris à titre d’amicus curiae.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le procureur général du Canada pour l’appelant.

Jackman, Nazami & Associates, Toronto et Stockwoods LLP Barristers, Toronto, pour les intimés.

John Norris à titre d’amicus curiae.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Gauthier¸ J.C.A. : Le procureur général du Canada (PGC) interjette appel de la décision rendue par le juge Richard Mosley de la Cour fédérale (le juge), qui a conclu que l’application de l’article 18.1 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (Loi sur le SCRS) serait « invalide » dans les circonstances particulières de l’espèce (2015 CF 1278, [2016] 4 R.C.F. 66 [motifs]). Plus précisément, le juge a conclu que l’article 18.1 ne prévoyait pas simplement une règle de preuve de nature procédurale, mais qu’il aurait une application rétrospective et que son application porterait atteinte aux droits acquis des intimés à la communication d’informations susceptibles de découvrir l’identité de la source humaine mêlée à la présente affaire, droits dont l’exercice n’était subordonné qu’à la mise en balance des facteurs énoncés à l’article 38 et suivants de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (la LPC). Je souligne que la mention de l’article 38 dans les présents motifs renvoie aux articles 38 à 38.16 de la LPC.

[2]        La conclusion du juge concernant l’application du paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS ne fait pas l’objet du présent appel. Par conséquent, la question relative aux informations caviardées se rapportant aux employés du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) sera traitée dans le cadre de l’instance soulevant l’application de l’article 38, selon la conclusion que tire le juge au paragraphe 55 de ses motifs.

[3]        Il convient de mentionner dès le départ que le présent appel ne commande que l’application à la disposition précise en cause de principes d’interprétation législative bien établis. Cela dit, il ne faut pas en conclure que la question dont nous sommes saisis est simple, car elle porte sur l’application dans le temps du nouveau privilège générique accordé aux sources humaines du SCRS par l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS. Comme l’ont fait remarquer les professeurs Côté, Beaulac et Devinat dans leur ouvrage intitulé Interprétation des lois, 4e éd. (Montréal : Thémis, 2009), à la page 128, le droit transitoire est l’un des domaines du droit les plus difficiles.

[4]        Pour les motifs suivants, j’accueillerais l’appel.

I.          Contexte

[5]        Le contexte factuel général et l’historique procédural pertinent des instances civiles intentées par MM. Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin et par certains membres de leur famille (collectivement, les intimés), ainsi que les demandes présentées subséquemment par le PGC en vertu de l’article 38 de la LPC, sont décrits en détail dans les motifs du juge (voir les paragraphes 14 à 36).

[6]        Pour les besoins du présent appel, nous pouvons nous limiter à rappeler qu’il y a plus de dix ans, les intimés ont intenté, devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, des instances civiles en dommages-intérêts, plaidant la violation des droits et libertés qu’ils tirent de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[7]        Au cours des tentatives de médiation infructueuses et tout au long de l’enquête préalable à l’instance qui s’est ensuivie, le PGC a produit de nombreux documents caviardés, tout en refusant de produire les informations qui tendraient à découvrir l’identité de sources humaines secrètes du SCRS. Le PGC a notamment invoqué le privilège relatif à la sécurité nationale.

[8]        En conséquence, le PGC a présenté deux demandes en vertu de l’article 38 de la LPC. La première demande, qui porte sur les documents communiqués en vue de la médiation, a été traitée dans le dossier DES-1-10. La deuxième, qui se rapporte à la demande des intimés relative à la communication de tous les documents pertinents après l’échec de la médiation, a été traitée dans le dossier DES-1-11. La demande portant le numéro de dossier DES-1-10 a été réglée dans les décisions Canada (Procureur général) c. Almalki, 2010 CF 1106, [2012] 2 R.C.F. 508 (Almalki 2010) et Canada (Procureur général) c. Almalki, 2011 CAF 199, [2012] 2 R.C.F. 594 (Almalki 2011).

[9]        C’est au cours de l’instruction de la présente instance, qui soulève l’application de l’article 38, dans le dossier DES-1-11, que le projet de loi C-44, la Loi modifiant la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et d’autres lois, a été déposé en octobre 2014. La Loi est entrée en vigueur le 23 avril 2015 sous le titre de Loi sur la protection du Canada contre les terroristes, L.C. 2015, ch. 9. Il est généralement entendu et admis que les modifications en cause dans le présent appel ont été apportées à la suite d’une évolution jurisprudentielle récente portant que, contrairement à ce que croyait le SCRS, ses sources humaines ne bénéficiaient pas du privilège absolu qu’accorde la common law aux indicateurs de police. En effet, la Cour suprême du Canada a souligné dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, 2014 CSC 37, [2014] 2 R.C.S. 33 (Harkat), au paragraphe 87, que seul le législateur pouvait créer un nouveau privilège générique s’il le jugeait souhaitable. Un message similaire avait été exprimé par notre Cour dans l’arrêt Almalki 2011, au paragraphe 34.

[10]      En conséquence, les parties, y compris les amici dûment nommés, ont présenté leurs observations orales et écrites au juge relativement à l’interprétation et à l’application du nouveau texte législatif révisé, lequel pouvait avoir une incidence sur la faculté pour le juge de soupeser les facteurs énoncés à l’article 38 de la LPC relativement aux informations susceptibles de découvrir l’identité des sources humaines.

II.         La décision de la Cour fédérale

[11]      Le 23 novembre 2015, le juge rend une décision qu’il qualifie d’interlocutoire sur cette question importante et distincte. Le juge souligne au paragraphe 63 de ses motifs que si l’article 18.1 devait s’appliquer à l’affaire, « il écartera[it] la compétence dont dispose la Cour en vertu de l’article 38 de la LPC de statuer sur la question de la communication des informations qui peuvent permettre d’identifier une source humaine ».

[12]      Le juge entreprend son analyse en déclarant qu’il existe une forte présomption selon laquelle le législateur n’entend pas que ses lois s’appliquent rétroactivement ou rétrospectivement. Il mentionne qu’il peut être difficile d’établir une distinction entre la rétrospectivité et la rétroactivité. Il explique ensuite que bien que les parties s’entendent pour dire que l’article 18.1 ne devrait pas s’appliquer rétroactivement ou rétrospectivement, elles divergent sur la question de savoir si son application en l’espèce serait prospective (voir à cet égard les motifs du juge, au paragraphe 63).

[13]      Il appert que les débats devant le juge portaient sur la question de savoir si l’article 18.1 devait s’appliquer à toutes les instances, peu importe le moment où elles avaient été intentées, pourvu qu’il n’y ait pas eu communication des informations relatives à une source humaine avant cette date. Le juge semble avoir retenu les prétentions des intimés selon lesquelles était centrale la définition de « source humaine » à l’article 2 de la Loi sur le SCRS (voir le paragraphe 23 des présents motifs), car l’application de cette définition à l’affaire renvoie à des faits ayant eu lieu bien avant l’adoption des modifications. Ainsi, les intimés ont fait valoir que l’application de l’article 18.1 serait, sinon rétroactive, du moins rétrospective.

[14]      Fait intéressant, le juge signale l’argument des intimés selon qui le PGC cherche à conférer une nouvelle conséquence juridique à des faits antérieurs (voir les motifs du juge, au paragraphe 67), sans toutefois s’attarder davantage à cette question, avant de conclure qu’en appliquant l’article 18.1 à une source humaine ayant fourni de l’information 13 ou 14 ans avant l’adoption du texte législatif, on donnerait un effet rétrospectif à ce dernier (voir les motifs du juge, au paragraphe 72).

[15]      Selon le juge, la seule question qui reste à trancher est de savoir si la loi porte atteinte à des droits substantiels ou acquis. Son analyse semble être fondée sur le paragraphe 10 de l’arrêt R. c. Dineley, 2012 CSC 58, [2012] 3 R.C.S. 272 (Dineley) (voir les motifs du juge, au paragraphe 61; voir également mes commentaires à cet effet aux paragraphes 30 et 31).

[16]      Le juge conclut que l’article 18.1 établit un nouveau privilège générique qui crée, d’après lui, des droits substantiels pour les sources humaines. Les intimés et les amici ont soutenu que le droit à l’anonymat conféré aux sources humaines est un droit substantiel puisqu’il découle du statut d’une personne en tant que source, lequel est obtenu dès la survenance de certains faits (voir les motifs du juge, au paragraphe 84). Ils ont fait valoir que le droit et le statut existent tous les deux, qu’il y ait litige ou non. C’est sur la foi de cet argument que le juge conclut que l’article 18.1 ne peut constituer une simple règle de preuve ou de procédure.

[17]      Même s’il n’en explique pas clairement la nécessité pour son analyse, le juge poursuit en affirmant que, sans se prononcer sur le bien-fondé des affirmations contenues dans les actions civiles des intimés, la Cour « peut raisonnablement tirer une conclusion » selon laquelle l’application de l’article 18.1 « pourrait » nuire à la faculté pour les intimés de prouver leurs allégations devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (voir les motifs du juge, au paragraphe 92).

[18]      Dans la dernière partie de ses motifs, le juge prend en considération un argument subsidiaire pour conclure que l’article 18.1 ne devrait pas s’appliquer. Il poursuit en examinant l’application de la présomption contre l’atteinte aux droits acquis, puis en se demandant si les intimés avaient un droit acquis en ce qui a trait à la communication des informations relatives à une source humaine, dont l’exercice n’était subordonné qu’à la mise en balance prévue à l’article 38. Aux paragraphes 95 à 98, il énonce les règles de droit qu’il entend respecter. Il est toutefois difficile de circonscrire le raisonnement du juge quant au poids qu’il accorde à la présomption, étant donné qu’il traite principalement d’arguments se rapportant à la nature des droits qui seraient dévolus aux intimés, y compris le fait que la décision qu’il a précédemment rendue dans le dossier DES-1-10 ne pouvait être revêtue de l’autorité de la chose jugée relativement aux nouveaux documents du dossier DES-1-11. Il est très peu question de l’intention du législateur de réfuter la présomption.

[19]      Le juge mentionne qu’il ne peut accepter que dans un examen mené en application de l’article 38, le droit d’obtenir des informations n’est acquis qu’au moment même où celles-ci sont communiquées. Il estime plutôt que les intimés avaient un droit à la communication d’informations dans le cadre du processus judiciaire civil « dès le début » (voir les motifs du juge, au paragraphe 107). La question à trancher dans un examen mené en application de l’article 38 est de savoir si, à l’étape de l’enquête préalable, des informations qui auraient été normalement communiquées peuvent être soustraites à la communication pour des raisons d’intérêt public.

[20]      Le juge mentionne ensuite qu’il ne s’agit pas de l’abrogation d’un texte législatif ni même d’un privilège de common law existant. Il conclut que l’arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, était de peu d’utilité, celui-ci traitant d’impôt sur le revenu et l’analogie avec la présente affaire étant ténue. À son avis, il était exagéré de comparer le droit à la communication dans une instance en cours au droit à une exonération fiscale particulière, dont la modification annuelle aurait dû être envisagée par le contribuable.

[21]      Pour ce motif, il conclut qu’au moment où l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS est entré en vigueur, les intimés avaient un droit acquis au régime de communication établi pour la durée de l’instance dont l’instruction soulevait l’application de l’article 38 (voir les motifs du juge, au paragraphe 110).

III.        Dispositions législatives

[22]      Le nouvel article 18.1 est ainsi rédigé :

Objet de l’article — sources humaines

18.1 (1) Le présent article vise à préserver l’anonymat des sources humaines afin de protéger leur vie et leur sécurité et d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au Service.

Interdiction de communication

(2) Sous réserve des paragraphes (3) et (8), dans une instance devant un tribunal, un organisme ou une personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production d’informations, nul ne peut communiquer l’identité d’une source humaine ou toute information qui permettrait de découvrir cette identité.

Exception — consentement

(3) L’identité d’une source humaine ou une information qui permettrait de découvrir cette identité peut être communiquée dans une instance visée au paragraphe (2) si la source humaine et le directeur y consentent.

Demande à un juge

(4) La partie à une instance visée au paragraphe (2), l’amicus curiae nommé dans cette instance ou l’avocat spécial nommé sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés peut demander à un juge de déclarer, par ordonnance, si une telle déclaration est pertinente dans l’instance :

a) qu’une personne physique n’est pas une source humaine ou qu’une information ne permettrait pas de découvrir l’identité d’une source humaine;

b) dans le cas où l’instance est une poursuite pour infraction, que la communication de l’identité d’une source humaine ou d’une information qui permettrait de découvrir cette identité est essentielle pour établir l’innocence de l’accusé et que cette communication peut être faite dans la poursuite.

Contenu et signification de la demande

(5) La demande et l’affidavit du demandeur portant sur les faits sur lesquels il fonde celle-ci sont déposés au greffe de la Cour fédérale. Sans délai après le dépôt, le demandeur signifie copie de la demande et de l’affidavit au procureur général du Canada.

Procureur général du Canada

(6) Le procureur général du Canada est réputé être partie à la demande dès que celle-ci lui est signifiée.

Audition

(7) La demande est entendue à huis clos et en l’absence du demandeur et de son avocat, sauf si le juge en ordonne autrement.

Ordonnance de communication pour établir l’innocence

(8) Si le juge accueille la demande présentée au titre de l’alinéa (4)b), il peut ordonner la communication qu’il estime indiquée sous réserve des conditions qu’il précise.

Prise d’effet de l’ordonnance

(9) Si la demande présentée au titre du paragraphe (4) est accueillie, l’ordonnance prend effet après l’expiration du délai prévu pour en appeler ou, en cas d’appel, après sa confirmation et l’épuisement des recours en appel.

Confidentialité

(10) Il incombe au juge de garantir la confidentialité :

a) d’une part, de l’identité de toute source humaine ainsi que de toute information qui permettrait de découvrir cette identité;

b) d’autre part, des informations et autres éléments de preuve qui lui sont fournis dans le cadre de la demande et dont la communication porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

Confidentialité en appel

(11) En cas d’appel, le paragraphe (10) s’applique, avec les adaptations nécessaires, aux tribunaux d’appel.

[23]      L’expression « source humaine » est ainsi définie à l’article 2 :

2 […]

source humaine Personne physique qui a reçu une promesse d’anonymat et qui, par la suite, a fourni, fournit ou pourrait vraisemblablement fournir des informations au Service.

IV.       Analyse

A.        Norme de contrôle

[24]      La seule question dont est saisie notre Cour porte sur l’application de l’article 18.1 dans le temps. Il s’agit d’une question de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

[25]      Toutefois, les intimés et l’amicus (un seul a comparu devant nous) soutiennent que l’existence d’un droit acquis pour les intimés, une question distincte portant à la fois sur les faits et le droit, est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante. Le PGC soutient pour sa part que, comme elle fait partie intégrante de l’interprétation de l’article 18.1, il s’agit plutôt d’une pure question de droit. À mon avis, il importe peu en l’espèce de se prononcer sur la norme de contrôle applicable à la question de savoir si les intimés ont un droit acquis (voir le paragraphe 57).

B.        Remarques préliminaires

[26]      Avant de commencer mon analyse, j’aimerais faire quelques remarques préliminaires qu’il importe de garder à l’esprit dans l’examen de la jurisprudence invoquée par les parties ainsi que de la jurisprudence traitant de la difficile question de l’application des lois dans le temps.

[27]      Le premier obstacle, comme le mentionne le juge, découle de la terminologie non uniforme employée dans les ouvrages de doctrine anciens et dans la jurisprudence. Deuxièmement, il convient de ne pas confondre les divers principes d’interprétation des lois qui s’appliquent.

[28]      Le sens du terme « rétrospectif » n’est pas toujours clair, non seulement dans la jurisprudence ancienne, mais également dans la jurisprudence moderne. En fait, ce terme est souvent utilisé comme synonyme de « rétroactif ». Ce problème, je le répète, persiste à ce jour malgré les mises en garde constantes par des auteurs comme Elmer A. Driedger, Ruth Sullivan et P.A. Côté. Cette situation est malheureusement exacerbée par le fait que, dans bien des cas, l’on ne différencie pas suffisamment certaines présomptions, comme celles de non-rétroactivité et de non-rétrospectivité des lois (définies et analysées par M. Driedger dans « Statutes : Retroactive Retrospective Reflections » (1978), 56 R. du B. can. 264 (Retroactive Retrospective Reflections), et par M. Côté dans Interprétation des lois, aux pages 153 à 157) de celle contre l’atteinte aux droits acquis. Cette dernière présomption s’applique généralement à toutes les lois, et non pas seulement à celles qui sont rétroactives ou rétrospectives.

[29]      Évidemment, il est tentant de faire preuve de concision pour résumer sa pensée en fusionnant divers éléments de ces principes d’interprétation très distincts. Mais ce faisant, on risque de confondre involontairement des présomptions qui n’ont pas la même force et qui sont susceptibles d’être réfutées par différents moyens.

[30]      L’une de ces présomptions veut que des dispositions procédurales s’appliquent immédiatement à l’ensemble des instances en cours relativement aux actes futurs. Il peut être exact de dire que cette présomption ne s’appliquera pas si les dispositions procédurales en question créent des droits substantiels ou y portent atteinte. Il en est ainsi, non pas par exception à l’application de la présomption, mais plutôt parce qu’une disposition n’est pas en soi simplement ou uniquement une disposition procédurale si elle a une incidence sur des droits substantiels. Ainsi, la présomption n’intervient tout simplement pas dans de tels cas. Dans un autre ordre d’idées — néanmoins connexes —, même les dispositions d’application immédiate ou prospective sont assujetties à la présomption contre l’atteinte aux droits acquis.

[31]      Comme l’a souligné M. Driedger, il est erroné de conclure qu’une loi est rétroactive ou rétrospective pour la simple raison qu’elle porte atteinte à des droits acquis (Retroactive Retrospective Reflections, à la page 266). En effet, je le répète, la présomption contre l’atteinte aux droits acquis est distincte de celles de non-rétroactivité ou de non-rétrospectivité et n’a pas le même poids. Il se peut que le même résultat soit obtenu en pratique. Néanmoins, comme l’application de la loi dans le temps en l’absence de dispositions transitoires claires se révèle difficile, il convient de maintenir les distinctions entre ces concepts pour veiller à leur accorder le poids qui convient tout au long de l’analyse téléologique. À titre d’exemple, au paragraphe 10 de l’arrêt Dineley, il est évident que la juge Deschamps n’avait pas l’intention de changer les règles d’interprétation applicables. Ces règles sont décrites plus en détail par le juge Cromwell au paragraphe 35 de ce même arrêt (voir également les motifs du juge Bastarache dans l’arrêt Dikranian c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 73, [2005] 3 R.C.S. 530 (Dikranian), aux paragraphes 45 à 51).

[32]      Les droits acquis sont forcément des droits substantiels, puisqu’il n’y a aucun droit acquis à de simples processus ou procédure. Ainsi, dans ce sens seulement, on peut déduire d’une nouvelle disposition qui porte atteinte à des droits acquis qu’elle n’est pas simplement de nature procédurale. Une telle conclusion va dans le sens des propos de la juge Deschamps au paragraphe 10 de l’arrêt Dineley en référence à l’arrêt Wildman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 311, dans lequel le juge Lamer [tel était son titre] devait décider si la règle de preuve en question portait sur des droits substantiels ou simplement sur la procédure.

[33]      Je vais maintenant passer à l’analyse.

[34]      Dans le présent appel, les parties ont soulevé des arguments sur les quatre présomptions distinctes qui suivent :

i.          La présomption selon laquelle le législateur n’entend pas que les lois s’appliquent rétroactivement, soit de manière à changer les conséquences juridiques passées d’une situation qui est survenue entièrement dans le passé. Cette présomption est forte (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham, Ont. : LexisNexis, 2014), à la page 761, paragraphe 1);

ii.         La présomption selon laquelle le législateur n’entend pas que les lois s’appliquent rétrospectivement (au sens attribué à ce terme par M. Driedger dans Retroactive Retrospective Reflections), soit de manière à changer les conséquences juridiques futures d’une situation qui est survenue entièrement dans le passé, à moins qu’elle n’ait été adoptée pour protéger le public. Le poids de cette présomption est variable (Sullivan on the Construction of Statutes, précité, à la page 761, paragraphe 2); nous ne pouvons donc pas simplement la qualifier de « forte », comme c’est le cas pour la présomption de non-rétroactivité;

iii.        La présomption voulant que le législateur entende que les lois à vocation procédurale s’appliquent immédiatement tant aux instances en cours qu’aux mesures futures (Sullivan on the Construction of Statutes, précité, à la page 761, paragraphe 5);

iv.        La présomption selon laquelle le législateur n’entend pas porter atteinte à des droits acquis. Au risque de me répéter, le poids de cette présomption varie selon divers facteurs, comme la nature du droit protégé et l’effet inéquitable ou arbitraire qu’aurait l’abolition ou la limitation de ce droit. La présomption est souvent réfutée en l’absence de termes exprès dans le texte législatif (Sullivan on the Construction of Statutes, précité, à la page 761, paragraphe 3; voir également Interprétation des lois, à la page 182).

[35]      Je n’ai pas l’intention de traiter en détail des première et troisième présomptions puisque, à mon avis, elles ne trouvent pas application en l’espèce.

[36]      En effet, il est évident, selon moi, que l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS n’est pas destiné à avoir un effet rétroactif, c’est-à-dire influer sur les conséquences juridiques passées d’une situation qui est survenue entièrement dans le passé.

[37]      Je suis également d’accord avec les intimés et l’amicus que l’article 18.1 ne prévoit pas simplement une règle de preuve de nature procédurale. Comme il est indiqué dans le renvoi Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248, au paragraphe 56 « pour qu’une disposition soit considérée comme étant de nature procédurale, elle doit toucher exclusivement la procédure ». Le commentaire du juge, selon lequel l’application de l’article 18.1 écarterait la compétence que lui confère l’article 38 relativement aux informations qui permettraient de découvrir l’identité de sources humaines (voir les motifs du juge, au paragraphe 63), appuie les autres arguments analysés en l’espèce quant à la nature substantielle de l’article 18.1.

[38]      Bien que certaines dispositions de l’article 18.1 portent sur la procédure applicable (voir les paragraphes 18.1(4) à (7)), cet article confère un droit substantiel aux sources humaines découlant de leur statut et de leur relation particulière avec le SCRS. Le privilège générique créé par l’article 18.1 se rapproche (mais se distingue) du privilège générique accordé par la common law aux indicateurs de police, privilège que notre Cour a décrit dans l’arrêt Almalki 2011 ainsi : « une règle juridique d’ordre public qui s’impose au juge » (voir les paragraphes 15 à 18). Cette description va dans le même sens que la prétention du PGC selon laquelle l’adoption du projet de loi C-44 découle des commentaires formulés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Harkat, dans lequel elle a confirmé que seul le législateur pouvait créer un tel privilège générique pour les sources humaines du SCRS s’il le jugeait souhaitable.

[39]      L’article 18.1 crée ainsi une exception au droit du public « à la preuve émanant de toutes les sources » (R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, au paragraphe 1). Il l’emporte sur l’intérêt public à la communication de toute la preuve en soustrayant cette dernière à la compétence que l’article 38 de la LPC confère à la Cour fédérale.

[40]      Cette interprétation est la seule qui cadre avec le choix du législateur d’inclure un paragraphe précis indiquant très clairement que l’objet de la disposition est de protéger la vie et la sécurité des sources humaines et d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au SCRS (voir le paragraphe 18.1(1)). Il ne serait guère logique de faire une telle déclaration si la disposition ne prévoyait qu’un simple processus ou qu’une simple procédure.

[41]      La Cour est ensuite appelée à décider si la deuxième présomption trouve application (car l’article 18.1 influe sur les conséquences juridiques futures d’une situation survenue entièrement avant l’adoption de cette disposition) ou si l’article 18.1 s’applique simplement prospectivement (c’est-à-dire s’il influe sur les conséquences juridiques futures d’une situation en cours, comme le statut d’une personne physique à titre de source humaine).

C.        La présomption de non-rétrospectivité trouve-t-elle application?

[42]      Comme je l’ai fait remarquer au paragraphe 16, les intimés et l’amicus ont fait valoir, au moment de présenter leurs arguments au juge, que le droit énoncé à l’article 18.1 repose sur le statut d’une personne à titre de source humaine. Je suis d’accord.

[43]      Même si cet argument visait à répondre à la troisième présomption, il importe de le prendre en considération lorsqu’il s’agit de définir la « situation » à laquelle les dispositions législatives en cause sont censées s’appliquer ou à laquelle elles attachent des conséquences juridiques.

[44]      En effet, comme l’ont souligné tant M. Côté que M. Driedger, l’étape la plus importante dans l’application des diverses présomptions est de caractériser correctement la situation à laquelle la loi s’applique (Pierre-André Coté, « La position temporelle des faits juridiques et l’application de la loi dans le temps » (1988), 22 R.J.T. 207, aux pages 210 et 211 (Position temporelle des faits juridiques); Interprétation des lois, à la page 148). Il s’agit rarement d’une tâche facile, et la disposition en cause doit faire l’objet d’une interprétation téléologique. Comme l’a fait remarquer le juge Iacobucci, s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358 (Benner), aux paragraphes 45 et 46 :

La question à trancher consiste donc à caractériser la situation […]

[…] bien des situations peuvent raisonnablement être considérées comme mettant en jeu à la fois des événements précis et isolés et des conditions en cours. Ainsi, un statut ou une condition en cours découlera souvent d’un événement passé précis et isolé. Une déclaration de culpabilité en matière criminelle constitue un événement unique précis et isolé, mais elle crée une condition en cours, celle d’être en détention, ou le statut de « détenu ». Des observations semblables vaudraient également en ce qui a trait au mariage ou au divorce. Pour déterminer si une affaire donnée emporte l’application de la Charte à un événement passé, ou simplement à une condition ou à un statut en cours, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, l’élément le plus important ou le plus pertinent de cette affaire est l’événement passé ou la condition en cours qui en résulte. Il s’agit là, comme je l’ai dit plus tôt, d’une question de caractérisation, qui variera selon les circonstances. La détermination dépendra des faits de l’espèce, du texte de loi en cause et du droit garanti par la Charte dont le demandeur sollicite l’application. [Italiques dans l’original.]

[45]      Il existe une différence importante entre une disposition législative destinée à attacher des conséquences à un statut ou à une situation en cours et celle qui prévoit les conséquences juridiques futures ou passées d’un événement qui est survenu entièrement dans le passé (voir Benner, au paragraphe 42, où le juge Iacobucci s’appuie sur la proposition de M. Driedger, qu’il a réitérée dans Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983)). Il semble que cette étape importante n’ait pas été examinée par le juge, qui a surtout accordé du poids en l’espèce au fait que les faits ayant engendré la relation entre une personne et le SCRS s’étaient déroulés bien avant l’adoption de l’article 18.1. En même temps, le juge a accepté que ce qu’on appelle le privilège générique découle du statut en cours d’une personne à titre de source humaine.

[46]      Les expressions « sources humaines » ou « sources humaines du SCRS » ne sont pas nouvelles. Elles ont souvent été utilisées par le passé (voir, par exemple, la décision Canada (Procureur général) c. Telbani, 2014 CF 1050, aux paragraphes 45 à 47). Elles ont également été utilisées par les intimés en l’espèce, et ce bien avant la rédaction du projet de loi C-44 (voir la partie intitulée Renseignements provenant de sources humaines de la décision du juge dans Almalki 2010, aux paragraphes 163 à 170; voir aussi l’arrêt Almalki 2011, aux paragraphes 10 à 34). Dans l’arrêt Harkat, aux paragraphes 78 à 87, ces expressions sont reprises, mais renvoient à un autre régime législatif.

[47]      Point n’était besoin d’inclure une définition de « source humaine » dans la Loi sur le SCRS. En l’absence d’une telle définition, il ne faisait aucun doute que la Loi devait s’appliquer au statut en cours (ou à « l’état ») de source humaine. Cependant, compte tenu des divers commentaires jurisprudentiels concernant l’interprétation antérieure de ce terme par le SCRS, on peut supposer que le législateur estimait souhaitable de définir les « ingrédients » permettant d’établir les rapports donnant naissance au statut de source humaine.

[48]      L’intention du législateur ressort clairement du libellé de la définition (voir le paragraphe 23) en contexte, y compris de celui de l’alinéa 18.1(4)a), qui confère le droit de faire valoir « qu’une personne physique n’est pas une source » [non souligné dans l’original]. Dès lors qu’une personne physique répond aux critères énoncés à l’article 2, elle constitue une source et elle conserve ce statut de manière continue. Pour reprendre les termes de M. Driedger, c’est [traduction] « l’état » de source qui entraîne les conséquences juridiques décrites à l’article 18.1, même si la relation ayant donné lieu à ce statut a été établie avant l’adoption de la Loi sur le SCRS (voir aussi Position temporelle des faits juridiques, aux pages 215 à 219, 228, 229, 236 et 237).

[49]      À l’audience, l’amicus a convenu que la Cour pouvait en venir à une telle conclusion. Il a souligné que le présent appel, à son avis, portait fondamentalement sur l’application de la présomption contre l’atteinte aux droits acquis. Je suis du même avis et j’aborderai ensuite ce principe.

[50]      Pour conclure la présente partie, étant donné que les nouvelles dispositions sont destinées à s’appliquer à une situation en cours, à savoir le statut de source humaine, la présomption de non-rétrospectivité des dispositions législatives en cause n’entre pas en jeu.

[51]      Comme les présomptions de non-rétrospectivité et de non-rétroactivité ne trouvent pas application, il n’est guère nécessaire d’examiner la conclusion du juge selon laquelle l’article 18.1 « pourrait » en fin de compte nuire à la capacité des défendeurs d’établir le bien-fondé de leurs allégations devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (voir les motifs du juge, au paragraphe 92).

[52]      En effet, il semble avoir jugé nécessaire de traiter de cette question — qui, selon lui, se distingue de celle de savoir si les défendeurs avaient des droits acquis à la communication de renseignements pouvant permettre d’identifier une source humaine, dont l’exercice était subordonné à l’application de l’article 38 (partie V.B.(3) de ses motifs) —, car, selon lui, une telle situation entraîne une application rétrospective de l’article 18.1 (voir les motifs du juge, au paragraphe 61).

[53]      Quoi qu’il en soit, compte tenu de la nature limitée de l’information protégée par l’article 18.1 ainsi que du type d’information divulguée par le passé dans les instances qui soulevaient l’application de l’article 38, et sans connaître toute l’information déjà mise à la disposition des intimés, il est impossible de décider si la conclusion quant à une « incidence possible » est fondée.

D.        La présomption contre l’atteinte aux droits acquis

[54]      Tout au long de mon analyse, j’ai manifestement suivi l’approche moderne d’interprétation législative qui requiert qu’on interprète les termes d’une loi dans leur contexte global (ce qui comprend les présomptions applicables), en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Comme l’a souligné le juge Bastarache dans l’arrêt Dikranian, il est particulièrement important, lorsqu’il s’agit de la présomption contre l’atteinte aux droits acquis, d’éviter de tomber dans le piège de l’interprétation littérale des dispositions législatives (Dikranian, au paragraphe 36).

[55]      Bien qu’il s’agisse de la dernière partie de l’analyse, j’estime qu’il valait mieux traiter de l’objet ainsi que de l’évolution et de l’historique législatifs de la disposition en cause de manière plus détaillée dans cette partie afin d’éviter toute répétition. J’aborderai ce point après avoir décidé si oui ou non les intimés ont un droit acquis faisant intervenir la présomption contre l’atteinte à de tels droits.

[56]      À l’exception de la question de l’autorité de la chose jugée, les arguments des parties étaient essentiellement les mêmes que ceux mentionnés à la partie V.B.(3) des motifs du juge.

[57]      Comme je l’ai noté précédemment (voir le paragraphe 25), je ne crois pas que la question de la norme de contrôle à appliquer est pertinente, car j’estime que le juge n’a pas fait erreur en décidant que le droit des intimés à la communication de tous les renseignements pertinents, dont l’exercice est subordonné à l’application de l’article 38, ne se résume pas à un droit de nature procédurale.

[58]      Dans l’arrêt Abou-Elmaati v. Canada (Attorney General), 2011 ONCA 95, 104 O.R. (3d) 81, aux paragraphes 17 à 21, (un jugement rendu dans des instances civiles intentées par certains des intimés), la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le régime établi par l’article 38 de la LPC constitue en fait une libéralisation du privilège conféré en common law à la Couronne et fondé sur les relations internationales, la sécurité nationale et la défense nationale, lequel était auparavant un privilège absolu ne pouvant être contesté d’aucune manière.

[59]      Comme j’y ai fait allusion précédemment, le nouvel article 18.1 a effectivement remplacé la règle antérieure qui s’appliquait aux sources humaines du SCRS en supprimant la mention de ces sources à l’ancien paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS. En effet, l’ancien paragraphe 18(2) permettait l’application de l’article 38 de la LPC jusqu’à l’introduction des modifications en avril 2015 (les dispositions antérieures sont reproduites à l’annexe A).

[60]      Ainsi, lorsque l’on examine le contexte historique et l’évolution législative de l’article 38 de la LPC et de l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS, il ne fait aucun doute que la nouvelle disposition prive les intimés du bénéfice de la version plus libérale du privilège découlant de l’application de l’article 38 de la LPC, qui régissait la question de l’identité des sources et des informations qui tendraient à découvrir leur identité jusqu’à présent.

[61]      En ce sens, je suis d’accord avec l’amicus pour dire que les modifications récentes changent les [traduction] « règles du jeu au détriment des intimés » (mémoire des faits et du droit de l’amicus curiae, au paragraphe 29). Je dois donc décider si la présomption selon laquelle l’intention du législateur n’était pas d’entraîner un tel résultat a été réfutée.

[62]      Comme je le souligne au paragraphe 34, le poids de cette dernière présomption varie selon divers facteurs, comme la nature et l’importance du droit que les intimés cherchent à protéger et l’iniquité ou le caractère arbitraire de la décision de les en priver. En adoptant une interprétation téléologique, la Cour doit également tenter de voir si ces conséquences indésirables sont nécessaires ou justifiées pour l’atteinte des objectifs du législateur.

[63]      Comme l’a souligné le juge au paragraphe 43 de ses motifs, « [p]our reprendre les termes de l’auteur du projet de loi, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, la modification [le nouvel article 18.1] vise à “accroître la protection des sources humaines du Service canadien du renseignement de sécurité” ».

[64]      Le paragraphe 18.1(1) prescrit expressément ce qui suit :

Objet de l’article — sources humaines

18.1 (1) Le présent article vise à préserver l’anonymat des sources humaines afin de protéger leur vie et leur sécurité et d’encourager les personnes physiques à fournir des informations au Service.

[65]      Les intimés font valoir qu’à l’égard des « véritables » sources humaines les modifications sont redondantes et n’ajoutent rien de plus à la protection accordée au titre de l’article 38. Dans leur mémoire, les intimés affirment également que le fait d’encourager des personnes physiques à fournir des informations ne justifie pas nécessairement une atteinte à leurs propres droits acquis.

[66]      Je ne peux souscrire à ces arguments. Le législateur ne parle pas inutilement, et le nouveau texte législatif est présumé apporter une solution de droit. Comme l’a fait valoir le PGC, les nouvelles dispositions législatives étaient destinées à combler une lacune apparente après que la Cour suprême du Canada eut confirmé que le privilège absolu de common law accordé aux indicateurs de police ne s’appliquait pas aux sources humaines du SCRS. Par conséquent, en théorie, un juge pouvait décider de révéler des renseignements permettant d’identifier ces sources s’il estimait que l’intérêt public l’emportait. L’adoption de l’article 18.1 signifie que le législateur a soupesé tous les facteurs pertinents et a jugé que l’intérêt public dans la non-communication de ce type précis et plutôt limité d’informations doit l’emporter sur tous les autres droits, sous réserve de l’alinéa 18.1(4)b).

[67]      Il est également important de garder à l’esprit que le législateur est réputé connaître la loi et son application. Ainsi, il est réputé, avant d’adopter l’article 18.1, avoir été au fait de la manière dont l’article 38 a été appliqué ainsi que de la manière dont s’effectue la mise en balance de l’intérêt public militant pour et contre la communication. En effet, les remarques qui suivent sont également utiles lorsqu’il s’agit de circonscrire les paramètres du droit acquis en l’espèce.

[68]      Il était généralement admis devant nous que l’identité des sources humaines ou que les informations qui tendraient à découvrir l’identité des sources humaines n’avaient jamais été communiquées à ce jour dans le cadre des instances qui soulevaient l’application de l’article 38, y compris dans le dossier DES-1-10. Le juge souligne expressément au paragraphe 25 de ses motifs qu’aucune information de ce genre n’avait été communiquée aux intimés dans le dossier DES-1-10.

[69]      Le juge a également mentionné dans ses motifs dans la décision Almalki 2010 que le principal intérêt du public à la communication, dont l’objet est de faire en sorte que le tribunal de première instance dispose de tous les éléments pertinents possibles, ne constitue pas en soi le facteur déterminant justifiant la communication lorsque la sécurité nationale est en jeu (voir Almalki 2010, au paragraphe 178). Il est également pertinent de mentionner que, dans cette décision, le juge était pleinement conscient de l’importance pour l’intérêt public d’obliger l’Administration à répondre des présumés actes et omissions invoqués par les intimés dans les instances civiles. Il a toutefois souligné que, malgré les violations qu’ils invoquent à l’égard de leurs droits garantis par la Charte, la sécurité et les autres droits que la Charte garantit aux intimés ne sont pas actuellement en jeu dans les instances principales (voir les motifs du juge; Almalki 2010, aux paragraphes 181 à 185; voir également les commentaires de notre Cour dans l’arrêt Almalki 2011, aux paragraphes 32 et 33).

[70]      Lorsque l’on prend en considération le court laps de temps entre le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Harkat (mai 2014) et le dépôt du projet de loi C-44 (octobre 2014), on peut supposer que le législateur estimait qu’il était urgent de remédier à ce mal par l’adoption de l’article 18.1. Ce mal consistait en la perception selon laquelle les sources humaines du SCRS n’étaient pas automatiquement protégées par un privilège d’anonymat s’apparentant à celui accordé aux indicateurs de police, et que leur protection dépendait entièrement de la procédure prescrite à l’article 38.

[71]      Force m’est donc de conclure que c’est justement les cas où les intimés ont la « possibilité », même faible, d’obtenir la communication de renseignements permettant de découvrir l’identité de sources humaines par le jeu de l’article 38 que le législateur visait en adoptant l’article 18.1.

[72]      Je suis d’accord avec l’amicus pour dire que l’article 18.1 aurait été plus clair et aurait certainement rendu notre tâche plus facile si le législateur avait ajouté, après « une instance devant un tribunal » au paragraphe 18.1(2), la précision « intentée avant ou après l’entrée en vigueur du présent paragraphe » (soit un libellé s’apparentant à celui d’une disposition transitoire). Cependant, lorsqu’on interprète les termes de la disposition à la lumière de leur contexte conformément aux principes d’interprétation téléologique, l’absence de ces mots ne suffit pas, à mon avis, à empêcher la conclusion que le législateur avait l’intention d’interdire la communication des informations indiquées à l’article 18.1 dans toutes les instances.

[73]      Je suis d’accord avec le PGC pour dire que, vu la faible possibilité que les intimés obtiennent des informations susceptibles de découvrir l’identité de sources humaines dans l’instance qui soulève l’application de l’article 38, compte tenu de l’intention claire du législateur de protéger la vie et la sécurité de toute personne physique qui est une source humaine (statut en cours), il est difficile, voire impossible, de conclure que le législateur avait l’intention de ménager la possibilité d’une communication. Cette conclusion s’impose, car, selon le législateur, la communication pourrait avoir une incidence directe sur la vie et la sécurité des sources humaines. Qui plus est, à mon avis, si l’on apprenait que la vie d’une source humaine est menacée ou perdue, peu importe le moment où cette personne est devenue une source, une telle situation pourrait miner la faculté pour le SCRS de recruter de nouvelles sources humaines.

[74]      Bien que cela ne soit pas déterminant, j’estime également que l’atteinte aux droits en cause n’est, en l’espèce, ni arbitraire ni injuste. L’article 38 oblige le juge à veiller à ce que les intimés reçoivent le plus d’informations possible quant à la teneur des informations ayant été véritablement transmises par la source. De plus, le paragraphe 18.1(4) énonce diverses protections auxquelles les intimés peuvent avoir recours, le cas échéant.

[75]      En effet, il est important de se rappeler que le nouveau régime énoncé à l’article 18.1 prévoit la faculté, pour les parties comme les intimés ou l’amicus, de soumettre une demande à la Cour en vue de contester le fait qu’une personne physique est une source humaine au sens de la Loi sur le SCRS et que les informations qui tendraient à découvrir l’identité d’une telle source permettent bel et bien d’identifier la source.

[76]      J’ai également quelques réserves relativement à l’argument selon lequel la définition de « source humaine » dans la Loi sur le SCRS est beaucoup plus large que celle qu’employaient antérieurement les juges pour la même expression. Il est bien possible que, par le passé, le SCRS n’ait pas fait preuve de suffisamment de discernement quand il s’agissait de décider si une personne physique constituait une « véritable » source humaine, mais, compte tenu de l’incidence de l’article 18.1, je suis persuadée que les tribunaux surveilleront dorénavant très attentivement ce processus. Il est trop tôt pour présumer que la définition à l’article 2 de la Loi sur le SCRS recevra une interprétation large. Nous devons attendre que la jurisprudence se développe dans le contexte de demandes soulevant l’application du paragraphe 18.1(2).

[77]      Je suis convaincue que la présomption contre l’atteinte aux droits acquis est réfutée en l’espèce.

[78]      Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, je conclus que l’article 18.1 s’applique à l’instance qui soulève l’application de l’article 38 dans le dossier DES-1-11, et je propose d’accueillir l’appel. J’annulerais le jugement de la Cour fédérale et, en rendant le jugement qui aurait dû être rendu, je déclarerais que l’article 18.1 de la Loi sur le SCRS s’applique à l’instance dans le dossier DES-1-11.

Le juge Scott, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge de Montigny, J.C.A. : Je suis d’accord.

ANNEXE A

Infraction

18. (1) Sous réserve du paragraphe (2), nul ne peut communiquer des informations qu’il a acquises ou auxquelles il avait accès dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou lors de sa participation à l’exécution ou au contrôle d’application de cette loi et qui permettraient de découvrir l’identité :

a) d’une autre personne qui fournit ou a fourni au Service des informations ou une aide à titre confidentiel;

b) d’une personne qui est ou était un employé occupé à des activités opérationnelles cachées du Service.

Exceptions

(2) La communication visée au paragraphe (1) peut se faire dans l’exercice de fonctions conférées en vertu de la présente loi ou de toute autre loi fédérale ou pour l’exécution ou le contrôle d’application de la présente loi, si une autre règle de droit l’exige ou dans les circonstances visées aux alinéas 19(2)a) à d).

Infraction

(3) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

b) soit d’une infraction punissable par procédure sommaire.

Autorisation de communication

19. (1) Les informations qu’acquiert le Service dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ne peuvent être communiquées qu’en conformité avec le présent article.

Idem

(2) Le Service peut, en vue de l’exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou pour l’exécution ou le contrôle d’application de celle-ci, ou en conformité avec les exigences d’une autre règle de droit, communiquer les informations visées au paragraphe (1). Il peut aussi les communiquer aux autorités ou personnes suivantes :

a) lorsqu’elles peuvent servir dans le cadre d’une enquête ou de poursuites relatives à une infraction présumée à une loi fédérale ou provinciale, aux agents de la paix compétents pour mener l’enquête, au procureur général du Canada et au procureur général de la province où des poursuites peuvent être intentées à l’égard de cette infraction;

b) lorsqu’elles concernent la conduite des affaires internationales du Canada, au ministre des Affaires étrangères ou à la personne qu’il désigne à cette fin;

c) lorsqu’elles concernent la défense du Canada, au ministre de la Défense nationale ou à la personne qu’il désigne à cette fin;

d) lorsque, selon le ministre, leur communication à un ministre ou à une personne appartenant à l’administration publique fédérale est essentielle pour des raisons d’intérêt public et que celles-ci justifient nettement une éventuelle violation de la vie privée, à ce ministre ou à cette personne.

Rapport au comité de surveillance

(3) Dans les plus brefs délais possible après la communication visée à l’alinéa (2)d), le directeur en fait rapport au comité de surveillance.

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