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[2017] 1 R.C.F. 79

T-1341-15

2016 CF 537

Joey-Lynn Twins (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Twins c. Canada (Procureur général)

Cour fédérale, juge Southcott—Kingston, 19 avril; Ottawa, 13 mai 2016.

Libération conditionnelle — Délinquants autochtones — Contrôle judiciaire concernant la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, affirmant la décision de la Commission de révoquer la semi-liberté de la demanderesse — La demanderesse a contesté le caractère raisonnable de ces décisions et a soutenu plus particulièrement que la Commission n’a pas pris en compte les principes dérivés de la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1999 dans l’arrêt R. c. Gladue découlant de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes — La demanderesse est une Autochtone du Canada qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré — Elle s’est vu accorder une libération conditionnelle « en vertu de l’art. 84 » de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition — Outre les conditions de libération habituelles, des conditions particulières ont été imposées à la libération de la demanderesse — Après que la demanderesse a enfreint certaines conditions, elle a été renvoyée devant la Commission pour une audience tenue avec l’aide d’un membre de la communauté culturelle — Sa semi-liberté a été révoquée — Il s'agissait de savoir si la Commission des libérations conditionnelles du Canada a le devoir de se pencher sur la surreprésentation des Autochtones dans les prisons lorsque cela lui est possible; si la Commission a reconnu ce devoir et s’en est acquittée dans le cas en l’espèce; et si la décision de la Section d'appel était raisonnable — La décision rendue dans l’arrêt Gladue portait sur les facteurs qui doivent être pris en compte lors de la détermination de la peine d’un délinquant autochtone, dans le contexte de l’adoption par le Parlement de l’art. 718.2e) du Code criminel — Les principes de l'arrêt Gladue doivent s’appliquer à la décision en cause en l’espèce, puisque la compétence de la Commission et la décision qui en résulte de révoquer ou non la libération conditionnelle d’un délinquant représentent un aspect important du système de justice pénale canadien et doivent donc être visées par le mandat de redressement décrit dans l’arrêt Gladue — En ce qui concerne l'obligation de la Commission d'examiner « l'identité autochtone » d'un délinquant, l’obligation inclut l'examen des facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent avoir joué un rôle dans la présence du délinquant autochtone devant les tribunaux — Ce sont ces facteurs que la Commission doit prendre en compte — À cet égard, dans ce cas particulier, la Commission et sa Section d’appel ne se sont pas acquittées de leur responsabilité — Quant à la raisonnabilité, la décision de la Commission ne démontre aucune reconnaissance des facteurs systémiques et historiques qui pourraient avoir joué un rôle dans l’interaction de la demanderesse avec le système de justice pénale — La décision de la Section d'appel ne démontre aucune considération de ces facteurs et ne soutient pas de conclusion raisonnable démontrant que la Commission a tenu compte de ces facteurs — Par conséquent, il n’y a rien au dossier qui ne soutenait la conclusion de la Section d’appel que la Commission a tenu compte des facteurs historiques et systémiques dans le cas de la demanderesse, comme l’exige la jurisprudence de l’arrêt Gladue ou le Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires, ni la conclusion résultante de la Section d’appel comme quoi la Commission a examiné le cas de la demanderesse conformément aux critères décisionnels postlibératoires établis dans la loi et dans la politique de la Commission — Demande accueillie.

Il s'agissait d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, affirmant la décision de la Commission de révoquer la semi-liberté de la demanderesse. Celle-ci a contesté le caractère raisonnable de ces décisions et a soutenu plus particulièrement que la Commission n’a pas pris en compte les principes dérivés de la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1999 dans l’arrêt R. c. Gladue, et de la jurisprudence pertinente découlant de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes.

La demanderesse est une Autochtone du Canada qui purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré. Elle s’est vu accorder une libération conditionnelle « en vertu de l’article 84 » de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) dans le cadre d’un processus qui fait intervenir les communautés de Premières Nations dans la planification de la libération des détenus. La demanderesse a été libérée dans un établissement résidentiel communautaire. Outre les conditions de libération habituelles, des conditions particulières ont été imposées à la libération de la demanderesse; elle devait notamment signaler toute relation établie, s’abstenir de consommer de l’alcool ou des stupéfiants, etc. Un jour, la demanderesse n'a pas respecté son couvre-feu et a enfreint d'autres conditions, mais sa libération a été maintenue et d’autres conditions ont été imposées, et elle n’a pas été renvoyée devant la Commission pour une audience. Toutefois, un mandat de suspension de la libération conditionnelle de la demanderesse a été lancé après qu'elle ait enfreint d'autres conditions, et elle a alors été renvoyée devant la Commission pour une audience tenue avec l’aide d’un membre de la communauté culturelle. La Commission a conclu que la décision de la demanderesse d’enfreindre les conditions de sa libération et de se comporter constamment de manière trompeuse a mené à un niveau de risque excessif. La Section d’appel a conclu que la demanderesse n’avait soulevé aucun motif justifiant une intervention et que la Commission a tenu compte des facteurs historiques et systémiques dans le cas de la demanderesse. Elle a conclu que la Commission a examiné le cas de la demanderesse de façon conforme aux critères de libération décisionnels établis dans la loi et dans la politique de la Commission et a confirmé la décision de la Commission de révoquer la semi-liberté de la demanderesse.

Il s'agissait principalement de savoir si la Commission des libérations conditionnelles du Canada a le devoir de se pencher sur la surreprésentation des Autochtones dans les prisons lorsque cela lui est possible; si la Commission a reconnu ce devoir et s’en est acquittée dans le cas en l’espèce; et si la décision de la Section d'appel était raisonnable.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La décision rendue dans l’arrêt Gladue portait sur les facteurs qui doivent être pris en compte par un juge lors de la détermination de la peine d’un délinquant autochtone, dans le contexte de l’adoption par le Parlement de l’alinéa 718.2e) du Code criminel, qui stipule que les tribunaux responsables de la détermination de la peine doivent tenir compte, entre autres, du principe selon lequel toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances doivent être examinées, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones. Dans cet arrêt, la Cour suprême a expliqué la façon par laquelle les tribunaux peuvent s’acquitter de ce mandat, ce qui inclut l'examen des facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux. Depuis l'arrêt Gladue et que la Cour suprême est revenue sur cette question dans une affaire plus récente, d'autres autorités ont appliqué ces principes dans d'autres contextes en lien avec l’interaction des personnes autochtones avec le système de justice pénale. Le fil commun qui sous-tend ces décisions est la reconnaissance des facteurs systémiques et historiques qui ont contribué à l’incarcération excessive des Autochtones au Canada et à l’éloignement des peuples autochtones du système de justice canadien. Les principes de l'arrêt Gladue doivent s’appliquer à la décision contestée en l’espèce, puisque la compétence de la Commission et la décision qui en résulte de révoquer ou non la libération conditionnelle d’un délinquant représentent un aspect important du système de justice pénale canadien et doivent donc être visées par le mandat de redressement décrit dans l’arrêt Gladue. Bien que l’alinéa 718.2e) du Code criminel ne s’applique pas aux décisions de la Commission, puisque cette partie est clairement limitée à la détermination des peines pénales, le mandat obligatoire de la Commission l’oblige à prendre des décisions en phase avec les politiques adoptées conformément au paragraphe 151(2) de la Loi. En outre, le paragraphe 151(3) exige que ces politiques répondent aux besoins particuliers des personnes autochtones. Le mandat de la Commission d’adopter ces politiques et de prendre des décisions fondées sur celles-ci doit être éclairé par la jurisprudence de l’arrêt Gladue. En ce qui concerne l'obligation de la Commission d'examiner « l'identité autochtone » d'un délinquant, l’obligation n’est pas de tenir compte uniquement de l’identité autochtone du délinquant à titre de membre d’une communauté des Premières Nations, mais à envisager plutôt les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent avoir joué un rôle dans la présence du délinquant autochtone devant les tribunaux ou, de façon plus générale, de son interaction avec le système de justice pénale canadien. Ce sont ces facteurs que la Commission doit prendre en compte comme l’une des idées sous-jacentes de son évaluation en vertu du paragraphe 135(5) de la Loi dans le but de déterminer si une récidive de la part du délinquant avant l’expiration légale de la peine présente un risque élevé pour la société. Dance cette optique, la Commission et sa Section d’appel ne se sont pas acquittées de leur responsabilité dans ce cas particulier.

Le caractère raisonnable des décisions de la Commission et de la Section d'appel a été examiné. Bien que certains éléments de la décision de la Commission portant sur les nombreuses ressources autochtones et activités autochtones auxquelles la demanderesse a participé signifient qu'une attention a été accordée à l'identité autochtone de la demanderesse, elles ne démontrent aucune reconnaissance des facteurs systémiques et historiques qui pourraient avoir joué un rôle dans l'interaction de la demanderesse avec le système de justice pénale. Quant à la décision de la Section d'appel, bien qu'elle ait reconnu l’obligation de tenir compte des facteurs systémiques ou historiques, la décision ne démontre aucune considération de ces facteurs et ne soutient pas de conclusion raisonnable de la part de la Section d’appel démontrant que la Commission a tenu compte de ces facteurs. Concluant que la Commission a tenu compte des facteurs historiques et systémiques propres au cas de la demanderesse, elle a soutenu cette conclusion en citant à titre d’exemple la participation de la demanderesse à des cérémonies et des programmes autochtones. Ces activités sont liées à l'identité autochtone de la demanderesse, mais n’indiquent pas que les facteurs systémiques et historiques ont été pris en compte de la façon prescrite par les principes de l’arrêt Gladue ou le Manuel de la Commission.

Par conséquent, il n’y a rien au dossier qui ne soutenait la conclusion de la Section d’appel que la Commission a tenu compte des facteurs historiques et systémiques dans le cas de la demanderesse, comme l’exige la jurisprudence de l’arrêt Gladue ou le Manuel, ni la conclusion résultante de la Section d’appel comme quoi la Commission a examiné le cas de la demanderesse conformément aux critères décisionnels postlibératoires établis dans la loi et dans la politique de la Commission. Après examen des décisions de la Commission et de la Section d'appel, aucune n'a été jugée raisonnable et les deux ont été annulées.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 672.54, 718.2e).

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, art. 84, 100, 100.1, 105(2), 107, 135(5), 147(1)c), 151(2),(3).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; Joly c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1253; United States of America v. Leonard, 2012 ONCA 622, 112 O.R. (3d) 496; Frontenac Ventures Corp. v. Ardoch Algonquin First Nation, 2008 ONCA 534, 91 O.R. (3d) 1; R. v. Sim, 2005 CanLII 37586, 78 O.R. (3d) 183 (C.A.); Rich v. Her Majesty the Queen, 2009 NLTD 69 (CanLII), 286 Nfld. & P.E.I.R. 346.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Fernandez c. Canada (Procureur général), 2011 CF 275, [2012] 4 R.C.F. 411; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654.

DÉCISIONS CITÉES :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Korn c. Canada (Procureur général), 2014 CF 590; Christie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 38; Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 C.F. 317; Saini c. Canada (Procureur général), 2014 CF 375; Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 S.C.R. 75; Condo c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 391; Tozzi c. Canada (Procureur général), 2007 CF 825; Beaupré c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 463.

DOCTRINE CITÉE

Commission des libérations conditionnelles du Canada. Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires, 2e éd., no 04, 2015-07-23, en ligne : <https://www.canada.ca/fr/commission-liberations-conditionnelles/organisation/publications-et-formulaires/manuel-des-politiques-decisionnelles-a-l-intention-des-commissaries.html>.

DEMANDE de contrôle judiciaire concernant la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, affirmant la décision de la Commission de révoquer la semi-liberté de la demanderesse. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Fergus J. (Chip) O’Connor pour la demanderesse.

Youri Tessier-Stall pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Fergus J. (Chip) O’Connor, Kingston, pour la demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Southcott : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse, Joey-Lynn Twins, concernant la décision de la Section d’appel (la Section d’appel) de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission), affirmant la décision de la Commission de révoquer sa semi-liberté. Elle conteste le caractère raisonnable de ces décisions et soutient plus particulièrement que la Commission n’a pas pris en compte les principes dérivés de la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688 (Gladue) et de la jurisprudence pertinente découlant de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes.

[2]        La demande est accueillie pour les motifs suivants.

I.          Contexte

[3]        Comme elle l’a exprimé dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse, Mme Twins, est une Autochtone du Canada de la Nation crie d’Ermineskin. Elle purge une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré. Née en 1958, elle est incarcérée depuis 1979. Lorsqu’elle était d’âge mineur, elle a fréquenté un pensionnat.

[4]        Le 12 décembre 2013, la demanderesse s’est vu accorder une libération que la Commission décrit comme une semi-liberté accordée « en vertu de l’article 84 ». Il s’agit d’une libération conditionnelle accordée en vertu de l’article 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la Loi) dans le cadre d’un processus qui fait intervenir les communautés de Premières Nations dans la planification de la libération des détenus. La demanderesse a été libérée dans un établissement résidentiel communautaire (ERC) à Toronto.

[5]        Outre les conditions de libération habituelles, des conditions particulières lui ont été imposées. Elle devait signaler toute relation établie, éviter les établissements servant de l’alcool, s’abstenir de consommer de l’alcool ou des stupéfiants, obtenir un soutien psychologique et ne pas fréquenter certaines personnes.

[6]        Le 15 mai 2014, le surveillant de liberté conditionnelle de la demanderesse a été avisé qu’elle passait du temps en compagnie d’une femme du voisinage appelée Mme Maxie. Bien que la demanderesse soutenait que cette femme était une fréquentation approuvée, le surveillant affirmait ne pas être au courant de la relation. Au cours d’une réunion disciplinaire tenue le 16 mai 2014, la demanderesse a été avisée que cette femme n’était pas une fréquentation approuvée, après quoi elle a accepté de ne plus avoir de contact avec elle.

[7]        Le 9 juin 2014, la Commission a examiné le cas de la demanderesse afin de déterminer si la libération conditionnelle devait être maintenue. La Commission a déterminé que la demanderesse consacrait sa libération conditionnelle à des fins de réadaptation et a conclu, à la lumière des conditions et de la stratégie de supervision en place, qu’elle présentait un risque encore gérable pour la communauté. Sa libération conditionnelle a été prolongée pour une période de six mois. Une autre condition particulière a été imposée concernant la divulgation de ses renseignements financiers.

[8]        Le 23 août 2014, la demanderesse a omis de revenir à l’ERC avant le couvre-feu de 1 h et un mandat de suspension a été émis. Elle avait communiqué avec l’ERC une heure avant le couvre-feu pour aviser les responsables qu’elle était en compagnie d’un ami ayant des pensées suicidaires. Vers 1 h 50, la demanderesse a affirmé qu’elle revenait à l’établissement, mais il s’est écoulé encore deux heures avant son retour. La demanderesse a initialement nié avoir consommé de l’alcool, mais elle a ensuite avoué à son surveillant de libération conditionnelle qu’elle avait consommé six bières en compagnie de personnes inconnues. Ces gestes contrevenaient aux conditions imposées à la demanderesse, à savoir qu’elle devait respecter un couvre-feu, s’abstenir de consommer de l’alcool et signaler ses relations. Malgré le mandat émis, sa libération a été maintenue et d’autres conditions ont été imposées, mais elle n’a pas été renvoyée devant la Commission pour une audience.

[9]        Toutefois, un mandat de suspension de la libération conditionnelle de la demanderesse a été émis le 16 septembre 2014, après qu’on l’ait vu en train de se servir d’un téléphone cellulaire et en compagnie de Mme Maxie. Lors de la fouille de ses effets personnels, au moment de son arrestation, on a trouvé en sa possession deux téléphones cellulaires et trois cartes de débit/crédit. Elle a été renvoyée devant la Commission pour une audience. Le 23 décembre 2014, elle s’est présentée devant la Commission dans le cadre d’une audience tenue avec l’aide d’un membre de la communauté culturelle.

II.         Décision de la Commission

[10]      La Commission a examiné les faits pertinents. Outre les faits établis précédemment, la Commission a déterminé qu’au cours de la période d’examen de six mois, la demanderesse a fait appel à de nombreuses ressources autochtones et a participé à des activités autochtones presque quotidiennement. Elle a pris les mesures nécessaires pour réintégrer le marché du travail, a assisté à des rencontres des organisations Alcooliques anonymes et Narcotiques Anonymes et a fait du bénévolat dans la communauté. Toutefois, la Commission a également noté qu’à la lumière des rapports et des déclarations du dossier présenté lors de l’audience, il semble que les relations avec la demanderesse sont devenues difficiles après l’incident du 23 août 2014 et qu’elle s’est objectée aux exigences supplémentaires qui lui ont été imposées.

[11]      La Commission a également souligné des incohérences dans les déclarations faites par la demanderesse. Au cours de son entrevue avant la suspension, elle a d’abord nié ses activités et ses associations, avant d’admettre qu’elle avait passé du temps avec Mme Maxie et que le 23 août 2014, elle a consommé de l’alcool en sa compagnie. Elle reconnaît que Mme Maxie a des antécédents d’abus de stupéfiants et de violence, mais elle a exprimé sa volonté de contester la condition lui interdisant de la fréquenter et de l’épouser au besoin. Après l’audience devant la Commission, la demanderesse a indiqué qu’elle ne désirait pas épouser Mme Maxie, mais seulement l’aider. Elle a affirmé qu’elle était prête à se conformer à toutes les conditions, y compris éviter les contacts avec Mme Maxie.

[12]      La Commission a fait mention de l’avis de l’équipe de gestion des cas, qui considérait que son niveau de risque était encore gérable dans la communauté à condition de procéder à un changement de territoire et recommandait l’annulation de sa suspension. Toutefois, elle a fait remarquer qu’après avoir été encouragée à accepter un transfert dans un ERC adapté aux différences culturelles à Vancouver, la demanderesse a demandé à être libérée dans un ERC à Hamilton.

[13]      La Commission a déclaré qu’elle avait tenu compte des aspects positifs et négatifs du cas de la demanderesse. Elle a conservé un lien patrimonial étroit, a obtenu le soutien requis et a cherché à conserver son emploi et à améliorer son niveau de scolarité. Cependant, la demanderesse a contrevenu à la condition l’obligeant à « déclarer ses relations », malgré le fait que sa libération a été maintenue après une violation de cette condition et le fait que son équipe de gestion de cas lui a indiqué que la relation était inappropriée. La Commission a noté que la demanderesse a volontairement induit en erreur les personnes chargées de superviser sa libération après sa première suspension.

[14]      La Commission a déterminé que le manque de transparence de la demanderesse auprès de son équipe de gestion des cas l’emportait sur ses réalisations positives. Elle n’était pas convaincue qu’un changement sur le plan géographique produirait les changements requis sur le plan du comportement, soulignant ses valeurs criminelles profondément ancrées et son incapacité à reconnaître ses facteurs de risque. Par conséquent, la Commission a déterminé que les personnes responsables de sa supervision ne pouvaient être assurées de ses associations, de ses relations et de ses activités et qu’elles n’avaient donc aucun moyen d’évaluer ou de gérer l’augmentation de son niveau de risque.

[15]      Concluant que la décision de la demanderesse d’enfreindre les conditions de sa libération et de se comporter constamment de manière trompeuse a mené à un niveau de risque excessif, la Commission a pris la décision, le 23 décembre 2014, de révoquer la semi-liberté de la demanderesse (la décision de la Commission).

III.        Décision de la Section d’appel

[16]      La demanderesse a interjeté appel de la décision à la Section d’appel. Selon les observations de la Section d’appel, la demanderesse a fait valoir que la décision de la Commission n’était pas raisonnable puisqu’elle n’a pas évalué adéquatement les facteurs positifs dans son cas et n’a pas pris compte des difficultés associées à la réinsertion après une période d’incarcération de 35 ans. Elle a également noté l’affirmation de la demanderesse selon laquelle la Commission n’a pas mené une évaluation suffisante des risques puisqu’elle n’a pas tenu compte des principes dérivés des arrêts Gladue et R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433 (Ipeelee) et ne s’est pas acquittée de sa responsabilité d’atténuer la surreprésentation des Autochtones dans les prisons.

[17]      La Section d’appel a conclu que la demanderesse n’avait soulevé aucun motif justifiant une intervention. Elle a noté que, conformément au paragraphe 135(5) de la Loi, le rôle de la Commission est de déterminer, à la lumière du comportement de la demanderesse après sa libération, si elle présentait un risque de récidive excessif dans la société. L’évaluation du risque est guidée par le Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires (le Manuel), notamment la politique 8.1, qui enjoint de tenir compte de « tous les facteurs systémiques ou historiques qui peuvent avoir contribué aux démêlés du délinquant avec le système de justice pénale, comme les conséquences de la toxicomanie, de la discrimination systémique, du racisme, de l’effritement de la famille ou de la collectivité, du chômage, de la pauvreté, de l’absence de possibilités d’éducation et d’emploi, du relâchement des liens avec la collectivité, de la fragmentation de la collectivité, de l’adoption ou du placement en famille d’accueil dysfonctionnelle et de l’expérience du pensionnat ».

[18]      La Section d’appel a déterminé que la décision de la Commission s’appuyait sur des renseignements pertinents, fiables et convaincants. La Section d’appel a fait remarquer que la demanderesse purgeait une peine pour meurtre au deuxième degré et que son risque de récidive générale ou violente a été évalué comme étant de niveau « modéré à élevé ». La demanderesse a reçu deux suspensions pour bris de conditions. Lors de l’audience devant la Commission, elle a reconnu que le Service correctionnel du Canada (SCC) avait pris des mesures pour l’aider à surmonter ses difficultés au sein de la communauté au cours des six premiers mois suivant sa libération, mais qu’elle a poursuivi ses comportements mensongers auprès de son équipe de gestion des cas. L’équipe de gestion des cas de la demanderesse a dit s’inquiéter de son incapacité à reconnaître le lien entre ses comportements, ses relations et son cycle de délinquance. En outre, le SCC a réévalué les facteurs de risque de la demanderesse et déterminé qu’une intervention s’imposait. La demanderesse a refusé la recommandation de son équipe de gestion des cas d’être transférée à un ERC autochtone adapté aux différences culturelles.

[19]      La Section d’appel a déterminé que dans le cas de la demanderesse, la Commission a tenu compte des facteurs historiques et systémiques. La Commission a tenu compte de la participation de la demanderesse à des cérémonies et des programmes autochtones, de sa participation au comité de mieux-être autochtone, de son travail avec l’agent de liaison avec les Autochtones et de son bénévolat auprès du Native Women’s Resource Centre. La Commission a également souligné, lors de l’audience, que sa décision initiale d’accorder une libération établie en vertu de l’article 84 a été motivée par l’historique de la demanderesse et les progrès réalisés jusqu’à ce jour.

[20]      La Section d’appel a conclu que la Commission a examiné le cas de la demanderesse de façon conforme aux critères de libération décisionnels établis dans la loi et dans la politique de la Commission. Dans une décision datée du 16 juin 2015 (la décision de la Section d’appel), la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission de révoquer la semi-liberté de la demanderesse.

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

[21]      La demanderesse soulève les questions suivantes :

A.        Est-ce que la Commission des libérations conditionnelles du Canada a le devoir de se pencher sur la surreprésentation des Autochtones dans les prisons lorsque cela lui est possible, et est-ce que la Commission a reconnu ce devoir et s’en est acquittée dans le cas en l’espèce?

B.        La décision de la Section d’appel était-elle déraisonnable?

[22]      Le défendeur formule les questions différemment :

A.        Est-ce que l’identité autochtone de la demanderesse a été prise en compte de manière raisonnable?

B.        La décision de révoquer la semi-liberté de la demanderesse était-elle raisonnable?

[23]      Les parties conviennent que la deuxième question soulevée, à savoir le caractère raisonnable de la décision, représente une application de la norme de la décision raisonnable, conformément aux principes énoncés dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47.

[24]      Le défendeur ajoute que cette cour a reconnu l’expertise de la Commission et de la Section d’appel et leur a accordé une « grande déférence » (p. ex. Fernandez c. Canada (Procureur général), 2011 CF 275, [2012] 4 R.C.F. 411 (Fernandez), au paragraphe 20; Korn c. Canada (Procureur général), 2014 CF 590 (Korn), aux paragraphes 13 à 19; Christie c. Canada (Procureur général), 2013 CF 38 (Christie), aux paragraphes 29 à 32). Le défendeur souligne que puisque la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission, ce tribunal examine dans les faits le caractère raisonnable de la décision de la Commission (Korn, au paragraphe 13; Christie, au paragraphe 31; Cartier c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 C.F. 317 (Cartier), au paragraphe 10). La demanderesse semble souscrire à cette approche puisque, dans l’éventualité où la décision de la Cour serait d’autoriser sa requête et de renvoyer l’affaire en vue d’un réexamen, elle propose son renvoi devant la Commission.

[25]      Je souligne que la norme de contrôle a été bien résumée par le juge Diner dans l’affaire Joly c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1253 (aux paragraphes 22 à 24) :

De façon générale, il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard des décisions de la CLCC (Sychuk c. Canada (Procureur général), 2009 CF 105, au paragraphe 45). Dans les cas de libération conditionnelle, « cette Cour ne doit pas intervenir dans une décision de la CLCC en l’absence d’éléments de preuve clairs et non équivoques que celle-ci est tout à fait injuste et entraîne une injustice à l’égard du détenu. » (Desjardins c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1989] ACF, no 910; voir également Aney c. Canada (Procureur général), 2005 CF 182).

La Cour a toujours reconnu que la Commission et la SA de la CLCC ont une expertise en matière d’application de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [LSCMLC] : Fournier c Procureur général du Canada, 2004 CF 1124.

Lors de l’examen d’une décision de la SA de la CLCC, le juge chargé du contrôle doit aussi examiner la décision sous-jacente de la Commission ainsi qu’a déclaré le juge Létourneau au nom de la Cour d’appel, au paragraphe 10 de l’arrêt Cartier c. Procureur général du Canada, 2002 CAF 384 :

Le juge est théoriquement saisi d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d’appel, mais lorsque celle-ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s’assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.

[26]      Je suis d’accord avec cette analyse et avec la position convenue par les parties relativement à la norme de contrôle applicable à la deuxième question, à savoir le caractère raisonnable de la décision. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable à la première question découlant des arguments de la défenderesse fondés sur l’arrêt Gladue qui, selon la demanderesse, soulève une question de droit susceptible de révision selon la norme de la décision correcte. Le défendeur soutient que le caractère raisonnable est la norme qui s’applique également à cette question, avançant qu’à la lumière d’une analyse rigoureuse, il n’y a qu’une question à trancher pour la Cour. La question porte sur le caractère raisonnable de la décision, qui englobe la question à savoir si l’identité autochtone de la demanderesse a été prise en compte de manière raisonnable.

[27]      Pour appuyer sa position sur la norme de contrôle, la demanderesse se fonde sur la déclaration de l’arrêt Fernandez, au paragraphe 10, selon laquelle les questions de loi sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte, puisque selon la demanderesse, la question à savoir si l’arrêt Gladue impose un devoir à la Commission est une question de droit. La demanderesse se fonde sur les cas précités (Fernandez; Korn; Christie; Cartier) et sur l’argument selon lequel la Commission et la Section d’appel sont des tribunaux spécialisés qui, lorsqu’ils s’acquittent de leurs mandats en vertu de la Loi, doivent faire preuve de retenue dans l’interprétation de la loi qui les gouverne et des politiques du Manuel définies aux termes de cette loi.

[28]      Je suis d’accord avec le point de vue du défendeur selon lequel l’application des principes dérivés de l’arrêt Gladue aux décisions de la Commission et de sa Section d’appel, en vertu de la jurisprudence découlant de l’arrêt Gladue ou en raison des dispositions expresses de la Loi et du Manuel, engage finalement l’interprétation de leur loi constitutive et est donc assujettie au contrôle en fonction de la norme du raisonnable (Dunsmuir, au paragraphe 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers), aux paragraphes 30 et 39; Saini c. Canada (Procureur général), 2014 CF 375, au paragraphe 27). Ce cas ne concerne pas les catégories de question entourant l’interprétation de la loi constitutive à laquelle la norme de la décision correcte continue à s’appliquer, c’est-à-dire les questions constitutionnelles ou les questions de droit qui sont d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui dépassent l’expertise de l’arbitre ainsi que les questions de compétences concurrentes entre deux tribunaux spécialisés et les véritables questions de compétence ou de pouvoirs (Alberta Teachers, au paragraphe 30).

[29]      Je considère que cette approche est également cohérente avec la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire United States of America v. Leonard, 2012 ONCA 622, 112 O.R. (3d) 496 (Leonard), dans laquelle la norme du raisonnable a été appliquée à l’examen de la décision du ministre de la Justice de permettre l’extradition aux États-Unis de deux délinquants autochtones, ce qui comprenait l’examen de l’application des principes de l’arrêt Gladue à cette décision.

[30]      Par conséquent, ma conclusion en ce qui concerne la norme de contrôle est que je dois tenir compte tant de la décision de la Commission que de celle de la Section d’appel et déterminer si la confirmation par la Section d’appel de la décision de la Commission était raisonnable, en déterminant notamment s’il y a eu reconnaissance et application de la jurisprudence de l’arrêt Gladue, de l’arrêt Ipeelee et des décisions connexes.

V.        Position des parties

A.        Observations de la demanderesse

[31]      La demanderesse soutient que, conformément aux arrêts Gladue et Ipeelee, les entités gouvernementales ont un devoir de prendre des décisions tendant à réduire, dans la mesure du possible, la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes. Invoquant l’alinéa 718.2e) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 (le Code), qui a été pris en compte dans la décision rendue dans l’affaire Gladue, et l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte), elle soutient que les principes dérivés des arrêts Gladue et Ipeelee doivent être appliqués à d’autres entités du système de justice pénale comme principe de justice fondamentale, et pas seulement aux tribunaux responsables de la détermination de la peine, auxquels ces décisions sont directement liées.

[32]      Par ailleurs, la demanderesse fait valoir que ces principes s’appliquent à toute circonstance où une peine d’emprisonnement est en jeu (voir Frontenac Ventures Corp. v. Ardoch Algonquin First Nation, 2008 ONCA 534, 91 O.R. (3d) 1 (Frontenac)). La demanderesse soutient que selon l’arrêt R. v. Sim, 2005 CanLII 37586, 78 O.R. (3d) 183 (C.A.) (Sim), la Commission ontarienne d’examen, qui est un tribunal administratif, comme la Commission, est responsable d’examiner la question de la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale. De même, elle soutient que l’affaire Rich v. Her Majesty the Queen, 2009 NLTD 69 (CanLII), 286 Nfld. & P.E.I.R. 346 (Rich) défend ce principe dans le contexte des décisions concernant la liberté sous caution. La demanderesse fait remarquer que même les décisions portant sur l’extradition, dans lesquelles la discrétion du ministre a droit à la déférence, ont reconnu le principe selon lequel la discrimination systémique sous la forme d’une surreprésentation des Autochtones dans les prisons doit être examinée (voir Leonard).

[33]      Par conséquent, la demanderesse soutient que la Commission a un devoir de tenir compte du problème systémique de la surreprésentation des Autochtones dans les pénitenciers et que la Commission et sa Section d’appel n’ont pas reconnu ce devoir en l’instance. La demanderesse reconnaît que la Section d’appel a pris note des observations de l’avocat selon lesquelles la Commission n’a pas pris en compte les principes de l’arrêt Gladue, mais elle soutient que la Section d’appel n’a pas émis d’autres commentaires sur ces observations. Selon la demanderesse, cela constitue, par voie de conséquence, un rejet des observations. La demanderesse a également observé que la Commission a gardé le silence sur cette question, malgré les observations de l’avocat.

[34]      La demanderesse soutient que, outre la référence à l’article 8.1 du Manuel, la Section d’appel n’a pas fait mention de l’obligation de tenir compte de la surreprésentation des Autochtones en prison. La demanderesse affirme que ce devoir n’est pas satisfait par la référence générale de la Section d’appel à l’examen des facteurs systémiques puisque ce devoir exige qu’un tribunal porte une attention spécifique aux circonstances vécues par les délinquants autochtones. Ce devoir ne consiste pas simplement à tenir compte des facteurs systémiques au moment de déterminer le niveau de risque ou d’évaluer de toute autre façon un prisonnier en particulier. Il vise plutôt l’objectif systémique qui consiste à réduire les taux d’incarcération des délinquants autochtones.

[35]      Finalement, en ce qui concerne l’évaluation globale du caractère raisonnable de la décision, la demanderesse estime qu’à la lumière de son succès dans le cadre du programme de mise en liberté graduelle, du fait que les professionnels en l’instance ont recommandé sa libération, du fait qu’une peine d’emprisonnement est en jeu, du mandat obligatoire de réduire le nombre d’Autochtones emprisonnés et de l’expérience directe de la demanderesse des pensionnats et d’autres politiques malheureuses du gouvernement, la décision est déraisonnable. À cet égard, la demanderesse soutient également que ses inconduites substantielles n’étaient pas des activités criminelles ou dangereuses, mais simplement une association avec Mme Maxie que la demanderesse considère comme un soutien prosocial et qui, selon ses dires, fréquentait régulièrement l’ERC sous l’observation des autorités correctionnelles.

B.        Observations du défendeur

[36]      Le défendeur adopte une position plus nuancée sur la question à savoir si les principes de l’arrêt Gladue s’appliquent aux décisions de la Commission et de la Section d’appel. La position du défendeur est que l’arrêt Gladue proprement dit ne s’applique pas, puisque cette autorité porte sur les décisions en matière de détermination de la peine, et non sur les décisions relatives aux libérations conditionnelles, mais que l’esprit et les objectifs sous-jacents de l’arrêt Gladue sont reflétés dans les principes mis en œuvre par la Loi et le Manuel qui gouverne les travaux de la Commission et de sa Section d’appel. Le défendeur a fait remarquer que l’arrêt Gladue soutient que les juges de détermination de la peine doivent tenir compte des facteurs systémiques ou historiques qui ont joué un rôle dans la présence d’un délinquant autochtone devant les tribunaux et que le Manuel prescrit en termes similaires les facteurs qui doivent être reconnus par la Commission pour prendre des décisions dans le cadre de son mandat. La section du Manuel la plus pertinente en l’instance est la politique 8.1.3, qui porte sur l’évaluation des décisions postlibératoires, dont la partie pertinente se lit comme suit :

Processus d’évaluation

3. Lorsque les commissaires examinent le cas pour déterminer si le risque que représente le délinquant a changé depuis sa mise en liberté et, s’il y a lieu, ils évaluent tous les aspects pertinents du cas conformément à la politique 1.1 (Normes en matière d’information dans le cadre du processus décisionnel de mise en liberté sous condition), notamment :

[…]

h. tous les facteurs systémiques ou historiques qui peuvent avoir contribué aux démêlés du délinquant avec le système de justice pénale, comme les conséquences de la toxicomanie, de la discrimination systémique, du racisme, de l’effritement de la famille ou de la collectivité, du chômage, de la pauvreté, de l’absence de possibilités d’éducation et d’emploi, du relâchement des liens avec la collectivité, de la fragmentation de la collectivité, de l’adoption ou du placement en famille d’accueil dysfonctionnelle et de l’expérience du pensionnat;

[37]      Je fais remarquer qu’il s’agit d’une référence à la plus récente version du Manuel (juillet 2015) telle que citée par le défendeur, bien que la disposition pertinente figurait au paragraphe g dans la version de décembre 2014 déposée devant la Commission et la Section d’appel.

[38]      Le défendeur fait également remarquer que les politiques du Manuel sont adoptées en vertu de l’autorité du paragraphe 151(2) de la Loi et doivent, au sens du paragraphe 151(3), respecter les différences ethniques, culturelles et linguistiques, ainsi qu’entre les sexes, et tenir compte des besoins propres aux femmes, aux Autochtones et à d’autres groupes particuliers. Le paragraphe 105(2) de la Loi exige que les membres de la Commission exercent leurs fonctions conformément aux directives d’orientation générale établies en application du paragraphe 151(2) et l’alinéa 147(1)c) stipule qu’un délinquant peut en appeler d’une décision de la Commission devant la Section d’appel au motif que dans son processus décisionnel, la Commission a enfreint ou omis d’appliquer une politique adoptée conformément au paragraphe 151(2).

[39]      Le défendeur est d’avis que la Commission et la Section d’appel ont tenu compte de l’identité autochtone de la demanderesse, comme l’exige le Manuel. Selon le défendeur, la Commission mentionne le fait que la demanderesse a fait appel à de nombreuses ressources autochtones et a participé à des activités autochtones, en plus d’avoir accès à un aîné responsable de son dossier. La Commission considère comme des facteurs positifs la participation de la demanderesse à de nombreuses activités de bénévolat au sein de la communauté autochtone, comme jouer du tambour, offrir un soutien et chanter. Elle mentionne également le fait qu’elle a été encouragée à accepter un transfert dans un ERC adapté aux différences culturelles à Vancouver et à participer à un programme pour les survivants des orphelinats, mais qu’elle a plutôt demandé à être libérée dans un ERC à Hamilton.

[40]      Toutefois, le défendeur insiste sur la position selon laquelle l’identité autochtone n’est que l’un des facteurs pris en compte par la Commission dans le cadre de son processus décisionnel. Le défendeur fait référence aux principes directeurs de la libération conditionnelle énoncée aux articles 100 et 100.1 de la Loi. L’article 100 explique que la mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois, alors que l’article 100.1 stipule que la protection de la société est le critère prépondérant. Le défendeur cite également l’article 107 de la Loi, qui accorde à la Commission des libérations conditionnelles du Canada toute compétence et latitude pour mettre fin à la libération conditionnelle ou d’office d’un délinquant, et le paragraphe 135(5) de la Loi, qui permet à la Commission de révoquer la libération conditionnelle si elle est convaincue qu’une récidive de la part du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge présentera un risque inacceptable pour la société.

[41]      Le défendeur explique que la Commission joue un rôle inquisitoire et s’appuie sur des renseignements fiables et convaincants. Elle n’a pas pour mandat de recevoir et d’examiner les éléments de preuve (voir Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.S.C. 75, au paragraphe 26). Il s’agit d’un tribunal indépendant, qui n’est pas lié par le SCC ou les recommandations de l’équipe de gestion des cas d’un délinquant (voir Condo c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 391, au paragraphe 13; Tozzi c. Canada (Procureur général), 2007 CF 825, au paragraphe 42; Beaupré c. Canada (Procureur général), 2002 CFPI 463, au paragraphe 26).

[42]      Le défendeur est d’avis que la décision de la Commission était raisonnable et fondée sur des renseignements fiables et convaincants démontrant que la demanderesse a enfreint les conditions de sa libération conditionnelle et n’a pas fait preuve de transparence auprès de ses surveillances de liberté conditionnelle. Plus particulièrement, la Commission a souligné l’association continue de la demanderesse avec Mme Maxie, son non-respect du couvre-feu le 23 août 2014 et des conditions de sa libération conditionnelle à cette même date, son comportement trompeur et son manque de transparence en général (concernant sa relation avec Mme Maxie, ses allées et venues le 23 août ainsi que les deux téléphones cellulaires et les trois cartes de débit/crédit touvés en sa possession), son incapacité à reconnaître ses facteurs de risque et sa résistance à être transférée à un ERC à Vancouver. Le défendeur soutient que la Commission a tenu compte des facteurs positifs, mais a déterminé que son manque de transparence et les risques inhérents l’emportaient sur ces facteurs.

[43]      Le défendeur affirme également que la décision de la Section d’appel était raisonnable. La Section d’appel a fait référence spécifiquement à la politique 8.1 du Manuel et des observations de la demanderesse concernant les principes de l’arrêt Gladue. Elle était donc consciente de ces questions et n’était donc pas tenue de mentionner ou d’analyser expressément l’arrêt Gladue ou d’autres cas. La Section d’appel a cité les motifs écrits de la Commission indiquant qu’elle reconnaissait le fait que la demanderesse a maintenu des liens très étroits avec ses racines autochtones. Elle a également fait référence à des renseignements du dossier indiquant qu’elle s’est montrée peu encline à se conformer au plan correctionnel compte tenu de son refus d’être transférée vers un ERC autochtone adapté aux différences culturelles. La Section d’appel a constaté que la Commission a tenu compte de tous les renseignements pertinents, fiables et convaincants y compris les facteurs historiques et systémiques propres à la demanderesse, citant à titre d’exemple sa participation à des cérémonies et à des programmes autochtones, sa participation au comité de mieux-être autochtone, son travail avec l’agent de liaison avec les Autochtones et son bénévolat auprès du Native Women’s Resource Centre. Finalement, la Section d’appel a cité les observations de la Commission selon lesquelles la reconnaissance des antécédents de la demanderesse et des progrès accomplis découlant de sa volonté de participer au processus Red Road (ce qui, selon la Cour, semble être un processus de guérison) ont mené à la décision initiale de la Commission de lui accorder une semi-liberté en vertu de l’article 84.

[44]      Le défendeur estime que la Section d’appel est autorisée à intervenir uniquement si la décision de la Commission est infondée ou n’est pas appuyée par les renseignements disponibles à ce moment et qu’elle s’est acquittée de son rôle qui consiste à s’assurer que la décision de la Commission était fondée sur des renseignements pertinents, fiables et convaincants.

VI.       Analyse

A.        Question préliminaire — Avis de question constitutionnelle

[45]      Comme question préliminaire, je note que la demanderesse a signifié et déposé un avis de question constitutionnelle en vertu de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, en lien avec son observation que l’article 7 de la Charte exige l’application des principes de l’arrêt Gladue aux décisions de la Commission et de sa Section d’appel. Le défendeur estime que cet avis n’est pas nécessaire puisque l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales exige cet avis uniquement lorsque la validité, l’applicabilité ou l’effet, sur le plan constitutionnel d’une loi ou d’un règlement fédéral ou provincial est en cause, ce qui n’est pas la nature de l’argument de la demanderesse. Durant l’audience concernant cette affaire, la demanderesse partageait l’avis du défendeur et le défendeur a confirmé qu’il ne s’objectait pas à ce que la demanderesse fonde son observation sur la Charte.

[46]      Je conviens que l’avis de question constitutionnelle était inutile, mais aucun autre élément ne découle de cette question préliminaire.

B.        Application de l’arrêt Gladue à la Commission des libérations conditionnelles du Canada

[47]      La décision rendue dans l’arrêt Gladue par la Cour suprême du Canada en 1999 portait sur les facteurs qui doivent être pris en compte par un juge lors de la détermination de la peine d’un délinquant autochtone, dans le contexte de l’adoption par le Parlement de l’alinéa 718.2e) du Code [L.C. 1995, ch. 22, art. 6], qui stipule que les tribunaux responsables de la détermination de la peine doivent tenir compte, entre autres, du principe suivant :

718.2 […]

[…]

e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.

[48]      La Cour suprême du Canada a cité le paragraphe 50 de l’arrêt Gladue pour démontrer que l’objectif de l’alinéa 718.2e) est de résoudre le problème du nombre disproportionné d’Autochtones incarcérés au Canada. Après un examen de la documentation portant sur ce problème, la Cour a formulé les remarques suivantes au paragraphe 64 :

Ces constatations exigent qu’on reconnaisse l’ampleur et la gravité du problème, et qu’on s’y attaque. Les chiffres sont criants et reflètent ce qu’on peut à bon droit qualifier de crise dans le système canadien de justice pénale. La surreprésentation critique des autochtones au sein de la population carcérale comme dans le système de justice pénale témoigne d’un problème social attristant et urgent. Il est raisonnable de présumer que le Parlement, en prévoyant spécifiquement à l’al. 718.2e) la possibilité de traiter différemment les délinquants autochtones dans la détermination de la peine, a voulu tenter d’apporter une certaine solution à ce problème social. On peut légitimement voir dans cette disposition une directive que le Parlement adresse à la magistrature, l’invitant à se pencher sur les causes du problème et à s’efforcer d’y remédier, dans la mesure où cela est possible dans le cadre du processus de détermination de la peine.

[49]      La Cour suprême a ensuite expliqué, au paragraphe 66, la façon par laquelle les tribunaux peuvent s’acquitter de ce mandat :

Comment le juge qui prononce la peine doit-il jouer son rôle réparateur? Le texte de l’al. 718.2e) lui enjoint d’accorder une attention particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones, étant sous-entendu que ces circonstances sont substantiellement différentes dans le cas des délinquants non autochtones. Les considérations générales entrant en jeu dans l’examen de la situation distincte des autochtones au Canada comprennent un large éventail de circonstances particulières dont notamment :

(A)  les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux;

(B)  les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du délinquant en raison de son héritage ou attaches autochtones.

[50]      Au moment de préciser les facteurs systémiques et historiques dont un juge de détermination doit tenir compte, la Cour suprême a déclaré ce qui suit aux paragraphes 67 à 69 :

Les facteurs historiques qui jouent un rôle de premier plan dans la criminalité des délinquants autochtones sont aujourd’hui bien connus. Des années de bouleversements et de développement économique se sont traduites, pour nombre d’autochtones, par de faibles revenus, un fort taux de chômage, un manque de débouchés et d’options, une instruction insuffisante ou inadéquate, l’abus de drogue et d’alcool, l’isolement et la fragmentation des communautés. Ces facteurs et d’autres encore contribuent à l’incidence élevée du crime et de l’incarcération. Le professeur Tim Quigley brosse un tableau sombre de ces facteurs dans « Some Issues in Sentencing of Aboriginal Offenders », dans Continuing Poundmaker and Riel’s Quest (1994), aux pp. 269 et 300. Quigley décrit fort bien le processus par lequel ces divers facteurs conduisent à l’incarcération excessive des délinquants autochtones, aux pp. 275 et 276 : [traduction] « Les chômeurs, les personnes sans domicile fixe, celles qui ont peu d’instruction sont les meilleurs candidats à l’emprisonnement. Lorsque les facteurs sociaux, politiques et économiques de notre société placent un nombre disproportionné d’autochtones dans les rangs de ces personnes, cela revient littéralement pour notre société à en condamner un plus grand nombre à la prison. »

Il est vrai que certains des facteurs systémiques et historiques expliquent aussi en partie l’incidence du crime et du récidivisme chez les délinquants non-autochtones. Il faut toutefois reconnaître que la situation des délinquants autochtones diffère de celle de la majorité puisque de nombreux autochtones sont victimes de discrimination directe ou systémique, beaucoup souffrent des séquelles de la relocalisation, et beaucoup sont dans une situation économique et sociale défavorable. De plus, comme l’ont fréquemment souligné les études et rapports de commissions, les délinquants autochtones, en raison de ces facteurs systémiques et historiques particuliers, sont plus fortement touchés par l’incarcération et ont moins de chances de réinsertion sociale, car le milieu carcéral est souvent culturellement inadapté et malheureusement un lieu de discrimination patente à leur égard.

En l’espèce, nous analysons bien sûr les facteurs que le juge prononçant la peine d’un délinquant autochtone doit prendre en considération. Si les facteurs historiques et systémiques ont aussi leur importance dans la détermination de la peine applicable aux délinquants non-autochtones, le juge chargé de prononcer la peine d’un délinquant autochtone doit prêter attention aux facteurs historiques et systémiques particuliers qui ont pu contribuer à ce que ce délinquant soit traduit devant les tribunaux. Dans les cas où de tels facteurs ont joué un rôle important, il incombe au juge de la peine d’en tenir compte pour déterminer si l’incarcération aurait réellement un effet de dissuasion et de dénonciation du crime qui aurait un sens dans la communauté à laquelle le délinquant appartient. Dans bien des cas, les principes correctifs de détermination de la peine deviendront les plus pertinents pour la raison précise qu’il n’y a aucun autre moyen d’assurer la prévention du crime et la guérison individuelle et sociale.

[51]      La Cour suprême a ajouté au paragraphe 83 qu’il faudra prendre connaissance des facteurs systémiques ou historiques pertinents dans le cas des délinquants autochtones.

[52]      Comme le fait remarquer la demanderesse, la Cour suprême est revenue sur cette question en 2012 dans l’arrêt Ipeelee, observant au paragraphe 62 que selon les statistiques, la surreprésentation et l’aliénation des Autochtones dans le système de justice pénale n’ont fait qu’augmenter, et résumant comme suit, au paragraphe 59, les principes qui doivent être tirés de l’arrêt Gladue :

Selon la Cour, l’al. 718.2e) du Code doit être considéré comme une disposition réparatrice destinée à remédier au grave problème de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes et à encourager le juge à aborder la détermination de la peine dans une perspective corrective (Gladue, par. 93). Cette disposition ne se borne pas à confirmer les principes existants de détermination de la peine; elle invite les juges à utiliser une méthode d’analyse différente pour déterminer la peine appropriée dans le cas d’un délinquant autochtone. En effet, l’al. 718.2e) demande aux juges chargés de déterminer la peine de porter une attention particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones, parce qu’elles sont particulières et différentes de celles dans lesquelles se trouvent les non-Autochtones (Gladue, par. 37). Le juge qui détermine la peine à infliger à un délinquant autochtone doit tenir compte des circonstances suivantes : a) les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux; et b) les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du délinquant en raison de son héritage ou de ses attaches autochtones (Gladue, par. 66). Les juges peuvent prendre connaissance d’office des facteurs systémiques et historiques généraux touchant les Autochtones de façon générale, mais les renseignements additionnels propres à l’affaire devront leur être fournis par les avocats et le rapport présentenciel (Gladue, par. 83-84).

[53]      Bien que les arrêts Gladue et Ipeelee portent tous deux sur la détermination des peines pénales imposées aux délinquants autochtones, à laquelle l’alinéa 718.2e) du Code s’applique, d’autres décisions ont appliqué des principes en découlant dans d’autres contextes en lien avec l’interaction des personnes autochtones avec le système de justice pénale.

[54]      Dans la décision prise en 2005 dans l’affaire Sim, la Cour suprême de l’Ontario a appliqué les principes sous-jacents de l’arrêt Gladue à la décision de la Commission ontarienne d’examen concernant un accusé déclaré non criminellement responsable (NCR) en raison des troubles mentaux. La Cour a conclu ce qui suit aux paragraphes 15 et 16 :

[traduction] Qualifiant le problème de l’incarcération disproportionnée des délinquants autochtones au paragraphe 64 de « crise dans le système canadien de justice pénale », la Cour s’est concentrée, dans l’arrêt Gladue, sur l’interprétation de l’alinéa 718.2(e) et la détermination des peines des délinquants autochtones, mais a suggéré que les principes motivant sa décision pourraient avoir des ramifications plus étendues. La Cour observe au paragraphe 65 :

Il est évident que des pratiques innovatrices dans la détermination de la peine ne peuvent à elles seules faire disparaître les causes de la criminalité autochtone et le problème plus large de l’aliénation des autochtones par rapport au système de justice pénale. Plusieurs aspects de cette triste réalité sont hors du champ des présents motifs.

Je ne crois pas que les principes qui sous-tendent l’arrêt Gladue devraient être limités au processus de détermination de la peine et je ne vois aucune raison de ne pas tenir compte des principes de cet arrêt dans l’évaluation du traitement réservé par le système de justice pénale aux accusés NCR.

[55]      De même, au paragraphe 18 de l’arrêt Rich, la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador a conclu que les principes de l’arrêt Gladue étaient pertinents dans le contexte des enquêtes sur le cautionnement :

[traduction] L’arrêt Gladue était axé sur des principes de détermination de la peine, mais il portait sur d’autres questions pertinentes au cautionnement : l’éloignement des personnes autochtones du système de justice canadien, les répercussions des années de bouleversements, la question à savoir si l’incarcération aurait réellement un effet qui aurait un sens dans la communauté à laquelle appartient le délinquant, la surreprésentation des membres des communautés autochtones dans les prisons, le recours excessif à l’incarcération et d’autres préoccupations uniques aux communautés autochtones. Ces types de facteurs sont tous pertinents dans le contexte des enquêtes sur le cautionnement.

[56]      Des conclusions comparables ont été tirées par la Cour d’appel de l’Ontario dans les affaires Frontenac et Leonard en appliquant les principes dérivés de l’arrêt Gladue dans le cadre de la détermination de la peine pour outrage civil en raison d’un bris d’injonction et d’une décision ministérielle de permettre l’extradition aux États-Unis de deux Autochtones, respectivement.

[57]      Le fil commun qui sous-tend ces décisions est la reconnaissance des facteurs systémiques et historiques qui ont contribué à l’incarcération excessive des Autochtones au Canada et à ce qui a été décrit comme l’éloignement des peuples autochtones du système de justice canadien. Ces facteurs ne s’appliquent pas qu’au processus de détermination de la peine pénale dont il est question à l’alinéa 718.2e) du Code; la reconnaissance de ces facteurs et des solutions de rechange à l’incarcération s’applique à un vaste éventail de circonstances où les personnes autochtones interagissent avec le système de justice.

[58]      Bien que les parties ne puissent citer aucun précédent où l’application des principes de l’arrêt Gladue aux travaux de la Commission des libérations conditionnelles du Canada a été envisagée, il me semble que ces principes doivent s’appliquer aux décisions en cause en l’espèce, puisque la compétence de la Commission et la décision qui en résulte de révoquer ou non la libération conditionnelle d’un délinquant représentent un aspect important du système de justice pénale canadien et doivent donc être visées par le mandat de redressement décrit dans l’arrêt Gladue.

[59]      Je n’accepte pas l’argument de la demanderesse selon lequel l’alinéa 718.2e) du Code s’applique à la décision de la Commission, puisque cette partie est clairement limitée à la détermination des peines pénales. Toutefois, les décisions précitées qui ont appliqué l’arrêt Gladue hors du contexte de la détermination des peines pénales ont déterminé que l’arrêt Gladue est pertinent à l’application de l’article 7 de la Charte (voir Leonard, aux paragraphes 49 à 65) ou est pertinent à la lumière de la décision particulière ou du mandat législatif pris en compte. Par exemple, dans l’affaire Sim, la Cour d’appel de l’Ontario considérait les principes de l’arrêt Gladue comme complémentaires à l’analyse menée conformément à l’article 672.54 du Code, selon lequel la Commission ontarienne d’examen, au moment de prendre une décision relativement à un accusé non criminellement responsable, doit prendre en considération certains critères, dont la réinsertion sociale de l’accusé et ses autres besoins.

[60]      De même, comme l’a souligné le défendeur, le mandat obligatoire de la Commission l’oblige à prendre des décisions en phase avec les politiques adoptées conformément au paragraphe 151(2) de la Loi, et le paragraphe 151(3) exige que ces politiques répondent aux besoins particuliers des personnes autochtones. À mon avis, le mandat de la Commission d’adopter ces politiques et de prendre des décisions fondées sur celles-ci doit être éclairé par la jurisprudence de l’arrêt Gladue.

[61]      Je souscris à l’observation du défendeur que l’esprit et les objectifs sous-jacents de l’arrêt Gladue sont reflétés dans les principes mis en œuvre par la Loi et le Manuel qui gouverne les travaux de la Commission. Je suis d’accord que l’exigence énoncée à la politique 8.1.3.h du Manuel, selon laquelle la Commission doit tenir compte de tous les facteurs systémiques ou historiques qui peuvent avoir contribué aux démêlés du délinquant avec le système de justice pénale, y compris son expérience du pensionnat, est conforme aux objectifs qui sous-tendent l’arrêt Gladue. Je ne suis pas prêt à accepter ce que je comprends être l’avis du défendeur, c’est-à-dire que les obligations de la Commission relativement aux questions abordées par l’arrêt Gladue sont limitées à la conformité avec les exigences des politiques mises en œuvre dans ce Manuel. La question à savoir si ces politiques satisferont les obligations découlant de l’arrêt Gladue doit être envisagée en se basant sur les circonstances propres à chaque cas et sur la décision particulière prise. Toutefois, comme nous l’expliquerons plus tard dans ces motifs, le résultat du cas présent n’est pas axé sur les lacunes des politiques de la Commission, mais plutôt sur la mesure dans laquelle ses décisions sont conformes à ses obligations, qu’elles soient exprimées dans la jurisprudence de l’arrêt Gladue ou dans ses propres politiques.

[62]      Toutefois, je dois d’abord commenter la façon par laquelle la demanderesse a formulé l’obligation qui, selon elle, revient à la Commission en raison de la jurisprudence de l’arrêt Gladue. Bien qu’elle n’utilise pas toujours des termes identiques à ceux utilisés dans son mémoire des faits et du droit, elle exprime par moments cette obligation comme le devoir de se pencher sur la surreprésentation des Autochtones dans les prisons. Je conviens que dans l’arrêt Gladue, la Cour suprême a décrit l’alinéa 718.2e) du Code comme une directive que le Parlement adresse à la magistrature, l’invitant à se pencher sur les causes du problème et à s’efforcer d’y remédier, dans la mesure où cela est possible dans le cadre du processus de détermination de la peine. Toutefois, à mon avis, cette directive doit être comprise non seulement en envisageant le problème cerné par la Cour et la responsabilité des tribunaux (et, par extrapolation en fonction de la jurisprudence subséquente, la responsabilité des décideurs administratifs) de se pencher sur ce problème, mais également sur la manière d’accomplir ce rôle réparateur.

[63]      À cet égard, je suis guidé par la Cour suprême du Canada au paragraphe 75 de l’arrêt Ipeelee :

L’alinéa 718.2e) n’autorise pas une réduction de peine fondée sur la race. Cette disposition n’invite pas les tribunaux à remédier au problème de surreprésentation des Autochtones dans les prisons par une réduction artificielle des taux d’incarcération. Les juges chargés d’infliger la peine doivent plutôt accorder une attention particulière aux circonstances dans lesquelles se trouvent les délinquants autochtones pour fixer une peine véritablement adaptée et appropriée au contexte d’un cas donné. Il s’agissait, et il s’agit toujours, de leur obligation fondamentale. L’arrêt Gladue respecte entièrement l’exigence selon laquelle ces juges doivent examiner tous les facteurs et toutes les circonstances propres à la personne qui se trouve devant eux, y compris sa situation et son vécu. Dans l’arrêt Gladue, la Cour a réaffirmé cette exigence et a reconnu que les tribunaux canadiens n’avaient jusqu’alors pas tenu compte des circonstances particulières propres aux délinquants autochtones, malgré leur pertinence dans l’imposition de la peine. L’alinéa 718.2e) vise à remédier à ce défaut en prescrivant aux juges d’adapter les sanctions à la situation des peuples autochtones. La violation de cette obligation contrevient aux exigences fondamentales du processus de détermination de la peine. [Non souligné dans l’original.]

[64]      Par conséquent, je considère l’obligation découlant de la jurisprudence de l’arrêt Gladue, dans la poursuite de l’objectif, qui est de se pencher sur le problème ciblé par la Cour suprême, comme un devoir d’envisager la prise de décision en tenant compte des désavantages systémiques et de la discrimination qui peuvent avoir contribué aux démêlés du délinquant avec le système de justice pénale et de prendre des décisions qui tiennent compte des circonstances particulières propres aux délinquants autochtones.

[65]      Cette compréhension du devoir imposé par les principes de l’arrêt Gladue est également utile au moment d’examiner l’observation du défendeur selon lequel les obligations de la Commission doivent être interprétées à la lumière de l’article 100.1 de la Loi, qui stipule que la protection de la société est le critère prépondérant qui doit être pris en compte par la Commission dans la détermination de tous les cas, et le paragraphe 135(5), selon lequel la Commission est tenue de mettre fin à la libération si elle est convaincue qu’une récidive de la part du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge présentera un risque inacceptable pour la société. À mon avis, l’argument du défendeur ne mène pas à la conclusion que l’arrêt Gladue ne s’applique pas aux décisions de la Commission, mais porte simplement sur la mesure dans laquelle les facteurs pris en compte dans cette affaire auront une incidence sur le processus décisionnel. Une conclusion similaire a été considérée par la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador dans l’affaire Rich. Le juge Goodridge a observé au paragraphe 17 que, lorsque la sécurité publique est au centre de la préoccupation, en pratique, il est peu probable que l’identité de l’accusé, c’est-à-dire Autochtone ou non-Autochtone, aura beaucoup de poids. Toutefois, cela ne l’a pas empêché de conclure que les principes établis dans l’arrêt Gladue sont pertinents dans le cadre d’une enquête sur cautionnement.

[66]      De même, la Commission est appelée à prendre des décisions et sa Section d’appel doit examiner ces décisions, conformément aux dispositions légales que leur confère leur mandat, qui est de faciliter la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants dans la communauté de manière à protéger la société. Les décisions de mettre fin à la libération conditionnelle sont gouvernées par le critère prévu par la loi du risque de récidive. Toutefois, les facteurs déterminés dans l’arrêt Gladue doivent être pris en compte dans l’exécution du mandat de la Commission et son application de ce critère.

[67]      Je constate que le défendeur soutient que l’identité autochtone d’un délinquant, bien qu’il s’agisse d’un facteur important, n’est que l’un des nombreux facteurs que la Commission doit prendre en compte dans le cadre de son processus décisionnel. Je considère que cette observation concorde en grande partie avec l’interprétation décrite précédemment des obligations de la Commission, mis à part pour un aspect important, le fait que le défendeur fait référence à ce que l’on considère comme l’« identité autochtone » du délinquant. À mon avis, l’obligation n’est pas de tenir compte uniquement de l’identité autochtone du délinquant à titre de membre d’une communauté des Premières Nations, mais à envisager plutôt les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent avoir joué un rôle dans la présence du délinquant autochtone devant les tribunaux ou, de façon plus générale, de son interaction avec le système de justice pénale canadien. Ce sont ces facteurs que la Commission doit prendre en compte comme l’une des idées sous-jacentes de son évaluation en vertu du paragraphe 135(5) de la Loi dans le but de déterminer si une récidive de la part du délinquant avant l’expiration légale de la peine présente un risque élevé pour la société. Comme je l’explique ci-dessous, c’est dans cette optique que j’ai conclu que, dans ce cas particulier, la Commission et sa Section d’appel ne se sont pas acquittées de leur responsabilité. Je tire cette conclusion sans égard au fait que cette obligation est mesurée en lien avec les principes énoncés dans l’arrêt Gladue ou les principes décrits à la politique 8.1.3.h du Manuel de la Commission.

C.        Si les décisions de la Commission et de la Section d’appel sont raisonnables

[68]      Le défendeur défend la décision de la Commission en soulignant que la Commission mentionne le fait que la demanderesse a fait appel à de nombreuses ressources autochtones et a participé à des activités autochtones, en plus d’avoir accès à un aîné responsable de son dossier. Le défendeur souligne également que la Commission considère comme des facteurs positifs la participation de la demanderesse à de nombreuses activités de bénévolat au sein de la communauté autochtone, comme jouer du tambour, offrir un soutien et chanter. Elle mentionne également le fait qu’elle a été encouragée à accepter un transfert dans un ERC adapté aux différences culturelles à Vancouver et à participer à un programme pour les survivants des orphelinats, mais qu’elle a plutôt demandé à être libérée dans un ERC à Hamilton.

[69]      Toutefois, bien que ces composants de la décision de la Commission signifient qu’une attention a été portée à l’identité autochtone de la demanderesse, elle ne démontre aucune reconnaissance des facteurs systémiques qui pourraient avoir joué un rôle dans son interaction avec le système de justice pénale, qu’il s’agisse de l’interaction amorcée lors de son emprisonnement à perpétuité à l’âge de 21 ans, en 1979, ou l’interaction plus récente avec la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Mme Twins est une survivante des orphelinats, mais ce facteur est mentionné dans la décision de la Commission uniquement dans le contexte d’un programme recommandé. Cette décision ne démontre pas que les répercussions de cette expérience ont été prises en compte. Je note plutôt, après analyse de l’enregistrement audio de l’audience, que la Commission a précisé que l’audience portait uniquement sur le temps passé par la demanderesse dans la communauté et que c’est à cette période que se limite l’audience.

[70]      En soutien de la décision de la Section d’appel, le défendeur indique que la Section d’appel a spécifiquement fait référence à la politique 8.1 du Manuel et aux observations de la demanderesse concernant les principes de l’arrêt Gladue, soutenant qu’elle était donc au courant de ces questions. Les références de la Section d’appel à l’observation de la demanderesse concernant l’arrêt Gladue et la politique 8.1 du Manuel démontrent la reconnaissance de l’obligation de tenir compte des facteurs systémiques ou historiques. Toutefois, la décision de la Section d’appel ne démontre aucune considération de ces facteurs et ne soutient pas de conclusion raisonnable de la part de la Section d’appel à l’effet que la Commission a tenu compte de ces facteurs. Bien que la Section d’appel constate expressément que la Commission a tenu compte des facteurs historiques et systémiques propres au cas de la demanderesse, elle soutient cette conclusion en citant à titre d’exemple sa participation à des cérémonies et des programmes autochtones, sa participation au comité de mieux-être autochtone, son travail avec l’agent de liaison avec les Autochtones et son bénévolat auprès du Native Women’s Resource Centre. Ces activités sont liées à son identité autochtone, mais n’indiquent pas que les facteurs systémiques et historiques ont été pris en compte de la façon prescrite par les principes de l’arrêt Gladue ou le Manuel de la Commission.

[71]      Finalement, le défendeur souligne que la Section d’appel a cité les observations de la Commission selon lesquelles la reconnaissance des antécédents de la demanderesse et des progrès accomplis découlant de sa volonté de participer au processus Red Road ont mené à la décision initiale de la Commission de lui accorder une semi-liberté en vertu de l’article 84. En réponse, la demanderesse fait valoir que, dans la mesure où cela démontre que la Commission a tenu compte des répercussions des facteurs historiques et systémiques dans sa décision initiale de lui accorder une libération conditionnelle, cela ne libère pas la Commission de son obligation, qui est de tenir compte de ces facteurs dans le contexte de la décision de révoquer la liberté conditionnelle. Toutefois, à l’examen de l’enregistrement audio de l’audience devant la Commission, on constate que la Commission a décidé d’accorder une libération conditionnelle en reconnaissance du fait que la demanderesse suivait le programme Red Road depuis 2006, ce qui contraste avec ses comportements problématiques au début de son incarcération. Selon la Cour, il ne semble pas que la Commission faisait référence à des facteurs systémiques comme l’expérience de la demanderesse des orphelinats, qui pourraient avoir contribué à son incarcération, lorsqu’elle a formulé ces remarques au cours de l’audience.

[72]      Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y a rien au dossier qui soutient la conclusion de la Section d’appel que la Commission a tenu compte des facteurs historiques et systémiques dans le cas de la demanderesse, comme l’exige la jurisprudence de l’arrêt Gladue ou le Manuel, ni la conclusion résultante de la Section d’appel comme quoi la Commission a examiné le cas de la demanderesse conformément aux critères décisionnels postlibératoires établis dans la loi et dans la politique de la Commission. Après avoir examiné la décision de la Commission et la décision de la Section d’appel, la Cour conclut que cette dernière n’a pas tiré ses conclusions raisonnablement en ce qui a trait au caractère raisonnable de la première. Par conséquent, la décision de la Section d’appel devrait être annulée.

[73]      En ce qui concerne la décision de la Commission, je n’exprime aucune opinion à savoir si la reconnaissance par la Commission des facteurs historiques et systémiques dans le cas de la demanderesse aurait dû faire une différence dans la décision de révoquer sa libération conditionnelle, et je suis conscient du fait que la Commission doit s’acquitter de son mandat avec déférence. Toutefois, compte tenu de l’importance de ces facteurs, et puisqu’il est clair, à la lumière du dossier, qu’il y avait à la fois des éléments positifs et négatifs dans le cas de la demanderesse, je ne peux conclure que la reconnaissance prescrite de ces facteurs n’aurait pas produit d’autres résultats. Puisque ces facteurs n’ont pas été pris en compte, la décision de la Commission est déraisonnable et doit également être annulée.

[74]      Après avoir tiré ces conclusions, il est inutile pour moi d’examiner les autres arguments des parties quant au caractère raisonnable des décisions, et j’estime qu’il est préférable que je ne commente pas ces arguments. Les différents facteurs à prendre en compte relativement à la décision de révoquer la libération conditionnelle de la demanderesse, qui sont appuyés par ces motifs, devraient tirer les avantages de l’expertise de la Commission à titre de tribunal spécialisé.

D.        Recours

[75]      À titre de recours dans le cadre de cette requête, la demanderesse demande une ordonnance cassant la révocation et ordonnant la semi-libération de la demanderesse. Subsidiairement, elle demande une ordonnance cassant la révocation et exige une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission.

[76]      Lors de l’audition de la demande, la Cour a cherché à obtenir les observations des parties sur la question à savoir, dans l’éventualité où la demanderesse aurait gain de cause, si la question doit être renvoyée à la Commission ou à la Section d’appel. Les parties ont convenu que dans l’éventualité où la Cour déclarerait que la décision de la Commission est déraisonnable, l’affaire serait renvoyée pour nouvel examen à la Commission et non à la Section d’appel.

[77]      Par conséquent, mon jugement casse les décisions de la Commission et de la Section d’appel et renvoie l’affaire devant la Commission pour nouvel examen. Comme je l’ai expliqué précédemment, j’ai rejeté la demande d’ordonnance de libération conditionnelle de la demanderesse, puisque la décision de révoquer sa libération doit être prise par la Commission après un nouvel examen de son cas conformément aux présents motifs.

VII.      Dépens

[78]      Les parties ont soumis leurs observations après l’audience sur les dépens et ont proposé conjointement que les coûts soient une somme symbolique de 250 $, suivant le sort de la cause. C’est le jugement que je rendrai.

JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

A.        La présente demande est accueillie;

B.        La décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, datée du 23 décembre 2014, et la décision de la Section d’appel, datée du 16 juin 2015, sont cassées et l’affaire est renvoyée devant un tribunal différemment constitué de la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour nouvel examen conformément aux présents motifs;

C.        Les dépens sont attribués à la défenderesse au montant fixe de 250 $.

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