Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-446-06

2007 CAF 297

Umberto Mazzotta (demandeur)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Mazzotta c. Canada (Procureur général) (C.A.F.))

Cour d’appel fédérale, juges Linden, Létourneau et Sexton, J.C.A.—Toronto, 12 septembre; Ottawa, 21 septembre 2007.

Pensions — Contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’appel des pensions (la CAP), qui a accueilli l’appel que le ministre du Développement social a interjeté à l’encontre de la décision du tribunal de révision de réexaminer une demande de prestations d’invalidité en vertu de l’art. 84(2) du Régime de pensions du Canada (le RPC) à la lumière de faits nouveaux — Le législateur dit explicitement aux art. 83(1) et 84(1) du RPC que la décision du tribunal de révision ne peut être contrôlée que par voie d’un appel devant la CAP dans le délai prescrit et que la décision de la CAP ne peut être contestée que par le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire — Le critère qu’il convient d’appliquer quant au caractère substantiel de nouveaux éléments de preuve pour l’application de l’art. 84(2) du RPC est celui de savoir si l’on peut raisonnablement croire que les faits présentés comme nouveaux auraient modifié l’issue de la procédure antérieure — La décision du tribunal de révision sur la question des faits nouveaux relève de l’art. 84(2) et fait partie intégrante de la décision qui sera en fin de compte rendue sur l’invalidité du demandeur de prestations — La CAP a conclu à juste titre que le tribunal de révision avait appliqué une définition erronée du critère du caractère substantiel en se fondant sur la possibilité raisonnable que les éléments de preuve produits (rapports médicaux en la possession de l’avocat du demandeur) pouvaient l’amener à rendre une décision différente de la première quant à l’invalidité du demandeur de prestations — De même, la CAP n’a pas commis d’erreur d’application du critère du caractère substantiel correctement défini lorsqu’elle a conclu que les rapports médicaux auraient pu être obtenus si le demandeur avait fait preuve de diligence raisonnable — Les arrêts antérieurs qui adressaient les plaideurs à la Cour fédérale du Canada pour y faire contrôler, par voie de demande de contrôle judiciaire, la décision positive ou négative d’un tribunal de révision sur la question des faits nouveaux ne font plus jurisprudence — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’appel des pensions (la CAP), qui a accueilli l’appel que le ministre du Développement social a interjeté à l’encontre de la décision du tribunal de révision de réexaminer une demande de prestations d’invalidité en vertu du  paragraphe  84(2)  du  Régime  de  pensions  du  Canada (le RPC) à la lumière de faits nouveaux. La CAP a statué que le tribunal de révision a appliqué une définition erronée du caractère substantiel lorsqu’il a conclu qu’il y avait une possibilité raisonnable que les faits nouveaux l’amènent à rendre une décision différente. Elle a aussi conclu que le demandeur n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable pour obtenir les éléments de preuve au moment de la première audience du tribunal de révision. Les nouveaux éléments de preuve produits consistaient en rapports médicaux qui se trouvaient en la possession de l’avocat du demandeur au moment de la première audience du tribunal de révision, mais dont le demandeur n’avait censément pas eu connaissance.

L’étendue des pouvoirs de la CAP est énoncée aux articles 83 et 84 du RPC. Les questions litigieuses étaient celles de savoir  : 1) quels sont les pouvoirs de la CAP lorsqu’elle est saisie d’un appel contre une décision de réexamen; et 2) quel est le critère du caractère substantiel applicable aux nouveaux éléments de preuve.

Arrêt  : la demande doit être rejetée.

Plusieurs arrêts antérieurs de la Cour d’appel fédérale, dont Oliveira c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 136; Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420; et Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Landry, 2005 CAF 167, ont établi que les plaideurs devaient s’adresser à la Cour fédérale du Canada pour y faire contrôler, par voie de demande de contrôle judiciaire, la décision positive ou négative d’un tribunal de révision sur la question des faits nouveaux. Le législateur dit explicitement aux paragra-phes 83(1) et 84(1) du RPC que la décision du tribunal de révision ne peut être contrôlée que par voie d’un appel devant la CAP, interjeté dans le délai prescrit. La décision de la CAP, elle, peut être contestée par le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour. Le texte français du paragraphe 84(1), par les termes « sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l’objet », ne laisse aucune ambiguïté touchant le point de savoir laquelle des deux instances, la CAP ou le tribunal de révision, relève du contrôle judiciaire. En posant que les décisions de réexamen du tribunal de révision sur la question des faits nouveaux sont contestables par voie de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, les arrêts antérieurs de la Cour d’appel fédérale vont à l’encontre du libellé clair et sans équivoque des paragraphes 83(1) et 84(1), ainsi que de l’intention du législateur. Qui plus est, si le tribunal de révision s’est trompé en concluant que les nouveaux éléments de preuve produits constituaient des faits nouveaux, la CAP, saisie d’un appel contre une décision rendue par le tribunal de révision sous le régime du paragraphe 84(2), dispose, en vertu du paragraphe 83(11), du pouvoir de prendre la mesure appropriée que ce tribunal aurait pu prendre et de déclarer que les éléments de preuve en question ne constituent pas des faits nouveaux.

 Le tribunal de révision a appliqué aux éléments de preuve produits une définition erronée du critère du caractère substantiel. Le critère pertinent à appliquer pour l’application du paragraphe 84(2) du RPC est celui de savoir si l’on peut raisonnablement croire que les faits présentés comme nouveaux auraient modifié l’issue de la procédure antérieure. Le critère a pour objet de permettre de trouver un équilibre entre la nécessité d’un examen équitable des demandes de prestations d’invalidité et celle d’assurer dans l’intérêt public le caractère définitif et l’exécution des décisions antérieures qui ont autorité de chose jugée. Bien qu’il convienne de faire preuve d’une certaine souplesse dans l’application du critère, il n’est pas permis de l’appliquer irrégulièrement ni d’en appliquer une définition inexacte. La décision que rend le tribunal de révision sur la question des faits nouveaux relève du paragraphe 84(2) et fait partie intégrante de la décision qui sera en fin de compte rendue sur l’invalidité du demandeur de prestations. Compte tenu de l’objet du RPC, l’idée qu’on devrait adresser les parties à la Cour fédérale pour faire contrôler la justesse d’une décision rendue par un tribunal de révision sur une demande de réexamen qui relève du paragraphe 84(2) ne paraît pas conforme aux dispositions légales adoptées par le législateur. En outre, elle va à l’encontre de l’objet du RPC, étant donné que ce détour inutile est onéreux et que le demandeur de prestations ne peut qu’y perdre.

La CAP a conclu à juste titre que le tribunal de révision avait appliqué une définition erronée du critère du caractère substantiel en se fondant sur la possibilité raisonnable, plutôt que sur la probabilité, que les éléments de preuve produits l’amènent à rendre une décision différente de la première. De même, la CAP n’a pas commis d’erreur d’application du critère du caractère substantiel correctement défini lorsqu’elle a conclu que les rapports médicaux, qui étaient censément les nouveaux éléments de preuve, auraient pu être obtenus si le demandeur avait fait preuve de diligence raisonnable. Il était loisible à la CAP de conclure que le demandeur ne s’était pas acquitté de la charge pesant sur lui de prouver qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable pour découvrir les rapports médicaux en question et que le demandeur, qui avait argué du fait qu’il s’était fié à ses mandataires, était lié par leurs actes. Par conséquent, la CAP n’a pas omis de prendre en considération la totalité des rapports aux fins d’établir s’ils constituaient des faits nouveaux sous le régime du paragraphe 84(2) du RPC.

Les arrêts antérieurs qui adressaient les plaideurs à la Cour fédérale du Canada pour y faire contrôler, par voie de demande de contrôle judiciaire, la décision positive ou négative d’un tribunal de révision sur la question des faits nouveaux ne font plus jurisprudence.

lois et règlements cités

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8; 2002, ch. 8, art. 35).

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 82 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 45; L.C. 1995, ch. 33, art. 35; 2000, ch. 12, art. 60, 64k), 83(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 12, art. 61), (11) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 45), 84(1) (mod., idem; L.C. 1990, ch. 8, art. 46), (2) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 45).

jurisprudence citée

décisions examinées :

Oliveira c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CAF 136; Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Landry, 2005 CAF 167; Peplinski c. Canada, [1993] 1 C.F. 222 (1re inst.).

décisions citées :

Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Fleming, 2004 CAF 288; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Richard, 2004 CAF 378; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Mian c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 433; Castro c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1988] A.C.F. no 532 (C.A.) (QL); Première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 22.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision de la Commission d’appel des pensions (la CAP), qui a accueilli l’appel du ministre du Développement social au motif que le tribunal de révision ne disposait pas de faits nouveaux dans le cadre d’une demande de réexamen présentée conformément au paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada. Demande rejetée.

ont comparu :

Hossein Niroomand pour le demandeur.

Allan T. Matte pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier :

Hossein Niroomand, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Létourneau, J.C.A. : La Commission d’appel des pensions (la CAP) a‑t‑elle commis une erreur en accueillant l’appel du ministre du Développement social (le ministre) au motif que le tribunal de révision n’avait pas été saisi de faits nouveaux? Une fois encore, les attributions de la CAP se voient soumises à l’appréciation judiciaire à l’occasion d’une décision de réexamen rendue sous le régime du paragraphe 84(2) [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 45] du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C‑8 (le RPC), et d’un appel contre cette décision.

[2]La présente demande de contrôle judiciaire a aussi pour objet la clarification du critère du caractère substantiel applicable aux nouveaux éléments de preuve..

[3]Enfin, le demandeur soutient que la CAP a commis une erreur en limitant son examen des nouveaux éléments de preuve à trois documents. La Cour n’aura à prendre cette prétention en considération que si elle décide que la CAP était habilitée à contrôler la conclusion positive du tribunal de révision touchant la question des faits nouveaux.

[4]J’étudierai d’abord l’étendue des pouvoirs de la CAP lorsqu’elle est saisie d’un appel contre une décision de réexamen. Cependant, il n’est pas superflu de récapituler brièvement les faits et la procédure afin de mieux comprendre les questions en litige. Commençons par relire les dispositions applicables du RPC [art. 83(1) (mod. par L.C. 2000, ch. 12, art. 61), (11) (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 45), 84(1) (mod., idem; L.C. 1990, ch. 8, art. 46)] :

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82—autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse—ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice‑président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, une demande écrite au président ou au vice‑président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

. . .

(11) La Commission d’appel des pensions peut confirmer ou modifier une décision d’un tribunal de révision prise en vertu de l’article 82 ou du paragraphe 84(2) et elle peut, à cet égard, prendre toute mesure que le tribunal de révision aurait pu prendre en application de ces dispositions et en outre, elle doit aussitôt donner un avis écrit de sa décision et des motifs la justifiant à toutes les parties à cet appel.

. . .

84. (1) Un tribunal de révision et la Commission d’appel des pensions ont autorité pour décider des questions de droit ou de fait concernant :

a) la question de savoir si une prestation est payable à une personne;

(b) le montant de cette prestation;

(c) la question de savoir si une personne est admissible à un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension;

(d) le montant de ce partage;

(e) la question de savoir si une personne est admissible à bénéficier de la cession de la pension de retraite d’un cotisant;

(f) le montant de cette cession.

La décision du tribunal de révision, sauf disposition contraire de la présente loi, ou celle de la Commission d’appel des pensions, sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l’objet aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, est définitive et obligatoire pour l’application de la présente loi.

(2) Indépendamment du paragraphe (1), le ministre, un tribunal de révision ou la Commission d’appel des pensions peut, en se fondant sur des faits nouveaux, annuler ou modifier une décision qu’il a lui‑même rendue ou qu’elle a elle‑même rendue conformément à la présente loi. [Non souligné dans l’original.]

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

5]Le demandeur à la présente instance a formé en avril 1995 une demande de prestations d’invalidité que le ministre a rejetée. Il a contesté ce rejet devant un tribunal de révision, qui l’a débouté le 17 juillet 1998. Il a alors sollicité l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la CAP, autorisation dont le membre désigné de la CAP a prononcé le refus le 6 juillet 1999. Il a ensuite présenté, le 6 septembre 2002, une deuxième demande de prestations, qu’on a aussi repoussée, au motif du rejet antérieur de son recours par le tribunal de révision.

[6]Le demandeur a alors sollicité, sous le régime du paragraphe 84(2) du RPC, une audience de réexamen de la décision du tribunal de révision. Cette demande a été accueillie, et le tribunal de révision a conclu que le demandeur avait présenté des faits nouveaux qui justifiaient le réexamen de sa première décision. Il a statué que ces faits, considérés conjointement avec la preuve dont il était saisi par ailleurs, suffisaient à établir que le demandeur était invalide depuis avril 1995.

[7]Le défendeur a demandé à la CAP l’autorisation d’interjeter appel de cette décision, autorisation que la CAP lui a accordée.

LA  DÉCISION  DE  LA  COMMISSION  D’APPEL DES PENSIONS

[8]La CAP a décidé qu’il lui fallait d’abord établir si le tribunal de révision avait commis une erreur en admettant les nouveaux éléments de preuve qu’on lui avait présentés et qu’elle examinerait sur le fond le point de savoir si le demandeur était invalide qu’une fois convaincue que le tribunal de révision avait eu raison d’admettre ces nouveaux éléments. La CAP a aussi établi que les seuls éléments de preuve médicale dont elle tiendrait compte à cet égard étaient les éléments datés d’avant le 25 mars 1998, date de la première demande de prestations du demandeur.

[9]La CAP a ensuite examiné certains rapports médicaux que le demandeur déclarait constituer des faits nouveaux. Elle a conclu que le tribunal de révision avait eu tort d’admettre ces éléments de preuve, pour deux raisons. Premièrement, il avait, selon elle, appliqué à l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve une définition erronée du critère du caractère substantiel. Le tribunal de révision avait en effet admis les nouveaux éléments au motif qu’il avait constaté [traduction] « la possibilité raisonnable, par opposition à la probabilité, qu’ils [l’] amènent à rendre une décision différente de la première ». Or, selon la CAP, les nouveaux éléments de preuve doivent, pour être admis, laisser entrevoir la probabilité, et non la simple possibilité, qu’ils influent sur la première décision. Deuxièmement, la CAP a conclu que le demandeur n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable pour se procurer les éléments de preuve en question au moment de la première audience du tribunal de révision.

[10]Les nouveaux éléments de preuve produits consistaient en des rapports médicaux qui se trouvaient en la possession de l’avocat du demandeur au moment de la première audience du tribunal de révision. Selon la CAP, conclure que le demandeur avait fait preuve de diligence raisonnable dans ces circonstances aurait impliqué qu’il n’était pas lié par les actes de ses mandataires et aurait ouvert la possibilité pour les demandeurs futurs d’invoquer les omissions de leurs mandataires ou représentants pour faire admettre des éléments de preuve en tant que faits nouveaux.

[11]Pour ces motifs, la CAP a fait droit à l’appel du ministre.

LES POUVOIRS DE LA CAP DANS LE CADRE D’UN APPEL CONTRE UNE DÉCISION DE RÉEXAMEN RENDUE PAR UN TRIBUNAL DE RÉVISION SOUS LE RÉGIME DU PARAGRAPHE 84(2) DU RPC

[12]Le pouvoir de la CAP que la présente demande met en discussion est celui de contrôler la décision du tribunal de révision comme quoi les éléments de preuve produits par le demandeur constituent des faits nouveaux et justifient en conséquence le réexamen sur le fond de son cas pour ce qui concerne la question de l’invalidité.

[13]Trois arrêts de notre Cour se révèlent pertinents pour l’examen de ce premier motif de contrôle judiciaire : Oliveira c. Canada (Ministre du Développe-ment des ressources humaines), 2004 CAF 136; Kent c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 420; et Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Landry, 2005 CAF 167.

[14]J’ajouterai pour ne rien omettre que l’arrêt Oliveira approuvait une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale intitulée Peplinski c. Canada, [1993] 1 C.F. 222 (1re inst.). Notre Cour a ultérieurement appliqué l’arrêt Oliveira dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Fleming, 2004 CAF 288, et dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Richard, 2004 CAF 378.

[15]Les arrêts Oliveira, Kent et Landry portent sur trois situations différentes, mais étroitement apparentées.

LA SITUATION DU TYPE OLIVEIRA

[16]La situation du type Oliveira est celle où le tribunal de révision rend une décision négative sous le régime du paragraphe 84(2), c’est‑à‑dire où il conclut que les éléments de preuve produits ne constituent pas des faits nouveaux.

[17]Dans ce cas de figure, le demandeur de prestations d’invalidité doit s’adresser à la Cour fédérale pour contes obligation onéreuse et pénible pour le demandeur de prestations, qui doit souvent se représenter lui‑même faute de ter cette décision qui lui était défavorable par la voie d’une demande de contrôle judiciaire. C’est là une ressources. L’une ou l’autre des parties, selon l’issue de la demande, peut faire appel de la décision de la Cour fédérale devant notre Cour. Beaucoup de temps s’écoule ainsi, tandis que la question centrale de l’invalidité du demandeur de prestations reste en suspens.

[18]Cette situation n’est guère conforme au principe voulant qu’il convienne de donner une interprétation libérale aux lois dites « sociales » et « que les lois conférant des avantages doivent être interprétées de façon libérale et généreuse »; voir Kent c. Canada (Procureur général), au paragraphe 35, où l’on applique Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 27. Il est vrai que ces observations concernaient l’interprétation à donner aux droits sociaux, mais il me paraît qu’une interprétation libérale de la procédure de revendication des droits sociaux se justifie aussi lorsque l’attitude opposée irait à l’encontre des objectifs de cette procédure et de la législation qui l’a instituée.

[19]L’arrêt Oliveira se fondait sur les principes élaborés dans la décision Peplinski. Par cette dernière, la Cour fédérale a conclu que, comme n’avaient pas été présentés de faits nouveaux qui eussent justifié le réexamen de la première décision du ministre, celui‑ci n’avait pas rendu de nouvelle décision, de sorte qu’il n’y avait pas droit d’appel devant la CAP; voir Peplinski, aux pages 226 et 227. Il n’y aurait eu droit d’appel que si l’on avait constaté l’existence de faits nouveaux qui eussent donné lieu à une nouvelle décision sous le régime du paragraphe 84(2), après réexamen de la première décision. C’est une décision du ministre qui était en litige dans Peplinski.

Notre Cour a appliqué dans l’arrêt Oliveira le même raisonnement à une décision de réexamen rendue par un tribunal de révision.

[20]À mon humble avis, cette conclusion n’est pas conforme à la réalité des faits ni à celle du droit. Lorsqu’un tribunal de révision—ou d’ailleurs le ministre—rejette sous le régime du paragraphe 84(2) une demande d’annulation d’une décision antérieure, il rend une décision, aussi bien en droit que dans les faits. Une décision est bel et bien rendue dans ce cas, tout autant que s’il décide d’accueillir la demande et, ensuite, annule ou modifie sa décision antérieure. La décision de rejeter la demande d’annulation ou de modification est une décision rendue sous le régime du paragraphe 84(2). Le paragraphe 83(1) confère sans ambiguïté dans ce cas un droit d’appel devant la CAP; il dispose en effet que la personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application du paragraphe 84(2) peut présenter une demande afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision (that decision) auprès de la CAP. Peu importe que le tribunal de révision accueille la demande de réexamen et annule sa décision antérieure au motif qu’il est saisi de nouveaux éléments de preuve substantiels, ou au contraire rejette cette demande au motif de l’absence de faits nouveaux ou du caractère non substantiel des nouveaux éléments produits et maintienne sa décision antérieure. Dans les deux cas, une décision est rendue en application du paragraphe 84(2), et cette décision est, à mon sens, susceptible d’appel.

LA SITUATION DU TYPE KENT

[21]La situation examinée dans Kent illustre le cas opposé : le tribunal de révision rend une décision positive, c’est‑à‑dire conclut à la communication de faits nouveaux et, sur ce fondement, réexamine la demande de prestations.

[22]Notre Cour a constaté dans Kent l’existence d’un débat sur la procédure à suivre pour contester une décision du tribunal de révision portant sur la présence ou l’absence de faits nouveaux; voir Kent, au paragraphe 28. Elle a ensuite appliqué aux faits de l’espèce le même raisonnement que celui d’Oliveira et de Peplinski. Selon elle, la CAP ne pouvait contrôler les conclusions positives, pas plus que les conclusions négatives, sur la question des faits nouveaux. Le ministre devait contester les conclusions positives devant la Cour fédérale par la voie d’une demande de contrôle judiciaire.

[23]Là encore, la question de l’invalidité du demandeur de prestations reste en suspens tandis que la procédure est déviée vers la Cour fédérale, puis, le cas échéant, vers notre Cour. Une fois encore, le citoyen aux ressources limitées doit se défendre dans un contexte judiciaire.

LA SITUATION DU TYPE LANDRY

[24]Comme si les choses n’étaient pas déjà suffisamment compliquées, l’affaire Landry vient illustrer le cas mixte où le tribunal de révision conclut que certains éléments de preuve constituent des faits nouveaux, et d’autres non.

[25]Si l’on suivait ici les arrêts Oliveira et Kent, le ministre devrait demander à la Cour fédérale le contrôle judiciaire de la conclusion positive, tandis que le demandeur de prestations d’invalidité devrait former lui aussi une demande de contrôle judiciaire devant la même Cour, mais visant la conclusion négative. Il faudrait ensuite que soit présentée une requête tendant à faire réunir les deux demandes en un seul dossier afin qu’elles soient instruites conjointement.

[26]Même si le ministre décidait de ne pas contester la conclusion positive, le demandeur de prestations n’en devrait pas moins s’adresser à la Cour fédérale pour solliciter l’infirmation de la conclusion négative. Notre Cour a décrit dans les termes suivants, au paragraphe 9 de l’exposé des motifs de l’arrêt Landry, la bizarrerie, pour ne pas dire l’absurdité, de cette situation juridique :

En outre, en ce qui concerne les faits qui furent présentés au Tribunal mais rejetés par celui‑ci, sur le plan purement pratique, la Commission doit pouvoir réviser le refus par le Tribunal de considérer comme nouveaux ces faits. Autrement, cela signifie qu’à l’égard de ce refus, la partie lésée devrait s’adresser à la Cour fédérale pour faire réviser cet aspect de la décision alors qu’un appel de cette décision est valablement formé devant la Commission en rapport avec les faits qui furent acceptés comme nouveaux. Il en résulterait, au plan opérationnel ainsi qu’au niveau des délais et de l’économie judiciaire, une division inutile et préjudiciable du litige. Par exemple, l’appel à la Commission devrait être suspendu en attendant que la Cour fédérale se prononce sur les allégations de faits nouveaux dont elle est saisie, la décision de la Cour fédérale pouvant avoir un impact sur celle de la Commission.

[27]En outre, le paragraphe 84(2) confère aussi à la CAP le pouvoir de réexaminer ses propres décisions sur la base de faits nouveaux communiqués par le demandeur de prestations. Par conséquent, la CAP possède et développe ainsi une expertise dans l’appréciation des nouveaux éléments de preuve médicale présentés à l’appui d’une demande de prestations d’invalidité. Pourquoi devrait‑on alors refuser à la CAP le pouvoir de contrôler en appel la décision d’un tribunal de révision sur la question des faits nouveaux, alors qu’elle est habilitée à décider cette question lorsqu’elle réexamine ses propres décisions? Comme il apparaîtra plus loin, je ne vois aucune raison valable, ni en droit ni du point de vue pratique, de ne pas reconnaître ce pouvoir à la CAP. Je me trouve ainsi amené à réexaminer les arrêts Oliveira et Kent.

RÉEXAMEN DES ARRÊTS OLIVEIRA ET KENT

L’intention du législateur dans les paragraphes 83(1) et 84(1)

[28]Le paragraphe 84(1), rappellerai‑je d’abord, dispose que la décision du tribunal de révision, sauf disposition contraire du RPC, est définitive et obligatoire pour l’application de celui‑ci. Quant à la décision de la CAP, elle est aussi définitive et obligatoire pour l’application du RPC, mais sous réserve du contrôle judiciaire dont elle peut faire l’objet aux termes de la Loi sur les Cours fédérales [L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)].

[29]Le législateur dit explicitement aux paragraphes 83(1) et 84(1) du RPC que la décision du tribunal de révision ne peut être contrôlée que par la voie d’un appel devant la CAP, interjeté dans le délai prescrit. La décision de la CAP, elle, peut être contestée par le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour. Le texte français du paragraphe 84(1), par les termes « sauf contrôle judiciaire dont elle peut faire l’objet » [soulignement ajouté], ne laisse aucune ambiguïté touchant le point de savoir laquelle des deux instances, la CAP ou le tribunal de révision, relève du contrôle judiciaire.

[30]En posant que les décisions de réexamen du tribunal de révision sur la question des faits nouveaux sont contestables par voie de demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, la décision Peplinski, ainsi que les arrêts Oliveira et Kent, vont à l’encontre du libellé clair et sans équivoque des paragraphes 83(1) et 84(1), ainsi que de l’intention du législateur.

The legislative intent in subsection 83(11)

[31]En outre, ni la décision Peplinski, ni les arrêts Oliveira, Fleming, Richard ou Kent, n’examinent ou ne mentionnent les pouvoirs que le paragraphe 83(11) confère à la CAP siégeant en appel d’une décision rendue par le tribunal de révision sous le régime de l’article 82 [mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 30, art. 45; L.C. 1995, ch. 33, art. 35; 2000, ch. 12, art. 60, 64k)] ou du paragraphe 84(2). La CAP « peut, à cet égard, prendre toute mesure que le tribunal de révision aurait pu prendre en application de ces dispositions ». Si le tribunal de révision s’est trompé en concluant que les nouveaux éléments de preuve produits constituaient des faits nouveaux, la CAP, saisie d’un appel contre une décision rendue par le tribunal de révision sous le régime du paragraphe 84(2), dispose en vertu du paragraphe 83(11) du pouvoir de prendre la mesure appropriée que ce tribunal aurait pu prendre et de déclarer que les éléments de preuve en question ne constituent pas des faits nouveaux

[32]À mon humble avis, le paragraphe 83(11) confère à la CAP, saisie d’un appel contre une décision de réexamen rendue par un tribunal de révision sous le régime du paragraphe 84(2), le pouvoir de contrôler la conclusion du tribunal touchant la question des faits nouveaux, que cette conclusion soit positive ou négative.

[33]Je dois  ajouter que notre Cour, dans Kent, a interprété le principe sous‑tendant Peplinski, Oliveira, Fleming et Richard comme étant que « la compétence de la Commission d’appel des pensions se limite aux appels interjetés contre les décisions au fond rendues par le tribunal de révision, soit en première instance soit après réexamen selon le paragraphe 84(2) »; voir Kent, au paragraphe 28. Or la décision Peplinski, dont sont issus les arrêts Oliveira, Fleming et Richard, se fondait, comme je le disais plus haut, sur le malentendu voulant qu’il n’y ait pas nouvelle décision dans le cas où il est statué au réexamen que les éléments de preuve produits ne constituent pas des faits nouveaux. Il n’est pas fait mention dans Peplinski du fait que la compétence de la CAP se limiterait aux appels de décisions sur le fond du tribunal de révision. Je suis convaincu que si l’on avait porté le paragraphe 83(11) à l’attention de notre Cour dans l’affaire Kent et que si elle l’y avait examiné conjointement avec les paragraphes 83(1) et 84(1), sa décision n’aurait pas été la même.

[34]Il convient de rappeler que le paragraphe 84(1) confère expressément à la CAP le pouvoir de décider des questions de droit ou de fait concernant la question de savoir si une prestation est payable à une personne. Le critère du caractère substantiel applicable aux éléments de preuve présentés comme des faits nouveaux, ainsi que l’admissibilité de ces éléments, sont des questions de droit et des questions mixtes de fait et de droit qu’il est nécessaire de trancher pour établir « si une prestation est payable à une personne ». Ces questions sont bien du ressort de la CAP sur appel.

La nécessité pour la CAP de posséder le pouvoir de contrôler les décisions des tribunaux de révision sur la question des faits nouveaux

[35]La présente affaire est un bon exemple de la nécessité pour la CAP de posséder le pouvoir de contrôler les décisions sur la question des faits nouveaux. En l’occurrence, le tribunal de révision a appliqué aux éléments de preuve produits une définition erronée du critère du caractère substantiel.

[36]Se fondant sur la décision de la Cour fédérale Mian c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 433, où l’on citait un arrêt rendu par notre Cour en 1988 (Castro c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1988] A.C.F. no 532 (C.A.) (QL)) sur le refus opposé par la Commission d’appel de l’immigration à une demande de réexamen d’appel, le tribunal de révision a relâché le critère du caractère substantiel en le définissant comme la « possibilité raisonnable, et non d’une probabilité [que les éléments de preuve produits] justifierait la Commission de modifier sa décision initiale » [Mian, au paragraphe 28].

[37]Notre Cour a conclu, au paragraphe 34 de Kent, que le critère du caractère substantiel est rempli si l’on peut raisonnablement croire que les faits présentés comme nouveaux auraient conduit à une décision autre :

La question de savoir si un fait pouvait être découvert moyennant une diligence raisonnable est une question de fait. La question du caractère substantiel est une question mixte de droit et de fait, en ce sens qu’elle requiert une évaluation provisoire de l’importance des présumés faits nouveaux pour le fond de la demande de pension d’invalidité. La décision rendue par la Commission d’appel des pensions dans l’affaire Suvajac c. Ministre du Développement des ressources humaines (appel CP 20069, 17 juin 2002) adopte le critère exposé dans l’arrêt Dormuth c. Untereiner, [1964] R.C.S. 122. Selon ce critère, les preuves nouvelles doivent être pour ainsi dire déterminantes. Ce critère n’est pas aussi rigoureux qu’il peut le paraître. Les preuves nouvelles sont considérées comme des preuves pour ainsi dire déterminantes si l’on peut raisonnablement croire qu’elles auraient modifié l’issue de la procédure antérieure : BC Tel c. Bande indienne de Seabird Island (C.A.), [2003] 1 C.F. 475. Ainsi, pour l’application du paragraphe 84(2) du Régime de pensions du Canada, les faits nouveaux qui sont avancés sont substantiels si l’on peut raisonnablement croire qu’ils auraient conduit à une décision autre. [Non souligné dans l’original.]

C’est là le critère qu’il convient d’appliquer.

[38]En se fondant sur une définition erronée du critère applicable, le tribunal de révision a admis les éléments de preuve produits en tant que faits nouveaux et a annulé sa décision antérieure. C’est là une erreur importante qui doit être corrigée. L’application du critère du caractère substantiel n’est pas une simple formalité qu’on pourrait négliger ou contourner. Ce critère a pour objet de permettre de trouver un équilibre entre la nécessité d’un examen équitable des demandes de prestations d’invalidité et celle d’assurer dans l’intérêt public le caractère définitif et l’exécution des décisions antérieures qui ont autorité de chose jugée.

[39]Si je souscris à l’idée exposée par notre Cour au paragraphe 35 de Kent, selon laquelle il convient de faire preuve d’une certaine souplesse dans l’application du critère de manière à trouver le juste milieu entre les intérêts susdits, il n’est cependant pas permis de l’appliquer irrégulièrement ni d’en appliquer une définition inexacte. La décision que rend le tribunal de révision sur la question des faits nouveaux relève du paragraphe 84(2) et fait partie intégrante de la décision qui sera en fin de compte rendue sur l’invalidité du demandeur de prestations. Cette situation ressemble assez au cas d’un appel interjeté contre un verdict ou un jugement. La cour d’appel examine dans ce contexte toutes prétentions voulant que des éléments de preuve aient été irrégulièrement admis et que ces éléments aient influé dans une mesure notable sur le verdict ou le jugement frappé d’appel. À mon humble avis, la CAP se trouve dans une position analogue.

L’objet du RPC

[40]L’intitulé complet du RPC est Loi instituant au Canada un régime général de pensions de vieillesse et de prestations supplémentaires payables aux cotisants et à leur égard. Pour remplir l’objet ainsi formulé, le RPC prévoit des mécanismes juridictionnels et de révision, ainsi qu’une procédure visant à donner accès à ces mécanismes, qui se veut facile, souple et peu onéreuse. La possibilité restreinte de recourir en dernier ressort à la Cour d’appel fédérale par voie de demande de contrôle judiciaire garantit que cette procédure restera, pour le bien des parties, dans les limites de la légalité. Autrement dit, la Cour d’appel fédérale joue le rôle de gardienne de la légalité de la procédure.

[41]Il est intéressant de noter que le législateur a limité le contrôle des décisions de la CAP à la question de leur légalité, excluant leur révision sur le fond. Il est également intéressant d’observer que c’est à la Cour d’appel fédérale qu’a été conférée cette fonction de contrôle judiciaire; voir l’article 28 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art.8; 2002, ch. 8, art. 35] de la Loi sur les Cours fédérales.

[42]Comme je le disais plus haut, le paragraphe 84(1) visait à faire en sorte que toutes les questions de droit ou de fait concernant le point de savoir si une prestation est payable à une personne soient décidées par un tribunal de révision et, sur appel, par la CAP. Je ne pense pas que le législateur ait prévu une division de la procédure entre la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et les mécanismes juridictionnels qu’il a mis en place et qu’il a investis de pouvoirs étendus les autorisant à rendre des décisions sur le fond des demandes de prestation, ainsi qu’à trancher toutes les questions de droit ou de fait que ces demandes soulèvent inévitablement.

[43]Bref, l’idée qu’on devrait adresser les parties à la Cour fédérale pour faire contrôler la justesse d’une décision rendue par un tribunal de révision sur une demande de réexamen qui relève du paragraphe 84(2) ne paraît pas conforme aux dispositions législatives adoptées par le Parlement. En outre, elle va à l’encontre de l’objet du RPC, étant donné que ce détour inutile est onéreux et que le demandeur de prestations, qu’il soit demandeur ou défendeur devant la Cour fédérale, ne peut qu’y perdre : il doit assumer ses propres dépens et risque de supporter aussi ceux de la partie adverse s’il succombe, tandis que l’examen sur le fond de sa demande de prestations d’invalidité se trouve considérablement retardé. Ce détour par la Cour fédérale limite inutilement et sans justification l’équité et l’efficacité du processus juridictionnel mis en place par le législateur.

LE POINT DE SAVOIR SI LA CAP A APPLIQUÉ LA DÉFINITION CORRECTE DU CRITÈRE DU CARACTÈRE SUBSTANTIEL AUX ÉLÉMENTS DE PREUVE PRÉSENTÉS COMME DES FAITS NOUVEAUX

[44]Comme je le disais dans mon résumé de la décision de la CAP, cette dernière a conclu que le tribunal de révision avait appliqué une définition erronée du critère du caractère substantiel en se fondant sur la possibilité raisonnable, plutôt que sur la probabilité, que les éléments de preuve produits l’amènent à rendre une décision différente de la première. Si l’épithète « raisonnable » apporte une nuance heureuse au terme « possibilité », elle ne suffit pourtant pas à faire passer la définition du critère au‑delà du domaine de la possibilité. La CAP a eu raison, à mon sens, de conclure que le tribunal de révision avait appliqué une définition

[45]J’ai rappelé plus haut la définition du critère du caractère substantiel formulée par notre Cour dans l’arrêt Kent. Au paragraphe 34 de cet arrêt, notre Cour a statué que, pour l’application du paragraphe 84(2) du RPC, le critère du caractère substantiel est rempli si l’on peut raisonnablement croire que les faits présentés comme nouveaux auraient conduit à une décision autre; voir aussi Première nation des Chippewas de Nawash c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2002 CAF 22.

LE POINT DE SAVOIR SI LA CAP A COMMIS UNE ERREUR D’APPLICATION DU CRITÈRE DU CARACTÈRE SUBSTANTIEL CORRECTEMENT DÉFINI

[46]Les éléments de preuve présentés comme des faits nouveaux consistaient en des rapports médicaux. Le tribunal de révision (dans le cadre du réexamen) aussi bien que la CAP ont conclu que ces éléments existaient avant l’audience du tribunal de révision en date du 25 mars 1998. Cependant, contrairement au tribunal de révision, la CAP a aussi conclu que le demandeur aurait pu obtenir ces rapports en faisant preuve de diligence raisonnable : ils se trouvaient en la possession de l’avocat qu’il avait engagé relativement à un accident de la route survenu le 31 mars 1997.

[47]La CAP a exprimé le regret que le demandeur n’ait pas expliqué, par voie d’affidavit, pourquoi il n’avait pas eu connaissance, selon ses dires, de rapports qui se trouvaient au bureau de son propre avocat.

[48]Il était loisible à la CAP de conclure, sur le fondement des faits dont elle était saisie, que le demandeur ne s’était pas acquitté de la charge pesant sur lui de prouver qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable pour découvrir les rapports médicaux en question.

[49]Il était également permis à la CAP de conclure que le demandeur, qui avait argué du fait qu’il s’était fié à ses mandataires, était lié par leurs actes.

[50]L’avocat du demandeur fait valoir que la CAP n’a pas pris en considération la totalité des rapports en question et a limité son examen à trois d’entre eux. La CAP, soutient‑il, a ainsi commis une erreur. Ce moyen du demandeur ne peut à mon sens être accueilli.

[51]La décision du tribunal de révision comportait deux aspects. Premièrement, il a conclu que tous les rapports médicaux se trouvaient en la possession de l’avocat du demandeur. Cependant, il n’a pas conclu que le demandeur était censé en avoir eu connaissance. Par conséquent, il a considéré tous ces rapports comme constituant des faits nouveaux.

[52]Deuxièmement, le tribunal de révision a examiné tous les rapports et en a retenu trois, auxquels il a appliqué une définition erronée du critère du caractère substantiel.

[53]La CAP a examiné la définition du caractère substantiel appliquée par le tribunal de révision à ces trois rapports pour relever l’erreur commise par ce dernier. En outre, elle a statué que tous les rapports médicaux qui se trouvaient en la possession de l’avocat du demandeur échappaient à la définition des faits nouveaux, au motif que le demandeur n’avait pas établi qu’il avait fait preuve de diligence raisonnable pour les découvrir. Par conséquent, la CAP n’a pas omis de prendre en considération la totalité des rapports aux fins d’établir s’ils constituaient des faits nouveaux sous le régime du paragraphe 84(2) du RPC.

CONCLUSION

[54]Il me paraît utile de récapituler mes conclusions afin de dissiper l’incertitude dont font l’objet les demandes de réexamen sur la base de faits nouveaux relevant du paragraphe 84(2) du RPC. Ces conclusions sont les suivantes :

(a) la décision Peplinski et les arrêts Oliveira, Fleming, Richard et Kent, qui adressaient les plaideurs à la Cour fédérale du Canada pour y faire contrôler, par voie de demande de contrôle judiciaire, la décision positive ou négative d’un tribunal de révision sur la question des faits nouveaux, ne font plus jurisprudence;

(b) cette décision positive ou négative est susceptible d’appel devant la CAP, selon la procédure prévue au paragraphe 83(1) du RPC;

(c) les paragraphes 83(1), 83(11) et 84(1) du RPC confèrent à la CAP le pouvoir de contrôler la justesse de cette décision positive ou négative;

(d) le critère du caractère substantiel, pour l’application du paragraphe 84(2) du RPC, se trouve rempli si l’on peut raisonnablement croire que les faits présentés comme nouveaux auraient conduit à une décision autre.

[55]Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, sans adjuger de dépens

Le juge Linden, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je suis d’accord.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.