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A‑346‑05

2007 CAF 265

Patti Tomasson (demanderesse)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Tomasson c. Canada (Procureur général) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Sharlow et Pelletier, J.C.A.—Vancouver, 27 mars; Ottawa, 9 août 2007.

Assurance‑emploi — Contrôle judiciaire d’une décision de la juge‑arbitre qui a rejeté la demande de prestations de maternité faite par la demanderesse en application de la Loi sur l’assurance‑emploi — La demanderesse et son mari ont adopté deux enfants — La demanderesse a obtenu des prestations parentales, mais s’est vu refuser des prestations de maternité — Examen de la jurisprudence sur la différence de traitement entre mères biologiques et mères adoptives, et de l’historique de la Loi — L’intention du législateur était de faire la distinction entre deux objets, à savoir le rétablissement de la mère à la suite de la grossesse et de l’accouchement et le soin de l’enfant en instituant deux ensembles de prestations, les prestations de maternité et les prestations parentales — L’objet des prestations de maternité est de soulager les mères biologiques des coûts économiques de la grossesse et de l’accouchement, et non d’encourager la création de liens affectifs — La distinction établie en faveur des femmes enceintes est légitime parce qu’elle vise à répondre à leurs besoins dans le milieu de travail en tant que groupe désavantagé — Demande rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Il s’agissait de savoir si les mères biologiques et les mères adoptives sont traitées différemment en vertu des art. 12, 22 et 23 de la Loi sur l’assurance‑emploi contrairement à l’art. 15(1) de la Charte — Les dispositions contestées établissent une distinction entre les mères biologiques et les mères adoptives et n’accordent pas l’égalité de traitement aux deux groupes — Examen des facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada pour savoir si une loi est discriminatoire — Il n’est pas nécessaire qu’un texte de loi corresponde toujours parfaitement à la réalité sociale pour être conforme à l’art. 15(1) de la Charte — Les prestations de maternité ont été établies en faveur des mères biologiques afin de répondre aux besoins d’un groupe désavantagé sur le marché du travail — Elles ont un effet d’amélioration qui s’accorde tout à fait avec l’art. 15(1) de la Charte — L’exclusion des mères adoptives de telles prestations ne porte pas atteinte à la garantie d’égalité prévue par l’art. 15 — Le versement de prestations spéciales aux seules mères biologiques pour cause de grossesse et d’accouchement ne saurait constituer une discrimination — Les droits de la demanderesse garantis par l’art. 15(1) de la Charte n’ont pas été enfreints.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la juge‑arbitre qui a conclu que le conseil arbitral n’avait pas commis d’erreur en rejetant la demande de prestations de maternité faite par la demanderesse en application de la Loi sur l’assurance‑emploi. La demanderesse et son mari ont adopté deux enfants peu après leur naissance. Pour chaque enfant, la demanderesse a tenté d’obtenir le versement de prestations de maternité et de prestations parentales et, les deux fois, on lui a accordé des prestations parentales, mais on lui a refusé des prestations de maternité. En vertu de l’article 12 de la Loi, une mère biologique peut combiner 15 semaines de prestations de maternité avec 35 semaines de prestations parentales, ce qui lui permet de passer un total de 50 semaines avec son enfant nouveau‑né, alors que les parents adoptifs, dont la demanderesse, sont limités à 35 semaines de prestations parentales. La demanderesse a contesté, en invoquant le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, la constitutionnalité de cette disposition au motif qu’elle traite différemment les mères biologiques et les mères adoptives. Estimant qu’elle était liée par l’arrêt Schafer v. Canada (Attorney General) de la Cour d’appel de l’Ontario, pour qui les dispositions de la Loi accordant des prestations de maternité aux mères biologiques n’étaient pas discriminatoires envers les mères adoptives, la juge‑arbitre a rejeté les appels de la demanderesse. La question litigieuse principale en l’espèce était de savoir si ces dispositions sont discriminatoires envers les mères adoptives et, partant, portent atteinte à leurs droits garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte.

Arrêt  : la demande doit être rejetée.

Il fallait d’abord déterminer si l’application du critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) permettait de conclure qu’il avait été porté atteinte aux droits de la demanderesse garantis par la Charte. Les dispositions contestées établissent une distinction entre mères biologiques et mères adoptives. Ainsi, il est clair que la Loi sur l’assurance‑emploi n’accorde pas l’égalité de traitement aux deux groupes. Étant donné que la distinction faite entre ces deux groupes est évidente à la lecture du texte de loi, un examen des « effets » du texte à ce stade du critère n’était pas nécessaire. L’historique de la Loi laisse à penser que les prestations de maternité étaient destinées aux mères naturelles, tandis que les prestations parentales étaient destinées aux mères ou aux pères, naturels ou adoptifs. La Loi montre aussi l’intention du législateur de faire la distinction entre deux objets, à savoir le rétablissement de la mère à la suite de la grossesse et de l’accouchement, d’une part, et le soin de l’enfant, d’autre part, en instituant ces deux ensembles de prestations. Le fait que les prestations de maternité peuvent aussi être versées aux mères naturelles qui décident de mettre leurs enfants en adoption et le fait que les mères naturelles peuvent obtenir jusqu’à huit semaines de prestations avant la date prévue de la naissance donnent à penser que l’objet des dispositions relatives aux prestations de maternité est d’aider la mère à se remettre de la grossesse et de l’accouchement. L’objet des dispositions de la Loi qui concernent les prestations de maternité n’est pas d’encourager la création de liens affectifs, mais plutôt de remplacer le revenu des femmes enceintes et mères biologiques durant la période physiquement exigeante de l’accouchement et des suites. La Loi, considérée globalement, s’intéresse aux circonstances entourant l’emploi et le chômage.

Dans l’arrêt Law, la Cour suprême du Canada a exposé quatre facteurs qui doivent être examinés pour savoir si une loi est discriminatoire. Le premier facteur est la préexistence d’un désavantage, d’un stéréotype, d’un préjugé ou d’un état vulnérable subis par la personne ou le groupe en cause. Le législateur a tenu compte du cas particulier des mères adoptives et s’est appliqué à préserver leur dignité humaine. Aucun élément de preuve ne démontrait que les mères adoptives ont été par le passé victimes d’un désavantage, d’un stéréotype, d’un préjugé ou d’un état vulnérable. Le deuxième facteur est la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre les besoins, les capacités ou les circonstances propres au groupe du demandeur et ceux du groupe de référence, c’est‑à‑dire les mères biologiques. La demanderesse n’a pas nié que les mères biologiques se remettent de leur grossesse et de leur accouchement durant la période des prestations de maternité. La distinction établie par la Loi entre mères naturelles et mères adoptives repose sur les besoins, capacités et circonstances propres aux mères biologiques, c’est‑à‑dire la grossesse, l’accouchement et le processus de rétablissement. La réalité biologique est telle que le processus d’attachement entre mère et enfant ne saurait être le même pour les mères naturelles et les mères adoptives. Même dans le meilleur des cas, il est plus difficile pour les mères biologiques de composer avec la maternité que pour les mères adoptives, qui n’ont pas besoin de se remettre d’une grossesse ou d’un accouchement. Il n’est pas nécessaire qu’un texte de loi corresponde toujours parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au paragraphe 15(1) de la Charte. C’est au législateur et non aux tribunaux qu’il appartient d’établir et de mettre au point les régimes légaux de prestations. Il ne peut faire de doute que la grossesse et l’accouchement entraînent un état physiologique qui empêche les mères biologiques de travailler durant une partie de la grossesse et durant la période postnatale. Il est impossible de fixer pour le congé de maternité une durée qui répondra dans tous les cas aux besoins physiologiques de toutes les femmes enceintes. Un congé de maternité de 15 semaines n’est en aucune façon déraisonnable pour répondre aux besoins de la plupart des femmes.

Le troisième facteur est l’objet ou l’effet d’amélioration du programme de prestations pour une personne ou un groupe plus défavorisés. Les femmes enceintes ont été un groupe désavantagé. D’ailleurs, le législateur a établi les prestations de maternité en faveur de ce groupe afin de répondre aux besoins des mères biologiques sur le marché du travail. Les prestations de marternité ont un effet d’amélioration qui s’accorde tout à fait avec le paragraphe 15(1) de la Charte et l’exclusion des mères adoptives de telles prestations ne porte en aucune façon atteinte à la garantie d’égalité prévue par ce paragraphe. Le dernier facteur est la nature du droit touché. Plus les conséquences de la loi contestée pour le groupe concerné sont graves, plus il est probable que la différence de traitement équivaudra à de la discrimination. En adoptant les dispositions relatives aux prestations de maternité, le législateur n’a pas déconsidéré les mères adoptives ou jeté le doute sur leur valeur en tant qu’êtres humains. Non seulement les mères adoptives n’ont pas été exclues d’une institution sociale fondamentale, c’est‑à‑dire la maternité, mais encore leurs intérêts ont été examinés et pris en compte par le législateur lorsqu’il a édicté les dispositions sur les prestations parentales. Le versement de prestations spéciales aux seules mères biologiques pour cause de grossesse et d’accouchement ne saurait constituer une discrimination. Les droits de la demanderesse garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte n’ont pas été enfreints.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Human Rights Code, R.S.B.C. 1996, ch. 210, art. 13.

Loi de 1940 sur l’assurance‑chômage, S.C. 1940, ch. 44.

Loi de 1971 sur l’assurance‑chômage, S.C. 1970‑71‑72, ch. 48.

Loi sur l’assurance‑chômage, L.R.C. (1985), ch. U‑1, art. 11(3) (mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 9).

Loi sur l’assurance‑emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 12(1), (2), (3) (mod. par L.C. 2000, ch. 14, art. 3; 2003, ch. 15, art. 17), (4) (mod. par L.C. 2000, ch. 14, art. 3), a) (mod., idem), b) (mod., idem), 22(1),(2)a),b),(6), 23.

Loi sur les renvois à la Cour d’appel, L.R.Q., ch. R‑23, art. 1.

jurisprudence citée

décisions appliquées  :

Schafer v. Canada (Attorney General) (1997), 35 O.R. (3d) 1; 149 D.L.R. (4th) 705; 45 C.R.R. (2d) 1; 102 O.A.C. 321; 33 O.T.C. 240 (C.A.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [1997] S.C.C.A. no 516 (QL); Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; British Columbia Government and Service Employees’ Union v. British Columbia (Public Service Employee Relations Committee) (2002), 216 D.L.R. (4th) 322; [2002] 10 W.W.R. 298; 4 B.C.L.R. (4th) 301; 172 B.C.A.C. 154; 40 C.C.L.I. (3d) 188; 98 C.R.R. (2d) 235; 2002 BCCA 476; Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429; 2002 CSC 84; Krock c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 188; Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950; 2000 CSC 37.

décisions examinées :

Tomasson (In re) (2001), CUB 49594A (27 février 2001); Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669; 2005 CSC 56; inf. [2004] R.J.Q. 399; 2005 QCCA 483; Schafer v. Canada (Attorney General) (1996), 29 O.R. (3d) 496; 135 D.L.R. (4th) 707; 24 C.C.E.L. (2d) 1; 39 C.C.L.I. (2d) 33; 36 C.R.R. (2d) 236; 4 O.T.C. 20 (Div. gén.); Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515 (1re inst.); conf. par [1990] 2 C.F. 129 (C.A.); inf. pour d’autres motifs par [1992] 2 R.C.S. 679; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. 657; 2004 CSC 78.

décisions citées :

Tomasson (In re) (2001), CUB 49594B (28 mars 2001); Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401 (C.A.); R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906; Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872; Falkiner v. Ontario (Ministry of Community and Social Services) (2002), 59 O.R. (3d) 481; 212 D.L.R. (4th) 633; 1 Admin. L.R. (4th) 235; 94 C.R.R. (2d) 22; 159 O.A.C. 135 (C.A.); Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703; 2000 CSC 28.

doctrine citée

Commission canadienne des droits de la personne. Rapport spécial au Parlement sur les prestations de remplacement du revenu pour les nouveaux parents. Ottawa  : Commission canadienne des droits de la personne, 1987.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision ((2005), CUB 49594E) par laquelle la juge‑arbitre a conclu que le conseil arbitral n’avait pas commis d’erreur en rejetant la demande de prestations de maternité faite par la demanderesse en application de la Loi sur l’assurance‑emploi. Demande rejetée.

ont comparu  :

William S. Berardino, c.r., et Andrea N. MacKay pour la demanderesse.

Judith A. Morrow Bowers, c.r., et Robert Danay pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier  :

Berardino & Associates, Vancouver, pour la demanderesse.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Nadon, J.C.A. : La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la juge‑ arbitre Krindle, en date du 9 juin 2005 [(2005), CUB 49594E], qui a rejeté l’appel formé par la demanderesse contre une décision du conseil arbitral. Plus précisément, la juge‑arbitre a conclu que le conseil arbitral n’avait pas commis d’erreur en rejetant la demande de prestations de maternité faite par la demanderesse en application de la Loi sur l’assurance‑ emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la Loi). La juge‑arbitre a aussi rejeté la contestation constitutionnelle de la demanderesse pour qui les dispositions de la Loi touchant les prestations de maternité contrevenaient à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1992, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte).

[2]Dans la présente demande, il s’agit principalement de déterminer si les dispositions de la Loi qui accordent des prestations de maternité uniquement aux mères biologiques (ou mères naturelles) ont pour effet d’établir une discrimination contre les mères adoptives, et, partant, portent atteinte à leurs droits garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte.

[3]Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les dispositions en cause n’enfreignent pas le paragraphe 15(1) de la Charte. À mon avis, en accordant des prestations de maternité aux mères naturelles, le législateur a reconnu, à juste titre, que la grossesse et l’accouchement justifiaient l’octroi de prestations particulières, compte tenu des conséquences physiques et psychologiques de la maternité.

LES FAITS

[4]La demanderesse et son mari ont adopté deux enfants, Sara, née le 12 mars 1999, et Hannah, née le 8 novembre 2003. Les deux enfants ont été confiées à la demanderesse peu après leur naissance.

[5]Pour chaque enfant, la demanderesse a tenté d’obtenir de la Commission de l’assurance‑emploi (la Commission) le versement de prestations de maternité et de prestations parentales et, les deux fois, la Commission lui a accordé des prestations parentales, mais lui a refusé des prestations de maternité. À l’époque de la naissance d’Hannah, le nombre de semaines pendant lesquelles des prestations parentales pouvaient être versées pour le soin d’un enfant nouveau‑né ou adopté était de 35 semaines, contre 10 semaines auparavant. À tous autres égards, les conditions à remplir pour obtenir des prestations parentales ainsi que des prestations de maternité demeuraient inchangées. Une mère biologique peut donc aujourd’hui combiner 15 semaines de prestations de maternité avec 35 semaines de prestations parentales, ce qui lui permet de passer un total de 50 semaines avec son enfant nouveau‑né, alors que les parents adoptifs, dont la demanderesse, sont limités à 35 semaines de prestations parentales.

[6]À la fin de chacune de ses périodes de congé parental, la demanderesse a décidé de prendre, afin d’affermir les liens affectifs avec ses enfants, un congé additionnel non rémunéré, qui, affirme‑t‑elle, fut influencé par la période des prestations de maternité.

[7]La demanderesse a fait appel devant le conseil arbitral des décisions de la Commission lui refusant des prestations de maternité. Le conseil a confirmé les décisions de la Commission selon lesquelles la demanderesse n’avait pas droit à de telles prestations parce qu’elle n’était pas la mère biologique des enfants pour qui elle avait réclamé des prestations.

[8]S’agissant de son premier enfant, la demanderesse a fait appel de la décision du conseil arbitral devant le juge‑arbitre, en contestant la constitutionnalité de la Loi au motif que, selon elle, la Loi était discriminatoire envers les mères adoptives. Le juge Rouleau [(2001), CUB 49594A], juge‑arbitre en chef désigné, a refusé d’examiner la contestation fondée sur la Charte parce que, selon lui, ce point avait déjà été décidé par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Schafer v. Canada (Attorney General) (1997), 35 O.R. (3d) 1, (autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée le 29 janvier 1998 [[1997] S.C.C.A. no 516 (QL)]). La demanderesse s’est donc vu accorder une audience devant le juge‑arbitre W. J. Haddad, c.r. [(2001), CUB 49594B], qui ne l’a pas autorisée à faire valoir son argument touchant la constitutionnalité de la Loi.

[9]La demanderesse a alors déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour à l’encontre de la décision du juge Rouleau. Le 27 juin 2002, sa demande a été accueillie, la décision du juge Rouleau a été annulée et l’affaire a été renvoyée au juge‑arbitre en chef désigné afin qu’il désigne un juge‑arbitre, autre que lui‑même et le juge‑arbitre Haddad, qui instruirait à nouveau l’appel de la demanderesse, notamment la question touchant la constitutionnalité.

[10]S’agissant de son deuxième enfant, la demanderesse a là aussi fait appel de la décision de la Commission devant le conseil arbitral qui, encore une fois, a rejeté son appel. La demanderesse a fait appel de la décision du conseil, et ses deux appels ont été instruits par la juge‑arbitre Krindle, dont la décision du 9 juin 2005 portait sur les deux appels.

POINT LITIGIEUX

[11]Dans la présente demande, il s’agit de déterminer si la juge‑arbitre a commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu’elle a rejeté la contestation de la demanderesse fondée sur l’article 15 de la Charte.

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

[12]Je reproduis ci‑après les parties pertinentes des dispositions contestées de la Loi.

12. (1) Une fois la période de prestations établie, des prestations peuvent, à concurrence des maximums prévus au présent article, être versées au prestataire pour chaque semaine de chômage comprise dans cette période.

(2) Le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d’une période de prestations—à l’exception de celles qui peuvent être versées pour l’une des raisons prévues au paragraphe (3)—est déterminé selon le tableau de l’annexe I en fonction du taux régional de chômage applicable au prestataire et du nombre d’heures pendant lesquelles il a occupé un emploi assurable au cours de sa période de référence.

(3) Le nombre maximal de semaines pendant lesquelles des prestations peuvent être versées au cours d’une période de prestations est :

a) dans le cas d’une grossesse, quinze semaines;

b) dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau‑nés du prestataire ou à un ou plusieurs enfants placés chez le prestataire en vue de leur adoption, 35 semaines;

c) dans le cas d’une maladie, d’une blessure ou d’une mise en quarantaine prévue par règlement, quinze semaines;

d) dans le cas de soins ou de soutien à donner à un ou plusieurs membres de la famille visés au paragraphe 23.1(2), six semaines.

(4) Les prestations ne peuvent être versées pendant plus de 15 semaines, dans le cas d’une seule et même grossesse, ou plus de 35, dans le cas de soins à donner à un ou plusieurs nouveau‑nés d’une même grossesse ou du placement de un ou plusieurs enfants chez le prestataire en vue de leur adoption.

[. . .]

22. (1) Malgré l’article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à la prestataire de la première catégorie qui fait la preuve de sa grossesse.

(2) Sous réserve de l’article 12, les prestations prévues au présent article sont payables à une prestataire de la première catégorie pour chaque semaine de chômage comprise dans la période qui :

(a) commence :

(i) soit huit semaines avant la semaine présumée de son accouchement,

(ii) soit, si elle est antérieure, la semaine de son accouchement;

(b) se termine dix‑sept semaines après :

(i) soit la semaine présumée de son accouchement,

(ii) soit, si elle est postérieure, la semaine de son accouchement

[. . .]

(6) La période durant laquelle des prestations sont payables en vertu du paragraphe (2) est prolongée du nombre de semaines d’hospitalisation de l’enfant dont la naissance est à l’origine du versement des prestations.

[. . .]

23. (1) Malgré l’article 18 mais sous réserve des autres dispositions du présent article, des prestations sont payables à un prestataire de la première catégorie qui veut prendre soin de son ou de ses nouveau‑nés ou d’un ou plusieurs enfants placés chez lui en vue de leur adoption en conformité avec les lois régissant l’adoption dans la province où il réside. [Je souligne.]

Je  reproduis également le paragraphe 15(1) de la Charte.

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[13]En application des dispositions contestées de la Loi, les mères biologiques ont droit à un total de 50 semaines de congé rémunéré, c’est‑à‑dire 15 semaines pour la grossesse et 35 semaines pour le soin du nouveau‑né. Les prestations de maternité peuvent être reçues par la mère biologique, n’importe quand, entre huit semaines avant la naissance et 17 semaines après la naissance. Pour les 35 semaines additionnelles, les prestations peuvent être reçues soit par la mère biologique, soit par le père biologique. Je dois faire observer que les prestations de maternité de 15 semaines sont offertes à la mère biologique même dans les cas où l’enfant est abandonné pour adoption ou est mort‑né. S’agissant d’enfants adoptés, la famille adoptive, c’est‑à‑dire soit la mère, soit le père, a droit à 35 semaines de congé rémunéré.

[14]La demanderesse conteste, en invoquant le paragraphe 15(1) de la Charte, la constitutionalité de ces dispositions au motif qu’elles traitent différemment les mères biologiques et les mères adoptives. Elle dit que la différence de traitement a pour objet et pour effet d’accorder aux mères biologiques davantage de temps qu’aux mères adoptives pour l’établissement des liens affectifs et pour le soin de l’enfant.

LA DÉCISION DE LA JUGE‑ARBITRE

[15]Estimant qu’elle était liée par l’arrêt Schafer, de la Cour d’appel de l’Ontario, pour qui les dispositions de la Loi accordant des prestations de maternité aux mères biologiques n’étaient pas discriminatoires envers les mères adoptives, la juge‑arbitre Krindle a rejeté les appels de la demanderesse. Toutefois, on peut dire sans risque que, si elle avait estimé ne pas être liée par l’arrêt Schafer, précité, elle aurait sans doute statué en faveur de la demanderesse.

[16]Je dois faire observer ici que, par consentement des parties, le défendeur a déposé, dans le dossier soumis à la juge‑arbitre, une preuve par affidavit qui avait été déposée à l’origine dans le dossier Schafer. Plus précisément, le défendeur a produit les affidavits du Dr Murray Enkin, sous serment le 14 juillet 1994 et le 21 mai 1995. À l’époque, le Dr Enkin était professeur émérite au Département d’obstétrique et de gynécologie de la Faculté des sciences de la santé, à l’université McMaster, et aussi chargé de cours au Département d’épidémiologie clinique et de biostatistique.

[17]Outre la preuve documentaire produite par les parties, la juge‑arbitre a entendu notamment le témoignage de la demanderesse et celui de la Dre Lucy Jane LeMare, spécialiste de la psychologie du développement.

PRÉTENTIONS DE LA DEMANDERESSE

[18]La demanderesse présente plusieurs conclusions quant aux raisons pour lesquelles la Cour devrait infirmer la décision de la juge‑arbitre.

[19]D’abord, elle dit que, comme la juge‑arbitre n’était pas liée par l’arrêt Schafer, elle aurait dû statuer sur l’affaire dont elle était saisie d’après le critère qu’avait exposé la Cour suprême du Canada pour l’article 15 dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. Parallèlement à cet argument, la demanderesse dit que, en tout état de cause, l’arrêt Schafer, contient de nombreuses erreurs.

[20]D’abord, la demanderesse dit que, en concluant que l’unique objet des prestations de maternité était de permettre aux femmes de se remettre d’une grossesse, la Cour d’appel de l’Ontario a laissé de côté le paragraphe 22(6) de la Loi, qui permet à une mère biologique de prolonger la période de versement des prestations de maternité en y ajoutant le nombre de semaines d’hospitalisation de son enfant. Partant, de dire la demanderesse, le paragraphe 22(6) est incompatible avec l’opinion exprimée par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Schafer, selon laquelle les dispositions relatives aux prestations de maternité ont un seul objet.

[21]Selon cette façon de voir les choses, la demanderesse dit, arguant d’un arrêt de la Cour suprême, Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.), art. 22 et 23, [2005] 2 R.C.S. 669, et du paragraphe 22(6) de la Loi, qu’il est manifeste que les dispositions relatives aux prestations de maternité ont deux objets : permettre à la parturiente de se rétablir et favoriser le développement de liens affectifs avec l’enfant. La juge‑arbitre Krindle aurait été disposée à reconnaître ces deux objets si elle ne s’était pas crue liée par l’arrêt Schafer. Plus précisément, la demanderesse se réfère aux paragraphes 67 et 68 de la décision de la juge‑arbitre, où elle écrit ce qui suit :

Pour se rétablir des effets et du stress de la grosesse et de l’accouchement, la mère n’a pas besoin de la présence physique de l’enfant. Son rétablissement se poursuivra peu importe que l’enfant soit hospitalisé ou non. La mère se rétablirait vraisemblablement plus vite si elle avait à répondre seulement à ses propres besoins. Ce que vise le paragraphe susmentionné, c’est aider la mère et l’enfant à demeurer ensemble, c’est aider la mère à être avec son enfant, et aider l’enfant à être avec sa mère. Ce paragraphe favorise en fait le processus crucial d’attachement et de formation de liens affectifs.

Le paragraphe 22(6) a toujours fait partie des dispositions de la Loi relatives aux prestations de maternité/grossesse. Il en faisait partie à l’époque de la décision Schafer et ne peut constituer une nouvelle mesure législative adoptée après Schafer.

Si je devais trancher la question, je conclurais que les dispositions concernant les prestations de maternité/grossesse ont un double objet :

(a) permettre à la mère biologique de se remettre de la grosssesse;

(b) lorsqu’il y a une mère biologique et un bébé, permettre à la mère biologique et au bébé de passer du temps ensemble après la naissance du bébé.

[22]S’agissant de la seconde erreur qu’elle perçoit dans l’arrêt Schafer, la demanderesse dit que la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas tenu compte de l’effet des dispositions relatives aux prestations de maternité, ni ne s’est demandé si cet effet était discriminatoire envers les mères adoptives et leurs enfants.

[23]Pour la troisième erreur, la demanderesse dit que, contrairement à l’arrêt Law, de la Cour suprême, la Cour d’appel de l’Ontario n’a pas tenu compte des besoins des mères adoptives dans son interprétation des dispositions touchant les prestations de maternité.

[24]La demanderesse dit ensuite que, eu égard au critère exposé par la Cour suprême dans l’arrêt Law, on ne peut que conclure que les dispositions en cause sont discriminatoires envers les mères adoptives et que cette discrimination n’est pas validée par l’article premier de la Charte.

[25]Plus précisément, la demanderesse invoque les arguments suivants compte tenu du critère exposé dans l’arrêt Law :

1. Le groupe de référence à retenir pour les mères adoptives et leurs enfants est le groupe des mères biologiques et de leurs enfants.

2. Les dispositions en cause établissent une différence de traitement entre mères adoptives et mères biologiques parce que les mères biologiques, mais non les mères adoptives, bénéficient de 15 semaines supplémentaires de congé de maternité durant la première année de vie de leur enfant.

3. Les mères adoptives sont victimes d’une discrimi-nation fondée sur un motif analogue.

4. La demanderesse, en tant que mère adoptive, s’est heurtée à un désavantage préexistant. Au soutien de cette proposition, elle se fonde sur un arrêt de la Cour, Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401. Les dispositions relatives aux prestations de maternité ont un objet ou effet qui est discriminatoire au sens de la Charte. Au paragraphe 81 de son exposé des faits et du droit, la demanderesse s’en explique dans les termes suivants :

[traduction] 81. Cependant, s’étant proposé de répondre aux besoins à la fois des mères naturelles et de leurs enfants, et des mères adoptives et de leurs enfants, la Loi le fait d’une manière qui est discriminatoire, parce que :

a)            le processus d’établissement de liens affectifs est critique pour le développement à long terme du nouveau‑né;

b)            la période la plus importante pour le processus d’établissement de liens affectifs se situe dans les 12 premiers mois de la vie;

c)            les nouveau‑nés s’attachent à leurs mères, et les mères à leurs nouveau‑nés, durant la période de versement des prestations de maternité, et cet attachement a lieu sans égard à la question de savoir si la mère est ou non en période de rétablissement à la suite de l’accouchement;

d)            les nouveau‑nés, même s’ils ont été adoptés, ont besoin de la même période de temps pour l’établissement de liens affectifs;

e)             mais, [traduction] « le refus du législateur de verser des prestations de maternité aux mères adoptives, dans un pourcentage important de cas, réduit, durant la première année de la vie d’un enfant, une année critique, le temps dont celui‑ci dispose pour s’attacher à sa mère adoptive et réduit, pour une mère adoptive, le temps dont elle dispose pour s’attacher à son enfant adoptif ». [motifs de la juge‑arbitre, paragraphe 39]

5. La discrimination qui résulte des dispositions contestées porte atteinte au sentiment de dignité de la mère. Au paragraphe 85 de son exposé des faits et du droit, la demanderesse s’en explique ainsi :

[traduction] Le droit à la dignité dont il s’agit dans la présente instance est celui qui résulte de l’état de mère. Il se rapporte à l’aptitude de la prestataire à revendiquer la qualité de mère dans la même mesure que les mères naturelles qui s’occupent de leurs nouveau‑nés. Il se rapporte à la capacité de la prestataire de s’occuper de ses filles, de les nourrir et de s’attacher à elles. Il est difficile de concevoir une institution sociale aussi fondamentale et aussi importante que la maternité. C’est de l’égalité d’accès à cette institution que la Loi prive la prestataire et ses enfants, et l’on ne saurait raisonnablement prétendre qu’un tel résultat ne va pas à l’encontre du droit à la dignité.

6. La discrimination exercée contre les mères adoptives n’est pas validée par l’article premier de la Charte.

[26]Pour ses prétentions touchant le processus d’établissement de liens affectifs, la demanderesse se fonde sur le témoignage de la Dre LeMare. Plus précisément, elle cite les passages suivants de l’affidavit de la Dre LeMare en date du 6 juillet 2004 :

[traduction]

7. L’attachement s’entend de l’affection que des parents portent à leurs nouveau‑nés, et du désir qu’ils ont de les protéger [. . .]

8. Certaines mères ressentent un attachement immédiat pour leurs enfants, tandis que, chez d’autres, l’attachement est plus tardif. Il en va de même pour les mères adoptives. Dans quelques rares cas, qui s’appliquent aux mères naturelles comme aux mères adoptives, une mère ne ressent jamais un fort attachement pour son enfant. Les mères naturelles commencent souvent à ressentir un attachement avant la naissance de leur enfant lorsqu’elles sentent les mouvements du fœtus, qu’elles voient les échographies, qu’elles préparent la naissance et qu’elle accouchent. Ces expériences peuvent produire chez la mère un sentiment d’intimité avec l’enfant et d’affection pour lui. Dans la plupart des cas, les mères adoptives n’ont pas l’opportunité de connaître ces expériences à l’égard de l’enfant qui n’est pas biologiquement le leur. Les préparatifs de l’attachement peuvent débuter lorsque les parents adoptifs apprennent qu’ils vont accueillir un enfant, ce qui est en général très peu de temps avant l’arrivée de l’enfant chez eux. Partant, le début du processus d’attachement a lieu en général, chez les parents adoptifs, à une date plus proche du contact effectif avec l’enfant que ce n’est le cas chez les parents naturels.

9. L’attachement est extrêmement important car les liens affectifs ressentis par une mère envers son nouveau‑né la préparent à se comporter d’une manière qui augmentera les chances pour que le nouveau‑né développe envers elle un lien solide. Plus précisément, lorsqu’une mère éprouve envers son nouveau‑né un fort sentiment d’affection et un désir de le protéger, elle prend plaisir à s’occuper de lui et elle est incitée à lui prêter attention et à devenir habile à lire les signaux que lui envoie son nouveau‑né, ainsi qu’à y réagir adéquatement. Cette attitude aimante favorise le développement d’un fort attachement de la part du nouveau‑né. Dans la plupart des cas, l’attachement se manifeste et s’intensifie durant les premiers jours, semaines et mois de la vie du nouveau‑né, période durant laquelle la mère et le nouveau‑né sont dans une proximité étroite et constante. Partant, la formation de liens affectifs et le rétablissement de la mère après l’accouchement sont deux phénomènes qui le plus souvent sont simultanés.

10. L’attachement s’entend d’un genre très particulier de relations que les nouveau‑nés développent avec ceux qui s’occupent d’eux. Le processus d’attachement découle du besoin inné de sécurité que ressent le nouveau‑né.

11. La disposition d’un nouveau‑né à manifester un attachement repose sur sa biologie et est importante sur le plan évolutif parce qu’elle maximise les probabilités de survie de l’enfant. Tous les nouveau‑nés naissent prédisposés à développer des liens affectifs.

12. Les premiers comportements qui montrent un attachement sont le fait de pleurer ou de sourire; il s’agit là de deux comportements dont la fonction fondamentale est de préserver l’engagement et la proximité de ceux qui s’occupent du nouveau‑né.

[. . .]

18. L’attachement sélectif ne se produit que lorsque le nouveau‑né atteint l’âge d’environ six mois, mais tous les soins qu’il a reçus au cours des six premiers mois de sa vie déterminent la qualité de l’attachement qui se forme. Les premiers mois de la vie du nouveau‑né sont une période critique au cours de laquelle ceux qui s’occupent de lui font un apprentissage et deviennent habiles à lire les signaux du nouveau‑né et à y réagir adéquatement. La mesure de leur succès en la matière définit les attentes que développe le nouveau‑né quant aux soins et à la sécurité qu’il a à sa disposition [. . .]

21. Si un enfant est adopté peu de temps après sa naissance, il n’y a aucune différence dans le processus d’attachement entre enfant adopté et enfant biologique.

22. Un solide attachement est l’idéal pour tous les enfants. S’il en est ainsi, c’est parce qu’un solide attachement aide les enfants à composer avec les tâches que nécessitera leur développement à mesure qu’ils avanceront en âge [. . .] En ce sens, je suis d’avis que la qualité de l’attachement que les enfants adoptés manifestent comme nouveau‑nés envers leurs parents peut avoir plus d’importance chez ces enfants au moment où ils entrent dans l’adolescence.

23. La recherche montre que les 18 premiers mois, et surtout les 12 premiers, sont la période la plus importante pour l’apparition d’un attachement. Cette période n’est pas en général différente pour l’enfant adopté s’il est adopté peu après sa naissance. [Non souligné dans l’original.]

[27]Au cours de son témoignage, la Dre LeMare a dit qu’il n’y avait aucune différence entre l’apparition du lien père‑enfant et l’apparition du lien mère‑enfant. Aux pages 53 et 54 de la transcription de son témoignage du 15 mars 2005, on peut lire ce qui suit :

[traduction]

Q. [. . .] Et, si je ne me trompe, vous avez dit qu’il y a une différence entre le lien père‑enfant et le lien mère‑enfant?

R. Je ne crois pas avoir dit cela. Souvent, il y a une différence. Dans notre société, en général c’est la mère qui s’occupe du nouveau‑né; et, à cause de cela, la mère vient en général à connaître son nouveau‑né plus rapidement et sans doute mieux que le père.

Q. Mais, en théorie, il ne devrait y avoir aucune différence.

R. En théorie, si c’était le père qui prenait soin du nouveau‑né de la même manière que la mère le fait en général, il n’y aurait probablement pas de différence.

Q. D’accord, et cela peut‑il arriver?

R. Cela peut arriver, oui.

Schafer c. Canada (Procureur général)

[28]Il va sans dire que nous ne sommes pas liés par l’arrêt Schafer, mais, après lecture attentive des motifs rédigés par la Cour d’appel de l’Ontario dans cet arrêt, je suis d’avis que la conclusion à laquelle elle est arrivée est manifestement la bonne. Comme je souscris entièrement aux motifs exposés dans l’arrêt Schafer, je commencerai par les examiner attentivement, de même que les motifs exposés par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt British Columbia Government and Service Employees’ Union v. British Columbia (Public Service Employee Relations Committee) (2002), 216 D.L.R. (4th) 322, qui reprenait totalement à son compte l’arrêt Schafer. Après cet examen, j’étudierai les conclusions générales de la demanderesse, notamment celle selon laquelle l’arrêt Schafer, est une décision erronée en raison des arrêts Law, et Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi (Can.) de la Cour suprême du Canada.

[29]Je dois faire observer que, à l’époque où appel fut interjeté devant la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Schafer, la Loi sur l’assurance‑chômage, L.R.C. (1985), ch. U‑1 (la Loi sur l’A‑C), prévoyait 15 semaines de prestations de maternité pour les mères biologiques et 10 semaines de prestations parentales pour les parents biologiques comme pour les parents adoptifs. En outre, cinq semaines de prestations étaient offertes si l’enfant souffrait d’une pathologie physique, psychologique ou affective. La Loi sur l’A‑C prévoyait aussi 15 semaines de prestations de maladie.

[30]À partir du 31 décembre 2000, la durée des prestations parentales prévue par la Loi (c’est‑à‑dire la Loi sur l’assurance‑emploi, entrée en vigueur le 20 juin 1996), est passée de 10 semaines à 35 semaines. Les deux parents peuvent partager ces prestations, qui, au total, ne peuvent pas dépasser 35 semaines.

[31]Dans l’arrêt Schafer, les intimés, deux mères adoptives et leurs fils adoptifs, contestaient, en invoquant l’article 15 de la Charte, les dispositions de la Loi sur l’A‑C qui traitaient différemment les mères biologiques et les mères adoptives, à savoir l’alinéa 11(3)a) [mod. par L.C. 1990, ch. 40, art. 9] (aujourd’hui l’alinéa 12(3)a)), qui prévoyait le versement de prestations de maternité aux mères biologiques pour une période maximale de 15 semaines; et l’alinéa 11(3)b) [mod., idem] (aujourd’hui l’alinéa 12(3)b)), qui prévoyait le versement de prestations de soins pour enfant à tous les parents, biologiques ou adoptifs, pour une période maximale de 10 semaines (aujourd’hui 35 semaines).

[32]Les intimés faisaient valoir que ces dispositions, en accordant aux parents biologiques 25 semaines (15 semaines + 10 semaines) de congé rémunéré, et 10 semaines seulement aux parents adoptifs, étaient discriminatoires et contrevenaient à l’article 15 de la Charte.

[33]Le juge Cameron, qui avait rendu jugement en première instance (Schafer v. Canada (Attorney General) (1996), 29 O.R. (3d) 496 (Div. gén.)), avait estimé que les portions de la Loi sur l’A‑C qui prévoyaient des prestations pour grossesse et accouchement étaient discriminatoires envers les parents adoptifs et les enfants adoptifs parce qu’elles étaient contraires au paragraphe 15(1) de la Charte, et qu’elles n’étaient pas validées par l’article premier de la Charte.

[34]La Cour d’appel de l’Ontario a commencé son analyse par un examen de l’historique de la Loi sur l’A‑C, qui était entrée en vigueur en 1940 [Loi de 1940 sur l’assurance-chômage, S.C. 1940, ch. 44], et dont l’objet était d’accorder des prestations à une personne en chômage, capable de travailler et en quête d’un travail. La jurisprudence a donc établi une présomption selon laquelle, parce qu’une femme enceinte n’était pas physiquement capable de travailler durant une période de six semaines avant la date prévue de la naissance et durant six semaines après la naissance, elle n’avait pas droit à des prestations à moins qu’elle ne réfute la présomption.

[35]En 1971 [Loi de 1971 sur l’assurance-chômage, S.C. 1970-71-72, ch. 48], en raison du rôle croissant des femmes sur le marché du travail, le législateur a modifié la Loi sur l’A‑C pour prévoir des prestations de maternité de 15 semaines, qui devaient débuter huit semaines avant la date prévue de la naissance et se terminer six semaines après la naissance.

[36]En 1976, la Loi sur l’A‑C fut de nouveau modifiée de telle sorte que les 15 semaines de prestations devenaient payables n’importe quand durant une période de 26 semaines, qui débutait huit semaines avant la date prévue de la naissance et prenait fin 17 semaines après la naissance.

[37]En 1984, entrait en vigueur une nouvelle modification qui prévoyait 15 semaines de prestations parentales à l’intention des mères adoptives ou des pères adoptifs. Par suite de l’entrée en vigueur de l’article 15 de la Charte en avril 1985, ces dispositions furent invalidées dans le jugement Schachter c. Canada, [1988] 3 C.F. 515 (1re inst.). Dans cette affaire, M. Schachter avait sollicité un jugement déclaratoire disant que les prestations parentales de 15 semaines étaient discriminatoires parce que lui, en tant que père biologique, n’y avait pas droit.

[38]Le juge Strayer, alors juge de la Cour fédérale, avait conclu que le texte de loi établissait contre M. Schachter une discrimination fondée sur le sexe. Il avait donc interprété la Loi sur l’A‑C comme si elle renfermait une disposition accordant aux parents biologiques les mêmes prestations de soins à l’enfant que celles à laquelle les parents adoptifs avaient droit en vertu de la loi. Appel de la décision du juge Strayer fut interjeté devant la Cour suprême du Canada [[1992] 2 R.C.S. 679], mais, avant que l’affaire ne soit jugée, la Loi sur l’A‑C fut modifiée par insertion d’une disposition qui accordait dix semaines (la prestation a été ramenée de 15 semaines à 10 semaines par le législateur) de prestations parentales aux parents biologiques comme aux parents adoptifs.

[39]Après examen approfondi des motifs exposés par le juge Cameron, pour qui les dispositions de la Loi sur l’A‑C qui prévoyaient le versement de prestations pour grossesse et accouchement établissaient une discrimination contre les parents adoptifs et les enfants adoptifs, la Cour d’appel de l’Ontario a étudié les questions qui lui étaient soumises.

[40]La Cour d’appel s’est d’abord interrogée sur l’objet des prestations de maternité et des prestations de soins pour enfants. Elle n’a eu aucune difficulté à conclure que les prestations en cause avaient pour objet de soulager les femmes qui travaillent des coûts économiques de la grossesse et de l’accouchement. De l’avis de la Cour, le juge de première instance avait erré en disant que l’objet des prestations de maternité était d’encourager la constitution de familles. Pour la Cour d’appel, la Loi sur l’A‑C n’avait pas pour objet la constitution de familles, mais les circonstances entourant l’emploi et le chômage. Considérant les choses sous cet angle, le juge Austin, qui s’exprimait pour la Cour l’arrêt Schafer, écrivait ce qui suit, à la page 15 :

[traduction] La prestation initiale de maternité, dans le texte de 1971, était la réponse du législateur à ce qu’il considérait comme les besoins spéciaux des mères naturelles, y compris de celles qui donnent leurs enfants pour adoption. Le législateur a établi un dispositif détaillé destiné à protéger le revenu, la sécurité d’emploi et les perspectives profession-nelles des femmes qui tombent enceintes. L’objet de la modification de 1984 était de faire la même chose pour les femmes qui adoptent des enfants. L’objet précis des textes de 1971 comme de 1984 était de remplacer partiellement le revenu des femmes devant quitter temporairement le marché du travail pour cause de grossesse et d’accouchement ou pour cause d’obligations parentales. [Non souligné dans l’original.]

[41]La Cour d’appel est ensuite passée au second point dont elle était saisie, c’est‑à‑dire celui de savoir si le régime existant des prestations de maternité et des prestations de soins pour enfants contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte.

[42]La Cour d’appel de l’Ontario a pris pour point de départ le critère exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418. Ce critère a été résumé par la Cour d’appel comme il suit, à la page 16 de ses motifs :

[traduction]

a)            La Loi établit‑elle, entre la prestataire et les autres, une distinction qui a pour effet de nier à la prestataire l’un ou plusieurs des droits à l’égalité qui sont protégés par le paragraphe 15(1)?

b)            Ce déni des droits à l’égalité est‑il discriminatoire? Il faut pour cela que la Cour se demande si la distinction est :

i. fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue; et

ii. contraire à l’objet du paragraphe 15(1).

[43]Après s’être déclarée en accord avec le juge Cameron, pour qui l’analyse portant sur la discrimi-nation ne pouvait pas se focaliser sur la famille adoptive, mais plutôt sur une comparaison entre mères biologiques et mères adoptives, la Cour a alors examiné le premier volet du critère, c’est‑à‑dire le point de savoir si une distinction était faite entre la prestataire et les autres qui avait pour effet de nier à la prestataire l’égalité devant la loi, l’égalité de bénéfice de la loi et la protection égale de la loi.

[44]Répondant à cette question, la Cour a conclu sans équivoque que la Loi sur l’A‑C établissait une distinction entre les mères biologiques et les mères adoptives et que, en conséquence de cette distinction, les mères adoptives se voyaient refuser les prestations dont bénéficiaient les mères biologiques. Les prestataires avaient donc établi que l’égalité de bénéfice de la loi leur était niée.

[45]La Cour est alors passée à la question de savoir si la distinction était discriminatoire. Elle s’est d’abord demandé si elle était fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue. Le juge Austin n’était pas persuadé que les femmes qui adoptaient des enfants agissaient ainsi en raison d’une caractéristique personnelle qui était immuable, ou qui ne pouvait être modifiée qu’à un coût personnel inacceptable, ni que les mères adoptives constituaient une minorité formant un groupe distinct, c’est‑à‑dire séparé ou visible, ni que les parents adoptifs avaient souffert de handicaps historiques et juridiques en raison de leur qualité de parents adoptifs, mais il a néanmoins présumé, sans trancher la question, que la qualité de mère adoptive constituait un motif analogue.

[46]La Cour d’appel a ensuite examiné le point de savoir si la distinction entre mères biologiques et mères adoptives contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte. Elle a entrepris son analyse de cette question en citant avec approbation le passage suivant des motifs du juge Cameron, à la page 528 du recueil de jurisprudence :

[traduction]  [. . .]  la  disposition  légale  contestée contrevient‑elle à l’objet du paragraphe 15(1), qui est d’empêcher que la dignité et la liberté de la personne soient violées par l’imposition de restrictions, de désavantages ou de fardeaux fondés sur l’application stéréotypée de caractéris-tiques de groupe?

[47]La Cour d’appel a noté que les propos du juge Cameron rendaient compte fidèlement de ce qu’avait écrit le juge McIntyre aux pages 168, 169, 174 et 175 de ses motifs, dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 :

Il est certes évident que les législatures peuvent et, pour gouverner efficacement, doivent traiter des individus ou des groupes différents de façons différentes. En effet, de telles distinctions représentent l’une des principales préoccupations des législatures. La classification des individus et des groupes, la rédaction de différentes dispositions concernant de tels groupes, l’application de règles, de règlements, d’exigences et de qualifications différents à des personnes différentes sont nécessaires pour gouverner la société moderne. Comme je l’ai déjà souligné, le respect des différences, qui est l’essence d’une véritable égalité, exige souvent que des distinctions soient faites.

[. . .]

Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement. [Non souligné dans l’original.]

Les propos du juge Cameron rendaient compte aussi de ce qu’avait dit la juge McLachlin (son titre à l’époque), au paragraphe 140 de ses motifs, dans l’arrêt Miron :

[. . .] on peut exceptionnellement conclure que la négation de l’égalité fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue ne contrevient pas à l’objet du paragraphe 15(1)—empêcher que la dignité et la liberté de la personne soient violées par l’imposition de restrictions, de désavantages ou de fardeaux fondés sur une application stéréotypée de présumées caractéristiques de groupe plutôt que sur les mérites, les capacités ou les circonstances. [Non souligné dans l’original.]

[48]À titre d’exemple du genre d’exceptions envisagées dans l’arrêt Miron, la Cour d’appel de l’Ontario s’est référée à deux arrêts de la Cour suprême du Canada, R. c. Hess; R. c. Nguyen, [1990] 2 R.C.S. 906, et Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872. Dans ces précédents, la Cour suprême, nonobstant l’existence d’une distinction légale fondée sur un motif énuméré, a jugé qu’il n’y avait aucune discrimination contraire au paragraphe 15(1) de la Charte, parce que la distinction était fondée sur les capacités ou les circonstances plutôt que sur l’application stéréotypée de présumées caractéristiques de groupe.

[49]La Cour d’appel a expliqué que ce que ces précédents montraient, c’était qu’ [traduction] « une réalité biologique enlevait la distinction établie du champ du paragraphe 15(1)  » (à la page 22 des motifs de la Cour d’appel). Puis la Cour d’appel poursuivait en disant que la même conclusion s’imposait dans l’affaire qu’elle avait devant elle, en ce sens que la grossesse et l’accouchement, que seules connaissent les mères biologiques, constituaient une réalité biologique incon-tournable. Ainsi, de l’avis de la Cour d’appel, le fait d’indemniser les mères biologiques pour la perte d’un travail entraînée par la grossesse ou l’accouchement ne pouvait pas constituer une discrimination.

[50]Puis la Cour d’appel a examiné un argument invoqué par les intimés (M. et Mme Schafer) et par l’intervenant, le Conseil des adoptions de l’Ontario. Pour cer derniers, une période de 15 semaines de prestations de maternité dépassait les besoins physiologiques de la plupart des mères biologiques, et une moyenne de quatre à six semaines suffisait aux mères biologiques pour composer avec les conséquences physiques de la grossesse et de l’accouchement et, en conséquence, le paragraphe 11(3) (aujourd’hui le paragraphe 12(3)) de la Loi sur l’A‑C allait au‑delà des circonstances propres aux mères biologiques. Ainsi, vu sous cet angle, le paragraphe 11(3) n’entrait pas dans les exceptions auxquelles la juge McLachlin faisait allusion dans l’arrêt Miron. Se fondant sur cet argument, les intimés et le Conseil des adoptions de l’Ontario ont fait valoir que les semaines qui n’étaient pas requises pour composer avec les contraintes physiques d’une grossesse et d’un accouchement avaient pour but ou pour effet de donner aux mères biologiques un temps supplémen-taire pour établir des liens avec leurs enfants, alors que les mères adoptives ne bénéficiaient pas de cet avantage.

[51]La Cour d’appel a répondu de la manière suivante à ces arguments. D’abord, elle a exprimé l’avis que, bien que la grossesse ne fût pas une maladie, elle présentait nombre de ses caractéristiques physiques, par exemple nausées, fatigue, vomissements, maux de reins, rétention hydrique, écoulements vaginaux, varices et syndrome de compression nerveuse. Elle a ajouté que non seulement l’anxiété à propos des couches à venir était une cause de tension pour la mère biologique, mais aussi que cette dernière était exposée à d’autres difficultés en cas de grossesse anormale ou difficile, par exemple grossesse multiple, diabète, éclampsie et saignements. La Cour d’appel a aussi fait allusion au fait qu’environ un accouchement sur cinq au Canada avait lieu par césarienne, opération qui requiert une anesthésie et une chirurgie abdominale importante. Elle a aussi fait observer qu’une naissance vaginale requiert souvent une épisiotomie, ou incision du périnée, dont la douleur et l’inconfort durent souvent plusieurs semaines ou plusieurs mois.

[52]Dans les conclusions qu’elle a tirées, on peut dire à coup sûr que la Cour d’appel s’est fondée largement sur le témoignage du Dr Murray Enkin, dont les affidavits datés du 14 juillet 1994 et du 21 mai 1995 ont été présentés à la juge‑arbitre Krindle. Plus précisément, les passages suivants de l’affidavit du 14 juillet 1994 semblent tout à fait pertinents :

[traduction]

CONTRACTIONS UTÉRINES ET ACCOUCHEMENT

29. Les contractions utérines et l’accouchement sont difficiles à des degrés divers pour les femmes. Certaines contractions sont brèves et relativement faciles à supporter. D’autres sont prolongées et épuisantes. Environ un accouchement sur cinq au Canada aujourd’hui se fait par césarienne, ce qui ajoute les difficultés associées à une anesthésie et à une importante opération abdominale. La naissance vaginale est souvent accompagnée d’une épisiotomie, ou incision du périnée, avec la douleur et l’inconfort qui s’ensuivent, et qui peuvent persister durant des semaines ou des mois. Près de la moitié des naissances en Ontario font intervenir une épisiotomie, le taux variant selon l’hôpital entre 1 p. 100 et 99 p. 100. Moins de 10 p. 100 des femmes qui donnent naissance dans les hôpitaux en sortent le périnée intact.

PÉRIODE POSTNATALE

30. La période qui suit la naissance est marquée par de profonds changements physiques, hormonaux et psychologiques. Les énormes changements métaboliques qui se sont produits durant les mois de grossesse doivent s’inverser en quelques jours ou quelques semaines. L’utérus doit amorcer une involution, revenir à sa taille antérieure à la grossesse, et tout ce tissu doit être absorbé. Le milieu placentaire doit se cicatriser.

31. La traditionnelle période de six semaines qui précède un examen postnatal est une période arbitraire, et l’on ne saurait présumer que le corps de la femme a repris son état antérieur à la grossesse ou qu’il est pleinement fonctionnel à ce moment‑là. Nombre de femmes souffrent encore à ce moment‑là, et pour quelque temps par la suite, des effets de la grossesse et du traumatisme de l’accouchement. Des études prospectives ont montré que des douleurs mammaires, de l’inconfort vaginal, de l’épuisement, des hémorroïdes, un mauvais appétit, de la constipation, de la somnolence, de la dépression et des troubles sexuels peuvent persister longtemps après l’accouchement.

32. La privation de sommeil et la prise de nouvelles responsabilités pour le soin du nouveau‑né comptent parmi les fardeaux de la nouvelle fonction de parent et sont partagées par tous les nouveaux parents. C’est pour cette raison qu’un congé parental, permettant de mettre en veilleuse les responsabilités professionnelles, est nécessaire en plus du congé de maternité. Il est raisonnable de présumer que, pour les mères biologiques, les charges de la nouvelle fonction de parent peuvent être d’autant plus difficiles à assumer lorsqu’elles s’ajoutent à la difficulté de se remettre d’une grossesse et d’un accouchement.

33. En outre, les mères biologiques ont besoin, après l’accouchement, d’une période leur permettant d’établir et de gérer l’allaitement de leur nouveau‑né. J’ai passé en revue l’affidavit de Karyn Kaufman, et je partage la manière dont elle évalue cet aspect du rétablissement postnatal.

[53]Ces conclusions ont conduit la Cour à dire qu’il était loin d’être évident que les 15 semaines de prestations de maternité n’étaient pas justifiées. Selon elle, le choix d’une période adéquate de rétablissement était clairement arbitraire, et il était manifestement loisible au législateur, en fixant à 15 semaines la durée des prestations de maternité, d’inclure dans le régime le plus grand nombre de femmes actives sur le marché du travail. Par conséquent, de l’avis de la Cour d’appel, même si les femmes enceintes n’avaient pas toutes besoin de s’absenter de leur travail durant 15 semaines, cela ne suffisait pas à rendre la loi inconstitutionnelle. À l’appui de cette opinion, il est à propos de citer les paragraphes suivants de l’affidavit du 23 mai 1995 du Dr Enkin :

[traduction]

Période postnatale

10. Je reconnais avec le Dr Hannah qu’il est difficile de dire à quoi devrait correspondre la période de rétablissement qui suit une grossesse, et que la période admise de six semaines avant l’examen de suivi de la mère est arbitraire. Je reconnais aussi que la période de six semaines ne doit pas être interprétée comme une indication de la date à laquelle une femme peut reprendre pleinement ses activités.

11. Je ne partage pas cependant l’affirmation du Dr Hannah pour qui cela signifie que la plupart des femmes sont physiquement en état de reprendre toutes leurs activités en moins de six semaines. Au contraire, même un accouchement dit normal (ce que très peu de femmes connaissent aujourd’hui) entraîne un grand stress métabolique, laquelle requiert pour un plein rétablissement une période qui peut varier, mais qui en général est assez longue. La mesure dans laquelle ce stress métabolique se manifeste par des résultats biologiquement mesurables dépendra de l’intensité mise à rechercher de tels résultats. De toute manière, je dirais que ces manifestations pathophysiologiques ne sont pas en elles‑mêmes importantes. Le point important, c’est de savoir comment se sent l’intéressée. Certaines femmes se rétablissent rapidement, d’autres beaucoup plus lentement.

[. . .]

14. Je reconnais avec le Dr Hannah qu’il a toujours été difficile de faire la distinction, dans le cas d’une femme qui a donné naissance, entre le rôle joué par les exigences de son nouveau‑né, d’une part, et le processus normal de rétablissement, d’autre part. Il sera toujours difficile de faire cette distinction, parce que les comparaisons entre femmes dont la situation varie sont faussées par le nombre de facteurs parasites qui rendent invalides de telles comparaisons. Aspect plus important cependant, ce serait un exercice vain que d’essayer même d’établir une telle distinction. Les difficultés que rencontrent les nouvelles mères biologiques viennent des combinaisons et interactions du rétablissement physiologique de la mère et des soins qu’exige le nouveau‑né.

15. Le fait que certaines femmes puissent reprendre rapidement leur emploi, et effectivement le reprennent, ne nous dit rien sur ce que la plupart des femmes peuvent ou devraient faire. Le congé de maternité vise à avantager la mère, pour lui permettre de se rétablir en fonction de ses propres besoins. Pour être efficace, le congé doit être suffisant et flexible, parce que les besoins des mères varient. Le fait que le nouveau‑né profitera lui aussi de ce congé est inévitable, mais accidentel. Le Dr Hannah ne préconise pas la diminution des prestations de maternité.

[. . .]

17. En bref, l’affidavit du Dr Hannah montre qu’il est possible pour certaines femmes de travailler jusqu’à leurs couches et de revenir au travail tout de suite après l’accouchement. Je ne le conteste pas. Mais, pour la majorité des femmes, qui ne qualifieraient pas de « sans problèmes » leur grossesse et qui soit présentent des symptômes ou des complications durant la grossesse, soit connaissent divers problèmes à l’accouchement, un congé de maternité confère à la mère d’importants avantages sur le plan de la santé, avec avantages accessoires pour le nouveau‑né. Le congé parental, qui est le même pour les parents biologiques et les parents adoptifs, profite surtout aux nouveau‑nés et accessoirement aux parents.

[54]Aux pages 24 et 25, la Cour résumait ainsi le raisonnement qui l’amenait à conclure comme elle l’a fait :

[traduction] En résumé, il n’est pas nécessairement discriminatoire pour des gouvernements de considérer les mères biologiques différemment des autres parents, y compris des parents adoptifs. Pour composer avec les changements physiologiques qu’entraîne la maternité, les mères biologiques ont besoin d’une période de congé souple qui puisse être utilisée durant la grossesse, durant les couches, à la naissance et après la naissance. Les dispositions qui prévoient le congé peuvent même être nécessaires pour garantir l’égalité des femmes en général, qui ont longtemps été désavantagées dans le milieu de travail en raison d’une discrimination fondée sur la grossesse : voir l’arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd.; Allen v. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, 45 C.R.R. 115.

Il n’est pas question ici de réfuter l’argument des intimés selon lequel les mères adoptives doivent relever elles aussi d’importants défis lorsqu’elles adoptent un enfant et s’en occupent. La décision d’adopter suit souvent des tentatives difficiles et infructueuses de concevoir. Le processus d’adoption lui‑même est imprégné d’anxiété et de tension, les futurs parents étant soumis à une vérification approfondie de leurs antécédents. Puis il y a l’attente agonisante. Les parents adoptifs peuvent recevoir un préavis de 48 heures de l’arrivée de leur enfant. L’anxiété ne prend pas fin avec le placement de l’enfant. En plus des exigences habituelles qui s’attachent à la qualité de nouveau parent, les parents adoptifs peuvent devoir subir une période d’attente de 21 jours au cours de laquelle la mère naturelle peut changer d’avis et décider de retirer son enfant de l’adoption. Finalement, pour de nombreux placements d’enfants adoptés, il y a une période d’essai de six mois au cours de laquelle les parents adoptifs sont très étroitement scrutés. Les adoptions internationales sont au moins aussi compliquées, car elles requièrent souvent des périodes prolongées et multiples loin du domicile.

Cependant, si graves et troublantes que puissent être ces difficultés, ce ne sont pas les mêmes difficultés que celles que connaissent les mères biologiques. Il ne fait aucun doute que les parents adoptifs pourraient faire un excellent usage des 15 semaines additionnelles de congé rémunéré pour accueillir leur nouvel enfant et s’en occuper, mais l’objet des prestations de maternité n’est pas de procurer un revenu complémentaire aux parents qui s’occupent de leurs enfants. Il est d’établir un système souple de soutien du revenu à l’intention des femmes qui doivent s’absenter de leur travail pour cause de grossesse et d’accouchement. [Non souligné dans l’original.]

L’arrêt British Columbia Government and Service Employees’ Union v. British Columbia

[55]Je passe maintenant à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, British Columbia Government and Service Employees’ Union v. British Columbia.

[56]La Cour d’appel était saisie de la question de savoir si l’octroi de prestations à une mère adoptive pour une période inférieure à la période à laquelle elle aurait eu droit si elle avait été mère biologique contrevenait aux droits reconnus à une employée par une convention collective. Plus précisément, selon la convention collective, intégrée d’après ses termes à la Loi sur l’assurance‑emploi, tant les mères biologiques que les mères adoptives avaient droit à 29 semaines de congé non rémunéré, mais la mère biologique recevait des prestations d’assurance‑emploi et un supplément de 27 semaines au titre de la convention collective, tandis que la mère adoptive ne recevait de telles prestations que durant dix semaines.

[57]Lors de l’instruction de cette affaire par la Cour d’appel, la Cour suprême du Canada avait rendu son arrêt Law c. Canada. En conséquence, le cadre analytique exposé dans cet arrêt fut celui que la Cour d’appel de la C.‑B. a adopté.

[58]Dans l’affaire British Columbia Government and Service Employees’ Union,  l’employée et son syndicat faisaient valoir que la différence de traitement entre mères biologiques et mères adoptives équivalait à une discrimination. Plus précisément, un grief avait été déposé par le Syndicat au nom de l’employée, au motif que le refus de verser à l’employée une allocation correspondant à l’allocation du congé de maternité constituait une discrimination fondée sur la situation de famille, ce qui était contraire au paragraphe 13(1) du Human Rights Code de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, ch. 210.

[59]L’arbitre avait trouvé intéressant l’argument du Syndicat, mais il avait décidé de suivre l’arrêt Schafer de la Cour d’appel de l’Ontario et avait donc rejeté le grief. Le Syndicat fit appel de la décision arbitrale.

[60]Devant la Cour d’appel de la C.‑B., le Syndicat a fait valoir que l’arbitre avait commis une erreur en ne disant pas que la distinction entre mères biologiques et mères adoptives était discriminatoire et qu’il n’aurait pas dû suivre l’arrêt Schafer, parce que des arrêts récents de la Cour suprême du Canada montraient clairement que l’analyse faite dans l’arrêt Schafer, était déficiente. Le Syndicat faisait aussi valoir que, en tout état de cause, l’arbitre, n’étant pas lié par l’arrêt Schafer, n’aurait pas dû suivre ce précédent.

[61]La Cour d’appel a rejeté l’appel, et ses motifs à l’appui du rejet peuvent être résumés comme il suit.

[62]D’abord, la Cour d’appel a souscrit à l’opinion exprimée par le juge Laskin, de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Falkiner v. Ontario (Minister of Community and Social Services) (2002), 59 O.R. (3d) 481, opinion selon laquelle le cadre analytique à retenir pour savoir s’il y avait eu violation de l’article 15 de la Charte était celui qu’avait énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law. De l’avis de la Cour, le critère énoncé dans l’arrêt Law, permettait aussi de dire s’il y avait eu violation de l’article 13 du Human Rights Code de la Colombie‑Britannique.

[63]En même temps qu’elle exprimait cet avis, la Cour d’appel s’est référée aux motifs exposés par le juge Iacobucci à la page 547 de l’arrêt Law, et a fait observer que le cadre analytique énoncé par la Cour suprême du Canada dans cet arrêt [traduction] « ne se résumait pas à une série de critères rigoureux, mais plutôt à un ensemble de points de référence » (paragraphe 12 des motifs de la Cour d’appel).

[64]La Cour d’appel a ensuite fait observer que, au vu de cet ensemble de points de référence, les avocats des parties avaient exposé des conclusions divergentes et contradictoires. Aux paragraphes 14 et 15 de ses motifs, le juge Lambert, de la Cour d’appel, expose ainsi les conclusions respectives des parties :

[traduction] L’avocat du Syndicat et de Mme Reaney a dit que le congé de maternité, le congé d’adoption, le congé parental, l’allocation de maternité et l’allocation parentale avaient un objet unique, c’est‑à‑dire le soutien à la constitution de familles. Il a dit que, si nous admettions que tel était l’objet des dispositions, alors la différence de traitement, dans les dispositions sur les congés et les allocations, entre mères biologiques et mères adoptives équivalait à de la discrimination à l’encontre des mères adoptives au regard de la situation de famille influant sur la constitution de familles.

L’avocat de la Couronne a dit que l’objet du congé de maternité, de l’allocation de maternité, du congé parental et de l’allocation parentale était de protéger la santé et le bien‑être des mères biologiques pendant qu’elles traversent les processus particuliers entourant l’accouchement et les suites de l’accouchement, pour qu’elles puissent quitter leur travail et le reprendre dans les meilleures conditions possibles. Il a dit que l’objet du congé d’adoption, du congé parental et de l’allocation parentale était de protéger la santé et le bien‑être des parents adoptifs (pas seulement de la mère adoptive), comme pour les parents naturels, pendant qu’ils traversent les processus particuliers, mais différents, qu’entraîne l’adoption d’un enfant, de telle sorte que le parent adoptif puisse accueillir l’enfant dans son nouveau foyer et dans sa nouvelle situation avec un minimum de tension, et puisse reprendre son travail dans les meilleures conditions possibles.

[65]Il ressort clairement de ces paragraphes que les conclusions présentées à la Cour d’appel de la C.‑B. étaient très semblables à celles qui avaient été présentées à la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Schafer, et à celles qu’a présentées la demanderesse dans la présente affaire.

[66]Puis, la Cour d’appel de la C.‑B. a énoncé la question posée dans l’appel, à savoir quel était l’objet des dispositions de la convention collective qui portaient sur le congé de maternité et l’allocation de maternité. Au paragraphe 17 de ses motifs, le juge Lambert a donné la réponse suivante :

[traduction] À mon avis, l’objet des dispositions relatives au congé de maternité et à l’allocation de maternité, considérées dans leur contexte, n’est pas l’encouragement de la constitution de familles, mais plutôt la protection de la santé et du bien‑être des femmes enceintes et des nouvelles mères biologiques (pas simplement des nouveaux parents), alors que leur santé est mise à rude épreuve par les contraintes de l’accouchement et qu’elles se relèvent de leur état, et cela afin qu’elles puissent dans les meilleures conditions possibles retourner sur le marché du travail. [Non souligné dans l’original.]

[67]Le juge Lambert a exposé plusieurs motifs à l’appui de sa conclusion. D’abord, il a souligné qu’il souscrivait entièrement aux motifs de l’arrêt Schafer, selon lesquels il y avait une notable différence, au point de vue de l’état psychologique et physique, entre les mères biologiques et les mères adoptives. À ce sujet, il s’est référé expressément au paragraphe 61 des motifs exposés par le juge Austin dans l’arrêt Schafer, que j’ai résumés au paragraphe 51 des présents motifs. 

[68]Deuxièmement, il s’est référé à l’historique de la Loi exposé aux paragraphes 9 à 23 de l’arrêt Schafer, où l’on peut lire que les dispositions de cette Loi touchant les prestations de maternité avaient pour objet de dédommager les mères biologiques [traduction] « pour l’incapacité résultant d’une grossesse ou d’un accouchement puisqu’elles doivent quitter leur travail et y retourner après la naissance » (paragraphe 18 des motifs).

[69]Troisièmement, puisque seules les femmes enceintes peuvent bénéficier des dispositions relatives au congé de maternité, les dispositions se rapportent clairement à la grossesse et à l’accouchement. Par conséquent, si l’objet des dispositions était d’encourager ou de favoriser la constitution de familles, non seulement y aurait‑il discrimination contre les mères adoptives, mais également contre les pères biologiques et les pères adoptifs.

[70]Quatrièmement, le fait que les dispositions relatives au congé de maternité sont également applicables aux mères qui, après la naissance de leur enfant, le mettent en adoption confirme aussi l’idée que ce qui est l’objet des dispositions, c’est l’effet de la grossesse et de l’accouchement sur l’emploi, et non l’effet du processus de constitution de familles sur l’emploi.

[71]Finalement, la Cour fait observer qu’un enfant peut être adopté à tout âge et donc que l’adoption doit être distinguée des événements que sont la grossesse et l’accouchement, c’est‑à‑dire de la maternité biologique.

[72]Après avoir motivé sa conclusion, le juge Lambert a de nouveau souligné qu’il souscrivait pleinement à l’arrêt Schafer. Il a alors ajouté qu’il importait, pour des raisons de courtoisie judiciaire, que la règle soit la même dans tout le pays, précisant que, en conséquence, il ne s’écarterait pas de l’arrêt Schafer, à moins d’être persuadé que ce précédent était erroné ou que l’état du droit avait été plus tard modifié. Selon lui, l’arrêt Schafer, était une décision valide, et l’état du droit n’avait pas été modifié par la suite.

ANALYSE

[73]À mon avis, les motifs exposés par les deux Cours d’appel provinciales, dans l’arrêt Schafer et dans l’arrêt British Columbia Government and Service Employees’ Union, donnent, pour l’essentiel, une répon-se complète aux conclusions de la demanderesse. Selon moi, ces motifs montrent suffisamment que les disposi-tions en cause n’établissent aucune discrimination véritable envers les mères adoptives et que, par conséquent, elles ne portent pas atteinte à l’article 15 de la Charte.

[74]Nonobstant cette conclusion, j’appliquerai néanmoins le critère exposé dans l’arrêt Law, et j’examinerai les conclusions de la demanderesse.

[75]Invoquant l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi, ainsi que le paragraphe 22(6) de la Loi, la demanderesse nous incite à conclure que, même si l’objet premier des prestations de maternité est de procurer aux femmes un revenu de substitution pendant qu’elles se rétablissent d’une grossesse et d’un accouchement, les prestations ont également pour objet ou pour effet d’accorder du temps à la mère biologique et à son enfant pour la création de liens affectifs. La demanderesse dit ensuite que, une fois que l’on a ces objets à l’esprit, l’application du critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Law, concernant l’article 15 permet de conclure que les dispositions contestées sont clairement discriminatoires envers les mères adoptives, en ce sens que leur dignité en tant que mère est rabaissée.

[76]Je vais donc maintenant examiner le critère énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Law, et me demander si l’application de ce critère permet de conclure qu’il a été porté atteinte aux droits de la demanderesse garantis par la Charte. D’après ce critère, la demanderesse doit persuader la Cour que :

a. la loi contestée a pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement entre elle et d’autres personnes;

b. la différence de traitement est fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue de discrimination;

c. la loi en cause a un objet ou un effet qui est discriminatoire au sens de la garantie d’égalité.

[77]Dans l’arrêt Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. 657, aux paragraphes 22 à 25, la Cour suprême expliquait dans les termes suivants le critère énoncé dans l’arrêt Law :

De deux qu’elles étaient dans Andrews et Eldridge, précités, ces exigences sont passées à trois dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497, par. 88 : (1) Y a‑t‑il une différence de traitement sous le régime de la loi; (2) est‑elle fondée sur un motif énuméré ou analogue; (3) est‑elle discriminatoire?

Il n’y a pas d’énoncé type des éléments à établir à l’appui d’une demande fondée sur le par. 15(1). C’est le libellé de la disposition qui est déterminant. Différentes affaires soulèvent différentes questions. Dans la présente espèce, comme nous le verrons, il s’agit de savoir si l’avantage recherché est prévu par la loi. Il importe de s’assurer du respect de toutes les exigences du par. 15(1) au regard des faits de l’espèce.

Un élément complique cependant les choses. Peu importe la façon dont on les énonce, ces exigences se chevauchent inévitablement. Par exemple, la nature de l’avantage, le motif énuméré ou analogue en cause et le choix du bon élément de comparaison jouent un rôle à chacune des trois étapes : voir Hodge c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [2004] 3 R.C.S. 357, 2004 CSC 65. Les cadres d’analyse ne prévoient donc pas d’étapes distinctes devant être suivies de manière linéaire; ils établissent plutôt des paramètres permettant de s’assurer que le libellé et l’objet du par. 15(1) sont respectés.

Quel que soit le cadre d’analyse, il faut s’abstenir d’interpréter le par. 15(1) de manière trop technique. Dans l’arrêt Andrews, précité, p. 168‑169, le juge McIntyre a fait une mise en garde contre une interprétation formaliste et restrictive et il a insisté sur la nécessité d’examiner les questions relatives à l’égalité en fonction de la réalité et du contexte. Le tribunal doit se pencher sur la situation réelle et déterminer s’il y a eu traitement discriminatoire au regard de l’objet du par. 15(1), qui est d’empêcher la perpétuation d’un désavantage préexistant par un traitement inégal. [Non souligné dans l’original]

[78]Le premier volet du critère consiste à dire si la loi en cause a pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement entre la prestataire et d’autres personnes.

Le groupe de référence

[79]Dans l’arrêt Schafer, la Cour d’appel de l’Ontario avait conclu que les groupes de référence à retenir étaient celui des mères biologiques et celui des mères adoptives. Le défendeur nous invite à conclure que ces groupes ne sont pas les bons groupes de référence et que, en conséquence, [traduction] « la demanderesse ne saurait prétendre faire partie de l’univers des bénéficiaires, et sa prétention est d’emblée irrecevable » (paragraphe 53 de l’exposé des faits et du droit présenté par le défendeur). Subsidiairement, le défendeur dit que le groupe devant être comparé au groupe des mères biologiques est celui qui comprend [traduction] « tous les parents qui décident d’élever un enfant nouveau‑né ou un enfant placé en adoption » (paragraphe 55 de l’exposé du défendeur). Nonobstant ces conclusions, je suis disposé à présumer, aux fins qui nous intéressent, que la comparaison à faire est une comparaison entre mères biologiques et mères adoptives.

Différence de traitement

[80]Il est indéniable que les dispositions contestées établissent une distinction entre mères biologiques et mères adoptives. Ainsi, il est clair que la Loi n’accorde pas l’égalité de traitement aux deux groupes. Étant donné que la distinction faite entre ces deux groupes est évidente à la lecture du texte de loi, je partage tout à fait l’avis du défendeur pour qui un examen des « effets » du texte à ce stade du critère n’est pas nécessaire.

Motif énuméré ou motif analogue

[81]Pour ce qui est du deuxième volet du critère, il faut déterminer si la qualité de mère adoptive constitue un motif analogue, c’est‑à‑dire assimilable aux motifs énumérés dans le paragraphe 15(1) de la Charte. Puisque j’arrive à la conclusion, sur d’autres moyens, qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de la demanderesse garantis par la Charte, il ne m’est pas nécessaire de décider ce point.

Objet et effet

[82]Le troisième volet du critère consiste à dire si la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées présente un objet ou un effet qui est discriminatoire au sens de la garantie d’égalité. Il faut donc se demander si une personne raisonnable, se trouvant dans des circonstances semblables à celles de la demanderesse, et compte tenu de tous les facteurs contextuels entourant la question, arriverait à la conclusion que les dispositions contestées, par leur objet ou par leur effet, portent atteinte à la dignité humaine de la demanderesse.

[83]Je commencerai par examiner le texte de loi. Sur ce point, les parties s’accordent à dire que les prestations de maternité procurent un revenu de substitution aux mères naturelles pendant qu’elles se remettent de la grossesse et de l’accouchement, mais que les prestations parentales procurent quant à elles un revenu de substitution à tous les parents aux premiers stades de la vie de l’enfant.

[84]Cependant, au risque de me répéter, la demanderesse dit que le régime des prestations de maternité porte atteinte à ses droits garantis par l’article 15 de la Charte parce qu’il comporte un second objet ou effet distinct, à savoir celui de permettre à la mère naturelle et à l’enfant de passer du temps ensemble après la naissance. La demanderesse invoque sur ce point l’arrêt de la Cour suprême concernant Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi, ainsi que le paragraphe 22(6) de la Loi, qui prolonge la période de versement des prestations de maternité en cas d’hospitalisation de l’enfant né.

[85]J’examinerai d’abord les conclusions de la demanderesse fondées sur la décision rendue par la Cour suprême dans Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi.

[86]Dans cette affaire, la Cour suprême devait examiner la validité constitutionnelle des articles 22 et 23 de la Loi. Répondant à une demande d’avis présentée par le gouvernement du Québec en vertu de l’article 1 de la Loi sur les renvois à la Cour d’appel, L.R.Q., ch. R‑23, la Cour d’appel du Québec [[2004] R.J.Q. 399] avait jugé que les articles 22 et 23 étaient inconstitutionnels parce que les sujets auxquels s’appliquaient ces articles étaient de compétence provinciale.

[87]La décision de la Cour d’appel du Québec fut infirmée par la Cour suprême du Canada. D’abord, la Cour suprême a jugé que l’objet premier des dispositions contestées était de procurer un revenu de substitution aux femmes qui perdaient leur revenu d’emploi en raison d’une grossesse. De l’avis de la Cour suprême, cet objet ressortait clairement du texte des dispositions.

[88]La Cour suprême a ensuite examiné l’effet des dispositions, effet qu’elle a expliqué ainsi, aux paragraphes 28 et 29 de ses motifs :

En l’occurrence, l’effet de la disposition est de permettre aux femmes enceintes assurées de bénéficier de ressources pécuniaires à un moment où elles sont privées de leur revenu d’emploi.

Cependant, grâce à ces ressources, elles peuvent aussi s’absenter de leur travail pour des motifs physiologiques liés à la grossesse et pour prendre soin de leur famille pour une période plus longue que si elles étaient astreintes à un retour précoce en raison de leur indigence. L’effet primaire est donc de remplacer partiellement le revenu d’emploi, mais l’effet secondaire est de permettre aux femmes de se préparer à l’accouchement, de se rétablir physiologiquement et de bénéficier d’une période pour prendre soin de leur famille. [Non souligné dans l’original.]

[89]Ainsi, de l’avis de la Cour suprême, le législateur voulait clairement remplacer le revenu qu’une femme perdait en raison de sa grossesse, et c’était là sans aucun doute l’effet premier des dispositions. La Cour suprême a donc rejeté l’argument du procureur général du Québec selon lequel l’objet des prestations de maternité était de venir en aide aux familles et de permettre aux femmes de s’occuper de leurs enfants après leur naissance. Non seulement la Loi n’accordait aucune période de congé, mais le congé de maternité était régi par des textes autres que la Loi et par des ententes privées conclues entre employeurs et employés. Partant, même si l’un des effets des dispositions en cause pouvait fort bien être l’aide aux familles et le soin des enfants, ce n’était pas là manifestement le caractère véritable du texte de loi. De l’avis de la Cour (au paragraphe 35) :

L’objectif fondamental du régime des prestations de maternité est de protéger le revenu des travailleuses entre le moment où elles perdent leur emploi ou cessent de l’occuper et celui où elles retournent sur le marché du travail.

[90]La Cour suprême a donc finalement conclu, au paragraphe 68 de ses motifs, que les prestations de maternité étaient un mécanisme grâce auquel un revenu de substitution pouvait être versé au cours d’une interruption d’emploi. De l’avis de la Cour suprême, cela relevait manifestement du caractère véritable de la compétence du législateur fédéral sur l’assurance‑ emploi, dont l’objet était de préserver la sécurité économique des travailleuses et de garantir leur retour sur le marché du travail. Par conséquent, les dispositions contestées n’étaient pas invalides.

[91]Finalement, la Cour suprême est arrivée à la même conclusion à propos des prestations parentales prévues par la Loi. Aux paragraphes 74 et 75, elle écrivait ce qui suit :

Tout comme pour les prestations de maternité, le droit des prestataires de s’absenter de leur travail n’est pas régi par la LAE, mais par des dispositions provinciales : Loi sur les normes du travail, art. 81.10.

J’estime donc que les prestations parentales, tout comme les prestations de maternité, ont comme caractère véritable de pourvoir au remplacement du revenu à l’occasion d’une interruption d’emploi due à la naissance ou à l’arrivée d’un enfant et que ce caractère véritable permet de conclure que le Parlement peut se fonder sur la compétence qui lui est conférée par le par. 91(2A) de la Loi constitutionnelle de 1867.

[92]Je souscris totalement à la conclusion du défendeur pour qui l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi, n’est d’aucune aide à la demanderesse en ce qui concerne ses arguments fondés sur l’article 15. L’effet primaire et l’effet secondaire qui sont évoqués dans cette affaire par la Cour suprême ont évidemment leur importance pour ce qui est de savoir si la loi relevait véritablement de la compétence du Parlement en matière d’assurance‑emploi. Cependant, on ne saurait dire la même chose de la question dont nous sommes saisis, à savoir la distinction établie par la loi entre mères biologiques et mères adoptives, auxquelles on peut d’ailleurs ajouter les pères adoptifs.

[93]Les « effets » dont parle la juge Deschamps dans ses motifs, dans l’arrêt Renvoi relatif à la Loi sur l’assurance‑emploi, sont sans rapport avec l’analyse des droits à l’égalité garantis par l’article 15, analyse dont l’objet est de dire si les dispositions contestées, qui établissent une distinction fondée sur un motif énuméré ou un motif analogue, portent atteinte, dans leur objet ou leur effet, à la dignité d’une prestataire. Le fait que les dispositions en cause ont des « effets » qui ne s’inscrivent pas dans le « caractère véritable » de la loi ne concerne aucunement, à mon humble avis, par l’article 15.

[94]S’agissant du paragraphe 22(6) de la Loi, la demanderesse dit que le rétablissement de la mère biologique après la grossesse et l’accouchement se poursuivra, que l’enfant soit hospitalisé ou non, et que le rétablissement serait plus rapide si elle ne devait s’occuper que d’elle‑même. C’était là l’opinion exprimée par la juge‑arbitre Krindle dans sa décision.

[95]L’intention du législateur lorsqu’il a adopté le paragraphe 22(6) ne me semble nullement aller de soi. Cependant, une interprétation possible, et à mon avis probablement la meilleure, est que le législateur voulait proclamer que le processus de rétablissement des mères naturelles devenait plus lent quand leur enfant nouveau‑né était hospitalisé, sans doute à cause de la tension et de l’anxiété entraînées par l’hospitalisation. Cette interprétation est celle qui découle d’une lecture du paragraphe 22(6) dans le contexte de la Loi tout entière.

[96]Dans le document intitulé Rapport spécial au Parlement sur les prestations de remplacement du revenu pour les nouveaux parents (Ottawa : Commission canadienne des droits de la personne, 1987), la Commission canadienne des droits de la personne décrivait l’objet des prestations de maternité prévues par la Loi comme un « revenu de remplacement pour la période entourant l’accouchement où, du fait de son état physiologique, [la mère] doit s’absenter de son travail » (page 4 du Rapport spécial). La Commission des droits de la personne, qui examinait précisément les aspects se rapportant à la nature des prestations de maternité et d’adoption (comme on les appelait alors) prévues par l’assurance‑chômage, écrivait aussi, aux pages 6 et 7 :

Il n’est que juste de réserver les prestations de maternité à la seule mère biologique, car elles représentent un revenu de remplacement répondant aux besoins physiologiques uniques qui découlent de sa grossesse et de son accouchement.

[. . .]

Manifestement, les parents adoptifs n’ont pas besoin d’un soutien du revenu pour des circonstances liées à la grossesse ou à l’accouchement. Ils partagent cependant avec les parents biologiques un besoin incontestable de remplacement du revenu pour la période durant laquelle des soins intensifs doivent être prodigués à un nouvel enfant.

[97]L’historique de la Loi laisse aussi à penser que les prestations de maternité étaient destinées aux mères naturelles, tandis que les prestations parentales étaient destinées aux mères ou aux pères, naturels ou adoptifs. En fait, avant la prise d’effet des prestations d’adoption en 1983, les prestations de maternité avaient été instituées exclusivement pour protéger les mères naturelles contre une interruption de revenu causée par leur incapacité physique de travailler après un accouchement. En 1983, le législateur reconnaissait, en instituant les prestations d’adoption, la nécessité pour des parents adoptifs de s’occuper de leur enfant nouvellement arrivé. En 1988, ces prestations furent élargies à tous les parents biologiques, et rebaptisées prestations parentales (voir la décision Schachter).

[98]Cela montre clairement, selon moi, l’intention du législateur de faire la distinction entre deux objets, à savoir le rétablissement de la mère et le soin de l’enfant, et cela en instituant deux ensembles de prestations. Si les prestations de maternité avaient été destinées au soin de l’enfant et à la création de liens, il n’aurait pas été nécessaire d’inclure les mères naturelles dans le champ des prestations parentales.

[99]Un autre indice donne à penser que l’objet des dispositions relatives aux prestations de maternité est d’aider la mère à se remettre de la grossesse et de l’accouchement : c’est le fait que les prestations peuvent aussi être versées aux mères naturelles qui décident de mettre leurs enfants en adoption. Le fait que les mères naturelles peuvent obtenir jusqu’à huit semaines de prestations avant la date prévue de la naissance s’accorde avec l’idée selon laquelle les prestations de maternité ont pour objet d’alléger les contraintes physiologiques et psychologiques résultant de la grossesse et de l’accouchement.

[100]Ma conclusion sur le sujet, c’est que l’objet des dispositions de la Loi qui concernent les prestations de maternité est de remplacer le revenu des femmes enceintes et mères biologiques assurées, et cela durant la période physiquement exigeante de l’accouchement et de ses suites. Grâce aux prestations, ces femmes ne subissent aucun désavantage lorsqu’elles retournent sur le marché du travail. L’objet des dispositions n’est donc manifestement pas d’encourager la création de liens affectifs. La Loi, considérée globalement, s’intéresse aux circonstances entourant l’emploi et le chômage.

[101]Maintenant que l’objet précis et exclusif des prestations de maternité est défini, à savoir la protection des femmes contre le coût économique d’une grossesse et d’un accouchement, il faut maintenant se demander si la distinction entre mères naturelles et mères adoptives a pour résultat de porter atteinte à la dignité de ces dernières en leur imposant des restrictions ou des désavantages fondés sur l’application stéréotypée de présumées caractéristiques de groupe plutôt que sur les mérites ou les circonstances (voir l’arrêt Miron, aux paragraphes 139 et 140).

[102]Dans l’arrêt Law, la Cour suprême expose quatre facteurs que l’on doit examiner pour savoir si une loi est discriminatoire, à savoir : i) la préexistence d’un désavantage, d’un stéréotype, d’un préjugé ou d’une vulnérabilité subis par la personne ou le groupe en cause; ii) la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins, les capacités ou les circonstances propres au demandeur ou à d’autres personnes; iii) l’objet ou l’effet d’amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe davantage défavorisés dans la société; et iv) la nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée.

[103]Au paragraphe 29 de ses motifs, dans l’arrêt Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, la Cour suprême s’exprimait ainsi à propos des facteurs en question :

Pour répondre à cette question, nous devons examiner les quatre facteurs énoncés dans Law. Aucun de ces facteurs ne constitue un préalable à une conclusion de discrimination, et ils ne s’appliquent pas tous dans chaque cas. Cette liste de facteurs n’est ni absolue ni exhaustive. En outre, il peut exister un chevauchement entre les facteurs puisqu’ils sont tous conçus pour éclaircir les considérations contextuelles pertinentes entourant une distinction contestée. Néanmoins, ces quatre facteurs offrent un guide utile pour l’évaluation d’une allégation de discrimination, [. . .]

[104]J’examinerai maintenant le premier facteur.

1. Préexistence d’un désavantage

[105]Ce facteur requiert de se demander si le groupe concerné était auparavant victime d’un désavantage, d’un stéréotype ou d’un préjugé ou s’il était généralement vulnérable.

[106]La preuve que nous avons devant nous ne m’a pas convaincu que les mères adoptives ont été par le passé victimes d’un désavantage, d’un stéréotype, d’un préjugé ou d’un autre état vulnérable. En fait, aucune preuve n’a été produite au soutien d’une telle idée. La demanderesse n’a pas non plus prouvé que la Loi fonctionne par l’application de stéréotypes (voir l’arrêt Lovelace c. Ontario, [2000] 1 R.C.S. 950, paragraphe 73).

[107]Au contraire, les modifications législatives de 1983, qui établissaient les prestations d’adoption, accordaient aux mères adoptives (ou aux pères adoptifs) 15 semaines de prestations, c’est‑à‑dire l’équivalent des semaines de congé rémunéré qui, jusqu’alors, n’avaient été offertes qu’aux mères biologiques. Il est vrai que, en 1988, à la suite de la décision Schachter, rendue par le juge Strayer, et en raison des préoccupations portées à l’attention du Parlement par la Commission canadienne des droits de la personne, les mères (ou pères) biologiques se sont vu accorder des prestations correspondant aux prestations versées aux mères adoptives, mais l’on ne saurait dire que le législateur s’est désintéressé de la situation des mères adoptives, et du rôle important qu’elles jouent dans l’éducation de leurs enfants adoptifs.

[108]Sur ce point, il vaut la peine de souligner ce que disait la Commission des droits de la personne dans son Rapport spécial de 1987 au Parlement, aux pages 6 et 7 :

Les prestations d’assurance‑chômage (comme on les appelait alors) ont toujours été versées uniquement à la mère biologique et ont été manifestement adoptées pour répondre à ses besoins particuliers. Si elles avaient été destinées, même en partie, aux soins de l’enfant, elles auraient été versées, du moins en partie, à l’un ou l’autre des parents.

Dernièrement, le gouvernement lui‑même continue d’appuyer cette interprétation. Après examen attentif afin d’assurer la conformité avec la Charte, le gouvernement a confirmé que les prestations de maternité sont réservées uniquement à la mère.

[109]Eu égard à ce rapport, et à l’historique de la Loi sur l’A‑C, il ne fait aucun doute que le législateur fédéral a tenu compte du cas particulier des mères adoptives et s’est appliqué à préserver leur dignité humaine.

[110]En conséquence, je suis d’avis que, s’agissant des mères adoptives, il n’a pas été prouvé qu’elles étaient auparavant victimes de stéréotypes ou de désavantages.

2. Correspondance entre le moyen sur lequel l’allégation est fondée et les besoins, capacités ou circonstances propres à la demanderesse ou à d’autres personnes

[111]S’agissant de ce facteur, la Cour doit considérer les besoins, capacités et circonstances du groupe de la demanderesse, mais également les besoins, capacités et circonstances du groupe de référence, c’est‑à‑dire les mères biologiques. Sur ce point, une loi qui considère les besoins, capacités ou circonstances de la demanderesse et de son groupe d’une manière qui respecte leur valeur en tant qu’êtres humains et membres de la société canadienne n’aura vraisemblablement pas pour effet de les déconsidérer dans leur dignité.

[112]La demanderesse ne nie pas et, à mon avis, ne saurait nier que les mères biologiques se remettent de leur grossesse et de leur accouchement durant la période des prestations de maternité. Cependant, elle fait valoir qu’elles utilisent également cette période pour établir des liens avec leurs nouveau‑nés, et le fait de refuser aux mères adoptives cette période de création d’un attachement porte donc atteinte à leur dignité humaine et équivaut à de la discrimination.

[113]Inévitablement, le processus de création d’un attachement se produira par l’effet d’un contact étroit entre la mère et son enfant dès le moment de la naissance. Je suis également disposé à admettre que les mères biologiques voudront consacrer le peu d’énergie qu’il leur reste aux soins de leur nouveau‑né immédiatement après la naissance. Cependant, si les mères adoptives devaient avoir droit à des prestations de maternité, elles emploieraient tout leur temps, tous leurs efforts et toute leur énergie à s’occuper de leur enfant, tandis que les mères naturelles n’auraient pas autant de force ni autant de temps pour s’occuper de leurs enfants, en raison d’un faible niveau d’énergie et d’un état physique et émotif plus fragile (voir l’affidavit du Dr Murray Enkin, rédigé sous serment le 14 juillet 1994, paragraphes 31 et 32).

[114]Cela me conforte dans l’idée que la distinction établie par la Loi entre mères naturelles et mères adoptives repose sur les besoins, capacités et circonstances propres aux mères biologiques, c’est‑à‑dire la grossesse, l’accouchement et le processus de rétablissement. La réalité biologique est telle que le processus d’attachement entre mère et enfant ne saurait être le même pour les mères naturelles et les mères adoptives. Ainsi que l’écrit la Dre LeMare dans son affidavit, les mères naturelles commencent souvent le processus d’attachement avant la naissance de leur enfant. Elles réagissent aux signaux et mouvements du fœtus, elles regardent les échographies et franchissent les étapes de la maternité. Certains parents adoptifs auront parfois la possibilité de participer étroitement à ces expériences avec l’enfant à naître, mais la plupart d’entre eux ne commenceront le processus d’attachement que lorsque l’enfant sera effectivement adopté.

[115]Cela ne veut pas dire que les mères et pères adoptifs ne connaissent pas une tension considérable et de grandes difficultés dans le processus d’adoption et dans les soins qu’ils prodiguent à leur enfant nouvellement arrivé. Ce n’est pas une situation qui puisse se comparer à celle des mères biologiques. On a répondu sous la forme de prestations parentales aux besoins particuliers de tous les parents qui ne donnent pas naissance. Néanmoins, l’adoption d’un enfant ne rend pas les parents adoptifs, ni d’ailleurs les pères biologiques, physiologiquement incapables de travailler durant une certaine période avant ou après l’arrivée de l’enfant. Ainsi que l’écrivait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Schafer, à la page 25 :

[traduction] Cependant, si graves et troublantes que puissent être ces difficultés, ce ne sont pas les mêmes difficultés que celles que connaissent les mères biologiques. Il ne fait aucun doute que les parents adoptifs pourraient faire un excellent usage des 15 semaines additionnelles de congé rémunéré pour accueillir leur nouvel enfant et s’en occuper, mais l’objet des prestations de maternité n’est pas de procurer un revenu complémentaire aux parents qui s’occupent de leurs enfants. Il est d’établir un système souple de soutien du revenu à l’intention des femmes qui doivent s’absenter de leur travail pour cause de grossesse et d’accouchement.

[116]La demanderesse admet que les mères biologiques ont des besoins physiques qui ne sont pas ceux des mères adoptives, mais elle fait néanmoins valoir implicitement, comme on l’avait fait valoir dans l’arrêt Schafer, que les 15 semaines de prestations de maternité dépassent le temps dont les mères biologiques ont vraiment besoin pour se rétablir. La demanderesse affirme donc que l’article 12 de la Loi a pour effet de permettre aux mères biologiques de tirer parti des prestations de maternité pour établir un lien affectif avec leur enfant.

[117]À mon avis, cet argument ne tient pas compte des circonstances imprévisibles et sans parallèle qui entourent la grossesse et l’accouchement. Sans doute certaines femmes récupèrent‑elles pleinement en moins de 15 semaines, mais il n’en demeure pas moins que d’autres ont besoin d’une période beaucoup plus longue pour récupérer, en raison d’états pathologiques tels que le diabète ou la dépression post‑natale. Une grossesse anormale ou multiple peut par exemple entraîner des complications avant et après la naissance. Les mères biologiques requièrent donc une période de congé flexible qui puisse être utilisée durant la grossesse, durant l’accouchement, à la naissance et durant la période postnatale.

[118]Même dans le meilleur des cas, c’est‑à‑dire grossesse et parturition parfaitement normales, il m’apparaît clair qu’il est plus difficile pour les mères biologiques de composer avec la maternité que pour les mères adoptives, qui n’ont pas besoin de se remettre d’une grossesse et d’un accouchement. En fait, [traduction] « aucune femme [. . .] ne se retrouvait dans un état pleinement fonctionnel six semaines après l’accouchement, et plusieurs n’avaient pas encore repris toutes leurs activités habituelles six mois après la naissance » (voir l’affidavit de Cassandra Kirewskie, paragraphe 39).

[119]À mon avis, la période des prestations de maternité doit être vue comme une période tenant compte d’une gamme de situations, de manière à englober le cas des femmes qui récupèrent rapidement et celui des femmes qui ont besoin de la totalité des 15 semaines pour récupérer (voir Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219; Schafer).

[120]Ainsi que l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Law, au paragraphe 106, et dans l’arrêt Gosselin, au paragraphe 55, il n’est pas nécessaire qu’un texte de loi corresponde toujours parfaitement à la réalité sociale pour être conforme au paragraphe 15(1) de la Charte :

Arrêt Law :

Dans les circonstances, le fait que les dispositions de la loi s’appuient sur des généralisations statistiques documentées qui peuvent ne pas correspondre parfaitement aux besoins financiers à long terme de tous les conjoints survivants ne compromet pas la conclusion ultime, soit qu’elles sont compatibles avec la dignité et la liberté de l’appelante. Dans ces circonstances particulières à tout le moins, le législateur peut légitimement s’appuyer sur des généralisations documentées pour édicter des dispositions réparatrices sans contrevenir au par. 15(1) de la Charte et sans avoir à les justifier au sens de l’article premier. Je souligne toutefois que, dans d’autres circonstances, le respect du par. 15(1) exigera à n’en pas douter une correspondance plus précise. En particulier, une correspondance plus précise sera vraisemblablement importante dans le cas où la personne ou le groupe exclu de la loi est déjà défavorisé ou vulnérable dans la société canadienne.

Arrêt Gosselin :

J’ajouterai deux commentaires. Premièrement, il est possible de conclure qu’une disposition contestée ne viole pas la Charte canadienne même en l’absence de correspondance parfaite entre un régime de prestations et les besoins ou la situation du groupe demandeur. On peut éprouver de la sympathie pour les personnes qui, pour une raison ou une autre, n’ont peut‑être pas pu participer aux programmes. Cependant, le fait qu’un programme social donné ne réponde pas aux besoins de tous, sans exception, ne nous permet pas de conclure que ce programme ne correspond pas aux besoins et à la situation véritables du groupe concerné. [. . .] L’élabora-tion d’un régime d’aide sociale destiné à répondre aux besoins des jeunes adultes est un problème complexe, auquel il n’existe pas de solution parfaite. Quelles que soient les mesures adoptées par le gouvernement, il existera toujours un certain nombre de personnes auxquelles un autre ensemble de mesures aurait mieux convenu. Le fait que certaines personnes soient victimes des lacunes d’un programme ne prouve pas que la mesure législative en cause ne tient pas compte de l’ensemble des besoins et de la situation du groupe de personnes touché, ni que la distinction établie par cette mesure crée une discrimination réelle au sens du par. 15(1).

[121]En outre, comme l’écrivait mon collègue le juge Evans dans l’arrêt Krock c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 188, au paragraphe 11, c’est au législateur et non aux tribunaux qu’il appartient d’établir et de mettre au point les régimes légaux de prestations :

Lorsque la Cour examine un argument qui veut qu’un régime complexe de prestations prévu par la loi, comme celui de l’assurance‑chômage, a un effet négatif différentiel sur certains demandeurs contrairement à l’article 15, elle ne peut se préoccuper de la question de savoir s’il serait désirable d’accorder des prestations étendues comme on le recherche. Dans la création des programmes sociaux, il faut établir des priorités. Le législateur est mieux équipé pour cette tâche que les tribunaux et la Constitution n’exige pas que les tribunaux procèdent à un réglage minutieux des régimes législatifs.

[122]Il ne peut faire de doute, à mon avis, que la grossesse et l’accouchement entraînent un état physiologique qui empêche les mères biologiques de travailler durant une partie de la grossesse et durant la période postnatale. Chacun des types de prestations censés remplacer le revenu a donc un objet propre : le premier vise à procurer un revenu à la femme qui est empêchée de travailler pour cause de grossesse ou de remise en forme; l’autre vise à procurer un revenu aux parents pendant qu’ils s’occupent de leur enfant et nouent des liens affectifs avec lui.

[123]Selon moi, il est impossible de fixer pour le congé de maternité une durée qui répondra dans tous les cas aux besoins physiologiques de toutes les femmes enceintes. Comme le montre si bien le témoignage du Dr Enkin, un congé de maternité de 15 semaines n’est en aucune façon déraisonnable pour répondre aux besoins de la plupart des femmes.

3. Objet ou effet d’amélioration du programme de prestations pour une personne ou un groupe plus défavorisés

[124]Dans l’arrêt Law, la Cour suprême, au paragraphe 72 de ses motifs, exprimait l’avis qu’un objet ou effet d’amélioration qui s’accorde avec les buts du paragraphe 15(1) de la Charte, c’est‑à‑dire le versement de prestations aux mères biologiques pour leur permettre de se remettre d’une grossesse et d’un accouchement, sera peu susceptible de déconsidérer la dignité de personnes plus favorisées « si l’exclusion de ces personnes concorde largement avec les besoins plus grands ou la situation différente du groupe défavorisé visé par les dispositions législatives ».

[125]En l’espèce, il ne peut faire de doute que les femmes enceintes ont été un groupe désavantagé. D’ailleurs, le législateur a établi les prestations de maternité en faveur de ce groupe afin de répondre aux besoins des mères biologiques sur le marché du travail. Sur ce point, les propos tenus par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd., aux pages 1237 et 1238, sont tout à fait pertinents :

Les deux premières prétentions, savoir que la grossesse n’est ni un accident, ni une maladie et celle qu’il s’agit d’un état voulu sont assez semblables. Je suis tout à fait d’accord qu’on ne saurait, à proprement parler, qualifier la grossesse de maladie ou d’accident. C’est cependant un motif de santé suffisant pour ne pas se présenter au travail et, à ce titre, il n’aurait pas dû être exclu du régime de Safeway. Le caractère discriminatoire de cette exclusion ressort clairement quand on considère la nature véritable, ou la raison d’être sous‑jacente du régime de prestations de Safeway. La raison d’être sous‑jacente de ce régime est le désir louable d’indemniser les personnes incapables de travailler pour des motifs réels de santé. La grossesse appartient manifestement à ces motifs. En établissant une distinction entre la maladie et les accidents d’une part et la grossesse d’autre part, Safeway cherche à camoufler une distinction indéfendable. Il semble incontestable que dans notre société la grossesse est un motif de santé valable de s’absenter du travail. Il va sans dire que la grossesse a une importance primordiale dans notre société. De fait, son importance en rend la description difficile. Il est fallacieux d’établir un parallèle entre la grossesse et, par exemple, la décision de subir une opération de chirurgie esthétique, comparaison que l’intimée fait pourtant implicitement dans son argumentation. Si l’état de santé lié à la procréation ne constitue pas un motif légitime de s’absenter du travail, il est difficile d’en imaginer un autre. Considérée dans son contexte social, la grossesse constitue un motif de santé parfaitement légitime de ne pas se présenter au travail et, à ce titre, elle devrait donner droit aux prestations prévues par le régime de Safeway. Pour l’employée, les conséquences économiques de l’incapacité d’exécuter les tâches que son travail comporte sont les mêmes que cette incapacité résulte d’une grossesse ou d’un autre motif de santé entraînant l’absence du travail.

De plus, ne pas considérer la grossesse de cette façon va à l’encontre de l’un des objets des lois anti‑discrimination. Comme il ressort de l’extrait précité de l’arrêt Andrews, cet objet est la suppression des désavantages injustes imposés à des personnes ou à des groupes dans la société. Il peut y avoir un désavantage injuste lorsqu’on laisse porter à un seul groupe de personnes les coûts d’activités qui profitent à l’ensemble de la société. C’est l’effet du régime de Safeway. Il est incontestable que tous les membres de la société profitent de la procréation. Le régime de Safeway fait cependant porter un des principaux coûts de la procréation à un seul groupe dans la société : les femmes enceintes. Donc, en faisant une distinction entre la grossesse et toutes les autres raisons de santé pour ne pas travailler, le régime impose un désavantage injuste aux femmes enceintes. Dans la deuxième partie des présents motifs, je dis qu’il est possible de considérer ce désavantage comme un désavantage imposé à l’ensemble des femmes. Il ressort en outre de cet argument qu’en ne concluant pas que le régime de Safeway est discriminatoire, on saperait un des objectifs des lois anti‑discrimination. On le ferait en avalisant une des façons les plus marquées de désavantager les femmes dans notre société. Ce serait avaliser l’imposition aux femmes d’une part disproportionnée des coûts de la grossesse. La suppression des fardeaux injustes imposés aux femmes et aux autres groupes dans la société constitue un objet clef des lois anti‑discrimination. Conclure que le régime de Safeway est discriminatoire sert cet objet. [Non souligné dans l’original.]

[126]Je relève aussi que la Commission canadienne des droits de la personne a apporté son appui sans réserve à la coexistence des prestations de maternité et des prestations parentales. Je n’ai donc aucune hésitation à conclure que les prestations de maternité ont un effet d’amélioration qui s’accorde tout à fait avec le paragraphe 15(1) de la Charte, et que l’exclusion des mères adoptives de telles prestations ne porte en aucune façon atteinte à la garantie d’égalité prévue par ce paragraphe.

4. Nature du droit touché

[127]Ainsi que le disait la Cour suprême au paragraphe 88, no 9(D) de ses motifs dans l’arrêt Law, « [p]lus les effets des dispositions législatives sont graves et localisés pour le groupe touché, plus il est probable que la différence de traitement à la source de ces effets soit discriminatoire au sens du par. 15(1) ». Autrement dit, plus les conséquences de la loi contestée pour le groupe concerné sont graves, plus il est probable que la différence de traitement équivaudra à de la discrimination.

[128]Ainsi, dans la présente affaire, le fait que les prestations de maternité ne sont pas offertes aux mères adoptives favorise‑t‑il l’idée selon laquelle les mères adoptives sont moins dignes d’être reconnues ou valorisées en tant qu’êtres humains ou en tant que membres de la société canadienne? (Voir l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2000] 1 R.C.S. 703, au paragraphe 58.)

[129]À mon avis, si l’on considère la Loi dans sa globalité, il devient impossible de prétendre que, en adoptant les dispositions relatives aux prestations de maternité, le législateur a déconsidéré les mères adoptives ou jeté le doute sur leur valeur en tant qu’êtres humains. Non seulement les mères adoptives n’ont pas été exclues d’une institution sociale fondamentale, c’est‑à‑dire la maternité, mais encore leurs intérêts ont été examinés et pris en compte par le législateur lorsqu’il a édicté les dispositions sur les prestations parentales.

CONCLUSION ET DISPOSITIF

[130]Une exacte égalité entre mères biologiques et mères adoptives conduirait selon moi à une discrimination à l’encontre des mères biologiques. En fait, les dispositions relatives au congé de maternité sont indispensables pour assurer l’égalité des femmes en général, qui subissent un désavantage dans le milieu de travail dès lors qu’elles tombent enceintes. La distinction établie en faveur des femmes enceintes est légitime parce qu’elle vise à répondre à leurs besoins dans le milieu de travail en tant que groupe désavantagé. (Voir l’arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219, à la page 1238; Commission canadienne des droits de la personne, Rapport spécial au Parlement sur le versement d’un revenu de substitution aux nouveaux parents.) Comme l’écrivait la Cour suprême dans l’arrêt Lovelace c. Ontario, aux paragraphes 85 et 86, le fait d’être exclu d’un programme ciblé ne veut pas dire discrimination envers le groupe exclu :

En l’espèce, l’aspect central de l’analyse n’est pas le fait que les groupes appelants et intimés sont également défavorisés, mais que le programme en question vise à améliorer la situation d’un groupe défavorisé précis plutôt qu’à remédier à un désavantage dont pourrait souffrir tout membre de la société. En d’autres mots, nous sommes en présence d’un programme améliorateur ciblé auquel on reproche d’avoir un caractère trop limitatif, et non d’un programme améliorateur plus complet auquel on reproche d’avoir un caractère trop limitatif.

Cela dit, il faut reconnaître qu’il est peu probable que le fait d’exclure un groupe d’un programme ciblé ou établi en partenariat ait pour effet d’associer à ce groupe des stéréotypes ou des stigmates ou encore de communiquer le message qu’il est moins digne de reconnaissance et d’intégration au sein de la société dans son ensemble.

[131]Si la Cour devait conclure que les mères adoptives ont droit à des prestations de maternité, ce serait dire implicitement que les mères naturelles ne méritent pas de s’absenter du travail plus que les mères adoptives, alors même qu’elles doivent supporter le fardeau d’une grossesse et d’une naissance. Cela nous ramènerait à la situation que les modifications apportées en 1984 à la Loi sur l’A‑C visaient à corriger, c’est‑à‑dire le dédommagement des mères naturelles qui étaient incapables de travailler parce qu’elles se remettaient d’un accouchement, modifications qui élargissaient aux parents biologiques les prestations d’adoption (aujourd’hui les prestations parentales).

[132]Je voudrais aussi souligner le fait que, si des prestations de maternité devaient être versées aux mères adoptives, alors je ne vois pas pourquoi les pères adoptifs, et même les pères biologiques, n’auraient pas droit eux aussi auxdites prestations. En réalité, comme le montre le témoignage de la Dre LeMare, il n’y a en principe aucune différence entre mères et pères pour ce qui est du processus d’attachement. Ce point est confirmé par la Loi, qui prévoit des prestations parentales à la fois pour les pères et pour les mères. Si des prestations de maternité devaient être versées aux mères adoptives uniquement, alors les pères, biologiques ou adoptifs, se verraient refuser ces prestations.

[133]Ainsi que le disait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Schafer, à la page 22 de ses motifs, le versement de prestations spéciales aux seules mères biologiques pour cause de grossesse et d’accouchement ne saurait constituer une discrimination :

[traduction] Ici, la réalité biologique incontournable est le fait de la grossesse et de l’accouchement, que seules les mères biologiques connaissent. Le fait de dédommager uniquement les mères biologiques pour la perte de leur revenu entraînée par une grossesse et un accouchement ne saurait constituer une discrimination, et cela parce que seules les mères biologiques connaissent les contraintes physiologiques de la grossesse et de l’accouchement.

[134]J’arrive donc à la conclusion, comme l’a fait la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Schafer, que les droits de la demanderesse garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte n’ont pas été enfreints. La mère adoptive douée de raison admettrait sans aucun doute que, à cause de l’expérience physiologique et psychologique qui résulte de la grossesse et de l’accouchement, les mères biologiques méritent des prestations spéciales afin que leurs besoins particuliers soient pris en compte. La mère adoptive douée de raison admettrait aussi sans aucun doute que les prestations de maternité sont essentielles pour assurer le bien‑être de ces mères afin qu’elles puissent, le moment venu, reprendre leur emploi. La mère adoptive douée de raison admettrait aussi que le législateur a considéré et reconnu ses besoins à elle en promulguant les dispositions relatives aux prestations parentales et qu’elle n’a nullement été exclue de la société canadienne. Partant, la mère adoptive douée de raison ne se sentirait pas déconsidérée par l’octroi de prestations de maternité aux seules mères biologiques.

[135]Pour ces motifs, je rejetterais la demande, avec dépens.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je suis d’accord.

Le juge Pelletier, J.C.A. : Je suis d’accord.

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