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T‑1313‑05

2007 CF 878

Eugene Esquega, Brian King, Gwendoline King, Hugh King, père, Rita King, Wayne King, Lawrence Shonias et Owen Barry (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada (défendeur)

Répertorié : Esquega c. Canada (Procureur général) (C.F.)

Cour fédérale, juge O’Keefe—Thunder Bay, 19 et 20 février; Ottawa, 30 août 2007.

Peuples autochtones — Élections — Contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la gouverneure en conseil a annulé les résultats de l’élection d’une bande parce que trois candidats ne résidaient pas sur la réserve pour les fins de l’art. 75(1) de la Loi sur les Indiens — Les membres de la bande vivant hors réserve ont subi un désavantage à cause de lois et de politiques conçues pour les priver du droit de participer à l’administration de leur bande — Ils détiennent le droit fondamental de participer au conseil de bande et de prendre des décisions pour le compte de leur bande — L’art. 75(1) de la Loi sur les Indiens est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande —  L’art. 75(1) viole l’art. 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et il n’est pas justifié au regard de l’article premier —  Demande accueillie.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Les demandeurs ont prétendu que la condition de résidence prévue à l’art. 75(1) de la Loi sur les Indiens viole l’art. 15 de la Charte en empêchant les membres vivant hors réserve de faire partie du conseil de bande — L’art. 75(1) impose une différence de traitement entre les membres de la bande vivant sur la réserve et ceux vivant hors réserve — L’« autochtonité‑lieu de résidence » est un motif analogue de discrimination — La nature et l’étendue du droit touché revêtent une importance fondamentale pour les membres de la bande qui vivent hors réserve — L’art. 75(1) de la Loi est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande en raison de leur statut découlant de l’« autochtonité‑lieu de résidence ».

Droit constitutionnel — Charte des droits — Clause limitative — Il s’agissait de savoir si la violation de l’art. 15 de la Charte en raison de la condition de résidence prévue à l’art. 75(1) de la Loi sur les Indiens pouvait se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’art. premier de la Charte — Le fait d’interdire purement et simplement aux membres vivant hors réserve de participer au conseil de bande ne constitue pas une atteinte minimale à leurs droits à l’égalité — Le défendeur n’a pas démontré que la privation complète du droit des membres de la bande vivant hors réserve de devenir conseillers de la bande était nécessaire pour réaliser ses objectifs — L’art. 75(1) de la Loi sur les Indiens viole l’art. 15 de la Charte et il n’est pas justifié au regard de l’article premier de la Charte.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs — Équité procédurale — Les demandeurs ont soutenu que la décision de la gouverneure en conseil d’annuler les résultats de l’élection de la bande manquait à l’obligation d’équité procédurale — Les autorités publiques ont une obligation d’équité procédurale envers les particuliers lorsqu’elles prennent des décisions administratives qui ont une incidence sur les droits de ces derniers — Les demandeurs avaient droit à plus que des garanties procédurales minimales — Il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale pour non‑communication des documents additionnels obtenus dans le cadre de la procédure exposée à l’art. 12 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens.

Pratique — Caractère théorique — La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la gouverneure en conseil a annulé les résultats de l’élection d’une bande n’avait qu’un caractère théorique parce que le mandat pour lequel les demandeurs avaient été élus était expiré et qu’une nouvelle élection avait eu lieu — Cependant, la demande soulevait d’importantes questions au sujet de la constitutionnalité d’une disposition qui est susceptible de n’être jamais soumise aux tribunaux et qui se pose constamment dans le contexte des élections des bandes — Les questions représentaient une controverse actuelle entre les parties — La demande devait être entendue même si elle était théorique.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la gouverneure en conseil a annulé les résultats de l’élection d’une bande parce que trois candidats ne résidaient pas sur la réserve pour les fins du paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens. Cette disposition précise que seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande. Les demandeurs, qui sont membres de la Première nation de Gull Bay, ont été élus le 8 novembre 2004 pour un mandat de deux ans à titre de conseillers de la bande. En décembre 2004, trois électeurs ont interjeté appel de cette élection, alléguant que six des candidats étaient inéligibles parce qu’ils ne résidaient pas sur la réserve. Il ressort d’un rapport d’enquête que Brian King, Gwendoline King et Rita King ne résidaient pas sur la réserve. La gouverneure en conseil a pris un décret par lequel elle a annulé l’élection des neuf conseillers. Le mandat du conseil de la bande a expiré le 8 novembre 2006. Le mois suivant, la Première nation de Gull Bay a tenu une élection et les demandeurs ont été réélus comme conseillers. Il s’agissait de savoir : 1) si la demande de contrôle judiciaire avait un caractère théorique; 2) si la gouverneure en conseil avait manqué à son obligation d’équité procédurale; 3) si la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens viole l’article 15 de la Charte en privant les demandeurs de la possibilité de faire partie du conseil de la Première nation de Gull Bay pour le motif analogue reconnu qu’est l’autochtonité‑lieu de résidence; 4) si, lorsque la condition de résidence viole l’article 15 de la Charte, elle pouvait se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte; et 5) quelle réparation il convenait d’accorder aux demandeurs.

Jugement  : la demande doit être accueillie.

1) La demande de contrôle judiciaire en l’espèce était techniquement théorique. Il n’y avait pas de litige actuel au sujet de la validité du décret de la gouverneure en conseil car le mandat en cause du conseil de bande était expiré. Il s’agissait donc de savoir si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre cette demande de contrôle judiciaire, même si son fondement factuel avait disparu. Il y avait en l’espèce un débat contradictoire. Les demandeurs réclamaient à titre de réparation un jugement déclaratoire que la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens est inconstitutionnelle, et pas seulement une ordonnance annulant la décision prise par le décret. Le souci d’économie des ressources judiciaires est pertinent lorsqu’il faut décider si un tribunal doit entendre ou non une demande à caractère théorique. Cependant, le fait que la question en litige soit suffisamment importante et susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux peut prendre le pas sur les arguments concernant la rareté des ressources judiciaires. Un autre facteur qui est pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer s’il convient d’entendre ou non une affaire théorique est le coût social de l’incertitude de la loi. L’incertitude de la loi quant aux conditions de résidence contestées entraîne d’importantes conséquences sociales pour la bande de Gull Bay et d’autres bandes au Canada. La demande en l’espèce a soulevé d’importantes questions au sujet de la constitutionnalité d’une disposition qui est susceptible de n’être jamais soumise aux tribunaux et qui se pose constamment dans le contexte des élections des bandes. Bien qu’elles ne soient peut‑être pas « actuelles » dans le contexte du contrôle du décret, ces questions représentent une controverse actuelle entre les parties. En conséquence, la demande devrait être entendue même si elle est théorique.

2) Les autorités publiques ont une obligation d’équité procédurale envers les particuliers lorsqu’elles prennent des décisions administratives qui ont une incidence sur les droits de ces derniers. Compte tenu des divers facteurs servant à déterminer quel est le degré d’équité procédurale qu’il convient d’accorder, c’était plus que des garanties procédurales minimales qui étaient dues aux demandeurs. L’article 12 du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens établit un mécanisme par lequel le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien peut recueillir des renseignements sur un appel en matière d’élection. L’obligation d’équité procédurale exige que l’on communique aux candidats dont on conteste l’éligibilité au conseil de la bande la totalité des allégations et des pièces s’y rapportant qui ont été ajoutées au dossier dans le cadre du processus exposé à l’article 12 du Règlement. Il y a eu manquement à l’obligation d’équité procédurale due aux demandeurs pour non‑communication des documents additionnels obtenus dans le cadre de la procédure exposée à l’article 12 du Règlement.

3) En appliquant le critère à trois volets qui permet de déterminer si une disposition législative viole l’article 15 de la Charte et qui a été exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), les parties ont convenu que les deux premiers volets ont été établis. Le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens impose une différence de traitement entre les membres de la bande vivant sur la réserve et ceux vivant hors réserve et l’« autochtonité‑lieu de résidence » est un motif analogue de discrimination. La question qu’il restait à trancher était celle de savoir si le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens a un objet ou un effet discriminatoire au sens de la garantie d’égalité. Les membres de la bande vivant hors réserve sont victimes de discrimination au sens du troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Law. Ils ont subi un désavantage historique à cause de lois et de politiques conçues pour les priver du droit de participer à l’administration de leur bande. Il n’y a pas de correspondance entre la volonté ou la capacité des membres d’une bande vivant hors réserve de participer au conseil de bande et leur statut sur le plan de la résidence. La nature et l’étendue du droit touché revêtent une importance fondamentale pour les membres de la bande qui vivent hors réserve. Bien que ces membres aient maintenant le droit de voter aux élections du conseil de bande, ils détiennent le droit fondamental de participer au conseil de bande et de prendre des décisions pour le compte de leur bande.

4) Pour qu’une violation de la Charte se justifie dans une société libre et démocratique au sens de l’article premier, il faut établir si l’objectif législatif est urgent et réel et si le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif est raisonnable et peut se justifier dans une société libre et démocratique. L’objectif de veiller à ce que ceux qui possèdent les liens les plus directs avec la réserve aient la capacité spéciale de décider de son avenir peut légitimement être qualifié d’urgent et de réel. Toutefois, le fait d’interdire purement et simplement aux membres vivant hors réserve de participer au conseil de bande ne constitue pas une atteinte minimale à leurs droits à l’égalité. Le défendeur n’a pas établi que la privation complète du droit des membres de la bande vivant hors réserve de devenir conseillers de la bande est nécessaire pour réaliser ses objectifs. Le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens viole l’article 15 de la Charte et il n’est pas justifié au regard de l’article premier.

5) La réparation qui convenait était de suspendre la déclaration d’invalidité de la disposition, en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, pendant une période de neuf mois afin de permettre aux électeurs de la bande de prendre connaissance de la décision et de donner du temps au défendeur pour modifier la disposition de façon qu’elle ne viole plus la Charte.

lois et règlements cités

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15, 24.

Décret annulant l’élection de neuf conseillers de la bande indienne Gull Bay Band, en Ontario, Décret C.P. 2005‑1289.

Loi constitutionnelle de l982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27).

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 74, 75, 76, 77 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14), 79.

Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 950, art. 31.

Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952, art. 2 « électeur » (mod. par DORS/2000‑391, art. 1), 3 (mod., idem, art. 2), 12 (mod., idem, art. 11), 13, 14.

jurisprudence citée

décisions appliquées  :

Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342.

décisions examinées  :

Clifton c. Bande indienne de Hartley Bay, [2006] 2 R.C.F. 24; 2005 CF 1030; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3; 2002 CSC 62; Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97.

décisions citées  :

Oberlander c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.F. 3; 2004 CAF 213; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Thomson v. The Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209; Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 341 (C.A.); Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519; 2002 CSC 68; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard; Renvoi relatif à l’indépen-dance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1998] 1 R.C.S. 3; Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519; Nation Siksika c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CF 1342; Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392; 2005 CAF 404; Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927; Giroux c. Première nation de Swan River, 2006 CF 285; Cardinal et autre c. Directeur de l’établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643; Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513.

doctrine citée

Canada. Commission royale sur les peuples autochtones. Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Ottawa  : Ministre des Approvisionne-ments et Services, 1996.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la gouverneure en conseil a annulé les résultats de l’élection de la Première nation de Gull Bay parce que trois candidats ne résidaient pas sur la réserve pour les fins du paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens. Demande accueillie.

ont comparu  :

T. Michael Strickland et Chantelle J. Bryson pour les demandeurs.

Michael G. Roach pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier  :

Buset & Partners LLP, Thunder Bay (Ontario) pour les demandeurs.

Le sous‑procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge O’Keefe : Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 27] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7 [art. 1 (mod., idem, art. 14)], en vue de soumettre à un contrôle judiciaire une décision de la gouverneure en conseil, rendue par le décret C.P. 2005‑1289 (le décret), daté du 28 juin 2005 [Décret annulant l’élection de neuf conseillers de la bande indienne Gull Bay Band, en Ontario]. La gouverneure en conseil a annulé les résultats de l’élection du 8 novembre 2004 de la Première nation de Gull Bay, en vertu de l’alinéa 79c) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, parce que trois candidats ne résidaient pas sur la réserve pour les fins du paragraphe 75(1) de cette Loi. Conformément à l’ordonnance du juge en chef Lutfy datée du 26 janvier 2007, la question du caractère théorique sera intégrée à la présente demande.

[2]Les demandeurs sollicitent :

1. une ordonnance accueillant la présente demande de contrôle judiciaire;

2. une déclaration portant que la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens viole l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte), et n’est pas justifiée aux termes de l’article premier de la Charte;

3. une ordonnance annulant le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens;

4. une ordonnance annulant le décret pour absence de compétence et erreur de droit;

5. une ordonnance annulant le décret parce que la gouverneure en conseil a commis une erreur en le prenant;

6. les dépens sur la base avocat‑client.

[3]Le défendeur conclut au rejet de la présente demande avec dépens.

[4]Le jugement dans cette affaire a été rendu le 20 août 2007.

Le contexte

[5]Il est question en l’espèce d’une demande de contrôle judiciaire visant, d’une part, une décision par laquelle la gouverneure en conseil a annulé les résultats d’une élection de bande et, d’autre part, la constitution-nalité de la condition de résidence qui s’applique aux postes de conseillers de la bande. Environ 260 bandes des Premières nations, dont la Première nation de Gull Bay, ont adopté le code électoral que prévoient la Loi sur les Indiens et le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 952 (le Règlement).

[6]Les demandeurs, qui sont membres de la Première nation de Gull Bay, ont été élus pour un mandat de deux ans à titre de conseillers de la bande à la suite d’une élection tenue le 8 novembre 2004. Au mois de décembre suivant, trois électeurs ont interjeté appel par rapport à cette élection, alléguant que six des candidats —Eugene Esquega, Brian King, Gwendoline King, Hugh King, père, Rita King et Wayne King—étaient inéligibles parce qu’ils ne résidaient pas sur la réserve. Environ 55 % des 644 électeurs qui font partie de cette Première nation vivent en dehors de la réserve.

[7]En janvier 2005, des copies des documents introductifs d’appel et des pièces justificatives ont été envoyées au président d’élection et à tous les candidats. Les six demandeurs ont répondu aux allégations en envoyant des affidavits au ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada plus tard ce mois‑là. Le ministre a également obtenu des renseignements addi-tionnels auprès des électeurs qui avaient interjeté appel ainsi que d’un aîné de la bande. Ces renseignements n’ont pas été communiqués aux demandeurs. Estimant que les documents soumis n’étaient pas suffisants pour déterminer la validité de l’élection, le ministre a désigné, en mars 2005, Isaac Larry Dyck pour faire enquête sur les allégations. Ce dernier a mené son enquête du 22 mars au 6 avril 2005 afin de déterminer où résidaient les six demandeurs à l’époque de l’assemblée de mise en candidature, tenue le 2 septembre 2004.

[8]Le rapport d’enquête a été remis au ministre le 26 avril 2005, et il y était conclu que Brian King, Gwendoline King et Rita King ne résidaient pas sur la réserve. Ce rapport n’a pas été fourni aux demandeurs. Après l’avoir reçu, Christine Aubin, alors directrice intérimaire, Administration des bandes, a recommandé que le ministre déclare à la gouverneure en conseil que Brian King, Gwendoline King et Rita King étaient des candidats inéligibles au conseil de bande. Mme Aubin a également recommandé que l’élection des neuf conseillers soit annulée, car l’inéligibilité de trois candidats aurait eu une incidence sur les résultats de l’élection.

[9]Par décret daté du 28 juin 2005, la gouverneure en conseil a annulé l’élection des neuf conseillers. Le 28 juillet 2005, les demandeurs ont présenté un avis de demande de contrôle judiciaire concernant ce décret. Par ordonnance datée du 10 août 2005 [Première Nation de Gull Bay c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1097] , le juge Lemieux a ordonné que les demandeurs soient réintégrés comme conseillers et il a accordé une injonction empêchant la tenue d’une élection complé-mentaire en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire. Le mandat du conseil de la bande a expiré le 8 novembre 2006. Le 14 décembre suivant, la Première nation de Gull Bay a tenu une élection et les demandeurs ont été réélus comme conseillers. Le 25 janvier 2007, un autre appel a été interjeté relativement à l’élection, alléguant que Rita King et Gwendoline King ne résidaient pas ordinairement sur la réserve.

La recommandation du ministre

[10]Le rapport portant sur l’appel relatif à l’élection de Gull Bay, daté du 30 mai 2005, a été préparé par Christine Aubin, directrice adjointe, Administration des bandes.

Le décret C.P. 2005‑1289

[11]Le texte du décret, daté du 28 juin 2005, est reproduit ci‑dessous :

Attendu que, le 8 novembre 2004, la bande indienne Gull Bay, dans la province d’Ontario, a tenu une élection pour élire un chef et neuf postes de conseiller, le sommaire de cette élection figurant à l’annexe ci‑jointe;

Attendu que, en vertu de l’alinéa 14c) du Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a indiqué dans son rapport que trois personnes présentées comme candidats aux postes de conseiller à l’élection étaient inadmissibles à ce titre du fait qu’ils ne résidaient pas sur la réserve lors de leur mise en candidature, tel que le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens le requiert,

À ces causes, sur recommandation du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et en vertu de l’alinéa 79c) de la Loi sur les Indiens, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil annule l’élection du 8 novembre 2004, dans laquelle Lawrence Shonias, Eugene Esquega, Hugh King, Owen Barry, Brian King, Rita King, Wayne King, Gwendoline King et Isidore Poile ont été élus conseillers de la bande indienne Gull Bay, dans la province d’Ontario.

Les questions en litige

[12]Les demandeurs ont soumis à l’examen de la Cour les questions suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la gouverneure en conseil?

2. La gouverneure en conseil a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs?

3. La condition de « résidence » sur la réserve, prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens, viole‑t‑elle l’article 15 de la Charte en privant les demandeurs de la possibilité de faire partie du conseil de la Première nation de Gull Bay pour le motif analogue reconnu qu’est l’« autochtonité‑lieu de résidence »?

4. Si cette condition de « résidence » viole l’article 15 de la Charte, sa justification peut‑elle se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte?

5. Quelle réparation convient‑il d’accorder aux demandeurs si la Cour conclut que la condition de « résidence » prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens est inconstitutionnelle et que, de ce fait, le décret C.P. 2005‑1289 a été pris sans compétence et constitue une erreur de droit?

[13]Le défendeur a soumis à l’examen de la Cour les questions suivantes :

1. La gouverneure en conseil a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

2. La gouverneure en conseil a‑t‑elle commis une erreur en annulant l’élection du conseil de bande de la Première nation de Gull Bay?

3. L’article 75 de la Loi sur les Indiens viole‑t‑il l’article 15 de la Charte et, dans l’affirmative, peut‑il être sauvegardé par l’article premier de la Charte?

4. La demande de contrôle judiciaire n’a‑t‑elle qu’un caractère théorique?

Les observations des demandeurs

I. Le contrôle judiciaire du décret

[14]Les demandeurs font valoir que lorsque la gouverneure en conseil fonde sa décision sur des renseignements provenant d’un rapport du ministre et qu’il n’existe pas d’éléments de preuve contraires, ses motifs de décision sont ceux du ministre (voir Oberlander c. Canada (Procureur général), [2005] 1 R.C.F. 3 (C.A.F.)).

a) La norme de contrôle

[15]Les demandeurs ont eu recours à l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817). Ils ont exprimé l’avis que :

1. la Loi sur les Indiens ne comporte pas de clause privative, ce qui milite en faveur d’un degré moindre de déférence;

2. le décideur est la gouverneure en conseil, ce qui milite en faveur d’un degré supérieur de déférences. Cependant, celle‑ci a peu d’expérience des questions de droit;

3. l’objet de la disposition et de la Loi dans son ensemble vise une norme de contrôle plus stricte. Le pouvoir discrétionnaire conféré est restreint en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles le pouvoir décisionnel peut être exercé. En outre, la décision a directement trait aux droits des personnes se présentant comme candidates au conseil, et non à une pondération de droits; et

4. la question en litige est une question mixte de fait et de droit.

[16]Les demandeurs ont fait valoir que la norme de contrôle qui s’applique à l’interprétation des dispositions de la Loi sur les Indiens et aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte. Le décret était, selon eux, contrôlable selon la norme de la décision raisonnable.

b) Le contrôle judiciaire du décret

[17]Les demandeurs ont fait valoir que le terme « résider » englobe la résidence occasionnelle, tandis que le terme « résider ordinairement » vise plus que la résidence occasionnelle (voir Thomson v. The Minister of National Revenue, [1946] R.C.S. 209). Ils ont fait remarquer que le rapport de l’enquêteur et la recommandation du ministre traitaient ces termes comme des synonymes. Ils ont ajouté que la gouverneure en conseil avait violé le principe de l’interprétation législative selon lequel il convient, dans un texte législatif, de donner à chaque terme le sens qui lui est propre. Ils ont fait valoir que la gouverneure en conseil avait commis une erreur en attribuant au terme « résidant », au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens, le même sens que le terme « réside ordinairement ».

II. La constitutionnalité du paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens

[18]Selon les demandeurs, lorsqu’une décision est soumise à un contrôle judiciaire, il faut déterminer la validité constitutionnelle de la disposition législative en cause afin de vérifier si la décision a été prise convenablement (voir Moktari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 341 (C.A.)).

a) L’article 15

[19]Les demandeurs ont appliqué le critère servant à déterminer si une disposition législative viole l’article 15 de la Charte; ce critère figure dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497. Les deux parties ont convenu que les premier et deuxième volets du critère étaient respectés, car le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens fait une distinction entre les membres de la bande vivant sur une réserve et les membres de la bande vivant hors réserve en interdisant à ces derniers de devenir conseillers pour le motif analogue de l’« autochtonité‑lieu de résidence » (voir Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203).

[20]Le troisième volet exige que l’on décide si la disposition est discriminatoire envers les demandeurs au sens de l’article 15 de la Charte. Les demandeurs ont donc entrepris d’appliquer les facteurs contextuels pertinents qui sont énoncés dans l’arrêt Law, précité.

[21]Les demandeurs ont fait valoir que la bande de Gull Bay est une entité juridique distincte, définie par ses membres et ses liens familiaux, ainsi que par une utilisation historique de ses terres—et non par la géographie. Ils ont ajouté que les membres de la bande vivant hors réserve ont subi un désavantage préexistant par rapport aux membres vivant sur la réserve (voir le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, 1966). Ils ont fait valoir que l’historique législatif des dispositions de la Loi et du Règlement relatives à l’administration étaye les conclusions de la Commission royale, à savoir que les restrictions en matière de résidence ont servi à assimiler les peuples autochtones par la privation politique du droit de vote. Dans l’arrêt Corbiere, précité, la Cour suprême du Canada n’a trouvé aucune correspondance entre les conditions de résidence qui sous‑tendaient le droit de voter aux élections d’une bande et le désir ou la capacité des membres vivant hors réserve de participer à l’administration représentative de leur Première nation (voir aussi Clifton c. Bande indienne de Hartley Bay, [2006] 2 R.C.F. 24 (C.F.)).

[22]Le défendeur a laissé entendre que les conditions de résidence visent un double objectif : veiller à ce que les membres du conseil aient une meilleure connaissance des questions touchant la réserve et qu’ils soient plus accessibles aux membres de la bande. Cependant, Lynn Ashkewe a reconnu en contre‑interrogatoire qu’un conseil de bande formé uniquement de membres vivant sur la réserve n’assurerait pas l’accès à la majorité des électeurs, qui vivent hors réserve. De plus, il n’y avait aucune preuve que l’actuel conseil de la bande de Gull Bay n’était pas au courant des questions touchant la réserve. Dans l’arrêt Corbiere, précité, la Cour suprême a rejeté l’argument portant que les conseils de bande ne traitaient que des questions relatives à la réserve et que les questions dont s’occupait le conseil ne touchaient que les membres de la bande vivant sur la réserve.

[23]D’après les demandeurs, le droit en jeu est le droit démocratique de participer à l’administration représentative de leur bande. Dans la décision Hartley, précitée, la Cour, appliquant le raisonnement exposé dans l’arrêt Corbiere, a déclaré que la condition de résidence depuis six mois que l’on imposait aux électeurs violait l’article 15 de la Charte et n’était pas justifiée au regard de l’article premier de celle‑ci, car cette condition interdisait aux membres de la bande vivant hors réserve de participer à l’administration représentative de leur bande. La décision Hartley avait trait au régime électoral coutumier de la bande, mais la Cour a déclaré que le raisonnement exposé dans l’arrêt Corbiere s’appliquait de manière égale au régime électoral coutumier et au régime électoral prévu par la Loi sur les Indiens.

b) L’article premier

[24]Les demandeurs ont fait valoir que le défendeur devait produire une preuve de l’objet évident d’une disposition contestée (voir Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519). En contre‑ interrogatoire, Mme Ashkewe a reconnu que l’objet indiqué ci‑dessus ne représentait que sa conclusion personnelle. L’objet véritable de la condition de résidence, a‑t‑il été soutenu, était de priver les membres de la bande vivant hors réserve du droit de participer à l’administration de leur bande, et ce, en vue de les assimiler. Il s’agissait donc là d’un objet inconstitu-tionnel et discriminatoire.

[25]Subsidiairement, il a été allégué que l’objet indiqué par le défendeur était illogique. Les conseillers vivant sur la réserve ne seraient pas plus accessibles à la majorité des membres de la bande car ceux‑ci vivent en dehors de la réserve. Mme Ashkewe a reconnu en contre‑interrogatoire que les conseillers vivant hors réserve seraient plus accessibles aux membres de la bande vivant eux aussi hors réserve. Dans l’arrêt Corbiere, précité, la Cour suprême a décidé que les conseils de bande ont un effet important sur les membres vivant hors réserve. Les demandeurs ont déposé des affidavits témoignant de leur connaissance des questions touchant la réserve, ainsi que de l’incidence des décisions du conseil sur les membres vivant hors réserve. Il a été soutenu que la condition de résidence n’avait aucun lien logique avec l’objet, car ni la Loi sur les Indiens ni le Règlement n’exigeaient un lieu particulier pour les assemblées du conseil, une fréquence particulière ou un avis de la tenue de ces assemblées, pas plus que la possibilité, pour les membres de la bande, d’y participer.

[26]Les demandeurs ont fait valoir que le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens ne satisfaisait pas au volet du critère relatif à l’atteinte minimale . Rien ne prouvait que l’on avait tenu compte de l’intérêt des demandeurs ou des membres de la bande vivant hors réserve (voir Corbiere). En contre‑interrogatoire, Mme Ashkewe a reconnu que le ministre n’avait pas envisagé de solutions de rechange au fait d’interdire aux membres vivant hors réserve de participer à l’administration de la bande. En outre, les conseils pouvaient se prévaloir de l’article 31 du Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens, C.R.C., ch. 950, pour assurer l’accès de tous les membres d’une bande aux assemblées.

[27]Pour ce qui est de la proportionnalité, les demandeurs ont fait valoir que leur droit, et celui de tous les membres de la bande vivant hors réserve, de participer au gouvernement de leur bande est un droit démocratique fondamental. Le conseil de la bande était le seul organe qui exerçait les pouvoirs conférés par la Loi sur les Indiens, il approuvait les dépenses, il protégeait les droits des membres de la bande issus de traités ou leurs droits ancestraux, et il prenait part, pour le compte de la bande, à des groupes de coordination et à des négociations politiques. La disposition contestée, a‑t‑il été allégué, avait une incidence disproportionnée sur le droit des demandeurs d’être choisis comme dirigeants de la collectivité.

c) La réparation demandée

[28]Les demandeurs ont fait valoir que la réparation appropriée serait que la Cour annule sur‑le‑champ la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens, en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]. Ils ont soutenu que la présente espèce est à distinguer de l’arrêt Corbiere, qui mettait en cause la suspension d’une déclaration d’invalidité pour des motifs administratifs importants, ainsi que le désir de permettre au gouvernement de modifier les dispositions électorales de la Loi sur les Indiens. Ils ont fait valoir que si l’on annulait la disposition, les listes des électeurs de la bande engloberaient tous les électeurs, vivant aussi bien sur la réserve qu’en dehors de la réserve. Le défendeur pouvait aviser les présidents d’élection et les bandes que tous les électeurs vivant hors réserve pouvaient siéger au conseil de la bande. Comme le ministre avait la responsabilité de choisir les dates des élections tenues selon la Loi sur les Indiens (voir l’article 74), il pouvait s’assurer que cet avis était donné avant la tenue des élections.

[29]Les demandeurs ont fait valoir, subsidiairement, que l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 permet à la Cour de déclarer l’invalidité de la condition de résidence relativement à la cause des demandeurs et de suspendre l’invalidité de la condition pour les besoins d’autres bandes. Et subsidiairement encore, ils ont allégué que la Cour peut annuler le décret pour cause d’absence de compétence et d’erreur de droit, en vertu de l’article 24 de la Charte, et suspendre pendant une période restreinte l’invalidité de la disposition, en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, afin d’informer de la décision les autres électeurs et représentants de la bande (Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1998] 1 R.C.S. 3 et Rodriguez c. Colombie‑Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519).

Les observations du défendeur

[30]Le défendeur a fait valoir qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour se prononcer sur la constitutionnalité d’une disposition qui a une incidence sur le processus électoral régissant plus de 260 bandes. Il faudrait donc que la Cour évite de rendre dans cette affaire une décision concernant la Charte. Il a allégué par ailleurs que, si les demandeurs obtenaient gain de cause pour leur demande fondée sur la Charte, une réparation fondée sur la Charte n’accorderait pas le redressement recherché. Il a fait remarquer qu’une ordonnance  radiant  les  mots  « réside  [. . .]   sur   la réserve », au paragraphe 77(1) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 32, art. 14] de la Loi sur les Indiens, ne validerait pas les résultats de l’élection tenue en 2004, mais mettrait en doute la légitimité d’une élection tenue selon des règles inconstitutionnelles.

I. Le contrôle judiciaire du décret

a) La norme de contrôle

[31]Le défendeur a fait valoir que les décisions discrétionnaires bénéficient d’un degré de déférence considérable et il a appliqué l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable (voir l’arrêt Baker, précité). Il a fait valoir ce qui suit :

1. la Loi sur les Indiens ne comporte pas de clause privative, ce qui a un effet neutre;

2. la gouverneure en conseil a de l’expertise en matière de questions d’administration et elle a édicté le Règlement qui régit l’annulation de ce genre d’élections. Sa décision est également fondée sur la recommandation du ministre, qui possède l’expertise nécessaire; le degré de déférence dont il convient de faire preuve est donc élevé;

3. l’article 79 de la Loi sur les Indiens a pour objet d’assurer la légitimité des élections et de l’administra-tion des bandes, et la procédure de contrôle de ce genre d’élections est polycentrique et axée sur des questions de portée générale. Cet exercice de pouvoir discrétion-naire justifie un degré de déférence élevé;

4. la question en jeu est une question mixte de fait et de droit, elle repose sur des faits et elle est de nature hautement discrétionnaire. Il a été allégué que ces facteurs militent en faveur de la déférence.

[32]Le défendeur a fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifeste-ment déraisonnable. Il a soutenu que la décision que la Cour a rendue dans l’affaire Nation Siksika c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CF 1342—à savoir que la norme de contrôle qui s’applique à la décision du ministre est celle de la décision raisonnable—se distingue de la présente espèce car la décision avait été prise par le ministre et ne comportait pas le même degré de pouvoir discrétionnaire. Selon le défendeur, c’est une norme de contrôle unique qui s’applique à la décision (voir Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392 (C.A.F.)).

b) Le contrôle judiciaire du décret

[33]Le défendeur a fait valoir que le ministre n’a pas commis d’erreur susceptible de révision quant au sens du mot « résidant » employé au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens. Il a soutenu que le ministre n’a pas rendu une décision susceptible de révision, et que seule la décision de la gouverneure en conseil devait faire l’objet d’un contrôle. D’après lui, les sources qu’ont citées les demandeurs trahissent leur position car, dans l’arrêt Thomson, précité, le législateur et la Cour suprême du Canada ont utilisé les termes « résidant » et « réside ordinairement » comme des synonymes.

[34]Le défendeur a fait valoir que les mots « résidence », à l’article 76, « réside ordinairement », à l’article 77, et « résidant », à l’article 75, sont utilisés comme des synonymes dans la Loi sur les Indiens. Selon lui, l’alinéa 76(1)e) autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements concernant la définition du mot « résidence » dans le but de décider si une personne est habile à voter, mais l’article 77 utilise le terme « réside ordinairement » pour décrire les conditions d’admissi-bilité à voter. En outre, le règlement définissant la résidence, pris en application de l’alinéa 76(1)e), prescrit le sens des mots « réside ordinairement ». Le défendeur a soutenu que rien ne permet de conclure que la condition de résidence qui est exigée pour l’éligibilité au conseil a un sens plus large que l’ancienne condition de résidence applicable à l’admissibilité à voter, qui figure à l’article 77.

[35]Le défendeur a fait remarquer qu’en plus de la condition de résidence, l’article 75 exige qu’une personne soit un « électeur » pour être candidat. Avant l’arrêt Corbiere, il fallait qu’une personne «réside ordinairement» sur la réserve pour être un électeur au sens de l’article 77 et, même si la condition de résidence indiquée à l’article 77 a été éliminée, elle était en vigueur à l’époque où le législateur a attribué un sens aux mots « résidence » et « réside ordinairement ». D’après le défendeur, le législateur n’aurait pas envisagé de donner un sens plus large au mot « résidant » à l’article 75 tout en imposant la condition de l’admissibilité à voter, laquelle incorporait la condition de résider ordinairement sur la réserve. Cela aurait pour effet, pour le législateur, de contrecarrer sa propre intention. Le défendeur a soutenu que le ministre n’a pas commis d’erreur en utilisant les termes « réside ordinairement » et « résidant » comme ayant le même sens que celui qu’ils ont dans la Loi sur les Indiens.

II. La constitutionnalité du paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens

[36]Le défendeur a soutenu que les demandeurs ne sont pas parvenus à établir le bien‑fondé de la prétention selon laquelle le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens contrevient à l’article 15 de la Charte. À son avis, l’arrêt Corbiere est à distinguer de la présente espèce, car il était question dans ce dernier de l’admissibilité à voter et de l’interdiction absolue de participer à l’administration de la bande. Or, le régime en cause en l’espèce permettait aux membres de la bande vivant hors réserve de voter et ne restreignait que leur éligibilité au conseil.

a) L’article 15

[37]Le défendeur a appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Law aux faits de l’espèce et a reconnu que le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens satisfait aux deux premiers volets de ce critère. Il a toutefois soutenu que la condition de résidence n’est pas discriminatoire. Selon lui, cette condition pondère des droits opposés en faisant en sorte que les membres de la bande qui vivent hors réserve ont un rôle à jouer, tout en veillant à ce que les personnes qui possèdent les liens les plus directs avec la réserve aient la capacité spéciale de diriger cette dernière.

[38]Le défendeur a fait remarquer que la portée de la décision rendue dans l’affaire Corbiere se limitait à la question de savoir si le fait de priver complètement du droit de vote les membres de la bande vivant hors réserve, en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens violait l’article 15 de la Charte. Dans l’arrêt Corbiere, les juges majoritaires ont estimé qu’un régime établissant une distinction entre les membres de la bande vivant sur la réserve et les membres vivant hors réserve serait constitutionnellement défendable dans la mesure où il ne privait pas complètement ces derniers du droit de voter. La Cour a reconnu qu’il peut être nécessaire d’établir de telles distinctions car les membres vivant sur la réserve sont ceux que les décisions du conseil de la bande touchent le plus directement.

b) L’article premier de la Charte

[39]Le défendeur a fait valoir que l’objectif urgent et réel que vise le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens est de veiller à ce que ceux qui possèdent les liens les plus directs avec la réserve aient la capacité spéciale de diriger sa destinée et, a‑t‑il ajouté, la condition de résidence est logiquement liée à cet objectif.

[40]Le défendeur a fait remarquer que, dans l’arrêt Corbiere, le fait d’interdire complètement aux membres de la bande vivant hors réserve de voter ne respectait pas le volet « atteinte minimale » du critère relatif à l’article premier de la Charte parce que cela les empêchait de participer à l’administration de la bande. Il a soutenu que la condition de résidence n’était pas une interdiction imposée aux membres de la bande vivant hors réserve de participer à l’administration de la bande, car ceux‑ci pouvaient voter aux élections du conseil de bande. En l’absence d’une interdiction complète, le critère de l’atteinte minimale n’exigeait pas que le gouvernement adopte le régime le moins attentatoire possible aux droits pour réaliser l’objectif sous‑jacent. Le gouvernement devait plutôt montrer qu’il y avait un motif raisonnable de croire que la condition de l’atteinte minimale était respectée (voir Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927).

[41]Le défendeur a soutenu que la Cour devrait s’en remettre au choix qu’a fait le législateur d’adopter un régime d’administration qui pondère les droits des membres de bande en étendant le droit de vote aux membres vivant hors réserve et en limitant l’éligibilité au conseil de bande aux membres vivant sur la réserve. Selon lui, le gouvernement n’a pas agi de façon déraisonnable en adoptant ce régime, et la condition de l’atteinte minimale a été respectée.

[42]En évaluant les effets salutaires de l’objectif par rapport à ses effets préjudiciables, le défendeur a fait valoir que les avantages qu’il y avait à garantir que les membres vivant sur la réserve avaient la capacité spéciale de contrôler la destinée de cette dernière étaient proportionnels à l’effet d’exclure les membres vivant hors réserve du conseil de bande, car ceux‑ci, en tant qu’électeurs, avaient leur mot à dire sur le plan de l’administration de la réserve.

c) La réparation demandée

[43]Le défendeur a soutenu que si la Cour venait à conclure que la condition de résidence violait l’article 15 de la Charte et n’était pas justifiée au regard de l’article premier de celle‑ci, la réparation appropriée serait une suspension de la  déclaration d’invalidité. Le gouvernement aurait besoin d’un délai raisonnable pour étudier d’autres options, étant donné que, dans le contexte actuel, il était difficile de pondérer les droits. Il a ajouté qu’une déclaration d’invalidité immédiate aurait des conséquences d’une grande portée. On mettrait en doute la légitimité des élections de bande sur tout le territoire canadien et, après la prochaine élection, de nombreux conseils de bande seraient peut‑être formés entièrement de membres de bande vivant hors réserve.

Analyse et décision

[44]Le défendeur a soulevé la question du caractère théorique de la demande juste avant l’audience, et c’est de cette question que je traiterai en premier.

[45]La question no 4

La demande de contrôle judiciaire n’a‑t‑elle qu’un caractère théorique?

Le défendeur a fait valoir que la demande de contrôle judiciaire n’avait qu’un caractère théorique parce que le mandat pour lequel les demandeurs avaient été élus était expiré et qu’une nouvelle élection avait eu lieu.

[46]À mon avis, le fondement factuel qui sous‑tend la présente demande de contrôle judiciaire a disparu. Les demandeurs ont été élus initialement le 8 novembre 2004 pour un mandat de deux ans, mais leur élection a été annulée en vertu du décret de la gouverneure en conseil, daté du 28 juin 2005. Les demandeurs ont obtenu une injonction interlocutoire le 10 août 2005, et les neuf conseillers ont tous été réintégrés dans leurs fonctions en attendant l’issue finale de la présente demande de contrôle judiciaire. Leur mandat électoral de deux ans a pris fin le 8 novembre 2006 et, le 14 décembre suivant, ils ont été réélus pour un autre mandat. Les résultats de cette élection ont fait l’objet d’un appel fondé sur des motifs de résidence le 25 janvier 2007. Même si cet appel pourrait faire l’objet d’une autre décision de la part de la gouverneure en conseil et qu’il n’est pas nécessairement pertinent aux fins de la présente espèce, il illustre néanmoins la préoccupation des demandeurs quant aux perturbations et à l’incertitude que cause le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens relativement à l’administration de la bande.

[47]Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit, à la page 353, à propos du caractère théorique :

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire. La jurisprudence n’indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s’applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s’il s’applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d’entendre. Pour être précis, je considère qu’une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel ». Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s’il estime que les circonstances le justifient.

[48]Je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire du décret est techniquement théorique. Il n’y a pas de litige actuel au sujet de la validité du décret de la gouverneure en conseil car le mandat en cause du conseil de bande est expiré.

[49]La Cour devrait‑elle exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre la présente demande de contrôle judiciaire?

La Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit sur la doctrine du caractère théorique dans l’arrêt Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3, aux paragraphes 18 à 22 :

Les remarques dans Borowski, précité, nous incitent cependant à entendre le pourvoi malgré son caractère théorique. Le juge Sopinka a énuméré, au nom de la Cour, les critères régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux d’entendre des affaires théoriques (aux p. 358‑363) :

(1) l’existence d’un débat contradictoire;

(2) le souci d’économie des ressources judiciaires;

(3) la nécessité pour les tribunaux d’être conscients de leur fonction juridictionnelle dans notre structure politique.

Le nécessaire débat contradictoire existe toujours en l’espèce. Les parties ont en effet continué de défendre avec vigueur leurs points de vue respectifs.

Quant au souci d’économiser des ressources judiciaires limitées, la Cour a maintes fois signalé que les affaires soulevant des questions importantes qui risquent d’échapper à l’examen judiciaire justifient de mettre ces ressources à contribution (Borowski, précité, p. 360; International Brotherhood of Electrical Workers, Local Union 2085 c. Winnipeg Builders’ Exchange, [1967] R.C.S. 628; Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46). Le présent pourvoi soulève une question importante au sujet du pouvoir des cours supérieures d’ordonner des mesures susceptibles de constituer une réparation efficace dans certaines catégories de cas. Dans la mesure où elles s’avèrent efficaces, les ordonnances enjoignant de rendre compte tendent à échapper à l’examen judiciaire puisque les parties peuvent s’y conformer rapidement avant l’audition de l’appel.

De plus, pour décider s’il convient d’entendre une affaire théorique, les tribunaux doivent soupeser les ressources judiciaires limitées en fonction du « coût social de l’incertitude du droit » (Borowski, précité, p. 361). Or, l’incertitude quant aux réparations permises par la Charte entraîne un coût social élevé. La Charte vise à protéger ceux qui sont le plus exposés aux dangers de la règle de la majorité; cet aspect des objectifs de la Charte ressort clairement des dispositions protégeant les droits à l’instruction dans la langue officielle parlée par la minorité. Si la Cour ne tranche pas cette question et que, de ce fait, les tribunaux ne comprennent pas bien les moyens dont ils disposent pour garantir que le comportement du gouvernement respecte la Charte, il est évident que la protection des droits garantis par la Charte risque d’être incomplète. C’est pourquoi il est justifié d’affecter des ressources judiciaires à l’examen de la présente affaire malgré la possibilité qu’elle soit devenue théorique. La décision de la Cour fournira des repères pour l’analyse de l’importante question de la nature et de l’étendue des réparations fondées sur l’art. 24 de la Charte qui doivent être accordées dans des affaires similaires.

Enfin, en décidant d’entendre le présent pourvoi, la Cour ne s’écarte pas de sa fonction juridictionnelle traditionnelle pas plus qu’elle n’empiète sur les fonctions législative ou exécutive (Borowski, précité, p. 362). La question des réparations pouvant être accordées en vertu de la Charte relève tout à fait du champ d’expertise de la Cour et ne peut pas faire l’objet d’une décision du législateur ou du pouvoir exécutif. En outre, contrairement à la situation dans l’affaire Borowski, les appelants en l’espèce ne demandent pas de répondre à une question abstraite d’interprétation de la Charte; ils ne « transforme[nt] [pas] le pourvoi en renvoi d’initiative privée » (Borowski, précité, p. 365). Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse a obtenu l’annulation en appel d’une ordonnance rendue contre lui par une cour supérieure. Même s’il est maintenant satisfait aux revendications immédiates des appelants, une décision en l’espèce contribuera à faciliter les rapports entre les parties à la présente affaire et ceux d’autres parties se trouvant dans une situation similaire.

[50]J’examinerai maintenant la question de savoir si la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre la présente demande de contrôle judiciaire, même si son fondement factuel a disparu.

[51]À mon avis, il semble y avoir en l’espèce un débat contradictoire. Les demandeurs réclament à titre de réparation une déclaration portant que la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens est inconstitutionnelle, et pas seulement une ordonnance annulant la décision prise par le décret. Le défendeur s’oppose énergiquement à une telle déclara-tion, et les arguments qu’il invoque dépassent le cadre des allégations de caractère théorique. Par exemple, il a fait valoir qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour se prononcer sur la constitutionnalité d’une disposition qui a une incidence sur le processus électoral régissant les bandes des Premières nations. Il a présenté aussi des arguments ayant pour objet d’améliorer les distinctions faites entre les membres d’une bande vivant sur la réserve et ceux vivant hors réserve dans le contexte des élections au conseil de bande.

[52]Le souci d’économie des ressources judiciaires est pertinent lorsqu’il faut décider si un tribunal doit entendre ou non une demande à caractère théorique. Cependant, le fait que la question en litige soit suffisamment importante et susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux peut prendre le pas sur les arguments concernant la rareté des ressources judiciaires. J’ai pris en considération la preuve par affidavit qui a été déposée relativement à cette requête et il appert que les questions relatives à la résidence des candidats au conseil de bande sont susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux. Ces questions sont importantes aussi pour l’administration efficace des bandes des Premières nations sur l’ensemble du territoire canadien, de même que pour le droit des particuliers de participer à l’administration représen-tative de leur bande.

[53]Le chef Wilfred King, de la Première nation de Gull Bay, a déclaré que la question de la constitutionnalité de la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens ne saurait être instruite devant une autre instance ou à un autre moment. Il a fait remarquer qu’étant donné que les postes de conseiller de bande sont d’une durée de deux ans, que les délais qu’impliquent les appels en matière d’élection, les enquêtes et le processus judiciaire sont longs, que d’énormes ressources sont requises pour soumettre une affaire à la Cour et que le défendeur dépose de nombreuses requêtes interlocutoires, il est pratiquement impossible qu’une affaire semblable soit entendue avant l’expiration du mandat des conseillers de bande dont il est question dans un décret contesté.

[54]Le chef King a déclaré n’être au courant d’aucune demande de contrôle judiciaire relative à un appel en matière d’élection interjeté en vertu de la Loi sur les Indiens et mettant en cause le ministère de la Justice qui ait atteint le stade de l’audition. Il a attribué ce fait aux délais en cause. Il a ajouté que, à sa connaissance, le seul appel en matière d’élection ayant fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire qui a atteint le stade de l’auditon était celui de l’élection coutumière d’une bande qui ne mettait pas en cause le ministère de la Justice (voir Hartley).

[55]Un autre facteur qui est pertinent lorsqu’il s’agit de déterminer s’il convient d’entendre ou non une affaire théorique est le coût social de l’incertitude de la loi. L’affidavit du chef King révèle que les incertitudes concernant la validité de la condition de résidence contestée portent préjudice à l’administration de la Première nation de Gull Bay et à celle d’autres bandes au Canada. Selon le chef King, les appels en matière d’élection fondés sur la condition de résidence sont une source de perturbations récurrentes pour l’administration quotidienne de la Première nation de Gull Bay, pour les projets que le conseil de la bande de Gull Bay entreprend pour le compte de tous les membres de la bande, ainsi que pour le choix de représentants par les membres de la bande. Les appels en matière d’élection interjetés pour ce motif occasionnent également d’importantes dépenses de temps, d’énergie et de ressources financières à la bande et aux conseillers.

[56]Le chef King a déclaré que les sommes dépensées pour la tenue d’élections inutiles privent les membres de la bande de fonds qui pourraient servir à répondre aux besoins urgents d’amélioration des logements et des systèmes d’approvisionnement en eau et en électricité, ainsi qu’aux autres besoins sociaux, sanitaires et éducatifs. Enfin, si le quorum ne peut être atteint, le conseil de la bande se trouve dans l’impossibilité d’approuver des opérations financières et juridiques qui ont d’importantes répercussions pour la bande. À mon avis, l’incertitude de la loi quant aux conditions de résidence contestées entraîne d’importan-tes conséquences sociales pour la bande de Gull Bay et d’autres bandes au Canada.

[57]Enfin, je reconnais qu’il est nécessaire que la Cour soit sensible au rôle juridictionnel qu’elle joue au sein de notre cadre politique. Toutefois, le fait de se prononcer sur la constitutionnalité d’une disposition législative relève parfaitement de sa compétence et n’enlève rien au rôle du législateur.

[58]À mon avis, les facteurs que j’ai énumérés ci‑dessus mènent à la conclusion que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre la demande. Il est toutefois important de rappeler le principe selon lequel la Cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle tranche des questions de constitution-nalité, même si le litige réel a cessé d’exister. La Cour suprême du Canada a fait des observations à ce sujet dans l’arrêt Phillips c. Nouvelle‑Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, au paragraphe 12 :

Cette pratique s’applique à plus forte raison quand le fondement de la cause a cessé d’exister. En pareil cas, notre Cour doit se prononcer sur une situation hypothétique et non sur un litige réel. Entre alors en jeu la théorie du caractère théorique, en vertu de laquelle un tribunal refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher des questions théoriques, sauf si, entre autres, il s’agit d’une question urgente susceptible de ne jamais être soumise aux tribunaux. Voir l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342. La pratique s’applique en dépit du fait que le pourvoi a été plaidé sur le fondement qui n’existe plus. Ainsi, dans l’arrêt Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, notre Cour a appris durant l’audience que l’appelante, qui en appelait d’une ordonnance lui interdisant de se faire avorter, avait obtenu un avortement. La Cour s’est sentie obligée d’examiner les questions juridiques concernant l’opportunité d’accorder une injonction en pareille situation, parce qu’étant donné la nature de la question litigieuse, il serait difficile ou impossible pour une autre femme dans cette situation délicate d’obtenir à temps une décision de notre Cour. La Cour a toutefois refusé de trancher la question du droit du fœtus à la protection de l’art. 7 de la Charte, et a dit, aux pp. 571 et 572 :

Comme nous l’avons souligné, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire de poursuivre l’audition du pourvoi bien qu’il fût devenu théorique, afin de résoudre l’importante question juridique qu’il soulevait et donner ainsi des éclaircissements sur la situation des femmes se trouvant à faire face aux difficultés rencontrées par Mme Daigle. Ce serait tout autre chose cependant de traiter d’autres questions juridiques qu’il n’est pas nécessaire d’aborder pour atteindre cet objectif. [Souligné dans l’original.] La jurisprudence de notre Cour indique qu’il convient d’éviter en matière constitutionnelle toute déclaration inutile : Morgentaler (no 2), [[1988] 1 R.C.S. 30], à la p. 51; Borowski, [[1989] 1 R.C.S. 342]; John Deere Plow Co. v. Wharton, [1915] A.C. 330 (C.P.), à la p. 339; Winner v. S.M.T. (Eastern) Ltd., [1951] R.C.S. 887, à la p. 915. [Je souligne.]

[59]Je suis d’avis que la présente demande soulève d’importantes questions au sujet de la constitutionnalité d’une disposition qui est susceptible de n’être jamais soumise aux tribunaux et qui se pose constamment dans le contexte des élections des bandes. Bien qu’elles ne soient peut‑être pas « actuelles » dans le contexte du contrôle du décret, ces questions représentent certaine-ment une controverse actuelle entre les parties, qu’il faudrait régler. En conséquence, la Cour exercera son pouvoir discrétionnaire et entendra la demande, même si celle‑ci est théorique.

[60]La question no 1

Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la gouverneure en conseil?

La décision contestée est celle qu’a prise la gouverneure en conseil d’annuler l’élection des conseillers de bande, en application de l’alinéa 79c) de la Loi sur les Indiens. Les facteurs à examiner lorsqu’on applique l’approche pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable sont les suivants (voir l’arrêt Baker) :

1. la présence d’une clause privative;

2. l’expertise du décideur par rapport à la question en litige;

3. l’objet de la Loi dans son ensemble et de la disposition en particulier; et

4. la question de savoir si le problème est une question de fait ou de droit.

[61]La Loi sur les Indiens ne contient pas de clause privative. Je suis d’accord avec le défendeur que l’absence d’une telle clause est un facteur neutre (voir Giroux c. Première nation de Swan River, 2006 CF 285, au paragraphe 54).

[62]Dans la présente affaire, le décideur est la gouverneure en conseil, ce qui milite en faveur d’un degré supérieur de déférence. En outre, cette dernière a exercé son pouvoir discrétionnaire sur la recomman-dation du ministre qui, peut‑on le présumer, a une certaine expertise dans l’application des dispositions électorales de la Loi sur les Indiens et du Règlement. Selon moi, ce facteur milite en faveur d’un degré supérieur de déférence. Je crois cependant que l’interprétation qu’a faite la gouverneure en conseil des dispositions législatives concernant la résidence constitue une question de droit et qu’il convient donc de la contrôler selon la norme de la décision correcte.

[63]Les dispositions législatives de nature polycentrique exigent plus de déférence que celles qui touchent directement les droits de particuliers. L’objet général de l’article 79 de la Loi sur les Indiens est d’assurer la légitimité des élections des bandes. Toutefois, je reconnaîtrais aussi que les demandeurs ont été personnellement touchés par la décision d’annuler les résultats de l’élection, puisqu’ils ont été empêchés de devenir des représentants au sein du conseil de bande. Je signalerais en outre que le Règlement permet aux candidats visés de répondre aux allégations soulevées dans un appel en matière d’élection. Selon moi, ce facteur dénote qu’il faut faire preuve d’un degré moyen de déférence envers la décision de la gouverneure en conseil.

[64]Enfin, la question en litige était hautement discrétionnaire et comportait l’application de conclu-sions factuelles à l’interprétation faite par la gouver-neure en conseil des dispositions électorales. Il s’agissait donc d’une question mixte de fait et de droit, ce qui justifie un degré moyen de déférence. Quant à la question de l’interprétation du libellé des conditions de résidence, je crois toutefois qu’il s’agit d’une question de droit, qui ne justifie aucune déférence.

[65]Après avoir pris en considération les facteurs pertinents, je conclus que la norme de contrôle qui s’applique à la décision globale de la gouverneure en conseil est celle de la décision raisonnable. Cependant, la façon dont cette dernière a interprété le libellé des conditions de résidence énoncées dans la législation est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Il n’est nul besoin de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle de questions d’équité procédurale, car il est bien établi que les questions de cette nature sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[66]Je me propose de régler maintenant les questions nos 2 et 3 que les demandeurs ont soulevées.

[67]La question no 2

La gouverneure en conseil a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs?

Il est bien établi que les autorités publiques ont une obligation d’équité procédurale envers les particuliers lorsqu’elles prennent des décisions administratives qui ont une incidence sur les droits de ces derniers (voir Cardinal et autres c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la page 653). Étant donné que la teneur de cette obligation est variable, les facteurs suivants aident à déterminer quel est le degré d’équité procédurale qu’il convient d’accorder (voir Baker) :

1. la nature de la décision rendue et le processus suivi pour y parvenir;

2. la nature du régime législatif et le rôle que joue la disposition particulière au sein de ce régime;

3. l’importance de la décision pour les personnes visées;

4. les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

5. le choix de procédure que fait l’organisme en prenant la décision.

[68]En ce qui concerne le premier facteur, même s’il ne semble pas que le processus que la gouverneure en conseil a suivi pour rendre sa décision soit de nature juridictionnelle, le Règlement procure cependant aux candidats certains droits procéduraux qui leur donnent la possibilité de répondre aux allégations concernant leur éligibilité au conseil de bande. Je signale également que les candidats peuvent produire des affidavits à l’appui de leur réponse. Ce facteur dénote que ce sont plus que des garanties procédurales minimales qui sont justifiées.

[69]La nature du régime législatif et le rôle que joue la disposition particulière au sein de ce système—c’est là le deuxième facteur—dénotent aussi plus qu’un faible degré d’équité procédurale. Les articles 12 à 14 [art. 12 (mod. par DORS/2000-391, art. 11)] du Règlement exposent la procédure à suivre dans le cas d’un appel en matière d’élection. Aux termes de l’article 12, lorsqu’un appel est interjeté, une copie du document introductif d’appel et des pièces à l’appui doit être transmise à chacun des candidats. Dans les 14 jours suivant la réception de la copie de l’appel, les candidats peuvent envoyer une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, ainsi que toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment. Enfin, tous les détails et toutes les pièces déposés conformément à cet article forment le dossier.

[70]Le ministre peut procéder à d’autres enquêtes si les documents figurant dans le dossier ne sont pas suffisants pour déterminer la validité de l’élection. Il peut également désigner un enquêteur, qui doit alors produire un rapport de l’enquête. Enfin, le ministre formule une recommandation au gouverneur en conseil, qui a le pouvoir discrétionnaire de rendre la décision finale.

[71]Le troisième facteur consiste à déterminer l’importance de la décision pour les personnes visées. La décision d’annuler l’élection des neuf conseillers de bande était importante pour chacun des candidats, car il leur était interdit d’exercer leurs fonctions de représentation à titre de conseillers de bande. Je crois que le droit de participer à l’administration représen-tative de leur bande était, pour les demandeurs, d’une importance fondamentale, et ce facteur justifiait plus qu’un degré minimal d’équité procédurale.

[72]Le défendeur a fait valoir que la décision d’annuler les résultats d’élection de tous les conseillers de bande était semblable à celle d’annuler un référen-dum de bande (voir Nation Siksika). À mon avis, cette comparaison n’est pas utile, car les droits importants des personnes visées par la décision étaient de nature différente de ceux dont il est question dans le contexte d’un référendum.

[73]Le quatrième facteur n’est pas établi au vu de la preuve. Je conviens avec le défendeur qu’il n’y a aucune preuve que les demandeurs s’attendaient de façon légitime à ce que l’on suive une procédure particulière autre que celle prescrite par le Règlement.

[74]Le cinquième facteur comporte un examen du choix de procédure qu’a fait le décideur. Il ne semble pas y avoir de procédure détaillée pour faire enquête sur la légitimité des élections d’un conseil de bande, autre que celle exposée dans le Règlement. À mon avis, ce facteur dénote qu’un degré moindre d’équité procédu-rale était justifié.

[75]L’analyse qui précède m’amène à exprimer l’avis que, dans les circonstances de l’espèce, c’était plus que des garanties procédurales minimales qui étaient dues aux demandeurs.

[76]Les demandeurs ont fait valoir que la gouverneure en conseil a manqué aux règles d’équité procédurale en ne leur fournissant pas les documents additionnels qui ont été soumis au ministre lors du processus d’appel, et sur lesquels elle s’est fondée pour rendre sa décision. La gouverneure en conseil, ont‑ils allégué, ne les a donc pas dûment avisés des allégations portées contre eux et les a privés de la possibilité de répondre. Le même argument a été invoqué à propos du rapport d’enquête de M. Dyck.

[77]En contre‑interrogatoire, Mme Lynn Ashkewe a déclaré que les documents additionnels déposés à l’égard des appels relatifs à l’élection n’ont pas été fournis aux demandeurs. Le défendeur a fait valoir que, selon le Règlement, le ministre n’était pas tenu de fournir une copie de ces documents aux demandeurs, ni de leur donner la possibilité de répondre aux renseigne-ments que contenaient ces documents.

[78]À mon avis, le Règlement établit deux mécanismes par lesquels le ministre peut recueillir des renseignements sur un appel en matière d’élection. L’un de ces mécanismes est prévu à l’article 12 du Règlement. Le ministre obtient en premier les détails de l’appel, au moyen d’un affidavit en bonne et due forme, de la part de ceux qui ont interjeté l’appel. Une fois ce processus terminé, toutes les pièces se rapportant à l’appel qui ont été obtenues au cours de ce processus doivent être transmises à chaque candidat, avec une copie de l’appel. Les candidats peuvent alors répondre aux allégations et aux documents qui leur ont été communiqués. Aux termes du paragraphe 12(4) du Règlement, tous les détails et toutes les pièces déposés conformément à l’article 12 constituent le dossier. À mon avis, l’article 12 exige que le dossier soit uniquement constitué des documents suivants qui y sont mentionnés :

- les allégations des personnes interjetant l’appel;

- les détails de ces allégations, au moyen d’un affidavit en bonne et due forme;

- la réponse écrite des candidats aux détails exposés dans l’appel;

- toutes les pièces justificatives rapportant à la réponse des candidats, dûment certifiées sous serment.

[79]L’obligation d’équité procédurale qui s’applique dans les circonstances n’est pas rigoureuse au point d’exiger la tenue d’une audition, mais, selon moi, elle exige bel et bien que l’on communique aux candidats dont on conteste l’éligibilité au conseil de bande la totalité des allégations et des pièces s’y rapportant qui ont été ajoutées au dossier dans le cadre du processus exposé à l’article 12 du Règlement. Je conclus donc qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité procé-durale due aux demandeurs pour non‑communication des documents additionnels obtenus dans le cadre de la procédure exposée à l’article 12 du Règlement.

[80]Le second mécanisme par lequel le ministre peut recueillir des renseignements sur la validité d’une élection est la tenue d’une enquête, prévue à l’article 13 du Règlement. En contre‑interrogatoire, Mme Lynn Ashkewe a déclaré que le rapport d’enquête de M. Dyck n’a pas été fourni aux demandeurs. Selon l’affidavit de M. Dyck, ce dernier a généralement pour pratique d’informer les témoins que leur nom et d’autres renseignements demeureront confidentiels. Il a expliqué que, sans la garantie de confidentialité, il lui serait impossible d’obtenir les renseignements nécessaires.

[81]À cause de ma conclusion qui précède au sujet d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale, je n’ai pas à décider s’il aurait fallu communiquer aux demandeurs ces renseignements additionnels.

[82]Vu le degré moyen d’équité procédurale qui est justifié en l’espèce, je suis d’avis qu’il convient de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire au motif que l’obligation d’équité procédurale due aux demandeurs n’a pas été respectée. J’estime que les demandeurs avaient au moins droit à la communication des documents déposés en vertu de l’article 12 du Règlement au sujet des allégations portées contre eux.

[83]La question no 3

La condition de « résidence » sur la réserve, prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens, viole‑t‑elle l’article 15 de la Charte en privant les demandeurs de la possibilité de faire partie du conseil de la Première nation de Gull Bay pour le motif analogue reconnu qu’est l’autochtonité‑lieu de résidence?

Dans l’arrêt Law, précité, la Cour suprême du Canada a exposé le critère à trois volets qui permet de déterminer si une disposition législative viole l’article 15 de la Charte :

1. La loi a‑t‑elle pour objet ou pour effet d’imposer une différence de traitement entre le demandeur et d’autres personnes?

2. La différence de traitement est‑elle fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues?

3. La loi en question a‑t‑elle un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d’égalité?

[84]Les deux parties conviennent que les premier et deuxième volets du critère énoncé dans l’arrêt Law sont établis au vu des faits de l’espèce. Je partirai donc de l’hypothèse que le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens impose une différence de traitement entre les membres de la bande vivant sur la réserve et les membres de la bande vivant hors réserve et que l’« autochtonité‑lieu de résidence » est un motif analogue de discrimination. Le principal point litigieux entre les parties concerne le troisième volet de l’analyse. Il me faut donc décider si le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens a un objet ou un effet discriminatoires au sens de la garantie d’égalité.

[85]Les facteurs qui suivent peuvent être pris en considération pour évaluer si une loi porte atteinte à l’article 15 de la Charte (voir le paragraphe 88 de l’arrêt Law) :

1. la préexistence d’un désavantage, de stéréotypes, de préjugés ou de vulnérabilité subis par la personne ou le groupe en cause;

2. la correspondance, ou l’absence de correspondance, entre le ou les motifs sur lesquels l’allégation est fondée et les besoins;

3. l’objet ou l’effet d’amélioration de la loi contestée eu égard à une personne ou un groupe défavorisés dans la société; et

4. la nature et l’étendue du droit touché par la loi contestée.

[86]La Cour suprême a appliqué les facteurs qui précèdent dans le contexte de la privation du droit de vote des membres de bande vivant hors réserve en application de l’article 77 de la Loi sur les Indiens et elle est arrivée à la conclusion suivante (voir les paragraphes 17 et 18 de l’arrêt Corbiere) :

Appliquant les facteurs énoncés dans Law qui sont pertinents en l’espèce—la préexistence d’un désavantage ainsi que la correspondance du droit touché et son importance —, nous concluons que la réponse à cette question est affirmative. La distinction reprochée perpétue le désavantage historique vécu par les membres hors réserve des bandes indiennes en les privant de leur droit de voter et de participer à l’administration de leur bande. Ces personnes ont des intérêts importants à faire valoir en ce qui concerne l’administration de la bande, ce que la distinction les empêche de faire. Ils sont copropriétaires de l’actif de la bande. Qu’ils y vivent ou non, la réserve est leur territoire et celui de leurs enfants. En tant que membres de la bande ils sont représentés par le conseil de la bande auprès de la communauté en général, tant au sein des organisations autochtones que dans le cadre des négociations avec le gouvernement. Bien qu’il existe des sujets d’intérêt purement local qui ne touchent pas aussi directement les intérêts des membres hors réserve des bandes indiennes, la privation complète de leur droit de voter et de participer à l’administration de leur bande a pour effet de les traiter comme des individus moins dignes de reconnaissance et n’ayant pas droit aux mêmes avantages et ce, non pas parce que leur situation justifie ce traitement, mais uniquement parce qu’ils vivent en dehors de la réserve. L’importance du droit touché ressort des conclusions de la Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), vol. 1, Un passé, un avenir, aux pp. 147 à 206. La Commission royale écrit ceci dans le vol. 4, Perspectives et réalités, à la p. 586 :

Tout au long des audiences, les autochtones ont rappelé à la Commission qu’il est essentiel pour eux de préserver et d’enrichir leur identité culturelle quand ils vivent en milieu urbain. L’identité autochtone est l’essence de l’existence des peuples autochtones. La préservation de cette identité est donc un objectif fondamental et valorisant pour les autochtones citadins.

Et elle ajoute ce qui suit, aux pp. 589 et 590 :              

De plus, les autochtones citadins associent l’identité culturelle à la notion d’assise territoriale ou de territoire ancestral. Pour nombre d’entre eux, ces deux concepts sont indissociables. […] Il est important pour les autochtones citadins de pouvoir s’identifier à un lieu ancestral, en raison des rituels, des cérémonies et des traditions qui y sont associés, des gens qui y vivent, du sentiment d’appartenance, du lien avec une communauté ancestrale et de la possibilité d’accéder à la famille, à la communauté et aux anciens.

Compte tenu de tout ce qui précède, il est clair que la privation du droit de vote découlant du par. 77(1) est discriminatoire. Cette privation refuse aux membres hors réserve des bandes indiennes, sur le fondement arbitraire d’une caractéristique personnelle, le droit de participer pleinement à l’administration de leur bande respective. Elle touche à l’identité culturelle des Autochtones hors réserve par l’effet de stéréotypes. Elle présume que les Autochtones hors réserve ne sont pas intéressés à participer concrètement à la vie de leur bande ou à préserver leur identité culturelle, et qu’ils ne sont donc pas des membres de leur bande aussi méritants que les autres. L’effet, comme le message, est clair : les membres hors réserve des bandes indiennes ne sont pas aussi méritants que les membres qui vivent dans les réserves. Cette situation soulève l’application de l’aspect dignité de l’analyse fondée sur l’art. 15 et entraîne le déni du droit à l’égalité réelle.

[87]À mon avis, l’application de ces facteurs à la présente espèce amène également à conclure que les membres de la bande vivant hors réserve sont victimes de discrimination au sens du troisième volet du critère énoncé dans l’arrêt Law.

[88]Comme il est dit dans l’arrêt Corbiere, les membres de bande vivant hors réserve ont subi un désavantage historique à cause de lois et de politiques conçues pour les priver du droit de participer à l’administration de leur bande. Ces lois perpétuent l’idée erronée que les membres d’une bande qui vivent hors réserve n’ont aucun intérêt à prendre part à l’administration de leur bande et qu’ils sont donc moins dignes de le faire.

[89]À mon avis, il ne semble pas y avoir de correspondance entre la volonté ou la capacité des membres d’une bande vivant hors réserve de participer au conseil de bande et leur statut sur le plan de la résidence. Selon une preuve par affidavit que les demandeurs ont soumise, le conseil de bande destitué, dont faisaient partie des membres vivant hors réserve, a accompli son travail avec diligence pour atténuer de sérieux problèmes dans la réserve de Gull Bay, ainsi qu’au sein de la collectivité de la Première nation de Gull Bay en général.

[90]Le défendeur a fait valoir que la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens avait un objet d’amélioration en ce sens qu’elle garantissait que les conseillers de la bande étaient situés sur la réserve et avaient une connaissance directe des questions nécessitant la prise de décisions. Comme il est signalé plus haut dans l’arrêt Corbiere, en plus de traiter des questions locales, les conseils de bande représentent les personnes qui vivent en dehors de la réserve à de nombreux titres importants. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que le fait de réserver les postes du conseil de bande à des membres vivant sur la réserve, et d’en exclure les membres vivant hors de la réserve, aide un groupe plus défavorisé. En fait, en contre‑ interrogatoire, Mme Lynn Ashkewe a reconnu que le fait d’avoir un conseil de bande composé uniquement de membres vivant sur la réserve ne rendrait pas le conseil plus accessible à la majorité des membres, qui vivent hors de la réserve.

[91]Enfin, la nature et l’étendue du droit touché revêtent une importance fondamentale pour les membres de la bande qui vivent hors réserve. La condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) prive les personnes vivant hors réserve de la capacité de participer à l’administration représentative de leur bande. Bien que les membres vivant hors réserve aient maintenant le droit de voter aux élections du conseil de bande, je crois encore qu’ils détiennent le droit fondamental de participer au conseil de bande et de prendre des décisions pour le compte de leur bande. Dans le contexte de la Première nation de Gull Bay, cette interdiction s’applique à plus de la moitié des membres de la bande et empêche ces derniers de devenir des dirigeants de leur bande.

[92]À mon avis, le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande par l’intermédiaire du conseil de bande, en raison de leur statut sur le plan de l’« autochtonité‑lieu de résidence ».

[93]La question no 4

Si cette condition de « résidence » viole l’article 15 de la Charte, peut‑elle se justifier dans une société libre et démocratique au sens de l’article premier de la Charte?

Pour qu’une violation de la Charte se justifie dans une société libre et démocratique au sens de l’article premier, il faut qu’elle satisfasse au critère suivant (voir Egan c. Canada, [1995] 2 R.C.S. 513) :

1. L’objectif législatif est‑il urgent et réel?

2. Le moyen utilisé pour atteindre l’objectif législatif est‑il raisonnable et peut‑il se justifier dans une société libre et démocratique?

a) la violation des droits doit avoir un lien rationnel avec l’objectif législatif;

b) la disposition contestée doit porter le moins possible atteinte au droit garanti par la Charte;

c) il doit y avoir proportionnalité entre l’effet de la mesure et son objectif de sorte que l’atteinte au droit garanti ne l’emporte pas sur la réalisation de l’objectif législatif.

[94]Le défendeur a fait valoir que la condition de résidence prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens a pour objectif de veiller à ce que ceux qui possèdent les liens les plus directs avec la réserve aient la capacité spéciale de décider de son avenir. À mon avis, cet objectif satisfait le faible seuil que prévoit le premier volet du critère, et il peut légitimement être qualifié d’urgent et de réel. Il y a aussi un lien logique à première vue avec le fait de restreindre la capacité de participer au conseil de bande aux personnes vivant sur la réserve, car ces dernières sont susceptibles de posséder les liens les plus directs avec la réserve (voir Corbiere, précité, au paragraphe 101).

[95]À mon avis toutefois, le fait d’interdire purement et simplement aux membres vivant hors réserve de participer au conseil de bande ne constitue pas une atteinte minimale à leurs droits à l’égalité. Dans l’arrêt Corbiere, la Cour suprême a traité du volet « atteinte minimale » du critère, au paragraphe 21 :

Même en admettant qu’une certaine distinction puisse être justifiée pour protéger des intérêts légitimes des membres des bandes indiennes qui vivent dans les réserves, il n’a pas été démontré qu’il est nécessaire de nier complètement aux membres hors réserve de ces bandes le droit de participer aux affaires de leur bande respective par le processus démocratique des élections. Certaines parties ainsi que des intervenants ont fait état de la possibilité d’établir des conseils à deux paliers, de réserver des sièges aux membres hors réserve des bandes ou d’instaurer des votes à double majorité sur certaines questions. Les appelantes soutiennent que le maintien d’une liste électorale sur laquelle seraient inscrits les membres hors réserve des bandes indiennes et l’établissement d’un système d’administration permettant de mettre en équilibre les droits des membres des bandes qui habitent les réserves et ceux des membres hors réserve impliquent des coûts et des difficultés considérables. Toutefois, elles ne présentent pas d’élément de preuve quant aux efforts qui auraient été déployés ou aux mécanismes qui auraient été envisagés et à leurs coûts, ni d’arguments ou de précédents au soutien de la conclusion que le déni complet du droit constitutionnel pourrait être justifié par de tels coûts et des inconvénients d’ordre administratif. Dans les circonstances, nous devons conclure qu’il n’a pas été démontré que l’atteinte peut être justifiée.

[96]Selon le défendeur, la Cour suprême du Canada a statué que l’article 77 de la Loi sur les Indiens ne satisfaisait pas au volet « atteinte minimale » du critère relatif à l’article premier parce qu’il n’avait pas été établi que la « privation complète » du droit des membres de la bande vivant hors réserve de participer aux affaires de la bande par l’entremise du processus démocratique des élections était nécessaire. Je ne crois pas que, dans la présente espèce, le défendeur a établi que la privation complète du droit des membres de la bande vivant hors réserve de devenir conseillers de la bande soit nécessaire pour réaliser ses objectifs. D’autant plus qu’aucune preuve n’a été produite pour montrer que des efforts ont été déployés en vue de trouver des solutions de rechange à cette interdiction pure et simple.

[97]Compte tenu de ma conclusion selon laquelle le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens ne constitue pas une atteinte minimale aux droits des membres de la bande vivant hors réserve, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse de proportionnalité.

[98]Je suis d’avis que le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens viole l’article 15 de la Charte et qu’il n’est pas justifié au regard de l’article premier de la Charte.

[99]La question no 5

Quelle réparation convient‑il d’accorder aux demandeurs si la Cour conclut que la condition de « résidence » prévue au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens est inconstitutionnelle et que, de ce fait, le décret C.P. 2005‑1289 a été pris sans compétence et constitue une erreur de droit?

À mon avis, la réparation qui convient en l’espèce est de suspendre la déclaration d’invalidité de la disposition, en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, pendant une période de neuf mois afin de permettre aux électeurs de la bande de prendre connaissance de la décision et de donner du temps au défendeur pour modifier la disposition de façon qu’elle ne viole plus la Charte.

[100]La demande de contrôle judiciaire est accueillie comme cela est noté ci‑dessus.

[101]Les demandeurs auront droit à leurs dépens pour la demande.

ANNEXE

Dispositions législatives pertinentes

La présente section contient les dispositions législatives pertinentes.

La Charte canadienne des droits et libertés :

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

[. . .]

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

[. . .]

24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

La Loi constitutionnelle de 1982 :

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

La Loi sur les Indiens :

74. (1) Lorsqu’il le juge utile à la bonne administration d’une bande, le ministre peut déclarer par arrêté qu’à compter d’un jour qu’il désigne le conseil d’une bande, comprenant un chef et des conseillers, sera constitué au moyen d’élections tenues selon la présente loi.

[. . .]

75. (1) Seul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande.

[. . .]

76. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des décrets et règlements sur les élections au sein des bandes et, notamment, des règlements concernant :

[. . .]

e) la définition de « résidence » aux fins de déterminer si une personne est habile à voter.

77. (1) Un membre d’une bande, qui a au moins dix‑huit ans et réside ordinairement sur la réserve, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée comme candidat au poste de chef de la bande et, lorsque la réserve, aux fins d’élection, ne comprend qu’une section électorale, pour voter en faveur de personnes présentées aux postes de conseillers.

(2) Un membre d’une bande, qui a dix‑huit ans et réside ordinairement dans une section électorale établie aux fins d’élection, a qualité pour voter en faveur d’une personne présentée au poste de conseiller pour représenter cette section.

[. . .]

79. Le gouverneur en conseil peut rejeter l’élection du chef ou d’un des conseillers d’une bande sur le rapport du ministre où ce dernier se dit convaincu, selon le cas :

[. . .]

b) qu’il s’est produit une infraction à la présente loi pouvant influer sur le résultat de l’élection;

c) qu’une personne présentée comme candidat à l’élection ne possédait pas les qualités requises.

Le Règlement sur les élections au sein des bandes d’Indiens [art. 2 « électeur » (mod. par DORS/2000-391, art. 1), 3 (mod. idem, art. 2)] :

2. Dans le présent règlement,

[. . .]

« électeur » S’entend, à l’égard de l’élection du chef ou des conseillers d’une bande, d’une personne ayant les qualités requises pour voter à cette élection en vertu de l’article 77 de la Loi.

[. . .]

3. Les règles suivantes déterminent l’interprétation de l’expression « réside ordinairement » en ce qui concerne la résidence d’un électeur dans une réserve qui est, aux fins de vote, divisée en plus d’une section électorale :

a) sous réserve des autres dispositions du présent article, la question de savoir où une personne réside ou résidait ordinairement à une époque déterminée ou pendant une période de temps déterminée doit être élucidée en se référant à toutes les circonstances du cas;

b) le lieu de la résidence ordinaire d’une personne est en général l’endroit qui a toujours été ou qu’elle a adopté comme étant le lieu de son habitation ou de son domicile, où elle entend revenir lorsqu’elle s’en absente et, en particulier, lorsqu’une personne couche habituellement dans un endroit et mange ou travaille dans un autre endroit, le lieu de sa résidence ordinaire est celui où la personne couche;

c) une personne ne peut avoir qu’un seul lieu de résidence ordinaire, et elle ne peut le perdre sans en acquérir un autre;

d) l’absence temporaire du lieu de résidence ordinaire n’entraîne ni la perte ni le changement du lieu de résidence ordinaire.

[. . .]

12. (1) Si, dans les quarante‑cinq jours suivant une élection, un candidat ou un électeur a des motifs raisonnables de croire :

a) qu’il y a eu manœuvre corruptrice en rapport avec une élection,

b) qu’il y a eu violation de la Loi ou du présent règlement qui puisse porter atteinte au résultat d’une élection, ou

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inéligible,

il peut interjeter appel en faisant parvenir au sous‑ministre adjoint, par courrier recommandé, les détails de ces motifs au moyen d’un affidavit en bonne et due forme.

(2) Lorsqu’un appel est interjeté au titre du paragraphe (1), le sous‑ministre adjoint fait parvenir, par courrier recommandé, une copie du document introductif d’appel et des pièces à l’appui au président d’élection et à chacun des candidats de la section électorale visée par l’appel.

(3) Tout candidat peut, dans un délai de 14 jours après réception de la copie de l’appel, envoyer au sous‑ministre adjoint, par courrier recommandé, une réponse par écrit aux détails spécifiés dans l’appel, et toutes les pièces s’y rapportant dûment certifiées sous serment.

(4) Tous les détails et toutes les pièces déposés conformément au présent article constitueront et formeront le dossier.

[. . .]

14. Lorsqu’il y a lieu de croire

[. . .]

c) qu’une personne présentée comme candidat à une élection était inadmissible à la candidature,

Le Règlement sur le mode de procédure au conseil des bandes d’Indiens :

31. Le conseil peut, s’il l’estime nécessaire, établir tout règlement interne, qui ne soit pas en contradiction au présent règlement, en ce qui concerne des points qui n’y sont pas spécifiquement prévus.

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