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A‑417‑06

2007 CAF 349

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Joseph Taylor (intimé)

Répertorié : Taylor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juges Desjardins, Décary et Ryer, J.C.A.—Vancouver, 18 septembre; Ottawa, 2 novembre 2007.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Appel de la décision par laquelle la Cour fédérale a conclu que l’intimé est un citoyen canadien et a ordonné qu’un certificat de citoyenneté lui soit délivré — L’intimé est né au R.‑U. en 1944 hors des liens du mariage d’un père canadien et d’une mère britannique — Il est débarqué au Canada avec sa mère en 1946, mais il est retourné en Angleterre avant l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15 (la Loi de 1947) — Il soutenait que les dispositions de la Loi de 1947 établissant que la citoyenneté était fonction de la situation matrimoniale des parents et prévoyant que la demande devait être présentée avant son 24e anniversaire pour conserver la citoyenneté violaient la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits — Cet argument donnerait à la Charte un effet rétrospectif qu’elle ne peut avoir — Pour obtenir le statut de citoyen après l’entrée en vigueur de la Loi de 1947, l’intimé devait satisfaire à l’une de ses dispositions, ce qui n’était pas le cas — Même si l’intimé avait satisfait à ces dispositions, il était visé par les dispositions relatives à la perte de citoyenneté prévues aux art. 4(2) (édicté par S.C. 1952‑53, ch. 23, art. 2) et 20 de la Loi de 1947 — Appel accueilli.

Interprétation des lois — La Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15 était une consolidation des lois et des statuts précédents, elle constituait un code complet au sujet de la citoyenneté canadienne et elle a substitué la citoyenneté canadienne au statut de sujet britannique ou à la nationalité canadienne — L’art. 46 de la Loi établissait clairement que pour un citoyen canadien qui n’est pas né au Canada, le fait de posséder un statut national avant l’entrée en vigueur de la Loi ne lui conférait pas automatiquement le statut de citoyen canadien.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — L’art. 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15 (la Loi de 1947) opère une distinction entre les enfants nés hors du Canada dans les liens du mariage et hors des liens du mariage — La présumée discrimination découle de la Loi de 1947 — Cette Loi a été abrogée par la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974‑75‑76 (la Loi de 1977) — L’application de l’art. 15 de la Charte à l’art. 4b) de la Loi de 1947 donnerait à la Charte un effet rétrospectif qu’elle ne peut avoir — L’argument selon lequel les art. 3(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, opère une distinction en raison de la date de naissance de l’intimé entraînait aussi une application rétrospective de la Charte puisqu’il intègre l’art. 4b) de la Loi de 1947 dans la Loi actuelle.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — Le principe de justice fondamentale prévu à l’art. 7 de la Charte n’exige pas une audition et un préavis équitables avant que le citoyen se voie retirer sa citoyenneté.

Déclaration des droits — Comme il n’y avait aucune procédure administrative en question, ni le concept d’audition impartiale, mentionné à l’art. 2e) de la Déclaration canadienne des droits ni celui d’application régulière de la loi n’entraient en jeu à l’égard des dispositions relatives à la perte de citoyenneté de la Loi sur la citoyenneté canadienne — L’« application régulière de la loi » en vertu de l’art. 1a) de la Déclaration canadienne des droits n’exige pas qu’un avis préalable soit donné aux personnes qui risquent de perdre leur citoyenneté en raison d’une loi à venir.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale a conclu que l’intimé est un citoyen canadien et a ordonné au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de délivrer à l’intimé un certificat de citoyenneté.

L’intimé, un citoyen du Royaume‑Uni, est né en Angleterre en 1944 hors des liens du mariage. Son père, un combattant des forces armées canadiennes, est né au Canada et sa mère est née en Angleterre. Ils se sont mariés en 1945. Après la guerre, en 1946, l’intimé et sa mère sont venus au Canada pour vivre avec le père de l’intimé. Cependant, le mariage s’est rompu quelques mois après leur arrivée et ils sont retournés en Angleterre à l’automne de 1946. En 2003, l’intimé a présenté deux demandes pour obtenir un certificat de citoyenneté. La première demande a été rejetée parce que l’intimé avait perdu sa citoyenneté canadienne le jour de son 24e anniversaire et la deuxième demande a été rejetée au motif que, comme l’intimé était né hors des liens du mariage, il n’avait jamais obtenu le statut de citoyen.

Les questions à trancher étaient celles de savoir si l’arrêté en conseil C.P. 1945‑858 (C.P. 858) accordait à l’intimé le statut de « citoyen canadien » et si les dispositions de la Loi sur la citoyenneté canadienne (qui est entrée en vigueur le 1er janvier 1947 et qui est donc appelée la Loi de 1947) qui établissaient la citoyenneté de l’intimé en fonction de la situation matrimoniale de ses parents (alinéa 4b)) et l’obligeaient à présenter une demande pour conserver sa citoyenneté avant son 24e anniversaire (paragraphe 4(2) qui a été édicté en 1953, mais qui était rétroactif au 1er janvier 1947) violaient les droits de l’intimé en vertu de la Déclaration canadienne des droits et la Charte canadienne des droits et libertés.

Arrêt : l’appel doit être accueilli.

Les lois et les arrêtés en conseil qui ont trait aux Canadiens en général ont été examinés pour établir le statut de l’intimé avant le 1er janvier 1947. En vertu des lois sur l’immigration du Canada, les personnes à charge des membres des forces armées canadiennes obtenaient un traitement spécial et préférentiel visant à faciliter leur entrée au Canada grâce à des arrêtés en conseil (notamment l’arrêté C.P. 858). À son débarquement en juillet 1946, l’intimé était, comme son père, un sujet britannique d’origine, un ressortissant du Canada et, au sens des lois sur l’immigration du Canada, un citoyen canadien qui possédait un domicile au Canada. Cependant, l’arrêté C.P. 858 ne pouvait pas, en soi, conférer le statut de « citoyen canadien » en vertu de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, puisque ce statut n’existait pas avant l’entrée en vigueur de la Loi, qui a introduit un code complet au sujet de la citoyenneté canadienne et a remplacé le statut de sujet britannique ou la nationalité canadienne par la citoyenneté canadienne. En vertu de l’alinéa 2a) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, une personne à charge débarquée en vertu de l’arrêté C.P. 858, avant ou après le 1er janvier 1947, ne pouvait, après le 1er janvier 1947, obtenir le statut de citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 que si elle satisfaisait aux dispositions de la Loi, c.‑à‑d. les articles 4 ou 9. En outre, l’article 46 de la Loi établissait clairement que pour un citoyen canadien qui n’est pas né au Canada, le fait de posséder un statut national avant le 1er janvier 1947 ne lui conférait pas automatiquement le statut de citoyen canadien à partir du 1er janvier 1947.

En vertu de l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, une personne née hors du Canada avant le 1er janvier 1947 avait droit à la citoyenneté canadienne si elle était née dans les liens du mariage et que son père était né au Canada ou, si elle était née hors des liens du mariage, que sa mère était née au Canada ou était, au moment de la naissance de cette personne, un sujet britannique possédant un domicile canadien. À l’encontre de la situation dont il est question dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), la présumée discrimination en l’espèce (qui repose sur la situation matrimoniale des parents) découlait de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, pas du fait que les lois correctrices avaient des effets continus (c.‑à‑d. la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974‑75‑76 (la Loi sur la citoyenneté de 1977)). Compte tenu des circonstances, l’application de l’article 15 de la Charte à la disposition de 1947 donnerait à la Charte un effet rétrospectif qu’elle ne peut avoir, l’alinéa 4b) ayant été abrogé par la Loi sur la citoyenneté de 1977 (qui a été conçue pour ne pas avoir d’effet rétroactif).

Même si l’intimé avait la qualité de citoyen canadien de naissance au sens de l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, ou de citoyen canadien autrement que par la naissance au sens de l’alinéa 9(1)b) (qui dispose qu’« [u]ne personne, autre qu’un citoyen canadien de naissance, est citoyen canadien [. . .] si immédiatement avant la mise en vigueur de cette loi, elle était un sujet britannique possédant un domicile canadien »), il aurait été visé par les dispositions relatives à la perte de citoyenneté prévues au paragraphe 4(2) (tel qu’il a été édicté en 1953) et à l’article 20 (résidence hors du Canada pendant six années consécutive) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947. Ces dispositions ne violaient pas la Déclaration canadienne des droits ou la Charte, dans l’hypothèse où ces deux textes législatifs s’appliquaient à la Loi de 1947. Comme il n’y avait aucune procédure administrative en question, ni le concept d’audition impartiale, mentionné à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, ni celui d’application régulière de la loi n’entraient en jeu. De même, l’intimé n’a pas démontré que le principe de justice fondamentale prévu à l’article 7 de la Charte précisait qu’il devait avoir une audition et un préavis équitables avant qu’il se voie retirer sa citoyenneté. Qui plus est, « l’application régulière de la loi » en vertu de l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits n’exige pas qu’un avis préalable soit donné aux personnes qui risquent de perdre leur citoyenneté en raison d’une loi à venir. Le processus législatif au Canada est un processus public et tous sont censés connaître la loi. Aucune règle de droit ne permet d’imposer l’obligation aux représentants du gouvernement d’avertir une personne qu’elle peut être touchée par une nouvelle loi.

L’argument de l’intimé selon lequel les alinéas 3(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté actuelle (L.R.C. (1985), ch. C‑29) violaient l’article 15 de la Charte, puisqu’il est traité différemment en raison de sa date de naissance, entraînait aussi une application rétrospective de la Charte (notamment en intégrant par renvoi l’alinéa 4b) de la Loi de 1947 dans la Loi actuelle) et il a donc été rejeté.

lois et règlements cités

Order in Council P.C. 7318, September 21, 1944.

Arrêté en conseil C.P. 7318, 21 septembre 1944.

Arrêté en conseil C.P. 858, 9 février 1945.

Arrêté en conseil C.P. 7414, 28 décembre 1945.

Arrêté en conseil C.P. 4216, 11 octobre 1946.

Arrêté en conseil C.P. 1112, 25 mars 1947.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 15, 32(2).

Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appendice III, art. 1a), 2e).

Loi ayant objet de définir l’expression «ressortissants du Canada» et de statuer sur la renonciation à la nationalité canadienne, S.C. 1921, ch. 4.

Loi concernant la Naturalisation, 1914, S.C. 1914, ch. 44.

Loi de l’immigration, S.C. 1910, ch. 27, art. 2f) « citoyen canadien ».

Loi de l’immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, art. 2c) « citoyen canadien » (mod. par S.C. 1946, ch. 54, art. 1), e) « débarqué », f) « domicile », 3, 28, 29, 33, 37a), 40.

Loi de 1945 sur les pouvoirs transitoires résultant de circonstances critiques nationales, S.C. 1945, ch. 25.

Loi de naturalisation, S.R.C. 1927, ch. 138, art. 3, 4, 5, 7, 20 à 27.

Loi des mesures de guerre, S.R.C. 1927, ch. 206.

Loi des ressortissants du Canada, S.R.C. 1927, ch. 21, art. 2.

Loi modifiant la Loi de l’immigration, S.C. 1946, ch. 54, art. 1.

Loi modificative de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1952‑53, ch. 23, art. 2, 8.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29, art. 3(1)d), e), 5(2)b), (4).

Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974‑75‑76, ch. 108, art. 3(1)c),d),e), 5(2)b), 22.

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15, art. 2a), 4 (mod. par S.C. 1952‑53, ch. 23, art. 2), 9, 10, 20 (mod., idem, art. 8), 26, 27, 28, 45, 46.

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1970, ch. C‑19, art. 4(1)b).

jurisprudence citée

décisions appliquées :

Wilson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1475; Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40; 2003 CSC 39.

décisions différenciées :

Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358; Veleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 138; Augier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 4 R.C.F. 150; 2004 CF 613.

décisions examinées :

Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 407 (C.A.) (QL); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2000] 2 R.C.S. xiv; McLean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 127; 2001 CAF 10; confirmant [1999] A.C.F. no 1741 (1re inst.) (QL); Prentice c. Canada, [2006] 3 R.C.F. 135; 2005 CAF 395.

décisions citées :

Dubey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 582; MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A.); McNeil c. Canada (Secrétaire d’État), [2000] A.C.F. no 1477 (1re inst.) (QL); R. c. Molis, [1980] 2 R.C.S. 356; dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 387; 2006 CAF 186; Regina v. Seo (1986), 54 O.R. (2d) 293; 27 D.L.R. (4th) 496; 25 C.C.C. (3d) 385; 51 C.R. (3d) 1; 20 C.R.R. 241; 38 M.V.R. 161; 13 O.A.C. 359 (C.A.); Davidson et al. v. Davidson (1986), 33 D.L.R. (4th) 161; [1987] 2 W.W.R. 642; 10 B.C.L.R. (2d) 88; 26 C.C.L.I. 134 (C.A.C.-B.); Mack v. Canada (Attorney General) (2002), 60 O.R. (3d) 737; 217 D.L.R. (4th) 583; 96 C.R.R. (2d) 254; 24 Imm. L.R. (3d) 1; 165 O.A.C. 17 (C.A.).

doctrine citée

Canada. Comité permanent de la Radiodiffusion, des films et de l’assistance aux arts. Procès‑verbaux et témoignages, fascicule no 36 (27 février 1976).

Débats de la Chambre des communes, 8 mars 1921, à la page 662.

Débats de la Chambre des communes, 2 avril 1946, p. 512 à 520.

Débats de la Chambre des communes, 21 mai 1975, p. 5983 et 5984.

APPEL de la décision par laquelle la Cour fédérale (2006 CF 1053) a conclu que l’intimé, qui est né en Angleterre en 1944 hors des liens du mariage d’un père canadien et d’une mère britannique, était un citoyen canadien et a ordonné au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de délivrer à l’intimé un certificat de citoyenneté. Appel accueilli.

ont comparu :

R. Keith Reimer et Peter W. Bell pour l’appelant.

B. Rory B. Morahan pour l’intimé.

avocats inscrits au dossier :

Le sous‑procureur général du Canada pour l’appelant.

Morahan & Company, Victoria (Colombie‑ Britannique) pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]Le juge Décary,  J.C.A. : Il est reconnu qu’en vertu de l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1946, ch. 15 (la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 ou la Loi de 1947), une personne née hors du Canada avant le 1er janvier 1947 avait droit à la citoyenneté canadienne si elle était née dans les liens du mariage et que son père était né au Canada ou, si elle était née hors des liens du mariage, que sa mère était née au Canada ou était, au moment de la naissance de ladite personne, un sujet britannique possédant un domicile canadien.

[2]M. Joseph Taylor (l’intimé) est né en Angleterre en 1944 hors des liens du mariage. Sa mère est née en Angleterre et ne possédait pas, à l’époque de la naissance de l’intimé, un domicile canadien. Lorsque M. Taylor a présenté, en 2003, une demande de certificat de citoyenneté canadienne, on l’a avisé qu’il n’était pas admissible à la citoyenneté canadienne. D’où la procédure faisant l’objet du présent appel.

[3]Dans des motifs remarquablement étayés, le juge Martineau de la Cour fédérale a conclu que l’intimé est un citoyen canadien. Il a ordonné au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) de délivrer à l’intimé un certificat de citoyenneté. Les motifs du juge ont été rendus le 1er septembre 2006 (2006 CF 1053). Ils sont constitués de 284 paragraphes et comprennent en plus 28 notes en annexe.

[4]Les questions examinées en l’espèce sont toutes des questions de droit. La décision correcte est donc la norme de contrôle applicable.

Les faits

[5]Il importe de faire un bref résumé des faits dès le départ. Les faits sont tirés directement des conclusions du juge et de l’affidavit de M. Taylor.

[6]M. Taylor, qui est présentement citoyen du Royaume‑Uni, est né en Angleterre le 8 décembre 1944. Sa mère, Jenny Rose Harvey, est née en Angleterre. Son père, Joseph Taylor, est né au Canada. Joseph Taylor, père, s’est enrôlé dans les forces armées canadiennes et est arrivé en Angleterre en 1942, à l’âge de 18 ans. Il a commencé à fréquenter la mère de l’intimé en 1943 ou au début de 1944. Le couple avait décidé de se marier au printemps de 1944, mais en raison des exigences de la guerre et des diverses restrictions imposées au personnel des forces armées canadiennes, le couple n’a pas obtenu la permission de se marier à ce moment. Joseph Taylor, père, a été déployé en France pour l’attaque du Jour J, le 6 juin 1944. La mère de l’intimé était alors enceinte. L’intimé est né le 8 décembre 1944 alors que son père était toujours en garnison en France. Joseph Taylor, père, n’a obtenu la permission de retourner en Angleterre qu’en février 1945. Il a alors obtenu la permission d’épouser la mère de l’intimé.

[7]Ils se sont mariés le 5 mai 1945 et sont restés en Angleterre. En février 1946, le père de l’intimé a été libéré des forces armées canadiennes et a été rapatrié au Canada. Il est retourné à Cumberland (Colombie‑Britannique), où il s’est préparé pour l’arrivée de son épouse et de son fils, qui sont débarqués à Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 4 juillet 1946. Après quelques mois, le mariage s’est rompu. Comme la mère de l’intimé n’avait aucune famille immédiate au Canada et n’avait nulle part où aller, elle n’avait d’autre choix que de retourner en Angleterre avec son jeune fils, ce qu’elle a fait à l’automne de 1946. Elle est passée par New York, où elle a obtenu un passeport canadien le 11 octobre 1946.

[8]À l’âge de [traduction] « 26 ans » (D.A., vol. 2, page 178), alors qu’il était déjà marié et père de deux enfants, M. Taylor s’est rendu à la Maison du Canada à Londres pour s’informer de la possibilité de s’établir au Canada. Il a expliqué qu’il était le fils d’un ancien combattant canadien rapatrié après la Deuxième Guerre mondiale et qu’il avait vécu au Canada. Il explique dans son affidavit que les gens à qui il a parlé à la Maison du Canada ne lui ont pas dit qu’il devait présenter une demande, avant son 24e anniversaire, en vue de conserver sa citoyenneté. On lui a remis les formulaires d’immigration habituels qui exigeaient un « parrain » au Canada. Il a rempli les formulaires et les a envoyés à son père à sa dernière adresse connue. Il n’a jamais reçu de réponse et il a continué à mener sa vie en Angleterre sans poursuivre ses démarches (D.A., vol. 2, page 176).

[9]Pendant les 30 années qui ont suivi, M. Taylor n’a plus fait de tentative pour venir au Canada ni pour revendiquer la citoyenneté canadienne. En 1999, il s’est rendu en Colombie‑Britannique. À son retour en Angleterre, l’intimé s’est de nouveau présenté à la Maison du Canada à Londres pour s’enquérir de la possibilité de s’installer au Canada. On lui a dit qu’il avait perdu sa citoyenneté canadienne le jour de son 24e anniversaire, c’est‑à‑dire le 8 décembre 1968.

[10]En 2000, il a acheté une maison à Victoria (Colombie‑Britannique) et, au cours des années 2000 à 2004, il a passé respectivement 8, 11, 14, 18 et 20 semaines au Canada. En novembre 2000, M. Taylor a appris que son père était mort en 1996 et qu’il avait sept demi‑frères et demi‑sœurs, vivant tous sur l’île de Vancouver.

[11]En février 2003, il a présenté une demande à Londres pour obtenir un certificat de citoyenneté, mais on lui a répondu que sa demande ne serait pas traitée parce qu’il avait perdu sa citoyenneté canadienne le jour de son 24e anniversaire.

[12]En novembre 2003, il a présenté une nouvelle demande de certificat de citoyenneté de l’extérieur du Canada (aussi nommée « demande d’attestation de la citoyenneté »). L’agente de la citoyenneté Hefferon, dans une lettre datée du 5 avril 2005, a avisé M. Taylor que sa demande était rejetée au motif que, comme il était né hors des liens du mariage, il n’avait jamais obtenu le statut de citoyen. Elle lui a fait la suggestion selon laquelle il pouvait [traduction] « demander la résidence permanente au Canada et officialiser [ses] liens familiaux au Canada en ayant recours aux formalités de naturalisation » (D.A., vol. 2, page 279).

[13]Le 10 juin 2005, M. Taylor a présenté un avis de demande de contrôle judiciaire de la décision du 5 avril 2005. Il soutenait essentiellement que l’arrêté en conseil du 9 février 1945 (C.P. 858) lui accordait le statut de « citoyen canadien »; que les dispositions relatives à la perte de la citoyenneté de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 violaient son droit à l’application régulière de la loi prévu par la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III] et la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) parce qu’il n’avait pas reçu de préavis au sujet de l’existence de ces dispositions; et que le fait que sa demande de citoyenneté a été rejetée en raison de la situation matrimoniale de ses parents au moment de sa naissance et en raison de son âge violait ses droits prévus à l’article 15 de la Charte. Le juge Martineau a accepté tous ces arguments.

[14]Dans son avis de question constitutionnelle déposé le 6 septembre 2007, l’intimé attaque les [traduction] « articles suivants des lois : a) Loi sur la citoyenneté, SRC 1947, art. 4b); b) Loi sur la citoyenneté, SRC 1951, art. 4b)(ii); c) Loi sur la citoyenneté, SRC 1953, art. 4b) et art. 6; d) Loi sur la citoyenneté, SRC 1970, art. 4(1) et 4(2); e) Loi sur la citoyenneté, SRC 1977, art. 3(1); et, f) Loi sur la citoyenneté, SRC 1985, art. 3(1)d) et art. 3(1)e). »

Analyse

[15]La Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 est entrée en vigueur le 1er janvier 1947. Afin de déterminer si l’intimé était un « citoyen canadien » au sens de la Loi de 1947, il faut examiner son statut tant avant qu’après le 1er janvier 1947.

I.  Le statut de M. Taylor

A) Avant le 1er janvier 1947

[16]Pour déterminer le statut de M. Taylor avant le 1er janvier 1947, il faut examiner les lois qui portent sur les Canadiens en général (c’est‑à‑dire la Loi de l’immigration de 1910, la Loi de naturalisation de 1914 et la Loi des ressortissants du Canada de 1921) et les arrêtés en conseil qui s’appliquent aux personnes à charge des membres des forces armées canadiennes (en particulier, l’arrêté en conseil C.P. 858, daté du 9 février 1945).

a) Les Canadiens en général

[17]Avant le 1er janvier 1947, le « statut politique » des Canadiens était déterminé par l’interrelation de trois lois : la Loi de l’immigration, S.C. 1910, ch. 27, révisée à S.R.C. 1927, ch. 93 (la Loi de l’immigration de 1910), la Loi concernant la Naturalisation, 1914, S.C. 1914, ch. 44, révisée à S.R.C. 1927, ch. 138 (la Loi de naturalisation de 1914), et la Loi ayant pour objet de définir l’expression « ressortissants du Canada » et de statuer sur la renonciation à la Nationalité canadienne, S.C. 1921, ch. 4, révisée à S.R.C. 1927, ch. 21 (la Loi des ressortissants du Canada).

[18]À toutes fins utiles, comme nous le verrons, un Canadien pouvait être un « sujet britannique » ou un « étranger », et/ou un « ressortissant du Canada » ou une personne « naturalisée », et/ou, au sens de la loi d’immigration du Canada, un « citoyen canadien ».

i) la Loi de l’immigration de 1910

[19]La notion de « citoyenneté canadienne » est apparue dans la Loi de l’immigration de 1910 [alinéa 2f)]. L’alinéa 2c) [de la version révisée en 1927] de la Loi prévoit qu’aux fins de la Loi et de tous les arrêtés en conseil, proclamations et règlements pris en vertu de la Loi :

2. [. . .]

c) « citoyen canadien » ou « citoyen du Canada » signifie

(i)         quiconque est né au Canada et n’est pas devenu un étranger;

(ii) a British subject who has Canadian domicile; or

(ii) un sujet britannique qui a un domicile au Canada; ou

(iii)            a person naturalized under the laws of Canada who has not subsequently become an alien or lost Canadian domicile;

(iii)            quiconque a été naturalisé sous le régime des lois du Canada et n’est pas, depuis, devenu un étranger ou n’a pas cessé d’avoir son domicile au Canada;

Mais pour les objets de la présente loi, une femme qui n’a pas été débarquée au Canada n’est pas réputée avoir acquis la qualité de citoyenne du Canada du fait que son mari est un citoyen du Canada; aucun enfant qui n’a pas été débarqué au Canada n’est réputé avoir acquis la qualité de citoyen canadien du fait que son père ou sa mère sont des citoyens canadiens;

[20]La Loi de l’immigration de 1910 prévoit aussi une définition du domicile canadien au sous‑alinéa 2f)i) :

2. [. . .]

f)   « domicile » signifie l’endroit où une personne a sa demeure, ou dans lequel elle réside, ou auquel elle retourne comme au lieu de son habitation permanente, et ne signifie pas l’endroit où elle réside pour un objet particulier ou temporaire;

(i) Le domicile au Canada ne peut s’acquérir, pour les fins de la présente loi, que par un séjour d’au moins cinq ans au Canada par une personne qui y est débarquée aux termes de la présente loi.

[21]Aux termes de la Loi de l’immigration de 1910, nul « à moins qu’il ne soit citoyen du Canada ou n’ait un domicile au Canada, n’est admis à entrer ou à débarquer au Canada, ou, s’il y est débarqué ou y est entré, n’est admis à y rester » (mon soulignement) si la personne est visée par la longue liste des catégories refusées (article 3). Toutes les personnes « qui cherchent à entrer ou à débarquer au Canada, doivent, en premier lieu, se présenter à un préposé de l’immigration d’un port d’entrée et lui demander la permission d’entrer ou de débarquer au Canada » (article 33). L’expression « débarqué », « appliquée à des […] passagers ou à des immigrants, signifie leur admission légale au Canada par un fonctionnaire, sous le régime de la présente loi » (alinéa 2e)).

[22]Lorsqu’une personne arrivait au Canada par navire, elle devait satisfaire à des exigences précises en matière de santé. Aux termes de l’article 28, des médecins devaient « faire […] l’examen physique et mental de tous les […] passagers […] excepté s’il s’agit de citoyens et d’individus canadiens qui ont un domicile au Canada » (mon soulignement).

[23]Conformément à l’article 29, « [a]près s’être convaincu qu’ont été observées les prescriptions de la présente loi, des arrêtés en conseil […] établis ou rendus sous son empire, le préposé de l’immigration donne par écrit au capitaine du navire la permission de laisser débarquer les passagers » (mon soulignement).

.

[24]« [L]es citoyens du Canada et les personnes qui ont leur domicile au Canada » étaient dispensés, à leur arrivée, des règlements quant à la somme d’argent exigée (alinéa 37a)) et, après être débarqués, ils ne pouvaient pas être expulsés (article 40) (mon soulignement).

ii) la Loi de naturalisation de 1914

[25]En 1914, une loi citée sous le titre de Loi concernant la Naturalisation, 1914 (S.C. 1914, ch. 44) est entrée en vigueur.

[26]La partie I [de la Loi de naturalisation de 1914] considère comme sujet britannique de naissance toute personne née dans les dominions de Sa Majesté et toute personne née hors des dominions de Sa Majesté, dont le père était sujet britannique à l’époque de la naissance de cette personne, et qui satisfait à certaines conditions (article 3).

[27]La partie II donne au secrétaire d’État du Canada le pouvoir de délivrer un certificat de naturalisation à un étranger qui, entre autres, réside dans les dominions de Sa Majesté depuis au moins cinq années (article 4). Une personne naturalisée jouissait « de tous les droits, pouvoirs et privilèges politiques » et était « assujettie à tous les devoirs, obligations et responsabilités, dont jouissent et auxquels sont assujettis les sujets britanniques d’origine et, à compter de la date de sa naturalisation, elle se trouve à tous égards et à toutes fins dans la situation d’un sujet britannique d’origine » (article 5) (mon soulignement). À la discrétion de la personne naturalisée, le certificat pouvait comprendre le nom de tout enfant mineur (article 7).

[28]La partie III traite de divers sujets, y compris du statut des étrangers. En vertu des articles 20 et suivants, un étranger pouvait présenter une requête à la cour dans le but de faire déterminer qu’il possédait les qualités de naturalisation édictées par la loi. Si la cour décidait que l’étranger possédait les qualités voulues, le ministre pouvait, à son absolue discrétion, émettre un certificat de naturalisation.

iii) La Loi des ressortissants du Canada

[29]En 1921, la Loi ayant objet de définir l’expression « ressortissants du Canada » et de statuer sur la renonciation à la nationalité canadienne (S.C. 1921, ch. 4) est entrée en vigueur. Comme je l’explique au paragraphe 40 ci‑dessous, cette Loi est née de la nécessité du Canada de participer à la communauté internationale. L’article 2 [de la Loi des ressortissants du Canada] définit les personnes suivantes comme ressortissants du Canada :

2. Est ressortissant du Canada :

a) Tout sujet britannique qui est citoyen canadien au sens de la Loi de l’immigration;

b) L’épouse de ce citoyen;

c) Toute personne née en dehors du Canada, dont le père était ressortissant du Canada à l’époque de la naissance de cette personne, ou, à l’égard des personnes nées avant le troisième jour de mai mil neuf cent vingt et un, toute personne dont le père possédait, à l’époque de cette naissance, toutes les qualités d’un ressortissant du Canada, tel que défini en la présente loi.

:

[30]Le 8 mars 1921, lorsqu’il a participé au débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi no 17, qui est devenu la Loi des ressortissants du Canada, l’honorable C. J. Doherty, ministre de la Justice, a déclaré (Débats de la Chambre des communes, 8 mars 1921, à la page 662) :

M. DOHERTY : Nous avons déjà la définition du terme « citoyen canadien » dans la loi d’immigration, mais cette définition s’applique expressément à cette loi, et nous n’avons aucune définition du terme citoyen canadien qui puisse s’appliquer d’une façon générale.

[31]Il découle des lois précitées qu’avant le 1er janvier 1947, le concept juridique de la « citoyenneté canadienne » n’existait que dans le contexte des lois concernant l’immigration au Canada, aux fins de permettre à une personne d’entrer au Canada, d’en sortir et d’y rester. Cependant, un « citoyen canadien au sens de la Loi de l’immigration », s’il était sujet britannique, était un ressortissant du Canada et, s’il était un homme, ses enfants nés hors du Canada l’étaient aussi.

[32]Compte tenu de ce qui précède, avant le 1er janvier 1947, une personne pouvait simultanément avoir le statut de sujet britannique d’origine, être un ressortissant du Canada et, au sens de la loi d’immigration du Canada, être citoyen canadien possédant un domicile au Canada. À l’époque où il était soldat en Angleterre, M. Taylor, père, était un sujet britannique d’origine, un ressortissant du Canada et, au sens de la loi d’immigration du Canada, un citoyen canadien possédant un domicile au Canada.

b) Personnes à charge des membres des forces armées canadiennes

[33]En vertu des lois sur l’immigration du Canada, les personnes à charge des membres des forces armées canadiennes obtenaient un traitement spécial et préférentiel visant à faciliter leur entrée au Canada. Ce traitement a été accordé par des arrêtés en conseil (C.P.) pris par le gouverneur général en conseil en vertu des pouvoirs conférés par la Loi des mesures de guerre, S.R.C. 1927, ch. 206, et par la Loi de 1945 sur les pouvoirs transitoires résultant de circonstances critiques nationales, S.C. 1945, ch. 25. Ces arrêtés en conseil avaient force de loi lorsqu’ils étaient en vigueur. Ils sont restés en vigueur jusqu’au 15 mai 1947 (C.P. 7414, le 28 décembre 1945; C.P. 1112, le 25 mars 1947).

[34]Le 21 septembre 1944, l’arrêté en conseil C.P. 7318 a été adopté. Il a été remplacé le 9 février 1945 par l’arrêté en conseil C.P. 858. Compte tenu de l’importance qui a été accordée à l’arrêté C.P. 858 par les avocats et dans le jugement ci‑dessous, il vaut la peine de reproduire l’arrêté en entier :

Attendu que le ministre des Mines et ressources, avec l’assentiment du secrétaire d’État aux Affaires extérieures et l’approbation du Comité de guerre du Cabinet, signale qu’il est opportun de faciliter l’entrée au Canada des personnes à charge des membres des forces armées canadiennes et, lorsque lesdits membres sont citoyens ou possèdent un domicile canadien, de conférer le même statut auxdites personnes à leur charge; et

Attendu qu’il est établi, à la lumière de l’examen médical, passé outre‑mer, par les personnes à charge des membres des forces armées canadiennes, que, dans certains cas, la personne examinée ne peut être admise au Canada d’après les dispositions des lois d’immigration du Canada;

À ces causes, sur la recommandation du ministre des Mines et ressources et avec l’assentiment et l’approbation précités, ainsi qu’en vertu des pouvoirs conférés par la Loi des mesures de guerre, chapitre 206 des Statuts revisés du Canada, 1927, et nonobstant toute autre loi canadienne d’immigration, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil de rendre, par les présentes, l’ordonnance suivante :

ORDONNANCE

1. Dans la présente ordonnance, à moins que le contexte ne s’y oppose, l’expression

(a) « personne à charge » signifie l’épouse, la veuve ou l’enfant âgé de moins de dix‑huit ans d’un membre ou d’un ex‑membre des forces armées canadiennes qui a servi ou qui sert hors du Canada pendant la présente guerre;

(b) « médecin approuvé » signifie un docteur en médecine approuvé par le Service médical de l’immigration du ministère de la Santé nationale et du bien‑être social.

2. Chaque personne à charge qui demande admission au Canada aura la permission d’entrer au Canada et, lors de son admission, sera censée y être entrée selon les prévisions de la loi d’immigration du Canada.

3. Chaque personne à charge qui a obtenu permission d’entrer au Canada, en vertu de l’article deux de la présente ordonnance, sera censée, pour les fins de la loi d’immigration du Canada, être citoyen canadien si le membre des forces à qui elle est à charge est un citoyen canadien, et sera censée posséder un domicile canadien si ledit membre possède un domicile canadien.

4. Avant de partir pour le Canada, la personne à charge devra être examinée par un officier médical au service du gouvernement du Canada ou par un médecin approuvé et, sur demande, le chef du Service médical de l’immigration sera mis au courant de tous les détails de l’examen médical subi par la personne à charge, et ces détails pourront être transmis au Service de la santé publique de la province vers laquelle se dirige la personne à charge, en vue de lui procurer les traitements nécessaires et par mesure de protection pour la santé publique.

5. Si l’examen médical révèle qu’une personne à charge souffre d’une maladie infectieuse ou contagieuse, ou d’une maladie qui pourrait devenir dangereuse pour la santé publique, ou que la personne à charge, dans son état actuel, ne pourrait sans danger entreprendre le voyage, dans tous ces cas, l’admission au Canada de cette personne à charge pourrait être différée jusqu’à production d’un certificat médical, délivré par un médecin approuvé, établissant que l’état de la personne en question n’est pas infectieux ni contagieux et qu’elle peut voyager en sureté.

6. Chaque fois que le certificat médical émane d’un médecin approuvé qui n’est pas au service du gouvernement du Canada, le coût en sera payé, au taux approuvé, par le service d’immigration du ministère des Mines et ressources, à même les crédits de guerre.

7. L’arrêté en conseil, C.P. 7318 du vingt et un septembre 1944 est révoqué par les présentes. [Mon soulignement.]

[35]Le 11 octobre 1946, l’arrêté en conseil C.P. 858 a été modifié par l’arrêté C.P. 4216. Le deuxième paragraphe du préambule de l’arrêté C.P. 4216 se lit comme suit :

Et attendu que, sur le rapport du ministre suppléant des Mines et des Ressources, il est nécessaire de limiter les dispositions de C.P. 858, du 9 février 1945, relatif au statut d’immigrant et à l’examen médical gratuit des personnes à charge, de manière à les rendre conformes audit arrêté en conseil C.P. 4044; [Mon soulignement.]

[36]L’arrêté en conseil C.P. 4216 ajoute le paragraphe suivant à l’arrêté C.P. 858 :

8.    Les dispositions du présent arrêté en conseil ne s’appliquent qu’aux personnes à charge à l’égard desquelles une demande de transport gratuit pour le Canada a été déposée au plus tard le 15 octobre 1946, et qui s’embarquent pour le Canada au plus tard le 30 juin 1947, en conformité des dispositions de C.P. 4044 du 26 septembre 1946.

[37]Les termes utilisés dans les arrêtés en conseil C.P. 858 et C.P. 4216 indiquent clairement qu’ils ont été pris uniquement dans le but de faciliter l’entrée au Canada des personnes à charge des membres des forces armées canadiennes, au sens de la Loi de l’immigration de 1910. Les exigences précises prévues dans la Loi de l’immigration de 1910 ont été soit écartées par des dispositions déterminatives (débarquement, citoyenneté et domicile), soit allégées (certificats médicaux), soit éliminées (exigences monétaires).

[38]Cependant, le fait est que lorsqu’elles ont été admises au Canada conformément aux lois d’immigration, ces personnes à charge ont été assujetties aux lois du Canada et ont joui des privilèges qui en découlent. Par conséquent, à son débarquement en juillet 1946, M. Taylor était, comme son père, un sujet britannique d’origine, un ressortissant du Canada et, au sens des lois sur l’immigration du Canada, un citoyen canadien qui possédait un domicile au Canada.

B) Après le 1er janvier 1947

:

[39]Afin de comprendre l’effet dramatique sur le droit canadien de l’adoption de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, il convient de citer le discours du secrétaire d’État, l’honorable Paul Martin, père, lorsqu’il a proposé la deuxième lecture, le 2 avril 1946, du projet de loi portant sur la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation, ainsi que le statut des étrangers, qui est devenu la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947. (Débats de la Chambre des communes, 2 avril 1946, aux pages 512 à 520) :

En proposant la deuxième lecture de ce bill, puis‑je dire tout d’abord qu’à mon sens le bill va de pair avec l’évolution du Canada en tant que nation [. . .]

Ainsi que je tenterai de le démontrer, le projet de loi vise à supprimer les complications et confusions qui résultent des lois existantes. Depuis quelque temps déjà, voire depuis nombre d’années, on estime tant dans le pays qu’à la Chambre, que l’heure est venue de faire disparaître les ambiguïtés auxquelles donnent lieu la Loi de naturalisation, celle d’avant 1914 et celle de 1914, la Loi des ressortissants du Canada et la Loi de l’immigration, de façon à arrêter une définition nette de la citoyenneté canadienne.

[. . .]

Le bill vise à établir définitivement une citoyenneté canadienne qui soit la base sur laquelle reposeront les droits et les privilèges des Canadiens. Nous espérons également faire disparaître plusieurs anomalies et plusieurs difficultés dues à la loi actuelle, ainsi que je l’ai signalé, et qui non seulement ont été une source d’ennuis pour le pays et la population, mais qui ont causé des embarras sérieux à ceux qui ont eu le malheur d’y faire face.

[. . .]

Rares sont les pays où la définition de citoyen se trouve refermée dans les articles d’une loi d’immigration. D’ailleurs, la définition mentionnée dans la loi de l’immigration est bien restreinte. Il s’agit d’une définition de la citoyenneté pour les seules fins de la loi, c’est‑à‑dire pour les fins de l’immigration.

[. . .]

Mon collègue, le ministre des Mines et ressources (M. Glen) m’autorise à vous apprendre que l’adoption de la présente mesure sera suivie de modifications à la loi de l’immigration qui feront disparaître de l’article 2 la seule véritable définition, bien que limitée dans son effet, qu’on puisse trouver de la citoyenneté canadienne.

[. . .]

La partie I du bill concerne les citoyens canadiens de naissance. Le premier article de cette partie vise à énoncer que les personnes nées avant l’entrée en vigueur de la loi jouissent d’ores et déjà, de par leur naissance, du titre de citoyens canadiens. Ces Canadiens de naissance sont de deux ordres : ceux qui sont nés au Canada ou à bord d’un navire canadien, et ceux qui sont nés de parents canadiens, ailleurs qu’au Canada, avant l’adoption de la loi […]

[. . .]

Je crois que cette mesure, dont certaines dispositions comportent forcément un texte compliqué, répond autant qu’il est humainement possible aux mille et une situations différentes que comporte le statut de citoyen, qu’il soit acquis par droit de naissance, par filiation ou dans l’une ou l’autre des nombreuses circonstances auxquelles peut donner naissance, sous une forme ou sous une autre, le statut légal de citoyen, au Canada comme dans les autres pays.

[. . .]

Le bill relie notre passé à notre avenir. Nous disons à l’histoire et à la postérité : Voici la définition du nationalisme canadien. Voici le statut commun au Canada, un intérêt commun au bien‑être du pays, une citoyenneté canadienne commune. [Mon soulignement.]

[40]Il convient aussi de citer les remarques suivantes de l’honorable James Hugh Faulkner, secrétaire d’État, lorsqu’il a proposé, le 21 mai 1975, la deuxième lecture du projet de loi qui allait devenir la Loi sur la citoyenneté de 1977 [S.C. 1974‑75‑76, ch. 108] (Débats de la Chambre des communes, 21 mai 1975, aux pages 5983 et 5984) :

Au Canada, la législation en matière de citoyenneté ou de nationalité était constituée de trois lois : la loi canadienne sur l’immigration de 1910 destinée à répondre aux besoins en matière d’immigration et d’expulsion; la loi sur la naturalisation de 1914 adoptée pour répondre au besoin d’établir sa nationalité au sein de l’empire et la loi sur les ressortissants canadiens de 1921 née de la nécessité de participer à la communauté internationale, notamment à la Ligue des nations.

On remarquera que tous ceux qui étaient considérés comme des ressortissants canadiens aux termes de la loi sur les ressortissants canadiens n’étaient pas pour autant considérés comme Canadiens aux termes de la loi sur l’immigration et qu’il n’y avait aucune disposition prévue pour la citoyenneté canadienne. En 1930, on a mis le doigt sur ces anomalies et un rapport sur les problèmes de nationalité au Canada a été présenté au secrétaire d’État. Un bill révisant et consolidant les lois concernant la naturalisation et la citoyenneté était présenté en 1931 mais il était retiré avant la troisième lecture.

Enfin, en 1946, le secrétaire d’État, l’honorable Paul Martin, présentait un nouveau bill pour réviser et consolider les lois concernant la naturalisation et la citoyenneté et pour substituer la citoyenneté canadienne au statut de sujet britannique ou à la nationalité canadienne. [Mon soulignement.]

[41]L’intention du Parlement a clairement été rendue dans le libellé de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947.

[42]Ainsi, le 1er janvier 1947, la Loi sur la citoyenneté canadienne, qui avait été édictée le 27 juin 1946, et dont le titre intégral est « Loi concernant la citoyenneté, la nationalité et la naturalisation, ainsi que le statut des étrangers », est entrée en vigueur. Le titre intégral confirme lui‑même le but avoué de la consolidation des lois et des statuts précédents. La Loi de 1947 est un code complet au sujet de la citoyenneté canadienne. Elle porte tant sur les personnes nées avant le 1er janvier 1947 que celle nées après, tant sur les personnes nées au Canada que celles nées à l’extérieur. Elle précise lesquelles, parmi ces personnes, étaient citoyens canadiens de droit et, si elles ne l’étaient pas de droit, lesquelles pouvaient demander la citoyenneté canadienne. Elle précise aussi comment faire une telle demande et quelles en sont les exigences. La Loi de 1947 détermine aussi quand ou comment un citoyen canadien pouvait perdre sa citoyenneté.

[43]Afin de garantir qu’à l’avenir, il n’y aurait qu’une seule loi définissant la citoyenneté canadienne, l’article 45 de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 abroge la Loi de naturalisation de 1914 et la Loi des ressortissants du Canada de 1921. De plus, la Loi de l’immigration de 1910, qui jusqu’alors contenait une définition de « citoyen canadien » [à l’alinéa 2c)] au sens de la dite loi, est modifiée en date du 1er janvier 1947 par la Loi modifiant la Loi de l’immigration, S.C. 1946, ch. 54 [article 1]. En vertu de cette modification, un « citoyen canadien », au sens de la Loi de l’immigration, désigne « une personne qui est citoyen canadien en vertu de la Loi sur la citoyenneté canadienne [de 1947] ».

[44]Les dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 pour la présente analyse sont les suivantes :

PARTIE I.

.

Citoyens Canadiens de Naissance.

4. Une personne, née avant l’entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

[. . .]

b) Lorsqu’elle est née hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien et que son père ou, dans le cas d’une personne née hors du mariage, sa mère

become an alien at the time of that person’s birth, or

(i) est né (ou née) au Canada ou sur un navire canadien et n’était pas devenu étranger (ou devenue étrangère) lors de la naissance de ladite personne, ou

(ii) était, à la naissance de ladite personne, un sujet britannique possédant un domicile canadien,

si, à l’entrée en vigueur de la présente loi, ladite personne n’est pas devenue étrangère, et a été licitement admise au Canada en vue d’une résidence permanente ou est mineure.

[. . .]

PART II.

PARTIE II.

Canadian Citizens Other Than Natural‑Born.

Citoyens canadiens autrement que par le fait de la naissance.

9. (1) Une personne, autre qu’un citoyen canadien de naissance, est citoyen canadien

a) si elle a obtenu un certificat de naturalisation, ou si son nom était inclus dans un tel certificat, et qu’elle ne soit pas devenue étrangère lors de l’entrée en vigueur de la présente loi; ou

(b) immediately before the commencement of this Act was a British subject who had Canadian domicile;

b) si, immédiatement avant la mise en vigueur de cette loi, elle était un sujet britannique possédant un domicile canadien;

[. . .]

.

PARTIE IV.

Status of Canadian Citizens

and Recognition of British Subjects

Statut des citoyens canadien et

reconnaissance des sujets britanniques

26. Un citoyen canadien est sujet britannique.


27. Un citoyen canadien, autre que celui qui l’est de naissance, jouit, subordonnément à la présente loi, de tous les droits, pouvoirs et privilèges et est assujetti à tous les devoirs, obligations et responsabilités, auxquels un citoyen canadien de naissance est admis ou assujetti. À compter du moment où il devient citoyen canadien, il possède, sous réserve des dispositions de la présente loi, un statut semblable à celui d’un citoyen canadien de naissance.

28. Quiconque a acquis le statut de sujet britannique par le fait de la naissance ou de la naturalisation, sous le régime des lois de quelque pays de la Communauté des nations britanniques autre que le Canada, auxquelles il était assujetti lors de sa naissance ou de sa naturalisation, est reconnu au Canada sujet britannique.

[. . .]

PART VII.

PARTIE VII.

Généralités.

[. . .]

45. (1) Sont abrogées la Loi de naturalisation, chapitre cent trente‑huit des Statuts revisés du Canada, 1927, et la Loi des ressortissants du Canada, chapitre vingt et un des Statuts revisés du Canada, 1927.

(2) Si, dans une loi du Parlement du Canada ou un arrêté ou règlement établi sous son régime, quelque disposition vise

(a) a “natural‑born British subject” it shall apply in respect of a “natural‑born Canadian citizen”; or

a) un « sujet britannique de naissance », elle s’applique à l’égard d’un « citoyen canadien de naissance », ou

(b) a “naturalized British subject” it shall apply in respect of a “Canadian citizen other than a natural‑born Canadian citizen”; or

b) un « sujet britannique naturalisé », elle s’applique à l’égard d’un « citoyen canadien autre qu’un citoyen canadien de naissance », ou

(c) a “Canadian national” it shall apply in respect of a “Canadian citizen”;

c) un « ressortissant du Canada », elle s’applique à l’égard d’un « citoyen canadien »;

sous le régime de la présente loi et lorsque, dans quelque loi, arrêté ou règlement susdit, une disposition est établie sur le statut d’une telle personne comme ressortissant du Canada ou sujet britannique, elle s’applique à l’égard de son statut de citoyen canadien ou sujet britannique aux termes de la présente loi.

46. (1) Nonobstant l’abrogation de la Loi de naturalisation et de la Loi des ressortissants du Canada, la présente ne doit pas s’interpréter comme privant quiconque est ressortissant canadien, sujet britannique ou étranger selon la définition contenue dans lesdites lois ou une autre loi en vigueur au Canada, du statut national qu’il possède lors de l’entrée en vigueur de la présente loi.

(2) La présente loi doit s’interpréter comme accordant des facilités à toute personne mentionnée dans le paragraphe précédent, si elle le désire, pour devenir citoyen canadien lorsqu’elle n’est pas citoyen canadien de naissance défini dans la présente loi et qu’elle possède les qualités requises pour la citoyenneté canadienne définie dans cette même loi.

[45]En vertu de l’alinéa 2a) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, un « citoyen canadien » est défini comme « une personne qui est citoyen canadien en vertu de la présente loi [soulignement ajouté]. Une personne ne peut être un citoyen canadien que si elle satisfait aux exigences prévues par la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, ce qu’elle peut faire de trois façons : deux de plein droit, et une sur demande. (J’exclus l’attribution de la citoyenneté, de façon discrétionnaire, par le ministre, qui n’est pas pertinente en l’espèce.)

[46]Les personnes nées avant le 1er janvier 1947 sont des citoyens canadiens de droit si elles sont des citoyens canadiens de naissance, au sens de l’article 4 à la partie I de la Loi; ou si elles sont une personne autre qu’un citoyen canadien de naissance, au sens de l’article 9 à la partie II de la Loi. En vertu de l’article 46, les personnes qui ne sont pas des citoyens canadiens de naissance au sens de la Loi et qui, avant le 1er janvier 1947, avaient le « statut national » de « ressortissant canadien », de « sujet britannique » ou d’un « étranger », peuvent présenter une demande au ministre, conformément à l’article 10 de la Loi, afin de devenir citoyens canadiens si elles possèdent les qualités requises pour la citoyenneté canadienne définie dans la Loi. On ne saurait plus clairement signifier que pour un citoyen canadien qui n’est pas né au Canada, le fait de posséder un statut national avant le 1er janvier 1947 ne lui conférait pas automatiquement le statut de citoyen canadien à partir du 1er janvier 1947.

[47]Selon mon interprétation de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, et pour reprendre les mots du secrétaire d’État Faulkner en 1975, la Loi a substitué « la citoyenneté canadienne au statut de sujet britannique ou à la nationalité canadienne ». Quel que soit le statut qui existait auparavant en vertu de quelque loi ou arrêté en conseil que ce soit, y compris l’arrêté C.P. 858, en date du 1er janvier 1947, ce statut a été remplacé par un nouveau statut, soit celui de citoyen canadien au sens de la nouvelle Loi.

[48]Cette interprétation des lois et arrêtés d’avant le 1er janvier 1947 est, à mon avis, conforme à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Benner c. Canada (Secrétaire d’État), [1997] 1 R.C.S. 358 (Benner).

[49]Dans Benner, qui portait sur le statut d’une personne née après le 1er janvier 1947 et sur la constitutionalité de certaines dispositions de la Loi sur la citoyenneté de 1977 qui étaient applicables et en vigueur lorsque le jugement a été rendu, le juge Iacobucci, pour la Cour, a exprimé au paragraphe 30 l’opinion selon laquelle :

Avant 1947, le concept de citoyenneté canadienne n’existait pas.

Dans ses motifs, il a déclaré que (au paragraphe 58) :

Sous le régime de la Loi de 1947, les personnes dans la situation de l’appelant n’avaient aucun droit particulier de demander la citoyenneté—cette loi ne comportait aucune disposition à leur égard.

[50]Notre Cour, dans Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1407 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée [2000] 2 R.C.S. xiv, a conclu que le concept de citoyenneté canadienne est une création statutaire fédérale, qu’il n’a pas de sens autre que celui que lui reconnaît la loi et que pour être citoyen canadien, une personne doit satisfaire aux exigences de la loi applicables. (Voir aussi McLean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 C.F. 127 (C.A.), confirmant [1999] A.C.F. no 1741, (1re inst.) (QL), et Veleta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 138.

[51]L’argument de M. Taylor, tel que je le comprends, est qu’il était citoyen canadien en vertu de la Loi de 1947 parce que l’arrêté en conseil C.P. 858 lui avait accordé ce statut ou parce que l’alinéa 4b) de la Loi de 1947, en distinguant les personnes nées dans les liens du mariage de celles nées hors des liens du mariage, viole les dispositions en matière d’égalité prévues à l’article 15 de la Charte.

a) C.P. 858

[52]Lorsque M. Taylor est débarqué au Canada en 1946, le décret C.P. 858 ne pouvait pas, en soi, conférer le statut de « citoyen canadien » en vertu de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, puisque ce statut n’existait pas avant l’entrée en vigueur de la Loi, le 1er janvier 1947.

[53]En ce qui a trait à l’effet de l’arrêté en conseil C.P. 858 (l’article 3 en particulier) après le 1er janvier 1947, jusqu’à son expiration le 15 mai 1947, le ministre a reconnu devant le juge Martineau, comme le juge le cite au paragraphe 173 de ses motifs, que :

[. . .] [traduction] « pour les personnes qui sont arrivées après le 1er janvier 1947 et avant le 15 mai 1947, l’arrêté en conseil C.P. 858 peut avoir entraîné l’acquisition automatique de la citoyenneté canadienne si le membre des forces armées dont elles étaient alors à la charge était également devenu un citoyen ou si elles étaient des sujets britanniques ». [Souligné dans l’original.]

[54]Le ministre a aussi reconnu, comme le juge Martineau le cite au paragraphe 173 de ses motifs, que :

[traduction]

Bien que l’arrêté en conseil C.P. 858 limite lui‑même sa portée « aux fins de la loi d’immigration du Canada », les modifications apportées à la Loi de l’immigration [de 1910], qui sont également entrées en vigueur le 1er janvier 1947, ont changé la définition du mot citoyen pour incorporer la définition qui se trouvait dans la nouvelle Loi sur la citoyenneté canadienne [de 1947]. En outre, le fait combiné de se voir octroyer le domicile et d’être un sujet britannique aurait eu en soi l’effet de répondre aux conditions de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947. [Souligné dans l’original.]

[55]Le juge Martineau a déclaré au paragraphe 174 de ses motifs que « si l’arrêté en conseil C.P. 858 peut avoir mené à l’octroi automatique de la citoyenneté canadienne pour les personnes à charge qui sont arrivées après le 1er janvier 1947 et avant le 15 mai 1947, comme le reconnaît [le ministre], il doit également avoir accordé ces droits à l’entrée en vigueur de la Loi sur la citoyenneté [canadienne] de 1947 aux personnes à charge qui avaient également le “statut de citoyen” à cette date. »

[56]Je ne suis pas certain que la concession de droit du ministre soit juste, mais je comprends qu’elle a incité le juge à donner à l’arrêté C.P. 858 un effet plus généreux qu’il n’avait peut‑être pas en réalité. Il n’est toutefois pas nécessaire que j’en dise davantage à ce sujet. Comme je l’ai déjà mentionné, je suis en effet d’avis qu’en raison de l’alinéa 2a) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, une personne à charge débarquée en vertu de l’arrêté  C.P. 858, avant ou après le 1er  janvier 1947, ne pouvait, après le 1er janvier 1947, obtenir le statut de citoyen canadien au sens de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 que si elle satisfaisait aux dispositions de la Loi (voir paragraphes 42 à 47 des présents motifs).

[57]Pour que M. Taylor se qualifie comme « citoyen canadien » en vertu de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, en tant que personne née avant le 1er janvier 1947, il devait donc satisfaire aux exigences de l’article 4 ou de l’article 9, ou demander la citoyenneté conformément au paragraphe 46(2) de la Loi. Comme je l’expliquerai, le paragraphe 46(2) ne s’applique pas à M. Taylor et tout statut de citoyen que M. Taylor aurait pu obtenir en vertu des articles 4 ou 9 a été perdu en vertu des dispositions relatives à la perte de citoyenneté applicables.

b) Paragraphe 46(2)

[58]Aucun argument n’a été présenté selon lequel M. Taylor avait obtenu la citoyenneté en vertu du paragraphe 46(2).

c) Alinéa 4b)

[59]En ce qui a trait à la constitutionalité de la disposition portant sur la naissance « hors du mariage » à l’alinéa 4b) de la Loi, je suis d’avis que, compte tenu des circonstances, l’application de l’article 15 de la Charte à la disposition de 1947 donnerait à la Charte un effet rétrospectif qu’elle ne peut pas avoir. Je suis aussi d’avis que, même si la Charte pouvait être appliquée et même s’il était conclu que l’alinéa 4b) constituait une discrimination injustifiée, la disposition relative à la perte de citoyenneté applicable (paragraphe 4(2) [édicté par S.C. 1952‑53, ch. 23, art. 2]) continuerait de s’appliquer aux personnes nées hors du Canada, peu importe la situation matrimoniale des parents.

[60]Bien qu’il soit incontesté que la Charte ne doive pas être appliquée de façon rétroactive ou rétrospective (voir Benner, au paragraphe 40), la Cour suprême du Canada a conclu qu’une situation comportant des événements s’étant produits avant l’entrée en vigueur de la Charte n’entraînera pas toujours l’application rétrospective de la Charte (Benner, au paragraphe 41).

[61]La Cour suprême a ainsi créé une distinction en ce qui a trait à l’application de la Charte à des contextes factuels antérieurs à son entrée en vigueur. Pour reprendre les mots du juge Iacobucci dans Benner, au paragraphe 45 :

La question à trancher consiste donc à caractériser la situation : s’agit‑il réellement de revenir en arrière pour corriger un événement passé, survenu avant que la Charte crée le droit revendiqué, ou s’agit‑il simplement d’apprécier l’application contemporaine d’un texte de loi qui a été édicté avant l’entrée en vigueur de la Charte?

Le juge Iacobucci a ajouté, au paragraphe 46 :

Je suis bien conscient que cette distinction n’est pas toujours aussi nette qu’on le souhaiterait, car bien des situations peuvent raisonnablement être considérées comme mettant en jeu à la fois des événements précis et isolés et des conditions en cours.

[62]Dans Benner, la question était de déterminer si le droit au même bénéfice de la loi, garanti par l’article 15 de la Charte, était violé parce que, en vertu des alinéas 3(1)c) et 5(2)b) et de l’article 22 de la Loi sur la citoyenneté de 1977, on exigeait que les enfants nés à l’extérieur du Canada d’une mère canadienne avant le 14 février 1977 se soumettent à une enquête de sécurité et prêtent un serment d’allégeance avant que le ministre ne puisse accueillir leur demande de citoyenneté, alors que les enfants nés hors du Canada d’un père canadien avant le 14 février 1977 pouvaient revendiquer la citoyenneté dès l’enregistrement de leur naissance. En d’autres mots, les demandes de citoyenneté présentées en vertu de la Loi en vigueur à ce moment étaient traitées différemment, selon que la personne revendiquait la citoyenneté par ses liens paternels, ou par ses liens maternels.

[63]La discrimination en question dans l’arrêt Benner ne découlait pas de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, qui n’existait plus alors, mais découlait plutôt d’une réparation prévue par le Parlement dans la Loi sur la citoyenneté de 1977 en vue de corriger une discrimination dans la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947. C’est la réparation de 1977 qui était contestée et non la disposition discriminatoire abrogée de 1947. Selon mon interprétation de ses motifs, le juge Iacobucci a conclu, dans Benner, que la discrimination créée dans la Loi de 1947 ne pouvait pas en elle‑même être contestée en appliquant la Charte, puisque la Loi de 1947 n’existait plus. Cependant, la correction imparfaite apportée dans la loi de 1977, pourrait quant à elle, être contestée parce qu’elle continuait, après l’entrée en vigueur de la Charte, à affecter le « statut en cours » de M. Benner.

[64]Les déclarations suivantes du juge Iacobucci semblent confirmer mon interprétation de ses motifs (aux paragraphes 32, 33, 58, 75 et 76) :

Reconnaissant l’injustice créée par cette situation, le Parlement a, en 1976, édicté une nouvelle Loi sur la citoyenneté. Cette nouvelle Loi conférait aux pères et aux mères le droit de transmettre la citoyenneté canadienne à leurs enfants nés à l’étranger. Toutefois, cette mesure ne s’appliquait qu’aux enfants nés après le 14 février 1977, date de l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. Le Parlement a édicté des dispositions distinctes pour les enfants nés avant cette date. Ne désirant manifestement pas abroger le droit à la citoyenneté que possédaient déjà les enfants nés à l’étranger d’un père canadien, le Parlement a maintenu, à l’al. 3(1)e) de la nouvelle Loi, le droit des demandeurs invoquant leur filiation paternelle d’obtenir la citoyenneté sur simple enregistrement de leur naissance [. . .]

Le Parlement n’a toutefois pas accordé le même droit à la citoyenneté aux enfants nés d’une mère canadienne avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi. Il leur a plutôt permis d’acquérir la citoyenneté par une procédure de demande. [Soulignement dan l’original.]

[. . .]

Je souligne que ces droits ont effectivement changé entre le moment où l’appelant est né et celui où il a demandé la citoyenneté. Sous le régime de la Loi de 1947, les personnes dans la situation de l’appelant n’avaient aucun droit particulier de demander la citoyenneté—cette loi ne comportait aucune disposition à leur égard. La Loi de 1977 a changé cet état de choses et créé un droit restreint à la citoyenneté pour les personnes comme l’appelant. Lorsqu’il a finalement demandé la citoyenneté en 1989, ce sont ces droits qui s’appliquaient à sa situation, et non ceux prescrits par la Loi antérieure qui était en vigueur au moment de sa naissance.

[. . .]

Face au caractère manifestement discriminatoire de la Loi de 1947, le Parlement a voulu corriger cette iniquité en modifiant la Loi. Cette décision du législateur fédéral est certes louable, mais elle n’a pas pour effet de soustraire la loi modifiée à tout examen ultérieur fondé sur la Charte. Par exemple, si le Parlement avait modifié une vieille loi assujettissant à un impôt sur le revenu spécial de 20 pour 100 tous les Canadiens d’origine chinoise, de façon à abaisser le taux de cet impôt à 10 pour 100, cela n’empêcherait pas l’impôt de 10 pour 100 en résultant d’être contesté en vertu de la Charte. En sa qualité d’intervenante, l’Association nationale des retraités fédéraux a souligné que la décision de retarder l’entrée en vigueur de l’art. 15 jusqu’au 17 avril 1985 visait à donner aux divers gouvernements la possibilité d’harmoniser leurs lois avec les droits à l’égalité inscrits dans la Constitution. Après cette date, ces lois étaient censées être susceptibles d’examen en regard de l’art. 15, qu’elles aient ou non été modifiées.

Il ne suffit pas non plus d’affirmer que la source véritable du traitement différent appliqué aux enfants nés à l’étranger d’une mère canadienne est la Loi de 1947, et non la Loi actuelle. La Loi de 1947 n’existe plus. Fait plus important encore, l’appelant ne l’a pas attaquée et cette loi n’est pas en litige en l’espèce. Les récriminations de l’appelant visent uniquement le fonctionnement de la Loi actuelle et le traitement qu’elle lui applique du fait que seule sa mère était canadienne. Dans la mesure où la Loi actuelle perpétue la discrimination créée par la loi qui l’a précédée, elle peut elle‑même être examinée en regard de l’art. 15, et c’est tout ce que l’appelant nous a demandé de faire. [Mon soulignement.]

[65]Le fait que le juge Iacobucci, au paragraphe 37, en résumant l’effet de la Loi de 1947, ait mentionné « trois catégories de “demandeurs” de la citoyenneté canadienne, fondées sur la filiation de l’intéressé », dont aucune ne porte sur les enfants nés avant 1947, est aussi révélateur. À toutes fins utiles, les droits des enfants nés avant 1947, qu’ils soient absolus ou conditionnels, étaient épuisés lorsque la Loi sur la citoyenneté de 1977 est entrée en vigueur. En effet, trente ans s’étaient écoulés, suffisamment longtemps pour que toute personne qui était mineure avant 1947 ne le soit plus.

[66]En l’espèce, la contestation de M. Taylor porte, en vérité, sur l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947, qui a été abrogé par la Loi sur la citoyenneté de 1977.

[67]Dans Benner, le juge Iacobucci a noté au paragraphe 46 que :

Pour déterminer si une affaire donnée emporte l’application de la Charte à un événement passé, ou simplement à une condition ou à un statut en cours, il faut se demander si, compte tenu de toutes les circonstances, l’élément le plus important ou le plus pertinent de cette affaire est l’événement passé ou la condition en cours qui en résulte.

[68]En bout de ligne, ma conclusion est la même que celle du juge Harrington dans Wilson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1475, et que celle du juge Nadon (alors juge à la Section de première instance de la Cour fédérale) dans Dubey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 582.

[69]Dans Wilson, le juge Harrington a expliqué, aux paragraphes 25 et 26 de ses motifs :

À mon avis, la Loi de 1977 a fait une rupture dans le lien de causalité entraînant que ce que M. Wilson demande en fait c’est de corriger un événement passé.

Je suis conforté dans mon opinion par la décision Dubey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 582, 222 F.T.R. 1, rendue par M. le juge Nadon, alors juge à la Section de première instance. Il a mentionné que la Loi de 1977 était censée corriger les distinctions entre les pères canadiens et les mères canadiennes de personnes nées hors du Canada après le 1er janvier 1947 et avant le 15 février 1977. Étant donné que la Loi de 1977 ne traite pas des personnes comme M. Wilson qui sont nées en 1946, cette loi n’a pas repris de dispositions législatives discriminatoires qui auraient eu à être appréciées au regard de la Charte. Que le point de déclenchement ait été l’entrée en vigueur de la Loi de 1977, selon ce qu’a déclaré le juge Nadon, ou plus tôt lorsque M. Wilson aurait pu ou aurait dû prendre des mesures, mais ne l’a pas fait, le résultat est le même. Les lois qui n’ont pas reconnu à M. Wilson le statut auquel il prétend n’ont pas d’application actuelle et ne sont ainsi pas soumises à l’application de la Charte. [Mon soulignement.]

[70]Il est intéressant de noter, finalement, que les auteurs de la Loi sur la citoyenneté de 1977 avaient voulu qu’elle n’ait pas d’effet rétroactif. Cela ressort clairement des Débats de la Chambre des communes, 21 mai 1975, à la page 5984, lors duquel le secrétaire d’État Faulkner a déclaré :

À notre avis, une loi rétroactive sur la citoyenneté aurait des conséquences imprévisibles. Elle pourrait porter atteinte à un droit au même titre que la loi qu’elle remplace.

et de la présentation devant le Comité permanent lors duquel M. Lewis Levy, directeur des services juridiques, Secrétariat d’État du Canada, s’est exprimé comme suit (Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la Radiodiffusion, des films et de l’assistance aux arts,  concernant : Bill C‑20, Loi sur la citoyenneté  dans les PROCÈS-VERBAUX ET TÉMOIGNAGES, fascicule no 36 (le vendredi 27 février 1976), aux pages 5 et 6) :

Lorsque l’on modifie une loi, on doit commencer à une période donnée et le principe de la non‑rétroactivité est maintenu [. . .]

Pour les enfants, c’est très différent. Ils n’étaient pas inclus précédemment. Nous ne savions pas où commencer ni ou terminer pour élargir le champ d’application. En plus de cela, comme nous voulons que la Loi s’applique également aux hommes et aux femmes, il nous faut penser dans un contexte historique. Prenez par exemple la situation des enfants nés à l’extérieur du pays, qui ont reçu la citoyenneté de leur père s’ils sont issus d’un mariage, et de leur mère, dans le cas contraire.

Nous proposons maintenant une égalité complète; ce qui signifie que l’enfant recevra la citoyenneté de l’un ou l’autre parent, qu’il soit issu d’un mariage ou non. S’il nous fallait revenir en arrière pour une application rétroactive de la Loi, le gouvernement et le pays seraient placés dans une situation où il devrait accepter des citoyens de toutes sortes. . . Cela semble peut‑être un peu tiré par les cheveux, mais remontons par exemple à la guerre de Corée ou aux missions canadiennes de surveillance au Moyen‑Orient ou à Chypre, par exemple. Supposons que certains militaires aient été plus actifs que d’autres, qu’ils aient eu des enfants; ils auraient le droit de les déclarer Canadiens et de les amener au pays. C’est un aspect de la question, vous n’avez pas idée de ce que vous pouvez déterrer. Il y a des personnes qui ne voudraient pas les laisser entrer, s’ils faisaient une demande d’immigration au ministère de l’Immigration. Voilà un facteur, il n’est peut‑être pas très important, mais théoriquement, il faut en tenir compte. 

[71]Il serait dès lors incongru d’utiliser la Charte en  2005 pour contester une loi de 1947 abrogée en 1977 par une loi que le Parlement ne souhaitait pas rétroactive.

[72]Je suis parfaitement conscient qu’au fond, ce sont des circonstances malheureuses et intempestives qui ont fait que M. Taylor ne soit pas devenu, au 1er janvier 1947, un citoyen canadien de naissance. Si ses parents avaient obtenu la permission de se marier avant que son père fût envoyé en France, M. Taylor se serait qualifié. Aussi infortuné que soit le résultat, il s’agit d’une situation pour laquelle les cours ne peuvent pas offrir de réparation. Je conclus que, compte tenu des circonstances, l’application de la Charte à l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 donnerait à la Charte un effet rétrospectif, qu’elle ne peut pas avoir.

d) Article 9 de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947

[73]Il n’est pas clair si M. Taylor soutient, subsidiairement, qu’il a qualité de citoyen canadien autrement que par la naissance, au sens de l’alinéa 9(1)b) de la Loi de 1947, parce qu’il aurait été

(b) immediately before the commencement of this Act . . . a British subject who had Canadian domicile.

9. (1) [. . .]

b) si immédiatement avant la mise en vigueur de cette loi […] un sujet britannique possédant un domicile canadien.

[74]Il était, bien entendu, un sujet britannique avant le 1er janvier 1947. Il possédait, possiblement, un domicile canadien à l’époque, du fait de la disposition déterminative à l’article 3 de l’arrêté en conseil C.P. 858. Je dis « possiblement » parce qu’il ne se trouvait plus au Canada, le 1er  janvier 1947, puisqu’il avait quitté le pays avec sa mère en octobre 1946 sans intention, semble‑t‑il, de retour. Le sous‑alinéa 2f)(ii) de la Loi de l’immigration de 1910 prévoit que :

2. [. . .]

 f) [. . .]

(ii) Cesse d’avoir domicile au Canada, pour les fins de la présente loi, toute personne qui réside volontairement en dehors du Canada, non pas simplement pour quelque objet particulier ou temporaire, mais avec l’intention réelle de demeurer permanemment en dehors du Canada, ainsi que toute personne qui appartient aux catégories interdites ou non désirables aux termes de la présente loi;

[75]Le ministre soutient que M. Taylor a perdu son domicile canadien lorsqu’il a quitté pour l’Angleterre en octobre 1946 et que, par conséquent, il ne possédait pas de domicile canadien « immédiatement avant la mise en vigueur de la [Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947] ». L’argument n’est peut‑être pas sans fondement, mais j’hésiterais, compte tenu du peu d’éléments de preuve au dossier, à conclure que M. Taylor a perdu en octobre 1946 le domicile canadien qu’il avait acquis, en vertu de l’arrêté C.P. 858, en juillet 1946.

[76]Cependant, le fait que M. Taylor était peut‑être un citoyen canadien autrement que par la naissance, au sens de l’article 9 de la Loi de 1947, ne lui est d’aucune aide. Comme je l’expliquerai dans les paragraphes suivants, il aurait de toute façon été visé par la disposition relative à la perte de citoyenneté à l’article 20 de la Loi de 1947.

II. Les dispositions relatives à la perte de citoyenneté dans la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947

[77]Pour le cas où je ferais fausse route en concluant que M. Taylor n’est pas un citoyen canadien de naissance au sens de l’alinéa 4b) de la Loi de 1947, ou si, comme je l’ai mentionné précédemment, je suppose pour les fins de la discussion que M. Taylor était un citoyen autrement que par la naissance, au sens de l’article 9 de la Loi de 1947, la question se pose alors à savoir s’il est visé par l’une des dispositions relatives à la perte de citoyenneté prévues par la Loi.

Le paragraphe 4(2)

[78]Une conclusion selon laquelle la Charte s’applique à l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 ne serait de toute manière d’aucune utilité pour M. Taylor. La réparation que la Cour accorderait serait de radier l’expression « dans le cas d’une personne née hors du mariage » de cet alinéa, ce qui retirerait alors la distinction entre un enfant qui obtient la citoyenneté par son lien de filiation avec son père, et l’enfant qui l’obtient par son lien de filiation avec sa mère.

)

[79]M. Taylor n’en resterait tout de même pas moins visé par la disposition relative à la perte de citoyenneté, comme tous les autres enfants mineurs, prévue au paragraphe 4(2) de la Loi. Le paragraphe 4(2) a été édicté en 1953 dans la Loi modificative de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1952‑53, ch. 23 [l’article 2]. Il est entré en vigueur de façon rétroactive au 1er janvier 1947. (À la suite de la modification de 1953, l’article 4 de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 a été renuméroté et l’ancien alinéa 4b) est devenu l’alinéa 4(1)b). Pour éviter la confusion, je continuerai à utiliser « alinéa 4b) » dans le reste de mes motifs.)

[80]La disposition relative à la perte de citoyenneté, c’est‑à‑dire le paragraphe 4(2), se lit comme suit :

4. (1) [. . .]

(2) Une personne qui est un citoyen canadien aux termes de l’alinéa b) du paragraphe premier et qui était mineure au premier jour de janvier 1947, cesse d’être un citoyen canadien à la date d’expiration de trois années après le jour où elle a atteint l’âge de vingt et un ans ou le premier jour de janvier 1954, selon la plus tardive de ces dates, à moins

(a) has his place of domicile in Canada at such date; or

a) qu’elle n’ait son lieu de domicile au Canada à pareille date; ou

(b) has, before such date and after attaining the age of twenty‑one years, filed, in accordance with the regulations, a declaration of retention of Canadian citizenship.

b) qu’elle n’ait, avant pareille date et après avoir atteint l’âge de vingt et un ans, produit, en conformité des règlements, une déclaration de rétention de citoyenneté canadienne.

[81]M. Taylor ne conteste pas qu’il ne possédait pas de domicile canadien le jour de son 24e anniversaire, ni qu’il n’avait pas présenté de déclaration de rétention avant cette date.

L’article 20

[82]Si l’on présume que M. Taylor est un citoyen canadien autrement que par la naissance, conformément à l’article 9 de la Loi de 1947, alors la disposition relative à la perte de citoyenneté prévue à l’article 20 de la Loi de 1947 entre en jeu. L’article 20 prévoit qu’un citoyen canadien, autre qu’un citoyen canadien de naissance,

20. [. . .] cesse d’être citoyen canadien s’il réside hors du Canada pendant une période d’au moins six années consécutives [. . .]

La période de « six années consécutives » a été étendue, avec effet rétroactif au 1er janvier 1947, à « dix années consécutives » (Loi modificative de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.C. 1952‑53, ch. 23, article 8).

[83]M. Taylor ne conteste pas le fait qu’il a habité à l’extérieur du Canada pendant une période d’au moins dix années consécutives à partir du 1er janvier 1947.

[84]Les deux dispositions relatives à la perte de citoyenneté sont donc applicables à M. Taylor, à moins que sa contestation de ces dispositions, fondée sur la Déclaration canadienne des droits et sur la Charte, ne soit fructueuse.

Application régulière de la loi et justice fondamentale

[85]La position de l’intimé et les motifs du juge des demandes au sujet des dispositions relatives à la perte de citoyenneté ne sont pas clairs. Ils se fondent sim-ultanément sur les principes d’application régulière de la loi, de justice fondamentale et d’équité procédurale. Dans son avis de question constitutionnelle, l’intimé fait référence à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits (le droit de ne pas se voir privé de la sécurité de la personne, sauf par l’application régulière de la loi), à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits) et à l’article 7 de la Charte (le droit de ne se voir privé du droit à la sécurité de la personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale).

[86]Pour l’instant, aux fins de la discussion, je supposerai que tant la Déclaration canadienne des droits que la Charte sont applicables à la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947.

[87]Comme il n’y a aucune procédure administrative en question, ni le concept d’audition impartiale, mentionné à l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, ni celui d’application régulière de la loi n’entrent en jeu (voir MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856 (C.A), le juge Heald, aux pages 877 et 878). Dans Authorson c. Canada (Procureur général), [2003] 2 R.C.S. 40 (Authorson), le juge Major a aussi déclaré au paragraphe 61 :

L’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits n’oblige pas le législateur à tenir une audience avant l’adoption d’une loi. Ses garanties ne jouent que dans le cadre de l’application de la loi à des situations individuelles dans une instance tenue devant une cour de justice, un tribunal administratif ou un organisme semblable.

[88]En ce qui a trait au principe de justice fondamentale, l’intimé n’a identifié aucun tel principe. Notre Cour a récemment examiné, dans Prentice c. Canada, [2006] 3 R.C.F. 135 (C.A.F.), le fardeau qui incombe à une partie qui soutient qu’il y a eu manquement à un principe de justice fondamentale en vertu de l’article 7 de la Charte.

[89]Dans son mémoire des faits et du droit, au paragraphe 104, M. Taylor semble soutenir que la question principale, au sujet de l’article 7 de la Charte, est qu’il doit y avoir une audition et un préavis équitable avant qu’un citoyen ne perde sa citoyenneté. Dans ses motifs, bien que ce ne soit pas parfaitement clair, le juge semble avoir décidé que le principe de justice fondamentale en litige est la façon « arbitraire » par laquelle M. Taylor s’est vu retirer sa citoyenneté.

[90]En d’autres mots, selon mon interprétation de l’argument de M. Taylor et des motifs du juge, le principe fondamental en question en l’espèce est le fait que personne ne devrait se voir retirer sa citoyenneté à moins que la loi ou le règlement ne prévoit une forme d’avis approprié qui soit donné à la personne concernée (voir les motifs du juge, au paragraphe 249). Aucune jurisprudence n’a été citée à l’appui de la proposition selon laquelle un tel principe, s’il existe, est un principe fondamental. Au mieux, la proposition est une façon différente d’énoncer que le principe de « l’application régulière de la loi » exige qu’un avis soit donné, ce qui nous ramène au principe de « l’application régulière de la loi » et à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits. Il nous reste donc l’argument selon lequel l’application régulière de la loi, aux termes de l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits, exige qu’un avis soit donné à la personne qui risque de perdre sa citoyenneté en raison d’une loi à venir.

[91]La conclusion du juge, selon laquelle l’application régulière de la loi exige qu’on donne à la personne ce que le juge appelle un « avis approprié » de la disposition relative à la perte de citoyenneté de la Loi de 1947, est contraire à la longue tradition parlementaire et aux principes juridiques bien établis.

[92]Le processus législatif au Canada est un processus public. Tout projet de loi fédérale doit faire l’objet de trois lectures à la Chambre des communes et au Sénat et doit recevoir la sanction royale avant que la loi ne soit adoptée. Lorsqu’une loi entre en vigueur, elle devient exécutoire pour toutes les personnes à qui elle s’applique. Dans l’arrêt Authorson, le juge Major a déclaré aux paragraphes 12 et 37 :

La garantie d’application régulière de la loi ne confère pas aux Anciens combattants le droit à un préavis et à une audition par le Parlement avant l’adoption d’une loi expropriatrice. Aussi malheureux que cela puisse être pour l’intimé, notre longue tradition parlementaire n’a jamais exigé une telle procédure.

[. . .]

L’intimé a soutenu avoir droit à un préavis et à une audition lui permettant de contester l’adoption du par. 5.1(4) de la Loi sur le ministère des Anciens combattants. Toutefois, un tel droit n’existait pas en 1960 et n’existe toujours pas aujourd’hui. Selon notre longue tradition parlementaire, il est clair que tout ce qu’un citoyen canadien peut exiger, sur le plan procédural, c’est qu’un projet de loi fasse l’objet de trois lectures à la Chambre des communes et au Sénat et qu’il reçoive la sanction royale. Une fois ce processus mené à terme, les mesures législatives prises par le Parlement dans les limites de sa compétence sont inattaquables.

Ces énoncés s’appliquent, à mon avis, que le droit en question soit le droit « à la jouissance des biens », comme c’était le cas dans Authorson, ou le droit « à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne » que M. Taylor revendique. L’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits ne donne pas à penser qu’il existe une distinction à ce sujet.

[93]Il est bien établi que l’ignorance de la loi n’est pas une excuse. Tous sont censés connaître la loi et tous sont liés par la loi. (Voir, dans le contexte de la citoyenneté, McNeil c. Canada (Secrétaire d’État), [2000] A.C.F. no 1477 (1re inst.) (QL); voir, dans un contexte plus général, R. c. Molis, [1980] 2 R.C.S. 356, à la page 363.)

[94]De même, cette Cour a récemment conclu qu’aucune règle de droit ne permet d’imposer l’obligation aux représentants du gouvernement d’avertir une personne qu’elle peut être touchée par une nouvelle loi. (Voir dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 387, (C.A.F.) au paragraphe 20.)

[95]À ce sujet, la décision de notre Cour dans Veleta, ne soutient pas une conclusion selon laquelle, en principe, il existe une exigence de préavis dans les cas de citoyenneté. L’exigence de préavis, dans cette affaire, découlait largement du fait que la conclusion de la Cour avait un effet direct sur le statut de citoyen de tierces personnes. De plus, la citoyenneté de l’un des tiers avait déjà été reconnue et il était raisonnable et légitime que ce tiers s’attende à recevoir un quelconque préavis du ministre au sujet du changement de son statut en matière de citoyenneté.

[96]Exiger un avis supplémentaire de certaines dispositions d’une loi créerait des problèmes pratiques évidents. En ce qui a trait à la Loi de 1947, il n’est pas clair de quelle façon le gouvernement, en pratique, aurait pu avertir les personnes qui pouvaient être affectées par la disposition relative à la perte de citoyenneté puisque beaucoup d’entre elles se trouvaient hors du Canada et que leur existence, identité et lieu de résidence étaient inconnus. Le fait d’exiger un avis supplémentaire créerait aussi une situation dans laquelle les lois d’application générale ne s’appliqueraient pas de façon égale envers tous, puisque leur application dépendrait du préavis qui aurait été donné ou non.

[97]Les dispositions relatives à la perte de citoyenneté se trouvent dans la Loi de 1947, que le Parlement a débattue et publiée. Les trois lectures au Sénat et à la Chambre des communes, ainsi que la publication, constituaient un avis approprié de toutes les dispositions de la Loi de 1947, y compris des dispositions relatives à la perte de citoyenneté. La Loi de 1947 entière est devenue exécutoire pour toutes les personnes à qui elle s’appliquait lorsqu’elle est entrée en vigueur le 1er janvier 1947. Il en est de même, bien entendu, pour les modifications apportées en 1953.

[98]Dans la Loi de 1947, le Parlement a donné aux mineurs nés hors du Canada une occasion spéciale de revendiquer leur statut de citoyen au cours d’une longue période—24 ans pour être précis. Dans le cas de personnes devenues citoyens canadiens autrement que par la naissance, le Parlement a aussi préservé leur statut. Ils devaient résider à l’extérieur du Canada pendant 10 années consécutives avant de perdre leur citoyenneté. Il est malheureux que M. Taylor n’ait pas eu connaissance de ces dispositions à temps. Cependant, en vertu du régime parlementaire du Canada, il ne s’agit pas d’une situation qui commande l’application du principe de « l’application régulière de la loi ».

III. La discrimination fondée sur l’âge

[99]L’intimé conteste aussi les alinéas 3(1)d) et e) de la Loi actuelle [Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C‑29]. Il soutient qu’il s’agit d’une violation de l’article 15 de la Charte, puisqu’il est traité différemment en raison de sa date de naissance. Ces alinéas se lisent comme suit :

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

[. . .]

(d) the person was a citizen immediately before February 15, 1977; or

d) ayant cette qualité au 14 février 1977;

(e) the person was entitled, immediately before February 15, 1977, to become a citizen under paragraph 5(1)(b) of the former Act.

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi.

[100]Le juge des demandes a résumé l’argument de l’intimé au paragraphe 257 de ses motifs, où il déclare que l’intimé soutient :

[. . .] que les régimes législatifs antérieurs et actuel en matière de citoyenneté sont « discriminatoires ». Les enfants nés à l’extérieur du Canada, dans les liens du mariage ou hors du mariage, avant et après le 15 février 1977, sont traités différemment pour ce qui est de l’acquisition et de l’extinction du statut de citoyen. Cette différence de traitement est actuellement fondée sur la date de naissance d’une personne (un motif analogue à celui de l’âge) et, en fait, perpétue une différence de traitement antérieure fondée sur l’état matrimonial et le sexe de l’un des parents, qui sont les éléments clés pour déterminer si la citoyenneté est transmise par le père ou par la mère. Le demandeur soutient qu’une telle différence de traitement reflète une opinion déshonorante et préjudiciable à l’égard des « enfants illégitimes » qui est discriminatoire et qui porte atteinte aux droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte. [Mon soulignement.]

[101]Avant d’effectuer une analyse fondée sur l’article 15 pour une question aussi complexe que celle‑ci, il est important d’examiner les observations présentées pour trouver le cœur de la présumée discrimination. Je suis d’avis que la source principale de la discrimination alléguée par l’intimé reste le traitement différent, fondé sur la situation matrimoniale de ses parents, prévu à l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947. Pour plus de clarté, il convient de citer le mémoire des faits et du droit de l’intimé, dans lequel il déclare, au paragraphe 122 :

[traduction]

On soutient que la loi de 1977 établit par conséquent un régime selon lequel les personnes nées avant le 1er janvier 1947 doivent avoir fait valoir leur droit à la citoyenneté en débarquant et en prêtant serment d’allégeance (avant l’âge de 24 ans) avant le 15 février 1977, sinon ces personnes n’auront jamais le droit de réclamer la citoyenneté. Ceci crée donc une différence de traitement entre les personnes nées avant et les personnes nées après le 1er janvier 1947, ce qui a pour effet d’empêcher l’application de l’alinéa 4b) de la loi précédente. Le traitement différent est fondé sur la date de naissance, c’est‑à‑dire si la personne est née avant, ou après, le 1er janvier 1947, et a fait valoir son droit avant 1977 (donc, fondé sur un motif analogue à l’âge). [Mon soulignement.]


[102]Ce que l’intimé tente d’obtenir avec cet argument au sujet de l’article 15 de la Charte, selon lequel il y a eu traitement différent fondé sur sa date de naissance, c’est que l’alinéa 4b) abrogé de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 soit incorporé par renvoi dans la Loi sur la citoyenneté actuelle. Même si la Cour pouvait accorder un tel recours, j’estime que je n’ai pas à poursuivre plus avant sur cette question. Pour que l’intimé ait finalement gain de cause, je devrais, à un certain point, revenir sur la distinction au sujet de la situation matrimoniale prévue à l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 (qui a été reconduit, dans les statuts révisés de 1970) à l’alinéa 4(1)b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne [S.R.C. 1970, ch. C‑19]). Nous tournons en rond, me semble‑t‑il. Pour illustrer encore mieux dans quelle mesure M. Taylor demande à la Cour d’incorporer par renvoi l’alinéa 4b) de la Loi de 1947 dans la Loi actuelle, il suffit de noter que, dans son avis de question constitutionnelle, il conteste des dispositions tirées de lois qui datent, respectivement, de 1985, de 1977, de 1970, de 1953, de 1951 et de 1947.

[103]La décision Augier c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 4 R.C.F. 150 (C.F.) (Augier) se distingue de l’affaire en l’espèce pour les mêmes raisons énoncées plus tôt au sujet de l’arrêt Benner. Dans Augier, le juge Mosley a conclu qu’une distinction prévue à l’alinéa 5(2)b) de la Loi sur la citoyenneté actuelle, fondée sur le sexe et sur la situation matrimoniale, constitue une violation injustifiée de l’article 15. Il est important de noter que l’analyse effectuée dans Augier, et le recours qui a été accordé, étaient fondés sur le fait que la disposition contestée était courante et en vigueur.

[104]Cette Cour, dans l’arrêt Mclean, et la Cour fédérale, dans les décisions Dubey et Wilson, ont rejeté des contestations de la constitutionalité des alinéas 3(1)d) et e) de la Loi sur la citoyenneté de 1977. Il ne sert à rien de répéter en l’espèce ce qui a été conclu dans ces affaires.

[105]De toute façon, si je fais erreur dans ma conclusion au sujet de l’argument de l’intimé portant sur l’article 15, selon lequel il y aurait discrimination fondée sur sa date de naissance, tout droit à la citoyenneté que l’intimé aurait eu en vertu de l’alinéa 4b) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 était déjà perdu en vertu de la disposition relative à la perte de citoyenneté prévue au paragraphe 4(2) de la Loi sur la citoyenneté canadienne de 1947 (dans sa version modifiée de 1953). Lorsque l’alinéa 4b) et le paragraphe 4(2) ont été abrogés par la Loi sur la citoyenneté de 1977, l’intimé avait déjà plus de 24 ans et, par conséquent, il ne pouvait conserver aucun droit à la citoyenneté canadienne en vertu de l’alinéa 4b).

.

[106]Les tribunaux doivent être prudents lors de l’application temporelle de l’article 15 de la Charte. Les rédacteurs de l’article 15 de la Charte n’ont pas voulu qu’elle s’appliquât rétroactivement ou rétrospectivement. La preuve se trouve dans le fait même que l’article 15 est entré en vigueur trois ans après le reste de la Charte (voir le paragraphe 32(2) de la Charte). Les décisions Regina c. Seo (1986), 54 O.R. (2d) 293 (C.A.); Davidson et al v. Davidson (1986), 33 D.L.R. (4th) 161, (C.A. C.‑B.), à la page 170; et Mack v. Canada (Attorney General) (2002), 60 O.R. (3d) 737 (C.A.) appuient mon point de vue.

[107]Le fait de ne pas appliquer la Charte de façon rétroactive ou rétrospective à une loi de 1947 qui a été abrogée avant que la Charte n’entre en vigueur témoigne d’une certaine sagesse. Il me semble qu’il serait injuste à l’égard du Parlement et du gouvernement de l’époque de juger les valeurs morales qui existaient dans ce passé lointain, à la lumière des valeurs d’aujourd’hui. Le gouvernement de ce jour aurait aussi, peut‑être, un fardeau insupportable s’il devait démontrer aujourd’hui que les mesures prises à cette époque étaient alors justifiées dans une société libre et démocratique. Et tant qu’à nous lancer dans le domaine de l’histoire, de la spéculation et des hypothèses, ne pourrions‑nous pas envisager la possibilité que le Parlement, compte tenu de la situation existante en 1947, ait alors invoqué la clause de dérogation? Car, si nous appliquons la Charte au passé, ne devrions‑nous pas l’appliquer avec les contrepoids qu’elle contient? Tout cela pour suggérer que les tribunaux ne sont peut‑être pas l’instance appropriée pour réécrire l’histoire.

Conclusion

[108]La Cour ne peut donc pas satisfaire au désir de M. Taylor d’être reconnu comme citoyen canadien à partir de sa date de naissance ou, à tout le moins, à partir du 1er janvier 1947. M. Taylor peut tout de même présenter une demande de citoyenneté en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi actuelle. C’est à cette avenue, je pense, que l’avocat du ministre songeait au début de l’audience, lorsqu’il a encouragé M. Taylor à se prévaloir des possibilités que lui offre la Loi actuelle.

Dispositif

[109]J’accueillerais l’appel, j’infirmerais la décision du juge Martineau rendue le 1er septembre 2006 et je rétablirais la décision de l’agente de la citoyenneté Hefferon, rendue le 5 avril 2005, qui rejetait la demande de certificat de citoyenneté présentée par M. Taylor.

[110]Le ministre appelant n’a pas demandé les dépens et aucuns dépens ne devraient être accordés devant cette Cour ni devant la Cour fédérale.

La juge Desjardins, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Ryer, J.C.A. : Je suis d’accord.

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