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[2014] 1 R.C.F. 21

T-1645-10

2012 CF 474

Procureur général du Canada (demandeur)

c.

Hani Al Telbani (défendeur)

et

Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (intervenant)

Répertorié : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Telbani

Cour fédérale, juge Noël—Ottawa, 31 janvier et 23 avril 2012.

Renseignement de sécurité — Contrôle judiciaire d’une décision du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) statuant qu’il a compétence pour trancher des questions de droit reliées à la Charte canadienne des droits et libertés — Les agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) auraient violé les droits fondamentaux du défendeur garantis par la Charte — Le défendeur a déposé une plainte auprès du CSARS et a demandé une réparation — Il s’agissait de savoir si le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur les allégations du défendeur selon lesquelles ses droits constitutionnels ont été violés, et ce, aussi bien au sens de l’art. 24(1) de la Charte que de l’art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 — Le CSARS a la compétence implicite de trancher des questions de droit, dont celles mettant en cause l’application de la Charte — Le CSARS a pour mission de s’assurer que le SCRS opère conformément aux lois du Canada, tout en s’assurant que la sécurité du Canada de même que les droits individuels sont protégés — Il est difficile pour le CSARS d’assumer sa mission sans tenir compte des lois en vigueur — Le défaut de reconnaître le pouvoir implicite du CSARS de trancher des questions de droit équivaudrait à rendre désuète sa fonction d’enquête — L’interaction du CSARS avec les autres composantes du régime administratif et ses attributs d’instance juridictionnelle le distinguent au point tel de constater qu’un pouvoir implicite existe — Le CSARS a beaucoup des attributs normalement confiés à une cour de justice — Le législateur n’a pas voulu soustraire l’application de la Charte des fonctions du CSARS — Le CSARS doit assurer une application uniforme du droit, dont la Charte — Le CSARS a compétence pour accorder la réparation précise demandée par le défendeur — Demande rejetée.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) a compétence pour se prononcer sur des questions de droit, dont la Charte — Les agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) auraient violé les droits fondamentaux du défendeur garantis par la Charte — Il s’agissait de savoir si le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur les allégations du défendeur selon lesquelles ses droits constitutionnels ont été violés, et ce, aussi bien au sens de l’art. 24(1) de la Charte que de l’art. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 — Le CSARS a la compétence implicite de trancher des questions de droit, dont celles mettant en cause l’application de la Charte — Le législateur n’a pas voulu soustraire l’application de la Charte des fonctions du CSARS — Le CSARS doit assurer une application uniforme du droit, dont la Charte.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), qui a déterminé que lorsqu’il enquête sur une plainte concernant les activités du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), il a compétence pour entendre des arguments et trancher des questions de droit reliées à la Charte canadienne des droits et libertés.

Le défendeur a allégué que, en raison de leur comportement et de leurs agissements à son égard, les agents du SCRS ont violé ses droits fondamentaux garantis par les articles 7, 9 et 10 de la Charte. Un rapport du SCRS aurait été préparé dans le but de faire inscrire le nom du défendeur sur la Liste des personnes précisées (« la Liste »), soit une liste des personnes interdites de vol (no-fly list). Le défendeur a déposé une plainte auprès du CSARS dans laquelle il a demandé une enquête en vue d’établir la responsabilité du SCRS, l’annulation de tout rapport préjudiciable, le retrait de son nom de la Liste et une indemnisation pour les préjudices subis. Le SCRS s’est opposé à la compétence du CSARS d’entendre des arguments relatifs à la Charte. Les parties ont ensuite présenté une demande conjointe selon laquelle le CSARS se devait de trancher la question de compétence avant de procéder à l’enquête. Il est apparu essentiel au CSARS qu’il soit investi du pouvoir d’appliquer la Charte afin d’accomplir le mandat qui lui a été confié par le législateur. Il a statué, entre autres, qu’il avait la compétence implicite de trancher des questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative, et que le législateur avait voulu qu’il puisse accorder le type de réparations demandées dans la plainte du défendeur.

Il s’agissait de savoir si le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur les allégations du défendeur selon lesquelles ses droits constitutionnels garantis par la Charte ont été violés, et ce, aussi bien au sens du paragraphe 24(1) de la Charte que du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Le CSARS a le pouvoir implicite de trancher les questions de droit, y compris celles reliées à la Charte. Les facteurs développés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur (Martin) ont été appliqués aux circonstances particulières de l’espèce afin d’examiner de quelle façon la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (LSCRS) attribue implicitement au SCRS un pouvoir de trancher des questions de droit.

La mission du CSARS consiste à scruter les activités du SCRS dans le but de s’assurer qu’il opère conformément aux lois du Canada, à la LSCRS, à ses règlements et aux politiques, tout en s’assurant que la sécurité du Canada est protégée, tout comme les droits garantis par les lois canadiennes. Pour réaliser cette mission, le CSARS doit examiner le travail du SCRS à la lumière des lois du Canada. En conséquence, il est appelé à appliquer ces lois. Plus particulièrement, la fonction d’enquête de l’article 41 de la LSCRS inclut non seulement une obligation de décider de questions de fait, mais aussi de le faire en tenant compte du droit applicable selon les particularités de la plainte à l’étude. Le défaut de reconnaître que la mission législative du CSARS comporte un pouvoir implicite de trancher des questions de droit équivaudrait à rendre désuète la fonction d’enquête du CSARS. Il serait insensé pour le CSARS de conclure sur des faits sans pouvoir évaluer ces conclusions à la lumière d'une toile de fond législative.

L’interaction du CSARS avec d'autres composantes du régime administratif appuie également la thèse selon laquelle le législateur a donné au CSARS un pouvoir implicite de trancher des questions de droit, y compris celles reliées aux droits protégés par la Charte.

Le facteur portant sur les attributs d’instance juridictionnelle de l’arrêt Martin joue en faveur d’une reconnaissance d’un pouvoir implicite accordé au CSARS lui permettant de trancher des questions de droit dans l’exercice de sa fonction d’enquête sur des plaintes dirigées contre les activités du SCRS. Le CSARS, dans le cadre de sa fonction d’enquête sur des plaintes dirigées contre les activités du SCRS, a beaucoup des attributs normalement confiés à une cour de justice, comme le pouvoir de faire des recommandations, lesquelles s’apparentent à ce que peut être un jugement déclaratoire. Tant pour le CSARS que pour une cour de justice, le processus à suivre lorsque la sécurité nationale est en jeu est de s’assurer que les principes de justice fondamentale sont respectés selon les circonstances particulières du dossier, et ce, sans que le processus suivi ne dévoile indument de l’information confidentielle.

En aucun endroit dans la législation ne voit-on une intention de la part du législateur de soustraire l’application de la Charte des fonctions du CSARS, dont celle d’enquête. Le CSARS, ayant à enquêter sur les activités du SCRS par ses fonctions de surveillance, d’examen et d’enquête, doit assurer une application uniforme du droit, dont la Charte.

Enfin, quant à la compétence du CSARS d’accorder la réparation précise demandée en vertu de la LSCRS, la mission du CSARS ne laisse pas de doute qu’il se doit d’enquêter sur ces allégations soulevées au sujet des activités du Service. La structure du CSARS le dote d’un mécanisme idéal pour mener des enquêtes sur ces allégations sans mettre à risque la sécurité nationale, et la fonction d’enquête du Comité lui permet de déterminer la validité des allégations. Le CSARS peut donc accorder la réparation précise demandée par le défendeur eu égard au régime législatif applicable.

En conclusion, le CSARS a été conçu pour être un mécanisme d’enquête accessible, efficace et rapide. Le fait de conclure que le CSARS n’est pas un tribunal compétent pour faire enquête sur des allégations de violation des droits constitutionnels d’un plaignant viendrait restreindre de manière significative ce mécanisme.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 7, 9, 10, 24.

Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, art. 133 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 17).

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H­6, art. 43 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 31, art. 63), 44 (mod., idem, art. 64; L.C. 1998, ch. 9, art. 24), 45 (mod., idem, art. 25), 46, 47.

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 47(1).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 83(1)c) (mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4).

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 38 à 38.16 (édictés par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141).

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 19 (mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F); 1997, ch. 22, art. 1), 19.1(1) (édicté, idem, art. 2), 20 (mod., idem, art. 3).

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21.

Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23, art. 2 « menaces envers la sécurité du Canada » (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 89), 6, 10, 12, 13 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25), 14 (mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 223), 16 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25; 2001, ch. 27, art. 224), 17 (mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25), 21, 30, 31, 33, 34, 37, 38 (mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 225), 39, 40, 41 (mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 146(A)), 42, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 54, 55 (mod. par L.C. 2001 ch. 27, art. 226), 56.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 18.1 (édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28).

Loi sur les infractions en matière de sécurité, L.R.C. (1985), ch. S-7.

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2.

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31.

Règles de procédure du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à l’égard des fonctions exercées en vertu de l’alinéa 38(c) de la Loi sur le Service canadien de renseignement de sécurité, adoptées le 9 mars 1985, règles 13, 45, 46, en ligne : <http://www.sirc-csars.gc.ca/cmpplt/rulreg-fra.html>.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504.

décision différenciée :

Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854.

décisions examinées :

Omary c. Canada (Procureur général), 2010 CF 335; Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; Thomson c. Canada, [1988] 3 C.F. 108 (C.A.); Nourhaghighi c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), 2005 CF 148; Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), [1999] 4 C.F. 624 (C.A.); Mikail c. Canada (Procureur général), 2011 CF 674, [2013] 1 R.C.F. 555; Brar c. Canada (Solliciteur général), [1989] A.C.F. n° 1113 (1re inst.) (QL); R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575; Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.); Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169.

décisions citées :

R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 233 (C.A.).

DOCTRINE CITÉE

Canada. Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada. Troisième rapport : Certaines activités de la GRC et la connaissance qu’en avait le gouvernement (1981) (M. le juge D.C. McDonald (président)), en ligne : <http://epe.lac-bac.gc.ca/100/200/301/pco-bcp/commissions-ef/mcdonald1979-81-fra/mcdonald1979-81-fra.htm>.

Canada. Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar. Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale, en ligne : <http://www.sirc-csars.gc.ca/pdfs/cm_arar_rcmpgrc-fra.pdf>.

Canada. Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin : Rapport final (L’honorable Frank Iacobucci, c.r., commissaire), en ligne : <http://epe.lac-bac.gc.ca/100/206/301/pco-bcp/commissions/internal_inquiry/2010-03-09/www.iacobucciinquiry.ca/fr/documents/final-report.htm>.

Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Le rôle du SCRS dans l’affaire Omar Khadr, Étude du CSARS no 2008-05, 8 juillet 2009, en ligne : <http://www.sirc-csars.gc.ca/opbapb/2008-05/index-fra.html>.

Solliciteur général du Canada. Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90. Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1991.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité qui a déterminé que lorsqu’il enquête sur une plainte contre des activités du Service canadien du renseignement de sécurité, il a compétence pour entendre des arguments et trancher des questions de droit reliés à la Charte canadienne des droits et libertés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Kathia Bustros et Michael Peirce pour le demandeur.

Personne n’a comparu pour le défendeur.

Nadia Effendi pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Doyon & Associés, Montréal, pour le défendeur.

Borden Ladner Gervais s.e.n.c.r.l., s.r.l., Ottawa, pour l’intervenant.

Voici les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus en français par

Le juge Noël :

L’introduction

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 8 septembre 2010 par le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS ou Comité) sous la signature du membre, l’honorable Denis Losier (le membre). Le CSARS a déterminé que lorsqu’il enquête une plainte contre des activités du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS ou Service), dont celle de M. Hani Al Telbani (M. Telbani), il a compétence pour entendre des arguments et trancher des questions de droit reliés à la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (Charte). Le statut d’intervenant fut accordé au Comité pour discuter de la juridiction. L’intimé n’a pas soumis de mémoire écrit. Il est d’accord avec les arguments du Comité et la décision de celui-ci.

[2]        Aux fins d’une bonne compréhension des présents motifs, on retrouve ci-dessous le plan suivi pour répondre à cette demande de contrôle judiciaire :

Le plan

Paragraphe

     L’introduction

1

     Le plan

2

I. Le contexte

4

II. Le sommaire de la décision à l’étude

13

A. Compétence dans le cadre du mandat législatif du CSARS

14

B. Compétence en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982

17

C. Compétence en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés

19

III. Les questions en litige

20

IV. La norme de contrôle applicable

21

V. La position des parties

22

VI. La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et le rôle du CSARS

26

A. La Loi et le rôle du CSARS

27

1) Le Service canadien du renseignement de sécurité

28

2) L’inspecteur général

31

3) Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

 32

B. La brève revue de la jurisprudence traitant du CSARS

51

C. L’approche à suivre selon la jurisprudence pour trancher la question en litige au présent dossier

 63

VII. L’analyse

69

Est-ce que le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur les allégations du défendeur selon lesquelles ses droits constitutionnels garantis par la Charte ont été violés, et ce, aussi bien au sens du paragraphe 24(1) de la Charte que du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

69

A. Il n’y a pas de pouvoir exprès, mais y a-t-il un pouvoir tacite?

69

1) Pour mener à bien sa mission législative, le CSARS doit trancher des  questions de droit

79

2) L’interaction du CSARS avec les autres composantes du système administratif est un autre indice permettant de percevoir un pouvoir tacite de trancher des questions de droit

106

3) Le CSARS est une instance juridictionnelle

120

4) Certaines considérations pratiques à commenter

134

B. Le législateur n’a pas soustrait l’application de la Charte à la compétence du CSARS

148

C. La réparation précise recherchée peut être accordée par le CSARS selon la LSCRS

151

VIII. La conclusion

156

A. Les frais

161

     L’ordonnance

[3]        Comme la lecture des présents motifs le montrera, il y a répétition. Tenant compte des facteurs d’analyse mis de l’avant dans [l’arrêt] R. c. Conway, 2010 CSC 22, [2010] 1 R.C.S. 765 (Conway) pour encadrer l’analyse et répondre à la question à l’étude, les répétitions sont nécessaires étant donné la grille d’analyse à suivre.

I.    Le contexte

[4]        M. Telbani a présenté une mise en demeure au directeur du SCRS en date du 19 juin 2008 relativement aux agissements de deux agents du Service. Il allègue que ces agents l’ont visité à son domicile, sont entrés dans sa résidence sans mandat ni permission et se sont conduits de manière intimidante et menaçante envers lui, et ce, en violation de ses droits fondamentaux garantis par les articles 7, 9 et 10 de la Charte. Un rapport du SCRS aurait également été préparé et transmis au ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités dans le but de faire inscrire son nom sur une liste de personnes précisées, soit une liste des personnes interdites de vol (la liste) (une « no-fly list »).

[5]        M. Telbani réclamait en conséquence que le Service reconnaisse sa responsabilité et répare les violations commises, entre autres, en annulant tout rapport préjudiciable ayant pu être rédigé à son endroit, en prenant les mesures nécessaires pour que son nom soit retiré de la liste et en communiquant une offre d’indemnisation pour les préjudices moraux et matériels subis.

[6]        Dans une lettre en date du 27 juin 2008, la directrice adjointe par intérim du SCRS a indiqué que les allégations de M. Telbani ont été examinées et qu’il a été déterminé qu’il n’y avait pas matière à donner suite aux demandes exigées.

[7]        Le 11 juillet 2008, M. Telbani a transmis une plainte au CSARS en vertu de l’article 41 [mod. par L.C. 2003, ch. 22, art. 146(A)] de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), ch. C-23 (la Loi ou la LSCRS) dans laquelle il demandait une enquête afin d’établir et de reconnaître la responsabilité du SCRS pour le traitement décrit dans la mise en demeure et que le CSARS recommande au Service d’entreprendre les réparations qui y étaient exigées.

[8]        À la réception de la plainte, le CSARS a invité les parties à déposer leurs observations écrites quant à sa compétence pour faire enquête. Le Service ne s’est pas prévalu de cette occasion tandis que M. Telbani a transmis ses observations le 19 septembre 2008.

[9]        Le 10 décembre 2008, le CSARS a déterminé qu’il avait compétence pour enquêter sur la plainte puisque celle-ci portait sur des activités du Service et n’était pas frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi, le tout en conformité avec l’article 41 de la Loi.

[10]      Le 23 mars 2009, lors d’une conférence téléphonique préparatoire, le SCRS a indiqué qu’il s’opposait à la compétence du CSARS d’entendre des arguments relatifs à la Charte et qu’il souhaitait une audition pour traiter de la question. Le Service a fourni des observations écrites à ce sujet le 12 juin 2009 et M. Telbani a fait de même le 3 août 2009, où il a également retiré une partie des allégations faisant l’objet de sa plainte.

[11]      Le 7 octobre 2009, au début de l’audition de la plainte, le CSARS a proposé d’entendre l’ensemble de la preuve avant de se prononcer sur sa compétence en matière de la Charte. Toutefois, M. Telbani a indiqué que sa plainte était fondée sur le bris de ses droits constitutionnels et que si le Comité n’avait pas compétence en matière de la Charte, il n’y aurait plus de plainte à faire entendre. Les parties ont donc présenté une demande conjointe selon laquelle le Comité se devait de trancher la question de compétence avant de procéder à l’enquête.

[12]      Le CSARS a accepté la demande des parties et l’audition a été ajournée afin de permettre aux parties de déposer des prétentions écrites portant uniquement sur la compétence du Comité. Suite aux dépôts de ces documents, le CSARS a rendu une décision en date du 8 septembre 2010, dans laquelle il conclut avoir compétence pour enquêter sur des allégations et trancher des questions de droit portant sur la Charte. Cette décision est le sujet du présent contrôle judiciaire.

II.   Le sommaire de la décision à l’étude

[13]      Dans une décision de 20 pages, le membre Losier résume d’abord la plainte, les procédures suivies et les prétentions des parties. Il enclenche ensuite l’analyse de la compétence du CSARS en résumant les deux types de réparations disponibles en cas de violation de la Charte, soit celles offertes par l’article 24 de la Charte en cas d’acte inconstitutionnel et par le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] lorsqu’il est question d’une disposition inconstitutionnelle (R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96, aux paragraphes 59 à 61).

A. Compétence dans le cadre du mandat législatif du CSARS

[14]      Le membre Losier examine d’abord l’argument de M. Telbani selon lequel il n’y a pas lieu d’entamer une analyse fondée sur les réparations recherchées, car il est seulement question de savoir si, dans le cadre du mandat législatif du CSARS, le Comité a compétence pour faire enquête sur les actes reprochés au Service. Pour les motifs qui suivent, le membre Losier est d’avis que le Comité a la compétence, dans le cadre de son mandat législatif, pour enquêter une plainte qui soulève la violation de droits constitutionnels prévus par la Charte.

[15]      Il note que la plainte répond aux exigences de l’article 41 de la Loi et qu’après enquête faite en vertu de ce même article, le Comité est mandaté à rendre « un rapport contenant ses conclusions et les recommandations qu’il juge indiquées » (alinéa 52(1)a) de la Loi). Il note aussi que le CSARS a pour mandat selon l’article 40 de la Loi « de veiller à ce que les activités du Service soient conduites conformément à la présente loi, à ses règlements et aux instructions du ministre visées au paragraphe 6(2), et qu’elles ne donnent pas lieu à l’exercice par le Service de ses pouvoirs d’une façon abusive ou inutile » (rapport du CSARS au paragraphe 35 et voir aussi l’article 40 de la Loi). Il souligne ensuite que les instructions du ministre [ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile] prévoient que « [l]e gouvernement et la population du Canada s’attendent […] à ce que le Service exerce ses fonctions en respectant le principe de la primauté du droit et les droits et libertés garantis aux Canadiens par la [Charte] » (rapport du CSARS, au paragraphe 35). Il lui apparait donc essentiel que le Comité soit investi du pouvoir d’appliquer la Charte afin d’accomplir le mandat qui lui a été confié par le législateur. Le contraire obligerait les plaignants de faire valoir leurs droits devant des forums différents, ce qui irait à l’encontre des directions de la Cour suprême du Canada (Cour suprême) à ce que les Canadiens puissent faire valoir leurs droits constitutionnels devant le tribunal le plus accessible, sans devoir engager des procédures parallèles.

[16]      Finalement, le membre Losier complète cette partie de l’analyse en s’appuyant sur [la décision] Omary c. Canada (Procureur général), 2010 CF 335 (Omary) pour affirmer qu’en accueillant la demande de contrôle judiciaire dans cette affaire, « la Cour fédérale a implicitement reconnu […] la compétence du Comité de se prononcer sur des questions de Charte puisque les allégations soulevées par le plaignant dans cette affaire portent notamment sur la violation de ses droits constitutionnels garantis par la Charte » (rapport du CSARS, au paragraphe 40).

B. Compétence en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982

[17]      Le membre Losier note qu’à première vue, les allégations soulevées dans la plainte de M. Telbani suggèrent que seul le paragraphe 24(1) de la Charte est en question, mais que puisqu’il doit trancher la question de compétence sans enquête et donc sans contexte factuel, il croyait bon également se prononcer sur la compétence du Comité en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

[18]      Il entreprend ensuite l’analyse de la compétence telle que précisé dans l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504 (Martin). Pour la première question, c’est-à-dire si le CSARS a la compétence explicite ou implicite de trancher des questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative, il conclut qu’à la lumière des facteurs dans [l’arrêt] Martin, le Comité aurait une compétence implicite. Premièrement, il est d’avis que la mission confiée au CSARS nécessite que ce dernier examine et se prononce sur des questions de droit, dont celles mettant en cause l’application de la Charte, afin d’accomplir efficacement son rôle de surveillance du SCRS. Deuxièmement, afin d’écarter la décision Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854 (Cooper), selon laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP [ou la Commission]) n’avait pas compétence pour se prononcer sur des questions de droit constitutionnel, il distingue le rôle du Comité. Troisièmement, il souligne que l’examen des plaintes se fait lors d’audiences quasi judiciaires. Finalement, il est d’avis que le Comité a la capacité d’examiner des questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative et que le SCRS n’a pas réfuté la présomption que cette compétence s’applique également à la Charte.

C. Compétence en vertu de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés

[19]      Appliquant la démarche proposée par la Cour suprême dans [l’arrêt] Conway, précité, aux paragraphes 81 et 82, le membre Losier note d’abord qu’il avait déjà conclu dans son analyse de l’article 52 que le Comité a compétence pour se prononcer sur des questions de droit, dont la Charte, et qu’il n’y avait aucune indication que le législateur ait voulu soustraire son application de cette compétence. Quant à la question de savoir si le CSARS peut accorder la réparation précise demandée eu égard au régime législatif applicable, il trace un parallèle avec une réparation de nature déclaratoire telle que celle émise dans l’arrêt Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44 (Khadr), aux paragraphes 46 et 47, et affirme que « le pouvoir de conclure et de faire des recommandations prévu à l’article 52 de la [Loi] peut être caractérisé comme une réparation qui tient compte du contexte particulier dans lequel le Comité exerce ses fonctions » (rapport du CSARS, au paragraphe 87). Il est donc d’avis que les réparations demandées dans la plainte, c’est-à-dire que le Comité fasse enquête et identifie et recommande au SCRS de prendre les moyens nécessaires, s’il y a lieu, pour réparer les violations de la Charte, sont celles que le législateur a voulu que le CSARS puisse accorder eu égard à son régime législatif.

III.  Les questions en litige

[20]      La question en litige peut se résumer ainsi :

Est-ce que le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur les allégations du défendeur selon lesquelles ses droits constitutionnels garantis par la Charte ont été violés, et ce, aussi bien au sens du paragraphe 24(1) de la Charte que du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

IV. La norme de contrôle applicable

[21]      Puisque la décision du CSARS concerne une question de droit et de compétence, les parties s’entendent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte. Bien que cette question exige du CSARS qu’il interprète sa propre loi constitutive, et que la Cour suprême a indiqué que dans de tels cas la déférence est habituellement de mise (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 54), comme nous le verrons, l’analyse établie pour trancher cette question requiert bien plus qu’une simple analyse de la LSCRS. De plus, la Cour suprême a énoncé de façon claire qu’un tribunal administratif « ne peut s’attendre à aucune retenue judiciaire à l’égard de ses décisions en matière constitutionnelle » (Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5 (Cuddy Chicks), à la page 17) et que ses décisions fondées sur la Charte sont donc assujetties au contrôle judiciaire suivant la norme de la décision correcte (Martin, précité, au paragraphe 31). Il revient donc à cette Cour d’entreprendre une nouvelle analyse de la question et en cas de désaccord, sa conclusion doit se substituer à celle du Comité (Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).

V.  La position des parties

[22]      Le procureur général affirme que le CSARS n’a pas compétence pour trancher des questions de droit ou faire enquête sur des allégations portant sur la Charte, ni compétence au sens du paragraphe 24(1) de la Charte, et ne peut invalider des dispositions législatives en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Pour sa part, le CSARS prend le contre-pied.

[23]      Adressant la compétence du CSARS d’après la Loi, le procureur général souligne que le CSARS n’a pas de compétence inhérente, qu’il ne peut outrepasser le cadre du mandat que lui confère sa loi habilitante et que celle-ci ne lui confère pas le pouvoir de trancher des questions de droit constitutionnel ni même de droit général. Selon lui, le CSARS est un organisme d’enquête qui joue un rôle consultatif en formulant des recommandations, mais qu’il n’exerce aucune fonction juridictionnelle et qu’il n’est pas un tribunal judiciaire compétent.

[24]      Le procureur général souligne notamment l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385 (Thomson), à la page 400, où le juge Cory a tenu les propos suivants au sujet des recommandations faites sous l’article 42 de la Loi : « La recommandation du comité est un rapport présenté comme étant digne d’acceptation. Elle sert à garantir l’authenticité des renseignements sur lesquels le sous-ministre fonde sa décision et lui donne l’avantage d’une seconde opinion, rien de plus. » Le procureur général s’appuie également sur une décision semblable dans l’arrêt Omary, précité, aux paragraphes 25, 28 et 33, pour affirmer que rien dans la Loi ne permet de penser qu’à l’issue d’une enquête menée en vertu de l’article 41, le CSARS est appelé à appliquer des dispositions de la Loi ou encore des normes tirées d’autres lois, y compris la Charte. Quant aux obligations et pouvoirs procéduraux attribués au CSARS en vertu de la Loi, le procureur général avance qu’ils ne permettent nullement de conclure à une compétence pour trancher des questions de droit.

[25]      Le Comité reconnaît que ses recommandations ne sont pas exécutoires. Toutefois, il invoque ses fonctions d’enquête et de surveillance accordées par l’article 38 [mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 225] de la Loi et souligne son pouvoir très large de déterminer sa procédure, conféré par l’article 39 de la Loi et reconnu par cette Cour dans [l’arrêt] Omary, précité, au paragraphe 20 ainsi que dans [la décision] Al Yamani c. Canada (Solliciteur général), [1996] 1 C.F. 174 (1re inst.) (Al Yamani), aux pages 191 et 192. Il avance surtout que dans le cadre de son mandat, il se doit d’interpréter des lois et de formuler des conclusions de droit et mixtes de droit et de fait (Al Yamani, à la page 211 et Omary, aux paragraphes 17 et 18). Les autres arguments des parties, soulevés dans le cadre du test élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Conway, précité, seront considérés dans la section « VII. L’analyse » de ces motifs.

VI. La Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et le rôle du CSARS

[26]      Avant d’aborder l’analyse de la question à l’étude, il est important de bien comprendre la LSCRS et le rôle attribué au CSARS. Il sera aussi utile de faire un survol de la jurisprudence impliquant le CSARS et de revoir ensuite celle qui relate le test établi par la Cour suprême et les critères à prendre en considération pour trancher la question en litige dans le présent dossier.

A. La Loi et le rôle du CSARS

[27]      La LSCRS a comme préoccupation ultime la protection de la sécurité nationale tout en préservant les droits individuels. On y retrouve trois parties (une quatrième est devenue désuète suite à l’examen parlementaire qui a eu lieu à la fin des années 80).

1) Le Service canadien du renseignement de sécurité

[28]      La première partie de la Loi crée le SCRS, organisme civil d’intelligence. Ses fonctions principales sont la collecte d’informations et de renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada (article 12), les évaluations de sécurité (article 13 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25]), le rôle de conseiller aux ministres sur les questions de sécurité du Canada (article 14 [mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 223]) et la collecte d’informations reliées aux États étrangers (article 16 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25; 2001, ch. 27, art. 224]).

[29]      Pour articuler ces fonctions, le SCRS peut conclure des ententes avec des gouvernements étrangers et leurs corps policiers, les gouvernements provinciaux, les corps policiers du Canada (articles 13 et 17 [mod. par L.C. 1995, ch. 5, art. 25]) et obtenir des mandats (articles 21 et suivants). Ces mandats sont toutefois assujettis aux exigences législatives que l’on retrouve à la partie II [articles 21 à 28] de la Loi sous le titre « Contrôle judiciaire » et ce sont les juges désignés par le Juge en chef de la Cour fédérale qui assument cette tâche.

[30]      La partie III [articles 29 à 55] de la Loi, intitulée « Surveillance », comprend quant à elle deux volets : le premier décrit le rôle de l’inspecteur général, qui fait rapport à l’exécutif et le deuxième volet celui du CSARS, qui fait rapport à l’exécutif, au Parlement et au plaignant.

2) L’inspecteur général

[31]      Les fonctions de l’inspecteur général sont de s’assurer que le SCRS agit conformément à ses règles et politiques internes, de surveiller ses activités opérationnelles et de confirmer le tout par l’entremise de certificats (article 30). Après avoir reçu rapport du directeur du SCRS, l’inspecteur général fait à son tour rapport au ministre des études qu’il fait et des certificats qui résultent de son travail (article 33). L’inspecteur général a accès à l’information détenu par le Service, sauf l’information confidentielle du Conseil privé de la Reine (article 31). Je note que le CSARS a non seulement ce pouvoir, mais a également droit à l’information détenue par l’inspecteur général (article 39). Lorsque le ministre reçoit les rapports du directeur du SCRS et les certificats de l’inspecteur général, il doit les acheminer au Comité dans les plus brefs délais (paragraphe 33(3)).

3) Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité

[32]      Le CSARS est composé d’un président et de deux à quatre membres choisis parmi les membres du Conseil privé de la Reine pour le Canada (ceux qui ne font pas partie du Sénat ou de la Chambre des communes) suite à des consultations entre le premier ministre, le chef de l’opposition et les chefs des partis ayant au moins douze députés (paragraphe 34(1)). Les membres et le personnel du CSARS sont liés par des règles de sécurité et ils doivent prêter le serment d’allégeance, inclus en annexe à la LSCRS, au même titre que le directeur et les employés du SCRS (articles 10 et 37).

[33]      Les fonctions du CSARS sont à trois volets : 1) le Comité surveille la façon dont le SCRS accomplit ses tâches; 2) il fait effectuer ou accomplit lui-même des recherches dans le but de s’assurer que le SCRS n’exerce pas ses pouvoirs de manière abusive ou encore inutile; et 3) il enquête sur les plaintes dirigées contre le SCRS, les refus d’une habilitation de sécurité et les rapports provenant de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (Loi sur la citoyenneté) ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (Loi canadienne sur les droits de la personne) (article 38 de la LSCRS).

[34]      Les fonctions de surveillance du CSARS couvrent l’ensemble des fonctions du SCRS : il doit examiner les rapports du directeur du Service, les certificats de l’inspecteur général, les instructions du ministre, les ententes avec les gouvernements et les corps policiers, les rapports au ministre concernant les présumés agissements illicites d’employés et les règlements du SCRS; il doit surveiller les demandes des ministres à l’appui des mandats concernant la conduite des affaires internationales du Canada; et il doit compiler et analyser des statistiques reliées aux opérations du Service (alinéa 38a) et ses sous-alinéas).

[35]      Comme il a été mentionné ci-dessus, les fonctions d’enquête du CSARS prennent leurs origines non seulement de la LSCRS, mais aussi de la Loi sur la citoyenneté et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Un lien commun justifie l’implication du Comité sous ces trois lois : le travail du SCRS est en jeu. Premièrement, le CSARS enquêtera si une plainte est déposée contre les activités du SCRS ou si un individu se voit refuser une habilitation de sécurité aux fins d’emploi dans la fonction publique ou bien un contrat de service ou de bien en raison d’un refus d’une habilitation de sécurité (articles 41 et 42). Deuxièmement, le CSARS fera enquête lorsque le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration saisit le Comité d’un rapport où il est d’avis que l’intéressé ne devrait pas être ou devenir citoyen canadien car il existe des motifs raisonnables de croire soit qu’il se livrera à des activités constituant une menace à la sécurité du Canada ou qu’il fait partie d’activités criminelles organisées punissables par voie de mise en accusation au terme d’une loi fédérale (article 19 [mod. par L.C. 1992, ch. 1, art. 144(F); 1997, ch. 22, art. 1] de la Loi sur la citoyenneté). Dernièrement, la Commission canadienne des droits de la personne peut aussi référer une plainte au CSARS si elle reçoit un avis écrit d’un ministre fédéral l’informant que les actes, présumément commis par l’intéressé, mettent en cause la sécurité du Canada. Le Comité en fera alors enquête (article 45 [mod. par L.C. 1998, ch. 9, art. 25] de la Loi canadienne sur les droits de la personne).

[36]      Pour assumer ses fonctions, le CSARS a le pouvoir de déterminer ses propres procédures (paragraphe 39(1)), ce qu’il a d’ailleurs fait. Ces procédures ont depuis obtenu l’aval de la Cour suprême dans l’arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711 (Chiarelli), à la page 745.

[37]      Encore pour assumer ses fonctions, le CSARS a également accès aux informations détenues par le SCRS et l’inspecteur général, aux dossiers d’enquête engendrés par des plaintes dirigées contre le Service et aux habilitations de sécurité, y incluant le dossier de l’administrateur général en cause. Ce droit d’accès comprend même l’information qui pourrait être limitée par une loi fédérale ou une immunité quelconque. En fait, l’information requise par le Comité pour assumer ses fonctions ne peut être refusée pour « quelque motif que ce soit », à l’exception de l’information provenant du Conseil privé de la Reine (article 39).

[38]      Les plaintes ou demandes d’enquête au CSARS doivent être déposées dans un délai et faites par écrit, à moins d’obtenir une exemption auprès du Comité (paragraphe 42(4) et article 45 de la LSCRS ainsi que le paragraphe 19(4) de la Loi sur la citoyenneté et le paragraphe 45(5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne).

[39]      Dans le cas d’une plainte découlant d’un refus d’une habilitation de sécurité, le CSARS envoie dans les meilleurs délais au plaignant un sommaire de l’information à la base du refus dans le but de l’informer de la façon la plus complète possible (article 46). Il en sera de même dans le cas des autres plaintes déposées selon la LSCRS ou encore sous la Loi sur la citoyenneté ou la Loi canadienne sur les droits de la personne (règle 45 des Règles de procédure du CSARS [Règles de procédure du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à l’égard des fonctions exercées en vertu de l’alinéa 38(c) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, adoptées le 9 mars 1985]).

[40]      Lorsque le CSARS décide d’enquêter le refus d’une habilitation de sécurité ou une plainte introduite par la Loi sur la citoyenneté ou la Loi canadienne sur les droits de la personne, il informe le directeur du SCRS et l’administrateur général en cause de l’objet de la plainte et qu’il y aura enquête. Dans le cas des plaintes concernant les activités du SCRS, le Comité, avant de procéder à l’enquête comme telle, décidera si la plainte est frivole, vexatoire, sans objectif, entachée de mauvaise foi ou encore qu’elle n’est pas de nature reliée aux relations de travail. Il s’assurera aussi que la plainte a d’abord été traitée par le directeur du SCRS, ou encore que ce dernier n’a pas répondu dans un délai jugé normal (articles 41 et 47).

[41]      En plus d’avoir accès à toute l’information détenue par le SCRS et l’administrateur général (pour l’article 42 de la Loi), le Comité peut assigner et contraindre des témoins à comparaître, à témoigner oralement ou par écrit sous serment et à produire les documents requis pour son enquête et il peut faire prêter serment, le tout dans la même mesure « qu’une cour supérieure d’archives » (article 50). Le Comité peut même recevoir en preuve sous forme orale ou écrite toutes preuves, indépendamment de leur inadmissibilité devant les tribunaux. J’ajouterai qu’à l’exception de fausses déclarations dans des procédures extrajudiciaires (article 133 [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 1] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]), les témoignages entendus par le Comité sont inadmissibles comme preuve dans d’autres procédures (articles 50 et 51 de la Loi).

[42]      Les enquêtes du CSARS sont tenues en secret. Toutefois, la possibilité de se faire entendre, de présenter des observations et des éléments de preuve et d’être représenté par un avocat est reconnue. En contrepartie, aucune des parties n’a le droit absolu d’être présent lorsque l’autre partie présente des observations ni de recevoir communication ou de faire des commentaires concernant celle-ci. Malgré cela, la procédure du Comité prévoit la remise de résumés et d’informations lorsque des auditions secrètes ont lieu, dans la mesure bien sûr où aucune information reliée à la sécurité nationale ne sera dévoilée (article 48 de la Loi et la règle 45 des Règles de procédure du CSARS).

[43]      Lorsque le CSARS complète son enquête d’une plainte déposée contre les activités du SCRS (article 41), il prépare un rapport et des recommandations s’il y a lieu. Il fait ensuite parvenir son rapport, ses conclusions et ses recommandations au directeur. Quant au plaignant, il recevra le rapport, ses conclusions et ses recommandations pourvu qu’elles ne doivent pas être protégées pour des raisons de sécurité nationale (paragraphe 52(1) de la Loi et la règle 13 des Règles de procédure du CSARS).

[44]      Dans le cas d’enquêtes reliées à un refus d’une habilitation de sécurité (article 42), le CSARS enverra son rapport avec ses recommandations aux parties impliquées (le ministre, le plaignant, le directeur du SCRS et l’administrateur général). Ici aussi il se peut que pour des raisons de sécurité nationale, certaines conclusions et recommandations ne soient pas acheminées au plaignant (paragraphe 52(2)). Avant de communiquer l’information au plaignant, le CSARS doit aussi consulter le directeur du SCRS. Il en est de même pour les sommaires d’information, les communications et les rapports assujettis à la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Loi sur la citoyenneté (article 55 [mod. par L.C. 2001, ch. 27, art. 226]).

[45]      Dans le cas de plaintes référées sous l’égide de la Loi sur la citoyenneté ou encore de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le CSARS utilisera les mêmes pouvoirs d’enquête qu’il a à sa disposition sous la LSCRS. Des sommaires d’information seront aussi communiqués à l’intéressé et les droits de se faire entendre, de présenter de la preuve et d’être représenté par un avocat sont également applicables au traitement de ces plaintes (paragraphes 19(2) et 19(4) à 19(6) de la Loi sur la citoyenneté, et les paragraphes 45(2), 45(5) et 45(6) de la Loi canadienne sur les droits de la personne). En plus, dans le cas de la Loi sur la citoyenneté, le rapport du CSARS est communiqué au gouverneur général en conseil et les conclusions dudit rapport sont communiquées à l’intéressé. Le gouverneur en conseil étudiera le rapport du Comité et décidera s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne visée se livrera à des activités qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada ou des activités criminelles punissables par voie de mise en accusation (articles 19 et 20 [mod. par L.C. 1997, ch. 22, art. 3] de la Loi sur la citoyenneté). Dans le cas d’une plainte sous la Loi canadienne sur les droits de la personne, le rapport contenant ses conclusions est remis à la Commission, au ministre et au directeur du SCRS. Ce sera la Commission qui décidera alors de l’information à communiquer au plaignant (article 46 de la Loi canadienne sur les droits de la personne).

[46]      Les enquêtes instituées sous l’égide de la Loi sur la citoyenneté peuvent également être menées par un juge à la retraite nommé par le gouverneur général en conseil suite à une consultation du premier ministre avec le chef de l’opposition à la chambre des communes et les chefs des partis ayant plus de 12 députés (paragraphe 19.1(1) [édicté, idem, art. 2] de la Loi sur la citoyenneté). Toutefois, selon l’information communiquée par les parties, aucune enquête n’a été menée sous la présidence d’un juge à la retraite et aucun juge à la retraite n’a été nommé jusqu’à ce jour.

[47]      Pour ce qui est des fonctions de recherche du CSARS, celles-ci viennent complémenter le rôle de surveillance et d’enquête. La recherche a comme objectif de veiller à ce que les activités du Service soient conformes aux lois, aux règlements et aux instructions du ministre émises en fonction de l’article 6 de la LSCRS et que les pouvoirs exercés par le SCRS ne soient pas exercés de façon abusive ou inutile. Ces recherches, à la demande du Comité, peuvent être faites par l’inspecteur général, le Service ou le Comité lui-même selon les circonstances (alinéa 38b) et article 40).

[48]      Le CSARS remet annuellement au ministre de la Sécurité publique un rapport d’activités qui est par la suite déposé au Parlement. Le directeur du SCRS doit être consulté avant cette remise pour assurer qu’aucune information liée à la sécurité nationale ne soit dévoilée. De plus, le Comité peut préparer et remettre au ministre un rapport spécial sur tout sujet qui relève de sa compétence, et ce, de sa propre initiative ou à la demande du ministre et le Comité n’a pas à consulter le directeur du Service avant de remettre le rapport (article 54). À titre d’exemple d’un tel rapport, voir « Le rôle du SCRS dans l’affaire Omar Khadr » qui a été publié le 8 juillet 2009 et dont une version caviardée (pour des raisons de sécurité nationale) est disponible au public (dossier de l’intervenant, tome I, onglet E, aux pages 102 à 137 [aussi disponible en ligne]).

[49]      Pour conclure, le SCRS est un organisme de collecte d’intelligence qui opère selon les paramètres établis par le législateur, notamment la définition statutaire de ce que sont les « menaces envers la sécurité du Canada » [art. 2 (mod. par L.C. 2001, ch. 41, art. 89) de la LSCRS]. Le Service est assujetti à plusieurs contrôles : celui du ministre par l’entremise de ses instructions; celui de l’inspecteur général par la remise de certificats; celui de la Cour fédérale par l’émission de mandats; celui du CSARS par l’intermédiaire de ses fonctions de surveillance, d’enquête et de recherche; et enfin celui du Parlement par le dépôt annuel d’un rapport et par la remise de rapports spéciaux au ministre.

[50]      La préoccupation constante de tous ces contrôles est, dans la mesure du possible, de s’assurer que le SCRS opère de façon continue selon les lois du Canada et leurs règlements et qu’il n’exerce pas ses pouvoirs de façon abusive ou inutile. Les pouvoirs du SCRS sont considérables, mais malgré ce large pouvoir qu’il a attribué, le législateur a voulu s’assurer que les droits fondamentaux soient protégés. Lorsqu’on a à apprécier le rôle d’enquête du CSARS, il est donc important d’avoir à l’esprit ce souci du législateur de s’assurer que le mandat du SCRS est articulé de façon légale et qu’il ne va pas à l’encontre des lois et règlements applicables en matières semblables.

B. La brève revue de la jurisprudence traitant du CSARS

[51]      Les cours ont eu dans le passé à décider de questions concernant la LSCRS et ses dispositions concernant le CSARS. La Cour suprême a par exemple déjà eu à se prononcer quant au rapport d’enquête du CSARS et de l’effet de ses recommandations dans l’arrêt Thomson, précité, où la Cour prenait compte d’un refus d’habilitation de sécurité. Le jugement majoritaire conclut que le mot « recommandation » au paragraphe 52(2) de la LSCRS doit avoir son sens manifeste et ordinaire et ne doit pas équivaloir à une décision finale ou obligatoire et que la décision finale à être prise appartenait au sous-ministre en tant que représentant de l’employeur (Thomson, précité, à la page 403). La Cour suprême a également précisé à la page 401 que le poids des recommandations serait le même aux fins d’une enquête des activités du SCRS sous l’article 41, la préoccupation dans les deux cas étant que le CSARS n’empiète pas sur les pouvoirs de gestion du Service. Je note ici que la Cour d’appel fédérale, dont la décision a été portée en appel, avait pourtant décidé dans le sens contraire, c’est-à-dire que le mot « recommandation » ne devait pas être lu dans son sens littéral et avait un effet obligatoire (Thomson c. Canada, [1988] 3 C.F. 108 (C.A.), aux pages 137 et 138).

[52]      Une chose est certaine, ces deux jugements s’accordent quant à l’importance du rôle du CSARS et de ses larges pouvoirs d’enquête de plaintes. Le juge Stone, écrivant pour la Cour d’appel fédérale, faisait remarquer que l’objectif de la LSCRS visait bien plus qu’une simple enquête d’une plainte de refus d’une habilitation de sécurité (Thomson c. Canada, [1988] 3 C.F. 108 (C.A.) [précité], à la page 138) :

   Évidemment, le but de la Loi va bien au-delà de la protection de l’intérêt individuel dans le processus d’obtention d’une habilitation de sécurité. Son but premier est, en effet, de protéger l’intérêt national sur le plan général de la sécurité. Témoigne d’ailleurs de cet objectif la procédure de « plaintes » de la Partie III, particulièrement les dispositions concernant la composition et les pouvoirs de l’intervenant, de même que l’exigence du secret, qui vise à ce que l’intérêt national ne soit pas sacrifié. En fait, le texte se veut le reflet d’un juste équilibre entre ces deux intérêts.

[53]      Pour ce qui est des procédures du CSARS et tel que mentionné antérieurement, la Cour suprême y a déjà donné son aval. Le juge Sopinka, tout en précisant qu’il n’avait pas à se prononcer sur cette question, conclut que les procédures du CSARS respectaient les principes de justice fondamentale (Chiarelli, précité, aux pages 742 et 744 à 746) :

   L’intimé soutient que la procédure suivie par le comité de surveillance porte atteinte à ses droits garantis par l’art. 7 […] le fait que le Parlement, ne se contentant pas de satisfaire aux exigences que lui impose la Constitution, a prévu la tenue d’une audience, permet-il à l’intimé de se plaindre de ce que cette audience ne respecte pas les principes de justice fondamentale? […] dans l’hypothèse où les procédures devant le comité de surveillance seraient assujetties aux principes de justice fondamentale, ceux-ci ont été respectés.

[…]

   Dans le contexte d’audiences tenues par le comité de surveillance par suite d’un rapport conjoint, le particulier a intérêt à ce que la procédure soit équitable puisque le comité peut, au terme de son enquête, recommander au gouverneur en conseil la délivrance d’une attestation visée à l’art. 83, laquelle écarte la possibilité d’un appel fondé sur des motifs de compassion. Cependant, l’État a aussi grandement intérêt à mener efficacement les enquêtes en matière de sécurité nationale et de criminalité et à protéger les sources de renseignements de la police […]

   La Loi sur le SCRS et les règles du comité de surveillance reconnaissent l’existence des intérêts opposés des particuliers et de l’État et tentent d’établir un équilibre raisonnable entre ces intérêts. Les règles exigent expressément en effet que le comité exerce son pouvoir discrétionnaire dans l’établissement de cet équilibre.

   En l’espèce, l’intimé a reçu d’abord l’«Énoncé des circonstances ayant donné lieu à la présentation d’un rapport par le solliciteur général du Canada et le ministre de l’Emploi et de l’Immigration au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité». Ce document précise la nature des renseignements que les ministres ont fournis au comité de surveillance et révèle notamment que l’intimé avait participé au trafic de stupéfiants et au meurtre d’un individu nommément désigné. L’intimé a reçu en outre, antérieurement à l’audience devant le comité de surveillance, un long résumé portant sur la surveillance de ses activités (la «Suite de renseignements») ainsi qu’un «Sommaire de l’interprétation de l’interception de communications privées relatives au meurtre de Domenic Racco». Quoique l’audience se soit déroulée à huis clos le premier jour, un résumé des éléments de preuve produits a été fourni à l’intimé. À mon avis, ces différents documents renfermaient suffisamment de renseignements pour mettre l’intimé au courant de la substance des actes qu’on lui reprochait et pour lui permettre de répondre. La justice fondamentale n’exige nullement dans ce contexte que soient également donnés à l’intimé des détails concernant les méthodes d’enquête sur la criminalité ou les sources auxquelles la police a eu recours pour obtenir ces renseignements.

   De plus, l’intimé a eu la possibilité de répondre en produisant ses propres témoins ou en demandant la permission de contre-interroger les témoins de la GRC qui avaient déposé à huis clos. Le président du comité de surveillance a clairement manifesté l’intention d’autoriser un tel contre-interrogatoire […] L’intimé a choisi de ne pas se prévaloir de ces possibilités. Eu égard aux renseignements qui lui ont été communiqués, aux possibilités qui s’offraient à lui sur le plan de la procédure et aux intérêts qui entrent en concurrence dans ce domaine, je conclus que la procédure suivie par le comité de surveillance en l’espèce ne violait pas les principes de justice fondamentale. [Nous soulignons.]

[54]      De cette conclusion, on constate que la Cour suprême a évalué la procédure suivie par le CSARS comme s’il s’agissait d’une cour ou d’un tribunal, tout en considérant son rôle particulier en matière de sécurité nationale. Peu importe, le respect des principes de justice fondamentale est essentiel pour assurer à la toute fin une décision juste et équitable que ce soit sous la forme de rapports, conclusions et recommandations ou autrement.

[55]      La Cour fédérale a eu à plusieurs reprises à réviser des rapports et/ou décisions du CSARS. Dans l’arrêt Nourhaghighi c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité), 2005 CF 148 (Nourhaghighi), au paragraphe 15, le SCRS et le CSARS ont reconnu les obligations du Comité en matière d’équité procédurale, dont celle d’offrir aux parties la possibilité de se faire entendre.

[56]      Dans la décision Al Yamani, précité, et [l’arrêt] Moumdjian c. Canada (Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité), [1999] 4 C.F. 624 (C.A.) (Moumdjian), les rapports émis en application de l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté furent assujettis au contrôle judiciaire de la Cour fédérale. Il en est de même dans le dossier Mikail c. Canada (Procureur général), 2011 CF 674, [2013] 1 R.C.F. 555 (Mikail), aux paragraphes 27 et 33, où un rapport avait été préparé par le Comité suite à une plainte déposée en vertu de l’article 41 de la LSCRS contre les activités du Service. La Cour a déterminé que puisque les droits sinon les intérêts du plaignant étaient en jeu, le rapport était assujetti au contrôle judiciaire de la Cour fédérale.

[57]      Dans [la décision] Omary, précitée, le Comité avait suspendu son enquête d’une plainte contre les activités du SCRS en vertu de l’article 41 pour attendre les résultats d’un recours simultané déposé à la Cour supérieure du Québec. Le juge de Montigny nota que le CSARS était un tribunal administratif et qu’il avait le pouvoir de déterminer sa propre procédure (Omary, précité, au paragraphe 24) :

Même si je suis prêt à reconnaître une certaine autonomie aux tribunaux administratifs dans la gestion de leurs dossiers et de leurs procédures, comme m’y invite le défendeur, encore faut-il que cette discrétion soit exercée de façon judiciaire, c’est-à-dire en conformité avec les lois ou les règlements qui les régissent ainsi qu’avec l’objet pour lequel ils ont été créés.

Le juge de Montigny constata également que le Comité aurait accès à plus de preuve que la Cour supérieure puisqu’il était autorisé à accéder à toute la preuve du SCRS et n’était pas assujetti à la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5 (Loi sur la preuve) (Omary, précité, au paragraphe 34 et voir l’article 39 de la LSCRS). En conséquence, la demande de contrôle judiciaire fut accueillie et la décision de surseoir l’enquête jusqu’à la décision finale de la Cour supérieure fut annulée.

[58]      Comme l’avait fait le juge Stone de la Cour d’appel dans l’arrêt Thomson c. Canada, [1988] 3 C.F. 108 [précité], le juge MacKay constata également le rôle unique du CSARS dans la décision Al Yamani, précité, lorsqu’il écrit ce qui suit à la page 191 :

   Le rôle unique et important du CSARS dans l’examen des décisions touchant les particuliers pour des motifs de sécurité, eu égard à l’emploi dans la fonction public et aux questions relatives à la Loi sur l’immigration, à la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29] et à la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], ce rôle et son évolution historique sont exposés pour la Cour dans le mémoire présenté par le CSARS à titre d’intervenant.

[59]      Dans une autre décision où on soulevait des questions reliées à la Charte et où on demandait à ce qu’une injonction intérimaire soit accordée ordonnant le CSARS à interrompre son enquête sous l’article 19 de la Loi sur la citoyenneté jusqu’au moment où les questions de Charte seraient déterminées, ce même juge faisait remarquer les particularités du CSARS (Brar c. Canada (Solliciteur général), [1989] A.C.F. no 1113 (1re inst.) (QL) (Brar), au paragraphe 29) :

Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, qui est créé en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, est inhabituel tant dans son rôle de consultation que dans sa composition. Édictée à la suite de rapports de deux commissions royales et d’une étude parlementaire, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prévoyait la création d’un service du renseignement de la sécurité présidé par un directeur qui agirait sous l’autorité du Solliciteur général. La Loi renferme des dispositions importantes au sujet de la surveillance des activités de l’organisme, notamment des dispositions sur la création du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Ce comité devait être composé d’un président et de deux à quatre autres membres que nomme le gouverneur en conseil parmi les personnes qui sont membres du Conseil privé de la Reine au Canada sans être membres du Sénat ou de la Chambre des communes, après avoir consulté le premier ministre et le Chef de l’opposition ainsi que le chef de tout autre parti représenté par au moins douze membres à la Chambre des communes. Les membres du Comité sont tenus de se conformer à toutes les exigences du Service en matière de sécurité et à prêter le serment de secret (articles 34 et 37 de la Loi sur le S.C.R.S.) [Nous soulignons.]

[60]      Après avoir énuméré les fonctions du CSARS en citant l’article 38 de la LSCRS, il commentait au paragraphe 31 que cet article constituait le fondement du rôle important que joue le Comité aussi bien lors des enquêtes que lors des revues annuelles et spéciales des activités et politiques du Service. Ayant constaté l’importance de son rôle, il conclut que le CSARS, « comme tout autre organisme devant lequel des questions de droit et des questions relatives à la Charte sont soulevées, est tenu, en vertu du paragraphe 52(1) de la [Loi constitutionnelle de 1982], d’appliquer la loi et d’éviter d’appliquer une loi qui viole la Charte » (Brar, précité, au paragraphe 44).

[61]      Finalement, et comme le constatera la Cour suprême trois ans plus tard dans l’arrêt Chiarelli, précité, le juge MacKay opine sans se prononcer d’une façon finale que le CSARS est lié par les principes de l’équité dans ses procédures et ajoute que le Comité semble déjà l’avoir reconnu, comme le démontraient ses procédures qui visaient à assurer l’équité lorsque le Comité assume ses responsabilités de protéger les intérêts privés et d’évaluer avec soin l’intérêt public lié à la sécurité nationale et les intérêts publics relatifs à la divulgation (Brar, précité, au paragraphe 58).

[62]      Bref, de cette courte revue de certaines décisions jurisprudentielles impliquant le CSARS, on peut en retirer les constatations suivantes :

▪ Le CSARS est un organisme législatif particulier qui a des attributs spéciaux reliés à la sécurité nationale.

▪ Les procédures du CSARS établissent un équilibre entre la sécurité nationale et les droits des individus.

▪ Le CSARS a des pouvoirs qui s’apparentent à une cour supérieure d’archives : le droit de se faire entendre, d’assigner des témoins, de déposer de la preuve par témoins ou autrement, d’être représenté par un avocat et d’assermenter les témoins.

▪ Le CSARS est appelé à enquêter des plaintes contre les activités du SCRS, les refus d’une habilitation de sécurité, les rapports ministériels en application de la Loi sur la citoyenneté et les avis écrits d’un ministre à la Commission canadienne des droits de la personne.

▪ Dans tous ces cas, le CSARS enquête, offre aux parties l’opportunité de se faire entendre, les informe (pourvu que conciliable avec la sécurité nationale), rédige un rapport avec conclusions et recommandations et en informe le plaignant (toujours pourvu que conciliable avec la sécurité nationale).

▪ Dans tous les cas où le CSARS enquête, les plaignants ont tout au moins un intérêt certain dans le rapport du CSARS et il est envisageable que leurs droits respectifs puissent même être touchés de façon significative.

▪ Il est de jurisprudence constante que les rapports d’enquête du CSARS et ses décisions interlocutoires sont assujettis à une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale.

▪ Les rapports du CSARS tranchent des questions de fait lui permettant d’en arriver à des conclusions. Ainsi, le CSARS peut être appelé à décider de la crédibilité des témoins, favoriser une version plutôt qu’un autre, etc.

▪ Le CSARS rédige ses rapports en tenant compte des lois, règlements et règles de preuve ainsi que de la jurisprudence applicable en semblable matière.

▪ Les recommandations du CSARS sont sans effets décisionnels et n’ont pas comme but d’impliquer le CSARS dans « la gestion » du SCRS.

▪ Le CSARS a un droit d’accès à l’information détenue par le SCRS et les certificats de l’inspecteur général qu’une cour de justice n’a pas, cette dernière étant assujettie à la Loi sur la preuve.

C. L’approche à suivre selon la jurisprudence pour trancher la question en litige au présent dossier

[63]      Le plus récent arrêt à suivre pour déterminer si un tribunal administratif peut trancher des questions de droit, y incluant celles reliées à la Charte, est [l’arrêt] Conway, précité, rédigé sous la plume de la juge Abella. D’entrée de jeu, cet arrêt révise l’historique de la jurisprudence de la Cour suprême sur cette question en y identifiant trois vagues dont la dernière constate qu’un tribunal spécialisé jouissant à la fois de l’expertise et du pouvoir requis pour trancher une question de droit est le mieux placé pour trancher une question constitutionnelle reliée à son mandat légal (Conway, précité, au paragraphe 6). Cette revue historique et les motifs élaborés dans [l’arrêt] Conway ont permis à la Cour suprême d’uniformiser les trois approches ou tendances en une approche fonctionnelle.

[64]      Il est aussi intéressant de noter que la Cour suprême promeut cette unique approche fonctionnelle tant sur le fondement de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 que lorsque la demande vise une réparation en application du paragraphe 24(1) de la Charte. Selon la Cour suprême, si le tribunal administratif est le mieux placé pour décider d’une de ces réparations, il l’est aussi bien pour l’autre (Conway, précité, au paragraphe 80).

[65]      L’approche recommandée par la Cour suprême est en premier lieu de se demander si le tribunal peut accorder des réparations en application de la Charte en général. Pour répondre à cette question, il faut identifier si oui ou non, de façon expresse ou implicite, le tribunal peut trancher une question de droit. Lorsque la réponse est affirmative et qu’il n’a pas été établi clairement que le législateur a voulu soustraire le tribunal de l’application de la Charte, le tribunal sera alors compétent pour examiner et appliquer la Charte lorsqu’il statue dans une affaire dont il est régulièrement saisi (Conway, précité, au paragraphe 81 et voir également Martin, précité, aux paragraphes 41 et 42).

[66]      En deuxième lieu, le tribunal doit se demander s’il peut accorder la réparation recherchée en tenant compte du régime législatif en cause. Pour y arriver, il faut percevoir l’intention du législateur en révisant le mandat légal, la structure et les fonctions du tribunal à l’étude (Conway, précité, au paragraphe 82). La Cour suprême avait précédemment étudié ces facteurs dans l’arrêt R. c. 974649 Ontario Inc., 2001 CSC 81, [2001] 3 R.C.S. 575 (Dunedin), où la juge en chef McLachlin examinait « l’approche fonctionnelle et structurelle » et ses composantes, qu’elle décrit comme suit aux paragraphes 43 à 46 :

Essentiellement, ce critère pose la question de savoir si, eu égard à sa fonction et à sa structure, le tribunal judiciaire ou administratif concerné est apte à accorder la réparation demandée en vertu de l’art. 24. Il s’agit d’une évaluation contextuelle. Les facteurs pertinents pour les fins de l’analyse ainsi que leur poids respectif varient en fonction des circonstances de l’espèce. Il est néanmoins possible de classer certaines des considérations visées sous les rubriques générales « fonction » et « structure ».

   La fonction du tribunal judiciaire ou administratif concerné est l’expression de son objectif ou mandat. En tant que telle, elle doit être appréciée en fonction du régime établi par la loi et du système de justice en général. Premièrement, quelle est la fonction du tribunal dans le cadre du régime établi par la loi? L’existence du pouvoir d’ordonner la réparation demandée en vertu du par. 24(1) aurait-elle pour effet d’entraver ce rôle ou de le renforcer? Dans quelle mesure le pouvoir d’accorder la réparation demandée est-il essentiel au fonctionnement efficace et efficient du tribunal? Deuxièmement, quelle fonction exerce le tribunal au sein du système de justice en général? Une autre juridiction conviendrait-elle davantage pour réparer l’atteinte portée aux droits garantis par la Charte?

   L’examen de la structure du tribunal porte sur la compatibilité de l’institution et de ses procédures avec la réparation demandée en vertu de l’art. 24. Selon la réparation particulière en cause, tous les facteurs suivants — ou l’un d’eux — peuvent être importants : la question de savoir si les procédures sont de nature judiciaire ou quasi judiciaire, le rôle des avocats, l’applicabilité ou non des règles de preuve traditionnelles, la question de savoir si le tribunal peut délivrer des assignations à comparaître, celle de savoir si les témoins déposent sous serment, l’expertise et la formation du décideur et l’expérience institutionnelle du tribunal relativement à la réparation en question : voir Mooring, précité, par. 25–26. Parmi les autres considérations susceptibles d’être pertinentes, mentionnons la charge de travail du tribunal, ses contraintes de temps, sa capacité de constituer un dossier suffisant pour les besoins d’une cour de révision et toute autre considération opérationnelle du genre. Essentiellement, il s’agit de déterminer si la législature ou le Parlement a doté le tribunal judiciaire ou administratif concerné des outils nécessaires pour lui permettre de façonner de manière juste, équitable et uniforme la réparation demandée en vertu de l’art. 24, sans nuire à sa capacité d’accomplir sa fonction première.

   Deux sources peuvent aider à déterminer la fonction et la structure du tribunal judiciaire ou administratif concerné : le texte de sa loi habilitante ainsi que l’historique de l’institution et sa pratique reconnue. Il arrive que la loi constitutive du tribunal décrive clairement sa fonction et sa structure. Toutefois, il peut souvent s’avérer nécessaire de considérer d’autres facteurs afin de bien saisir la fonction du tribunal, ou les points forts et les limites de ses mécanismes. Il est impossible d’évaluer, au regard du seul texte de la loi pertinente, des facteurs comme la charge de travail du tribunal, les contraintes de temps auxquelles il est assujetti ainsi que son expérience et son expertise relativement à une réparation donnée; il faut plutôt tenir compte de la pratique quotidienne du tribunal en question. [Souligné dans l’original.]

[67]      Lors de son analyse de la jurisprudence de la Cour suprême dans [l’arrêt] Conway, précité, la juge Abella nota l’importance pour un tribunal de pouvoir trancher des questions de fait et ainsi mettre de l’avant un dossier pour examiner la question constitutionnelle. Ceci ne peut qu’être extrêmement utile pour faire les déterminations appropriées en droit constitutionnel (Conway, précité, au paragraphe 67).

[68]      De plus, lors de cette même revue jurisprudentielle, la juge Abella mit l’emphase sur le fait que l’expertise d’un tribunal jouait en faveur d’un rôle pour traiter des questions de Charte et à déterminer le caractère constitutionnel de sa loi constituante. La juge Abella cita notamment les propos du juge La Forest dans l’arrêt Cuddy Chicks, précité [à la page 18] (cité dans Conway, précité, au paragraphe 53) :

   Il est donc évident qu’un tribunal spécialisé du calibre de la Commission peut appliquer son expertise de façon très fonctionnelle et productive à trancher les questions relatives à la Charte qui requièrent cette expertise. En l’espèce, l’expérience de la Commission est très pertinente dans une contestation de sa loi habilitante fondée sur la Charte, particulièrement à l’étape de l’article premier, où prédominent les considérations de principe. En définitive, le processus judiciaire sera mieux servi si la Commission rend une décision initiale sur la question de la compétence soulevée par une contestation d’ordre constitutionnel. Dans ces circonstances, la Commission a non seulement le pouvoir, mais aussi l’obligation, de s’assurer du caractère constitutionnel de l’al. 2b) de la Loi sur les relations de travail. [Soulignement ajouté par la juge Abella.]

VII.      L’analyse

La question :

Est-ce que le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur les allégations du défendeur selon lesquelles ses droits constitutionnels garantis par la Charte ont été violés, et ce, aussi bien au sens du paragraphe 24(1) de la Charte que du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

A. Il n’y a pas de pouvoir exprès, mais y a-t-il un pouvoir tacite?

[69]      Il est évident à la lecture même de la LSCRS que le législateur n’a pas donné de pouvoir exprès au CSARS lorsqu’il enquête, mais avant d’aborder en détail les étapes du test établi par la Cour suprême, je me permets certains commentaires généraux qui comme porte d’entrée donnent un aperçu global de la situation quant au pouvoir tacite.

[70]      Comme l’a montré la revue de la LSCRS, le souci du législateur est de s’assurer que le Service opère dans un encadrement légal et n’utilise pas ses pouvoirs exceptionnels de façon abusive, inutile ou non conforme aux lois du Canada et de ses règlements. Il me semble qu’en tenant compte des trois fonctions du CSARS : la surveillance, la recherche et l’enquête, le souci du législateur ne peut que s’appliquer à chacune des fonctions.

[71]      À titre indicatif, les éléments qui suivent illustrent tous ce souci du législateur : la définition de « menaces envers la sécurité du Canada » (cadre dans lequel les fonctions du SCRS doivent opérer); les instructions ministérielles; le contrôle judiciaire de l’octroi de mandat; la supervision ministérielle par l’entremise de l’inspecteur général; et le rôle de surveillance du CSARS dont entre autres sa fonction de recherche afin d’assurer que le SCRS opère conformément à la LSCRS, à ses règlements et aux instructions ministérielles et qu’il n’utilise pas ses pouvoirs de façon abusive ou inutile.

[72]      Les instructions du ministre, données en vertu du paragraphe 6(2) de la Loi, prévoient entre autres ce qui suit (dossier de l’intervenant, tome I, onglet 2A, instructions du ministre sur les opérations du Service, aux pages 8 et 9) :

Le gouvernement et la population du Canada s’attendent à ce que le Service assume consciencieusement les responsabilités qui lui sont confiées en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS). Ils s’attendent aussi à ce que le service exerce ses fonctions en respectant le principe de la primauté du droit et les droits et libertés garantis aux Canadiens par la Charte canadienne des droits et libertés.

Les instructions suivantes, que je présente conformément à l’article 6 de la Loi sur le SCRS, visent à aider le Service à répondre à ces attentes.

PRINCIPES FONDAMENTAUX

Les quatre principes fondamentaux énoncés ci-après ont pour objet d’encadrer toutes les opérations du service.

La primauté du droit doit être respectée.

Les méthodes d’enquête utilisées sont proportionnelles à la gravité et à l’imminence de la menace.

-  Plus le risque associé à une activité donnée est grand, plus le         niveau hiérarchique de la personne investie du pouvoir d’autoriser celle-ci est élevé.

En ce qui concerne les méthodes d’enquête intrusives :

-   l’utilisation de telles méthodes est évaluée au regard du tort qu’elles peuvent causer aux libertés civiles et aux secteurs névralgiques, notamment aux institutions politiques, religieuses et universitaires et aux médias;

-   les méthodes d’enquête les moins intrusives sont utilisées avant toute autre, sauf en cas d’urgence ou lorsqu’elles ne sont pas proportionnelles à la gravité ou à l’imminence de la menace;

-   plus la méthode d’enquête est intrusive et plus les risques sont élevés, plus le niveau hiérarchique de la personne investie du pouvoir d’en autoriser l’utilisation est élevé. [Nous soulignons.]

[73]      Il est convenable de noter que ces instructions et les certificats émis par l’inspecteur général doivent tous être remis au CSARS. De plus, le Comité a également accès à l’information détenue par le SCRS et l’inspecteur général. Ainsi, le CSARS a connaissance des règlements et politiques internes du SCRS, des documents protégés et accessibles par très peu d’organismes. Une cour de justice ne pourrait qu’exceptionnellement en prendre connaissance si, en tenant compte des intérêts en jeu, la procédure prévue par l’article 38 [articles 38 à 38.16 inclusivement (édictés par L.C. 2001, ch. 41, art. 43, 141)] de la Loi sur la preuve le permettait.

[74]      Lors de ces enquêtes, qu’elles découlent de plaintes dirigées contre les activités du SCRS, de refus d’habilitation de sécurité sous la LSCRS ou encore de plaintes provenant de la Loi sur la citoyenneté ou de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le CSARS tranche dans chaque cas des questions de fait. Le Comité a à décider de la véracité des témoignages entendus, doit déterminer la validité d’une version plutôt que d’une autre et doit trancher à la toute fin en faveur de l’une des parties, que ce soit le plaignant ou la personne intéressée, ou le cas échéant, le directeur du SCRS, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ou celui qui envoie un avis en vertu du paragraphe 45(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Pour ce faire, il doit utiliser des paramètres et normes légales. S’il est appelé par exemple à décider s’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne intéressée est une « menace envers la sécurité du Canada » comme il serait allégué par le ministre, le CSARS doit avoir recours à la définition de menace telle que définie par nos lois et la jurisprudence développée par les cours. De plus, il en est ainsi pour la notion légale de « motif raisonnable ».

[75]      Dans le cas de plaintes déposées contre le SCRS et certaines de ses activités, le CSARS devra tenir compte des lois du Canada, en particulier de la LSCRS et ses règlements, aux instructions du ministre ainsi qu’aux politiques internes du SCRS. Pour assumer ses obligations, le Comité doit non seulement appliquer le droit en semblable matière, mais aussi évaluer la preuve selon les normes établies par la loi et l’interprétation qui leur a été donnée par la jurisprudence. Ce sera la même situation dans le cas de plaintes de refus d’habilitation de sécurité ou encore pour celles déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[76]      Il est donc évident que pour accomplir ses fonctions d’enquête, le CSARS ne peut tout simplement opérer dans un vacuum juridique. Il se doit d’interpréter le droit pour trancher les questions de fait qui lui sont soumises par l’entremise des dossiers de plaintes. Dire l’inverse irait à l’encontre du souci du législateur de s’assurer que le SCRS opère de façon conforme aux lois du Canada, dont la LSCRS, ses règlements et les politiques du SCRS.

[77]      En somme, le CSARS a les attributs nécessaires pour être un tribunal compétent. Il a l’expertise pour trancher des questions de faits et de droit et il est l’un des rares organismes qui a accès à l’information protégée et détenue par le SCRS.

[78]      À titre de propos d’introduction de l’analyse, je mentionnais ci-dessus que la LSCRS n’octroyait pas de façon expresse un pouvoir de déterminer des questions de droit au CSARS. Voyons maintenant de quelle façon la LSCRS attribue implicitement un pouvoir de trancher des questions de droit. Pour ce faire, nous reprenons les facteurs développés dans l’arrêt Martin, précité, au paragraphe 41 et les appliquons aux particularités du présent dossier.

1)   Pour mener à bien sa mission législative, le CSARS doit trancher des questions de droit

[79]      La mission énoncée dans la Loi et confiée entre autres au CSARS est d’assurer que le SCRS agit conformément aux lois du Canada, à la LSCRS et selon les instructions du ministre et les règlements et politiques reconnus en sécurité nationale.

[80]      La LSCRS est le résultat des travaux et du rapport de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada (Commission McDonald). Dans les années 1970, des activités d’intelligence de la GRC ont soulevé un tollé de critiques lorsque le public en a pris connaissances (par exemple, il y a eu le vol d’une liste de membres du Parti québécois, l’incendie d’une grange où devrait avoir lieu une réunion, ainsi que des entrées subreptices, des vérifications du courrier et des écoutes électroniques sans mandat, tels que décrits au Troisième rapport de la Commission McDonald, publié en 1981 et intitulé Certaines activités de la GRC et la connaissance qu’en avait le gouvernement). La confiance du public envers cette institution en a été grandement ébranlée et le législateur a dû agir pour rectifier cette situation. De là la création de la Commission McDonald et l’enclenchement des débats parlementaires qui se culminèrent dans la promulgation de la LSCRS. Dans l’arrêt Atwal c. Canada, [1988] 1 C.F. 107 (C.A.) (Atwal), la Cour d’appel considérait la constitutionnalité d’un mandat de perquisition et d’écoute électronique ainsi que les dispositions de la Loi en vertu desquelles le mandat avait été octroyé. Aux pages 139 et 140 de cette décision, le juge Mahoney offre un aperçu utile des réformes qui ont suivi la Commission McDonald :

Les événements qui ont conduit à la tenue de l’enquête et à la rédaction du rapport de la Commission McDonald ainsi qu’à la décision finale du Parlement de faire jouer un rôle au pouvoir judiciaire au sein du processus de collecte des renseignements sont suffisamment frais à notre esprit pour permettre au tribunal d’avoir une connaissance d’office de certaines questions générales. Le système antérieur était devenu inacceptable aux yeux du gouvernement et du Parlement parce qu’il avait perdu sa crédibilité auprès du public. Un grand nombre de personnes ne croyaient tout simplement pas que les mesures prises au nom de la sécurité nationale avaient été justifiées, bien que la plupart d’entre elles aient considéré la sécurité nationale comme très importante. Le scepticisme de la population était suscité autant, sinon plus, par l’identité des cibles de ce système, au fur et à mesure que celle-ci devenait publique, que par les méthodes des personnes engagées dans ces activités. L’une des mesures choisies pour asseoir la crédibilité du nouveau Service civil auprès du public est l’instauration d’un contrôle judiciaire là où les activités cachées du Service peuvent faire intrusion dans la vie privée de citoyens et résidents canadiens. L’intervention judiciaire ne s’imposait pas pour permettre au Service d’effectuer une surveillance efficace, il eût été plus facile de poursuivre une telle activité en vertu de l’autorisation de l’exécutif. Cette intervention était nécessaire pour protéger les cibles éventuelles contre la possibilité d’une surveillance injustifiée et pour assurer le public qu’une telle protection était effectivement accordée. Les bienfaits de l’intervention judiciaire pour le Service et, par voie de conséquence, pour le Canada, seront menacés si cette intervention est présentée au public et perçue par celui-ci principalement comme un rouage du système de collecte des renseignements plutôt que comme une fonction du système judiciaire. [Nous soulignons.]

[81]      Tel qu’exprimé par cet extrait d’une jurisprudence de 1988, il fallait, étant donné les activités fortement critiquées de l’ancien organisme d’intelligence de la GRC, encadrer l’octroi de mandats sous le contrôle judiciaire. Ceci avait comme but de protéger les individus contre des surveillances injustifiées et de préserver les droits individuels, tout en protégeant la sécurité nationale. Il était primordial de s’assurer que le SCRS opère dans un encadrement légal pour que le public regagne confiance et c’est précisément cet objectif qui était visé par l’établissement du CSARS. Ainsi le reconnaissait le législateur, par l’entremise du Comité spécial de la Chambre des communes sur l’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, L.R.C. (1985), ch. S-7 (Comité spécial de la Chambre des communes), lorsque ce dernier écrit que « le nouveau système de sécurité national serait un succès en autant que le Parlement et le public auraient confiance en son intégrité » (dossier du demandeur, volume II, onglet 21, Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes [Maintenir le cap : la sécurité nationale dans les années 90, Ottawa : Approvisionnements et Services Canada, 1991], à la page 70). Le CSARS devenait à l’instar de la Cour fédérale un élément clé pour assurer la création d’un climat de confiance.

[82]      C’est d’ailleurs cette compréhension qu’en retira le juge O’Connor en tant que président de la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar (Commission O’Connor), où dans son rapport intitulé Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale, il écrivait ce qui suit [à la page 298] ([voir aussi] dossier de l’intervenant, tome I, onglet 2G, à la page 212) :

Créé en 1984, le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) est un organisme d’examen externe indépendant qui fait rapport sur les activités du SCRS directement au Parlement. Il est depuis longtemps entendu que le rôle du CSARS consiste à assurer le Parlement et le public que le Service canadien du renseignement de sécurité remplit son mandat de veiller sur la sécurité de l’État dans le respect des droits et libertés individuels garantis par la loi canadienne. Pour ce faire, le CSARS examine les opérations du SCRS a posteriori et enquête sur les plaintes. [Nous soulignons; note en bas de page omise.]

[83]      Ainsi, tenant compte de l’ensemble de ses fonctions, la mission du CSARS est de scruter les activités du SCRS dans le but de s’assurer qu’il opère conformément aux lois du Canada, à la LSCRS, à ses règlements et aux politiques, tout en s’assurant que la sécurité du Canada est protégée et que les droits garantis par nos lois le sont aussi. En dissidence, dans l’arrêt Thomson, précité, à la page 419, la juge L’Heureux-Dubé s’exprimait ainsi quant au rôle du CSARS tel que prévu par la Loi :

   Le comité a été mis sur pied pour divers motifs. Son principal rôle est probablement celui de chien de garde du SCRS, et ses rapports visent à rendre publiques les bavures et les erreurs du SCRS. Or, c’est auprès de ce comité que les personnes auxquelles on a refusé un emploi sur le fondement d’un rapport inexact du SCRS peuvent exercer le seul recours dont elles disposent. [Souligné dans l’original.]

[84]      Pour pouvoir actualiser cette mission, le CSARS doit examiner le travail du SCRS à la lumière des lois du Canada. En conséquence, il est appelé à appliquer ces lois. À titre de rappel, le CSARS doit accomplir trois grandes fonctions : 1) la surveillance et l’examen de la façon que le SCRS exerce ses fonctions; 2) faire ou faire effectuer des recherches dans le but de « veiller à ce que les activités du Service soient conduites conformément à la présente loi, à ses règlements et aux instructions du ministre […] et qu’elles ne donnent pas lieu à l’exercice par le Service de ses pouvoirs d’une façon abusive ou inutile] » (article 40 de la LSCRS); et 3) enquêter les plaintes reçues concernant les activités du Service, les refus d’habilitation de sécurité ou encore les rapports transmis en vertu de la Loi sur la citoyenneté et les affaires acheminées conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[85]      Chacune de ces fonctions, pour être accomplie pleinement, se doit d’assurer que les activités du SCRS sont actualisées de telle façon qu’elles sont adaptées aux lois, à la LSCRS, à ses règlements et aux instructions du ministre et qu’elles ne sont pas articulées de façon abusive ou encore qu’elles ne sont pas inutiles. En conséquence, le résultat des recherches du CSARS est communiqué au ministre, au directeur du SCRS et ultimement au Parlement par l’entremise de rapports annuels ou encore de rapports spéciaux au ministre et éventuellement au public. À ce sujet, le dossier contient plusieurs extraits de rapports annuels, ainsi qu’un rapport spécial concernant « Le rôle du SCRS dans l’affaire Omar Khadr » (dossier de l’intervenant, tome I, onglet E, aux pages 102 à 137). Une simple lecture de ces rapports dévoile justement un recours constant aux lois du Canada, à la LSCRS, à ses règlements et aux politiques.

[86]      Quand au rôle d’enquête du CSARS, qu’il s’attarde aux activités du SCRS, au refus d’habilitation impliquant ce dernier ou encore aux rapports et affaires référés en vertu de la Loi sur la citoyenneté et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le procureur général affirme que le CSARS n’a pas à trancher des questions de droit pour accomplir cette fonction. Bref, il est suggéré que le CSARS a comme « simple but » de formuler des conclusions et des recommandations et qu’en conséquence il n’a pas à décider de questions de droit. On veut ainsi l’apparenter à une commission d’enquête ni plus ni moins. Le procureur général ne perçoit pas dans la législation un pouvoir implicite autorisant le CSARS à trancher des questions de droit et il ne reconnaît donc pas la mission décrite ci-dessus.

[87]      Une revue des plaintes traitées par le CSARS au cours des années offre une réponse. Depuis sa création et jusqu’au 31 mars 2005, le CSARS (à l’exclusion des plaintes déposées en vertu de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31) a reçu 883 plaintes, qui se catégorisent ainsi (dossier de l’intervenant, tome I, onglet 2G, à la page 222) :

▪ 771 plaintes déposées sous le régime de l’article 41 de la LSCRS (les activités du Service);

▪ 131 plaintes déposées sous le régime de l’article 42 (refus d’une habilitation de sécurité);

▪ 17 plaintes concernant des questions de citoyenneté;

▪ 11 plaintes concernant des questions d’immigration;

▪ 13 dossiers référés par la Commission canadienne des droits de la personne.

[88]      De plus, on apprend dans les rapports annuels que le CSARS reçoit plus de 30 nouvelles plaintes par année aux fins d’enquête (dossier de l’intervenant, tome I, onglets 2C et D, aux pages 51 et 64). Aucune ventilation de la répartition des plaintes n’est faite, mais à la lumière des rapports annuels déposés, il est permis de penser que la grande majorité de celles-ci concernent les activités du SCRS en vertu de l’article 41 de la Loi. Le rapport O’Connor révèle que le CSARS consacre 20 p. 100 de ses ressources aux enquêtes et 5 p. 100 de celles-ci sont consacrés au travail découlant d’audience (dossier de l’intervenant, tome I, onglet 2G, à la page 222).

[89]      Passant maintenant à un examen particulier du régime d’enquête de l’article 41 de la LSCRS, le dossier de l’intervenant offre un aperçu des plaintes dirigées contre les activités du SCRS que le Comité a eu à traiter dans le passé : présomption d’intimidation, présomption d’atteintes aux droits de la personne et de traitements injustes, allégations concernant l’utilisation par le SCRS de preuves obtenues sous la torture, pratiques discriminatoires présumées, présumés harcèlements et ingérences de la part du SCRS dans l’obtention d’un emploi et d’autres. Une revue des sommaires concernant le traitement de ces plaintes informe que le CSARS, pour accomplir sa fonction, a eu recours entre autres et de façon non limitative à la Charte, à la Loi canadienne sur les droits de la personne, à la LSCRS, à ses règlements et politiques internes, y incluant les instructions du ministre, à la Loi sur la protection des renseignements personnels [L.R.C. (1985), ch. P-21], au Code criminel et à certains traités adressant la torture (dossier de l’intervenant, tome I, onglets 2B, 2C et 2D). À la lumière de cette revue, il est plus que probable que le procureur général avait déjà eu d’autres occasions pour soulever la question en litige au présent dossier, à savoir si le Comité peut trancher des questions de droit, dont notamment la Charte, mais qu’il avait simplement choisi de ne pas le faire jusqu’à tout récemment.

[90]      Les enquêtes en vertu de l’article 41 de la LSCRS sont disponibles à « toute personne » et sont dirigées « contre des activités du Service » (en anglais, les plaintes sont dirigées « with respect to any act or thing done by the Service »). Pour assumer pleinement sa juridiction d’enquête de ces plaintes, le CSARS doit préalablement déterminer si le directeur du SCRS a répondu dans un délai normal à la plainte ou encore s’il a fourni une réponse qui satisfait le plaignant (alinéa 41(1)a)).

[91]      Le Comité doit statuer si la plainte est frivole, vexatoire, sans objet ou entachée de mauvaise foi. Cette étape est primordiale pour le plaignant, car elle touche directement à son intérêt de voir à ce que sa plainte soit ultimement traitée (Mikail, précité, aux paragraphes 32, 37 et 47). Pour ce faire, le CSARS doit avoir recours au droit applicable en semblable matière. Il ne peut aller à l’encontre de l’intérêt du plaignant sans le faire sur la base de considérations juridiques. Une simple conclusion de fait ne suffirait pas à moins qu’elle inclue une assise juridique (alinéa 41(1)b)). De plus, le Comité doit se satisfaire que la plainte ne soulève pas une base factuelle reliée à une problématique de relations de travail (paragraphe 41(2)). À cette fin, le CSARS a à prendre en considération la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, une autre loi que sa loi habilitante.

[92]      Tenant compte de ce qui précède, il me semble que la fonction d’enquête de l’article 41 de la LSCRS inclut non seulement une obligation de décider de question de fait (en anglais, le CSARS est appelé à émettre un rapport contenant « the findings of the investigation » et en français « ses conclusions » (alinéa 52(1)a))), mais aussi de le faire en tenant compte du droit applicable selon les particularités de la plainte à l’étude. Franchement, il est difficile de voir comment le CSARS pourrait assumer sa mission sans le faire en tenant compte des lois en vigueur. Ce serait abdiquer à la mission législative que de ne pas avoir recours aux valeurs juridiques du pays.

[93]      Il en va de même lorsqu’on porte une attention particulière à la fonction d’enquêteur du CSARS. L’intérêt des personnes concernées, leurs droits et l’encadrement législatif de la procédure de plainte l’exigent tous. Ne pas reconnaître à travers la mission législative un pouvoir implicite de trancher des questions de droit serait rendre désuète la fonction d’enquête du CSARS. Après tout si aucune question de droit ne peut être tranchée, quel serait le but du système de plaintes? Celui de conclure sur les faits, sans toile de fond de loi pour le faire, serait un non-sens.

[94]      Le législateur, en promulguant la LSCRS, voulait mettre sur pied un système de contrôle ayant pour but de s’assurer que le SCRS, en actualisant ses pouvoirs exceptionnels, le ferait de façon légale et dans le cadre de ce que nos lois permettent. Si l’on conclut comme le procureur général le voudrait, que le CSARS ne peut trancher des questions de droit lorsqu’il enquête, conclut et recommande, ce serait allé à l’encontre de ce que le législateur voulait. La mission législative exige que le CSARS puisse trancher des questions de fait et de droit lorsqu’il enquête.

[95]      Le procureur général compare le rôle d’enquêteur du CSARS à une commission royale d’enquête. À titre d’exemple, il a recours au rapport de l’Enquête interne sur les actions des responsables canadiens relativement à Abdullah Almaki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin (Commission Iacobucci) où le juge Iacobucci opinait qu’aux fins de son enquête, il ne pouvait tirer des conclusions reliées à la Charte (dossier du demandeur, volume II, annexe B, onglet 13, Rapport final de la Commission Iacobucci, au paragraphe 29 [du chapitre 10, pages 361 et 362]) :

   Premièrement, je dois répéter que le mandat de l’Enquête est limité par sa nature même. Il ne relève pas de mon mandat de tirer des conclusions sur la responsabilité civile, criminelle ou constitutionnelle. Les normes que j’entends appliquer ne sont pas des normes juridiques. Malgré les représentations habiles sur ces normes présentées par de nombreux participants à l’Enquête, je n’ai pas l’intention de tirer des conclusions sur d’éventuels délits, crimes ou violations de la Charte canadienne des droits et libertés ou d’autres normes constitutionnelles ou internationales. Néanmoins, les principes de base ressortant de sources légales dont le droit canadien, la Charte et divers instruments internationaux sont utiles pour fonder mes conclusions à savoir si les responsables canadiens ont agi convenablement dans les circonstances. [Nous soulignons.]

[96]      De façon plus que claire, le juge Iacobucci mentionne que le mandat de l’enquête qu’il présidait était limité et que le mandat donné par le Gouverneur général en conseil ne lui permettait pas de conclure quant à la responsabilité civile, criminelle ou constitutionnelle. Les commissions d’enquête reçoivent leur mandat du Cabinet. Leur rôle et fonction varie selon ce dernier. Bien que limité à cet égard, le dossier semble dévoiler un mandat beaucoup plus vaste pour la Commission O’Connor (dossier de l’intervenant, tome I, onglet 2G). Associer le CSARS à la Commission Iacobucci, comme le veut le procureur général, m’apparaît inapproprié. Tel que l’exigent les facteurs mis de l’avant dans l’arrêt Conway, si aucun pouvoir exprès de trancher des questions de droit n’est attribué au tribunal, on doit voir si la législation contient un pouvoir implicite. De là, l’importance d’identifier la mission du tribunal dans la législation.

[97]      Le procureur général plaide aussi que le rôle du CSARS, lorsqu’il enquête, est semblable à l’enquêteur en première étape lors d’études de plaintes déposées en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le procureur général s’appuie en conséquence sur l’arrêt Cooper, précité, où la majorité conclut que la CCDP ne pouvait trancher des questions de droit, y incluant la Charte.

[98]      Encore là, on tente d’associer le CSARS à la CCDP, mais la réalité dévoile que ce sont deux organismes distincts qui n’assument pas dans leur totalité les mêmes fonctions. Le rôle de l’enquêteur en première étape, sous la Loi canadienne sur les droits de la personne, est d’enquêter la plainte et de faire rapport à la CCDP. Après étude du rapport, la CCDP détermine le suivi de la plainte, y incluant la possibilité de confier ladite plainte au président du Tribunal canadien des droits de la personne. Le travail de l’enquêteur est donc une étape initiale. De plus, les pouvoirs de l’enquêteur sont limités et ils ne se comparent pas à ceux attribués au CSARS par la LSCRS (Loi canadienne sur les droits de la personne, aux articles 43 [mod. par L.R.C. (1985) (1er Suppl.), ch. 31, art. 63], 44 [mod., idem, art. 64; L.C. 1998, ch. 9, art. 24], 47 et les articles 48 à 50 et 52 de la LSCRS).

[99]      Lorsque le CSARS est saisi, pour des raisons de sécurité nationale, d’un référé de la CCDP, il enquête comme il le fait pour les plaintes dirigées contre les activités du SCRS. Lorsqu’il conclut son enquête, il remet alors son rapport et ses conclusions à la CCDP, qui décidera du suivi de la plainte et de l’information qu’elle communiquera (articles 45 et 46 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et les articles 49 et 55 de la LSCRS). Pourtant, tandis que l’étape de l’enquêteur n’est pas finale en soi, dans le cas du CSARS, son travail d’enquête, son rapport et ses conclusions le sont. La CCDP prend comme tels le rapport et ses conclusions, ne le remet pas en question et décide des étapes à suivre à la lumière de ce rapport tout en tenant compte de l’information du dossier. Contrairement à l’enquêteur du CCDP, les questions de droit sont à être traitées par le CSARS. Dans le cas du CCDP, celle-ci ou encore le Tribunal canadien des droits de la personne pourrait ultimement traiter de questions de droit. Ce sont donc deux rôles distincts qui ne permettent pas d’associer l’enquêteur du CCDP au rôle d’enquêteur du CSARS ni de conclure que le CSARS ne peut traiter des questions du seul fait que la Cour suprême a décidé comme elle l’a fait au sujet de l’enquêteur dans l’arrêt Cooper, précité.

[100]   Le procureur général avance aussi qu’à plusieurs occasions, le législateur aurait pu préciser que le CSARS pouvait traiter de questions de droit et qu’il ne l’a pas fait, et ce, malgré le fait qu’une demande expresse avait été faite à ce sujet. Je reconnais en effet que lors de la révision parlementaire de la LSCRS prévue par la législation à l’article 56, le Comité spécial de la Chambre des communes exprima le désir que l’on modifie la fonction de recherche du CSARS à l’article 40 pour y inclure les examens de la façon dont le SCRS respecte la Charte et les lois du Canada, y compris les lois provinciales (dossier du demandeur, volume II, onglet 20, à la page 156).

[101]   Premièrement, je souligne que la préoccupation du Comité spécial de la Chambre des communes concernait la fonction de recherche (alinéa 38b) et article 40 de la LSCRS) et non la fonction d’enquête (article 41 de la LSCRS). En deuxième lieu, ce même comité ne demandait pas de modifier la Loi pour que le CSARS puisse traiter de questions de droit y incluant la Charte et les lois provinciales, mais demandait plutôt que la fonction recherche puisse examiner la façon dont le SCRS respecte la Charte et les lois provinciales.

[102]   De plus dans la réponse du gouvernement au Comité spécial de la Chambre des communes, on a pris la peine de noter que la fonction de surveillance et de recherche du CSARS constitue un des éléments importants de la Loi. Voici ce qu’on y écrivait (dossier du demandeur, volume II, onglet 21, Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes, à la page 71) :

   Le rôle de surveillance du CSARS constitue l’un des éléments fondamentaux du cadre d’imputabilité établi par la Loi sur le SCRS.

   Le fait que le mandat du SCRS ait un caractère législatif et que le ministre soit investi du pouvoir d’établir des instructions montre bien que les activités du Service sont sanctionnées par la loi et doivent être menées conformément à la règle de droit, ce qui comprend la Charte. Pour sa part, le CSARS est chargé de vérifier s’il y a des irrégularités dans les activités du SCRS, tout en faisant bien attention de mettre en balance la sécurité nationale et les libertés individuelles.

   En vertu de l’article 38 de la Loi sur le SCRS, le CSARS doit surveiller la façon dont le Service exerce ses fonctions. Cela veut dire, entre autres, examiner :

-   les rapports annuels du SCRS et les certificats de l’inspecteur général;

-   les instructions du ministre;

-   les ententes conclues par le SCRS avec des gouvernements et des organismes du Canada ou de l’étranger;

-   les rapports prévus à l’article 20 sur les agissements illicites;

-   les règlements.

   L’article 40 de la Loi attribue au CSARS la tâche d’examiner si le Service se conforme à la Loi sur le SCRS, aux règlements d’application et aux instructions du ministre, ainsi que de surveiller les activités du SCRS pour s’assurer qu’il n’exerce pas ces pouvoirs de façon abusive ou inutile. [Nous soulignons.]

[103]   Je note à nouveau l’importance pour le gouvernement et la LSCRS de rendre le SCRS imputable et de préserver la confiance de celui-ci envers le Parlement et le public. Je constate également le rôle que décrit le gouvernement pour le CSARS et la mission qu’il est appelé à accomplir. En plus, dans sa réponse, le gouvernement reconnaît l’encadrement législatif des activités du SCRS et que celles-ci doivent être conformes à la règle de droit, ce qui comprend la Charte.

[104]   Le gouvernement souligne dans sa réponse que les activités du Service doivent être conformes à la règle de droit, y incluant la Charte. Ceci ne m’apparaît pas comme étant une expression que le CSARS ne doit pas, lors de l’actualisation de ses fonctions, appliquer la Charte et les lois du Canada, bien au contraire. D’ailleurs, lorsqu’il traite dans sa réponse du rôle d’enquête du CSARS, le gouvernement se réfère à ce dernier comme agissant comme tribunal (dossier du demandeur, volume II, onglet 21, Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes, à la page 75).

[105]   En terminant cette section, je remarque que les activités du SCRS sont le sujet d’étude aussi bien à l’article 40 qu’à l’article 41 de la LSCRS, où la plainte déposée doit être dirigée contre les activités du Service. Ayant défini la mission législative du CSARS (soit celle de s’assurer que les activités du SCRS se conforment aux lois y incluant la Charte, la LSCRS et ses règlements, et le tout dans un objectif d’uniformité et de constance dans l’interprétation de la Loi), je crois que ce qui est exigé législativement pour les fonctions de recherche et de surveillance aux alinéas 38(1)a) et 38(1)b) et à l’article 40 l’est aussi pour la fonction d’enquête que l’on retrouve aux articles 38, 41, 42 et suivants. Pour assumer son mandat, le CSARS doit s’assurer que les activités examinées ou qui font l’objet d’une enquête sont conformes aux lois. Si elles ne le sont pas, il est du devoir du CSARS de le signaler. Autrement, il n’agit pas conformément à sa mission et à son mandat législatif. Tenant compte de la mission du CSARS, il aurait donc un pouvoir tacite de trancher des questions de droit, y incluant celles basées sur la Charte.

2)   L’interaction du CSARS avec les autres composantes du système administratif est un autre indice permettant de percevoir un pouvoir tacite de trancher des questions de droit

[106]   Ayant cerné et identifié la mission législative du CSARS, l’arrêt Martin, précité, nous demande à ce stade-ci d’examiner l’interaction du CSARS avec les autres composantes du régime administratif. Nous le ferons en présentant d’abord un aperçu général pour ensuite porter une attention spéciale à la fonction d’enquêteur du CSARS et à son interaction avec les autres composantes prévues par la Loi.

[107]   Une étude de la LSCRS nous permet de bien situer le CSARS en fonction de la sécurité nationale et de ses composantes. Le CSARS est un élément essentiel dans l’encadrement législatif. Il est, par l’entremise de ses fonctions de recherche, de surveillance et d’enquête, l’organisme externe qui assure que le SCRS opère conformément aux lois, à la LSCRS et à ses règlements. En conséquence, il rend le SCRS imputable, assurant ainsi la confiance du Parlement et du public à son égard. Le CSARS, lorsqu’il rend compte de ses fonctions, fait rapport au ministre, au directeur du SCRS, aux personnes concernées (dans le cas de rapport d’enquête) et dans certains cas à la CCDP et au ministre de la Citoyenneté. Il fait aussi rapport annuellement au Parlement par l’entremise du ministre et produit périodiquement des rapports touchant des sujets particuliers.

[108]   Aux fins de ses fonctions, le CSARS a accès à toute la documentation sous le contrôle du SCRS qu’il considère nécessaire à ses besoins, à l’exception de celle de nature confidentielle provenant du Conseil privé de la Reine. Donc, de façon exceptionnelle, il a accès à l’information confidentielle du SCRS qui serait normalement protégée par la Loi sur la preuve. Aucun autre organisme externe n’a un accès aussi complet au secret du SCRS.

[109]   Le CSARS examine non seulement les activités du SCRS, mais aussi les instructions du ministre, les rapports du directeur du SCRS, les certificats de l’inspecteur général, les ententes du SCRS avec des organismes canadiens et internationaux et les mandats émis par la Cour fédérale. C’est un rôle de droit de regard et d’accès à tout ce qui implique le SCRS dans ses fonctions et activités.

[110]   Ce rôle général se transpose lorsque le CSARS assume ses fonctions d’enquête. Il est l’organisme qui détient toute l’information y incluant celle détenue par le SCRS et celle que le plaignant veut bien lui communiquer. Le CSARS a en sa possession les instructions du ministre, les instructions aux employés et les politiques internes. Ils passent en entrevue les personnes pouvant être utiles à l’enquête. Il a aussi un volet d’audition où chacune des parties impliquées peut se faire entendre, même à l’exclusion de l’autre partie.

[111]   Aux fins d’une enquête dirigée contre les activités du SCRS, il fait rapport au ministre, au directeur du SCRS et à la personne intéressée. Cette dernière recevra, après consultation avec le directeur du SCRS, toute l’information qui n’est pas reliée à ce qui doit être protégé pour des raisons de sécurité nationale. Le rapport contient les conclusions de faits et des recommandations.

[112]   Cette procédure est importante aux parties impliquées. Pour la personne concernée, elle a un intérêt certain à voir à ce que sa plainte soit validée. Pour le SCRS, il en va de la crédibilité associée à ses activités. Pour le ministre, le résultat d’une telle procédure lui donne un regard externe sur les activités du SCRS et accès à un rapport complet. Ceci lui permet de s’assurer que les activités du Service sont conformes aux lois, à la LSCRS et à ses instructions. À la lumière des conclusions de fait et de droit et des recommandations, par l’entremise de nouvelles instructions ou autrement, le ministre peut agir de façon éclairée pour corriger une situation et assurer qu’elle ne se répète pas.

[113]   Pour tenter de minimiser l’interaction du CSARS avec les composantes, le procureur général plaide que les recommandations ont « simplement une valeur consultative ». En conséquence, il est selon lui inapproprié que le CSARS puisse trancher des questions de droit ou encore appliquer la Charte. Il ajoute que le rapport du Comité n’est pas susceptible d’appel, une indication selon lui que la LSCRS ne donne pas au CSARS de pouvoirs implicites pour trancher des questions de droit.

[114]   Il est vrai que les rapports du CSARS ne font que des recommandations et que celles-ci ne sont pas exécutoires. La Cour suprême en a décidé ainsi dans [l’arrêt] Thomson, précité, lorsqu’elle concluait que la décision ultime d’octroyer ou non une habilitation de sécurité demeure la responsabilité de l’administrateur général. Dans ce même jugement, à la page 401, la Cour suprême mentionnait qu’en ayant des recommandations sans portée obligatoire, ceci évitait un empiètement sur les pouvoirs de gestion du Service. Ceci ne veut pas dire pour autant que le fait de ne pouvoir émettre que des recommandations diminue en soi l’impact qu’elles peuvent avoir. Cela n’a pas non plus comme conséquence de minimiser en soi l’interaction du CSARS avec les autres composantes, tels le ministre, le directeur du SCRS et la personne concernée.

[115]   Une recommandation du CSARS inclut des conclusions de faits favorisant soit la version du plaignant ou encore celle du SCRS et suit les déterminations faites à l’égard des faits du dossier. Les recommandations, bien que non contraignantes, ont un impact certain sur le SCRS. Ce dernier doit par la suite justifier ses actions au ministre et ultimement au Parlement. Si le rapport est concluant et que les recommandations sont pertinentes, elles auront un effet sur le SCRS et il ne pourra tout simplement les ignorer. Dans une récente décision de la Cour fédérale, il fut décidé que bien que les recommandations n’étaient pas exécutoires, elles avaient un air de détermination (Mikail, précité, au paragraphe 47). D’ailleurs, les plaignants sont conscients que le sort ultime de leur plainte prendra la forme de recommandations non contraignantes. Néanmoins, le nombre de plaintes dirigées contre les activités du SCRS sur une période d’environ 10 ans (où 711 plaintes furent déposées contre les activités du Service) démontre un intérêt constant pour ce type de procédure, et ce, malgré le résultat non contraignant.

[116]   L’autre argument avancé par le procureur général à ce sujet est qu’aucun appel n’est prévu pour les rapports d’enquête du CSARS. En effet, il est vrai que la Loi ne prévoit pas d’appel. Toutefois, les rapports d’enquête du CSARS sont assujettis à une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale (article 18.1 [édicté par L.C. 1990, ch. 8, art. 5; 2002, ch. 8, art. 28] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [article 1 (mod., idem, art. 14)]). Il n’est donc pas factuel de dire que les rapports d’enquête du CSARS qui tranchent des questions de droit et de Charte ne pourraient être réexaminés lorsque c’est nécessaire. De plus, lorsque ce contrôle judiciaire soulève des questions purement de droit ou de justice naturelle, il est alors assujetti à la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, au paragraphe 50). En conséquence, le système judiciaire prévoit une demande de contrôle judiciaire des rapports résultant d’enquêtes du CSARS qui soulèverait ou trancherait des questions de droit, y incluant celles basées sur la Charte.

[117]   Des parties concernées ont à plusieurs reprises eu recours à une demande de contrôle judiciaire pour tenter de faire corriger des décisions ou rapports d’enquête du CSARS (Mikail, précité, aux paragraphes 46 à 49; Al Yamani, précité, aux pages 198 et 199; Omary, précité, au paragraphe 28; Moumdjian, précité, aux paragraphes 21 et 23; Thomson c. Canada, [1988] 3 C.F. 108 (C.A.) [précité]; Nourhaghighi, précité; Brar, précité; Zündel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 233 (C.A.)). L’impossibilité d’appel des rapports d’enquête du CSARS est donc compensée par la procédure de contrôle judiciaire de ces derniers. Ainsi, les questions de droit déterminées par le CSARS sont révisables et la Cour fédérale pourra intervenir si le CSARS commet une erreur de droit.

[118]   Les deux arguments du procureur général pour minimiser l’interaction du CSARS avec les composantes du régime administratif sont insuffisants pour neutraliser ou minimiser les conclusions ci-dessus. Le fait que ce soit des recommandations ayant « simplement » une valeur administrative et qu’aucun appel n’est prévu pour corriger les erreurs en droit n’annule pas pour autant l’importance de l’interaction du CSARS avec les personnes concernées, le directeur du SCRS et le ministre. Les rapports d’enquête, y incluant les conclusions de faits et les recommandations, sont d’une importance évidente à toutes ces parties.

[119]   Donc, je conclus que l’interaction du CSARS avec ses composantes appuie la thèse que le législateur a donné au CSARS un pouvoir implicite pour trancher des questions de droit y incluant celles sur la base d’atteinte aux droits protégés par la Charte.

3)   Le CSARS est une instance juridictionnelle

[120]   Dans l’arrêt Martin, précité, la Cour s’est penchée sur la nature juridictionnelle du Workers’ Compensation Appeals Tribunal de la Nouvelle-Écosse et a identifiés les éléments suivants (Martin, précité, au paragraphe 53) :

[…] le tribunal d’appel est une instance entièrement juridictionnelle. Il est indépendant de la commission et relève du ministre de la Justice, alors que la commission relève du ministre du Travail. Il établit ses propres règles de procédure (par. 240(1)), il peut examiner tous les éléments de preuve pertinents (par. 246(1)) et il enregistre tous les témoignages, pour consultation future (par. 253(1)). Ses membres ont les mêmes pouvoirs, privilèges et immunités qu’un commissaire nommé en vertu de la Public Inquiries Act, R.S.N.S. 1989, ch. 372 (par. 178(1)), y compris le pouvoir d’assigner des témoins, de contraindre des personnes à témoigner, d’exiger la production de documents et de punir les personnes coupables d’outrage; ils possèdent également certains pouvoirs d’entrer dans des lieux (art. 180). Bien que le tribunal d’appel doive normalement rendre sa décision dans les 60 jours de l’audition ou, en l’absence d’audition, de la date à laquelle toute l’argumentation a été reçue (par. 246(3)), il peut [traduction] « en tout temps, proroger tout délai prévu par la présente partie ou par le règlement, s’il est d’avis qu’il y aura une injustice s’il ne le fait pas » (par. 240(2)). Ce pouvoir de prorogation lui permet de bien examiner les questions plus complexes que soulève un appel fondé sur la Charte, comme cela a été fait en l’espèce. Bien que seul le commissaire d’appel en chef soit tenu d’être un avocat en exercice (par. 238(5)), en réalité, tous les commissaires du tribunal d’appel sont membres du barreau. De plus, notre Cour a reconnu que les membres d’un tribunal spécialisé qui ne sont pas des avocats peuvent contribuer de façon importante au règlement de questions relatives à la Charte : Cuddy Chicks, précité, p. 16-17. Rien ne permet de douter, selon moi, que le tribunal d’appel est une instance juridictionnelle parfaitement capable de trancher des questions relatives à la Charte, comme en témoignent, en l’espèce, ses motifs judicieux concernant la question du par. 15(1). [Nous soulignons.]

[121]   La Cour d’appel fédérale s’est également penchée sur ce même facteur de l’arrêt Martin dans [l’arrêt] Covarrubias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, [2007] 3 R.C.F. 169 (Covarrubias). Elle devait déterminer si un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) avait la compétence implicite pour examiner des questions de droit, dont notamment la compétence implicite pour déclarer inopérants des paragraphes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) lorsque leur application entraînerait une violation de la Charte. En examinant le troisième facteur, à savoir si le tribunal est une instance juridictionnelle, la Cour a noté qu’une décision ERAR est principalement administrative et non juridictionnelle puisque la plupart des demandes ERAR étaient jugées sur dossier et non par audience (Covarrubias, précité, au paragraphe 54).

[122]   Tel que précisé au paragraphe 54 de l’arrêt Martin, précité, le facteur de l’instance juridictionnelle n’est pas déterminant pour conclure à l’existence d’un pouvoir implicite de trancher des questions de droit, mais il demeure toutefois important à l’évaluation.

[123]   Le CSARS, dans le cadre de sa fonction d’enquête de plaintes dirigées contre les activités du SCRS, a beaucoup des attributs normalement confiés à une cour de justice :

▪ Pour amorcer une enquête, il faut soit qu’il y ait eu une décision insatisfaisante du directeur du SCRS en réponse à la plainte ou encore un retard anormal à répondre (alinéa 41(1)a) [de la LSCRS]).

▪ Le CSARS doit se satisfaire du sérieux de la plainte et qu’elle n’est pas reliée à une problématique de relations de travail (paragraphes 41(1) et 41(2)).

▪ Le CSARS doit informer les parties de leurs droits à une audience et de présenter des témoins ou des observations écrites, bien que nul n’a le droit absolu d’entendre ou de recevoir les observations d’une autre personne si le Comité en décide ainsi (paragraphe 48(2)).

▪ Le CSARS a la possibilité d’informer les parties des faits de l’affaire pour assurer un traitement équitable pourvu que ce soit conforme aux exigences associées à la sécurité du Canada (règle 46 des Règles de procédure du CSARS).

▪ Les parties ont le droit d’être représenté par un avocat et le CSARS peut assigner des témoins, faire prêter serment, contraindre à témoigner et exiger la production de documents de la même façon qu’une cour supérieure d’archives (alinéas 50a) et 50b)).

▪ Le CSARS a juridiction pour recevoir une preuve sous forme verbale ou écrite ou par tout autre moyen requis, indépendamment de son admissibilité devant les tribunaux (alinéa 50c)).

▪ Le CSARS a le droit de déterminer sa procédure pour assurer ses fonctions, lesdites procédures ayant reçu l’aval de la Cour suprême dans l’arrêt Chiarelli, précité, aux pages 742 et 745.

▪ Le CSARS s’est vu accorder un droit d’accès très large aux informations du SCRS et de l’inspecteur général ainsi que l’interdiction de lui refuser accès aux informations « pour quelque motif que ce soit », par dérogation à toute autre loi fédérale ou encore immunité reconnue par le droit de la preuve, avec comme seule exception l’information confidentielle du Conseil privé du Canada (article 39, au paragraphe 39(1), alinéas 39(2)a) et 39(2)b) et paragraphe 39(3)).

▪ Le CSARS a l’obligation de trancher par l’entremise d’un rapport contenant ses conclusions et les recommandations qu’il juge indiquées dans les circonstances et d’acheminer le tout au ministre et au directeur du SCRS. Quant au plaignant, il reçoit ce qui peut être divulgué, n’étant pas protégé pour des raisons de sécurité nationale, après consultation avec le directeur du SCRS (alinéas 52(1)a), 52(1)b) et 55b) de la Loi ainsi que la règle 13 des Règles de procédure du CSARS).

[124]   Le procureur général souligne qu’il n’est pas requis que les membres du CSARS détiennent une formation juridique ou encore de l’expérience pour statuer sur des questions de droit, incluant celle basée sur la Charte et que ceci est indicatif que le CSARS ne peut trancher des questions de droit et de Charte. En réponse, il est indicatif de relever les critères de sélection et de nomination des membres du CSARS ainsi que la durée de leur mandat. Le nombre maximal de membres est de quatre, à l’exclusion du président. Ces individus doivent être membres du Conseil privé de la Reine du Canada ne faisant pas parti du Sénat ou de la Chambre des communes. Ils ne peuvent être nommés qu’après consultations du premier ministre avec le chef de l’opposition à la Chambre des communes et le chef de chacune des parties ayant au moins douze députés. Ils sont nommés à temps partiel et à titre inamovible pour cinq ans avec possibilité de renouvellement pour une durée maximale semblable (paragraphes 34(1), 34(2) et 34(3)). Les membres ont l’obligation de prêter le serment du secret prévu à l’annexe de la LSCRS (article 37).

[125]   À ce titre, la réponse du gouvernement au rapport du Comité spécial de la Chambre des communes, précité, expliquait aux pages 70 et 71 l’importance du CSARS et de ses membres pour le Parlement (dossier du demandeur, volume II, onglet 21, Réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes, à la page 70) :

LES ORIGINES DU CSARS

   Quand on a rédigé la Loi sur le SCRS, on reconnaissait que, dans une large mesure, le nouveau système de sécurité nationale serait un succès en autant que le Parlement et le public auraient confiance en son intégrité. On a alors examiné différentes façons d’exercer une surveillance externe indépendante sur la manière dont le Service remplirait son mandat.

   L’une des solutions envisagées était d’assignée cette fonction de surveillance externe à un comité parlementaire. Toutefois, le fait de permettre à des législateurs d’avoir directement accès aux informations sur les opérations du SCRS allait donner lieu à des difficultés d’ordre pratique. En effet, beaucoup de ces informations ne pourraient tout simplement pas être communiquées au public. C’est le cas des informations ayant trait à des tierces personnes ou aux aspects suivants :

-   les moyens, les techniques et les méthodes d’enquête du SCRS,

-   les opérations courantes,

-   les sources techniques,

-   l’identité des cibles,

-   l’identité des sources humaines.

   En outre, traditionnellement dans le système parlementaire canadien, les législateurs ont la liberté d’utiliser ouvertement l’information, de quelque source que ce soit, pour s’acquitter de leurs responsabilités à l’égard de leurs électeurs, de leur parti et de la Chambre. Le fait de leur fournir des documents classifiés ou de créer une structure parlementaire permanente ayant des responsabilités en matière de sécurité nationale pouvait, croyait-on, entraver leur liberté.

   On a donc plutôt opté pour la création du CSARS. Le CSARS se veut un substitut au Parlement. Il est formé de conseillers privés qui ne font partie ni de la Chambre des communes ni du Sénat. Il a plein accès aux informations du SCRS, excepté les renseignements confidentiels du Cabinet, et il est libre d’enquêter sur tous les aspects des opérations du Service. Bien que tenu à la confidentialité, il soumet chaque année un rapport qui est rendu public.

   Les tâches que la Loi sur le SCRS assigne au CSARS se divisent en deux grandes catégories : la surveillance et les plaintes. [Nous soulignons.]

[126]   Ce statut particulier donne au CSARS une envergure exceptionnelle dans le domaine de la sécurité nationale. Le CSARS, par ses affinités parlementaires, a la confiance du Parlement du Canada. Bien que ses membres soient à temps partiel et n’ont pas l’obligation statutaire d’avoir une formation juridique, ils ont par l’entremise de leurs missions et fonctions une position privilégiée leur permettant d’avoir une connaissance hors du commun en sécurité nationale. Cette spécialité leur donne des atouts que très peu de cours de justice ont en sécurité nationale. Cette expertise est bénéfique lorsqu’ils ont a traiter de plaintes dirigées contre les activités du SCRS. À ce sujet, l’arrêt Cuddy Chicks, précité, aux pages 16 et 17, affirmait ce qui suit (voir également l’arrêt Martin, précité, au paragraphe 53) :

   La considération primordiale est que les commissions des relations du travail sont des organismes administratifs de haut calibre. Le modèle tripartite qui a été adopté presque uniformément dans tout le pays allie l’expertise et la vaste expérience avec l’acceptabilité et la crédibilité. Dans l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, aux pp. 235 et 236, le juge en chef Dickson (alors juge puîné) a qualifié comme suit la compétence particulière des commission des relations du travail:

La commission est un tribunal spécialisé chargé d’appliquer une loi régissant l’ensemble des relations de travail. Aux fins de l’administration de ce régime, une commission n’est pas seulement appelée à constater des faits et à trancher des questions de droit, mais également à recourir à sa compréhension du corps jurisprudentiel qui s’est développé à partir du système de négociation collective, tel qu’il est envisagé au Canada, et à sa perception des relations de travail acquise par une longue expérience dans ce domaine.

   Il faut souligner que le processus consistant à rendre des décisions à la lumière de la Charte ne se limite pas à des ruminations abstraites sur la théorie constitutionnelle. Lorsque des questions relatives à la Charte sont soulevées dans un contexte de réglementation donné, la capacité du décisionnaire d’analyser des considérations de principe opposées est fondamentale. Par conséquent, bien que les membres de la Commission n’aient pas à avoir une formation juridique professionnelle, il n’en reste pas moins qu’ils ont à jouer un rôle très significatif dans la détermination de questions constitutionnelles. Le point de vue éclairé de la Commission, qui se traduit par l’attention qu’elle accorde aux faits pertinents et sa capacité de compiler un dossier convaincant, est aussi d’une aide inestimable. On le constate clairement au poids que les juges ont accordé au dossier des faits fournis par les commissions des relations du travail en matière de partage des pouvoirs; voir par exemple l’arrêt Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733.

   Cela étant dit, la compétence de la Commission est restreinte au moins sur un point essentiel: elle ne peut s’attendre à aucune retenue judiciaire à l’égard de ses décisions en matière constitutionnelle. En outre, une déclaration formelle d’invalidité n’est pas une réparation qui s’offre à la Commission. Celle-ci considère plutôt simplement comme invalide la disposition contestée, aux fins de l’affaire dont elle est saisie. Comme cela n’équivaut pas à une déclaration formelle d’invalidité, réparation que seules les cours supérieures peuvent accorder, l’affirmation de la Commission à l’égard d’une question relative à la Charte ne constitue pas un précédent judiciaire impératif, mais elle se limite dans son application à l’affaire dont elle procède. [Nous soulignons.]

[127]   Le procureur général ne considère pas les particularités associées au CSARS mentionnées précédemment comme étant des indicatifs d’un pouvoir implicite confié au Comité par le législateur. Il affirme plutôt que le CSARS n’a pas le pouvoir de rendre justice, son rôle se limitant à mener des enquêtes et à être un organisme de consultation. Comme il a souvent été répété, le procureur général souligne que le CSARS n’émet que des recommandations. Il ajoute que la LSCRS n’accorde pas de droit absolu à être présent lors d’auditions pour l’une ou l’autre des parties et que le plaignant n’a pas le droit à tout le rapport, tandis qu’aucune cour de justice ne peut agir ainsi. Le procureur général qualifie ces particularités comme étant des pouvoirs procéduraux et non des pouvoirs juridictionnels, suggérant que ces pouvoirs procéduraux se comparent à d’autres organismes d’enquête, mais aucun exemple ne fut fourni à ce sujet.

[128]   J’ai déjà commenté au sujet du rôle important du CSARS et de son pouvoir de recommandation pour les parties. J’ajouterai que dans l’hypothèse où une recommandation pouvait par analogie être associée à un pouvoir déclaratoire d’une cour de justice, le CSARS détient un pouvoir de recommandation qui rappelle un jugement déclaratoire d’une cour de justice. Dans l’arrêt Khadr, précité, aux paragraphes 46 et 47, la Cour suprême concluait, suite à sa détermination que les droits de M. Khadr avaient été brimés, qu’une déclaration fût une réparation selon la Charte :

   En l’espèce, les incertitudes au chapitre de la preuve, les limites de la compétence institutionnelle de la Cour et la nécessité de respecter les prérogatives de l’exécutif nous amènent à conclure que la réparation appropriée est de nature déclaratoire. Le jugement déclaratoire d’inconstitutionnalité est un redressement discrétionnaire : Operation Dismantle, p. 481, citant Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821. Notre Cour a reconnu qu’il s’agit d’une « forme efficace et souple de règlement des véritables litiges » : R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595, p. 649. Un tribunal peut, à juste titre, prononcer un jugement déclaratoire dans la mesure où il a compétence sur l’objet du litige, où la question dont il est saisi est une question réelle et non pas simplement théorique, et où la personne qui la soulève a véritablement intérêt à la soulever. C’est le cas en l’espèce.

   La solution à la fois prudente pour l’instant et respectueuse des responsabilités de l’exécutif et des tribunaux consiste à ce que la Cour fasse droit en partie à la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Khadr et prononce un jugement déclaratoire en sa faveur informant le gouvernement de son opinion sur le dossier dont elle est saisie, opinion qui fournira, pour sa part, à l’exécutif, le cadre juridique en vertu duquel il devra exercer ses fonctions et examiner les mesures qu’il conviendra de prendre à l’égard de M. Khadr, en conformité avec la Charte. [Nous soulignons.]

[129]   Je ne prétends pas que le CSARS a un pouvoir de déclaration semblable au judiciaire. Tout ce que je note en me référant à cet arrêt, c’est qu’une recommandation s’apparente à ce que peut être un jugement déclaratoire et que la Cour suprême a reconnu qu’une déclaration était une réparation discrétionnaire pour remédier à un bris aux droits protégés par la Charte. Je remarque également que le CSARS, aux fins d’une enquête concernant une plainte dirigée contre les activités du SCRS, a compétence sur l’objet du litige, qu’une plainte en soi saisit le CSARS d’une question réelle et non théorique et qu’un plaignant dans une telle situation a l’intérêt pour la soulever (voir Mikail, précité, en général et en particulier aux paragraphes 10, 27, 32, 33, 37, 46 à 49 et 55).

[130]   Je soulignerais également que les propos de la Cour suprême à la page 17 de l’arrêt Cuddy Chicks, vu ci-dessus, semblent appuyer la thèse que le fait que les recommandations du CSARS ne sont pas contraignantes n’est pas un facteur déterminant. Après tout, la Cour suprême a précisé que l’affirmation d’une commission des relations de travail quant à l’invalidité d’une disposition législative n’est pas une déclaration formelle d’invalidité, ne constitue pas un précédent judiciaire impératif et se limite à l’affaire dont elle procède. Pourtant, cela n’empêche pas qu’elle demeure compétente pour trancher des questions de droit qui concernent la Charte.

[131]   Je voudrais maintenant commenter l’argument du procureur général voulant que le fonctionnement du CSARS de pouvoir exclure l’une des parties lors de l’audition ou encore de remettre au plaignant qu’une partie du rapport, pour des raisons de sécurité nationale, n’est pas compatible avec les règles de base d’un processus judiciaire. Que ce soit la Loi sur la preuve au paragraphe 38.11(2) [édicté par L.C. 2001, ch. 41, art. 43], la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés à l’alinéa 83(1)c) [mod. par L.C. 2008, ch. 3, art. 4] ou la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 au paragraphe 47(1), il est possible pour des raisons de sécurité nationale d’avoir une audience sans la présence de l’une des parties. De plus, encore pour des raisons de sécurité nationale, la partie concernée n’a pas le droit de recevoir tous les motifs d’un jugement.

[132]   Le législateur permet à la Cour d’agir ainsi pour des raisons de sécurité nationale. Il n’est donc pas factuel de dire que le CSARS a un fonctionnement non compatible avec les règles de base d’un processus judiciaire. Tant pour le CSARS que pour une cour de justice, le processus à suivre lorsque la sécurité nationale est en jeu est de s’assurer que les principes de justice fondamentale sont respectés selon les circonstances particulières du dossier, et ce, sans que le processus suivi ne dévoile indument de l’information confidentielle. En conséquence, il se peut que l’audience ne soit pas ouverte à l’une des parties ou encore que le rapport ou le jugement émis et communiqué à la partie intéressée soit caviardé d’information confidentielle.

[133]   En conclusion, ma revue des attributs d’enquête du CSARS me permet de constater qu’ils sont importants et s’approchent considérablement de ceux d’une cour de justice. J’y perçois des particularités significatives qui associent le CSARS à une instance juridictionnelle. En conséquence, ce facteur de l’arrêt Martin, précité, joue en faveur d’une reconnaissance d’un pouvoir implicite accordé au CSARS de pouvoir trancher des questions de droit pour assumer sa fonction d’enquête de plaintes dirigées contre les activités du SCRS. Comme la Cour suprême l’enseigne dans l’arrêt Martin, ce facteur, bien que non déterminant, est important à prendre en considération lors de l’analyse d’un pouvoir implicite.

4) Certaines considérations pratiques à commenter

[134]   La Cour suprême précise que ce facteur n’est également pas déterminant et qu’il ne doit pas supplanter l’intention du législateur (voir l’arrêt Martin, précité, au paragraphe 56).

[135]   Comme il l’a été démontré au cours de cette analyse, la mission du CSARS requiert que celui-ci tranche des questions de droit pour accomplir cette mission à satisfaction. Deuxièmement, l’interaction du CSARS avec les composantes du système de sécurité nationale en général et sa fonction d’enquêteur avec ses propres composantes sont aussi indicatifs de l’exigence d’un pouvoir de trancher des questions de droit pour pleinement assumer ses obligations législatives. Troisièmement, les particularités associées à la fonction d’enquête du CSARS en font une instance juridictionnelle ayant un pouvoir de faire des recommandations. Le résultat de l’ensemble de cette analyse permet de constater que le législateur, en promulguant la LSCRS, voulait donner un pouvoir implicite de trancher des questions de droit au CSARS. Bien que non déterminant, mais par souci d’être le plus complet dans l’analyse et répondre à tous les arguments, examinons maintenant les considérations pratiques abordées par les parties.

[136]   Le procureur général suggère que d’habiliter le CSARS à trancher des questions de droit, y incluant celles traitant de présumées violations de la Charte, nuirait au caractère expéditif de la procédure d’enquête de plaintes prévues à la LSCRS tout en la « complexifiant » de façon injustifiée. Selon le procureur général, cela aurait comme effet d’accroître les frais et les délais associés à celles-ci. De plus, étant donné son simple pouvoir de recommandations, il y aurait une multiplicité de procédures, car les autres réparations prévues par la Charte ne peuvent être accordées par le CSARS. Le plaignant devra ainsi s’adresser à une cour de justice pour recevoir pleine réparation s’il y a lieu.

[137]   La LSCRS prévoit des règles particulières d’enquête telle l’admission en preuve sous forme orale ou écrite, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux (alinéa 50c)) et qu’une partie à la plainte n’a pas le droit absolu d’être présente lorsque l’autre partie présente des observations ni d’en recevoir communications (paragraphe 48(2)). Sans développer l’effet et l’impact de ses règles propres au régime d’enquête du CSARS, le procureur général affirme « qu’il n’y a aucun doute que les tribunaux sont mieux placés que le CSARS pour se prononcer sur [les] présumées violations de la Charte » (mémoire du demandeur, au paragraphe 68). Ce dernier argument a déjà été traité en partie aux deux sections précédentes de cette analyse.

[138]   J’ajoute aussi que la procédure d’enquête a comme préoccupation et particularité de protéger la sécurité nationale tout en s’assurant que les plaignants et le SCRS bénéficient d’un forum qui leur accorde l’équité procédurale et le respect de leurs droits selon les circonstances du dossier. Ceci explique la raison d’être de ces règles particulières. Comme on le verra dans les paragraphes suivants, cette procédure d’enquête du CSARS possède certains atouts qui la distinguent de la procédure d’une cour de justice lorsque celle-ci a à traiter de sécurité nationale et de questions de droit. Je désire noter que ces observations se font dans le contexte d’une comparaison avec la procédure particulière offerte par le CSARS et ne se veulent pas une critique de la procédure prévue par l’article 38, mais bien une appréciation de certains des atouts offerts par le CSARS qu’on peut soupeser à la réparation limitée qu’elle peut accorder.

[139]   Les cinq éléments qui suivent illustrent d’importantes différences entre une procédure devant le CSARS et celle devant une cour de justice lorsqu’il vient temps de traiter de questions de droit, y incluant celles liées à la Charte, lors d’une enquête des activités du SCRS :

▪ Le CSARS a accès sans réserve à l’information détenue par le SCRS. Pour sa part, une cour de justice y aurait accès seulement si la procédure suivie selon l’article 38 de la Loi sur la preuve le permet et qu’un juge désigné de la Cour fédérale l’autorise conformément à ladite loi.

▪ L’expertise des membres du SCRS et de son personnel est un atout particulier lorsqu’il vient temps de traiter des faits à la base d’une plainte soulevant des questions de droit, y incluant celles traitant de la Charte. À l’exception des juges désignés de la Cour fédérale, les cours de justice ne sont pas dans une situation comparable.

▪ Ayant les outils pour traiter à fond les plaintes, la procédure d’enquête du CSARS est plus expéditive que celle d’une cour de justice.

▪ La procédure d’enquête du CSARS prévoit des auditions où les parties peuvent être entendues tout en préservant la sécurité nationale et en respectant les principes de justice naturelle reconnue en semblable circonstance. Des résumés de la preuve seront remis lors des auditions conformément à la LSCRS et aux Règles du CSARS. A contrario, une cour de justice éprouvera certaines difficultés dans une situation semblable, par exemple : l’admission de la preuve, les témoignages et les soumissions devront tous assurer la protection de la sécurité nationale tout en accordant aux parties et au plaignant en particulier une procédure juste et équitable. Toutes ces mêmes étapes, lorsque devant le Comité, procèdent avec des règles déjà connues et acceptées par les parties.

▪ La procédure du CSARS prévoit la remise des rapports résultants de l’enquête, qui incluent les conclusions de fait et les recommandations. Le plaignant recevra tout à l’exception de ce qui doit être protégé pour préserver la sécurité nationale. À moins de disposition expresse concernant la sécurité nationale, une cour de justice pourrait quant à elle avoir certains obstacles à surmonter avant de pouvoir dévoiler son jugement.

[140]   Il est vrai qu’une procédure d’enquête du CSARS, ne pouvant qu’émettre des conclusions de faits et des recommandations, ne pourra jamais satisfaire totalement les besoins d’un plaignant. Toutefois, ce même plaignant lorsque devant une cour de justice ne pourra être pleinement satisfait que celle-ci, étant donné les préoccupations de sécurité nationale, aura eu accès à toute l’information pertinente pour rendre justice. La connaissance du dossier qu’aura le CSARS comparativement à celle d’une cour de justice sera nécessairement beaucoup plus complète.

[141]   De plus, à la fin de l’enquête de la plainte dirigée contre les activités du SCRS, le plaignant, le directeur du SCRS et le ministre reçoivent un rapport qui conclut sur le fond de la plainte et émet des recommandations, s’il y a lieu (la version du rapport envoyée au plaignant est caviardée d’information pour des raisons de sécurité nationale). L’effet d’un tel rapport sur les parties n’est pas à minimiser. Il se peut que, dépendant du résultat, les parties puissent par la suite s’entendre sur une résolution. L’option de demande de contrôle judiciaire demeure aussi à la disposition des parties et il se peut aussi qu’un recours judiciaire soit entrepris. À cette étape, selon son admissibilité, le rapport, ses conclusions de faits et ses recommandations pourraient être d’une certaine utilité.

[142]   Ce dernier scénario impliquerait une deuxième procédure, mais tenant compte des nombreux avantages associés à la procédure d’enquête du CSARS, il se peut que dans son ensemble le plaignant et le directeur du CSARS y retirent des bienfaits significatifs. Lorsqu’on a à traiter de sécurité nationale, ceci implique nécessairement des complications qu’une procédure d’enquête du CSARS vient amoindrir. Ce n’est pas le système parfait, mais il paraît certainement être le meilleur dans les circonstances.

[143]   Je termine en constatant qu’il peut également y avoir complémentarité en sécurité nationale entre la procédure d’enquête du CSARS et d’une instance devant une cour. C’est d’ailleurs ce que la décision Omary, précitée, suggère. À titre de rappel, le CSARS, après avoir constaté la recevabilité de la plainte et sa compétence pour enquêter, décida de surseoir son enquête jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue par la Cour supérieure dans le cadre d’un recours civil intenté par le demandeur. Le plaignant déposa alors une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Le juge de Montigny conclut que le CSARS devait continuer son enquête et annula la décision de surseoir. Pour ce faire, il expliqua que les deux procédures visaient des objectifs différents et que rien n’empêchait l’une ou l’autre de procéder en même temps (Omary, précité, aux paragraphes 33 et 34) :

   La même logique doit s’appliquer, a fortiori, lorsque l’organisme chargé de faire enquête ne rend pas une décision, comme c’est le cas d’un comité de discipline, mais ne peut que formuler des recommandations comme c’est le cas pour le CSARS. Ce dernier doit en effet éviter de tirer des conclusions qui pourraient s’apparenter à une responsabilité juridique de la part du SCRS, puisque tel n’est pas son mandat. Il s’agit d’ailleurs là d’une caractéristique commune à toutes les commissions d’enquête. Au contraire, la Cour supérieure est appelée à se prononcer sur la responsabilité juridique du défendeur, et devra déterminer si l’on a fait la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

   Qui plus est, la preuve qui sera soumise au CSARS et à la Cour supérieure sera sans aucun doute différente. L’article 39 de la Loi autorise le Comité à avoir accès à toute la preuve pertinente; en revanche, la preuve que le demandeur pourra soumettre à la Cour supérieure sera limitée par les dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, (L.R., 1985, ch. C-5) et les prérogatives à la sécurité nationale. [Nous soulignons.]

[144]   En simple obiter, le juge de Montigny compare le CSARS, lorsqu’il enquête, à une commission d’enquête. J’ai déjà expliqué que le CSARS ne pouvait être associé à une commission d’enquête, car sa mission et ses fonctions, son interaction avec les autres composantes et ses attributs d’instance juridictionnelle le distingue au point tel de constater qu’un pouvoir implicite de traiter des questions de droit y existe. Je note à nouveau que le juge de Montigny n’avait pas à approfondir ce point dans son analyse et que c’est à titre de simple commentaire qu’il avait associé le CSARS à une commission d’enquête.

[145]   Je suis toutefois d’accord avec lui lorsqu’il constate que la preuve accessible au CSARS, comparativement à celle d’une cour de justice, sera différente à cause des balises mises de l’avant par la Loi sur la preuve et les prérogatives de sécurité nationale. De là d’ailleurs la possibilité de complémentarité entre les deux recours. Il n’y a aucun doute que le CSARS, ayant toute la preuve devant lui, sera en meilleure position pour trancher des questions de droit. Se pourrait-il qu’une cour de justice, ayant en preuve le rapport du CSARS si admissible, puisse mieux déterminer les réparations appropriées suite à une constatation qu’il y a eu en violation des droits protégés par la Charte? Il me semble que, tenant compte de l’ensemble de la problématique créée par la protection de la sécurité nationale, pour le plaignant ainsi que pour le SCRS, ce serait une solution plus appropriée et que l’intérêt des parties y serait mieux servi.

[146]   Ces considérations pratiques ne sont pas déterminantes en soi, mais elles aident à mieux comprendre la situation. Toutefois, comme l’arrêt Conway, précité, le mentionne au paragraphe 79, le dédoublement de procédure est à éviter dans la mesure du possible. Dans notre cas, le dédoublement est inévitable étant donné les contraintes imposées par la sécurité nationale, mais un seul recours institué en cour de justice ne donnerait pas au plaignant la pleine opportunité de présenter toute la preuve pertinente pour se prononcer. En plus, la procédure inclurait aussi pour des raisons de sécurité nationale le recours à une procédure de l’article 38 de la Loi sur la preuve. En contrepartie, le CSARS détient, protège et contrôle d’une certaine façon l’information qualifiée de sécurité nationale. Seul le CSARS, dans le cours de ses enquêtes, peut avoir toute la preuve nécessaire pour trancher des questions de fait et de droit y incluant la Charte. Ayant considéré l’ensemble de ces considérations pratiques et bien qu’il n’y ait aucune solution miracle, les avantages de la procédure d’enquête du CSARS jouent en faveur d’un tel système et en conséquence, en faveur d’un pouvoir implicite de trancher des questions de droit.

[147]   Ayant revu tous les facteurs de l’arrêt Martin, précité, je conclus que le CSARS, au cours de ses enquêtes, a le pouvoir implicite de trancher les questions de droit, y incluant la Charte.

B. Le législateur n’a pas soustrait l’application de la Charte à la compétence du CSARS

[148]   La Charte est en force depuis le 17 avril 1982 tandis que la LSCRS est entrée en vigueur un peu plus de deux ans plus tard, soit le 16 juillet 1984. En aucun endroit dans la législation ne voit-on une intention de la part du législateur de soustraire l’application de la Charte des fonctions du CSARS, dont celle d’enquête. Ayant frais à la mémoire la promulgation de la Charte, si tel avait été son intention, le législateur avait certainement l’occasion de le faire.

[149]   À titre de rappel, je note la réponse du gouvernement au Rapport du Comité spécial de la Chambre des communes, précité, à la page 71, où le gouvernement de façon catégorique écrit que « les activités du Service sont sanctionnées par la loi et doivent être menées conformément à la règle de droit, ce qui comprend la Charte ». Le CSARS, ayant à enquêter les activités du SCRS par ses fonctions de surveillance, d’examen et d’enquête, doit assurer une application uniforme du droit, dont la Charte.

[150]   Passons donc à la prochaine étape telle que suggérée dans l’arrêt Conway, précité, au paragraphe 82, et demandons-nous si le CSARS peut accorder la réparation précise demandée par le plaignant.

C. La réparation précise recherchée peut être accordée par le CSARS selon la LSCRS

[151]   Dans l’arrêt Conway, précité, la juge Abella explique, au paragraphe 82, que lorsqu’une cour aura constaté qu’un tribunal a un pouvoir exprès ou implicite de trancher des questions de droit, et que le législateur n’a pas soustrait l’application de la Charte de sa compétence, on doit par la suite se demander si la réparation « précise » recherchée peut être accordée. Pour le savoir, il faut rechercher l’intention du législateur et de déterminer si la réparation demandée est de celles que le législateur a voulu que le tribunal puisse accorder. Les éléments qui nous permettent de faire cette détermination sont le mandat légal, la structure et la fonction du tribunal en question, que la Cour suprême a décrits de façon plus détaillée dans l’arrêt Dunedin, précité, au paragraphe 75 :

   L’approche fonctionnelle et structurelle permet de réaliser cet équilibre entre l’accès concret aux réparations prévues par la Charte et la déférence envers le rôle des législatures. Elle repose sur la théorie selon laquelle, lorsqu’un législateur confie à un tribunal judiciaire ou administratif une fonction l’amenant à trancher des questions susceptibles de toucher des droits garantis par la Charte et le dote de mécanismes et procédures lui permettant de décider de façon juste et équitable ces questions accessoires liées à la Charte, il faut alors en déduire, en l’absence d’intention contraire, que le législateur entendait habiliter ce tribunal à appliquer la Charte. Cette approche favorise l’accès direct et rapide aux réparations fondées sur la Charte devant des juridictions compétentes pour les accorder. Par ailleurs, la question de la compétence des tribunaux judiciaires et administratifs dépend en dernière analyse de l’intention du législateur. Le Parlement et les législatures demeurent maîtres des pouvoirs que possèdent les tribunaux qu’ils créent. Sous réserve des limites d’ordre constitutionnel, ils peuvent priver un tribunal du pouvoir d’accorder soit toute réparation fondée sur la Charte soit l’une ou l’autre de ces réparations. Ils peuvent indiquer une telle exclusion de façon explicite ou implicite, par exemple dans ce dernier cas en ne dotant pas le tribunal des attributs requis pour statuer sur les droits et réparations prévus par la Charte. Pour décider si le Parlement ou la législature concernée entendait exclure un pouvoir de réparation donné, on examine la fonction qu’il a demandé au tribunal d’accomplir, ainsi que les pouvoirs et procédures dont celui-ci a été doté. [Nous soulignons.]

[152]   Nous avons déjà identifié la mission, la structure et les fonctions du CSARS afin d’établir si un pouvoir implicite de trancher des questions de droit, y incluant la Charte, se retrouve dans la Loi. Ayant à l’esprit cette même analyse, l’article 52 de la LSCRS accorde au CSARS le pouvoir de faire rapport et de conclure sur la base des faits présentés (en anglais, « the findings of the investigation »), ainsi que de faire les recommandations appropriées (alinéa 52(1)a)).

[153]   En l’espèce, le défendeur demande comme réparation ce qui suit (dossier du demandeur, volume 1, onglet 3, lettre de plainte au CSARS en date du 11 juillet 2008) :

Nous demandons donc au présent Comité de tenir une enquête sur les agissements des agents du SCRS afin d’établir et de reconnaître la responsabilité du Service canadien du renseignement de sécurité dans le traitement illégal, intimidant et inéquitable de notre client.

De même, le fait de l’avoir menacé de représailles et d’avoir vraisemblablement exercé des représailles en rédigeant un rapport préjudiciable à son endroit et en le communiquant au Ministre des transports, de l’infrastructure et des collectivités, dans le but de faire inscrire son nom sur une liste de personnes précisées (« no-fly list ») est en cause.

Notre client demande également à ce que le présent Comité identifie et recommande au SCRS de prendre les moyens nécessaires afin de corriger cette injustice grave en réparant les violations commises à l’encontre de notre client notamment :

•   En annulant tout rapport préjudiciable ayant pu être rédigé à son endroit;

•   En prenant les moyens nécessaires pour que son nom soit enlevé de la liste des personnes précisées (« no-fly list ») et qu’il puisse voyager et revenir au Canada;

•   En veillant à ce qu’il ne subisse aucun préjudice auprès des agences de sécurité nationale et étrangère, le cas échéant;

•   En prenant les moyens et en assurant en tout état de cause sa vie, sa liberté et sa sécurité;    

•   En communiquant une offre d’indemnisation pour les préjudices moraux et matériels (menaces, intimidations, arrestation sans mandat, perte du billet d’avion, détresse psychologique, perte de son statut de résidence en Arabie Saoudite) qu’il a subi à cause de ce comportement inacceptable de la part des agents du SCRS.

En conséquence de ce qui précède, nous demandons la tenue d’une enquête relativement aux agissements fautifs du SCRS et ce, conformément à l’article 41 de la Loi sur le SCRS.

Nous demandons également d’être entendus de vive voix afin de faire les représentations nécessaires dans l’intérêt de notre client. [Nous soulignons.]

[154]   Bref, la réparation recherchée consiste à ce que le CSARS enquête sur les activités du SCRS, qu’il élucide le rôle du SCRS en ce qui concerne les allégations soulevées et qu’il fasse rapport de ses conclusions de fait et y inclus les recommandations énumérées. Ces dernières auraient comme objectif de réparer les violations commises à l’encontre de M. Telbani, notamment en recommandant d’annuler tout rapport qui aurait pu mener à l’inscription de son nom sur la liste de personnes interdites de vol (la « no-fly list »), en recommandant de prendre les moyens nécessaires pour enlever son nom de la liste, et en recommandant de communiquer une offre d’indemnisation pour ses préjudices moraux et matériels.

[155]   Ayant déjà examiné attentivement et de façon détaillée le mandat légal du CSARS, sa structure et ses fonctions, rien ne permet de conclure que le législateur n’aurait pas voulu dans ces circonstances que le CSARS fasse enquête ou émette ces recommandations non contraignantes. Au contraire, la mission du Comité de veiller à ce que le Service agisse en conformité avec les lois du Canada, dont la LSCRS, ses règlements et les instructions du ministre, ne laisse pas de doute que le Comité se doit d’enquêter ces allégations soulevées au sujet des activités du Service. La structure du Comité le dote d’un mécanisme idéal pour faire enquêtes sur ces allégations sans qu’il ne mette à risque la sécurité nationale et la fonction d’enquête du Comité lui permet de déterminer la validité des allégations et de produire un rapport qui inclut les recommandations non contraignantes « qu’il juge indiquées », et ce, sans restrictions indiquées dans la Loi (alinéa 52(1)a)). Le CSARS peut donc accorder la réparation précise demandée eu égard au régime législatif applicable.

VIII.     La conclusion

[156]   Lorsqu’on considère la question soulevée par ce dossier, c’est-à-dire si le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur des allégations selon lesquelles les droits constitutionnels d’un plaignant ont été violés, il est important de rappeler le contexte dans lequel le Comité a été constitué. La LSCRS est le résultat des travaux et du rapport de la Commission McDonald, établie par le législateur après que des activités d’intelligence de la GRC — dont des entrées subreptices sans mandats — ont soulevé un tollé de critiques lorsque le public en a pris connaissances. Comme l’a déjà expliqué la Cour d’appel, « Le système antérieur était devenu inacceptable aux yeux du gouvernement et du Parlement parce qu’il avait perdu sa crédibilité auprès du public. Un grand nombre de personnes ne croyaient tout simplement pas que les mesures prises au nom de la sécurité nationale avaient été justifiées » (Atwal, précité, à la page 139). L’établissement du CSARS a donc été un des contrôles mis en place par le législateur afin de prévenir de telles mesures et pour rétablir la confiance du public : « Il est depuis longtemps entendu que le rôle du CSARS consiste à assurer le Parlement et le public que le [SCRS] remplit son mandat de veiller sur la sécurité de l’État dans le respect des droits et libertés individuels garantis par la loi canadienne » (Commission O’Connor, Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale [à la page 298], [voir aussi] dossier de l’intervenant, tome I, onglet 2G, à la page 212).

[157]   Il est également important de rappeler les allégations qui ont enclenché le présent dossier. La plainte soulevée par M. Telbani accuse le SCRS de « traitement illégal, intimidant et inéquitable » en raison du comportement de deux agents qui l’auraient visité à son domicile, seraient entrés dans sa résidence sans mandat ni permission et se seraient conduits de manière intimidante et menaçante envers lui, et ce, en violation de ses droits fondamentaux garantis par la Charte. Il est aussi allégué que le nom de M. Telbani a été ajouté à une liste de personnes interdites de vol à cause d’un rapport émis par le SCRS. Sans commenter sur leur véracité, ces allégations rappellent d’autres plaintes déposées auparavant contre le Service et que le Comité a eu à traiter : présomption d’intimidation, présomption d’atteintes aux droits de la personne et de traitements injustes, pratiques discriminatoires présumées, présumés harcèlements et ingérences dans l’obtention d’un emploi et bien d’autres (dossier de l’intervenant, tome I, onglets 2B, 2C et 2D).

[158]   Dans les cas où ces allégations se révèlent véridiques, elles se doivent certainement d’être adressées et il est fort probable que des réparations méritent d’être accordées. Toutefois, ces réparations ne doivent pas nécessairement prendre la forme d’une réparation pécuniaire. Dans bien des cas, il se peut qu’une constatation des faits accompagnée d’une excuse suffise, ou qu’une pratique ou politique à la source du comportement reproché soit modifiée, ou bien encore que le Service rectifie une erreur dont il est responsable (par exemple, en agissant pour qu’un nom soit enlevé d’une liste de personnes interdites de vol). Il n’est donc pas toujours nécessaire qu’une personne doive introduire une instance en cour de justice pour se faire entendre et obtenir réparation.

[159]   Le législateur a conçu le CSARS pour être un mécanisme accessible : « Toute personne peut porter plainte contre des activités du Service » (LSCRS au paragraphe 41(1)). Ayant plein accès à toute l’information pertinente à la plainte et ayant déjà en place des règles de procédure claires qui lui permettent de procéder sans délai, le CSARS a également été conçu pour être un mécanisme d’enquête efficace et rapide, et donc nécessairement moins coûteux aussi bien pour le particulier que pour le SCRS. En chemin, le CSARS est doté du pouvoir de produire un rapport avec des conclusions et recommandations qui rendent possibles les réparations non pécuniaires que nous avons énumérées ci-dessus. Toutefois, le législateur a également assuré un certain équilibre puisque le Comité ne peut s’ingérer dans la gestion du Service ni interférer indûment la protection de la sécurité nationale. Malgré cette limite aux réparations possibles, les 711 plaintes déposées contre les activités du Service au cours d’environ 10 ans démontrent l’utilité de ce mécanisme aux yeux de ces plaignants, sans compter le besoin d’un mécanisme pour adresser les allégations que ces plaintes soulèvent. Pourtant, conclure maintenant que le CSARS n’est pas un tribunal compétent pour faire enquête sur des allégations selon lesquelles les droits constitutionnels d’un plaignant ont été violés viendrait restreindre de manière significative ce mécanisme, malgré tous les constatations et avantages énumérés ci-haut, et obligerait les plaignants à poursuivre en cour de justice où une résolution de la plainte est incertaine.

[160]   Le SCRS a posé la question : est-ce que le CSARS est un tribunal compétent pour faire enquête sur des allégations selon lesquelles les droits constitutionnels d’un plaignant ont été violés? Comme le confirme l’analyse effectuée par cette Cour selon le cadre analytique établi par la Cour suprême, la réponse à cette question est la suivante :

▪ La LSCRS ne reconnaît pas au CSARS un pouvoir exprès de trancher des questions de droit;

▪ Pour déterminer si la législation reconnaît un pouvoir implicite de trancher des questions de droit, l’analyse démontre ceci :

○ que la mission législative accordée au CSARS appuie la thèse d’un pouvoir implicite;

○ que l’interaction du CSARS avec toutes les composantes du système de sécurité nationale ajoute à la thèse d’un pouvoir implicite;

○ que le CSARS est une instance juridictionnelle qui a les attributs pour trancher des questions de droit;

○ que les considérations pratiques dans leur ensemble jouent en faveur du CSARS lorsqu’il enquête.

▪ En conséquence, pour accomplir sa mission lorsqu’il assume sa fonction d’enquête, le CSARS doit trancher des questions de droit;

▪ Ayant constaté ce pouvoir implicite de trancher des questions de droit, la LSCRS ne soustrait pas à cette compétence le pouvoir de trancher des questions de droit ayant comme fondement la Charte;

▪ Tenant compte de la Loi et de la réparation précise recherchée, le CSARS peut les accorder en vertu de la LSCRS.

A. Les frais

[161]   Selon l’ordonnance de la protonotaire Aronovitch en date du 8 février 2011, l’intervenant ne peut pas réclamer les dépens. Il en sera ainsi.

ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire de la décision du Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité en date du 8 septembre 2010 est rejetée sans frais.

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