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[2014] 1 R.C.F. 518

2012 CAF 183

A-470-11

Procureur général du Canada, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire en sa qualité de ministre responsable de la Commission canadienne du blé (appelants)

c.

Friends of the Canadian Wheat Board, Harold Bell, Daniel Gauthier, Ken Eshpeter, Terry Boehm, Lyle Simonson, Lynn Jacobson, Robert Horne, Wilf Harder, Laurence Nicholson, Larry Bohdanovich, Keith Ryan, Andy Baker, Norbert Van Deynze, William Acheson, Luc Labossiere, William Nicholson, Rene Saquet et la Commission canadienne du blé (intimés)

et

Le Conseil des Canadiens, ETC Group (Action Group on Erosion, Technology and Concentration), l’Alliance de la Fonction publique du Canada et Sécurité alimentaire Canada (intervenants)

A-471-11

Le Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire en sa qualité de ministre responsable de la Commission canadienne du blé (appelant)

c.

La Commission canadienne du blé, Allen Oberg, Rod Flaman, Cam Goff, Kyle Korneychuk, John Sandborn, Bill Toews, Stewart Wells et Bill Woods (intimés)

et

Le Conseil des Canadiens, ETC Group (groupe d’action et de recherche sur l’érosion, la technologie et la concentration), l’Alliance de la Fonction publique du Canada et Sécurité alimentaire Canada (intervenants)

Répertorié : Friends of the Canadian Wheat Board c. Canada (Procureur général)

Cour d’appel fédérale, juges Sharlow, Trudel et Mainville, J.C.A.—Ottawa, 23 mai et 18 juin 2012.

Agriculture — Appels regroupés interjetés à l’encontre d’ordonnances de la Cour fédérale déclarant que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a fait défaut de se conformer à l’obligation que lui imposait l’art. 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé (Loi sur la CCB) de consulter la Commission canadienne du blé (CCB) et d’obtenir le consentement des producteurs de blé et d’orge avant de présenter au Parlement le projet de loi C­18 (Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois), qui s’était soldé par l’adoption de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation — L’art. 47.1 crée une obligation de consulter la CCB et d’obtenir le vote favorable des producteurs avant qu’un projet de loi proposant l’exclusion de certains types et grades de blé et d’orge du monopole de commercialisation des grains puisse être déposé au Parlement — La Cour fédérale a conclu que la Loi sur la CCB visait à exiger du ministre qu’il procède à une consultation et qu’il obtienne le consentement des producteurs dans les cas où il envisage l’inclusion ou l’exclusion de grains ou de types de grain au régime de commercialisation, ainsi que la modification à la structure démocratique de la CCB — Par conséquent, la Cour fédérale était d’avis qu’il convenait de donner un sens élargi à l’art. 47.1, de façon à garantir que les producteurs de blé et d’orge exercent un contrôle sur tous les changements législatifs fondamentaux que l’on apporte à la Loi sur la CCB — Il s’agissait de savoir si le ministre était légalement tenu par l’art. 47.1 de la Loi sur la CCB de consulter la CCB et d’obtenir par voie de scrutin le consentement des producteurs de grains de blé et d’orge avant de déposer au Parlement le projet de loi C­18 — Les facteurs examinés aux présentes en vue de déterminer la portée de l’art. 47.1 de la Loi sur la CCB comprenaient l’interprétation législative, l’historique législatif, le contexte dans lequel l’art. 47.1 a été adopté, la détermination de l’intention du législateur, les débats parlementaires, les valeurs démocratiques et les obligations que l’ALÉNA (Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique) impose au Canada en matière de commerce international — Compte tenu de l’historique législatif et du contexte dans lequel l’art. 47.1 a été adopté, aucun argument ne pouvait soutenir l’interprétation qui aurait empêché le ministre de présenter au Parlement un projet de loi qui aurait modifié fondamentalement le mandat de la CCB ou qui mènerait à l’abrogation de la Loi sur la CCB — En conclusion, selon les facteurs examinés, la portée de l’art. 47.1 de la Loi sur la CCB ne s’étend pas à la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation — Appels accueillis.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a présenté au Parlement le projet de loi C­18 (Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois) pour donner aux producteurs de l’Ouest canadien la liberté de vendre leurs récoltes de blé et d’orge sur le marché libre — Le projet de loi C­18 a mené à l’adoption de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation — L’art. 2d) de la Charte ne confère aucune protection constitutionnelle au monopole exercé sur le plan de la commercialisation ou au système de mise en commun obligatoire des prix prévus par la Loi sur la CCB — La Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation ne limite pas non plus la capacité qu’ont les producteurs de grains de s’associer en vue de commercialiser ou de mettre en commun leurs produits.

Il s’agissait d’appels regroupés interjetés à l’encontre d’ordonnances de la Cour fédérale déclarant que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a fait défaut de se conformer à l’obligation que lui imposait l’art. 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé (Loi sur la CCB) de consulter la Commission canadienne du blé (CCB) et d’obtenir le consentement des producteurs de blé et d’orge avant de présenter au Parlement le projet de loi C­18 (Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois), qui s’était soldé par l’adoption de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

Les présents appels s’inscrivaient dans le cadre d’une série d’instances contestant la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Ce sont les ordonnances rendues par la Cour fédérale par suite des demandes de contrôle judiciaire qui ont fait l’objet des présents appels. Suivant les déclarations de la Cour fédérale, d’autres instances ont été instituées en ce qui a trait à la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation, en vertu de laquelle différents jugements déclaratoires étaient sollicités.

De nos jours, les activités de la CCB concernent principalement le blé et l’orge produits dans une « région désignée », selon la définition qui en est donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur la CCB. Les activités de la CCB ont été régies, pendant la majeure partie de son histoire, par quatre principes fondamentaux : le monopole de la commercialisation des grains, la mise en commun obligatoire des prix, les garanties financières du gouvernement fédéral et le contrôle exercé par le gouvernement fédéral. L’effet combiné du monopole de commercialisation des grains de la CCB et du système de mise en commun obligatoire des prix est appelé le « guichet unique ». En 1998, le Parlement a délégué une partie du contrôle de la CCB aux producteurs de grains. Les modifications de 1998 ont également remplacé les dispositions antérieures de la Loi sur la CCB concernant l’exclusion de certains types et grades de blé et d’orge du monopole de commercialisation des grains. Elles ont été remplacées par une nouvelle disposition, l’article 47.1 de la Loi sur la CCB, qui crée une obligation de consulter la CCB et d’obtenir le vote favorable des producteurs avant qu’un projet de loi proposant une telle exclusion puisse être déposé au Parlement. Cette disposition était au cœur du présent appel.

L’actuel gouvernement fédéral favorisant lui aussi un marché libre pour la commercialisation des grains, a présenté un projet de loi qui donnerait aux producteurs de l’Ouest canadien la liberté de vendre leurs récoltes de blé et d’orge sur le marché libre. De nombreux producteurs de grains se sont opposés au projet de loi. Néanmoins, le projet de loi C­18 a été présenté au Parlement, ce qui a mené à l’adoption de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation, modifiant dans une large mesure le contexte législatif de la commercialisation du blé et de l’orge de l’Ouest en trois phases distinctes.

Les appelants ont soutenu que l’article 47.1 ne s’applique qu’aux cas où il est question d’étendre l’application des parties III ou IV de la Loi sur la CCB à des grains en particulier ou de soustraire certains grains à l’application de ces parties, et non aux initiatives législatives abrogeant le guichet unique ou la Loi sur la CCB dans son intégralité. Les intimés ont fait valoir que l’article 47.1 s’appliquait à toutes les lois susceptibles de mener, directement ou indirectement, à l’exclusion du blé ou de l’orge du guichet unique, ce qui inclut les initiatives législatives telles que la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation, qui mettent fin au guichet unique ou abrogent dans son intégralité la Loi sur la CCB.

La Cour fédérale a conclu que la Loi sur la CCB visait à exiger du ministre qu’il procède à une consultation et qu’il obtienne le consentement des producteurs dans les cas où il envisage l’inclusion de grains ou de types de grain au régime de commercialisation, ou leur exclusion, ainsi que la modification de la structure démocratique de la CCB.

La principale question était de savoir si le ministre était légalement tenu par l’article 47.1 de la Loi sur la CCB de consulter la CCB et d’obtenir par voie de scrutin le consentement des producteurs de grains de blé et d’orge avant de déposer au Parlement le projet de loi C­18, intitulé Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

Arrêt : les appels doivent être accueillis.

La Cour fédérale a exprimé l’avis, d’après un certain nombre de facteurs, qu’il convenait de donner un sens élargi à l’article 47.1, de façon à garantir que les producteurs de blé et d’orge exercent un contrôle sur tous les changements législatifs fondamentaux que l’on apporte à la Loi sur la CCB. Compte tenu de l’historique législatif de l’article 47.1 et du contexte dans lequel il a été adopté, aucun des arguments des intimés ou des intervenants ne pouvait soutenir une interprétation qui aurait empêché le ministre de présenter au Parlement un projet de loi qui modifierait fondamentalement le mandat de la CCB ou qui mènerait à l’abrogation de la Loi sur la CCB. Par conséquent, la Cour a rejeté les arguments invoqués en faveur d’une interprétation large de l’article 47.1.

Selon la méthode contextuelle moderne d’interprétation législative, l’élément le plus important est la détermination de l’intention du législateur. Pour déterminer l’intention du législateur, il faut prendre en considération le contexte entier de la disposition à interpréter, même si, après une première lecture faite isolément, le sens de son libellé peut sembler évident.

Depuis sa création, le monopole de commercialisation de la CCB a été l’objet d’exclusions réglementaires visant certains types et grades désignés de blé, ou le blé produit dans certaines régions du Canada. C’est donc dire que des types ou grades particuliers de blé, ou le blé produit dans une région donnée du Canada, pouvaient être exclus du monopole de la CCB en matière de commercialisation pour des périodes déterminées ou de façon générale. Les modifications législatives de 1998 prévoyaient notamment l’abrogation du pouvoir réglementaire d’exclure un type ou un grade de blé du monopole de commercialisation de la CCB et l’introduction de l’article 47.1 dans la Loi sur la CCB. L’objet et la portée de l’article 47.1 deviennent évidents lorsqu’on examine celui-ci dans le contexte des dispositions qu’il remplace ou modifie. Ainsi, l’article 47.1 rétrocède en grande partie au Parlement le pouvoir réglementaire restreint dont disposait auparavant le gouverneur en conseil quant à l’inclusion au régime, ou à son exclusion, de la partie III ou de la partie IV de la Loi sur la CCB de certains types ou grades de grains. Rien dans l’article 47.1 ou dans l’historique législatif ne donne toutefois à penser que le Parlement a limité le pouvoir du ministre de déposer et de recommander au Parlement une loi visant à abroger les dispositions de fond de la Loi sur la CCB ou la loi elle-même.

Les comptes rendus des débats parlementaires et les documents semblables peuvent être pris en considération pour interpréter la Loi sur la CCB. Selon les déclarations de l’ancien ministre devant le Parlement quant aux modifications proposées en vue d’éliminer et de simplifier la procédure d’inclusion et d’exclusion de grains, cette explication concordait tout à fait avec la conclusion selon laquelle l’article 47.1 de la Loi sur la CCB n’a trait qu’à l’exclusion ou à l’inclusion de certains types ou grades de blé ou d’orge par rapport au système de mise en commun obligatoire des prix ou au monopole de commercialisation de la CCB. La portée restreinte de l’article 47.1 a été de plus confirmée par le fait que les modifications proposées en rapport avec l’article 47 ne sont jamais entrées en vigueur. C’est là un signe de plus que le gouvernement de l’époque n’avait pas l’intention de donner aux producteurs un vaste droit de veto sur tous les aspects de la Loi sur la CCB. Selon les documents au dossier, rien ne permettait de conclure que l’abrogation du guichet unique dans son ensemble ou de la Loi sur la CCB dans son intégralité était d’une certaine manière rendue subordonnée à l’obtention du consentement préalable de la CCB ou des producteurs de grains.

Bien que les valeurs démocratiques des institutions canadiennes méritent à la fois qu’on les respecte et qu’on les protège, ces valeurs n’ont pas préséance sur la volonté d’un parlement démocratiquement élu. Le principe démocratique favorise une interprétation de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB qui préserve dans la plus grande mesure possible la capacité des membres élus de la Chambre des communes, dont le ministre, de changer cette loi comme bon leur semble.

L’interprétation de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB, qu’avançaient les intimés et les intervenants, selon laquelle cet article s’applique au changement de la structure de la CCB, parce que l’aspect démocratique de cette structure revêt une importance dans le contexte des obligations en matière de commerce international du Canada au titre de l’ALÉNA, a été rejetée. S’il était nécessaire dans l’avenir d’apporter des modifications au monopole qu’exerce la CCB sur le plan de la commercialisation en vue de mettre en œuvre un accord de commerce international, le gouvernement canadien ne pourrait les proposer au Parlement sans le consentement des producteurs de grains, si l’interprétation que donnent les intimés de l’article 47.1 devait être acceptée. Cela a donc favorisé une interprétation restrictive de l’article 47.1.

Il n’a pas été nécessaire de considérer la liberté fondamentale d’association que garantit l’alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés comme un instrument d’interprétation en vue de déterminer la portée de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB. L’alinéa 2d) de la Charte ne confère aucune protection constitutionnelle au monopole exercé sur le plan de la commercialisation ou au système de mise en commun obligatoire des prix prévus par la Loi sur la CCB. La Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation ne limite pas non plus la capacité qu’ont les producteurs de grains de s’associer en vue de commercialiser ou de mettre en commun leurs produits.

En conclusion, la portée de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB ne s’étend pas à la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 2b),d).

Décret d’instructions à la Commission canadienne du blé, DORS/2006-247.

Loi canadienne sur les coopératives, L.C. 1998, ch. 1.

Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5].

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47, art. 48.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 42(1).

Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1947, ch. 15, art. 5, 28b) (mod. par S.C. 1950, ch. 31, art. 6).

Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1948, ch. 4, art. 5.

Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d’autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 17, art. 3, 4, 10, 24(1), 25.

Loi sur la commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C-24, art. 2(1) « région désignée » (mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 1), 3.01 (édicté, idem, art. 3), 3.02 (édicté, idem), 3.06 (édicté, idem), 3.07 (édicté, idem), 4(2) (mod., idem art. 4), 7(3) (mod., idem, art. 7, 28(A)), 18 (mod., idem, art. 10, 28(A)), 19(5) (mod., idem, art. 11), 28b) (mod., idem, art. 28(A), 29(F)), 46b) (abrogé, idem, art. 24), 47 (mod., idem, art. 25), 47.1 (édicté, idem).

Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1935, ch. 53.

Loi sur la Commission canadienne du blé (activités en période intérimaire), L.C. 2011, ch. 25, art. 14, art. 8, 9, 13, 19(3), 25, 26(5),(6), 28, 29, 33.

Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation, L.C. 2011, ch. 25, art. 14, 39, 40, 42, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 64.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2(2) (mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 38).

Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44.

Projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois, 1re sess., 41e lég., 2011.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2.

Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay, faisant partie de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 R.T.N.U. 3.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Ontario English Catholic Teachers’ Assn. c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 15, [2001] 1 R.C.S. 470; Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673; Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995.

décisions examinées :

Oberg et al. v. Canada (Attorney General), 2012 MBQB 64 (CanLII), [2012] 8 W.W.R. 513, 276 Man. R. (2d) 189; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Felipa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F. 3; Regina v. Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions, Ex parte Spath Holme Ltd., [2001] 2 A.C. 349 (H.L.); A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217; Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016; Archibald c. Canada, [2000] 4 C.F. 479 (C.A.); Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157; Renvoi relatif à la Public Sector Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313.

décisions citées :

Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 214, [2010] 3 R.C.F. 374; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140; Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190, 17 Admin. L.R. (2d) 243, 67 F.T.R. 98 (C.F. 1re inst.); Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général), 2007 CF 807, [2008] 2 R.C.F. 87, conf. par 2008 CAF 76; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783; Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715; Conacher c. Canada (Premier ministre), 2010 CAF 131, [2011] 4 R.C.F. 22; Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’ Immigration), 2001 CAF 399, [2002] 3 C.F. 3; AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424; West Lakes Limited v. The State of South Australia (1980), 25 S.A.S.R. 389; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne du Blé), 2008 CAF 76.

DOCTRINE CITÉE

Canada. Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Témoignages, fascicule no 14 (5 mai 1998).

Fowke, Vernon C. Canadian Agricultural Policy: The Historical Pattern. Toronto : University of Toronto Press, 1978.

Fowke, Vernon C. The National Policy and the Wheat Economy. Toronto : University of Toronto Press, 1957.

Goldsworthy, Jeffrey. Parliamentary Sovereignty: Contemporary Debates. Cambridge : Cambridge University Press, 2010.

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 5e éd. Supplémenté, vol. 1, feuilles mobiles, Toronto : Thomson/Carswell, 2007.

Organisation mondiale du commerce. Canada — Mesures concernant les exportations de blé et le traitement des grains importés, WT/DS276/AB/R (30 août 2004).

Organisation mondiale du commerce. Canada — Mesures concernant les exportations de blé et le traitement des grains importés, Rapport du Groupe spécial, WT/DS276R (6 avril 2004).

Wilson, Charles F. A Century of Canadian Grain: Government Policy to 1951. Saskatoon : Western Producer Prairie Books, 1978.

APPELS interjetés à l’encontre d’ordonnances de la Cour fédérale (2011 CF 1432, [2013] 3 R.C.F. 440) déclarant que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a fait défaut de se conformer à l’obligation que lui imposait l’article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé de consulter la Commission canadienne du blé (CCB) et d’obtenir le consentement des producteurs de blé et d’orge avant de présenter au Parlement le projet de loi C­18 [Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois], qui s’était soldé par l’adoption de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Appels accueillis.

ONT COMPARU

Robert MacKinnon et Zoe Oxaal pour les appelants dans les dossiers A-470-11 et A-471-11.

Anders Bruun pour les intimés dans le dossier A-470-11.

John Lorn McDougall, c.r. et Brian Leonard pour les intimés dans le dossier A-471-11.

Steven Shrybman pour les intervenants dans les dossiers A-470-11 et A-471-11.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Sous-procureur général du Canada pour les appelants dans les dossiers A-470-11 et A-471-11.

Anders Bruun, Winnipeg, pour les intimés dans le dossier A-470-11.

Fraser Milner Casgrain S.E.N.C.R.L., Toronto, pour les intimés dans le dossier A-471-11.

Sack Goldblatt Mitchell LLP, Ottawa, pour les intervenants dans les dossiers A-470-11 et A-471-11.

Voici la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Mainville, J.C.A. : Les présents appels ont trait aux ordonnances datées du 7 décembre 2011 par lesquelles le juge Campbell de la Cour fédérale (le juge de la Cour fédérale) a déclaré, pour les motifs publiés sous la référence 2011 CF 1432, [2013] 3 R.C.F. 440 (les motifs), que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (le ministre) avait violé l’obligation que lui imposait l’article 47.1 [édicté par L.C. 1998, ch. 17, art. 25] de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. (1985), ch. C‑24 (la Loi sur la CCB), soit de consulter la Commission canadienne du blé (la CCB) et d’obtenir le consentement des producteurs de blé et d’orge au moyen d’un scrutin avant de présenter au Parlement le projet de loi C‑18 [Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois], qui s’était soldé par l’adoption de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation, L.C. 2011, ch. 25.

[2]        Les présents appels ont été regroupés et ont fait l’objet d’une audition accélérée à la suite d’ordonnances du juge en chef datées respectivement du 14 et du 17 février 2012. La CCB n’a pas pris part aux appels. Les intervenants ont obtenu l’autorisation d’intervenir dans le cadre de deux questions par ordonnance de notre Cour datée du 16 avril 2012. Des requêtes en annulation ou, subsidiairement, en suspension, ont été rejetées à l’audience avant l’audition des appels, le 23 mai 2012. Les présents motifs du jugement de la Cour portent sur les deux appels, et une copie sera versée dans chacun des dossiers de la Cour et y tiendra lieu de motifs.

[3]        Les présents appels s’inscrivent dans le cadre d’une série d’instances contestant la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

[4]        La première instance a été engagée par les Amis de la Commission canadienne du blé [Friends of the Canadian Wheat Board] et un certain nombre d’individus producteurs de blé et d’orge qui ont présenté une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale en juin 2011, sous le numéro de dossier T‑1057‑11. La CCB et certains de ses administrateurs ont présenté eux aussi une demande de contrôle judiciaire distincte en octobre 2011, sous le numéro de dossier T‑1735‑11. Même si la formulation était légèrement différente dans chaque demande, les jugements déclaratoires que sollicitaient tous les demandeurs étaient essentiellement les mêmes :

a. un jugement déclarant que le ministre a violé l’obligation, imposée par l’article 47.1 de la Loi sur la CCB, de consulter la CCB et d’obtenir le consentement des producteurs de blé et d’orge par la voie d’un scrutin tenu avant de déposer au Parlement le projet de loi C‑18;

b. un jugement déclarant que le ministre a agi contrairement aux attentes légitimes de la CCB et des producteurs de blé et d’orge, ainsi qu’au devoir d’équité procédurale, en déposant ce projet de loi au Parlement sans avoir préalablement consulté la CCB et tenu un scrutin parmi les producteurs de blé et d’orge.

Ces demandes de contrôle judiciaire ont été entendues et tranchées ensemble par le juge de la Cour fédérale, et ce sont les ordonnances rendues par la suite qui font maintenant l’objet du présent appel.

[5]        Se fondant sur les jugements que le juge de la Cour fédérale a rendus à la suite de ces deux demandes de contrôle judiciaire, un certain nombre d’anciens administrateurs de la CCB ont déposé une déclaration à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en vue d’obtenir des jugements déclaratoires portant que la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation était invalide et portait atteinte au principe de la primauté du droit, à la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]] ainsi qu’à la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], au motif que cette nouvelle loi découlait d’actes illégaux de la part du ministre.

[6]        Dans le cadre de l’instance engagée au Manitoba, une ordonnance interlocutoire a également été demandée en vue de faire suspendre rétroactivement l’application et la mise en œuvre de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation à compter de la date de la sanction royale, en attendant qu’une décision soit rendue sur la validité de cette loi. Le juge Perlmutter a refusé d’accorder une telle ordonnance et les motifs de cette décision, datée du 24 février 2012, sont publiés sous la référence Oberg et al. v. Canada (Attorney General), 2012 MBQB 64 (CanLII), [2012] 8 W.W.R. 513. Ce jugement est actuellement en appel devant la Cour d’appel du Manitoba.

[7]        Également dans la foulée des jugements déclaratoires du juge de la Cour fédérale, un recours collectif envisagé a été déposé en février 2012 auprès de la Cour fédérale [Edward Andrew Dennis et al. v. HMQ et al.] (T‑356‑12) pour le compte de producteurs de grains qui vendaient leurs produits par l’entremise de la CCB en vue d’obtenir : a) une ordonnance suspendant rétroactivement l’application et la mise en œuvre de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation à compter de la date de la sanction royale; b) un jugement déclarant que le fait que le ministre a omis de consulter les producteurs de grains et de tenir parmi eux un scrutin avant de déposer le projet de loi au Parlement violait l’alinéa 2b) (liberté de penser, de croyance, d’opinion et d’expression) et l’alinéa 2d) (liberté d’association) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte); et c) des dommages-intérêts substantiels de la Couronne fédérale. Cette action est en instance elle aussi.

[8]        C’est donc dans cette conjoncture hautement litigieuse qu’il faut trancher le présent appel.

Le contexte de la présente instance

[9]        La commercialisation du grain de blé de l’Ouest canadien a un historique long et tumultueux, caractérisé par de vives tensions entre les tenants des libres marchés, des syndicats de mise en marché collective volontaire et du rôle que joue la CCB en tant qu’office de commercialisation obligatoire. Pour un compte rendu détaillé de cet historique, on peut consulter les ouvrages suivants : Charles F. Wilson, A Century of Canadian Grain : Government Policy to 1951 (Saskatoon : Western Producer Prairie Books, 1978); Vernon C. Fowke, The National Policy and the Wheat Economy (Toronto : University of Toronto Press, 1957); et Vernon C. Fowke, Canadian Agricultural Policy: The Historical Pattern (Toronto : University of Toronto Press, 1946, ouvrage réédité en 1978).

[10]      La CCB a été créée en 1935 par une loi du Parlement, la Loi pourvoyant à la constitution et aux attributions de la Commission canadienne du blé [Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935], S.C. 1935, ch. 53. Les pouvoirs et le mandat de la CCB ont nettement évolué depuis cette époque grâce à de nombreuses modifications législatives ainsi qu’à maints règlements et décrets.

[11]      De nos jours, les activités de la CCB concernent principalement le blé et l’orge produits dans une « région désignée » qui, d’après la définition qui en est donnée au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 1] de la Loi sur la CCB, englobe le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta ainsi que la partie de la province de la Colombie-Britannique connue sous le nom de district de Peace River.

[12]      Les activités de la CCB ont été régies, pendant la majeure partie de son histoire, par quatre principes fondamentaux :

a. le monopole de la commercialisation des grains : sous réserve de certaines exceptions réglementaires, comme les grains entrant dans la fabrication d’aliments pour animaux, la partie IV [articles 45 et 46] de la Loi sur la CCB interdit à quiconque, autre que la CCB, de se livrer à la vente du blé et d’autres grains désignés qui sont destinés à être exportés à l’étranger ou consommés au Canada;

b. la mise en commun obligatoire des prix : les producteurs de grains livrent leurs récoltes à la Commission par l’entremise de « points de mise en commun », conformément à la partie III [articles 31 à 44] de la Loi sur la CCB; dans le cadre du système de mise en commun, chaque producteur reçoit un versement intérimaire (fondé sur les rendements estimatifs du marché) pour les mêmes grains livrés, quel que soit le moment de la livraison, et il a droit, pour ces grains, à un versement final fondé sur les prix réels que la CCB a obtenus pendant toute l’année de mise en commun, déduction faite des dépenses connexes;

c. les garanties financières du gouvernement fédéral : y compris : i) les garanties contre les pertes subies par la CCB dans le cas des opérations visées à la partie III de la Loi sur la CCB, relativement à toute période de mise en commun, ainsi que d’autres opérations au cours de n’importe quelle campagne agricole (paragraphe 7(3) [mod., idem, art. 7, 28(A)] de la Loi sur la CCB), et ii) des garanties d’emprunt (paragraphe 19(5) [mod., idem, art. 11] de la Loi sur la CCB);

d. le contrôle exercé par le gouvernement fédéral : depuis sa création, et jusqu’en 1998, la CCB a été soumise au contrôle de commissaires nommés par le gouverneur en conseil; elle agissait comme mandataire de la Couronne et était liée par les instructions que lui donnait le cabinet fédéral.

[13]      L’effet combiné du monopole de commercialisation des grains de la CCB et du système de mise en commun obligatoire des prix est appelé dans le langage courant, ainsi que dans les présents motifs, le « guichet unique ».

[14]      En 1998, le Parlement a délégué une partie du contrôle de la CCB aux producteurs de grains conformément à la Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé et d’autres lois en conséquence, L.C. 1998, ch. 17 (les modifications de 1998). Dans la même foulée, le conseil d’administration de la CCB a été élargi en vue d’inclure quatre administrateurs et un président nommés par le gouverneur en conseil, de même que dix autres administrateurs élus par les producteurs en fonction de la représentation géographique : les articles 3.01, 3.02, 3.06 et 3.07 de la Loi sur la CCB, intégrés dans cette loi par l’article 3 des modifications de 1998. La CCB a ensuite cessé d’être un mandataire de la Couronne et il a été déclaré qu’elle n’était pas une société d’État : le paragraphe 4(2) de la Loi sur la CCB, remplacé par l’article 4 des modifications de 1998. Elle a continué d’être soumise aux instructions du cabinet fédéral, mais les administrateurs n’étaient pas responsables des conséquences de leur mise en œuvre : l’article 18 de la Loi sur la CCB, modifié par l’article 10 [et larticle 28(A)] des modifications de 1998.

[15]      Le paragraphe 24(1) et l’article 25 des modifications de 1998 ont également remplacé les dispositions antérieures de la Loi sur la CCB concernant l’exclusion de certains types et grades de blé et d’orge du monopole de commercialisation des grains. Ils ont été remplacés par une nouvelle disposition, l’article 47.1 de la Loi sur la CCB, qui crée une obligation de consulter la CCB et d’obtenir le vote favorable des producteurs avant qu’un projet de loi proposant une telle exclusion puisse être déposé au Parlement. Cette disposition est au cœur du présent appel et fait ci-après l’objet d’une analyse détaillée.

[16]      Ces dernières années, la controverse régnant chez les producteurs de grains de l’Ouest canadien à propos du mandat et des pouvoirs de la CCB s’est intensifiée. De nombreux producteurs sont à la recherche d’une solution qui leur permettrait de vendre leurs grains de blé et d’orge sur le marché libre. S’opposent vivement à ce changement les tenants du guichet unique, dont font partie de nombreux administrateurs de la CCB et plusieurs producteurs de grains. En 2006, la situation était telle que le gouverneur en conseil a donné instruction à la CCB de ne pas engager de fonds pour prôner le maintien de ses pouvoirs monopolistiques : DORS/2006‑247 [Décret d’instructions à la Commission canadienne du blé] (examiné par notre Cour dans l’arrêt Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 214, [2010] 3 R.C.F. 374).

[17]      L’actuel gouvernement fédéral favorise lui aussi un marché libre pour la commercialisation des grains. Peu après la dernière élection générale fédérale, tenue le 2 mai 2011, le ministre a publiquement annoncé que le gouvernement réélu irait rapidement de l’avant pour permettre aux producteurs de grains de l’Ouest de commercialiser librement leurs grains. Dans le discours du Trône prononcé devant le Parlement le 3 juin 2011, le gouvernement a officiellement annoncé que l’on présenterait au cours de la session parlementaire un projet de loi qui « donnera aux producteurs de l’Ouest canadien la liberté de vendre leurs récoltes de blé et d’orge sur le marché libre » (dossier d’appel, à la page 516).

[18]      De nombreux producteurs de grains, et un certain nombre d’administrateurs de la CCB, se sont opposés au projet de loi et ont fait publiquement part de leur désaccord. Même si ce sont des aspects d’ordre financier et économique qui se situent au cœur du présent litige, les tenants du guichet unique ont rapidement mis l’accent sur la question de la consultation et du consentement. S’appuyant sur leur interprétation de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB, ils ont soutenu que le ministre ne pouvait pas présenter le projet de loi au Parlement sans obtenir au préalable, par voie de scrutin, le consentement des producteurs de grains. Le ministre a exprimé l’avis qu’il n’était pas légalement obligé de tenir un tel scrutin et qu’il ne soumettrait pas la loi envisagée à un tel plébiscite.

[19]      Un scrutin des producteurs a néanmoins été organisé au cours de l’été de 2011 sous les auspices de la CCB qui, semble-t-il, était alors soumise au contrôle des administrateurs opposés à la nouvelle loi. Les moyens utilisés pour organiser le plébiscite ont été critiqués, et la légitimité et l’équité du scrutin ont été mises en doute par ceux appuyant l’initiative gouvernementale. Les résultats du scrutin ont été annoncés le 12 septembre 2011. La participation avait été de 56 p. 100 et, parmi ceux qui avaient voté, 62 p. 100 des producteurs de blé et 51 p. 100 des producteurs d’orge avaient opté pour le maintien du guichet unique, tandis que 38 p. 100 des producteurs de blé et 49 p. 100 des producteurs d’orge avaient opté pour un système de libre marché. Le ministre a refusé de reconnaître que les résultats du plébiscite étaient contraignants.

[20]      Le 18 octobre 2011, le ministre a présenté au Parlement le projet de loi C‑18, qui a mené à l’adoption éventuelle de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Le projet de loi a été débattu à la Chambre des communes et au Sénat, et il a finalement été adopté par les deux chambres. Il a obtenu la sanction royale le 15 décembre 2011.

La Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation

[21]      La Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation modifie dans une large mesure le contexte législatif de la commercialisation du blé et de l’orge de l’Ouest, mais il le fait en trois phases distinctes.

[22]      Au cours de la première phase, qui s’étend depuis la date de la sanction royale (le 18 octobre 2011) jusqu’au 1er août 2012, le guichet unique et la plupart des dispositions de la Loi sur la CCB sont maintenus, sous réserve des changements suivants :

a. les producteurs sont en mesure de conclure des contrats de vente de blé et d’orge à terme pour livraison après le 1er août 2012 : article 11 de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation ajoutant le paragraphe 42(2) à la Loi sur la CCB;

b. le contrôle de la CCB est confié à un nouveau conseil formé de cinq administrateurs nommés par le gouverneur en conseil : articles 2 à 6, 10 et 12 de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

[23]      La deuxième phase comprendra la période de cinq ans s’étendant du 1er août 2012 au 1er août 2017. Le 1er août 2012, la Loi sur la CCB sera abrogée : articles 39 et 40 de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Dans sa foulée, entrera en vigueur la Loi sur la Commission canadienne du blé (activités en période intérimaire) [L.C. 2011, ch. 25, art. 14] : articles 14 et 40 de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation, et TR/2011‑120. La Loi sur la Commission canadienne du blé (activités en période intérimaire) est une loi temporaire qui sera pleinement en vigueur pendant une période maximale de cinq ans : articles 42, 45, 46, 55, 56 et 64 de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

[24]      Durant les cinq années que durera la deuxième phase, la CCB continuera d’être soumise à la gouvernance de cinq administrateurs nommés par le gouverneur en conseil, ce qui ramène donc la CCB à un contrôle gouvernemental complet : articles 8, 9, 13 et 25 de la Loi sur la Commission canadienne du blé (activités en période intérimaire). Les activités de la CCB seront également substantiellement modifiées. Elle continuera de bénéficier des garanties gouvernementales durant la période intérimaire : paragraphes 19(3), 26(5) et 26(6) de la Loi sur la Commission canadienne du blé (activités en période intérimaire), et elle recourra encore au système de mise en commun des prix, même si ces mises en commun ne seront plus obligatoires pour les producteurs : articles 28, 29 et 33 de la Loi sur la Commission canadienne du blé (activités en période intérimaire). Par ailleurs, le monopole du commerce interprovincial et d’exportation qu’exerçait la CCB cessera d’exister. De ce fait, les producteurs de blé et d’orge pourront vendre et livrer leurs grains à n’importe quel acheteur intérieur ou exportateur selon le principe du libre marché. En conséquence, même si la CCB continuera d’exister, elle exercera ses activités dans un contexte de marché et agira à titre d’organisme de commercialisation et de mise en marché volontaire pour les producteurs qui souhaiteront continuer de commercialiser leurs produits par son intermédiaire.

[25]      La troisième phase est la période qui suit le 1er août 2017. À cette date, la CCB sera soit maintenue sous la forme d’une société privatisée, soit liquidée. Il lui faudra présenter au ministre avant le 1er août 2016 une demande de prorogation en vertu de l’une des trois lois suivantes : la Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C‑44, la Loi canadienne sur les coopératives, L.C. 1998, ch. 1, ou la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, L.C. 2009, ch. 23. Cette demande sera vraisemblablement assortie d’un nouveau plan de mise en marché et de commercialisation pour ses activités à venir. Si cette demande est approuvée par le ministre, la CCB pourra continuer d’exister sous le régime de l’une de ces trois lois à titre d’entité privatisée. À défaut de cette approbation et de cette prorogation, la CCB sera liquidée : articles 42 et 45 à 55 de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

La question de fond

[26]      La question de fond que soulève le présent appel consiste à savoir si le ministre était légalement tenu par l’article 47.1 de la Loi sur la CCB de consulter la CCB et d’obtenir par voie de scrutin le consentement des producteurs de grains de blé et d’orge avant de déposer au Parlement le projet de loi C‑18, intitulé Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Nul ne conteste que la norme de contrôle en fonction de laquelle cette question doit être tranchée est celle de la décision correcte.

[27]      Le texte de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB est le suivant :

47.1 Il ne peut être déposé au Parlement, à l’initiative du ministre, aucun projet de loi ayant pour effet, soit de soustraire quelque type, catégorie ou grade de blé ou d’orge, ou le blé ou l’orge produit dans telle région du Canada, à l’application de la partie IV, que ce soit totalement ou partiellement, de façon générale ou pour une période déterminée, soit d’étendre l’application des parties III et IV, ou de l’une d’elles, à un autre grain, à moins que les conditions suivantes soient réunies :

a) il a consulté le conseil au sujet de la mesure;

b) les producteurs de ce grain ont voté — suivant les modalités fixées par le ministre — en faveur de la mesure.

Obligation du ministre

[28]      Les appelants soutiennent que l’article 47.1 ne s’applique qu’aux cas où il est question d’étendre l’application des parties III ou IV à des grains en particulier ou de soustraire certains grains à l’application de ces parties, et non aux initiatives législatives abrogeant le guichet unique ou la Loi sur la CCB dans son intégralité, comme le fait la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Ils ajoutent que, en tout état de cause, l’article 47.1 n’est pas comme tel une disposition « de forme » qui assortit d’exigences procédurales la capacité du Parlement d’adopter une loi, et qu’il ne peut donc pas être appliqué par les tribunaux en raison du principe de la souveraineté du Parlement qui est reflété au paragraphe 2(2) [mod. par L.C. 2006, ch. 9, art. 38] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14)].

[29]      En revanche, les intimés, avec le soutien des intervenants, font valoir que cette disposition — introduite dans la Loi sur la CCB dans le cadre des réformes législatives de 1998 — s’applique à toutes les lois susceptibles de mener, directement ou indirectement, à l’exclusion du blé ou de l’orge du guichet unique, ce qui inclut les initiatives législatives telles que la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation, qui mettent fin au guichet unique ou abrogent dans son intégralité la Loi sur la CCB.

[30]      Je signale que, à titre d’argument subsidiaire, les intimés ont également fait valoir devant la Cour fédérale que le ministre était tenu, en vertu du principe des attentes légitimes, de consulter la CCB et les producteurs de grains avant de déposer la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Le juge de la Cour fédérale n’a accordé aucun redressement à cet égard et les intimés n’ont pas soulevé ce point dans le présent appel. Les appelants ont demandé à la Cour de trancher la question des attentes légitimes, mais les intimés nous ont avisés par l’entremise de leur avocat, lors de l’audition du présent appel, qu’ils n’avaient plus aucun argument à présenter à ce sujet. J’ai de sérieuses réserves quant à l’applicabilité du principe des attentes légitimes aux processus parlementaires, compte tenu des observations du juge Sopinka, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 R.C.S. 525, aux pages 558 à 560. Cependant, comme les intimés ont laissé tomber la question, il n’est pas nécessaire pour la Cour de l’examiner.

Les motifs du juge de la Cour fédérale

[31]      Le juge de la Cour fédérale a refusé de prendre en considération l’argument du ministre selon lequel l’article 47.1 de la Loi sur la CCB ne répondait pas aux critères d’une disposition « de forme ». Selon lui, la question ne pouvait être tranchée en l’absence d’un avis de question constitutionnelle contestant la validité constitutionnelle, l’applicabilité ou l’effet de cet article. De ce fait, il a tranché les demandes de contrôle judiciaire dont il était saisi en tenant pour acquis que l’article 47.1 était une disposition « de forme » valide : aux paragraphes 9 et 10 des motifs.

[32]      Le juge de la Cour fédérale semble avoir implicitement reconnu que le texte de l’article 47.1, interprété de façon littérale, n’envisage que les cas où il est question d’étendre l’application de certains aspects du régime de commercialisation de la CCB à un type ou grade de grain particulier ou bien de soustraire un type ou grade de grain particulier à ce régime. Cependant, s’appuyant sur « une approche historique et contextuelle de la nature démocratique unique de la CCB et de l’importance de cet organisme » (au paragraphe 27 des motifs) et « accord[ant] du poids à l’argument du Conseil voulant que l’article 47.1 s’applique au changement de la structure de la CCB, parce que l’aspect démocratique de cette structure revêt une importance dans le contexte des obligations en matière de commerce international du Canada au titre de l’ALÉNA » (au paragraphe 28 des motifs), le juge de la Cour fédérale a tiré la conclusion suivante (aux paragraphes 30 et 31):

En retenant une interprétation libérale de la Loi qui est compatible avec réalisation de son objet, je conclus que la Loi visait à exiger du ministre qu’il procède à une consultation et qu’il obtienne le consentement des producteurs dans les cas où il envisage l’inclusion ou l’exclusion de grains ou de types de grain au régime de commercialisation, ainsi que la modification à la structure démocratique de la CCB. Conformément à ce que prétendent les demandeurs, il est déraisonnable d’interpréter la Loi de manière à conclure que, bien que le ministre doive consulter et obtenir le consentement des producteurs lorsqu’il exclut ou inclut un grain, ce dernier n’a pas une telle obligation à l’égard du démantèlement de la CCB. Voici l’argument en ce sens (mémoire des faits et du droit des demandeurs au dossier T‑1735‑11, paragraphe 52) [non souligné dans l’original]:

[traduction] Selon l’interprétation que le ministre donne à l’article 47.1, les agriculteurs n’auraient pas le droit de vote « dans le cas où ce vote est le plus nécessaire », soit dans des circonstances où le pouvoir exclusif de la CCB en matière de commercialisation serait aboli. Non seulement cette interprétation est incompatible avec le principe que les mots d’une disposition doivent être remis dans leur contexte, mais elle va à l’encontre du bon sens.

L’article 39 du projet de loi C‑18 propose de remplacer l’ensemble du régime de commercialisation du blé au Canada par l’abrogation de la Loi, après une période de transition. À mon avis, le législateur ovulait [sic], en présentant l’article 47.1, empêcher qu’une telle situation se produise si l’on n’avait pas au préalable tenu une consultation et obtenu le consentement des producteurs. [Souligné dans l’original.]

Analyse

[33]      Se fondant sur le sens ordinaire de la Loi sur la CCB, le juge Perlmutter de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a conclu que l’article 47.1 ne portait que sur la question d’étendre l’application des parties III ou IV de cette loi à certains grains, ou de soustraire certains grains à l’application de ces parties, et qu’il n’obligeait donc pas le ministre à consulter la CCB ou à tenir un scrutin parmi les producteurs de grains avant de déposer au Parlement un projet de loi qui change fondamentalement la structure de gouvernance ou le mandat de la CCB, ou qui abroge la Loi sur la CCB dans son ensemble : Oberg et al. v. Canada (Attorney General), précité, au paragraphe 15. La question dont la Cour est saisie consiste à savoir s’il convient d’aller au-delà de cette simple lecture de la disposition et de souscrire au sens élargi que lui a donné le juge de la Cour fédérale, de façon à garantir que les producteurs de blé et d’orge exercent un contrôle sur tous les changements législatifs fondamentaux que l’on apporte à la Loi sur la CCB.

[34]      Adoptant à cette fin les arguments des intimés, le juge de la Cour fédérale a exprimé l’avis qu’il convenait d’interpréter de manière aussi large l’article 47.1 en raison : a) de son historique législatif; b) des commentaires faits par le ministre fédéral précédent à l’époque où les modifications de 1998 étaient envisagées; c) de la nécessité de promouvoir le contrôle démocratique des producteurs de grains sur la CCB; et d) de l’importance de la structure démocratique de la CCB pour les obligations en matière de commerce international du Canada sous le régime de l’ALÉNA [Accord de libre-échange nord-américain entre le gouvernment du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique, le 17 décembre 1992, [1994] R.T. Can. no 2]. Les intervenants ajoutent dans le présent appel un cinquième aspect, soit : e) la promotion de la capacité des producteurs de grains d’agir collectivement sur le plan de la commercialisation des grains, compte tenu de la liberté d’association que leur garantit l’alinéa 2d) de la Charte.

[35]      Après avoir examiné avec soin l’historique législatif de l’article 47.1 et le contexte dans lequel il a été adopté, je suis d’avis qu’aucun des arguments des intimés ou des intervenants ne peut soutenir une interprétation qui empêcherait le ministre de présenter au Parlement un projet de loi qui modifierait fondamentalement le mandat de la CCB ou qui mènerait à l’abrogation de la Loi sur la CCB. J’arrive à cette conclusion en appliquant la méthode moderne d’interprétation législative, et après avoir examiné et rejeté les arguments invoqués en faveur d’une interprétation large de l’article 47.1.

La méthode moderne d’interprétation législative

[36]      La méthode moderne d’interprétation législative a été exprimée en ces termes par le juge Iacobucci dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 :

Bien que l’interprétation législative ait fait couler beaucoup d’encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci‑après « Construction of Statutes »); Pierre‑André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l’interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit: 

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution: il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l’approuvant, mentionnons : R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

[37]      La juge en chef McLachlin et le juge Major ont repris cette méthode dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 :

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

[38]      C’est donc dire que, selon la méthode contextuelle moderne d’interprétation législative, le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’en détermine pas forcément le sens. Il faut tenir compte non seulement du sens ordinaire et naturel des mots, mais aussi du contexte dans lequel ceux-ci sont employés et de l’objet de la disposition considérée comme un tout dans le régime législatif dont elle fait partie : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 27. L’élément le plus important de cette analyse est la détermination de l’intention du législateur : R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 26.

[39]      Notre Cour a expliqué comme suit le concept de l’intention du législateur dans l’arrêt Felipa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 272, [2012] 1 R.C.F 3, au paragraphe 31, citant en y souscrivant, à cette fin, lord Nicholls dans l’arrêt Regina v. Secretary of State for the Environment, Transport and the Regions, Ex parte Spath Holme Ltd., [2001] 2 A.C. 349 (H.L.), aux pages 396 et 397 :

[traduction] Les tribunaux, lorsqu’ils interprètent les lois, doivent cerner le sens des mots en cause en tenant compte du contexte. Il a souvent été répété qu’il incombe alors aux tribunaux d’établir l’intention du législateur exprimée dans le libellé en cause. C’est juste et cela peut se révéler utile tant et aussi longtemps que l’on garde à l’esprit que « l’intention du législateur » est une notion objective et non subjective. Cette expression renvoie en peu de mots à l’intention que les tribunaux peuvent raisonnablement imputer au législateur compte tenu du libellé employé. Il ne s’agit pas de l’intention subjective du ministre ou des autres personnes qui ont milité en faveur de la loi. Il ne s’agit pas non plus de l’intention subjective du rédacteur ni de celle d’un membre ou d’une majorité de membres de l’une ou l’autre des chambres. Ces personnes ont bien souvent des intentions très différentes. Leur compréhension de la loi et des mots employés peut être excellente ou terriblement déficiente. Par conséquent, lorsque les tribunaux affirment que tel sens « ne peut pas représenter l’intention du législateur », tout ce qu’ils veulent dire c’est que le législateur ne peut pas raisonnablement avoir utilisé les mots en cause dans ce sens. Comme lord Reid l’a affirmé dans l’arrêt Black-Clawson International Ltd c. Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg A G [1975] A.C. 591, 613 : « Nous affirmons souvent que nous tentons d’établir l’intention du législateur, mais ce n’est pas tout à fait exact. Nous tentons plutôt d’établir le sens des mots employés par le législateur. » [Non souligné dans l’original.]

[40]      Pour déterminer l’intention du législateur, le tribunal doit prendre en considération le contexte tout entier de la disposition à interpréter, même si, après une première lecture faite isolément, le sens de son libellé peut sembler évident. Il importe toutefois de garder à l’esprit qu’il existe une ligne entre l’interprétation judiciaire et la rédaction législative et que cette ligne ne doit pas être franchie : Felipa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), précité, au paragraphe 32, faisant référence à l’arrêt ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 51.

L’historique législatif

[41]      Les intimés proposent une analyse de l’historique législatif de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB qui débute et prend fin avec la réforme législative de 1998. Cependant, un examen des dispositions que cet article a remplacées jette un éclairage important sur la portée de ce dernier.

[42]      La Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1947, ch. 15, article 5, sanctionnée le 14 mai 1947 (la Loi de 1947), a intégré à la Loi sur la CCB la partie IV concernant la « réglementation du commerce interprovincial ou de l’exportation du blé ». En vertu de cette partie IV, le législateur a confié à la CCB un monopole de commercialisation sur le commerce international et interprovincial du blé. En 1994, le monopole que la CCB exerçait sur le commerce international du blé a été réduit à un monopole sur les exportations de blé du Canada de façon à respecter et à mettre en œuvre l’accord conclu au terme des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay [Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d’Uruguay, faisant partie de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, Marrakech, 1867 R.T.N.U. 3] menées sous les auspices de l’Organisation mondiale du commerce : Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, L.C. 1994, ch. 47, article 48.

[43]      Depuis sa création, ce monopole de commercialisation a toutefois été l’objet d’exclusions réglementaires visant certains types et grades désignés de blé, ou le blé produit dans certaines régions du Canada. Ces exclusions ont d’abord été énoncées à l’alinéa 28b) [mod. par L.C. 1998, ch. 17, art. 28(A), 29(F)] de la Loi sur la CCB, introduit dans cette dernière par la Loi de 1947 (et légèrement modifié en 1950 par S.C. 1950, ch. 31, article 6). Ce pouvoir réglementaire d’exclure des types ou des grades désignés de blé a été repris dans chacune des versions de la Loi sur la CCB, jusqu’aux modifications de 1998. La dernière version du pouvoir réglementaire figurait à l’alinéa 46b) de la Loi sur la CCB qui s’appliquait juste avant les modifications de 1998 :

46. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

[…]

b) soustraire tout type ou grade de blé, ou le blé produit dans une région donnée du Canada, à l’application de la présente partie, totalement ou partiellement, de façon générale, ou pour une période déterminée; 

Règlements

C’est donc dire que des types ou grades particuliers de blé, ou le blé produit dans une région donnée du Canada, pouvaient être exclus du monopole de la CCB en matière de commercialisation pour des périodes déterminées ou de façon générale.

[44]      Dans le même ordre d’idées, en 1948, Loi sur la CCB a été modifiée par l’ajout d’une nouvelle partie (aujourd’hui la partie V [article 47]) habilitant le gouverneur en conseil à étendre l’application de la partie III (concernant le système de mise en commun obligatoire des prix) ou de la partie IV (concernant le monopole de commercialisation de la CCB sur le commerce international et interprovincial) à l’avoine et à l’orge : Loi modifiant la Loi sur la Commission canadienne du blé, 1935, S.C. 1948, ch. 4, article 5, sanctionnée le 24 mars 1948. Ces dispositions sont demeurées essentiellement les mêmes au fil des ans, et leur version la plus récente figure maintenant à l’article 47 [mod., idem, art. 25] de la Loi sur la CCB, dont le texte est le suivant :

47. (1) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, étendre l’application de la partie III ou de la partie IV, ou des deux, à l’avoine et à l’orge, ou à l’un des deux.

Application à l’avoine et à l’orge

(2) En cas d’application du paragraphe (1), les dispositions de la partie en cause sont réputées édictées de nouveau dans la présente partie, sous réserve de ce qui suit :

a) le terme « avoine » ou « orge », selon le cas, est substitué au terme « blé »;

b) le terme « produits de l’avoine » ou « produits de l’orge », selon le cas, est substitué au terme « produits du blé »;

c) [Abrogé, 1995, ch. 31, art. 4]

d) le paragraphe 40(2) ne s’applique pas.

Réserves

(3) L’extension du champ d’application de la partie III ne peut entrer en vigueur qu’au début d’une campagne agricole.

Entrée en vigueur

(4) Pour l’application du présent article, « produit de l’avoine » ou « produit de l’orge », selon le cas, s’entend de la substance obtenue par la transformation ou la préparation industrielle du grain en cause, seul ou mélangé à d’autres substances et que le gouverneur en conseil désigne, par règlement, comme produit de ce grain pour l’application de la présente partie.

Définitions

[45]      Notre Cour a conclu que parmi les pouvoirs que lui confère cet article, le gouverneur en conseil possède celui de soustraire, par règlement, l’avoine et l’orge à l’application des parties III ou IV de la Loi sur la CCB : Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General) (1993), 107 D.L.R. (4th) 190 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 35 et 36.

[46]      Les modifications de 1998 touchaient au paragraphe 47(1) en restreignant son application à l’orge et en ajoutant un nouveau paragraphe 47(5), faisant en sorte que l’adoption du règlement envisagé par le paragraphe 47(1) soit soumise à une consultation préalable de la CCB et à un vote favorable des producteurs d’orge : article 25 des modifications de 1998. Cependant, ces modifications ne sont jamais entrées en vigueur.

[47]      Les modifications de 1998 prévoyaient également d’autres mesures qui sont finalement entrées en vigueur, notamment : a) l’abrogation du pouvoir réglementaire, prévu à l’alinéa 46b) [abrogé par L.C. 1998, ch. 17, art. 24] de la Loi sur la CCB (reproduit ci-dessus), d’exclure un type ou un grade de blé du monopole de commercialisation de la CCB, et b) l’introduction de l’article 47.1 à la Loi sur la CCB : paragraphe 24(1) et article 25 des modifications de 1998. Il est ici utile de reproduire une fois de plus le texte de l’article 47.1 :

47.1 Il ne peut être déposé au Parlement, à l’initiative du ministre, aucun projet de loi ayant pour effet, soit de soustraire quelque type, catégorie ou grade de blé ou d’orge, ou le blé ou l’orge produit dans telle région du Canada, à l’application de la partie IV, que ce soit totalement ou partiellement, de façon générale ou pour une période déterminée, soit d’étendre l’application des parties III et IV, ou de l’une d’elles, à un autre grain, à moins que les conditions suivantes soient réunies :

a) il a consulté le conseil au sujet de la mesure;

b) les producteurs de ce grain ont voté — suivant les modalités fixées par le ministre — en faveur de la mesure.

Obligation du ministre

[48]      Les effets combinés des articles 47 et 47.1 de la Loi sur la CCB sont donc les suivants :

a) le gouverneur en conseil conserve le pouvoir discrétionnaire absolu, conféré par règlement, d’étendre à l’avoine et à l’orge le système de mise en commun obligatoire des prix (partie III) ou le monopole de commercialisation qu’exerce la CCB sur le commerce interprovincial et l’exportation (partie IV) : Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général), 2007 FC 807, [2008] 2 R.C.F. 87, aux paragraphes 45 et 50 (conf. par 2008 CAF 76);

b) le pouvoir qu’avait antérieurement le gouverneur en conseil aux termes de l’alinéa 46b) d’exclure n’importe quel type ou grade de blé ou le blé produit dans une région donnée du Canada du monopole de commercialisation qu’exerçait la CCB sur le commerce interprovincial et d’exportation en vertu de la partie IV a été remplacé par l’obligation de procéder par l’adoption d’une loi; de plus, le ministre ne peut faire adopter une telle loi sans avoir consulté la CCB et obtenu un vote favorable des producteurs;

c) le pouvoir qu’avait antérieurement le gouverneur en conseil de soustraire l’avoine et l’orge de l’application des parties III ou IV, et qui a été reconnu dans l’arrêt Saskatchewan Wheat Pool v. Canada (Attorney General), précité, a été remplacé par l’obligation de procéder par l’adoption d’une loi, et le ministre ne peut faire adopter une telle loi sans avoir consulté la CCB et obtenu un vote favorable des producteurs d’avoine ou d’orge : Canada (Commission du blé) c. Canada (Procureur général), précité, aux paragraphes 47, 51 et 52;

d) l’extension de la partie III ou de la partie IV à d’autres grains doit passer par l’adoption d’une loi, et le ministre ne peut faire adopter une telle loi sans avoir consulté la CCB et obtenu un vote favorable des producteurs.

[49]      L’objet et la portée de l’article 47.1 deviennent évidents lorsqu’on examine celui-ci dans le contexte des dispositions qu’il remplace ou modifie. Ainsi, l’article 47.1 rétrocède en grande partie au Parlement le pouvoir réglementaire restreint dont disposait auparavant le gouverneur en conseil au sujet de l’exclusion ou de l’inclusion au régime de la partie III ou de la partie IV de la Loi sur la CCB de certains types ou grades de grains. Toutefois, rien dans l’article 47.1 ou dans l’historique législatif ne donne à penser que le Parlement a limité le pouvoir du ministre de déposer et de recommander au Parlement une loi visant à abroger les dispositions de fond de la Loi sur la CCB ou la loi elle-même.

[50]      De plus, le paragraphe 42(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I‑21, dont le texte est le suivant, me conforte dans cette opinion :

42. (1) Il est entendu que le Parlement peut toujours abroger ou modifier toute loi et annuler ou modifier tous pouvoirs, droits ou avantages attribués par cette loi.

Pouvoir d’abrogation ou de modification

Les déclarations de l’ancien ministre au Parlement

[51]      Il est maintenant bien établi que les comptes rendus des débats parlementaires et les documents semblables peuvent être pris en considération pour interpréter une loi, dans la mesure où ils sont pertinents et fiables et où on ne leur attribue pas une importance excessive : R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, à la page 484; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), précité, au paragraphe 35; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), 2000 CSC 31, [2000] 1 R.C.S. 783, au paragraphe 17. Si ces documents sont eux-mêmes ambigus, il convient toutefois de ne pas en tenir compte : Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, [2006] 1 R.C.S. 715, au paragraphe 39; Conacher c. Canada (Premier ministre), 2010 CAF 131, [2011] 4 R.C.F. 22, au paragraphe 8. Quoi qu’il en soit, il y a lieu d’examiner ces documents avec prudence car « [l]e Hansard peut parfois offrir des éléments de preuve pertinents, mais les opinions des députés, ou même des ministres, ne rendent pas toujours compte de l’intention du législateur telle qu’elle doit être dégagée du texte de la loi » : A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217, au paragraphe 12.

[52]      Aux paragraphes 21 et 22 de ses motifs, le juge de la Cour fédérale a recouru à des éléments de preuve extrinsèques fournis par les intimés pour aider à interpréter comme il l’a fait l’article 47.1 de la Loi sur la CCB. Le juge de la Cour fédérale s’est notamment appuyé sur des déclarations générales de l’ancien ministre à la Chambre des communes, lors des débats entourant l’adoption des modifications de 1998, au sujet du « principe fondamental du contrôle démocratique par les producteurs » [souligné dans l’original], ainsi que du « pouvoir [des agriculteurs] de modifier leur organisme de commercialisation comme ils le jugeront bon » [souligné dans l’original] : au paragraphe 21 des motifs. Il a également eu recours à un énoncé de politique de 1996, dans lequel figure le passage suivant (au paragraphe 22 des motifs) :

À l’avenir, le mandat de la Commission du blé pourra être ajusté, sous trois conditions : premièrement, une recommandation claire à cet effet du conseil d’administration de la Commission canadienne du blé; deuxièmement, lorsque le contrôle de la qualité est mis en jeu, un avis favorable de la Commission canadienne des grains, attestant que le changement ne nuira pas à la réputation de qualité et de régularité du Canada; troisièmement, si le changement proposé est important, un vote favorable des agriculteurs. [Souligné par le juge de la Cour fédérale.]

[53]      Étant donné que l’objet fondamental des modifications de 1998 était de confier aux producteurs de grains une certaine forme de contrôle sur le conseil d’administration de la CCB, il n’est pas surprenant que l’ancien ministre ait fait valoir que ces modifications favorisaient le contrôle démocratique par les producteurs. Cependant, cela ne veut pas nécessairement dire que les producteurs auraient un droit de veto sur tous les changements législatifs apportés ultérieurement à la Loi sur la CCB.

[54]      En fait, l’énoncé de politique cité plus tôt, qui fait référence à un vote des producteurs au moment d’apporter un changement important ou fondamental, doit être interprété dans le contexte global du projet de loi. C’est ainsi que, dans un communiqué de presse du gouvernement, daté du 25 septembre 1997 et annonçant les changements proposés, on trouve l’explication suivante (dossier d’appel, à la page 349) :

[traduction] La nouvelle loi rendra les agriculteurs maîtres de leur destinée quant à tout changement futur concernant ce que la CCB pourra commercialiser.

Si les agriculteurs veulent soustraire un type particulier de grains de l’actuel système de guichet unique de la CCB, ils peuvent le faire – à trois conditions :

1) les administrateurs doivent le recommander;

2) la Commission canadienne des grains doit approuver un système de « préservation de l’identité » afin d’assurer le respect des normes de qualité;

3) si la « mesure d’exclusion » proposée est importante, elle doit être soumise au vote des agriculteurs. [Non souligné dans l’original.]

[55]      Par ailleurs, le 17 février 1998, en cherchant à faire adopter à la Chambre des communes, en troisième lecture, le projet de loi menant aux modifications de 1998, l’ancien ministre a expliqué que les changements qui seraient soumis au vote des producteurs ne concernaient que les exclusions ou les inclusions de certains types ou grades de grains par rapport au mandat de commercialisation de la CCB (dossier d’appel, à la page 394) :

La neuvième question a trait aux exclusions. Les agriculteurs peuvent-ils faire exclure un produit agricole du champ de compétence de la CCB? La réponse prévue au projet de loi C‑4 est oui.

La nouvelle loi comportera une clause d’exclusion permettant de soustraire, totalement ou partiellement, tout type, toute catégorie ou tout grade de blé ou d’orge de l’application de la compétence de la CCB. Pour déclencher le processus d’exclusion, il faudra d’abord que les administrateurs se prononcent en faveur du projet. Deuxièmement, pour des raisons de contrôle de la qualité, il faudra mettre un système en place afin de prévenir toute confusion du grain exclu avec le grain commercialisé par la CCB. Troisièmement, si les administrateurs considèrent le projet d’exclusion important, il faudra tenir un vote démocratique auprès des producteurs pour l’approuver.

La dixième question à trait à l’inclusion. Les agriculteurs peuvent-ils faire inclure un produit agricole dans le champ de compétence de la CCB? Là encore, la réponse prévue au projet de loi C‑4 est oui.

Pour des raisons d’équité et d’équilibre, puisqu’elle comporte une clause d’exclusion, la nouvelle loi doit comporter également une clause d’inclusion. Le facteur décisif pour l’application des deux clauses sera lié à la décision majoritaire des véritables producteurs des grains en cause, exprimée par un vote démocratique pris auprès des producteurs. Ce sont eux qui auront le dernier mot.

L’existence d’une clause d’inclusion ne modifie pas, en soi, le mandat de la CCB. Elle institue simplement une procédure bien claire pour le modifier si, et uniquement si les producteurs eux-mêmes, non les politiciens ni les lobbyistes, estiment qu’une telle modification sert leurs intérêts supérieurs. On ne pourra se prévaloir de la clause d’inclusion que pour les grains qui correspondent actuellement à la définition de grain dans la loi actuelle sur la CCB. [Non souligné dans l’original.]

[56]      En expliquant au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts [Témoignages, Fascicule no 14], le 5 mai 1998, pourquoi il proposait d’apporter des modifications au projet de loi en vue d’éliminer et de simplifier la plupart de ses dispositions concernant les inclusions et les exclusions, l’ancien ministre a fait état du contexte et de l’historique des changements proposés. Vu la pertinence de cette explication pour les besoins du présent appel, il est utile de citer un long extrait de la déclaration de l’ancien ministre (dossier d’appel, aux pages 405 à 407) :

M. Goodale : Sénateur, les dispositions d’inclusion et d’exclusion pourraient assurément être supprimées. Telle est l’essence même de la proposition que j’ai faite à la fin du débat à la Chambre des communes.

Je vais en profiter pour expliquer pourquoi, en tant que question de principe, une procédure d’inclusion et d’exclusion a été prévue dans le projet de loi.

Des instances ont été présentées au comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes lors de l’étude du projet de loi précédent, le projet de loi C‑72, à la dernière législature. Un certain nombre de témoins de l’Ouest ont fait valoir devant ce comité que, si la loi devait comporter un mécanisme d’exclusion, elle devrait également comporter, pour des raisons d’équité et d’équité, un mécanisme d’inclusion. Il s’agissait tout d’abord d’assurer un certain équilibre.

L’autre motif invoqué était qu’il fallait combler un vide manifeste dans la loi actuelle sur la Commission canadienne du blé. Les règles à suivre pour modifier le mandat de la Commission canadienne du blé ne sont pas claires dans la loi actuelle.

Si les honorables sénateurs veulent bien se référer à un cas récent, M. Mayer, quand il était ministre de l’Agriculture, a modifié le mandat de la Commission canadienne du blé de façon à inclure l’avoine, et il y est parvenir (sic) en recourant à un décret.

Dans un autre cas, il a tenté de modifier le mandat de la Commission canadienne du blé en ce qui concerne l’orge, en employant la même technique, un décret. L’initiative a échoué. Elle a été contestée dans les tribunaux et elle a été invalidée.

Un décret a fait l’affaire dans un cas et pas dans un autre. Les tribunaux ont établi une nette distinction entre ce qui convient et ce qui ne convient pas.

Il y a 20 ans environ, il y a eu une discussion pour savoir si la navette, comme on disait à l’époque, devrait relever de la Commission canadienne du blé. Le ministre de l’époque ne voulait pas trancher la question tant que les producteurs ne s’étaient pas prononcés. La loi ne l’exigeait pas. Mais il estimait que les agriculteurs devaient tout d’abord exprimé (sic) leur avis à ce sujet. Et vous vous en rappellerez, les agriculteurs ont rejeté l’idée que la navette relève de la Commission canadienne du blé.

Dans les années 1970, une vive discussion a eu lieu au sujet de la politique sur les céréales fourragères. Le mandat de la Commission canadienne du blé a alors été modifié, si ma mémoire est bonne, en partie au moyen d’une loi et en partie au moyen d’un décret. M. Whelan se rappelle peut-être mieux que moi la procédure exacte.

Je cite ces quatre exemples – le vote sur la navette; la discussion sur les céréales fourragères; le cas de l’avoine; et celui de l’orge – pour montrer dans quel fouillis on se retrouve quand il s’agit de modifier le mandat de la Commission canadienne du blé. L’idée d’inscrire des dispositions d’inclusion et d’exclusion dans la loi visait essentiellement à clarifier la situation, non pas à dire ce qu’il fallait faire, mais plutôt à dire que, si c’était ce que les agriculteurs voulaient, telles étaient les étapes à suivre pour atteindre l’objectif ultime.

Ces dispositions que l’on trouve dans la loi proposée ont soulevé des motifs d’inquiétude. Certains groupes estiment qu’elles ordonnent d’avance une conséquence certaine, que du simple fait de les inscrire, même si elles sont de nature facultative et non pas obligatoire, on se trouve à en faire des options que les agriculteurs peuvent adopter si bon leur semble. Or, elles ne modifient en aucune façon le mandat de la Commission canadienne du blé. Elles ne font que préciser le processus à suivre dans le cas où c’est précisément ce que souhaitent les agriculteurs.

Malgré ces assurances, il y a encore des groupes et des organismes qui sont inquiets. La proposition de modification que j’ai présentée à la fin du débat sur la question à la Chambre des communes vise à supprimer dans le projet de loi les points de détail sur l’inclusion et l’exclusion. Ainsi donc, la procédure à suivre pour modifier le mandat de la Commission canadienne du blé reste inchangée.

Ce qu’il faut retenir de l’inclusion, c’est que la seule façon de modifier quoi ce soit est de passer par la voie législative. En d’autres mots, si quelqu’un avait la brillante idée d’ajouter quelque chose au mandat de la Commission canadienne du blé, il faudrait une loi du Parlement pour ce faire.

L’amendement que j’ai proposé supprime les points de détail de l’inclusion et de l’exclusion et ajoute une autre exigence, que les agriculteurs soient consultés au moyen d’un vote.

[57]      Cette explication concorde tout à fait avec la conclusion selon laquelle l’article 47.1 de la Loi sur la CCB n’a trait qu’à l’exclusion ou à l’inclusion de certains types ou grades de blé ou d’orge par rapport au système de mise en commun obligatoire des prix ou du monopole de commercialisation de la CCB.

[58]      La portée restreinte de l’article 47.1 est de plus confirmée par le fait que les changements susmentionnés aux modifications de 1998 en rapport avec l’article 47, y compris l’ajout d’un paragraphe 47(5) qui prévoyait la tenue d’un scrutin parmi les producteurs d’orge, ne sont jamais entrés en vigueur. C’est là un signe de plus que le gouvernement de l’époque n’avait pas l’intention de donner aux producteurs un vaste droit de veto sur tous les aspects de la Loi sur la CCB.

[59]      Après avoir examiné avec soin les éléments extrinsèques que les intimés ont présentés et que le juge de la Cour fédérale a utilisés, je ne relève rien dans le dossier qui amène à conclure que l’abrogation du guichet unique dans son ensemble ou de la Loi sur la CCB dans son intégralité était d’une certaine manière rendue subordonnée à l’obtention du consentement préalable de la CCB ou des producteurs de grains. Je n’ai trouvé aucune déclaration qui confirme ou laisse entendre que l’objet des modifications de 1998 était d’empêcher le ministre de proposer au Parlement un projet de loi qui modifiait fondamentalement ou abrogeait la Loi sur la CCB.

La promotion du contrôle démocratique des producteurs de grains sur la CCB

[60]      Le juge de la Cour fédérale a également admis l’idée que l’interprétation des lois doit tenir compte des valeurs démocratiques : aux paragraphes 23 et 24 des motifs. Il a souscrit à l’argument des intimés selon lequel « les pratiques démocratiques de la CCB sont “importantes”, car elles sont établies depuis longtemps et qu’elles jouissent d’un important appui auprès des quelque 17 000 producteurs de grain de l’Ouest canadien » et que « [c]et appui mérite le respect » : au paragraphe 27 des motifs.

[61]      Je ne doute pas qu’il existe au Canada de nombreuses institutions démocratiques et que leur nature démocratique mérite à la fois qu’on les respecte et qu’on les protège : Qu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 399, [2002] 3 C.F. 3, aux paragraphes 42 à 48. En l’espèce cependant, la question est de savoir si cette valeur a préséance sur la volonté d’un parlement démocratiquement élu. Ce n’est pas le cas.

[62]      Dans notre système de démocratie représentative, lequel est semblable en principe à celui du Royaume-Uni, l’expression ultime de la démocratie se manifeste par l’intermédiaire des membres élus de la Chambre des communes et des diverses assemblées législatives provinciales agissant dans leurs sphères de compétence respectives. Au Canada, la démocratie repose en fin de compte sur la participation des citoyens aux élections concernant les institutions publiques créées en vertu de la Constitution.

[63]      Bien sûr, nombreux sont les Canadiens qui ont intérêt à ce que l’on préserve le caractère démocratique d’autres institutions, telles que les municipalités et les conseils ou les commissions scolaires. Cela dit, les mandats et les privilèges que la loi confère à ces institutions demeurent soumis au contrôle ultime du Parlement ou des assemblées législatives. C’est ainsi que les municipalités peuvent être restructurées, les conseils ou les commissions scolaires abolis et les sociétés d’État redéfinies, et que leurs privilèges et leurs pouvoirs peuvent croître et décroître au fil du temps selon la volonté du Parlement et des assemblées législatives auxquels ils doivent leur existence. Hormis les situations dans lesquelles il est possible d’établir l’existence d’une contrainte de nature constitutionnelle, de tels changements législatifs ne requièrent pas le consentement des institutions touchées ou de leurs électeurs.

[64]      La Cour suprême du Canada a statué à maintes reprises qu’il est possible d’adopter des changements aux structures, aux mandats et aux pouvoirs directeurs des municipalités, des conseils ou des commissions scolaires et d’autres institutions créées par voie législative sans le consentement de ces organismes ou de leurs électeurs : ainsi, dans l’arrêt Ontario English Catholic Teachers’ Assn. c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 15, [2001] 1 R.C.S. 470, aux paragraphes 57 et 58, le juge Iacobucci, auteur des motifs unanimes de la Cour suprême du Canada, a conclu ceci :

Comme les conseils des écoles séparées en Ontario n’ont ni un droit à une taxation indépendante, ni un droit absolu à la gestion et au contrôle indépendants, il est loisible de conclure que les conseils des écoles publiques de la province ne disposent pas non plus de tels droits. Sous réserve de l’art. 93 [de la Loi constitutionnelle de 1867], les conseils des écoles publiques n’ont, à titre d’institutions, aucun statut constitutionnel.

Le juge Campbell a bien énoncé le droit à cet égard dans Ontario Public School Boards’ Assn. [c. Ontario (Attorney General) (1997), 151 D.L.R. (4th) 346], p. 361 :

[traduction] Les administrations municipales et les institutions municipales à vocation particulière comme les conseils scolaires sont des créatures du gouvernement provincial. Sous réserve des limites constitutionnelles de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, ces institutions n’ont aucun statut constitutionnel ni aucune autonomie indépendante, tandis que la province a le pouvoir juridique absolu et sans réserve de les traiter comme elle l’entend.

Voir aussi Alberta Public Schools [Public School Boards Assn of Alberta c. Alberta (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 409, 2000 CSC 45], par. 33–34. [Non souligné dans l’original.]

[65]      Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Baier c. Alberta, 2007 CSC 31, [2007] 2 R.C.S. 673, au paragraphe 39, le juge Rothstein a fait les observations suivantes :

Le droit de voter et celui de se porter candidat sont expressément protégés à l’art. 3 de la Charte, mais seulement pour les élections législatives fédérales ou provinciales. L’intervenante Public School Boards’ Association of Alberta soutient que les conseils scolaires ont, en tant qu’institutions publiques locales, un statut constitutionnel au [traduction] « sens conventionnel ou quasi constitutionnel ». Il n’appartient cependant pas à notre Cour de créer des droits constitutionnels à l’égard d’un troisième ordre de gouvernement lorsque, interprété contextuellement, le texte de la Constitution ne le fait pas.

[66]      Dans l’arrêt Haig c. Canada; Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont déclaré, à la page 1041 du recueil que « [l]e gouvernement n’a aucune obligation constitutionnelle d’offrir [un référendum] à qui que ce soit » et que « [l]e référendum en tant que tribune pour favoriser l’expression relève, selon moi, de la politique législative et non du droit constitutionnel » (souligné dans l’original).

[67]      Même s’il est question dans ces arrêts de présumés privilèges constitutionnels, les principes qu’ils énoncent s’appliquent tout autant, sinon avec plus de force, aux présumés privilèges établis par voie législative.

[68]      Selon moi, le principe démocratique favorise une interprétation de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB qui préserve dans la plus grande mesure possible la capacité des membres élus de la Chambre des communes, dont le ministre, de changer cette loi comme bon leur semble. Par ailleurs, c’est ce qu’exige expressément le paragraphe 42(1) de la Loi d’interprétation, cité plus tôt.

Les obligations que l’ALÉNA impose au Canada en matière de commerce international

[69]      Le juge de la Cour fédérale a également accordé un certain poids à l’argument des intervenants selon lequel « l’article 47.1 s’applique au changement de la structure de la CCB, parce que l’aspect démocratique de cette structure revêt une importance dans le contexte des obligations en matière de commerce international du Canada au titre de l’ALÉNA », et il a par ailleurs conclu qu’il s’agissait là « d’une considération importante qui étaye l’argument que l’intention du législateur, lorsqu’il a adopté l’article 47.1, était que cette structure ne puisse être modifiée, sans la consultation et le consentement des producteurs » : au paragraphe 28 des motifs.

[70]      Aux dires des intervenants, le contrôle qu’exercent les producteurs de grains sur la CCB a mis le Canada à l’abri des plaintes relatives à des pratiques commerciales anticoncurrentielles. Ils font référence à un rapport daté du 6 avril 2004 d’un groupe spécial de l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC) qui a rejeté une plainte commerciale déposée contre les mesures prises par le Canada en rapport avec les exportations de blé et le traitement des grains importés [Canada — Mesures concernant les exportations de blé et le traitement des grains importés] (Doc. OMC WT/DS276/R), de même qu’à un rapport daté du 30 août 2004 par lequel l’Organe d’appel de l’OMC a confirmé cette décision (Doc. OMC WT/DS276/AB/R). Ils s’appuient en particulier sur le texte suivant, extrait du rapport du Groupe spécial [à la page 187] :

6.124   À notre sens, le fait que le gouvernement canadien n’intervient pas dans les opérations de vente de la CCB confirme cette conclusion plutôt qu’elle ne l’infirme. Étant donné la structure de direction actuelle de la CCB, qui donne aux producteurs de l’Ouest canadien le contrôle de la CCB, le fait que le gouvernement canadien ne surveille pas les opérations de vente de la CCB accroît, plutôt qu’il ne diminue, la probabilité que la CCB commercialise le blé en tenant compte uniquement des intérêts commerciaux des producteurs dont elle est l’agent de commercialisation.

[71]      La référence qui est faite à la « structure de direction » de la CCB a trait à la composition du conseil d’administration, et non à un scrutin éventuel des producteurs au sens de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB. Ainsi que l’a signalé le Groupe spécial au paragraphe 6.123 de son rapport : « Comme nous l’avons noté, la majorité des administrateurs siégeant au Conseil de la CCB sont élus par les producteurs de blé et d’orge de l’Ouest canadien et doivent être réélus par ces producteurs s’ils veulent exercer plusieurs mandats ». Par ailleurs, dans son propre rapport, l’Organe d’appel de l’OMC confirme (au paragraphe 183) que « [l]e Groupe spécial a fondé sa première constatation sur le fait que la majorité des administrateurs de la CCB sont élus par les producteurs de blé et sur le fait que le gouvernement canadien “ne contrôle pas les opérations courantes de la CCB, ou n’intervient pas dans ces opérations” ». C’est donc dire que ces deux rapports n’abordent pas la question du vote des producteurs prévu à l’article 47.1 de la Loi sur la CCB et ne sont pas pertinents pour l’interprétation de cette disposition.

[72]      De plus, l’objet principal de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation est d’offrir aux producteurs de grains un marché libre et ouvert en mettant fin au monopole qu’exerce la CCB sur le plan de la commercialisation. Il est difficile de comprendre de quelle façon cet objet irait à l’encontre de l’ALÉNA ou de tout autre accord du Canada en matière de commerce international.

[73]      C’est l’interprétation de l’article 47.1 qu’avancent les intimés et les intervenants qui mettrait en péril les obligations du Canada en matière de commerce international. Les accords commerciaux à venir, y compris les futurs accords commerciaux multilatéraux de l’OMC, peuvent, à terme, obliger à modifier la Loi sur la CCB en vue de restreindre ou de modifier le monopole qu’exerce la CCB sur le plan de la commercialisation. Comme il a été mentionné plus tôt, c’est en fait ce qui a été exigé en 1994 : Loi de mise en œuvre de l’Accord sur l’Organisation mondiale du commerce, article 48. S’il était nécessaire dans l’avenir d’apporter d’autres modifications semblables en vue de mettre en œuvre un accord de commerce international, le gouvernement canadien ne pourrait les proposer au Parlement sans le consentement des producteurs de grains, selon l’interprétation que donnent les intimés de l’article 47.1. Cela, à mon sens, favorise une interprétation restrictive de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB.

La liberté d’association

[74]      Le juge de la Cour fédérale n’a pas traité directement de cette question, mais les intervenants invoquent aussi la liberté fondamentale d’association que garantit l’alinéa 2d) de la Charte en tant qu’instrument d’interprétation. L’article 47.1 de la Loi sur la CCB, font-ils valoir, doit être interprété d’une manière qui incite les producteurs de grains de l’Ouest canadien à agir collectivement sur le plan de la commercialisation et qui permette à la majorité d’entre eux de s’exprimer sur les questions qui présentent un intérêt fondamental pour leur subsistance. Cet argument repose principalement sur l’arrêt Dunmore c. Ontario (Procureur général), 2001 CSC 94, [2001] 3 R.C.S. 1016 (Dunmore).

[75]      Je signale tout d’abord au sujet de cet argument que le principe d’interprétation fondé sur les « valeurs consacrées par la Charte » est d’une application restreinte : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, précité, aux paragraphes 62 à 66.

[76]      De plus, la principale difficulté que présente l’argument des intimés est qu’il a déjà été rejeté par la Cour dans l’arrêt Archibald c. Canada, [2000] 4 C.F. 479 (C.A.). Dans cette affaire, certains producteurs de grains de l’Ouest contestaient les dispositions de la Loi sur la CCB qui les obligeaient à mettre en commun et à commercialiser leurs grains par l’entremise de la CCB parce que, entre autres, cette mesure portait atteinte à la liberté d’association que leur garantissait l’alinéa 2d) de la Charte. Se fondant sur l’arrêt Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada) a conclu que la commercialisation du blé et de l’orge à l’échelle interprovinciale et sur le marché des exportations n’était pas protégée par l’alinéa 2d) de la Charte : Archibald c. Canada, précité, aux paragraphes 40 à 54.

[77]      Les intimés soutiennent que l’arrêt Dunmore a changé d’une certaine façon l’approche exposée dans l’arrêt Archibald c. Canada [précité] quant à la manière dont il convient d’utiliser et de comprendre l’alinéa 2d) de la Charte. Je ne suis pas d’accord.

[78]      Dans l’arrêt Dunmore, après avoir examiné le lien profond qui existe entre les régimes légaux de relations de travail et la liberté des travailleurs de s’organiser en vue de la défense des intérêts de la majorité auprès de leurs employeurs, la majorité de la Cour suprême du Canada a statué que l’exclusion des travailleurs agricoles du régime légal des relations de travail de l’Ontario prévu par la loi violait l’alinéa 2d) de la Charte. Il n’y a cependant pas d’analogie à établir entre les questions analysées dans l’arrêt Dunmore et les questions qui sont en jeu en l’espèce, lesquelles s’articulent autour du démantèlement du monopole qu’exerce la CCB sur le plan de la commercialisation sous le régime de la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation.

[79]      Comme l’a signalé le juge Bastarache au paragraphe 17 de l’arrêt Dunmore, ce ne sont pas toutes les activités que l’alinéa 2d) de la Charte protège. Ainsi, dans le domaine des relations de travail, la Cour suprême du Canada a exclu le droit de grève de la portée de cet alinéa : Renvoi relatif à la Public Sector Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313, ainsi que l’arrêt AFPC c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 424. Dans le contexte de la commercialisation des produits agricoles, la Cour suprême du Canada a également conclu que l’alinéa 2d) ne confère pas un droit illimité au commerce interprovincial ou à l’exportation : Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, précité. Comme l’a signalé le juge McIntyre dans le Renvoi relatif à la Public Sector Employee Relations Act (Alb.), précité, à la page 405 :

Pour des raisons évidentes, la Charte ne confère pas de protection constitutionnelle à toutes les activités exercées par des individus. Par exemple, aucune protection n’est conférée par la Charte au droit de propriété, aux activités commerciales en général ni à une foule d’autres activités licites […] Il n’y a tout simplement rien qui justifie d’accorder la protection de la Charte à une activité simplement parce qu’elle est exercée par plus d’une personne.

[80]      Pour dire les choses simplement, l’alinéa 2d) de la Charte ne confère aucune protection constitutionnelle au monopole exercé sur le plan de la commercialisation ou au système de mise en commun obligatoire des prix prévus par la Loi sur la CCB. La Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation ne limite pas non plus la capacité qu’ont les producteurs de grains de s’associer en vue de commercialiser ou de mettre en commun leurs produits.

[81]      De ce fait, il n’est pas nécessaire de considérer l’alinéa 2d) de la Charte comme un instrument d’interprétation en vue de déterminer la portée de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB.

L’argument relatif à la « forme »

[82]      Il n’est pas contesté qu’un parlement ne peut obliger un autre à ne pas faire une certaine chose dans l’avenir. Comme il est indiqué dans Hogg P.W., Constitutional Law of Canada (5e éd. supplémentée, vol. 1, feuilles mobiles [Toronto : Thomson/Carswell, 2007]), à la section 12.3(a) :

[traduction] Si un organe législatif pouvait s’engager à ne pas faire une certaine chose dans l’avenir, un gouvernement pourrait dans ce cas recourir à sa majorité parlementaire pour protéger ses politiques contre une modification ou une abrogation quelconque. Cette mesure lierait les mains d’un gouvernement qui serait par la suite porté au pouvoir dans le cadre d’une nouvelle élection comportant de nouveaux enjeux. Autrement dit, un gouvernement en place pourrait faire échec à l’avance aux politiques que prône l’opposition.

[83]      Il ne fait pas de doute non plus que « [l]a rédaction et le dépôt d’un projet de loi font partie du processus législatif dans lequel les tribunaux ne s’immiscent pas » : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), précité, à la page 559, et que « [t]oute restriction imposée au pouvoir de l’exécutif de déposer des projets de loi constitue une limitation de la souveraineté du Parlement lui-même » :précité à la page 560.

[84]      Les intimés soutiennent cependant que l’article 47.1 de la Loi sur la CCB impose des obligations au ministre en sa qualité de membre de l’exécutif plutôt qu’en sa qualité de membre du Parlement. Ils estiment donc que l’obligation qu’impose l’article 47.1 au ministre de consulter la CCB et d’obtenir un vote favorable des producteurs de grains avant de présenter un projet de loi est néanmoins exécutoire et impérative, malgré ces principes constitutionnels importants.

[85]      Les appelants rétorquent que seules les dispositions « de forme » de nature constitutionnelle peuvent restreindre la manière dont le Parlement peut présenter et adopter une loi. De plus, soutiennent-ils, l’article 47.1 de la Loi sur la CCB n’est pas une disposition de forme de nature constitutionnelle qui assortit d’exigences procédurales la capacité qu’a le Parlement d’adopter des lois, et que cet article est donc inapplicable selon le principe de la souveraineté parlementaire.

[86]      J’ai de sérieuses réserves au sujet de l’applicabilité de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB, eu égard au principe de la souveraineté parlementaire, à la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans le Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), précité, et aux dispositions du paragraphe 2(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Il ne me semble pas qu’une disposition prescrivant qu’un projet de loi ne peut être déposé au Parlement que si une société extérieure ou un petit groupe externe y consent constitue simplement une exigence procédurale. L’effet d’une telle disposition est de céder les pouvoirs du Parlement aux mains d’un petit groupe qui n’en fait pas partie. Je doute sérieusement qu’une telle disposition puisse faire obstacle à la présentation d’un projet de loi au Parlement ou mener à l’invalidation d’une loi quelconque que le Parlement adopterait par la suite : Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), précité, aux pages 563 et 564, citant en y souscrivant à cet égard le juge en chef King dans l’arrêt West Lakes Limited v. The State of South Australia (1980), 25 S.A.S.R. 389, aux pages 397 et 398; voir aussi l’arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne du blé), 2008 CAF 76, au paragraphe 4.

[87]      Il n’est toutefois pas nécessaire que je tranche de façon définitive cette question, vu la conclusion tirée plus tôt à propos de la portée restreinte de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB. Comme l’a signalé J. Goldsworthy dans son ouvrage Parliamentary Sovereignty: Contemporary Debates (Cambridge : Cambridge University Press, 2010), à la page 174 : [traduction] « L’une des questions les plus importantes que le principe de la souveraineté parlementaire ne règle pas est celle de savoir si — et comment — le Parlement peut faire en sorte que la validité juridique d’une loi à venir dépende du respect des exigences prescrites en matière de procédure ou de forme ». Il ne conviendrait pas que la Cour tranche une question constitutionnelle aussi importante et d’une portée aussi considérable s’il n’est pas strictement nécessaire de le faire pour déterminer l’issue du présent appel.

Conclusions

[88]      Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la portée de l’article 47.1 de la Loi sur la CCB ne s’étend pas à la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Je ferais donc droit aux deux appels et j’infirmerais les ordonnances du juge

Campbell de la Cour fédérale. J’adjugerais également les dépens aux appelants, tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale.

La juge Sharlow, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Trudel, J.C.A. : Je suis d’accord.

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