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[2014] 1 R.C.F. 142

T-1288-10

2012 CF 650

Commissaire aux langues officielles du Canada et Dr Karim Amellal (demandeurs)

c.

CBC/Radio-Canada (défenderesse)

Répertorié : Canada (Commissaire aux Langues officielles) c. CBC/Radio-Canada

Cour fédérale, juge Martineau—Ottawa, 9 janvier, 11 et 12 avril et 29 mai 2012.

Langues officielles — Demande présentée par le commissaire aux langues officielles (demandeur) visant à former un recours en vertu de l’art. 77 (partie X) de la Loi sur les langues officielles; la défenderesse demande que le recours soit rejeté sommairement au motif que les services de programmation en cause sont assujettis à la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a compétence exclusive en la matière — Le demandeur voulait obtenir une déclaration selon laquelle la défenderesse est assujettie à la Loi sur les langues officielles et a contrevenu à l’art. 41 de cette loi — Après avoir mené une enquête, le demandeur a conclu que la défenderesse avait contrevenu à l’art. 41(2) de la Loi sur les langues officielles parce qu’elle n’a pas préalablement tenu de consultations avec la communauté de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) du Sud-Ouest de l’Ontario concernant sa décision de faire d’importantes compressions budgétaires visant la programmation radio de cette communauté — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale avait compétence concurrente avec le CRTC dans cette affaire et, le cas échéant, lequel des régimes légaux concurrents devait régir le litige — Il n’y a pas de conflit entre la Loi sur les langues officielles et la Loi sur la radiodiffusion; la Cour fédérale, à qui la partie X de la Loi sur les langues officielles s’applique, a compétence à première vue pour déterminer la portée de l’art. 41(2) de la Loi sur les langues officielles et décider s’il y a eu manquement à l’obligation de prendre des mesures positives en l’espèce — Dans les deux lois, la volonté générale du Parlement est de favoriser le développement et l’épanouissement des CLOSM — Cependant, la compétence générale que possède la Cour fédérale, en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles, pour accorder une « réparation » en cas de manquement à la Loi sur les langues officielles ne peut être que concurrente à la compétence spécialisée en matière de radiodiffusion que possède le CRTC en vertu de la partie II de la Loi sur la radiodiffusion — Le CRTC pourrait statuer de façon appropriée sur le fond des plaintes portées devant le commissaire — Le fait que le CRTC considère d’autres facteurs, en plus de la question linguistique, n’était pas suffisant pour que la Cour fédérale accepte, à ce stade, d’entendre le recours judiciaire — Le CRTC est mieux placé que la Cour fédérale pour évaluer l’impact des compressions budgétaires sur la programmation de la défenderesse et pour accorder aux demandeurs une réparation appropriée, le cas échéant — On ne pouvait prédire le résultat final, ni quels arguments seraient apportés par la défenderesse en réponse aux interventions du demandeur — Compte tenu du climat d’incertitude, la Cour fédérale a exercé son pouvoir judiciaire discrétionnaire et a ordonné la suspension des procédures dans ce dossier, tout en préservant les droits des parties.

Compétence de la Cour fédérale — Le demandeur (le commissaire aux langues officielles) a intenté un recours en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles, au motif que la défenderesse est assujettie à la Loi sur les langues officielles et qu’elle a contrevenu à l’art. 41 de ladite loi parce qu’elle n’a pas pris de « mesures positives » comme elle l’aurait dû — Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a une compétence concurrente avec le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) pour régler le présent litige — La Cour fédérale, à qui s’applique la partie X de la Loi sur les langues officielles, a compétence à première vue pour déterminer la portée de l’art. 41(2) de la Loi sur les langues officielles et pour décider s’il y a eu manquement à l’obligation de prendre des mesures positives en l’espèce — Par conséquent, la Cour fédérale a compétence en vertu de l’art. 77 de la Loi sur les langues officielles, selon le modèle de la compétence concurrente — Toutefois, cette compétence ne peut être que concurrente à la compétence spécialisée en matière de radiodiffusion que possède le CRTC en vertu de la partie II de la Loi sur la radiodiffusion — Le CRTC est mieux placé que la Cour fédérale pour évaluer l’impact des compressions budgétaires sur la programmation de la défenderesse et pour accorder aux demandeurs une réparation appropriée, le cas échéant.

Radiodiffusion — Le demandeur (le commissaire aux langues officielles) a mené une enquête et a conclu que la défenderesse avait contrevenu à l’art. 41(2) de la Loi sur les langues officielles parce qu’elle n’a pas préalablement tenu de consultations avec la communauté de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) du Sud-Ouest de l’Ontario concernant sa décision de faire d’importantes compressions budgétaires touchant la programmation radio de cette communauté — Le demandeur a intenté un recours en vertu de l’art. 77 (partie X) de la Loi sur les langues officielles en vue d’obtenir une déclaration selon laquelle la défenderesse a contrevenu à l’art. 41 de ladite loi — La défenderesse demandait que le recours judiciaire soit rejeté sommairement au motif que les services de programmation en cause sont assujettis à la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a compétence exclusive en la matière — La compétence générale que possède la Cour fédérale, en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles, pour accorder une « réparation » en cas de manquement à la Loi sur les langues officielles ne peut être que concurrente à la compétence spécialisée en matière de radiodiffusion que possède le CRTC en vertu de la partie II de la Loi sur la radiodiffusion — Le CRTC pourrait statuer de façon appropriée sur le fond des plaintes portées devant le commissaire — Le CRTC est mieux placé que la Cour fédérale pour évaluer l’impact des compressions budgétaires sur la programmation de la défenderesse, et pour accorder aux demandeurs une réparation appropriée, le cas échéant.

Il s’agissait d’une demande du commissaire aux langues officielles (demandeur) visant à former un recours en vertu de l’article 77 (partie X) de la Loi sur les langues officielles et à obtenir une déclaration selon laquelle la défenderesse est assujettie à la Loi sur les langues officielles et qu’elle a contrevenu à l’article 41 de ladite loi. Cette poursuite fait suite à une enquête menée par le demandeur, qui a conclu que la défenderesse avait contrevenu au paragraphe 41(2) de la Loi sur les langues officielles, qui oblige les institutions fédérales à prendre des « mesures positives », parce qu’elle n’a pas préalablement tenu de consultations avec la communauté de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) du Sud-Ouest de l’Ontario et n’a procédé à aucune analyse de l’impact de sa décision de faire d’importantes compressions budgétaires visant la programmation radio de CBEF Windsor. La défenderesse a soulevé une question préliminaire et a demandé à la Cour fédérale de rejeter sommairement le présent recours au motif que ses services de programmation sont assujettis à la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a compétence exclusive en la matière. La défenderesse a fait valoir que ses activités de programmation étaient régies par la politique canadienne de radiodiffusion, les conditions de licence et les attentes énoncées dans les décisions que le CRTC a rendues en vertu de la Loi sur la radiodiffusion. Subsidiairement, la défenderesse a soutenu que le CRTC était mieux placé pour prendre des décisions éclairées au sujet de l’impact négatif des compressions budgétaires en cause. Les demandeurs ont fait valoir, entre autres, qu’il n’y avait pas de conflit entre la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur les langues officielles, et que la Cour fédérale avait compétence concurrente avec le CRTC et était mieux placée pour décider si la défenderesse avait manqué à l’obligation énoncée au paragraphe 41(2) de la Loi sur les langues officielles de prendre des « mesures positives » pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada.

CBEF Windsor est la seule station radio de langue française dans le Sud-Ouest de l’Ontario. Faisant face à un important manque à gagner, la défenderesse a dû procéder à des compressions budgétaires générales dans tout le pays en 2009. En conséquence, les trois émissions qui étaient produites à Windsor ont été annulées, ce qui a suscité l’ire de nombreux résidents francophones de la région. De nombreuses plaintes ont été présentées au demandeur relativement à la programmation de CBEF Windsor. À la suite de son enquête, le demandeur a recommandé plus particulièrement que la défenderesse revoie sa décision visant CBEF Windsor à la lumière de l’obligation qui incombe aux institutions fédérales, en vertu de l’article 41 de la Loi sur les langues officielles, de prendre des « mesures positives » et d’évaluer l’impact de ses décisions sur les CLOSM. Or, la défenderesse a refusé dès le départ de collaborer et n’a pas donné suite aux recommandations du demandeur. Le demandeur a donc tenté d’obtenir une ordonnance obligeant la défenderesse à revoir sa décision concernant CBEF Windsor et à prendre les moyens nécessaires pour atténuer l’impact négatif qu’a eu cette décision sur la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario. Dans l’intervalle, le CRTC a amorcé le processus public de renouvellement de l’ensemble des licences de la défenderesse et entendait tenir une audience publique afin d’examiner notamment les plans budgétaires de la défenderesse et le renouvellement de ses licences.

La question principale était de savoir si la Cour fédérale avait compétence concurrente avec le CRTC dans cette affaire et, le cas échéant, lequel des régimes légaux concurrents devait régir le litige.

Jugement : Les procédures doivent être suspendues afin de permettre au CRTC de se prononcer à l’égard des demandes de renouvellement de licences de la défenderesse et de toute plainte ou intervention des demandeurs relativement à la réduction des heures de programmation locale ou régionale diffusée à l’antenne de CBEF Windsor.

À la lumière des éléments de preuve au dossier, il n’y a pas de conflit entre la Loi sur les langues officielles et la Loi sur la radiodiffusion, et le tribunal visé à la partie X, soit la Cour fédérale (article 76 de la Loi sur les langues officielles), a compétence à première vue pour déterminer la portée du paragraphe 41(2) de la Loi sur les langues officielles et pour décider s’il y a eu manquement à l’obligation de prendre des mesures positives. La Loi sur les langues officielles reflète un compromis social et politique; elle attribue au demandeur les pouvoirs d’un véritable ombudsman linguistique et elle crée un processus judiciaire qui permet d’obtenir réparation dans les cas prévus au paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles. Par conséquent, la Cour fédérale a compétence, au sens strict, en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles, selon le modèle de la compétence concurrente.

Pour décider lequel des régimes légaux concurrents devrait régir le litige en l’espèce, on devait analyser deux éléments : la nature du litige afin de déterminer son essence, et la question de savoir si le législateur voulait que le litige soit régi par la Loi sur la radiodiffusion ou par la Loi sur les langues officielles, selon ce qu’indiquaient les dispositions légales pertinentes. Bien que la Loi sur les langues officielles constitue un code complet en matière de droits linguistiques, la Loi sur la radiodiffusion constitue également un code complet en matière de radiodiffusion. La Loi sur la radiodiffusion s’applique aux entreprises de radiodiffusion, ce qui inclut les entreprises de distribution et de programmation, y compris les réseaux (paragraphes 2(1) et 4(3) de la Loi sur la radiodiffusion). Le mot « programmation » vise toutes les étapes de la collecte d’information, du montage et de la diffusion des émissions en général. Il faut donner plein effet à la volonté du Parlement que les modalités particulières de fourniture de l’offre de programmation du radiodiffuseur public national, sur l’ensemble du réseau et en région, soient d’abord et avant tout fixées par le CRTC dans le cadre du processus public d’attribution et de renouvellement des licences de la défenderesse.

Il n’y a pas de conflit entre les objectifs de la Loi sur les langues officielles et ceux de la Loi sur la radiodiffusion. Dans les deux lois, la volonté générale du Parlement est de favoriser le développement et l’épanouissement des CLOSM, tout en laissant le choix des moyens aux institutions fédérales concernées, d’une part, et aux radiodiffuseurs, notamment le radiodiffuseur public national, d’autre part. On peut en dire tout autant des principes juridiques relatifs à l’application des deux lois.

Le gouvernement ne peut s’ingérer dans les choix de programmation de la défenderesse (paragraphes 4(1), 35(2), 46(5) et 52(2) de la Loi sur les langues officielles). D’un autre côté, la liberté d’expression et l’indépendance journalistique de la défenderesse ne constituent pas une licence générale lui permettant d’éviter de mettre en œuvre les aspects linguistiques de la politique canadienne de radiodiffusion, d’ignorer les régions et les CLOSM, et de diminuer la contribution des artistes et autres talents locaux à sa programmation nationale et régionale. De plus, dans la programmation que la défenderesse offre à la population canadienne, il doit y avoir une certaine part d’émissions produites en région, dans lesquelles les auditeurs et les téléspectateurs peuvent se reconnaître. Ceci est encore plus vrai dans le cas des CLOSM, qui sont menacées d’assimilation et qui comptent sur la radio et la télévision publiques pour maintenir leur langue et leur identité culturelle. La politique canadienne de radiodiffusion doit être intégralement respectée par le gouvernement fédéral, non seulement dans sa lettre, mais aussi dans son esprit. C’est particulièrement le désir du Parlement qu’une gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais soit progressivement offerte à tous les Canadiens, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens (alinéa 3(1)k) de la Loi sur la radiodiffusion). En ce qui concerne la programmation de la défenderesse, le mandat du radiodiffuseur public consiste explicitement à promouvoir les deux langues officielles, à maintenir l’identité des minorités francophones et anglophones au sein de la fédération canadienne, ainsi qu’à contribuer au partage d’une conscience et d’une identité nationales (sous‑alinéas 3(1)m)(iv), (v) et (vi) de la Loi sur la radiodiffusion). C’est la loi, et tous et toutes doivent la respecter, y compris Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province (paragraphe 4(1) de la Loi sur la radiodiffusion).

L’obligation de prendre des « mesures positives » inscrite au paragraphe 41(2) de la Loi sur les langues officielles doit être interprétée et appliquée à la lumière des engagements de programmation déjà pris par la défenderesse en vertu de la Loi sur la radiodiffusion ou que le CRTC peut prescrire sous forme de conditions de licence et d’attentes. Ainsi, la compétence générale que possède la Cour fédérale, en vertu de la partie X de la Loi sur les langues officielles, pour accorder une « réparation » en cas de manquement à la Loi sur les langues officielles ne peut être que concurrente à la compétence spécialisée en matière de radiodiffusion que possède le CRTC en vertu de la partie II de la Loi sur la radiodiffusion.

Il pourrait être statué de façon appropriée sur le fond des plaintes portées devant le commissaire dans une autre instance, ici le CRTC. Le processus de renouvellement des licences de la défenderesse constitue le forum privilégié par le législateur pour débattre de la réduction de la programmation régionale ou locale de langue française. Dix ans ont passé depuis le dernier renouvellement des licences de la défenderesse. Il était donc grand temps que celle-ci explique aux Canadiens ses choix de programmation et sa vision pour l’avenir dans un cadre où toutes les parties intéressées auront la possibilité de se faire entendre. En l’espèce, le meilleur forum serait le CRTC, qui fait office de régulateur et législateur dans le domaine de la radiodiffusion. Comme les compressions de 2009 ont eu lieu il y a plus de trois ans, il est difficile de voir comment la Cour fédérale pourrait légalement forcer aujourd’hui la reprise de la diffusion d’émissions annulées ou prescrire un seuil minimum d’heures de production locale ou régionale. Ce pouvoir appartient plutôt au CRTC, qui a une vue d’ensemble sur les activités de radiodiffusion de la défenderesse et ses plans en matière de programmation produite dans les grands centres et en région. En l’espèce, rien de démontrait qu’il ne pourrait être statué de façon appropriée sur le fond des plaintes ayant été portées en 2009 devant le commissaire. Le fait que le CRTC considère d’autres facteurs, en plus de la question linguistique, n’était pas suffisant en soi pour que la Cour fédérale accepte, à ce stade, d’entendre le recours judiciaire.

Il est vrai que le paragraphe 77(4) de la Loi sur les langues officielles permet à la Cour fédérale d’accorder la réparation qu’elle estime convenable, mais encore faut-il que l’exercice de ce pouvoir n’entre pas directement en conflit avec les pouvoirs du CRTC. Il est déclaré par le Parlement dans la Loi sur la radiodiffusion que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome, en l’occurrence le CRTC (paragraphe 3(2) de la Loi sur la radiodiffusion). Par conséquent, même si la Cour fédérale a compétence en vertu des articles 76 à 81 de la Loi sur les langues officielles pour entendre le recours judiciaire, le CRTC est mieux placé que la Cour fédérale pour évaluer l’impact des compressions budgétaires sur la programmation de la défenderesse, notamment à l’antenne de la station CBEF Windsor, et pour accorder aux demandeurs une réparation appropriée, le cas échéant.

Les demandeurs avaient une expectative légitime d’être entendus et de faire valoir leur point de vue dans le cadre du processus amorcé de renouvellement des licences de la défenderesse. Ils avaient également une expectative légitime que le CRTC procéderait à une analyse de l’impact sur la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario de sa décision éventuelle de renouveler la licence de l’entreprise de programmation de radio exploitée par la station affiliée CBEF Windsor.

On ne pouvait prédire le résultat final, ni quels arguments seraient apportés par la défenderesse en réponse aux interventions des demandeurs et des autres intéressés. Compte tenu du climat d’incertitude qui règne actuellement, la Cour fédérale a exercé son pouvoir judiciaire discrétionnaire et a ordonné la suspension des procédures dans ce dossier, tout en préservant les droits des parties, ce qui était la chose la plus juste et équitable à faire. Dans l’intervalle, la compétence de la Cour fédérale pour émettre toute autre directive ou rendre toute autre ordonnance a été mise en délibéré.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 68.1 (édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 159).

Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2.

Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, art. 2(1) « entreprise de radiodiffusion », 3, 4(1),(3), 9 (mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 10(F)), 12, 13, 17, 18 (mod. par L.C. 2001, ch. 34, art. 32(A)), 19, 23, 24, 25, 26(1), 31(2), 35(2), 40, 46(4),(5), 52, 54 (mod. par L.C. 1994, ch. 18, art. 20), 55.

Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), ch. B-9.

Loi sur la radiodiffusion, S.C. 1967-68, ch. 25.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 1 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 14), 2(1) « office fédéral » (mod., idem, art. 15), 18 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26), 23 (mod., idem, art. 32), 50(1) (mod., idem, art. 46).

Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 25, 41 (mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 1; 2006, ch. 9, art. 23), 42 (mod. par L.C. 1995, ch. 11, art. 27), 56(1),(2), 58(1), 76 (mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183), 77 (mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 2), 81, 82(1).

Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, ch. O-2.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422.

décisions examinées :

LaRoque c. Société Radio-Canada, 2009 CanLII 35736 (C.S. Ont.); Syndicat canadien de la Fonction publique c. Société Radio-Canada, [1991] 2 C.F. 455 (1re inst.); Vlug c. Société Radio-Canada, 2000 CanLII 5591 (T.C.D.P.);Société Radio-Canada c. Canada (commissaire à l’information), 2011 CAF 326; Quigley c. Canada (Chambre des communes), 2002 CFPI 645, [2003] 1 C.F. 132; Genex Communications c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 283, [2006] 2 R.C.F. 199; Société Radio-Canada (31 août 2001), Décision CRTC 2001-529.

décisions citées :

Trieger v. Canadian Broadcasting Corp. (1988), 66 O.R. (2d) 273, 54 D.L.R. (4th) 143 (H.C.J.); Mahar v. Rogers Cablesystems Ltd., 1995 CanLII 7428, 25 O.R. (3d) 690, 34 Admin. L.R. (2d) 51 (C.S.); Norton c. VIA Rail Canada, 2009 CF 704; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185; Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.); R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194; St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704, (1986), 73 R.N.-B. (2e) 236; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666; CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] 1 R.C.S. 2; Métromédia CMR Montréal inc. (21 juin 1999), Décision CRTC 99-151; Société Radio-Canada c. Métromédia Cmr Montréal Inc., 1999 CanLII 8947 (C.A.F.).

DOCTRINE CITÉE

Commissariat aux langues officielles. Ombres sur le paysage télévisuel canadien : Place du français sur les ondes et production en contexte minoritaire. Ottawa, janvier 2009, en ligne : <http://www.ocol-clo.gc.ca/docs/f/televisionlandscape_paysagetelevisuel_f.pdf>.

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Rapport à la gouverneure en conseil sur les services de radiodiffusion de langues française et anglaise dans les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire au Canada, 30 mars 2009, en ligne : <http://www.crtc.gc.ca/fra/BACKGRND/language/ol0903-lo0903.pdf>.

Ordonnance de distribution du service de télévision de langue française du Groupe TVA inc., Avis public CRTC 1999-27, 12 février 1999.

DEMANDE du commissaire aux langues officielles visant entre autres à former un recours en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles. La défenderesse a demandé que le recours judiciaire soit rejeté sommairement au motif que ses services de programmation sont assujettis à la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11, et que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a compétence exclusive en la matière. Procédures suspendues.

ONT COMPARU

Amélie Lavictoire et Pascale Giguère pour les demandeurs.

Guy Pratte et Nadia Effendi pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Commissariat aux langues officielles du Canada, Section des affaires juridiques, Ottawa, pour les demandeurs.

Borden Ladner Gervais, s.e.n.c.r.l., s.r.l., Ottawa, pour la défenderesse.

Voici les motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus en français par

[1]        Le juge Martineau : En 2009, la Société Radio-Canada/Canadian Broadcasting Corporation (Société) procède à d’importantes coupures budgétaires à travers le pays. Des francophones de la région du Sud-Ouest de l’Ontario, incluant le docteur Karim Amellal, se plaignent au commissaire aux langues officielles du Canada (commissaire) de l’impact négatif de la diminution du contenu local ou régional de la programmation radio de CBEF Windsor.

[2]        Suite à son enquête, le commissaire conclut qu’il y a eu manquement au paragraphe 41(2) [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 1] de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31 (LLO), qui oblige les institutions fédérales à prendre des « mesures positives », parce que la Société n’a pas préalablement tenu de consultations avec la communauté de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM) du Sud-Ouest de l’Ontario et n’a procédé à aucune analyse d’impact de sa décision sur cette communauté. En 2010, le commissaire institue le présent recours en vertu de la partie X [articles 76 à 81] de la LLO et le docteur Amellal est ajouté à titre de codemandeur.

[3]        La Société demande aujourd’hui à la Cour de rejeter sommairement le présent recours au motif que ses services de programmation (radio et télévision) sont assujettis à la Loi sur la radiodiffusion, L.C. 1991, ch. 11 (LR) et que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a compétence exclusive en la matière. Subsidiairement, le CRTC est mieux placé « pour prendre des décisions éclairées » au sujet de l’impact négatif des coupures budgétaires sur la programmation régionale de CBEF Windsor.

[4]        Les demandeurs considèrent qu’il n’y a pas de conflit entre la LR et la LLO, alors que la Cour fédérale a compétente concurrente avec le CRTC et est mieux placée pour décider si la Société a manqué à l’obligation énoncée au paragraphe 41(2) de la LLO de prendre des « mesures positives » pour favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et appuyer leur développement. Cette prescription s’applique non seulement aux communications de la Société avec le public mais également à sa programmation, de sorte qu’en cas de manquement, la Cour fédérale peut accorder la réparation qu’elle estime convenable et juste (article 77 [mod., idem, art. 2] de la LLO).

[5]        De façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste, la plus expéditive et la plus économique possible, les parties ont accepté que, dans le cadre du présent recours judiciaire devant la Cour fédérale, le juge du fond tranche de façon préliminaire la question de compétence soulevée par la Société, si la preuve au dossier lui permet de le faire.

TOILE DE FOND

[6]        Créée en 1936 par une loi du Parlement selon le modèle de la BBC [British Broadcasting Corporation], la Société est le radiodiffuseur public national du Canada. La Société doit offrir, dans les deux langues officielles, des services de radio et de télévision comportant une très large programmation qui renseigne, éclaire et divertit (alinéa 3(1)l) de la LR). Nous reviendrons plus loin sur les aspects particuliers de son mandat. En juin 2011, la Société comptait environ 8 660 employés ainsi que 82 stations de radio et 27 stations de télévision qui produisent des émissions dans tout le pays.

[7]        Du côté de la radio de langue française, on retrouve la Première Chaîne et Espace Musique. Les émissions réseau sont produites principalement à Montréal et sont diffusées à l’ensemble des stations affiliées. La Première Chaîne est diffusée, avec sa programmation locale et/ou régionale, à travers le pays par quelques 20 stations de radio, incluant la station CBEF à Windsor, Ontario. Environ 80 p. 100 de la programmation hebdomadaire de la Première Chaîne est de nature nationale.

[8]        Dans les années 1990, la station CBEF Windsor, qui nous intéresse ici, comptait environ 25 employés. Or, c’est la seule station radio de langue française dans le Sud-Ouest de l’Ontario, où l’on retrouve environ 35 000 francophones. Dans cet environnement dominé par l’anglais et la culture anglo-saxonne et américaine, les francophones comptent donc fortement sur le maintien d’un service radiophonique public, de proximité et de qualité, où ils peuvent quotidiennement échanger et se reconnaître. En 2001, lors du dernier renouvellement des licences de la Société, CBEF diffusait approximativement 36,5 heures par semaine d’émissions locales ou régionales de Windsor.

[9]        En tant que société d’État, la Société dispose d’une certaine indépendance vis-à-vis du contrôle gouvernemental. Son financement provient des deniers publics et de recettes commerciales (publicité et redevances d’abonnement). Environ 60 p. 100 du financement provient du budget qui lui est alloué annuellement à même les crédits votés par le Parlement. À chaque année, la Société présente donc son plan d’entreprise au ministre du Patrimoine canadien (ministre), qui se charge de déposer un résumé devant chaque chambre du Parlement (articles 54 [mod. par L.C. 1994, ch. 18, art. 20] et 55 de la LR).

[10]      Bien que les coûts de la main-d’œuvre et d’exploitation ne cessent d’augmenter à chaque année, il semble bien que le montant du financement public accordé à la Société ne suive pas la même courbe ascendante, celui-ci représentant environ 1 milliard de dollars annuellement. Par conséquent, pour boucler son budget d’opérations, la Société doit pouvoir compter sur les recettes commerciales. Toutefois, en vertu des conditions actuelles de licence, la Société n’est pas autorisée à faire de la publicité commerciale à la radio, de sorte que ce service public essentiel est nécessairement déficitaire.

[11]      Or, en 2009, la Société fait face à un important manque à gagner de 171 millions de dollars, apparemment attribuable à la baisse anticipée des revenus publicitaires — à laquelle il faut ajouter l’écart entre le financement obtenu du Conseil du Trésor pour sa base salariale, l’augmentation réelle des salaires et d’autres facteurs comme, entre autres, l’augmentation des coûts de production. N’ayant pas été autorisée à effectuer un emprunt, la Société doit explorer d’autres options — toutes refusées par le gouvernement. Elle se voit donc contrainte de supprimer des postes partout au pays, de réduire les coûts de sa programmation et de geler les dépenses discrétionnaires.

[12]      Conformément à son Plan de redressement, la Société élimine environ 800 postes — 60 p. 100 de son budget global étant consacré aux salaires — ce qui engendre des coûts additionnels de 36 millions de dollars en réduction d’effectifs. Pour l’ensemble des services français, les compressions touchent plus de 300 employés, dont 64 en région. Il va sans dire que la production d’émissions, donc la programmation, s’en trouve irrémédiablement affectée. Ce faisant, la Société dit vouloir protéger le plus possible les régions, en limitant l’effet des compressions sur les émissions régionales et en ciblant principalement les réseaux nationaux français et anglais et les composantes de soutien qui absorbent 83 p. 100 des réductions.

[13]      À Windsor, les compressions budgétaires de 2009 se traduisent par une réduction du personnel de la station CBEF, qui passe de dix employés (dont neuf affectés à la radio et un à la télévision) à trois employés (dont un journaliste-vidéaste, un journaliste radio et un journaliste chargé de la production des fenêtres locales). Rappelons qu’en janvier 2009, trois émissions (sur une trentaine) étaient produites à Windsor :

• « Bonjour le monde », diffusée du lundi au vendredi de 6 h à 9 h, comportant environ 15 minutes par heure d’informations locales, incluant les bulletins de nouvelles;

• « Grand Lacs Café Windsor », diffusée le samedi de 7 h à 9 h, comportant environ 10 minutes par heure d’informations locales;

• « Au détroit de la nuit », diffusée le lundi de minuit à 4 h, une émission nationale, sans aucun contenu régional, diffusée à l’échelle du pays.

Ces trois émissions sont diffusées pour la dernière fois les 19, 20, 21 et 22 juin 2009 respectivement. Selon la Société, la troisième émission est annulée pour des motifs de programmation et non en vertu du Plan de redressement. Aux dernières nouvelles, CBEF Windsor diffuse hebdomadairement environ cinq heures d’émissions produites encore localement.

[14]      Comme on peut s’y attendre, ces changements au niveau de la programmation radio de CBEF Windsor suscitent l’ire de nombreux résidents francophones de la région. SOS CBEF, une association volontaire, est constituée. Le codemandeur, le docteur Amellal, en est vice-président. Ne sachant apparemment pas vers qui se tourner, des membres de SOS CBEF déposent des plaintes individuelles auprès de la Société, du Ministre, du commissaire et du CRTC.

[15]      De fait, quelques 876 plaintes sont faites au commissaire relativement à la programmation de CBEF Windsor. Au passage, le commissaire ne fait pas enquête sur l’impact des compressions à la station CBE, qui diffuse Radio One avec sa programmation locale et/ou régionale de langue anglaise. Le 9 juillet 2009, la Cour supérieure de justice de l’Ontario refuse d’émettre une injonction interlocutoire au motif d’absence de compétence : LaRoque c. Société Radio-Canada, 2009 CanLII 35736 (LaRoque). L’objectif recherché par les demandeurs est alors de maintenir le statu quo en attendant que le commissaire enquête sur les plaintes dont il est saisi.

[16]      Dans l’affaire LaRoque, la juge Templeton de la Cour supérieure de justice de l’Ontario notait au paragraphe 41 de sa décision :

   Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, j’ai l'impression qu’il y a eu une rupture de communication avec la population francophone en ce qui a trait aux motifs de la prise de décision de la SRC et aux critères utilisés pour en arriver à cette décision. Il ne fait aucun doute que la réduction du contenu local de Windsor aura un effet délétère sur le sentiment de partage, d’appui et d’intimité à partir desquels cette communauté francophone isolée puise [sic] sa force et son identité. Je reconnais que la preuve d’expert n’est pas nécessaire pour faire une telle observation. Quelle que soit la langue, la population se fie aux médias, stations radios et/ou journaux locaux pour se renseigner sur les questions qui touchent la communauté dans laquelle elle vit. Une réduction du temps ou de l’espace accordé à la radiodiffusion des affaires locales aura des répercussions sur l’ensemble de la communauté. [Non souligné dans l’original.]

[17]      Bien que la demande d’injonction ait été rejetée, il était tout à fait clair alors pour la juge Templeton que CBEF Windsor « sert de pilier dans la communauté francophone pour permettre à la communauté de vivre en français » (LaRoque, précitée, au paragraphe 12). N’empêche, celle-ci a estimé que, selon la volonté du Parlement, c’est au CRTC — l’organisme spécialisé chargé de la surveillance et de la réglementation de la radiodiffusion — qu’il fallait adresser le différend concernant la programmation de la Société; lequel différend « doit être tranché par un arbitre qui comprend à la fois les objectifs du système canadien de radiodiffusion et le mandat prévu à [l’article] 3 de la [LR] et qui peut évaluer l’impact des compressions budgétaires sur ces objectifs » (LaRoque, précitée, au paragraphe 51).

[18]      Cela dit, la possibilité qu’un recours devant la Cour fédérale puisse être exercé de façon concurrente par le commissaire, s’il estime que la Société, à titre d’institution fédérale, ne s’est pas conformée à la LLO, n’a pas pour autant été écartée par la juge Templeton (LaRoque, précitée, au paragraphe 55).

[19]      En juin 2010, à la suite de son enquête, le commissaire recommande à la Société de revoir sa décision visant CBEF Windsor à la lumière de l’obligation qui incombe aux institutions fédérales en vertu de l’article 41 [mod. par L.C. 2005, ch. 41, art. 1; 2006, ch. 9, art. 23] de la LLO de prendre des « mesures positives ». Le commissaire recommande du même coup à la Société de mettre en place de véritables mécanismes de consultation et d’évaluation de l’impact de ses décisions sur les CLOSM. Or, la Société qui, dès le départ, refuse de collaborer à l’enquête, ne donne pas suite aux recommandations du commissaire, d’où le présent recours judiciaire.

[20]      À ce stade, en tenant pour avérées les allégations des demandeurs, les compressions de 2009 s’ajoutent à d’autres compressions qui ont eu lieu au fil des années antérieures. Si l’on examine les effets cumulatifs des coupures du point de vue de la programmation locale et/ou régionale, leur impact sur la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario est considérable.

[21]      Or, selon le commissaire, il incombe aux institutions fédérales, en vertu du paragraphe 41(2) de la LLO, de :

a) Prendre des « mesures positives », compatibles avec le mandat de chaque institution, pour favoriser le développement des CLOSM. Chaque institution bénéficie cependant d’une certaine discrétion quant aux choix de mesures; et,

b) Ne pas nuire au développement de toute CLOSM. En 2009, il n’y a aucune véritable consultation préalable auprès des CLOSM, et en particulier, alors que la Société n’a pas vraiment mesuré l’impact de ces compressions sur la vitalité de la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario.

[22]      Quoiqu’il en soit, la Société cherche à maintenir un certain dialogue avec les CLOSM. D’ailleurs, même si du point de vue réglementaire les seuils minimum de contenu local ou régional ne font pas actuellement l’objet de conditions de licence mais seulement d’attentes du CRTC, un panel des régions a volontairement été établi par la Société en 2000. Toutefois, ce n’est pas un mécanisme de consultation préalable, de remise en question et de révision des décisions corporatives d’envergure décidées aux plus hauts échelons de la Société, comme les coupures budgétaires de 2009, ayant un effet sur le personnel et la programmation.

[23]      Au passage, suite à l’annonce officielle des compressions de 2009, des représentants de la Société ont bien tenté de calmer le jeu à travers le pays en expliquant, de façon ponctuelle, son Plan de redressement et les raisons des coupures dans les régions. Ceci n’a pas empêché SOS CBEF de poursuivre ses actions contre la Société; les quelques aménagements apportés ultérieurement à la programmation régionale de CBEF qui provient maintenant en plus grande partie de Toronto, n’ont pas, semble-t-il, satisfait les membres de la communauté francophone.

[24]      Dans l’intervalle, le CRTC a amorcé le processus public de renouvellement de l’ensemble des licences de la Société. Tant le commissaire que le docteur Amellal ont annoncé leur désir d’y intervenir. Or, malheureusement, les audiences publiques relatives au renouvellement des licences ont été reportées à quelques reprises à cause des incertitudes opérationnelles reliées aux aspects financiers du budget de la Société (avis de consultation de radiodiffusion 2011-379, 2011-379-1 et 2011-379-2).

[25]      Aux dernières nouvelles, le CRTC entend débuter dès le 19 novembre 2012 une audience publique visant à examiner de façon détaillée à la fois le rendement et les plans budgétaires de la Société et le renouvellement de ses licences. La Société a déjà annoncé en avril 2012 qu’elle désirait que le CRTC modifie les licences de Radio Two, Espace Musique et leurs stations affiliées afin de permettre la diffusion de publicité nationale, ce qui lui permettrait d’obtenir un financement additionnel. À ce chapitre, le CRTC est d’avis que l’approbation de ces demandes pourrait avoir « des répercussions perceptibles sur la façon dont la radio de la Société Radio-Canada s’acquittera de son mandat au cours des prochaines années » (lettre de John Traversy, secrétaire général du CRTC, adressée à Hubert Lacroix, président-directeur général de la Société, 18 mai 2012, et versée au dossier public du CRTC).

[26]      Enfin, la preuve au dossier révèle que le gouvernement fédéral n’a tout simplement pas bougé. Mais d’ores et déjà, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a déjà publiquement annoncé qu’il a entrepris une étude sur les obligations de la Société en vertu de la LR et de la LLO. Or, l’un des aspects au cœur de l’examen sénatorial porte notamment sur la question de savoir si la Société répond toujours aux besoins particuliers des CLOSM, tant au plan national qu’au plan régional et par le biais de toutes les plateformes (télé, radio et Internet). Le Comité sénatorial compte également déterminer si la Société satisfait aux exigences de la partie VII [articles 41 à 45] de la LLO en prenant des mesures positives pour l’épanouissement des CLOSM et la promotion de la dualité linguistique. Son rapport est attendu à l’automne 2012.

LA QUESTION DE COMPÉTENCE

[27]      En vertu du paragraphe 56(1) de la LLO, il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la LLO et l’intention du législateur, notamment en matière de promotion du français et de l’anglais (partie VII de la LLO).

[28]      Pour s’acquitter de sa mission, le commissaire peut enquêter de sa propre initiative (paragraphe 56(2) de la LLO) ou à la suite de toute plainte reçue (paragraphe 58(1) de la LLO). Or, ce n’est pas la première fois que le commissaire examine les réalisations de la Société dans le cadre de l’engagement du gouvernement fédéral de favoriser l’épanouissement des CLOSM (paragraphe 41(1) de la LLO).

[29]      Le présent recours judiciaire en vertu de la partie X de la LLO est important pour toutes les parties en cause. Le CRTC n’a pas demandé d’intervenir mais a prêté son assistance aux procureurs en recherchant et mettant à leur disposition la documentation pertinente requise par la Cour fédérale. Il s’agit d’une cause type. Bien d’autres CLOSM ne sont pas d’accord avec les coupures de 2009 et la réduction de l’offre de la programmation régionale et/ou locale, entres autres à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest), Winnipeg et Thompson (Manitoba), Sudbury (Ontario) et Sydney (Nouvelle-Écosse).

[30]      En l’espèce, plutôt que d’attaquer de front le gouvernement fédéral qui semble en grande partie responsable du sous-financement de la Société, le commissaire revendique un droit général de regard sur toutes les décisions du radiodiffuseur public pouvant affecter la vitalité du français et de l’anglais, ainsi que le développement de toute CLOSM. En somme, le commissaire demande à la Cour fédérale d’examiner la légalité des actions de la Société, eu égard à l’obligation de prendre des « mesures positives » mentionnée au paragraphe 41(2) de la LLO, ce que conteste justement la Société.

[31]      Plus particulièrement, dans le cadre du présent recours judiciaire, à l’occasion des interrogatoires de ses représentants, la Société s’est opposée à ce que ces derniers soient interrogés au sujet des discussions internes précédant ou entourant les coupures budgétaires et les choix de la direction. Plutôt que d’entendre les appels de décisions interlocutoires rendues par la protonotaire Tabib, du consentement des parties, la Cour a tenu des audiences en janvier et avril 2012 afin de débattre de la question de compétence, et a déjà fixé la tenue d’audiences au mérite en octobre 2012, si nécessaire.

[32]      Aujourd’hui, la Société prétend que le présent recours judiciaire doit être rejeté sommairement au motif que ses activités de programmation, y compris la transmission et la distribution de tout service de radiodiffusion, sont exclusivement régies par la politique canadienne de radiodiffusion, les conditions de licence et les attentes que l’on retrouve dans les décisions du CRTC en vertu de la LR (articles 3, 18 [mod. par L.C. 2001, ch. 34, art. 32(A)], 19, 23 à 25 de LR). De plus, l’article 12 de la LR prévoit qu’on peut porter plainte au CRTC au sujet d’un manquement — par omission ou commission — aux termes d’une licence, à la partie II [articles 5 à 13] de la LR ou aux ordonnances, décisions, ou règlements applicables, ce dont le codemandeur, le docteur Amellal s’est d’ailleurs prévalu. Hélas, au grand dam des personnes qui se sont plaintes en 2009 de la réduction de la programmation régionale ou locale, le CRTC a fait savoir que les plaintes étaient versées au dossier public de la demande de renouvellement des licences de la Société.

[33]      D’entrée de jeu, la Société reprend un discours déjà bien connu de son principal protagoniste, le commissaire, puisque dans les années 1990, la Société avait fait valoir le même type d’argumentaire. Suite aux réductions du financement public, la Société avait annoncé en septembre 1996 des compressions budgétaires totalisant alors 414 millions de dollars (environ le tiers du budget de fonctionnement de la Société) étalées sur trois ans (1994–1995 à 1997–1998). En juin 1997, le commissaire avait produit son rapport d’enquête sur des plaintes concernant la responsabilité du gouvernement fédéral dans les réductions budgétaires et dans les changements à la programmation de la Société.

[34]      Le fait que le CRTC ait été désigné par le Parlement comme l’organisme chargé de réglementer et de surveiller tous les aspects du système canadien de radiodiffusion, y compris le radiodiffuseur public national, n’est pas contesté par les demandeurs qui soulignent toutefois que la LLO et la LR ont des objets distincts et complémentaires, alors que les parties I [article 4] à V [articles 4 à 38] de la LLO ont préséance sur toute disposition incompatible de la LR et de ses règlements d’application (paragraphe 82(1) de la LLO). Les discussions entre le commissaire et la Société en vue de s’entendre sur une solution qui permettrait à la Société de maintenir son indépendance tout en reconnaissant les obligations que lui impose la LLO ont été un échec en raison d’un désaccord quant à la définition et l’étendue de la notion de « programmation ».

[35]      Quoiqu’il en soit, depuis 2005 (c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur des amendements apportés aux parties VII et X de la LLO), la Société dit se conformer à l’obligation contenue à l’article 41 de la LLO pour ses activités « hors programmation ». Ainsi, elle soumet au Ministre un plan annuel d’action et un état des réalisations détaillés. On y retrouve des mesures positives prises pour favoriser l’épanouissement et le développement des CLOSM. Il va sans dire que ce plan annuel d’action ne confère aucun droit de consultation au niveau des décisions d’ordre budgétaire et de programmation. Toutefois, la question de l’application de la partie VII de la LLO aux activités de programmation de la Société n’a jamais été tranchée judiciairement.

[36]      Néanmoins, la Société concède que dans ses communications avec le public (excluant les activités de programmation), elle doit se conformer à toute disposition applicable de la partie IV [articles 21 à 33] de la LLO (Communications avec le public et prestation des services). La Société reconnaît également que la partie V (Langue de travail) et la partie VI [articles 39 à 40] (Participation des canadiens d’expression française et d’expression anglaise) s’appliquent à elle. Pour ce qui est de l’obligation mentionnée à l’article 41 et que l’on retrouve à la partie VII (Promotion du français et de l’anglais), celle-ci ne peut viser que les « activités hors programmation » de la Société.

[37]      Au passage, le commissaire s’est penché en 2009 sur la production télévisuelle en situation minoritaire et concluait à ce chapitre [à la page II] que « [l]e gouvernement du Canada pourrait ne pas arriver à remplir ses obligations et ses engagements en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles s’il permet que le système de radiodiffusion canadien diffuse majoritairement des émissions dont la langue ne transmet pas la culture francophone du Canada ». Il avait donc proposé des mesures visant à améliorer la production et la diffusion d’émissions qui reflètent la culture francophone, dont un certain nombre s’adressait au radiodiffuseur public national (Commissariat aux langues officielles, Ombres sur le paysage télévisuel canadien : Place du français sur les ondes et production en contexte minoritaire, Ottawa, janvier 2009).

[38]      Le commissaire était notamment d’avis que la Société devrait faire preuve de plus de transparence afin de répondre pleinement à ses obligations en vertu de la LLO. Ainsi, les rapports de la Société sur l’état des réalisations axé sur les résultats de la mise en œuvre de l’article 41 de la LLO et ses rapports au CRTC devraient comprendre une ventilation des dépenses attribuées aux émissions de langue officielle en milieu minoritaire et inclure le nombre d’heures de programmation. Cela dit, le commissaire ne semblait pas remettre en question le pouvoir de la Société de couper du personnel dans les régions et de réduire le nombre d’heures de production régionale et/ou locale, qu’il s’agisse de la télévision ou de la radio.

[39]      En 2010, le commissaire a donc franchi un pas important en questionnant la légalité du processus décisionnel suivi par la Société pour en arriver aux coupures de 2009.

[40]      Aussi, par son avis de demande modifié, le commissaire recherche de la Cour fédérale diverses déclarations et remèdes en vertu de l’article 77 de la LLO — et l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4; 2002, ch. 8, art. 26] de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [article 1 (mod., idem, art. 14)] (LCF), si nécessaire — à l’effet que la Société est assujettie à la LLO, notamment à la partie VII, et qu’elle a contrevenu à l’article 41 de la LLO en procédant, en juin 2009, à d’importantes compressions budgétaires visant CBEF Windsor, sans consultation préalable et sans analyse d’impact. Le commissaire demande une ordonnance obligeant la Société à revoir sa décision concernant CBEF Windsor et de prendre les moyens nécessaires pour pallier à l’impact négatif qu’a eu cette décision sur la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario.

[41]      Le codemandeur, le docteur Amellal, appuie la demande du commissaire, et à titre de réparation additionnelle, recherche une injonction permanente obligeant la Société à revenir au nombre antérieur d’heures de production locale et régionale, à défaut de reprendre la diffusion des émissions antérieurement diffusées à l’antenne de CBEF Windsor qui ont été supprimées.

[42]      Il incombe maintenant à la Cour fédérale de trancher la question de compétence soulevée de façon préliminaire par la Société.

COMPÉTENCE EXCLUSIVE OU COMPÉTENCE CONCURRENTE

[43]      Les cours de droit commun des provinces ont jusqu’ici refusé d’émettre des injonctions et de faire des déclarations de droit visant une entreprise de radiodiffusion dans les cas où le CRTC a manifestement compétence pour régler le litige et que les droits invoqués ou les violations alléguées concernent exclusivement l’interprétation ou l’application de dispositions de la LR ou de ses règlements d’application (Trieger v. Canadian Broadcasting Corp. (1988), 66 O.R. (2d) 273 (H.C.J.), aux pages 277 et 278; Mahar v. Rogers Cablesystems Ltd., 1995 CanLII 7428, 25 O.R. (3d) 690 (C.S.), aux paragraphes 17, 21, 22, 25, 33 et 34).

[44]      De façon analogue, dans l’affaire Syndicat canadien de la Fonction publique c. Société Radio-Canada, [1991] 2 C.F. 455 (1re inst.), la Cour fédérale a jugé qu’elle n’a pas compétence en vertu des articles 18 et 23 [mod., idem, art. 32] de la LCF pour émettre un bref de prérogative et une injonction visant à obliger la Société à respecter son mandat — on parlait alors du mandat qui lui était conféré par la Loi sur la radiodiffusion, L.R.C. (1985), ch. B-9 (l’ancienne LR) — et à satisfaire aux exigences établies par le CRTC. D’une part, il est reconnu que la Société n’est pas un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) [mod., idem, art. 15] de la LCF, de sorte que l’article 18 de la LCF ne peut s’appliquer. De plus, la Cour a jugé que s’agissant d’un pouvoir qui a fait l’objet d’une « attribution spéciale » en vertu de la LR, l’article 23 de la LCF ne peut non plus s’appliquer.

[45]      Le modèle de « compétence exclusive » suggéré par les décisions plus haut vise donc l’exercice du pouvoir d’injonction dans des affaires civiles ou du pouvoir de surveillance des cours supérieures, incluant la Cour fédérale. Toutefois, un autre modèle de « compétence concurrente » s’est développé de façon parallèle, lorsqu’il y a eu, par ailleurs, attribution de compétence distincte par une autre loi que la LR à un tribunal administratif, voire à la Cour fédérale.

[46]      Ainsi, dans l’affaire Vlug c. Société Radio-Canada, 2000 CanLII 5591, le Tribunal canadien des droits de la personne (T.C.D.P.) a décidé que la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP) forçait la Société à rendre accessible aux personnes sourdes et malentendantes toute la programmation télévisuelle de la chaîne Newsworld et du réseau de langue anglaise, dès que les circonstances le permettent, et ce, bien que le sous-titrage fasse l’objet de conditions de licence ou d’attentes du CRTC (qui établissent plutôt des cibles à atteindre).

[47]      Dans l’affaire Société Radio-Canada c. Canada (commissaire à l’information), 2011 CAF 326 (SRC c. CAI), il s’agissait d’interpréter la portée de l’article 68.1 [édicté par L.C. 2006, ch. 9, art. 159] de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (LAI). Cette dernière disposition exclut les « renseignements qui relèvent de la Société Radio-Canada et qui se rapportent à ses activités de journalisme, de création ou de programmation, à l’exception des renseignements qui ont trait à son administration » (non souligné dans l’original). Faisant valoir que les tribunaux ont reconnu son indépendance journalistique face à toute ingérence gouvernementale, alors que les mots « de journalisme, de création ou de programmation » sont tirés de la LR [à l’article 52] qui consacre son indépendance, la Société s’opposait à tout examen préalable du commissaire à l’information.

[48]      Nonobstant le fait que la LR s’applique aux activités de programmation de la Société, la Cour d’appel fédérale n’a pas exclu la possibilité que la LAI s’applique de façon parallèle, tout en confirmant le pouvoir d’examen du commissaire à l’information [au paragraphe 70 de l’arrêt SRC c. CAI] :

Autant le législateur a-t-il voulu que les renseignements relevant des activités journalistiques, de la programmation et de la création soient exclus de l’application de la Loi, autant a-t-il voulu que ceux qui portent sur l’administration – tels que définis à l’article 3.1 – ne le soient pas. Sujet à ce qui est dit aux paragraphes 73 et 74 ci-après, il appartient à la commissaire de décider dans un premier temps si l’exception s’applique et d’exercer le pouvoir de recommandation que la Loi lui confère.

[49]      Enfin, dans l’affaire Quigley c. Canada (Chambre des communes), 2002 CFPI 645, [2003] 1 C.F. 132, décidée en vertu de la partie X de la LLO, le demandeur était un abonné de Rogers Cable au Nouveau-Brunswick et s’était plaint au commissaire que la Chaîne d’affaires publiques par câble (CPAC) diffusait les débats de la Chambre des communes dans leur version originale seulement. Comme le demandeur ne parlait que l’anglais, il ne pouvait comprendre les parties présentées en français. Rappelons qu’en vertu de l’article 25 de la LLO, il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que, tant au Canada qu’à l’étranger, les services offerts aux publics par des tiers pour leur compte le soient dans les deux langues, dans le cas où elles seraient elles-mêmes obligés de les fournir dans les deux langues. La Cour fédérale a déclaré que la méthode qu’utilisaient la Chambre des communes et son Bureau de régie interne pour assurer la télédiffusion publique des débats parlementaires contrevenait à l’article 25 de la LLO, et leur a ordonné de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cette disposition.

[50]      Compte tenu de la jurisprudence mentionnée plus haut, il faut donc s’abstenir d’appliquer rapidement et mécaniquement le modèle de la compétence exclusive du CRTC, et ce, tout simplement parce que les compressions budgétaires de 2009 ont affecté la programmation de la Société. Voir également : Norton c. VIA Rail Canada, 2009 CF 704 (Norton), au paragraphe 55; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185, au paragraphe 11.

[51]      Aussi, ayant considéré l’ensemble des représentations des parties à la lumière du droit applicable et des preuves au dossier, je suis d’avis qu’il n’y a pas de conflit entre la LLO et la LR et que le tribunal visé à la partie X de la LLO, soit la Cour fédérale (article 76 [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 183] de la LLO), a compétence à première vue pour déterminer l’étendue du paragraphe 41(2) de la LLO et décider s’il y a eu manquement à l’obligation de prendre des mesures positives. Faut-il le rappeler, la LLO reflète un compromis social et politique; elle attribue au commissaire les pouvoirs d’un véritable ombudsman linguistique et elle crée un processus judiciaire qui permet d’obtenir réparation dans les cas prévus au paragraphe 77(1) de la LLO : Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), à la page 386; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, aux pages 790 à 792; Forum des maires de la Péninsule acadienne c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 R.C.F. 276, aux paragraphes 16 et 17; et DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194, aux paragraphes 32 à 35.

[52]      Cela dit, bien que la Cour fédérale ait compétence au sens strict en vertu de l’article 77 de la LLO, selon le modèle de la compétence concurrente, je juge qu’il est préférable que le CRTC se prononce d’abord sur la question de la réduction de la programmation régionale ou locale diffusée à l’antenne de CBEF Windsor, avant de décider s’il y a lieu de rejeter le présent recours ou bien de poursuivre l’étude des questions qui se soulèvent au mérite.

NATURE DU LITIGE ET INTENTION LÉGISLATIVE

[53]      Pour décider lequel des régimes légaux concurrents devrait régir le litige, la Cour doit d’abord analyser la nature du litige afin de déterminer son essence, la question clé étant de savoir si l’essence du litige dans son contexte factuel est expressément ou implicitement visée par un régime légal. Dans un deuxième temps, la Cour doit également déterminer si le législateur voulait que le litige soit régi par la LR ou par la LLO, selon ce qu’indiquent les dispositions légales pertinentes : St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier (Section locale 219), [1986] 1 R.C.S. 704; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360; Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666.

[54]      Quoiqu’en pense aujourd’hui le commissaire, il n’y aurait pas eu 876 plaintes de francophones du Sud-Ouest de l’Ontario si la Société n’avait procédé à aucune réduction du contenu régional et/ou local de la programmation radio de CBEF Windsor. En ce sens, dans la perspective des plaignants, c’est bien l’effet des coupures sur la programmation diffusée à l’antenne de CBEF Windsor qui est en cause, et non le fait que la Société ait tenu ou non des consultations avant de prendre sa décision. Les plaignants ne revendiquent pas un droit de consultation, même si celui-ci pourrait leur être accordé à titre de remède en cas de manquement à la LLO. Cela dit, ils veulent d’abord et avant tout que la programmation de CBEF Windsor renforce l’appartenance des francophones à la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario. Cela ne peut se faire autrement que par un renforcement des attentes actuelles du CRTC en matière de programmation locale et régionale.

[55]      Bien que la LLO soit un code complet en matière de droits linguistiques (Norton, précité, au paragraphe 61), la LR est également un code complet en matière de radiodiffusion. La LR s’applique aux « entreprise[s] de radiodiffusion », ce qui inclut les entreprises de distribution et de programmation, incluant les réseaux (paragraphes 2(1) et 4(3) de la LR). Or, le mot « programmation » n’englobe pas seulement les paroles diffusées sur les ondes, mais vise également toutes les étapes de la collecte d’informations, du montage et de la diffusion des émissions en général (CKOY Ltd. c. Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney, [1979] 1 R.C.S. 2, à la page 13).

[56]      Il faut donner plein effet à la volonté du Parlement que les modalités particulières de fourniture de l’offre de programmation du radiodiffuseur public national, sur l’ensemble du réseau et en région, soient d’abord et avant tout fixées par le CRTC dans le cadre du processus public d’attribution et de renouvellement des licences de la Société. Il va sans dire que les attentes et conditions de licence fixées par le CRTC doivent êtres compatibles avec toute disposition applicable de la LR et de la LLO; ce qui inclut le respect des valeurs et de l’esprit de la LR et de la LLO en matière de promotion de l’égalité des deux langues officielles et d’appui au développement des CLOSM.

[57]      Le Parlement a adopté et modifié au fil du temps la politique canadienne de radiodiffusion énoncée au paragraphe 3(1) de la LR. Les éléments de cette politique ont été minutieusement choisis par le législateur après un débat public précédé d’une profonde réflexion et de vastes consultations, qu’il s’agisse de l’ancienne loi de 1968 (S.C. 1967-68, ch. 25) ou dans la nouvelle loi de 1991. On y retrouve aujourd’hui un ensemble d’objectifs politiques, sociaux, économiques et culturels de nature composite qui sont le reflet de la dualité linguistique et du caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne.

[58]      Il n’y a pas de conflit entre les objectifs de la LLO et ceux de la LR. Dans les deux lois, la volonté générale du Parlement est de favoriser le développement et l’épanouissement des CLOSM, tout en laissant le choix des moyens aux institutions fédérales concernées, d’une part, et aux radiodiffuseurs, incluant le radiodiffuseur public national, d’autre part. On peut en dire tout autant des principes juridiques au niveau de l’application des deux lois. Au niveau de la LLO, l’engagement général du gouvernement fédéral de promouvoir la dualité linguistique est mis en œuvre par l’ensemble des institutions fédérales dans leur domaine d’exercice propre, tandis qu’au niveau de la LR, les objectifs généraux de la politique canadienne de radiodiffusion sont mis en œuvre par l’ensemble des radiodiffuseurs, en tenant compte de leur spécificité propre et de la complémentarité des programmations offertes par l’ensemble du système de radiodiffusion.

[59]      On aurait également tort de penser que la LR se contente d’énumérer des vœux pieux du Parlement. Il y a bien une assise juridique fonctionnelle et une affirmation législative de certains principes juridiques conducteurs, susceptibles d’être interprétés, voire complétés par le CRTC. Par exemple, lorsqu’il est question d’égalité des deux langues officielles, il ne s’agit pas d’une égalité purement « formelle ». Le législateur cherche également à rétablir toute inégalité régionale à travers le système, et ce, en fonction des intérêts spécifiques des deux collectivités de langue officielle. À ce chapitre, il n’est pas question d’obliger le radiodiffuseur public national à fournir un service unique de programmation simultanément diffusé dans les deux langues officielles. Au contraire, on parle plutôt de deux services distincts « de manière à refléter la situation et les besoins particuliers des deux collectivités de langue officielle, y compris ceux des minorités de l’une ou l’autre langue » (non souligné dans l’original) (sous-alinéa 3(1)m)(iv) de la LR, alors que la programmation de la Société devrait également « chercher à être de qualité équivalente en français et en anglais » (non souligné dans l’original) (sous-alinéa 3(1)m)(v) de la LR).

[60]      La preuve documentaire au dossier confirme que l’articulation de la politique canadienne de radiodiffusion est sans cesse en mouvance et tient justement compte de l’égalité des deux langues officielles et de l’importance de favoriser le développement des CLOSM que l’on retrouve dans l’ancienne loi de 1969 sur les langues officielles ([Loi sur les langues officielles], S.R.C. 1970, ch. O-2) ou la nouvelle loi de 1990. Ayant lu l’ensemble de la vaste documentation reproduite dans le recueil conjoint de documentation supplémentaire, sans limiter les pouvoirs d’enquête du commissaire, il m’apparaît que le vœu du Parlement est que celui-ci rende publique toute doléance émanant de citoyens ou de groupes de citoyens, incluant les membres de CLOSM, qu’il s’agisse des rapports et des communications de la Société avec le public, au siège social et dans les régions, ou qu’il s’agisse du contenu même de sa programmation nationale et régionale.

[61]      D’un autre côté, le mandat et la mission de la Société du point de vue de la programmation offerte et de la distribution de ses services au Canada sont encadrés législativement, d’une part par l’article 3 de la LR, qui traite de la politique canadienne de radiodiffusion et du rôle du radiodiffuseur national (alinéas 3(1)l) et m)), et d’autre part, par les articles 35 à 71 [la partie III] de la LR, qui ont directement trait aux modes de fonctionnement et à l’imputabilité de la Société. En effet, le radiodiffuseur public national n’est pas l’instrument de promotion du gouvernement et de ses ministres, mais de la politique canadienne de radiodiffusion, celle-là même voulue par le Parlement qui a confié la surveillance du système au CRTC.

[62]      Soyons clairs : le gouvernement ne peut s’ingérer dans les choix de programmation de la Société (paragraphes 4(1), 35(2), 46(5) et 52(2) de la LR). D’un autre côté, la liberté d’expression et l’indépendance journalistique de la Société ne constituent pas une licence générale lui permettant d’éviter de mettre en œuvre les aspects linguistiques de la politique canadienne de radiodiffusion, d’ignorer les régions et les CLOSM, et de diminuer la contribution des artistes et autres talents locaux dans sa programmation nationale et régionale. Aussi, dans la programmation que la Société offre à la population canadienne, il doit y avoir une certaine part d’émissions produites en région, où les auditeurs et les téléspectateurs pourront se reconnaître. Ceci est encore plus vrai dans le cas des CLOSM qui sont menacées d’assimilation et qui comptent sur la radio et la télévision publiques pour maintenir leur langue et leur identité culturelle.

[63]      D’autre part, le radiodiffuseur public national est responsable en dernier ressort devant le Parlement, par l’intermédiaire du ministre, de l’exercice de ses activités (article 40 de la LR). Au passage, c’est également le ministre, qui en consultation avec les autres ministres fédéraux, suscite et encourage la coordination de la mise en œuvre par les institutions fédérales de l’engagement que l’on retrouve au paragraphe 41(1) de la LLO (article 42 [mod. par L.C. 1995, ch. 11, art. 27] de la LLO). D’ailleurs, Patrimoine canadien veille à ce que les secteurs canadiens de la radiodiffusion et des communications numériques participent à la réalisation des objectifs sociaux, culturels et économiques du Canada qui sont énoncés dans la LR et favorisent la création et la diffusion de contenu canadien sur de multiples plateformes.

[64]      Puisque la politique canadienne de radiodiffusion n’a pas été abrogée ou modifiée par le Parlement, celle-ci doit être intégralement respectée par le gouvernement fédéral, non seulement dans sa lettre mais dans son esprit également. Il incombe particulièrement au gouvernement, au ministre et à tout autre ministre responsable de s’assurer que la Société reçoive annuellement un financement public adéquat et ait la capacité financière de fournir aux Canadiens une programmation qui respecte les valeurs, les objectifs et les attentes légitimes découlant de la LR, qui reprend elle-même certains aspects clés de la LLO.

[65]      C’est notamment le désir du Parlement qu’une gamme de services de radiodiffusion en français et en anglais soit progressivement offerte à tous les Canadiens, au fur et à mesure de la disponibilité des moyens (alinéa 3(1)k) de la LR). S’agissant de la programmation de la Société, le mandat du radiodiffuseur public comprend explicitement la promotion des deux langues officielles et le maintien de l’identité des minorités francophones et anglophones au sein de la fédération canadienne, en plus de contribuer au partage d’une conscience et d’une identité nationales (sous-alinéas 3(1)m)(iv), (v) et (vi) de la LR). C’est la loi, tous et toutes doivent la respecter, incluant Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province (paragraphe 4(1) de la LR).

[66]      À ce chapitre, il est intéressant de noter que la LR est plus contraignante que la LLO au niveau de l’accessibilité des services de programmation du radiodiffuseur national. Tandis que dans la LLO, l’offre de services des institutions fédérales dans l’une ou l’autre des langues officielles est subordonnée à la nature du bureau (e.g. siège ou administration centrale) ou au critère de la « demande importante » en dehors de la région de la capitale nationale, la LR utilise plutôt le critère de la « disponibilité des moyens » (sous-alinéa 3(1)m)(vii) de la LR). Au demeurant, la Société doit tenir compte, dans ses projets d’extension de services de radiodiffusion, des principes et des objectifs de la LLO (paragraphe 46(4) de la LR). Le législateur ne pouvait s’exprimer plus clairement.

[67]      L’obligation de prendre des « mesures positives » inscrite au paragraphe 41(2) de la LLO doit donc être interprétée et appliquée à la lumière des engagements au niveau de la programmation déjà pris par la Société en vertu de la LR ou que le CRTC peut prescrire sous forme des conditions de licence et d’attentes. On voit mal comment le commissaire ou la Cour fédérale peuvent exiger, par exemple, que la programmation radio de la Société soit offerte dans une région donnée, simplement parce qu’il y a une CLOSM. En effet, pour ce faire la Société doit détenir une licence du CRTC, ce qui suppose qu’il y ait une fréquence disponible et que celle-ci ait été allouée à la Société. De plus, il faut que l’antenne et les installations de la station affiliée diffusant le signal aient été approuvées par Industrie Canada en vertu des dispositions de la Loi sur la radiocommunication, L.R.C. (1985), ch. R-2, et de ses règlements d’application.

[68]      Le CRTC possède de vastes pouvoirs en vertu des articles 9 [mod. par L.C. 1994, ch. 26, art. 10(F)] à 13 de la LR, et en vertu de l’article 17 de la LR, il « connaît de toute question de droit ou de fait dans les affaires relevant de sa compétence ». Dans l’affaire Genex Communications c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 283, [2006] 2 R.C.F. 199, aux paragraphes 72 et 73, la Cour d’appel fédérale a rappelé l’étendue de ces pouvoirs :

   Cet organisme autonome, le CRTC, s’est vu imposer par l’article 15 l’obligation de réglementer et de surveiller tous les aspects du système de la radiodiffusion canadienne. C’est ainsi que, pour l’exécution de son devoir de surveillance et de réglementation, il obtint du Parlement le pouvoir exclusif d’émettre des licences, d’établir des règlements concernant les normes des émissions et la publicité, de définir les catégories de personnes pouvant se voir attribuer un permis de radiodiffusion et de prescrire les conditions de l’exploitation des stations de radiodiffusion en tant qu’éléments d’un réseau ainsi que les conditions de radiodiffusion des émissions de réseaux […]

   La politique de radiodiffusion édictée par la Loi s’adressait aussi à un certain nombre de questions d’intérêt public dont celles de la langue de diffusion, la nécessité d’un service public national de radiodiffusion, la diversité et la qualité de la programmation, la reconnaissance et l’encadrement d’entreprises de radiodiffusion, pour ne mentionner que quelques-unes de ces questions.

[69]      Par le passé, le CRTC a démontré qu’il était prêt à rendre toute ordonnance utile pour promouvoir l’une ou l’autre des langues officielles et favoriser le développement de toute CLOSM. C’est ce qu’il a fait, par exemple, lorsqu’il a forcé en 1999 les entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) à distribuer à l’échelle nationale le service de télévision de langue française du Groupe TVA inc. (TVA), répondant « a une attente de longue date des collectivités francophones hors Québec » et étant par ailleurs convaincu que « la distribution de ce service de télévision à l’échelle nationale contribuera à promouvoir la dualité linguistique et la diversité culturelle du Canada » (Avis public CRTC 1999-27, Ordonnance de distribution du service de télévision de langue française du Groupe TVA inc., 12 février 1999).

[70]      Aussi, loin de vouloir diminuer le rôle d’ombudsman du commissaire — celui-ci devant continuer à recevoir des plaintes et faire toute enquête qu’il estime utile en vertu de la LLO —, je considère néanmoins que la compétence générale que le tribunal désigné en vertu de la partie X de la LLO, la Cour fédérale, possède pour accorder une « réparation » en cas de manquement à la LLO ne peut être que concurrente à la compétence spécialisée en matière de radiodiffusion que possède le CRTC en vertu de la partie II [articles 5 à 34] de la LR.

CARACTÈRE APPROPRIÉ DU CADRE RÉGLEMENTAIRE ACTUEL

[71]      Beaucoup d’efforts ont été consacrés de part et d’autre pour me convaincre comme juge du fond de poursuivre l’audition au mérite du présent recours judiciaire, ou de le rejeter sommairement, au motif que la Cour fédérale pouvait accorder, ou au contraire ne pouvait pas accorder une réparation appropriée, en supposant que les faits allégués par les demandeurs soient prouvés.

[72]      À ce stade, tel qu’il est explicité dans les paragraphes qui suivent, je suis d’avis qu’il peut être statué de façon appropriée sur le fond des plaintes portées devant le commissaire dans une autre instance, ici le CRTC. Rappelons que selon le paragraphe 77(5) de la LLO, « [l]e présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d’action » (non souligné dans l’original). Or, il est manifeste que les demandeurs n’ont pas renoncé à leur droit d’intervenir devant le CRTC.

[73]      D’ailleurs dans l’intervention qu’il a déposée le 8 juillet 2011, le docteur Amellal demande au CRTC « de rétablir les émissions produites localement à CBEF 540, selon la programmation qui existait dans le cadre de la décision CRTC 2001-529 », alléguant à ce chapitre :

   Les décisions qu’ont prises la SRC et son plan pour l’avenir de la station CBEF contribuent à l’assimilation des francophones dans le Sud-Ouest de 1’Ontario. La SRC n’a pas pris des mesures pour mettre en œuvre son engagement envers la minorité francophone du Sud-Ouest de l’Ontario pour favoriser son épanouissement et appuyer son développement.

   La SRC n’a pas consulté la communauté du Sud-Ouest de 1’Ontario avant de faire des compressions majeures à la station CBEF 540 et elle a omis d’évaluer l’impact négatif que ces dernières pouvaient avoir sur la communauté. Ces manques ont nui à l’épanouissement de notre communauté minoritaire.

   La SRC ne respecte pas la Loi sur la radiodiffusion, ne respecte pas la licence actuelle émise par le CRTC et a pris des décisions écrasantes pour la population minoritaire de langue officielle.

   En tant qu’institution qui réglemente et surveille le respect de la Loi sur la radiodiffusion et qui dit tenir compte de la réalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire, nous croyons que le CRTC doit intervenir dans cette situation.

[74]      À mon avis, le processus de renouvellement des licences de la Société constitue le forum privilégié par le législateur pour débattre de la réduction de la programmation régionale ou locale de langue française. Je dois, pour le moment, présumer que le CRTC portera une attention particulière aux reproches formulés par les demandeurs contre la Société. Cela fait partie de son mandat de régulateur du système de radiodiffusion.

[75]      De par sa nature, la radio est plus réglementée que la télévision, la première étant encore largement diffusée sur ondes hertziennes. En effet, les fréquences constituent un bien public collectif dont l’attribution à un radiodiffuseur suppose un processus d’examen public au terme duquel le CRTC délivrera une licence d’exploitation au titulaire qui pourra le mieux desservir la population, compte tenu des politiques en vigueur, de l’intérêt public et des directives du gouvernement.

[76]      Sous-réserve des instructions du gouverneur en conseil — notamment quant aux canaux ou aux fréquences à réserver à l’usage de la Société ou à toute fin particulière (paragraphe 26(1) de la LR) — le processus d’attribution d’une fréquence est concurrentiel, de sorte que la Société peut même présenter de nouveaux projets de chaîne (Métromédia CMR Montréal inc., décision CRTC 99-151, 21 juin 1999; Société Radio-Canada c. Métromédia Cmr Montréal Inc., 1999 CanLII 8947 (C.A.F.)).

[77]      Depuis 1970, la Société opère une entreprise de programmation de radio AM dans la région du Sud-Ouest de l’Ontario sur la fréquence 540 kHz (AM) et connue sous le nom de CBEF Windsor. Grâce à son réémetteur situé à Leamington, CBEF-1 FM, celle-ci diffuse la même programmation sur la fréquence 103,1 MHz (FM); ce qui assure une meilleure diffusion de la Première Chaîne dans cette région du pays desservie presque exclusivement par des chaînes anglophones des deux côtés de la frontière.

[78]      D’autre part, parce que CBEF est la seule station francophone de la région Windsor et qu’un grand nombre de francophones de la région comprennent l’anglais, l’absence d’une station FM de la Société de langue française les encourageait plutôt à syntoniser des stations de langue anglaise. Aussi, en 2008, le CRTC a également autorisé la Société à exploiter un réémetteur FM imbriqué à Windsor, exploité sur la fréquence 102,3 MHz, couvrant à peu près le même rayon que CBEF Windsor.

[79]      Oublions pour le moment que la programmation réseau de la Première Chaîne, qui est produite principalement à Montréal, soit diffusée à travers le pays. Une chose est claire : tous les intervenants s’entendent pour dire qu’il ne suffit pas au radiodiffuseur public, pour remplir son mandat, de diffuser en français à l’échelle du pays. D’une part, sa programmation doit être principalement canadienne. Au demeurant, celle-ci doit également refléter les régions et leurs habitants, voire être produite localement ou régionalement.

[80]      D’ailleurs, en 1993, dans sa demande de renouvellement de licence de la station CBEF Windsor, la Société reconnaissait elle-même que « [l]a radio française doit demeurer une radio régionale », alors que « dans plusieurs régions du pays, seule Radio-Canada est en mesure d’offrir une programmation régionale en français ». Affirmant alors que « [c]’est donc d’abord par le biais d’une programmation régionale que la radio française devra préserver la fidélité d’un auditoire à qui elle pourra ensuite offrir un choix d’émissions nettement distinctives quant à leur contenu et à leur facture », la Société disait être « convaincue d’occuper un créneau unique dans le paysage radiophonique de Windsor et de ses environs ».

[81]      Dans la décision du CRTC 2001-529 [Société Radio-Canada], le CRTC a clairement indiqué qu’il incombe à la Société de s’acquitter de sa responsabilité de diffuser de la programmation locale et régionale sur les ondes de chacune de ses stations affiliées [au paragraphe 3] :

En mars 1999, le Conseil a tenu une série de consultations publiques. Au cours de ces consultations, plusieurs représentants de francophones à l’extérieur du Québec ont déploré le manque de couverture de leur communauté dans les émissions diffusées par la SRC. Comme le Conseil l’a souligné au moment du renouvellement des licences des réseaux de la SRC en janvier 2000, « compte tenu de la diversité culturelle et sociale canadienne et des besoins et intérêts des auditoires tant francophones qu’anglophones, la SRC doit mettre l’accent sur une programmation qui reflète l’ensemble des collectivités du pays. Cette obligation est inscrite au cour même de son mandat. Pour que la pluralité des voix et des visages des Canadiens puisse s’exprimer sur les ondes du service public, celui-ci doit être bien ancré dans toutes les régions et miser sur les talents qui en sont issus ». Pour le Conseil, il demeure particulièrement important que la SRC s’acquitte de sa responsabilité de diffuser de la programmation régionale sur les ondes de chacune de ses stations. Il s’attend donc que la SRC maintienne les niveaux actuels de programmation régionale et sous-régionale de ses stations et il encourage fortement la titulaire à les dépasser au cours de la nouvelle période d’application des licences. [Non souligné dans l’original.]

[82]      Du point de vue réglementaire, il faut donc distinguer entre les émissions dites « régionales », pouvant être produites à l’extérieur de la station affiliée (mais dans la même province), et les émissions dites « locales » (sous-régionales), produites à la station affiliée elle-même. Ainsi, en 2001, lors du dernier renouvellement des licences de la Société, le CRTC a indiqué qu’il s’attendait à ce que la Société maintienne les niveaux existants de programmation régionale et locale (sous-régionale) des stations affiliées, tout en l’encourageant fortement à les dépasser au cours de la nouvelle période d’application des licences — on parlait alors du 1er septembre 2001 au 31 août 2007.

[83]      Or, les compressions des dernières années ont eu un impact substantiel au niveau des heures de programmation produite par la station CBEF à Windsor, à telle enseigne qu’on peut se demander si elle remplit toujours son rôle de station locale francophone d’information sur la bande AM (incidemment rediffusée sur la bande FM) dans l’environnement radiophonique de Windsor. En juin 2010, dans son rapport d’enquête final, le commissaire notait à la page 22 :

La perte de la quasi-totalité du contenu local des émissions constitue en définitive la perte du poste de radio qui était vu et considéré comme faisant partie des infrastructures servant de support institutionnel à la communauté minoritaire de langue officiel du sud-ouest de l’Ontario. Sa disparition nuit à la vitalité et au développement de la communauté minoritaire. En raison du désintéressement de la population francophone au nouveau format, en raison de la perte du seul outil dans lequel la communauté se voyait refléter au quotidien, celle-ci se tourne maintenant vers des postes de radio d’expression anglaise, ce qui va vraisemblablement nuire à sa construction identitaire.

[84]      Pourtant, dans des jours moins sombres — on parle ici de la situation avant 1996 — CBEF Windsor comptait quelques 25 employés réguliers et dont une quinzaine étaient affectés à la programmation et 7 travaillaient aux nouvelles et à l’information. Cela dit, suite aux compressions budgétaires de 2009, il semble que la station affiliée de Toronto, CJBC, a profité d’un accroissement de production locale et/ou régionale au détriment de la station CBEF Windsor. En effet, CJBC diffusait en 2001 approximativement 27,5 heures par semaine d’émissions produites à Toronto, alors que pour la période 2010-2011, on parlait de 32 heures par semaine d’émissions produites à Toronto.

[85]      Plus de dix ans ont passé depuis le dernier renouvellement des licences de la Société. Il est donc grand temps que la Société explique aux Canadiens ses choix de programmation et sa vision pour l’avenir dans un cadre où tous les intéressées auront la possibilité de se faire entendre. En l’espèce, je crois que le meilleur forum, c’est bien le CRTC, qui fait office de régulateur et législateur (par délégation) dans le domaine de la radiodiffusion. Vraisemblablement, les intervenants et d’autres intéressés insisteront auprès du CRTC pour que la Société soit maintenant contrainte, par condition de licence, à diffuser et produire en région un seuil minimum d’émissions locales et/ou régionales. On peut penser que si aucun compromis n’est fait par la Société, la bataille devant le CRTC pour le retour des niveaux antérieurs de programmation locale à Windsor s’annonce très âpre. Peut-être faut-il même parler d’une « lutte à finir » entre la Société, le commissaire et la population francophone du Sud-Ouest de l’Ontario, ce qui n’est pas souhaitable dans un contexte où l’« intérêt public » doit primer.

[86]      Si l’on se fie à la documentation actuellement au dossier public, la Société prévoit qu’au cours de la prochaine période de licence, les stations « principales » diffuseront 20 heures et plus de production locale par semaine, tandis que les stations « périphériques » diffuseront de 5 à 20 heures de production locale par semaine. La Société veut maintenant faire avaliser par le CRTC, sous forme d’attentes, les changements organisationnels et opérationnels survenus au niveau de la production locale et/ou régionale. En Ontario, selon les plans annoncés en 2011 par la Société, les stations affiliées d’Ottawa, de Toronto et de Sudbury, qui diffusent la Première Chaîne, deviendraient toutes trois des stations « principales », tandis que la station de Windsor, qui diffuse également la Première Chaîne, deviendrait une station « périphérique ». Dans le cas de la station CBEF Windsor, on parle donc de seulement 5 heures de production locale par semaine, à moins, bien entendu, que la Société ne révise ses plans ou qu’elle soit forcée de le faire.

[87]      Les compressions de 2009 ont déjà eu lieu il y a trois ans, et je vois mal comment la Cour fédérale peut légalement forcer aujourd’hui la reprise de la diffusion d’émissions supprimées ou prescrire un seuil minimum d’heures de production locale ou régionale. Cette faculté appartient plutôt au régulateur du système canadien de radiodiffusion, le CRTC, qui a une vue d’ensemble sur les activités de radiodiffusion de la Société et ses plans futurs en matière de programmation produite dans les grands centres et en région. On ne m’a pas ici démontré qu’il ne pourra être statué de façon appropriée sur le fond des plaintes ayant été portées en 2009 au commissaire. À mon avis, le fait que le CRTC considère d’autres facteurs, en plus de la question linguistique, n’est pas suffisant en soit pour que j’accepte, à ce stade, d’entendre le présent recours judiciaire. L’économie des ressources judiciaires milite fortement que la chance soit laissée au coureur.

[88]      À ce titre, le CRTC a comme pratique d’intégrer les objectifs de l’article 41 de la LLO dans la réalisation de ses activités. Il tient compte de ses obligations en vertu de cette disposition en prenant soin de considérer les besoins des CLOSM dans la tenue d’instances, l’élaboration de politiques et la prise de décisions, en sus des autres facteurs dont il doit tenir compte. De plus, en juillet 2009, le CRTC a retenu la proposition du commissaire de procéder à une analyse de l’incidence de ses décisions sur les CLOSM dans le cadre de son processus décisionnel. Le CRTC a ainsi annoncé qu’il entendait systématiser cette pratique afin de démontrer qu’il respecte ses obligations et d’inclure dans ses décisions la démonstration que l’ensemble des facteurs ont été considérés. De la même manière, étant donné l’importance de la programmation des services radiophoniques de la Société dans les communautés et au sein du système de radiodiffusion, le CRTC entend examiner les contributions de la Société au reflet des communautés lors du renouvellement de ses licences (Rapport à la gouverneure en conseil sur les services de radiodiffusion de langues française et anglaise dans les communautés francophones et anglophones en situation minoritaire au Canada).

[89]      Il est vrai que le paragraphe 77(4) de la LLO permet au tribunal désigné (la Cour fédérale) « [d’] accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances », mais encore faut-il que l’exercice de ce dernier pouvoir n’entre pas directement en conflit avec les pouvoirs du CRTC. Or, il est déclaré par le Parlement dans la LR que la meilleure façon d’atteindre les objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion consiste à confier la réglementation et la surveillance du système canadien de radiodiffusion à un seul organisme public autonome, en l’occurrence le CRTC (paragraphe 3(2) de la LR).

[90]      Par conséquent, même si la Cour fédérale a compétence au sens strict en vertu des articles 76 à 81 [la partie X] de la LLO pour entendre le présent recours judiciaire, je suis d’avis que le CRTC est mieux placé que la Cour fédérale pour évaluer l’impact des compressions budgétaires au niveau de la programmation de la Société, incluant à l’antenne de la station CBEF Windsor. Le cas échéant, le CRTC pourra renforcer les attentes actuelles, voire proposer des nouvelles conditions de licence, après consultation avec la Société, aux fins de favoriser l’épanouissement des CLOSM et d’appuyer leur développement, et ce, sans préjudice au droit de la Société de soumettre ultérieurement à l’examen du ministre toute condition de licence, lorsqu’elle a la conviction que cette dernière la gênerait outre mesure dans la fourniture de sa programmation (article 23 de la LR).

CONCLUSIONS ET ORDONNANCE DE SUSPENSION

[91]      Si elle a raison sur la question de compétence, la Société m’invite, à titre de juge du fond, à ne pas entendre l’affaire au mérite, à prononcer certaines déclarations de droit, à rejeter sommairement le présent recours judiciaire et à rendre toute autre ordonnance que la Cour pourra juger opportune et juste.

[92]      En l’espèce, rejetant le modèle de compétence exclusive proposé par la Société, selon le modèle de compétence concurrente retenu par la Cour, il m’apparaît, à ce stade, que le CRTC est mieux placé que la Cour fédérale pour trancher le fond du litige et accorder aux demandeurs une réparation appropriée, le cas échéant.

[93]      Je note cependant que le CRTC n’a pas voulu enquêter jusqu’ici sur le bien fondé des nombreuses plaintes qui ont été portées à son attention depuis les compressions budgétaires de 2009 et qui ont été versées au dossier public de la demande de renouvellement des licences de la Société. Je comprends par ailleurs que le CRTC veut avoir une vue d’ensemble avant de disposer des récriminations particulières des CLOSM au niveau de la programmation régionale et/ou locale, incluant la programmation diffusée par CBEF Windsor.

[94]      Je note également qu’en juillet 2009, le CRTC a retenu la proposition du commissaire de procéder à une analyse de l’incidence de ses décisions sur les CLOSM dans le cadre de son processus décisionnel. Le CRTC a ainsi annoncé qu’il entendait systématiser cette pratique afin de démontrer qu’il respecte ses obligations et d’inclure dans ses décisions la démonstration que l’ensemble des facteurs ont été considérés.

[95]      À mon avis, les demandeurs ont donc une expectative légitime d’être entendus et de faire valoir leur point de vue dans le cadre du processus amorcé de renouvellement des licences de la Société. Les demandeurs ont également une expectative légitime que le CRTC procédera à une analyse de l’incidence sur la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario de sa décision éventuelle de renouveler la licence de l’entreprise de programmation de radio exploitée par la station affiliée CBEF Windsor. On peut présumer à ce stade que le CRTC portera une attention particulière aux constatations faites par le commissaire dans son rapport d’enquête final de juin 2010 concernant l’impact négatif des compressions budgétaires de 2009 sur le développement de la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario.

[96]      Certains aspects de la demande de renouvellement des licences de la Société sont totalement inédits, comme ses nouvelles demandes en vue de modifier les licences de Radio Two, Espace Musique et leurs stations affiliées afin de permettre la diffusion de publicité nationale. Le 18 mai 2012, le CRTC demandait à la Société de déposer une mise à jour de toutes les demandes au plus tard le 16 juillet 2012, après quoi l’avis de consultation annonçant formellement l’audience et invitant les parties intéressées à déposer de nouvelles interventions devrait être publié (lettre de John Traversy, secrétaire général du CRTC, adressée à Hubert Lacroix, Président-directeur général de la Société, 18 mai 2012, et versée au dossier public du CRTC).

[97]      Toutefois, à ce jour, le CRTC n’a pas encore annoncé si une audience publique — excluant celle qui débutera à Gatineau (Québec) à partir du 19 novembre 2012 pour entendre la demande de renouvellement des licences de la Société — sera par la suite tenue à Windsor, ni a-t-il annoncé d’autres modalités particulières relativement à l’audition des intervenants, incluant le commissaire, le docteur Amellal et les membres de la CLOSM du Sud-Ouest de l’Ontario.

[98]      On ne peut à ce stade prédire le résultat final, ni quels arguments seront apportés par la Société en réponse aux interventions des demandeurs et des autres intéressés — la Société a d’ailleurs jusqu’au 16 juillet 2012 pour mettre à jour ses demandes. Un flou perdure encore au sujet de la capacité financière de la Société à réaliser sur une période réduite de licence (cinq ans plutôt que sept) toutes ses promesses de réalisation et ses engagements, notamment à l’égard des régions et des CLOSM, si elle n’obtient pas tout le financement public escompté ou si on ne lui permet pas de faire de la publicité nationale dans certains cas (Radio Two, Espace Musique).

[99]      Compte tenu du climat d’incertitude qui règne actuellement et du souhait de la Cour d’éviter des frais supplémentaires ou inutiles aux parties en les forçant à poursuivre des procédures judiciaires longues et coûteuses dont le résultat final sera toujours incertain, et plutôt que de rejeter aujourd’hui sommairement le présent recours judiciaire, dans l’exercice de ma discrétion judiciaire, il m’apparaît plus juste et équitable d’ordonner la suspension des procédures dans ce dossier, tout en préservant les droits des parties.

[100]   Comme le soulignait Mme la juge Abella de la Cour suprême du Canada (qui parlait également aux noms des juges LeBel, Deschamps, Charron et Rothstein) dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 R.C.S. 422 (Figliola), au paragraphe 1 :

   Quiconque est partie à un litige souhaite que les questions juridiques en cause soient tranchées le plus équitablement et rapidement possible par un décideur faisant autorité et, par souci d’équité, veut l’assurance que la décision rendue sera définitive et exécutoire, exception faite du droit d’en demander le contrôle judiciaire ou d’interjeter appel. Personne ne s’attend à ce que les mêmes questions soient réexaminées devant un autre forum à la demande d’une partie déboutée cherchant à obtenir un résultat différent. Il y a cependant des cas où la justice impose de reprendre le litige. [Non souligné dans l’original.]

[101]   Rappelons simplement que les décisions et ordonnances finales du CRTC sont susceptibles d’appel, sur une question de droit ou de compétence, devant la Cour d’appel fédérale — c’est-à-dire sur permission (paragraphe 31(2) de la LR), de sorte que la « justesse » de la décision que rendra éventuellement le CRTC quant au fond « ne saurait servir d’appât pour d’autres tribunaux administratifs exerçant une compétence concurrente » (Figliola, précité, au paragraphe 38).

[102]   Bien que la Cour fédérale ne soit pas un « tribunal administratif », c’est néanmoins le « tribunal » désigné par le Parlement pour entendre une plainte en vertu de la partie X de la LLO. Or, aucune décision n’a encore été rendue par le CRTC. Prudence oblige, il est donc préférable de réserver compétence dans l’intérim.

[103]   Aussi, l’intérêt de la justice exige ici qu’une ordonnance de suspension des procédures soit rendue par la Cour en vertu du paragraphe 50(1) [mod. par L.C. 2002, ch. 8, art. 46] de la LCF, le temps que le CRTC se prononce, dans le cadre du processus de renouvellement des licences de la Société, sur toute plainte ou intervention relativement à la réduction des heures de programmation locale et/ou régionale diffusée à l’antenne de CBEF Windsor.

[104]   La poursuite de tout interrogatoire déjà fixé et l’audition au mérite prévue à partir du 15 octobre 2012 seront donc ajournées sine die. Après que le CRTC aura rendu sa décision, toute partie pourra demander à la Cour de prolonger ou de mettre fin à la suspension des procédures, de reprendre l’étude du dossier ou de rejeter le présent recours, compte tenu des lois en vigueur et de tout principe de droit applicable en l’espèce.

[105]   Le cas échéant, la Cour pourra alors vérifier si la question tranchée par le CRTC est essentiellement la même que celle qui est soulevée dans le présent recours judiciaire et si le processus suivi par le CRTC (qu’il ressemble ou non à la procédure du tribunal désigné en vertu de l’article 76 de la LLO) a permis aux demandeurs de présenter leur cause et de faire valoir leurs arguments (Figliola, précité, au paragraphe 37).

[106]   Dans l’intervalle, le juge soussigné réserve compétence pour émettre toute autre directive ou rendre toute autre ordonnance, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, dans le cas de tout nouveau développement.

[107]   Enfin, il n’est pas opportun d’accorder des dépens à l’une ou l’autre des parties.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1. Les procédures dans le présent dossier sont suspendues aux fins de permettre au CRTC de se prononcer dans le cadre des demandes de renouvellement de licences de la Société, sur toute plainte ou intervention des demandeurs relativement à la réduction des heures de programmation locale ou régionale diffusée à l’antenne de CBEF Windsor;

2. La poursuite de tout interrogatoire déjà fixé et l’audition au mérite prévue à partir du 15 octobre 2012 sont ajournées sine die;

3. Après que le CRTC aura rendu sa décision à l’égard des demandes de renouvellement de licences de la Société, toute partie aux présentes pourra, par requête, demander à la Cour de prolonger ou de mettre fin à la suspension des procédures, de reprendre l’étude du dossier ou de rejeter le présent recours, compte tenu des lois en vigueur et de tout principe de droit applicable en l’espèce;

4. Dans l’intervalle, le juge soussigné réserve compétence pour émettre toute autre directive ou rendre toute autre ordonnance, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie, dans le cas de tout nouveau développement; et

5. Le tout sans dépens.

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