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IMM-8716-12

2012 CF 1100

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (demandeur)

c.

Alfred Berisha (aussi appelé Alfred Cukali) (défendeur)

Répertorié : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Berisha

Cour fédérale, juge Zinn—Toronto, 14 septembre; Ottawa, 20 septembre 2012.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Détention et mise en liberté — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) ordonnant la mise en liberté du défendeur — Le défendeur s’est vu refuser le statut de réfugié et a été déclaré interdit de territoire — Les contrôles des motifs de la détention ont donné lieu au maintien de la détention en raison du risque de fuite — Bien que la Commission ait entériné les contrôles des motifs de la détention antérieurs, elle a ordonné la mise en liberté du défendeur à la condition qu’il y ait des cautions et que le défendeur fasse l’objet d’une surveillance électronique — Il s’agissait de déterminer si la Commission a dûment pris en compte les critères énoncés à l’art. 47(2)b) ou à l’art. 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et si la condition liée à la surveillance électronique était déraisonnable — L’application de l’art. 58(3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’art. 47(2) du Règlement démontre une absence de justification et d’intelligibilité — La Commission n’a pas expliqué comment les cautions veilleraient à ce que les conditions soient respectées si le défendeur faisait l’objet d’une surveillance électronique — Outre la conjointe de fait alléguée du défendeur, aucune caution n’avait l’obligation d’être avec le défendeur à quelque moment que ce soit — Elles avaient uniquement le droit d’être avisées du non-respect des conditions; cependant, la Commission s’attendait à ce qu’elles réagissent pour empêcher le défendeur de prendre la fuite — La condition de mise en liberté concernant la surveillance électronique était déraisonnable — Un examen de la vraisemblance que le défendeur sera motivé par la surveillance électronique à respecter les conditions n’a pas été effectué — Il est essentiel que plusieurs conditions soient intégrées dans le protocole de surveillance électronique — Demande accueillie.

Il s’agissait d'une demande de contrôle judiciaire d’une décision en vertu de laquelle un commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a ordonné la mise en liberté du défendeur d’un centre de détention de l’immigration.

Le défendeur, qui prétendait être un citoyen de l’ancienne Yougoslavie, est entré au Canada en utilisant un passeport obtenu illégalement. Sa demande d’asile a été rejetée en raison de nombreuses réserves quant à sa crédibilité et il a été par la suite déclaré interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité. Le défendeur a fait défaut de se présenter à un centre de détention et a évité tout contact avec les responsables de l’immigration, mais a été arrêté plus tard par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Une série de contrôles des motifs de la détention a suivi, comme le prescrit l’article 57 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, donnant ainsi lieu au maintien de la détention du défendeur au motif qu’il n’était pas digne de foi et qu’il présentait un important risque de fuite. Bien que le commissaire ait été d’accord avec les contrôles des motifs de détention antérieurs, il a ordonné la mise en liberté du défendeur sous réserve de plusieurs conditions, y compris la nécessité que des personnes se portent caution, l’installation sur le défendeur, avant sa mise en liberté, d’un dispositif de surveillance électronique, et la nécessité pour lui d’être assujetti à la surveillance électronique en tout temps.

Il s’agissait principalement de savoir si le commissaire a dûment pris en compte les critères énoncés à l’article 248 ou à l’alinéa 47(2)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et si l’ordonnance prévoyant la mise en liberté du défendeur conditionnellement à la surveillance électronique était déraisonnable.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L'application par le commissaire du paragraphe 58(3) de la Loi et du paragraphe 47(2) du Règlement à la preuve dont il disposait n’était pas justifiée et intelligible. Le commissaire n’a pas expliqué pourquoi il semblait convaincu que les cautions proposées du défendeur seraient capables de faire en sorte que les conditions soient respectées si le défendeur faisait l’objet d’une surveillance électronique. Le rôle que le commissaire fait jouer aux cautions ne consistait donc pas à être capables de veiller au respect de toutes les conditions de mise en liberté, mais à être capables de veiller au respect de se présenter à son renvoi, en tenant pour acquis que les cautions ou l’ASFC réagiront et trouveront le défendeur après qu’il aura violé ses conditions. Le commissaire n’a pas traité de la façon dont les cautions auraient trouvé le défendeur si ce dernier enlevait l’appareil de surveillance électronique. Outre la conjointe de fait alléguée du défendeur, aucune caution n’avait l’obligation d’être avec le défendeur à quelque moment que ce soit. Elles avaient uniquement le droit d’être avisées du non-respect des conditions et le commissaire s’attendait à ce qu’elles réagissent pour empêcher le défendeur de prendre la fuite.

La condition de mise en liberté concernant la surveillance électronique était déraisonnable. Une solution de rechange raisonnable à la détention doit être examinée en ayant à l’avant-plan les circonstances précises de l’intéressé, et il doit s’agir d’une solution de rechange faisant en sorte que la personne se présentera vraisemblablement pour son renvoi. Le simple examen de la technologie de la surveillance électronique ne suffit pas. S’impose également un examen sérieux de la vraisemblance qu’une personne détenue et reconnue comme présentant un important risque de fuite sera motivée par la surveillance électronique à respecter les conditions et à ne pas s’enfuir. Le dispositif dont il doit être muni peut être court-circuité. Il rend la fuite plus difficile, mais le commissaire n’a pas expliqué la raison pour laquelle il rend la fuite moins probable pour le défendeur. Il est essentiel que plusieurs conditions soient intégrées dans le protocole de surveillance électronique, ce que n’a pas fait l’ordonnance prononcée par le commissaire.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 55 (mod. par L.C. 2012, ch. 17, art. 23), 57, 58 (mod., idem, art. 26).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 47(2) (mod. par DORS/2004-167, art. 12(F)), 248.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision non suivie :

Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Welch, 2006 CF 924.

décisions examinées :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 R.C.F. 425; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

décisions citées :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B072, 2012 CF 563; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B147, 2012 CF 655; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Hussain c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 234, [2008] 4 R.C.F. 417.

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision en vertu de laquelle un commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a ordonné la mise en liberté du défendeur d’un centre de détention de l’immigration. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Asha Gafar et Jeannine Plamondon pour le demandeur.

Guidy Mamann et Asiya Hirji pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP, Toronto, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        Le juge Zinn : Le ministre demande à la Cour d’annuler la décision du 27 août 2012 par laquelle Harold Shepherd de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le commissaire) a ordonné la mise en liberté du défendeur d’un centre de détention de l’immigration à certaines conditions, dont la surveillance électronique.

[2]        La véritable identité du défendeur est mise en doute. Malgré l’affirmation soutenue du défendeur selon laquelle il est Alfred Berisha du Kosovo, moi-même et la plupart de ceux qui ont examiné la preuve concluons, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est Alfred Cukali d’Albanie. À moins que le contexte ne s’y oppose, il est désigné comme le défendeur dans les présents motifs.

[3]        Par ordonnance datée du 6 septembre 2012, j’ai prononcé un sursis d’exécution de l’ordonnance de mise en liberté, j’ai accordé au ministre l’autorisation d’entamer un contrôle judiciaire et, à la demande des parties, j’ai instruit le contrôle judiciaire selon la procédure accélérée[1]. Le prochain contrôle des motifs de détention est prévu pour le 24 septembre 2012, à Toronto. Le défendeur a demandé à la Cour de prononcer un sursis d’exécution du prochain contrôle, mais j’ai refusé. Je ne crois pas qu’un juge de la Cour fédérale ait compétence pour prononcer un sursis d’exécution d’un contrôle qui doit avoir lieu tous les 30 jours selon ce que prescrit le législateur. Je me suis par ailleurs engagé à rendre mon jugement sur le contrôle judiciaire au plus tard le 21 septembre 2012. Les conseils des parties ont comparu et ont débattu à fond le bien-fondé de la demande, à Toronto, le vendredi 14 septembre 2012.

[4]        Pour les motifs qui suivent, l’ordonnance de mise en liberté du commissaire visant le défendeur est déraisonnable et doit être annulée.

Contexte

Les antécédents du défendeur au Canada, avec les tribunaux et avec les autorités de l’immigration

[5]        Plusieurs commissaires ont souligné l’absence de crédibilité du défendeur, y compris son absence de crédibilité quant à son identité, et ont formulé des commentaires à ce sujet. Ils ont fait de même quant au fait qu’il n’était pas digne de foi, à son absence de collaboration avec l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et autres autorités de l’immigration (sauf lorsque cela lui convenait), à sa capacité d’obtenir des documents contrefaits et à sa capacité de traverser la frontière canado‑américaine sans se faire repérer.

[6]        La déclaration suivante du commissaire A. Laut, tirée du contrôle des motifs de détention qu’il a effectué en mai 2012, illustre bien les points de vue exprimés par les commissaires de la Section de l’immigration en ce qui concerne le caractère du défendeur et sa conduite :

[traduction] Je fais mienne l’évaluation des commissaires, Mmes Kowalyk et Funston, portant qu’il existe de très bonnes raisons de croire qu’il se soustraira vraisemblablement à son renvoi […] Il a cherché à faire échouer les tentatives en vue de son renvoi et il est devenu de plus en plus évident qu’il a menti à propos de son identité depuis de très très nombreuses années maintenant. Essentiellement, il n’est pas quelqu’un qui est digne de foi et il est relativement facile pour lui d’obtenir des documents frauduleux et il lui est, à mon avis, toujours possible d’en obtenir, ce qui pourrait l’aider à se dérober aux autorités.

[7]        M. Shepherd a souscrit à l’évaluation du défendeur faite par ses collègues. Dans sa décision de mettre le défendeur en liberté, qu’il a prononcée de vive voix, il a déclaré ce qui suit :

Ce qui préoccupe la Section depuis le début est le fait que M. Berisha Cukali n’a tout simplement pas été franc avec la Section et qu’il est aussi une personne disposée à fuir et à utiliser des noms d’emprunt si la situation ne lui convient pas à un tout moment. Selon la conclusion de la – de la Section, M. Berisha ou Cukali est très bien capable de fuir – de fuir si la situation ne tourne pas en sa faveur […]

[8]        Les paragraphes qui suivent sont les antécédents connus du défendeur depuis son arrivée au Canada. Il y a des périodes à l’égard desquelles le défendeur ne fournit aucune explication. Ces antécédents appuient la conclusion selon laquelle il n’est ni crédible ni digne de foi et étayent amplement la conclusion portant qu’il présente un risque important de fuite.

[9]        Le défendeur est entré au Canada le 19 décembre 1995, utilisant un passeport italien obtenu irrégulièrement. Le lendemain, il a présenté une demande de prestations d’aide sociale auprès de la ville de Toronto. En janvier 1996, il a été déclaré interdit de territoire au Canada, puisqu’il ne possédait pas de passeport, de pièce d’identité ou de titre de voyage valide et en vigueur.

[10]      Le défendeur a présenté une demande d’asile, alléguant qu’il venait du Kosovo et qu’il était un citoyen de l’ancienne Yougoslavie. Une mesure d’interdiction de séjour a été prise contre lui le 27 mai 1996.

[11]      La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande d’asile en raison de nombreuses réserves quant à sa crédibilité tant à l’égard des documents sur lesquels s’appuyait le défendeur pour établir son identité, qu’à l’égard de son témoignage. Le 14 octobre 1997, la Cour a rejeté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire.

[12]      Le 24 février 1999, le défendeur a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Cette demande a été rejetée le 19 juin 2000.

[13]      En juin 1999, le défendeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour cause de grande criminalité. En effet, le 29 mai 1997 à Toronto, il avait été déclaré coupable de possession et de mise en circulation de billets contrefaits. Le 14 juin 1999, il a également été accusé de tentative de meurtre, de port d’arme dans un dessein dangereux et de deux chefs de voies de fait.

[14]      En conséquence, les autorités de l’immigration l’ont détenu. Un agent d’immigration supérieur a transmis au Centre de détention de l’Est de Toronto une offre de mise en liberté moyennant un cautionnement en espèces de 2 000 $. Toutefois, le centre de détention a irrégulièrement mis le défendeur en liberté sans déposer le cautionnement. Un agent d’exécution a parlé au défendeur et a pris des dispositions pour que ce dernier se présente au centre de détention le 27 juillet 1999 et à nouveau le 3 août 1999, pour corriger la situation du cautionnement non déposé. Le défendeur ne s’est pas présenté malgré sa promesse de le faire. Le 7 janvier 2000, un mandat d’arrestation a été délivré contre lui.

[15]      Il s’est écoulé plus de cinq ans avant que les autorités canadiennes de l’immigration soient de nouveau en contact avec le défendeur. Celui-ci était aux États-Unis pendant au moins une partie de cette période de cinq ans.

[16]      Le 3 octobre 2005, le défendeur s’est présenté au service de police de Toronto concernant des accusations criminelles en instance datant de juin 1999. Il a été arrêté, mais la Cour de justice de l’Ontario l’a mis en liberté moyennant un cautionnement de 25 000 $ et un cautionnement en espèces de 10 000 $.

[17]      Le défendeur s’est alors rendu au Centre d’exécution de la loi du Grand Toronto le 5 octobre 2005. Il a été mis en liberté moyennant un cautionnement d’exécution. Les accusations criminelles en instance de 1999 le concernant ont été retirées.

[18]      Le 9 juillet 2007, le défendeur a ensuite présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des époux et des conjoints de fait. Cette demande a été refusée le 16 avril 2012. Le 4 mai 2012, il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et, avec le consentement du ministre, la décision a été annulée et renvoyée pour nouvelle décision. Elle est toujours en instance.

[19]      Quelques jours après la présentation de la demande de parrainage de conjoint, le défendeur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). La décision relative à l’ERAR a été rendue le 29 janvier 2009 et elle était défavorable.

[20]      En janvier 2010, l’ASFC a reçu des renseignements indiquant que le défendeur, sous le nom d’Alfred Cukali, était recherché aux États-Unis pour possession d’ecstasy dans l’intention d’en faire la distribution. Le Canada a aussi reçu des documents des États-Unis qui indiquaient qu’en juin 2001, le défendeur avait fait l’objet d’une ordonnance de renvoi des États-Unis à destination de l’Albanie ou de l’Italie, qu’un appel avait été interjeté à l’encontre de cette décision de renvoi et qu’une décision finale avait été rendue en janvier 2003. Rien n’indique qu’il a été renvoyé. Il peut être entré au Canada à ce moment-là ou être demeuré aux États-Unis jusqu’à son retour au Canada, ou encore il peut avoir été ailleurs qu’au Canada et aux États-Unis. Seul le défendeur le sait.

[21]      Le 2 février 2012, les responsables de l’immigration canadienne ont délivré un mandat pour l’arrestation du défendeur parce qu’il n’avait pas respecté les conditions de mise en liberté en ne résidant pas à l’adresse qu’il avait indiquée. Le mandat a été exécuté le 7 février 2012 et le défendeur est en détention depuis cette date, en attente de son renvoi.

[22]      Le 8 mai 2012, l’ASFC a reçu un appel téléphonique de l’ambassade d’Albanie l’avisant qu’elle avait eu la confirmation que l’identité du défendeur était Alfred Cukali et qu’elle était en mesure de lui délivrer un titre de voyage.

[23]      Le 16 mai 2012, l’ASFC a reçu des renseignements de l’ambassade d’Albanie, par l’intermédiaire d’Alba Zoto — laquelle serait la conjointe de fait du défendeur —, selon lesquels le défendeur souffrait d’une maladie cardiaque appelée cardiomyopathie, ce qui l’empêchait de prendre l’avion en toute sécurité. Le 22 juin 2012, un cardiologue a procédé à une évaluation du défendeur et l’a déclaré apte à prendre l’avion.

[24]      Le 6 juillet 2012, l’ASFC a prévu le renvoi sous escorte du défendeur à destination de l’Albanie pour le 18 juillet 2012.

[25]      Le 9 juillet 2012, la Cour de justice de l’Ontario a ordonné que le défendeur comparaisse devant elle le 25 juillet 2012, et par la suite au besoin, afin de témoigner dans une instance criminelle. Cette assignation à comparaître a été obtenue par Me Nicolas Charitsis, un criminaliste de Toronto qui représente M. Kazazi dans l’instance criminelle. Le demandeur a souligné que Me Charitsis semble aussi être un ami du défendeur parce que le 8 juin 2012, il a offert de servir de caution. Il a offert un cautionnement de 25 000 $ et le paiement partiel du dispositif de surveillance électronique qui constitue une condition importante de la décision de mise en liberté visée par le présent contrôle.

[26]      Par suite de l’assignation à comparaître, l’ASFC a annulé le renvoi prévu du défendeur.

[27]      Le 25 juillet 2012, toujours à la demande de Me Charitsis, la Cour de justice de l’Ontario a délivré une autre assignation à témoigner ordonnant la comparution du défendeur comme témoin dans le procès de l’instance criminelle susmentionnée dont le début est maintenant prévu pour le 4 décembre 2012.

[28]      Voici le résumé des divers contrôles de la détention.

Les contrôles de la détention du défendeur

[29]      Depuis le début de sa détention le 7 février 2012, le défendeur a fait l’objet de contrôles réguliers des motifs de sa détention, comme le prescrit l’article 57 de la Loi [Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27]. Avant la décision de mise en liberté du 27 août 2012 visée par le présent contrôle, chaque commissaire a conclu était que le défendeur n’était pas digne de foi, qu’il présentait un important risque de fuite et qu’il devrait demeurer en détention.

Le 14 février 2012

[30]      Comme solution de rechange à la détention, le défendeur a proposé un cautionnement en espèces de 10 000 $ de la part de sa conjointe de fait, Mme Zoto, de même qu’un cautionnement d’exécution de 10 000 $ et un cautionnement en espèces de 2 000 $ de la part d’un ami, M. Beci. Le commissaire Heyes a trouvé que cela était insuffisant pour dissiper ses doutes quant au risque de fuite que présentait le défendeur :

[traduction] La question de savoir qui vous êtes, M. [Berisha] ou cet autre homme de l’Albanie, n’est pas tout à fait réglée à mon avis et fait certainement en sorte que nous doutons de votre crédibilité et du fait que vous soyez digne de foi et nous demandons s’il est possible de compter sur vous pour respecter des conditions.

Rien, que ce soit de la part de l’une ou l’autre des cautions ou dans la proposition (inaudible), ne permet d’assurer que vous ne vous soustrairez pas à votre renvoi.

Votre épouse vous parraine pour que vous demeuriez au Canada comme conjoint. L’autre caution vivrait dans une ville différente et a des préoccupations en matière de santé qui, à mon avis, pourraient avoir une incidence sur sa capacité à vous surveiller.

Je crois que compte tenu du fait que votre nationalité et votre identité sont toujours en cause, j’estime que cette proposition n’est pas suffisante pour dissiper mes doutes quant au risque de fuite.

[…]

Compte tenu de ces renseignements, je ne crois pas que la simple augmentation des cautionnements soit suffisante pour dissiper mes doutes que vous vous soustrairez vraisemblablement au renvoi.

En conséquence, je maintiens votre détention au motif que vous vous soustrairez vraisemblablement au renvoi.

Le 1er mars 2012

[31]      Au deuxième contrôle des motifs de détention, le défendeur a proposé des cautions et des montants supplémentaires, à savoir : Mme Zoto, un dépôt de garantie de 10 000 $; M. Beci, un dépôt de garantie de 3 000 $; M. Kraja, un dépôt de garantie de 10 000 $; M. Luga, un dépôt de garantie de 20 000 $ et un cautionnement d’exécution de 20 000 $; Me Charitsis, un dépôt de garantie de 10 000 $.

[32]      La commissaire Kowalyk a conclu que les fonds [traduction] « substantiels » offerts n’écartaient pas les doutes qui découlaient de l’utilisation par le défendeur d’une autre identité et d’une rentrée au Canada non étayée de documents vers 2005, pas plus que ces fonds n’écartaient son absence de crédibilité et le fait qu’il n’était pas digne de foi, ni le doute qu’il se présenterait pour son renvoi. La commissaire Kowalyk a conclu que le défendeur se soustrairait vraisemblablement au renvoi s’il était mis en liberté selon les conditions offertes.

Le 11 avril 2012

[33]      Le défendeur a proposé un dépôt de garantie supplémentaire de 10 000 $ de la part de Mme Zoto. La commissaire Funston a expliqué qu’il fallait fournir des motifs clairs et convaincants pour s’écarter des décisions antérieures relatives aux contrôles des motifs de détention et que le montant en espèces supplémentaire de la part de Mme Zoto constituait le seul nouveau renseignement fourni. La commissaire Funston a souscrit aux préoccupations de la commissaire Kowalyk quant à la crédibilité du défendeur et au fait qu’il n’était pas digne de foi, en s’exprimant comme suit :

[traduction] Les solutions de rechange qui sont proposées n’écartent pas les préoccupations concernant votre crédibilité, votre honnêteté et votre identité, ainsi que votre collaboration douteuse.

[…]

J’estime que vous présentez un risque de fuite et que l’alinéa 58(1)b) continue de s’appliquer à l’encontre de votre mise en liberté.

Le 11 mai 2012

[34]      Le défendeur a ajouté ce qui suit aux cautionnements déjà proposés : Mme Zoto offrait maintenant un cautionnement d’exécution supplémentaire de 5 000 $; M. Beci augmentait son dépôt de garantie à 5 000 $; M. Kraja offrait un dépôt de garantie supplémentaire de 2 000 $, en plus d’un cautionnement d’exécution de 5 000 $; Me Charitsis ajoutait une somme de 2 000 $ à titre de dépôt de garantie, ainsi qu’une somme de 10 000 $ à titre de cautionnement d’exécution. Malgré les sommes supplémentaires, le commissaire Laut a conclu qu’indépendamment des montants en jeu, ils ne répondaient pas à la préoccupation selon laquelle le défendeur présentait un risque de fuite important :

[traduction] Je fais miennes l’évaluation des commissaires, Mmes Kowalyk et Funston, portant qu’il existe de très bonnes raisons de croire que [M. Berisha] se soustraira vraisemblablement à son renvoi. Il est au Canada depuis 1995. Il a des liens, des liens solides ici. Il a cherché à faire échouer les tentatives en vue de son renvoi et il est devenu de plus en plus évident qu’il a menti à propos de son identité depuis de très très nombreuses années maintenant. Essentiellement, il n’est pas quelqu’un qui est digne de foi et il est relativement facile pour lui d’obtenir des documents frauduleux et il lui est, à mon avis, toujours possible d’en obtenir, ce qui pourrait l’aider à se dérober aux autorités.

Il a tenté de se dérober à des accusations criminelles graves au Canada dans le passé en s’enfuyant dans un autre pays. Je crois que c’est ce qu’il ferait vraisemblablement s’il était mis en liberté maintenant. Je m’attends à ce que son renvoi ait lieu bientôt.

Dans le passé, plusieurs cautionnements élevés ont été offerts par plusieurs parties, y compris sa conjointe de fait [son épouse]. Aujourd’hui, cinq parties offrent des cautionnements. Elles ont toutes été examinées dans le passé et rejetées. Elles offrent des montants d’argent plus importants aujourd’hui. Cela ne me persuade pas que leurs cautionnements seraient efficaces.

Je suis d’accord que le paragraphe 35 des motifs de Mme Kowalyk concernant le rejet de ces cautions continue de s’appliquer à la situation aujourd’hui. J’ajouterais avec beaucoup d’insistance que l’on m’a dit que toutes ces personnes croient qu’il s’agit de celui qu’on appelle Alfred Berisha — né au Kosovo. Je ne suis pas convaincu que c’est la vérité. Par conséquent, je ne crois pas que ces personnes savent même qui est celui qui profite vraiment du cautionnement qu’elles signent.

Je ne crois pas que les cautionnements seraient efficaces.

Le 8 juin 2012

[35]      Lors de ce contrôle des motifs de détention, le montant du dépôt de garantie de Me Charitsis a été augmenté à 25 000 $. Le conseil du défendeur a aussi évoqué la possibilité d’une surveillance électronique, mais il ressort clairement de la transcription qu’aucun élément de preuve n’a été présenté et que l’avocat n’a présenté aucune observation concernant cette solution de rechange. La commissaire Funston a maintenu la détention pour les motifs suivants :

Les autres solutions qui sont proposées aujourd’hui reprennent à peu près celles qui ont été proposées dans le passé. Toutes les cautions nommées ont été proposées à un moment ou un autre au cours des contrôles des motifs de détention antérieurs, et ont toutes, à un moment ou un autre, été rejetées principalement parce que vous étiez perçu comme une personne sur qui il n’était pas possible de compter pour respecter les conditions de votre mise en liberté et celles de votre renvoi.

Vous avez malheureusement fait preuve de malhonnêteté avec les agents d’immigration. Vous n’avez pas divulgué de l’information très importante concernant votre identité et vous avez aussi – il me semble, d’après votre dossier, que vous n’avez même pas été honnête avec votre propre conseil eu égard aux questions liées à l’identité et à la nationalité et vous êtes – il semble que vous soyez prêt à pousser aussi loin que tromper les autorités de l’immigration et éviter votre renvoi du Canada et (inaudible) que vous avez été jugé totalement dépourvu de crédibilité et (inaudible) digne de confiance.

De plus, les garanties financières de divers amis et connaissances n’ont pas permis de convaincre les commissaires qu’elles seront suffisantes pour que vous respectiez les conditions.

Aucune nouvelle information qui m’a été présentée aujourd’hui ne m’amènerait à contredire ma décision en ce qui concerne l’évaluation de vos cautions et leur rejet final par les commissaires de la présente section.

L’élément supplémentaire aujourd’hui est la possibilité de recourir à la surveillance électronique. Je crois savoir que l’une de vos cautions est prête à assumer les coûts d’une surveillance électronique, mais on ne m’a pas communiqué suffisamment de renseignements en ce qui concerne le (inaudible) de la surveillance électronique et la façon dont cela fonctionnerait et si cela pouvait convenir à votre cas. [Non souligné dans l’original.]

Le 5 juillet 2012

[36]      Ce contrôle par le commissaire Delduca n’a fait l’objet d’aucune transcription, mais les notes manuscrites du conseil du ministre à l’audience résument les motifs de la décision comme suit : [traduction] « appui sur les motifs antérieurs; renvoi sous peu — apte à prendre l’avion; détention de courte durée; aucune solution de rechange ».

Le 27 août 2012

[37]      L’audience du contrôle des motifs de détention tenue en août 2012 a duré quatre jours, soit les 2, 10, 21, et 27 août 2012. Le 27 août 2012, le commissaire Shepherd a présenté ses motifs pour la mise en liberté du défendeur.

[38]      Le 10 août 2012, le défendeur a fait entendre des témoins pour expliquer la surveillance électronique qu’il proposait. Il a appelé Robert Aloisio, directeur, Expansion des affaires, à SafeTracks GPS Solutions, propriétaire de la technologie de bracelet de surveillance électronique qui était proposée et Frank Darrin Hansma, directeur, Programme de conformité du comportement à INTACTAccess Incorporated qui, par l’entremise d’un accord avec SafeTracks GPS Solutions, vend ou loue à titre privé de l’équipement de surveillance électronique. C’est avec cette société que le défendeur conclurait un contrat pour installer et surveiller le bracelet électronique fixé à sa jambe.

[39]      Le commissaire était « entièrement d’accord » avec ses collègues qui s’étaient prononcées dans le cadre des contrôles des motifs de détention antérieurs pour dire ce qui suit :

[traduction] Même si des sommes importantes en cautionnement ont été proposées, le manque de crédibilité du défendeur ne fait pas de lui un candidat à la mise en liberté […] [et] le montant du cautionnement offert n’est pas le problème. Ce qui préoccupe la Section depuis le début est le fait que M. Berisha, Cukali n’a tout simplement pas été franc avec la Section et qu’il est aussi une personne disposée à fuir et à utiliser des noms d’emprunt si la situation ne lui convient pas à tout moment […] [et] M. Berisha ou Cukali est très bien capable de fuir si la situation ne tourne pas en sa faveur.

[40]      Cependant, le commissaire Shepherd a ensuite examiné la question de la surveillance électronique. Ce faisant, il a reconnu les préoccupations de l’ASFC et y a répondu en se fondant sur le témoignage des témoins appelés par le défendeur:

Préoccupation : Il est possible pour le défendeur d’enlever le bracelet placé autour de sa jambe.

Réponse : Il s’agit d’un bracelet en titane difficile à sectionner. Le bracelet est enrobé d’un fil optique et le sectionnement de ce fil déclenche une alarme qui émet 95 décibels. En outre, si quelqu’un tente d’enlever le dispositif, une alarme est déclenchée au centre d’appels, et des personnes à joindre inscrites sur une liste de diffusion en seront informées.

Préoccupation : Le défendeur pourrait simplement enlever le bracelet dans le métro puisque le système de repérage ne fonctionne pas en zone souterraine.

Réponse: Les gens entendraient l’alarme s’il tentait d’enlever le dispositif en zone souterraine et le GPS permettrait, s’il a toujours le bracelet, de le repérer au moment où il remonterait à la surface, et les personnes à joindre pourraient le situer.

Préoccupation: Si un appel était placé au CELGT [Centre d’exécution de la Loi du Grand Toronto], l’ASFC mettrait un certain temps avant de pouvoir envoyer quelqu’un de Mississauga — l’ASFC n’est pas en mesure de mener une intervention d’urgence efficace.

Réponse: L’ASFC a indiqué qu’elle tiendra compte du déclenchement de l’alarme. Elle suivra ses procédures normales, délivrera un mandat d’arrestation qui sera enregistré dans le système du CIPC [Centre d’information de la police canadienne]. On a toutefois fait remarquer qu’il faudrait un certain temps avant d’arriver à l’arrêter.

Préoccupation: S’il ne paie pas les frais de la surveillance électronique, le contrat de service serait rompu.

Réponse : L’entreprise dit qu’en cas de défaut de paiement elle n’interrompt pas le service. Elle alerte les personnes à joindre et un certain délai leur est accordé pour verser les sommes dues avant de débrancher le système.

Préoccupation : Qui serait alerté en cas de défaut?

Réponse : Les cautions et l’ASFC.

Préoccupation : Comment peut-on être certain qu’il se trouve dans son logement puisque le GPS permet seulement de savoir s’il se trouve dans son immeuble d’habitation?

Réponse : L’entreprise peut installer des balises de proximité dans son logement. L’alarme sera déclenchée s’il quitte son logement.

Le commissaire Shepherd a indiqué qu’aucun système n’était parfait et, comme il l’a indiqué « [n]ous devons examiner si la solution atténue le risque, c’est-à-dire s’il est plus probable que le contraire [qu’il] se présente pour son renvoi ». Il a conclu par l’affirmative.

Ordonnance de mise en liberté

[41]      L’ordonnance de mise en liberté signée par le commissaire Shepherd le 27 septembre 2012, indique que le défendeur [traduction] « est, par les présentes, mis en liberté aux conditions suivantes » :

1. Les personnes suivantes fournissent une garantie (une garantie de bonne exécution) ou remettent les sommes suivantes en espèces :

a) Alba Zoto : 10 000 $ comptant

b) Ilir Kraja : 10 000 $ comptant

c) Elvin Luga : 20 000 $ comptant, 20 000 $ en cautionnement

d) Nicholas Charitsis : 20 000 $ comptant

e) Arber Gina : 40 000 $ comptant, 19 000 $ en cautionnement

Montant total : 100 000 $ comptant, 39 000 $ en cautionnement.

2. « Il faudra lui installer, avant la mise en liberté, un dispositif de surveillance électronique d’I[nt]act Access Inc. Maintenir le contrat conclu avec l’entreprise en règle en tout temps. [Être] sujet à la surveillance électronique en tout temps. »

3. « Verser les frais relatifs au contrat à temps. La liste des personnes à joindre doit comprendre toutes les cautions et l’Agence des services frontaliers du Canada. »

4. « L’intéressé doit demeurer en tout temps à l’adresse résidentielle communiquée à l’Agence des services frontaliers du Canada, sauf [lorsqu’il doit] se présenter directement à l’ASFC et [dans ce cas] retourner sur-le-champ à la résidence. En cas d’urgence médicale, l’intéressé peut se trouver à un hôpital pour obtenir le traitement nécessaire en présence d’une caution. »

5. La personne concernée :

[traduction]

a) « Se présentera à la date, à l’heure et à l’endroit exigés par l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) ou de la Section de l’immigration pour se conformer à toute obligation imposée par la Loi, y compris pour le renvoi si nécessaire. »

b) « Fournira son adresse à l’ASFC avant sa mise en liberté et avisera l’ASFC en personne de tout changement d’adresse avant le changement d’adresse. »

c) « Se rapportera à un agent au bureau de l’ASFC situé au CELGT, 6900 chemin Airport, entrée 2B, Mississauga (Ontario), L4V 1E8 une fois par semaine. »

d) « Résidera en tout temps avec Alba Zoto. »

Les dispositions législatives concernant la détention et la mise en liberté

[42]      Les dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] (le Règlement) énoncent les conditions en vertu desquelles des personnes peuvent être mises en détention aux fins d’immigration et les éléments à prendre en compte pour leur mise en liberté. Les dispositions suivantes sont les dispositions pertinentes aux fins de la présente demande.

[43]      L’article 55 [mod. par L.C. 2012, ch. 17, art. 23] de la Loi prévoit qu’un étranger, comme le défendeur, peut être détenu lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que la personne « se soustraira vraisemblablement […] au renvoi ».

[44]      Selon l’article 57 de la Loi, la Section de l’immigration « contrôle » les motifs de la détention dans les 48 heures, au moins une fois dans les 7 jours suivant le premier contrôle, puis au moins à tous les 30 jours suivant le contrôle précédent.

[45]      Le paragraphe 58(3) de la Loi prévoit que nonobstant une conclusion selon laquelle l’étranger se soustraira vraisemblablement au renvoi, la Section de l’immigration peut ordonner la mise en liberté de la personne et dans ce cas, elle « peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution ».

[46]      Le paragraphe 47(2) [mod. par DORS/2004-167, art. 12(F)] du Règlement prévoit que la personne qui fournit une garantie « doit […] être capable de faire en sorte que la personne ou le groupe de personnes visé par la garantie respecte les conditions [de mise en liberté] imposées ».

[47]      Enfin, selon l’article 248 du Règlement, dans les cas où il existe des motifs de détention, les critères ci-après « doivent » être pris en compte par la Section de l’immigration avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248. […]

a) le motif de la détention;

b) la durée de la détention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

Autres critères

Les questions en litige

[48]      À mon avis, les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

1. Le commissaire a-t-il omis de fournir des motifs clairs et convaincants pour ordonner la mise en liberté du défendeur?

2. Le commissaire a-t-il dûment pris en compte les critères énoncés à l’article 248 ou à l’alinéa 47(2)b) du Règlement?

3. L’ordonnance du commissaire prévoyant la mise en liberté du défendeur conditionnellement à la surveillance électronique était‑elle déraisonnable?

La norme de contrôle

[49]      Le demandeur déclare que la première question est une question d’équité procédurale et il la formule ainsi : [traduction] « Le commissaire a manqué à l’équité procédurale en ne fournissant pas des motifs clairs et convaincants pour ordonner la mise en liberté du défendeur ». Le demandeur soutient que cette question ainsi que la seconde question sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte. Le défendeur prétend que la norme de contrôle à l’égard des trois questions est la norme de la raisonnabilité et qu’une très grande déférence doit être accordée à la Commission.

[50]      Le ministre cite la décision Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Welch, 2006 CF 924 (Welch), pour appuyer la thèse selon laquelle le fait pour un commissaire de ne pas fournir des « motifs clairs et convaincants » pour s’écarter des résultats de contrôle des motifs de détention antérieurs constitue un manquement à l’équité procédurale susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[51]      L’exigence selon laquelle un commissaire doit, à l’occasion d’un contrôle des motifs de détention ultérieur, tenir compte des décisions antérieures et les suivre, en l’absence de motifs clairs et convaincants pour agir autrement, découle de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572, aux paragraphes 10 à 13 :

Les décisions rendues à l’égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l’opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés. Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et d’évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l’admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l’encontre d’une décision antérieure.

La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention.

[52]      L’exigence selon laquelle un commissaire doit donner des motifs clairs et convaincants est simplement une exigence qui impose au commissaire de donner des motifs pour expliquer les raisons pour lesquelles il s’écarte des décisions antérieures qui ont été prononcées, mais, si les motifs sont faibles, il ne devrait pas s’écarter de ces décisions antérieures. Tenant compte de l’opinion de la juge Gauthier dans la décision Welch, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, je ne suis pas d’accord pour dire que l’exigence de donner des motifs « clairs et convaincants » est liée à l’équité procédurale.

[53]      Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a examiné au paragraphe 39 l’objet de l’exigence selon laquelle les décideurs administratifs doivent motiver leurs décisions :

On a soutenu que la rédaction de motifs favorise une meilleure prise de décision en ce qu’elle exige une bonne formulation des questions et du raisonnement et, en conséquence, une analyse plus rigoureuse. Le processus de rédaction des motifs d’une décision peut en lui‑même garantir une meilleure décision. Les motifs permettent aussi aux parties de voir que les considérations applicables ont été soigneusement étudiées, et ils sont de valeur inestimable si la décision est portée en appel, contestée ou soumise au contrôle judiciaire : R. A. Macdonald et D. Lametti, « Reasons for Decision in Administrative Law » (1990), 3 C.J.A.L.P. 123, à la p. 146; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 646 (C.A.), au par. 38. Il est plus probable que les personnes touchées ont l’impression d’être traitées avec équité et de façon appropriée si des motifs sont fournis : de Smith, Woolf & Jowell, Judicial Review of Administrative Action (5e éd. 1995), aux pp. 459 et 460. Je suis d’accord qu’il s’agit là d’avantages importants de la rédaction de motifs écrits. [Non souligné dans l’original.]

[54]      Dans l’arrêt Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 R.C.F. 425, la Cour d’appel fédérale a récemment examiné le principe souligné ci-dessus. Le juge Stratas a déclaré ce qui suit au paragraphe 16 :

La décision et ses fondements doivent comporter suffisamment de renseignements pour permettre au tribunal de révision d’évaluer, valablement, si le décideur a satisfait aux normes minimales de la légalité. Ce rôle des tribunaux de révision est un aspect important de la règle de droit et doit être respecté : Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Dunsmuir, précité, paragraphes 27 à 31. Dans des cas où la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité, le tribunal de révision doit évaluer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, précité, paragraphe 47. Si le tribunal de révision n’a pas pu évaluer cet aspect parce que la décision comporte trop peu de renseignements, les motifs sont insuffisants : voir, p. ex., Assoc. canadienne des radiodiffuseurs, précité, paragraphe 11. [Non souligné dans l’original.]

[55]      Il nous faut également garder à l’esprit l’arrêt récent de la Cour suprême dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, dans lequel la cour explique au paragraphe 22 que ce n’est qu’en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, que la décision doit être examinée selon la norme de la décision correcte :

Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous‑tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle‑ci. [Souligné dans l’original.]

[56]      En l’espèce, le commissaire a fourni des motifs. Le ministre n’a donc pas formulé les questions correctement. L’équité procédurale n’entre pas en jeu. Le ministre est d’avis que les motifs du commissaire ne sont pas « clairs et convaincants » et qu’ils ne lui permettent pas de s’écarter des décisions antérieures en matière de contrôle des motifs de détention; de ce fait, il prétend que le commissaire a commis une erreur mixte de fait et de droit justifiant un examen approfondi—à savoir l’application de l’article 58 [ mod. par. L.C. 2012, ch. 17, art. 26] de la Loi, tel qu’interprété par la jurisprudence—aux faits de l’espèce (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 53; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B072, 2012 CF 563, aux paragraphes 18 et 19; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B147, 2012 CF 655, au paragraphe 10).

[57]      De même, je conclus que la question de savoir si le commissaire a examiné et correctement appliqué les critères énoncés à l’article 248 et à l’alinéa 47(2)b) du Règlement aux faits de l’espèce est une question mixte de fait et de droit à laquelle la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique.

[58]      Cela ne signifie pas que la Cour peut facilement ignorer l’absence de prise en compte d’un facteur prescrit lorsqu’elle applique la norme de la raisonnabilité. Si, comme dans l’arrêt Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, le commissaire avait expressément démontré qu’il n’appliquait pas la loi, c’est-à-dire les critères susmentionnés, qui l’obligeait à le faire, sa décision aurait été déraisonnable. Par ailleurs, s’il ne ressort pas de façon très évidente du dossier qu’il n’a pas bien cerné la loi à appliquer, je devrai me pencher plus à fond sur la question de l’existence de la « justification […], [de] la transparence et [de] l’intelligibilité de [son] processus décisionnel, ainsi que [de] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

[59]      Pour ces motifs, je conclus que chacune des questions identifiées par le demandeur est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité.

Analyse

1.         Motifs clairs et convaincants pour s’écarter des décisions antérieures

[60]      Le commissaire Shepherd a motivé de vive voix sa décision de mettre le défendeur en liberté. Bien que ses motifs ne soient pas aussi détaillés ou cohérents qu’on le souhaiterait, je ne peux être d’accord avec le ministre pour dire que le commissaire n’a pas fourni des motifs clairs et convaincants pour s’écarter des décisions antérieures.

[61]      Le commissaire Shepherd s’est rallié à l’opinion des autres commissaires portant que le défendeur présentait un risque de fuite. Il déclare que leurs conclusions de fait « et leur rejet des cautions sont valables ». Il convient avec ses collègues que « M. Berisha, ou M. [C]ukali est très bien capable de fuir si la situation ne tourne pas en sa faveur ». L’opposition continue aux cautions est fondée sur le fait qu’aucun montant d’argent mis en jeu n’empêchera le défendeur de fuir s’il le juge convenable. Les cautions n’ont jamais été rejetées pour des motifs qui les visaient personnellement même si, tel que cela est mentionné ci-après, Alba Zoto justifiait un examen plus approfondi.

[62]      Le commissaire Shepherd indique au début de ses motifs que lors des audiences antérieures la détention du défendeur était décrite comme étant « récent[e] », alors que la durée de sa détention actuelle atteint quatre mois; qu’il avait été considéré comme faisant l’objet d’une « mesur[e] de renvoi […] plus rapid[e] », il était maintenant visé par une assignation à témoigner prévue pour décembre 2012 et ne pouvait être renvoyé plus tôt; que le montant et le nombre de cautions proposées étaient maintenant augmentés. Malgré ces différences par rapport aux décisions antérieures, il déclare qu’« il n’y a pas de motifs suffisants pour accorder une mise en liberté. C’est pourquoi, compte tenu de ces cautions, je ne vois ni de changement important ni de motif clair et convaincant pour dévier de la décision de mes collègues. S’il n’y avait aucun autre élément à examiner en l’espèce, l’affaire prendrait fin ici, et je conclurais que l’intéressé doit être maintenu en détention ».

[63]      Toutefois, le commissaire Shepherd ajoute ensuite ce qui suit :

Cependant, je dois poursuivre l’affaire et examiner une autre question, soit celle de la surveillance électronique […] La première fois qu’une solution de rechange à la surveillance électronique a été envisagée directement devant la Section, était au moment du contrôle des motifs de détention d’août, qui se poursuit aujourd’hui.

La question à trancher consiste à déterminer si la surveillance électronique constituera un changement important des circonstances en guise de motifs clairs et convaincants expliquant pourquoi la détention devrait prendre fin, et M. Berisha ([C]ukali) devait faire l’objet d’une ordonnance de mise en liberté, sans égard au fait que les cautions seules ne compensent pas (inaudible) le risque très important de fuite que présente M. Berisha (M. [C]ukali).

[64]      Le commissaire examine ensuite la preuve concernant le fonctionnement de la surveillance électronique, prend en compte les préoccupations du ministre, notamment les préoccupations quant à son fonctionnement dans les zones souterraines, aux personnes à joindre en cas d’alarme, aux précautions pour assurer que le défendeur demeure dans son logement, au fait qu’il ne recharge pas les piles et au fait qu’il enlève le bracelet fixé à sa jambe. Il conclut en déclarant ce qui suit : « La question à trancher consiste donc à déterminer s’il y a suffisamment d’éléments pour avoir des motifs clairs et convaincants d’en arriver, non seulement à une [version ou] conclusion autre que celle de mes collègues, mais une conclusion à laquelle je souscris et même une conclusion que ne peut contrebalancer la nouvelle caution, [Alfred] Gina (inaudible)? Le fait d’utiliser la surveillance électronique atténue-t-il le risque de façon à ce qu’il soit plus probable que le contraire que M. Berisha (ou M. [C]ukali) se présente pour son renvoi? » (non souligné dans l’original).

[65]      Il conclut que la surveillance électronique permet aux cautions de réagir « sur-le-champ » si le défendeur ne va pas où il doit être, s’il ne recharge pas les piles du bracelet, s’il tente d’enlever le bracelet ou de façon générale, s’il tente de fuir.

[66]      Il ne fait aucun doute que le commissaire a estimé que le fait d’utiliser la surveillance électronique constituait un motif clair et convaincant de s’écarter des décisions antérieures et, sans cette nouvelle condition, il ne se serait pas écarté des décisions antérieures. À mon avis, compte tenu de ce qui précède, il n’était pas déraisonnable pour le commissaire de conclure qu’il s’agissait d’un motif clair et convaincant l’autorisant à s’écarter des contrôles des motifs de détention antérieurs. Une question qui reste à examiner est celle de savoir si, une fois que les circonstances l’autorisent à s’écarter des décisions antérieures, sa décision de mettre le défendeur en liberté était raisonnable à d’autres égards sur le fondement de la loi applicable et de la preuve dont il disposait.

2.         Examen de l’article 248 et de l’alinéa 47(2)b) du Règlement

Critères à prendre en compte avant la mise en liberté — article 248 du Règlement

[67]      L’article 248 du Règlement prévoit cinq critères qui « doivent » être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la mise en liberté : i) les motifs de la détention, ii) la durée de la détention, iii) la durée probable de la détention, iv) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part de l’intéressé ou du ministère, et v) l’existence de solutions de rechange à la détention.

[68]      Le demandeur soutient que le commissaire a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que le défendeur était prêt à être renvoyé et qu’il était en détention uniquement en raison de son assignation à témoigner. Je ne suis pas d’accord.

[69]      Le passage suivant tiré du dossier montre que le commissaire savait que tout était prêt pour le renvoi du défendeur et que celui-ci ne pouvait être renvoyé avant d’avoir témoigné :

…en ce moment, il fait l’objet d’un sursis [inaudible] jusqu’à ce qu’une affaire criminelle, à savoir une accusation de conduite avec facultés affaiblies, soit instruite en décembre. Il est témoin à ce procès. Il a reçu une assignation à comparaître. C’est pourquoi il fait l’objet d’un sursis d’origine législative jusqu’à ce que l’affaire soit réglée, soit, en date d’aujourd’hui, dans environ quatre mois. Une fois que l’affaire sera réglée et qu’il aura livré son témoignage, il pourra être frappé de la mesure de renvoi. Rien ne s’oppose à son renvoi sauf cette affaire.

[70]      Il ressort également clairement du dossier que le commissaire connaissait très bien les autres critères qu’il devait prendre en compte en vertu de l’article 248 et c’est ce qu’il a fait. La prétention du demandeur est sans fondement.

Imposition de conditions à la mise en liberté — alinéa 47(2)b) du Règlement

[71]      Le paragraphe 58(3) de la Loi prévoit que si la Section de l’immigration ordonne la mise en liberté, elle « peut imposer les conditions qu’elle estime nécessaires, notamment la remise d’une garantie d’exécution ». En l’espèce, le commissaire a ordonné que cinq personnes remettent de l’argent comptant et des cautionnements.

[72]      Le paragraphe 47(2) du Règlement s’applique à une ordonnance de mise en liberté prononcée par la Section de l’immigration. Cette disposition impose des exigences obligatoires à une caution. Plus précisément, l’alinéa 47(2)b) prévoit qu’une caution « doit […] être capable de faire en sorte que la personne […] visé[e] par la garantie respecte les conditions imposées ».

[73]      Le ministre soutient que le commissaire a commis une erreur en ne respectant pas cette exigence et il avance que [traduction] « en l’espèce, le commissaire a conclu que les cautions n’étaient pas capables de faire en sorte que le défendeur respecte les conditions imposées et il a quand même ordonné la mise en liberté ».

[74]      Lus ensemble, le paragraphe 58(3) de la Loi et le paragraphe 47(2) du Règlement exigent qu’un commissaire soit convaincu que les cautions proposées sont capables de faire en sorte que la personne détenue respecte les conditions de la mise en liberté.

[75]      Il ressort clairement de l’affaire dont la Cour est saisie que le commissaire n’était pas convaincu que, sans la surveillance l’électronique, les cautions étaient capables de faire en sorte que le défendeur respecte les conditions de mise en liberté. Il semblait toutefois convaincu que les cautions seraient capables de faire en sorte que les conditions soient respectées si le défendeur faisait l’objet d’une surveillance électronique. Or, comme je le précise ci‑après, le commissaire n’ayant fourni aucune explication sur la façon dont il est arrivé à cette conclusion, il a commis une erreur fondamentale. Ou bien le commissaire ne s’est jamais penché sur la question ou bien il l’a fait, mais sans fournir les motifs de son analyse. Les deux situations compromettent le maintien de la décision : elles démontrent toutes deux une absence de justification et d’intelligibilité.

[76]      Le commissaire s’est concentré sur le fait que les cautions seront averties lorsque l’entreprise chargée de la surveillance reçoit une alarme. De l’avis du commissaire, c’est ce qui permet aux « cautions, un groupe de personnes qui ont engagé une importante somme d’argent et ont la capacité de réagir sur-le-champ, […] de maîtriser la situation, et [à] l’ASFC [d’avoir] la capacité de délivrer un mandat d’arrestation contre M. Berisha en temps opportun ». Or, si l’alarme est déclenchée et si les cautions sont averties, cela signifie, comme l’a reconnu le conseil du défendeur, que le défendeur a violé une condition de sa mise en liberté. Les cautions n’apportent rien de plus pour veiller à ce que le défendeur respecte ces conditions. Dans une telle situation, leur rôle est semblable à celui du fermier qui ferme les portes de l’écurie une fois que les chevaux ont pris la fuite. Les cautions n’empêchent pas une violation, elles réagissent à une violation.

[77]      Certes, selon une des conditions de mise en liberté, le défendeur doit se présenter au renvoi dès qu’il ne sera plus visé par son assignation à témoigner et le commissaire est d’avis que ces cautions feront tout en leur pouvoir, une fois que l’alarme aura été déclenchée, pour que le défendeur soit détenu ou qu’on l’empêche de fuir parce qu’ils ont des sommes d’argent en jeu. Or, ces sommes sont déjà en jeu en raison de la violation à l’origine du déclenchement de l’alarme. La question qui se pose n’est pas de savoir si les fonds seront confisqués, mais plutôt celle de savoir si les autorités peuvent être convaincues que le non‑respect n’est pas suffisamment grave pour justifier la confiscation (voir Hussain c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 234, [2008] 4 R.C.F. 417).

[78]      Le rôle que le commissaire fait jouer aux cautions ne consiste donc pas à être capables de veiller au respect de toutes les conditions de mise en liberté, mais, au mieux, à être capables de veiller au respect d’une seule de ces conditions, soit celle de se présenter à son renvoi, en tenant pour acquis que les cautions ou l’ASFC réagiront et trouveront le défendeur après qu’il aura violé ses conditions.

[79]      Le fait que le commissaire n’offre aucune explication ni aucune analyse concernant la façon dont les cautions doivent réagir constitue un élément crucial. Il n’aborde pas dans ses motifs la question de l’endroit où elles se situent physiquement par rapport au défendeur, du temps qu’elles devront mettre à se déplacer à sa résidence, ni celle de savoir si elles peuvent à toute heure du jour quitter le travail ou la maison pour rechercher le défendeur, ni celle des mesures qu’on s’attendrait qu’elles prennent si le défendeur ne respectait pas les conditions de mise en liberté. Le commissaire ne traite pas de la façon, le cas échéant, dont elles trouveront le défendeur si ce dernier enlève le bracelet qu’il porte à la jambe.

[80]      Outre Alba Zoto, la conjointe de fait alléguée du défendeur, aucune caution n’a l’obligation d’être avec le défendeur à quelque moment que ce soit. Les cautions ne sont pas tenues de surveiller ou de superviser le défendeur. Elles ont uniquement le droit d’être avisées du non‑respect des conditions et le commissaire s’attend à ce qu’elles réagissent pour empêcher le défendeur de prendre la fuite.

[81]      Le commissaire n’a aucunement tenu compte de la question, soulevée par le demandeur, de savoir si Alba Zoto a sincèrement l’intention de veiller à ce que le défendeur respecte les conditions de sa mise en liberté et se présente au renvoi. Son rôle a une importance particulière puisque le commissaire ordonne au défendeur de résider avec elle. À mon avis, le dossier soulève deux vastes questions concernant son admissibilité à titre de caution. Premièrement, lorsque le défendeur devait être renvoyé du Canada en mai et qu’il n’y avait aucune restriction quant à son renvoi à ce moment-là, c’est elle qui a averti l’ambassade d’Albanie que le défendeur avait un problème de santé qui le rendait inapte à prendre l’avion. Le dossier n’est pas clair. Cependant tout porte à croire que cette déclaration était un mensonge. Si elle a fait la fausse déclaration de sa propre initiative, elle est loin d’être une caution digne de foi. En revanche, si elle a déclaré ce que le défendeur lui a dit de dire, cela met également en doute son admissibilité comme caution.

[82]      Deuxièmement, lors du contrôle des motifs de détention du mois d’août, le demandeur a fourni une preuve qui met en doute la relation entre le défendeur et Mme Zoto. Le registre des visiteurs du centre de détention indique que Mme Zoto n’a pas rendu visite au défendeur depuis le 11 avril 2012, soit une période de plus de quatre mois précédant l’ordonnance de mise en liberté. Il est intéressant de souligner que Mme Thompson, dont la relation avec le défendeur n’est pas connue, lui a rendu visite à sept reprises depuis mai 2012, fait que le commissaire n’a ni expliqué ni exploré. Le dossier indique que Mme Zoto n’était pas libre pour être interrogée le 21 août 2012. Le ministre a fait valoir que compte tenu de ces nouvelles préoccupations, Mme Zoto n’était pas une personne convenable comme caution. Le commissaire ne fournit aucun motif expliquant la raison pour laquelle il a conclu qu’elle était une caution convenable, ni n’aborde-t-il ces préoccupations.

[83]      Pour ces motifs, je suis d’avis que la décision du commissaire concernant les cautions était déraisonnable, ou en d’autres termes, que son application du paragraphe 58(3) de la Loi et du paragraphe 47(2) du Règlement à la preuve dont il disposait n’était pas justifiée et intelligible et n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

3.         La condition concernant la surveillance électronique est déraisonnable

[84]      Même si j’ai tort de conclure que le commissaire a commis une erreur comme je l’ai mentionné ci‑dessus, j’arrive quand même à la conclusion que la condition de mise en liberté concernant la surveillance électronique est déraisonnable telle que rédigée.

[85]      La Cour est d’accord avec le commissaire : il n’est pas possible d’examiner la solution de rechange à la détention et de s’attendre à la perfection. Cependant, une solution de rechange raisonnable doit être examinée en ayant à l’avant-plan les circonstances précises de l’intéressé et, selon la prépondérance des probabilités, il doit s’agir d’une solution de rechange faisant en sorte que la personne se présentera vraisemblablement pour son renvoi. Dans le contexte de la décision visée en l’espèce, le simple examen de la technologie de la surveillance électronique ne suffit pas. S’impose également un examen sérieux de la vraisemblance qu’une personne détenue et reconnue comme présentant un important risque de fuite sera motivée par la surveillance électronique à respecter les conditions et à ne pas court‑circuiter cette technologie et s’enfuir.

[86]      Je doute que la Section de l’immigration ait vu un grand nombre de personnes aussi peu dignes de foi que le défendeur. Il a fui à la fois le Canada et les États-Unis lorsqu’il était visé par des accusations. Il a ignoré des procédures judiciaires. Il a obtenu des documents frauduleux à plus d’une occasion pour l’aider dans ses efforts de venir au Canada et d’y rester. Il a créé une fausse identité qu’il maintient, malgré une preuve crédible et accablante démontrant le contraire. Il a trouvé des cautions qui sont disposées à mettre en jeu leur argent pour une personne qu’elles ne connaissent pas véritablement. Il a menti à tout le monde : à la police, aux autorités de l’immigration et à ses amis.

[87]      Le dispositif dont il doit être muni peut être court‑circuité. Le bracelet de jambe peut être coupé, bien que difficilement et en faisant peut-être déclencher une alarme. Les commissaires ont conclu que rien ne motive le défendeur à respecter les conditions de mise en liberté sans système de surveillance. Les commissaires ont reconnu qu’il était disposé à ce que l’argent de ses cautions soit confisqué. Il faut alors se demander : comment l’imposition de la surveillance électronique modifie‑t‑elle ce scénario? Le dossier indique uniquement qu’elle rend la fuite plus difficile, mais le commissaire n’explique pas la raison pour laquelle elle rend la fuite moins probable pour une personne possédant les talents dont ce défendeur a fait preuve. En l’absence d’une réponse à cette question, la décision de mise en liberté est déraisonnable.

[88]      Le demandeur reconnaît que, dans certains cas, la surveillance électronique peut être convenable comme condition de mise en liberté. La décision de la Section de l’immigration visant la mise en liberté de Rustem Tursunbayev, datée du 18 mai 2012, en constitue un exemple. La précision des conditions de cette ordonnance de mise en liberté fournit une autre raison pour laquelle l’ordonnance du commissaire Shepherd est déraisonnable.

[89]      Les deux personnes dont le témoignage portait sur la surveillance électronique ont mentionné le [traduction] « protocole recommandé » ou une autre expression semblable dans toutes les réponses aux questions qui leur étaient posées. Leur témoignage révèle qu’il est essentiel que plusieurs conditions soient intégrées dans le protocole de surveillance électronique. Le 27 août 2012, après avoir informé les parties de sa décision, le commissaire Shepherd eu l’échange suivant avec la représentante du ministre :

[traduction]

M. SHEPHERD : Avant que je conclue la présente affaire, puis‑je demander aux parties de me faire part de leur rétroaction quant aux conditions? D’autres choses que vous voulez déclarer (inaudible) concernant la communication ou les dispositions.

Me TAYLOR : Nonobstant le fait que le ministre continue de s’opposer à cette solution de rechange, il y a lieu de se demander […] si l’entreprise a indiqué que sans une réponse directe […]

M. SHEPHERD : Il ne s’agit pas ici d’une occasion de présenter des observations, c’est […]

Me TAYLOR : Non, non.

M. SHEPHERD : Il s’agit de conditions supplémentaires, je […]

Me TAYLOR : Oui, je tente simplement d’établir comment cette ordonnance serait appliquée compte tenu du témoignage de […]

M. SHEPHERD : Je vous remercie beaucoup. Maître [s’adressant au conseil du défendeur], avez-vous des observations? [Non souligné dans l’original.]

[90]      Il est troublant que le commissaire ait interrompu au conseil alors qu’elle tentait simplement, comme elle l’a expliqué, de comprendre la façon dont l’ordonnance serait appliquée. Le défendeur a aussi indiqué que d’autres éléments étaient nécessaires pour être en mesure de mettre en œuvre un protocole convenable. Il répond à la question du commissaire de la façon suivante :

[traduction]

Me MAMANN: M. Shepherd, la seule chose que tiens à ajouter est que je suis certain qu’il y aura de nombreux détails qui devront être réglés entre l’ASFC et nous. La seule chose que je proposerais est de fixer une date pour revenir, peut-être vers le 4 septembre, en cas de désaccord à propos des conditions, nous pourrions revenir devant vous et vous demeureriez saisi de l’affaire et de toute question en suspens sur lesquelles nous pourrions avoir besoin d’obtenir des directives et je crois que cela réglerait tous les problèmes et que les parties seraient ainsi motivées à négocier des conditions convenables. [Non souligné dans l’original.]

M. Shepherd a toutefois indiqué qu’il devait rendre une ordonnance définitive et c’est ce qu’il a fait.

[91]      Le problème que soulève l’ordonnance définitive qu’il a prononcée est qu’elle n’aborde pas de nombreux aspects du protocole recommandé. Elle est loin d’être aussi précise que nécessaire, à mon avis. À titre d’exemple, elle n’ordonne pas au défendeur de vivre à un endroit précis. Elle indique que le défendeur doit résider avec Mme Zoto et informer l’ASFC de cette adresse avant sa mise en liberté. Elle n’ordonne pas que la surveillance doive inclure l’installation de balises de proximité dans sa maison ou son logement pour permettre de savoir s’il quitte ces pièces. L’ordonnance ne fournit pas de détails concernant les modalités précises de la surveillance — quels paramètres déclencheront une alarme? Rien n’indique la rapidité avec laquelle les cautions ou l’ASFC doivent être avisées d’une alarme. Rien n’indique que l’ASFC doit être la première ou la dernière prévenue. Rien n’indique que le commissaire envisage que Mme Zoto soit en tout temps avec le défendeur ou s’il peut se trouver seul dans la résidence de celle‑ci. L’ordonnance ne précise pas les numéros de téléphone que la société de surveillance doit composer en cas de non-respect. Elle ne précise même pas la zone à l’extérieur de laquelle une alarme sonnera. En bref, elle ne contient pas la précision exigée dans les circonstances de l’espèce. Sur la seule foi des modalités de l’ordonnance de mise en liberté, il n’est pas possible de mettre en œuvre la surveillance électronique proposée avec quelque degré de certitude qu’elle empêchera le défendeur de fuir.

[92]      Telle que prononcée, l’ordonnance est déraisonnable. Même si la surveillance électronique était reconnue comme une solution de rechange raisonnable à la détention, l’ordonnance de la Section doit décrire avec suffisamment de précision les conditions de cette surveillance. Les parties ne peuvent simplement pas, comme l’a proposé le défendeur, en régler les détails. Si le commissaire avait voulu agir ainsi, il aurait pu fournir des motifs indiquant que la mise en liberté serait ordonnée moyennant des cautions et la surveillance, ajourner ensuite l’audience pour quelques jours, enjoignant aux parties de revenir avec une entente concernant les modalités nécessaires d’une telle ordonnance pour son examen ou être disposées à présenter des observations si elles n’arrivaient pas à s’entendre.

[93]      Cependant, dans sa forme actuelle, l’ordonnance de mise en liberté est déraisonnable et est annulée.

[94]      Les parties ont eu l’occasion de proposer une question à des fins de certification et aucune ne l’a fait.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision de Harold Shepherd de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 27 août 2012, ordonnant la mise en liberté du défendeur à la suite de sa détention par les autorités de l’immigration est annulée et aucune question n’est certifiée.

_______________________

[1] La Cour a reçu des copies certifiées des motifs écrits et de l’ordonnance de mise en liberté du commissaire, datées du 27 septembre 2012, uniquement après l’audience de la présente demande parce que celle-ci a été instruite à très brève échéance selon la procédure accélérée afin qu’une décision puisse être rendue avant le prochain contrôle des motifs de détention. En conséquence, la demande a été instruite au fond en fonction des dossiers que les parties ont déposés dans le cadre de la requête en sursis présentée par le ministre. Il ne semble pas y avoir de différence entre les deux, sauf pour les corrections orthographiques et grammaticales. Dans les présents motifs, les passages cités sont tirés des dossiers de la requête en sursis que les conseils et la Cour ont utilisés à l’audience. Bien que ces passages, tels que transcrits, contiennent des erreurs orthographiques et grammaticales évidentes, ils n’ont pas été corrigés.

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