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[2001] 1 C.F. 89

A-739-97

Fletcher Challenge Canada Limited (appelante)

c.

Sa Majesté la Reine (intimée)

Répertorié : Fletcher Challenge Canada Ltd. c. Canada (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Létourneau et McDonald, J.C.A.—Vancouver, 2 mai; Ottawa, 5 juillet 2000.

Impôt sur le revenu — Calcul du revenu — Allocation du coût en capital — Le contribuable a acquis des permis de coupe de bois en 1963 — Il les a renouvelés en 1972 — Il les a échangés en 1979 contre des permis régis par les nouvelles dispositions de la Forest Act — Le gouvernement provincial a acquis les permis en 1987 en échange de permis de coupe visant du bois situé sur un autre territoire — La contrepartie totale de 4 697 491 $ comprenait les permis de remplacement, évalués à 3 442 675 $, ainsi qu’une somme en espèces de 1 254 816 $ — Le contribuable a considéré l’échange de 1987 comme une disposition de « concessions forestières et droits de coupe », qualification donnée jusqu’en 1974 aux droits de coupe de bois — Le législateur a modifié la Loi de l’impôt sur le revenu en 1974 pour créer les « avoirs forestiers », qui sont définis à l’art. 13(21)d.1) comme la prorogation ou le renouvellement d’un droit initial — Dans une nouvelle cotisation, le ministre a considéré les permis de remplacement comme des « avoirs forestiers » acquis sans frais par l’appelante — Le ministre a par conséquent refusé la déduction pour amortissement demandée par l’appelante en 1988 — Le contribuable a reconnu que c’était à bon droit que la Cour de l’impôt avait conclu que les permis de remplacement étaient des « avoirs forestiers » — Aux termes de l’art. 13(21)d.1) de la Loi, pour être considéré comme un permis de remplacement, un « avoir forestier » doit avoir été acquis après le 6 mai 1974 — Il a été « acquis » s’il a été prolongé, renouvelé ou remplacé après le 6 mai 1974 — Les permis de remplacement ont donc été acquis en 1979 — L’art. 20(1) des Règles d’application de l’impôt sur le revenu, qui exige que le bien soit acquis avant 1972, ne s’applique pas — Le contribuable n’a pas « renoncé » à la valeur des permis initiaux pour acquérir les permis de remplacement — Les permis initiaux ont expiré et ont été remplacés par l’effet de la loi.

Il s’agit de l’appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt. En 1963, l’appelante a acquis des permis initiaux pour couper du bois sur pied en Colombie-Britannique. Ces permis ont été renouvelés pour sept ans en 1972. En 1979, la contribuable a échangé ces permis contre de nouveaux permis (les permis de remplacement) qui visaient des territoires identiques, mais qui étaient régis par la version modifiée en 1978 de la Forest Act de la province. En 1987, la province a, en échange de permis de coupe visant du bois situé sur un autre territoire, obtenu les permis de remplacement dont elle avait besoin pour créer le parc national Pacific Rim. Les permis de remplacement étaient évalués à 3 442 675 $, en plus d’une somme en espèces de 1 254 816 $, pour une contrepartie totale de 4 697 491 $.

Jusqu’en 1974, les droits de coupe de bois étaient qualifiés par la Loi de l’impôt sur le revenu de « concessions forestières et droits de coupe », un genre de bien amortissable qui conférait à son propriétaire le droit de se prévaloir d’une déduction pour épuisement. Le contribuable n’a cependant jamais demandé de déduction pour épuisement à l’égard du coût en capital de ces permis. En 1974, la Loi a été modifiée. Le législateur a créé les « avoirs forestiers », un autre type de bien amortissable qui a été défini au sous-alinéa 13(21)d.1)(ii) comme un droit ou un permis de couper du bois sur un territoire si ce droit ou ce permis pouvait être raisonnablement considéré comme la prorogation ou le renouvellement d’un droit initial acquis par le contribuable ou s’il avait été acquis en remplacement de ce droit initial. Le contribuable n’a jamais demandé de déduction pour amortissement à l’égard des permis de remplacement. Les modifications de 1974 s’appliquaient aux avoirs forestiers acquis après le 6 mai 1974.

Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1987, le contribuable a considéré l’échange de permis comme une disposition de « concessions forestières et de droits de coupe », c’est-à-dire comme une disposition de biens en immobilisations dont le prix de base rajusté était égal à leur valeur au jour de l’évaluation, soit 4 697 491 $, ne donnant ainsi lieu ni à un gain ni à une perte. Par ce traitement, l’appelante considérait ainsi implicitement que les permis de remplacement étaient une simple continuation des permis initiaux. Le ministre n’a pas établi de nouveau l’impôt dû par l’appelante pour son année d’imposition 1987 dans le délai prescrit par la loi, mais a établi une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 1988 en considérant les permis de remplacement comme des « avoirs forestiers » acquis sans frais par l’appelante. En conséquence, le ministre n’a pas permis au contribuable d’augmenter la fraction non amortie du coût en capital des biens de la catégorie 33 par suite de l’acquisition des permis de remplacement, il a considéré l’échange de 1987 comme une disposition par laquelle une somme de 4 697 492 $ avait été soustraite de la fraction non amortie du coût en capital des biens de la catégorie 33 et il a ajouté la somme de 3 442 675 $ à cette catégorie à titre de coût des permis. Le ministre a par conséquent rejeté la déduction pour amortissement de 169 908 $ demandée par l’appelante en 1988. Pour accueillir l’appel en partie, la Cour de l’impôt a conclu que les permis de remplacement étaient des « avoirs forestiers » et que la fraction non amortie du coût en capital des permis de remplacement était le prix initial payé en 1963 par le contribuable pour acquérir les permis initiaux, soit 259 178 $. Le contribuable a reconnu que c’était à bon droit que la Cour de l’impôt avait conclu que les permis de remplacement étaient des « avoirs forestiers ». Le paragraphe 20(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu prévoit que, lorsqu’un contribuable dispose d’un bien amortissable qu’il a acquis avant 1972 et qui lui a appartenu « pendant toute la période » allant du 31 décembre 1971 jusqu’à la date, postérieure à 1971, à laquelle il en a disposé, et que le coût initial de ce bien est inférieur à sa valeur au jour de l’évaluation et au produit de sa disposition, le produit de la disposition est alors réputé être un montant égal au total obtenu en additionnant le coût en capital du bien, pour lui, et la fraction, si fraction il y a, du produit de la disposition du bien, déterminé par ailleurs, qui est en sus de la juste valeur marchande du bien au jour de l’évaluation. Pour que le paragraphe 20(1) s’applique, il faut déterminer s’il y a eu disposition du bien entre 1971 et 1987.

La question en litige est celle de savoir si l’échange de permis a donné lieu à une disposition.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Compte tenu de l’admission du contribuable, qui a reconnu que le juge de la Cour de l’impôt avait conclu à bon droit que les permis de remplacement étaient des « avoirs forestiers », le paragraphe 20(1) du RAIR ne s’applique pas. Les permis de remplacement ne pouvaient être des « avoirs forestiers » que s’ils avaient été acquis après le 6 mai 1974, parce que, aux termes de l’alinéa 13(21)d.1) de la Loi et des dispositions transitoires, pour que le permis soit considéré comme possédant un « avoir forestier », le contribuable doit avoir acquis le droit de couper du bois sur une concession ou un territoire du Canada après cette date. Il a été jugé que les droits de coupe de bois qui ont été prolongés, renouvelés ou remplacés après le 6 mai 1974 ont été « acquis » après cette date. Ainsi, le contribuable a, en l’espèce, acquis les permis de remplacement en 1979.

Le contribuable affirme qu’il a « renoncé » à la valeur des permis initiaux pour acquérir les permis de remplacement et que le coût des permis de remplacement est égal à la juste valeur marchande des permis initiaux au moment de l’échange. En l’espèce, le contribuable n’a pas renoncé à quoi que ce soit pour obtenir les permis de remplacement. Les articles 20 et 33 de la Forest Act prévoyaient l’expiration des permis initiaux et exigeaient que des permis de remplacement soient délivrés de plein droit. Les permis de remplacement conféraient à leur titulaire les mêmes droits de coupe sur le même territoire que les permis initiaux.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi modifiant le droit fiscal, S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 6(7),(9).

Forest Act, R.S.B.C. 1979, ch. 140, art. 19, 20, 33.

Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 13(5),(21)d.1) (mod. par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 6), 20(1)a).

Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu, 1971, S.C. 1970-71-72, ch. 63, partie III, art. 20(1).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 1101(1)e), ann. VI.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Kettle River Sawmills Ltd. c. Canada, [1994] 1 C.T.C. 182; (1993), 94 DTC 6086; 164 N.R. 241 (C.A.F.); conf. [1992] 2 C.T.C. 276; (1992), 92 DTC 6525; 56 F.T.R. 191 (C.F. 1re inst.).

APPEL d’une décision par laquelle la Cour canadienne de l’impôt a jugé que des permis de coupe de bois acquis en 1979 en remplacement des permis initiaux acquis en 1963 et renouvelées en 1972 étaient des « avoirs forestiers » au sens du sous-alinéa 12(21)(d.1)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu dont la fraction non amortie du coût en capital des permis de remplacement correspondait au prix initial payé par l’appelante pour acquérir les permis initiaux (Fletcher Challenge Canada Ltd. c. R., [1998] 1 C.T.C. 2279; (1997), 98 DTC 1048 (C.C.I.)). Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Warren J. A. Mitchell, c.r. pour l’appelante.

O. Brent Paris pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons, Vancouver, pour l’appelante.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Desjardins, J.C.A. : La question en litige dans le présent appel[1] est le traitement fiscal qu’il convient de donner, pour l’année d’imposition 1988 de l’appelante, à deux opérations qu’elle a réalisées successivement en 1979 et en 1987 au sujet de permis de coupe de bois, de même que leurs incidences sur le calcul de la « fraction non amortie du coût en capital » des biens de la catégorie réglementaire (la catégorie 33) de laquelle les permis de coupe en question font partie.

Les faits[2]

[2]        En 1963, l’appelante, une compagnie forestière de la Colombie-Britannique, a acquis les permis spéciaux de coupe 8044P et 8045P (les permis initiaux) pour la somme de 259 178 $. Les permis initiaux, également appelés « permis Pacific Rim », conféraient à l’appelante le droit de couper du bois sur pied dans une zone définie, sous réserve des modalités du permis de ferme forestière TFL 27. L’appelante a demandé et obtenu le renouvellement des permis Pacific Rim en 1972. Chaque renouvellement valait pour une période de sept ans et chaque permis continuait à être assujetti au même permis de ferme forestière. En 1978, la Forest Act[3] de la Colombie-Britannique a été modifiée et le système d’octroi et de renouvellement de divers types de droits et privilèges de coupe de bois accordés par la province a été remanié en profondeur. En vertu des nouvelles dispositions de la Forest Act, les titulaires des droits et privilèges existants se sont vus conférer le droit de remplacer les droits qu’ils possédaient par de nouveaux permis de coupe régis par les nouvelles dispositions de la Forest Act.

[3]        En 1979, l’appelante, exerçant son droit de remplacement, a échangé les permis initiaux pour les permis de coupe T0005 et T0007 (les permis de remplacement). Ces permis visaient les mêmes territoires que les permis initiaux et étaient eux aussi assujettis au permis TFL 27. Les permis de coupe T0005 et T0007 ont été délivrés conformément à l’article 20 de la Forest Act modifiée.

[4]        En 1986, la province et l’appelante ont conclu un accord d’échange aux termes duquel la province a, en échange des permis de coupe T0910 et T0911, obtenu les permis de remplacement dont elle avait besoin pour créer le parc national Pacific Rim. La date de conclusion de l’accord d’échange a été reportée au 3 mars 1987, date à laquelle l’échange de permis a eu lieu. Les permis de remplacement étaient évalués à 3 442 675 $, en plus d’une somme en espèces de 1 254 816 $, pour une contrepartie totale de 4 697 491 $. L’opération a été conclue au cours de l’année d’imposition 1987 de l’appelante. Les permis T0910 et T0911, obtenus en échange, visaient du bois situés sur un autre territoire que celui où se trouvait le bois assujetti aux permis de remplacement.

[5]        Jusqu’en 1974, tous les droits de coupe de bois du type de ceux que l’appelante avait acquis en 1963 étaient qualifiés par la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi) de « concessions forestières et droits de coupe », un genre de bien amortissable qui conférait à son propriétaire le droit de se prévaloir d’une déduction pour épuisement (« selon le volume de bois récolté »)[4]. L’appelante n’a jamais demandé de déduction pour épuisement à l’égard du coût en capital de ces permis. En 1974, la Loi a été modifiée. Le législateur a créé les « avoirs forestiers », un autre type de bien amortissable qui a été défini comme un droit ou un permis de couper du bois sur un territoire si ce droit ou ce permis pouvait être raisonnablement considéré comme la prorogation ou le renouvellement d’un droit initial acquis par le contribuable ou s’il avait été acquis en remplacement de ce droit initial[5]. L’appelante n’a jamais demandé de déduction pour amortissement à l’égard des permis de remplacement.

[6]        Dans sa déclaration de revenus pour l’année d’imposition 1987, l’appelante a considéré l’échange des permis de remplacement pour les permis de coupe T0910 et T0911 comme la disposition de « concessions forestières et de droits de coupe », c’est-à-dire comme la disposition de biens en immobilisations dont le prix de base rajusté était égal à leur valeur au 31 décembre 1971 (« jour de l’évaluation »), soit 4 697 491 $, ne donnant ainsi lieu ni à un gain ni à une perte. Par ce traitement, l’appelante considérait ainsi implicitement que les permis de remplacement étaient une simple continuation des permis initiaux.

[7]        Le ministre n’a pas établi de nouveau l’impôt dû par l’appelante pour son année d’imposition 1987 dans le délai prescrit par la loi. Le ministre a toutefois établi une nouvelle cotisation pour son année d’imposition 1988. Dans cette nouvelle cotisation, le ministre a considéré les permis de remplacement, non pas comme des « concessions forestières et droits de coupe », mais comme des « avoirs forestiers » acquis sans frais par l’appelante.

[8]        En conséquence, le ministre :

a) n’a pas permis à l’appelante d’augmenter la fraction non amortie du coût en capital des biens de la catégorie 33 par suite de l’acquisition des permis de remplacement;

b) a considéré l’échange de 1987 comme une disposition par laquelle une somme de 4 697 492 $ avait été soustraite de la fraction non amortie du coût en capital des biens de la catégorie 33;

c) a ajouté la somme de 3 442 675 $ à cette catégorie à titre de coût des permis T0910 et T0911.

[9]        Par suite de l’établissement de la nouvelle cotisation de l’appelante pour son année d’imposition 1988, le solde de la catégorie 33 était négatif d’un montant de 60 094 $, qui a été ajouté au revenu de 1988 de l’appelante, et le ministre a rejeté la déduction pour amortissement de 169 908 $ demandée par l’appelante en 1988.

[10]      L’appelante s’est opposée à l’avis de nouvelle cotisation et a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Dans son avis d’appel, l’appelante a déclaré que, selon ses calculs, la valeur des permis initiaux au jour de l’évaluation était égale à la valeur de la somme payée en espèces et des permis T0910 et T0911 (4 697 492 $) et elle a affirmé ce qui suit :

a) Les permis de remplacement n’étaient pas des « avoirs forestiers » au sens de l’alinéa 13(21)d.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu;

b) S’ils étaient des « avoirs forestiers », les permis de remplacement avaient été acquis à un prix égal à la valeur des permis initiaux au moment de l’échange, en 1979.

Le jugement de première instance

[11]      Pour accueillir l’appel en partie, le juge de la Cour de l’impôt a conclu que :

a) les permis de remplacement (délivrés en 1979) ont été classifiés à juste titre par le ministre à titre d’avoirs forestiers conformément au sous-alinéa 13(21)d.1)(ii) de la Loi de l’impôt sur le revenu, (parce qu’il y a eu) une prolongation, un renouvellement ou un remplacement des (permis initiaux);

b) la fraction non amortie du coût en capital des permis de remplacement était le prix initial payé par l’appelante pour acquérir les permis initiaux, soit 259 178 $ (une conclusion qui s’accorde avec le paragraphe 13(5) de la Loi, qui exige le transfert du coût en capital initial d’une catégorie à l’autre de biens amortissables lors de leur reclassement);

c) la valeur de la fraction non amortie du coût en capital des permis était de 259 178 $.

Thèse de l’appelante

[12]      L’appelante reconnaît maintenant que les conclusions suivantes du juge de la Cour de l’impôt sont bien fondées :

a) les permis de remplacement reçus par l’appelante par suite de la prolongation, du renouvellement ou du remplacement des permis initiaux étaient des « avoirs forestiers » au sens du sous-alinéa 13(21)d.1)(ii) de la Loi;

b) la fraction non amortie du coût en capital des permis de remplacement pour l’appelante ne correspondait pas à la juste valeur marchande des permis initiaux dont les permis de remplacement représentaient un renouvellement ou une prolongation, ou qu’ils remplaçaient, mais bien à 259 178 $, c’est-à-dire au prix payé par l’appelante pour acquérir les permis initiaux et à la fraction non amortie du coût en capital des permis en question.

[13]      Si l’on accepte que les permis de remplacement sont des « avoirs forestiers » dont le coût et la fraction non amortie du coût en capital sont de 259 178 $, le seul point litigieux soulevé par l’appelante est celui de savoir si le juge de première instance a commis une erreur en se prononçant sur les incidences fiscales de l’échange ou du remplacement des permis T0910 et T0911 en 1987.

[14]      Voici la thèse de l’appelante à ce sujet.

[15]      Si, comme le juge de la Cour de l’impôt l’a estimé, les permis de remplacement n’étaient que le prolongement des permis initiaux dont le coût, payé en 1963, était de 259 178 $, le paragraphe 20(1) des Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu[6] (RAIR) s’applique. Le paragraphe 20(1) des RAIR prévoit que, lorsqu’un contribuable dispose d’un bien amortissable qu’il a acquis avant 1972 et qui lui a appartenu pendant toute la période allant du 31 décembre 1971 jusqu’à la date, postérieure à 1971, à laquelle il en a disposé, et que le coût initial de ce bien est inférieur à sa valeur au jour de l’évaluation et au produit de sa disposition, le produit de la disposition doit être calculé selon la formule expressément prévue à ce paragraphe.

[16]      Si, en revanche, la Cour conclut que les permis de remplacement obtenus en 1979 n’étaient que le prolongement des permis initiaux en question, il s’ensuit nécessairement qu’il y a eu disposition des permis, et que le coût des permis de remplacement était égal à la juste valeur marchande des permis initiaux. Il devient alors nécessaire de déterminer leur valeur en 1979. L’appelante a affirmé au procès que cette valeur s’établissait à 4 697 491 $.

[17]      En bref, soutient l’appelante, ou bien l’échange des permis initiaux pour les permis de remplacement qui s’est produit en 1979 n’a pas donné lieu à une disposition, auquel cas le produit de la disposition en 1987 doit être rajusté conformément au paragraphe 20(1) des RAIR, ou bien l’échange en question a effectivement donné lieu à une disposition, auquel cas le prix de base des permis de remplacement (à rajouter à la catégorie 33) équivaut à la valeur des permis initiaux en 1979, soit 4 697 491 $.

Analyse

[18]      Le paragraphe 20(1) des RAIR dispose :

20. (1) Lorsque le coût en capital, pour un contribuable, d’un bien amortissable d’une catégorie prescrite qu’il a acquis avant 1972 et qui lui a appartenu pendant toute la période allant du 31 décembre 1971 jusqu’à la date, postérieure à 1971, à laquelle il en a disposé, est inférieur à la juste valeur marchande du bien au jour de l’évaluation et au produit de la disposition qu’il en a obtenu, déterminé par ailleurs, les règles suivantes s’appliquent :

a) aux fins de l’article 13 de la loi modifiée, de la sous-section c de la section B de la Partie I de cette loi et de tout règlement établi en vertu de l’alinéa 20(1)a) de celle-ci, le produit de la disposition que le contribuable a tiré du bien est réputé être un montant égal au total obtenu en additionnant le coût en capital du bien, pour lui, et la fraction, si fraction il y a, du produit de la disposition du bien, déterminé par ailleurs, qui est en sus de la juste valeur marchande du bien au jour de l’évaluation; et [Je souligne.]

[19]      Pour que le paragraphe 20(1) des RAIR s’applique, il faut décider si le bien amortissable a appartenu à l’appelante « pendant toute la période » allant du 31 décembre 1971 jusqu’à la date à laquelle elle en a disposé, en 1987. Il est donc nécessaire de déterminer si l’opération survenue en 1979 constituait une disposition de droits ayant une valeur.

[20]      L’appelante prétend que le juge de la Cour de l’impôt a déclaré que les permis de remplacement étaient le prolongement des permis initiaux. Or, le juge de la Cour de l’impôt n’a rien dit de tel. Il a toutefois conclu, après avoir cité les propos du juge d’appel Hugessen dans l’arrêt Kettle River Sawmills Ltd. c. Canada[7], que les permis de remplacement avaient à juste titre été classés comme des « avoirs forestiers ». Le juge de la Cour de l’impôt a déclaré[8] :

L’interprétation du sous-alinéa 13(21)d.1)(ii) de la Loi demeure la même. Un permis qui a été acquis avant le 6 mai 1974 cesse d’être des CF et DC[9] et est un avoir forestier s’il est prolongé, renouvelé ou remplacé après cette date. Bien sûr, c’est ici le cas étant donné que les permis Pacific Rim ont été prolongés, renouvelés ou remplacés en 1979.

[21]      L’admission de l’appelante quant au bien-fondé de cette conclusion est incompatible avec sa prétention que le paragraphe 20(1) des RAIR s’applique au calcul du produit de disposition de ces permis. Les permis de remplacement ne peuvent être des « avoirs forestiers » que s’il ont été acquis après le 6 mai 1974, parce que, aux termes de l’alinéa 13(21)d.1) de la Loi et des dispositions transitoires contenues au paragraphe 6(9) du chapitre 26, S.C. 1974-75-76, pour être considéré comme possédant un « avoir forestier », le contribuable doit avoir acquis le droit de couper du bois sur une concession ou un territoire du Canada après le 6 mai 1974.

[22]      Dans l’affaire Kettle River, notre Cour a examiné et retenu l’interprétation que le juge de première instance avait donnée des dispositions pertinentes[10] et a confirmé sa conclusion que les droits de coupe de bois qui avaient été prolongés, renouvelés ou remplacés après le 6 mai 1974 avaient été « acquis » après cette date.

[23]      Ainsi, l’appelante a, en l’espèce, acquis les permis de remplacement en 1979. Ces permis ne peuvent être considérés comme « un bien amortissable qu’il […] [le contribuable] a acquis avant 1972 et qui lui a appartenu pendant toute la période allant du 31 décembre 1971 jusqu’à la date, postérieure à 1971, à laquelle il en a disposé » [soulignement ajouté] pour reprendre le libellé du paragraphe 20(1) des RAIR. Il est donc évident, compte tenu de l’admission de l’appelante, que le paragraphe 20(1) ne peut s’appliquer.

[24]      Pour ce qui est du second argument, l’appelante affirme, comme nous l’avons vu, qu’elle a « renoncé » à la valeur des permis initiaux pour acquérir les permis de remplacement et que le coût des permis de remplacement est égal à la juste valeur marchande des permis initiaux au moment de l’échange.

[25]      Cet argument va à l’encontre de ce que notre Cour a décidé dans l’arrêt Kettle River dans lequel le débat portait notamment sur le coût de certains permis de coupe acquis par renouvellement. Dans cette affaire, les appelantes affirmaient, comme en l’espèce, que le coût des permis obtenus ou renouvelés était égal à la valeur des permis remplacés au moment de leur renouvellement. Cet argument reposait sur la prémisse que les contribuables avaient renoncé aux permis antérieurs en question pour obtenir les permis renouvelés.

[26]      Notre Cour a toutefois conclu que les contribuables n’avaient renoncé à rien pour obtenir les permis renouvelés. Pour infirmer la décision du juge de première instance sur ce point, notre Cour a déclaré ce qui suit[11] :

Le juge de première instance a eu, bien entendu, parfaitement raison d’interpréter le précédent D’Auteuil Lumber comme illustrant le principe que le coût d’un bien est, pour le contribuable, ce qu’il a donné en échange. Il a eu cependant tort de penser que les contribuables en l’espèce, c’est-à-dire les intimées, avaient renoncé à la juste valeur marchande de leurs quotas quand elles firent renouveler leurs permis. En effet, loin d’y avoir renoncé, les intimées, par le renouvellement de leurs permis, ont exercé les droits dont elles jouissaient en vertu de leurs quotas. Dans D’Auteuil Lumber, le contribuable avait vraiment abandonné son droit à l’indemnisation d’expropriation mais, autant que je sache, ni l’une ni l’autre des contribuables en l’espèce n’a renoncé à quoi que ce soit […] Comme le juge de première instance l’a fait remarquer lui-même, les intimées ont « abandonné [leurs quotas] en échange », ce qui ne veut pas du tout dire qu’elles y ont renoncé.

[27]      En l’espèce, l’appelante n’a pas renoncé à quoi que ce soit pour obtenir les permis de remplacement. Les articles 20 et 33 de la Forest Act précisent dans les termes les plus nets que les permis initiaux étaient censés expirer aux termes de la loi et ils exigeaient que des permis de remplacement soient délivrés de plein droit. Les permis de remplacement conféraient à leur titulaire les mêmes droits de coupe sur le même territoire que les permis initiaux.

[28]      Ayant rejeté les deux arguments de l’appelante, je suis d’avis de rejeter l’appel sans frais.

Le juge Létourneau, J.C.A. : Je suis du même avis.

Le juge McDonald, J.C.A. : Je suis du même avis.



[1] Fletcher Challenge Canada Ltd. c. R., [1998] 1 C.T.C. 2279 (C.C.I.) (le juge Sobier).

[2] On trouve un examen détaillé de l’exposé conjoint des faits déposé par les parties aux p. 2282 à 2286 du jugement de la Cour de l’impôt.

[3] R.S.B.C. 1979, ch 140, art. 19, 20 et 33.

[4] Loi de l’impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63, art. 20(1)a); Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 art. 110(1)e), ann. VI.

[5] Les modifications de 1974, que l’on trouve à S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 6(7), et qui s’appliquent aux avoirs forestiers acquis après le 6 mai 1974, sont devenues l’alinéa 13(21)d.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Au cours de l’année d’imposition pertinente, l’année 1988, cet alinéa était ainsi libellé :

13. (21) […]

d.1) « avoir forestier » d’un contribuable désigne

(i) un droit ou un permis de couper ou de retirer du bois sur une concession ou un territoire du Canada (appelé, au présent alinéa, « droit initial ») si

(A) le contribuable a acquis ce droit initial (mais non de la manière visée au sous-alinéa (ii)) après le 6 mai 1974, et si,

(B) à la date de l’acquisition du droit initial,

(I) le contribuable peut raisonnablement être considéré comme ayant acquis, directement ou indirectement, le droit à la prolongation ou au renouvellement de ce droit initial ou le droit d’acquérir un autre droit ou permis de ce genre pour le remplacer, ou,

(II) dans le cours ordinaire des choses, le contribuable peut raisonnablement s’attendre de pouvoir obtenir la prolongation ou le renouvellement de ce droit initial ou de pouvoir acquérir un autre droit ou permis de ce genre pour le remplacer, ou

(ii) tout droit ou permis de couper ou de retirer du bois sur une concession ou un territoire du Canada qui appartient au contribuable si ce droit ou ce permis peut raisonnablement être considéré

(A) comme une prolongation ou un renouvellement d’un droit initial ou comme l’une de plusieurs prolongations ou renouvellements d’un tel droit du contribuable, ou

(B) comme ayant été acquis en remplacement d’un droit initial ou en remplacement d’un renouvellement ou prolongation de celui-ci ou lors d’un ou de plusieurs remplacements d’un tel droit du contribuable ou renouvellement ou d’une telle prolongation.

Comme nous l’avons déjà précisé, cet alinéa a été édicté par S.C. 1974-75-76, ch. 26, art. 6(7). L’art. 6(9) de cette Loi prévoyait ce qui suit au sujet de l’entrée en vigueur de l’art. 7 :

6. […]

(9) Les paragraphes (1), (7) et (8) s’appliquent aux avoirs forestiers acquis après le 6 mai 1974, le paragraphe (2) s’applique aux sommes qui deviennent recevables après le 6 mai 1974 et le paragraphe (3) s’applique après le 6 mai 1974.

[6] Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu, prises en application de la partie III du chapitre 63, S.C. 1970-71-72. Ces règles portent sur l’entrée en vigueur de la version révisée de Loi de l’impôt sur le revenu. Les Règles de 1971 concernant l’application de l’impôt sur le revenu renferment des dispositions transitoires spéciales, ainsi que des règles spéciales qui s’appliquent dans le cas de certains contribuables dont l’année d’imposition ne coïncide pas avec l’année civile (CCH Canadian Limited, 58e éd. 1988, § 36 813).

[7] [1994] 1 C.T.C. 182 (C.A.F.).

[8] Supra, note 1, à la p. 2297.

[9] Concessions forestières et droits de coupe.

[10] Kettle River Sawmills Ltd. c. Canada, [1992] 2 C.T.C. 276 (C.F. 1re inst.) (le juge Strayer, maintenant juge à la Cour d’appel).

[11] Supra, note 7, à la p. 190.

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