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[2001] 1 C.F. 70

IMM-2208-99

Julio Ernesto Castro Andino (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Andino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge en chef adjoint Lutfy—Vancouver, 9 février; Ottawa, 27 juin 2000.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Renvoi de réfugiés — Contrôle judiciaire d’avis sur le danger émis en vertu des art. 70(5) et 53(1)a) de la Loi sur l’immigration — Demandeur reconnu coupable d’incendie criminel (incendie de la grande maison d’une bande indienne) — Demande visant à faire déclarer le demandeur un danger pour le public faite dans un rapport d’enquête examinant en détail les motifs de la décision concernant la condamnation et l’imposition de la peine — Rapport ultérieur du siège de la Commission traitant principalement de l’évaluation du risque que posait le renvoi du demandeur au Salvador — Demande accueillie — Rapport d’enquête n’analysant pas de façon équilibrée les remarques du juge au moment de condamner le demandeur et de lui imposer sa peine — L’obligation d’équité que le ministre doit respecter en émettant un avis sur le danger n’est pas minimale — Le réfugié au sens de la Convention bénéficie d’une protection contre le refoulement, à moins qu’il n’ait déjà été reconnu coupable d’un crime grave au Canada et que, selon le ministre, il constitue un danger pour le public — Rapport d’enquête ne portant pas principalement sur les remarques du juge à propos des circonstances (partialité raciale de la Bande contre le demandeur) qui ont mené à l’incendie criminel — Appréciation de la gravité du crime nécessaire dans le contexte de la probabilité que le réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour le public au Canada — La mesure dans laquelle l’intéressé aura le droit de faire des observations dépendra du droit en jeu — Lorsque le réfugié au sens de la Convention doit être renvoyé vers un pays où il pourrait subir un traitement cruel et inhumain, l’avis sur le danger a des conséquences capitales sur l’avenir des personnes visées — L’équité en l’espèce exigeait que le demandeur ait l’occasion de commenter le rapport d’enquête et le rapport du siège de la Commission avant que le représentant du ministre ne tranche la question de savoir si le ministre devait ou non émettre un avis sur le danger — L’équité l’emportait sur tout fardeau supplémentaire que cette communication au réfugié au sens de la Convention pouvait imposer aux fonctionnaires du défendeur — Le rapport d’enquête contenait des erreurs suffisamment graves de sorte que l’omission de le communiquer au demandeur constituait une violation de l’équité procédurale.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de deux avis sur le danger émis par le représentant du ministre. Le demandeur, un citoyen du Salvador, s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. En 1998, il a été reconnu coupable d’incendie criminel en vertu de l’article 434 du Code criminel et condamné à 42 mois d’emprisonnement. L’édifice détruit était la grande maison de la bande Namgis, qui se trouve à Alert Bay (Colombie-Britannique). Une agente d’immigration a informé le demandeur de son intention de demander au ministre d’émettre un avis selon lequel il constituait un danger pour le public. Le demandeur avait déposé des observations écrites avant que l’agente d’immigration ne recommande que le ministre se dise d’avis que le demandeur constitue un danger pour le public, en application de l’alinéa 53(1)a) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l’immigration. Cette demande a été faite dans le rapport concernant l’avis du ministre selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public (le rapport d’enquête), qui examinait de façon assez détaillée les motifs de décision du juge concernant la condamnation du demandeur et l’imposition d’une peine à ce dernier quant à l’infraction d’incendie criminel. La demande d’avis du ministre ultérieure (le rapport du siège de la Commission), après avoir brièvement fait état des déclarations du juge au sujet de l’« acte déraisonnable » du demandeur et du fait que la peine devait avoir un « effet dissuasif particulier », a principalement traité de l’évaluation du risque que posait le renvoi du demandeur au Salvador et conclu qu’il serait toujours susceptible de subir un traitement cruel et inhumain à son retour dans ce pays. Le représentant du ministre a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Il a émis deux avis à cet effet, mais la présente demande de contrôle judiciaire a été traitée comme si elle visait une seule décision concernant deux avis sur le danger.

La question litigieuse était de savoir si le refus de donner au réfugié au sens de la Convention l’occasion de répondre au rapport d’enquête des fonctionnaires de l’Immigration et au rapport du siège de la Commission, avant qu’un avis sur le danger ne soit émis en vertu de l’alinéa 53(1)a) sur la base de ses antécédents criminels, constituait une violation de l’obligation d’agir de façon équitable.

Jugement : la demande est accueillie.

L’agente d’immigration a commis une erreur lorsqu’elle a dit que le juge n’avait pas expressément déclaré, en déterminant la peine du demandeur après qu’il a été reconnu coupable d’incendie criminel, qu’il était possible que ce dernier devienne un membre valable de la société. En fait, le juge a bel et bien mentionné la possibilité que le demandeur puisse devenir un membre valable de la société. En outre, le juge a souligné que la Bande avait fait preuve d’une grande partialité contre le demandeur sur la base de sa race, ce qui constituait un facteur qui l’avait poussé à commettre le crime. Or, le rapport d’enquête n’a renvoyé à ni l’une ni l’autre de ces remarques contextuelles et, partant, n’a pas analysé de façon équilibrée les remarques du juge au moment de condamner le demandeur et de lui imposer sa peine. Enfin, le rapport d’enquête disait que rien ne garantissait que le demandeur ne s’adonnerait plus à des activités criminelles. Le critère qu’il convient de soumettre au ministre pour fins d’examen n’est pas une garantie quant à savoir si l’intéressé s’adonnera encore à des activités criminelles. Même si les erreurs et omissions du rapport d’enquête étaient graves, il n’était pas nécessaire de trancher la question de savoir si elles rendaient la décision du représentant du ministre « clairement erronée » ou « manifestement déraisonnable », vu la conclusion que la Cour a tirée au sujet de l’équité procédurale.

Vu l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada, il existe une obligation de justifier par écrit une décision fondée sur l’alinéa 53(1)a). Il a déjà été conclu qu’à tout le moins dans certains cas, les rapports sur lesquels le représentant du ministre se fonde devaient être communiqués au demandeur, surtout dans les cas où l’interprétation des renseignements du rapport d’enquête soulève des questions graves quant à leur exactitude et leur caractère exhaustif. En outre, il a déjà été conclu que l’obligation d’équité que le ministre doit respecter en émettant un avis sur le danger n’est pas simplement « minimale »; au contraire, les circonstances nécessitent un examen complet et équitable des questions litigieuses, et les personnes dont les intérêts sont profondément touchés par la décision doivent avoir une possibilité valable de présenter des éléments de preuve pertinents et de les voir évalués de façon complète et équitable. La norme qu’il convient d’appliquer en matière d’équité dans le processus menant à l’avis sur le danger consiste à communiquer les rapports récapitulatifs au demandeur et lui donner l’occasion d’y répondre, et, par la suite, à inclure toute réponse à ces rapports dans les documents envoyés au représentant du ministre, sans analyse autre que celle que le représentant a faite. Le demandeur est un réfugié au sens de la Convention qui bénéficie d’une protection contre le refoulement, à moins qu’il n’ait déjà été reconnu coupable d’un crime grave au Canada et que, selon le ministre, il constitue un danger pour le public. Le rapport d’enquête n’a pas dirigé son attention sur les remarques du juge à propos des circonstances qui ont mené à l’incendie criminel que le demandeur a allumé. Une telle analyse serait nécessaire pour convenablement apprécier la gravité du crime quant à la probabilité que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. L’obligation d’agir de façon équitable à l’égard d’un réfugié au sens de la Convention exige davantage que le simple fait d’exposer des motifs; cela est d’autant plus vrai en l’espèce que le demandeur serait susceptible de subir un traitement cruel et inhumain à son retour dans son pays d’origine. La mesure dans laquelle l’intéressé aura le droit de faire des observations dépendra du droit de ce dernier qui est en jeu et de la mesure dans laquelle la décision est susceptible d’y porter atteinte. L’obligation d’équité décrite dans Baker exige que le réfugié au sens de la Convention qui doit être renvoyé vers un pays où il pourrait subir un traitement cruel et inhumain ait l’occasion de commenter le rapport d’enquête et le rapport du siège de la Commission avant que le représentant du ministre ne tranche la question de savoir si le ministre doit ou non émettre un avis sur le danger. Une telle détermination a des conséquences capitales sur l’avenir des personnes visées. L’équité l’emportait sur tout fardeau supplémentaire que cette communication au réfugié au sens de la Convention pouvait imposer aux fonctionnaires du défendeur dans le cadre du processus prévu à l’alinéa 53(1)a). Même s’il n’est pas nécessaire de communiquer au réfugié au sens de la Convention les rapports dont le représentant du ministre a tenu compte dans tous les cas où le réfugié fait l’objet d’un avis sur le danger prévu à l’alinéa 53(1)a) afin qu’il puisse les réfuter, la Cour a conclu, sur la base des faits de l’affaire, que le rapport d’enquête contenait des erreurs suffisamment graves de sorte que l’omission de le communiquer au demandeur constituait une violation de l’équité procédurale.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 264.1(1)a) (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 38; L.C. 1994, ch. 44, art. 16), 266, 434 (mod. par L.C. 1990, ch. 15, art. 1).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fb), 32, 33.

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch I-2, art. 19(1)c) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 53(1)a) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43), 70(5) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 302.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 127 F.T.R. 181 (C.F. 1re inst.); Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1999), 5 Imm. L.R. (3d) 189 (1re inst.).

DÉCISIONS CITÉES :

Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 525 (1998), 148 F.T.R. 296 (1re inst.); Goyal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 4 Admin. L.R. (2d) 159; 9 C.R.R. (2d) 188; 142 N.R. 176 (C.A.F.); Bulat c. Canada (Conseil du Trésor) (2000), 252 N.R. 182 (C.A.F.); Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (2000), 18 Admin. L.R. (3d) 159; 5 Imm. L.R. (3d) 1; 252 N.R. 1 (C.A.); Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 854 (C.A.) (QL).

DOCTRINE

Brown, Donald J. M. and John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, loose-leaf ed. Toronto : Canvasback, 1998.

Takkenberg, A. and C. C. Tahbaz (editors). The Collected Travaux préparatoires of the 1951 Geneva Convention relating to the Status of Refugees. Amsterdam : Dutch Refugee Council, 1990.

DEMANDE de contrôle judiciaire de deux avis sur le danger visant le demandeur, un réfugié au sens de la Convention, au motif que l’omission de lui fournir le rapport d’enquête et le rapport du siège de la Commission afin qu’il puisse y répondre avant que le représentant du ministre n’examine la question constituait une violation de l’équité procédurale. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Antya Schrack pour le demandeur.

Kimberly G. Shane pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Antya Schrack, Vancouver, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs d’ordonnance rendus par

[1]        Le juge en chef adjoint Lutfy : La principale question litigieuse que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est de déterminer en quoi consiste l’obligation d’équité procédurale que l’on doit remplir en appréciant si un réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour le public au Canada, sur la base d’antécédents criminels graves.

Les faits

[2]        En 1993, le demandeur, Julio Ernesto Castro Andino, un citoyen du Salvador, s’est vu reconnaître le statut de réfugié par la section du statut de réfugié.

[3]        Le 9 septembre 1994, il a plaidé coupable d’avoir commis les infractions suivantes : a) sciemment proférer une menace de causer la mort ou de graves lésions corporelles à Mme Lillian Patskovski, infraction prévue à l’alinéa 264.1(1)a) [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 38; L.C. 1994, ch. 44, art. 16] du Code criminel [L.R.C. (1985), ch. C-46]; et b) voies de fait contre Mme Patskovski, infraction prévue à l’article 266 du Code. Le demandeur s’est vu imposer une peine d’emprisonnement de 30 jours et une année de probation.

[4]        Le 9 mars 1998, le demandeur a été reconnu coupable d’incendie criminel en vertu de l’article 434 [mod. par L.C. 1990, ch. 15, art. 1] du Code criminel après avoir plaidé non coupable. L’incendie criminel a eu lieu vers 7 h, le 29 août 1997. L’édifice détruit était la grande maison ou le centre culturel de la bande Namgis, qui se trouve à Alert Bay (Colombie-Britannique). Le juge a déterminé que la peine qu’il convenait d’imposer au demandeur était une peine d’emprisonnement de 42 mois moins les 18 mois au cours desquels il avait déjà été détenu. Le demandeur s’est donc vu imposer une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour.

[5]        Le 23 octobre 1998, une agente d’immigration de Nanaïmo (C.-B.) a informé le demandeur de son intention de demander au ministre d’émettre un avis selon lequel il constituait un danger pour le public. Voici une partie de la lettre que l’agente d’immigration a envoyée au demandeur :

[traduction] Si le ministre se dit d’avis que vous constituez un danger pour le public au Canada en application du paragraphe 70(5) de la Loi sur l’immigration, vous n’aurez pas le droit de former un appel contre une mesure d’expulsion devant la section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et, conformément à l’alinéa 53(1)a) de la Loi, vous serez susceptible d’être renvoyé du Canada vers le pays à l’égard duquel vous avez obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention.

[6]        Le 25 janvier 1999, après avoir obtenu une prorogation du délai applicable, l’avocate du demandeur a déposé des observations écrites selon lesquelles il n’était pas nécessaire, dans les circonstances, d’émettre un avis sur le danger.

[7]        Le 28 janvier 1999, l’agente d’immigration a recommandé que l’on demande au ministre de se dire d’avis que le demandeur constitue un danger pour le public, en application de l’alinéa 53(1)a) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 43] et du paragraphe 70(5) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 13] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2. L’agente d’immigration a fait cette demande dans le rapport concernant l’avis du ministre selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public, qu’elle a préparé à Nanaïmo (le rapport d’enquête). Je fais remarquer que le titre du rapport d’enquête renvoie à l’alinéa 53(1)a) et au paragraphe 70(5), bien que l’agente d’immigration ait, par inadvertance semble-t-il, mentionné seulement cette dernière disposition dans sa conclusion.

[8]        Le 29 janvier 1999, le gestionnaire de l’agente d’immigration a souscrit à sa recommandation.

[9]        Le 18 février 1999, une agente de réexamen a signé une demande d’avis du ministre (le rapport du siège de la Commission), encore une fois en vertu de l’alinéa 53(1)a) et du paragraphe 70(5) de la Loi. L’agente de réexamen a mentionné qu’elle avait examiné la lettre que le demandeur avait reçue de même que les documents qui accompagnaient celle-ci, les observations que l’avocate du demandeur avait présentées, et le rapport sur l’avis du ministre que l’agente d’immigration avait préparé. La demande d’avis du ministre traitait principalement de considérations concernant les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il était renvoyé du pays. L’agente de réexamen a fait remarquer :

[traduction] […] j’estime que M. Castro Andino serait toujours susceptible de subir un traitement cruel et inhumain à son retour au Salvador, étant donné les activités politiques qu’il menait alors qu’il vivait là-bas. Les risques auxquels il expose le public au Canada doivent être appréciés en fonction des risques qu’il courrait s’il retournait dans le pays dont il a la nationalité, le Salvador.

[10]      Le 19 février 1999, un analyste principal de la Direction générale du règlement des cas a souscrit à la demande de l’agente de réexamen concernant l’avis du ministre.

[11]      Le 23 février 1999, le représentant du ministre a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. Il a émis deux avis à cet effet, l’un fondé sur le paragraphe 70(5), et l’autre, sur l’alinéa 53(1)a) de la Loi.

[12]      Ces deux avis du représentant du ministre sont contestés dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre partie n’a invoqué l’argument que la présente instance porte sur plus d’« une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée », au sens de la règle 302 [des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106]. Au premier paragraphe de son mémoire, le défendeur renvoie à la présente demande de contrôle judiciaire [traduction] « qui vise la décision du représentant du ministre selon laquelle le demandeur constitue un danger pour le public au sens des paragraphes [sic] 70(5) et 53(1)a) de la Loi sur l’immigration ». (Non souligné dans l’original.) En conséquence, je me propose de considérer que la présente demande de contrôle judiciaire vise une seule décision concernant deux avis sur le danger.

[13]      Le rapport d’enquête fournit le raisonnement sur lequel l’agente d’immigration a fondé sa recommandation au sujet de l’avis sur le danger. Ce rapport examine de façon assez détaillée les motifs de décision du juge concernant la condamnation du demandeur et l’imposition d’une peine à ce dernier quant à l’infraction d’incendie criminel. Le rapport traite également des principaux arguments du demandeur selon lesquels il ne convient pas d’émettre un avis sur le danger à son égard.

[14]      Le rapport du siège de la Commission, après avoir brièvement fait état des déclarations du juge au sujet de l’« acte déraisonnable » du demandeur et du fait que la peine devait avoir un « effet dissuasif particulier », a principalement traité de l’évaluation du risque que posait le renvoi du demandeur au Salvador. À cet égard, l’agente de réexamen a examiné le contexte dans lequel s’inscrivait la revendication du statut de réfugié du demandeur de même que les rapports concernant la situation qui règne présentement au Salvador au regard d’un éventuel retour de ce dernier dans ce pays. Comme il a déjà été souligné, l’agente de réexamen a conclu que le demandeur serait toujours susceptible de subir un traitement cruel et inhumain à son retour au Salvador.

[15]      Le demandeur cherche à obtenir, dans le cadre de la présente instance, le contrôle judiciaire de la décision du représentant du ministre.

Analyse

[16]      Le demandeur fait principalement valoir deux arguments pour contester la décision du représentant du ministre. Premièrement, il soutient que le rapport d’enquête n’a pas suffisamment tenu compte d’une déclaration écrite de Lillian Patskovski dans laquelle elle nie avoir jamais été agressée par le demandeur. Le demandeur s’est également dit d’avis que le rapport d’enquête avait considérablement dénaturé les remarques que le juge avait faites lorsqu’il l’avait reconnu coupable d’incendie criminel. Deuxièmement, le demandeur soutient que, de toute façon, l’omission de lui faire parvenir le rapport d’enquête et le rapport du siège de la Commission pour qu’il puisse les commenter avant qu’ils ne soient examinés par le représentant du ministre constituait une violation de la justice naturelle et de l’équité procédurale.

[17]      En ce qui concerne la première question, le demandeur fait valoir qu’une lettre que sa victime, Lillian Patskovski, a envoyée n’a été considérée que de façon secondaire dans le rapport d’enquête. La lettre, dans laquelle il est prétendu que le demandeur n’a pas agressé Mme Patskovski, n’est pas suffisamment détaillée et claire pour que l’on doute vraiment du bien-fondé du plaidoyer de culpabilité de ce dernier en ce qui concerne les accusations d’agression. Même si l’auteur du rapport d’enquête aurait pu traiter davantage de cette lettre, son omission à cet égard ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle. Je fais également remarquer que ni l’une ni l’autre accusation d’agression n’entraîne l’application de l’alinéa 53(1)a).

[18]      Le demandeur conteste également le passage suivant du rapport d’enquête : [traduction] « Il convient de souligner que le juge n’a pas expressément dit que M. Castro Andino était ou n’était pas susceptible de devenir un membre valable de la société ». En fait, le juge a bel et bien mentionné la possibilité que le demandeur puisse devenir un membre valable de la société :

[traduction] La conduite de M. Castro-Andino en tant que « père » des enfants de Mme Patskovski lui est également favorable, ce qui laisse entrevoir, conformément à la philosophie de l’art. 718, une possibilité que M. Castro-Andino devienne un membre valable de la société, après sa libération.

À mon avis, l’agente d’immigration a commis une erreur lorsqu’elle a dénaturé la déclaration du juge qu’il était possible que le demandeur devienne un membre valable de la société.

[19]      En outre, le juge du procès a comparé le rôle du demandeur et celui de Mme Patskovski en tant que parents. Il a également souligné l’attitude des victimes de l’incendie criminel dont le demandeur a été reconnu coupable, sans toutefois l’excuser de sa conduite. Il a dit :

[traduction] Malheureusement, la Bande a fait preuve d’une grande partialité contre M. Andino sur la base de sa race, et ce pendant toute la période pertinente en ce qui concerne la présente affaire. De façon générale, la Bande a décidé qu’elle ne souhaitait pas fréquenter M. Andino, ce que certains membres lui ont clairement dit. Ce rejet n’était pas fondé sur le fait que M. Andino était une personne fondamentalement indésirable, mais plutôt sur le fait qu’il était une personne non autochtone se trouvant sur des terres autochtones.

[…]

Il s’agit d’un homme qui a été un meilleur « parent » que la mère elle-même. Pourtant, la Bande ne pouvait l’accepter, semble-t-il, en raison de ses origines.

[…]

Il incombera maintenant à la collectivité de faire un examen de conscience et de déterminer si ses actes ont contribué ou non à la perte d’une partie importante de son patrimoine.

Dans les remarques qu’il a faites au moment d’imposer la peine au demandeur, le juge a conclu que [traduction] « la façon dont M. Castro-Andino a été traité par certains membres de la collectivité autochtone constituait un facteur qui l’avait poussé à commettre le crime ». Or, le rapport d’enquête n’a renvoyé à ni l’une ni l’autre de ces remarques contextuelles que le juge a faites au sujet du racisme dont le demandeur a été victime, bien que l’agente d’immigration ait cité de façon assez détaillée les remarques défavorables que le juge a faites en matière de crédibilité et de mobile. Le rapport d’enquête n’analyse pas de façon équilibrée les remarques que le juge a faites au moment de condamner le demandeur et de lui imposer sa peine.

[20]      Par ailleurs, un autre passage du rapport d’enquête suscite des réserves, que l’avocate n’a toutefois pas soulevées. Dans son rapport, l’agente d’immigration dit : [traduction] « Rien ne garantit qu’il ne s’adonnera plus à des activités criminelles ». Or, il ne semble pas que le critère qu’il convient de soumettre au ministre pour fins d’examen soit une garantie quant à savoir si l’intéressé s’adonnera encore à des activités criminelles et qu’en conséquence, il constitue un danger pour le public.

[21]      À mon avis, les erreurs et omissions que contient le rapport d’enquête sont graves. Cependant, vu la conclusion que j’ai tirée concernant le deuxième argument principal que le demandeur a fait valoir au sujet de l’équité procédurale, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que je tranche la question de savoir si ces erreurs et omissions rendent la décision du représentant du ministre « clairement erronée » ou encore « manifestement déraisonnable ».

[22]      Selon le deuxième argument du demandeur, ni le rapport d’enquête ni le rapport du siège de la Commission ne lui a été communiqué avant que le représentant du ministre ne rende sa décision. Le demandeur soutient qu’il aurait pu attirer l’attention du représentant du ministre sur ces divergences s’il en avait eu l’occasion. Il fait valoir que les principes d’équité procédurale exigent que ces rapports soient communiqués à l’intéressé afin que ce dernier puisse réfuter, le cas échéant, tout aspect que, selon lui, les fonctionnaires du défendeur ont dénaturé, avant que le représentant du ministre ne prenne de décision au sujet de l’avis sur le danger.

[23]      En vertu de l’article 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6], un réfugié au sens de la Convention ne peut être refoulé, sauf s’il a fait l’objet d’une condamnation pour un crime particulièrement grave et s’il constitue une menace pour la communauté. Voici le libellé de l’article 33 :

Article 33

Défense d’Expulsion et

de Refoulement

1. Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu’il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l’objet d’une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

Ni l’une ni l’autre avocate n’a renvoyé à la Convention dans ses observations. La section Fb) de l’article premier prévoit que les dispositions de la Convention ne s’appliquent pas notamment aux personnes qui ont commis « un crime grave de droit commun » ailleurs que dans le pays de refuge : Brzezinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 4 C.F. 525 (1re inst.). À titre de comparaison, mentionnons qu’en vertu de l’article 33(2), la personne doit avoir fait l’objet d’un crime « particulièrement » grave.

[24]      Je fais remarquer, pour les fins de la présente affaire, que l’article 33(2) s’applique au Canada par l’entremise de l’alinéa 53(1)a) de la Loi sur l’immigration :

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3) [qui traitent du pouvoir d’expulsion conféré au ministre], la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, […] ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si elle appartient à l’une des catégories non admissibles visées :

a) à l’alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;

C’est en raison de sa condamnation pour incendie criminel que le demandeur appartient à l’une des catégories non admissibles visées à l’alinéa 19(1)c) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] de la Loi.

[25]      La deuxième question que soulève le demandeur est donc de savoir si la conclusion du représentant du ministre qu’il constitue un danger pour le public au Canada a été tirée de façon compatible avec les principes d’équité procédurale.

[26]      Les rédacteurs de la Convention étaient soucieux de l’application du principe de l’équité procédurale dans les cas où un État contractant déciderait d’expulser un réfugié pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public. Voici le libellé de l’article 32 de la Convention :

Article 32

Expulsion

1. Les États Contractants n’expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public.

2. L’expulsion de ce réfugié n’aura lieu qu’en exécution d’une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi. Le réfugié devra, sauf si des raisons impérieuses de sécurité nationale s’y opposent, être admis à fournir des preuves tendant à le disculper, à présenter un recours et à se faire représenter à cet effet devant une autorité compétente ou devant une ou plusieurs personnes spécialement désignées par l’autorité compétente.

3. Les États Contractants accorderont à un tel réfugié un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays. Les États contractants peuvent appliquer, pendant ce délai, telle mesure d’ordre interne qu’ils jugeront opportune.

Il ressort notamment des travaux préparatoires que les représentants du Canada et ceux du Royaume-Uni étaient soucieux d’interpréter convenablement l’article 32(2) et les procédures administratives de leurs pays respectifs, lors des négociations qui ont mené à l’adoption de la Convention, en ce qui concerne les personnes faisant l’objet de mesures d’expulsion : A. Takkenberg et C. C. Tahbaz, dir., The Collected Travaux préparatoires of the 1951 Geneva Convention relating to the Status of Refugees (Amsterdam : Dutch Refugee Council, 1990), vol. III, aux pages 332 et 333, qui reproduisent les pages 23 à 25 d’un document, daté du 22 novembre 1951, intitulé U.N. Doc. A/CONF.2/S.R.14, le dossier qui résume la réunion du 10 juillet 1951 de la Conférence.

[27]      Les conséquences d’un avis sur le danger diffèrent selon la disposition législative en vertu de laquelle le représentant du ministre agit. En vertu de l’alinéa 53(1)a) de la Loi sur l’immigration, l’avis sur le danger permet au ministre de renvoyer le réfugié du Canada vers le pays où celui-ci dit être persécuté. En vertu du paragraphe 70(5), la personne qui fait l’objet d’un avis sur le danger perd son droit de former un appel contre la mesure d’expulsion devant la section d’appel de l’immigration.

[28]      Vu l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada, le défendeur concède qu’il existe une obligation de justifier par écrit une décision fondée sur l’alinéa 53(1)a). Il ajoute qu’en l’espèce, les motifs se trouvent dans le rapport d’enquête et les documents qui l’étayent. Le défendeur ne reconnaît pas qu’un avis sur le danger fondé sur le paragraphe 70(5) entraîne l’obligation de fournir des motifs.

[29]      Dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 127 F.T.R. 181 (C.F. 1re inst.), affaire dans laquelle l’avis sur le danger ne visait pas un réfugié au sens de la Convention, le juge MacKay a conclu qu’à tout le moins dans certains cas, les rapports sur lesquels le représentant du ministre se fonde devaient être communiqués au requérant (au paragraphe 28) :

Je ne prétends pas que les documents que le requérant n’a pas vus en l’espèce—les deux rapports internes du Ministère—devraient être fournis à tous les requérants. Je constate toutefois qu’il n’y aurait aucun problème ou préjudice si au moins le premier rapport était communiqué au requérant avant qu’il ne soit transmis à l’Administration centrale à Ottawa, et qu’on donne au requérant l’occasion d’y répondre à cette étape. Toutefois, lorsque des documents renferment des renseignements qui sont importants pour la décision dont le requérant fait l’objet et que ces renseignements ne lui ont pas été communiqués avec la possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue avant que la décision ne soit prise, la décision est viciée et doit être annulée au motif qu’elle a été prise en violation du principe d’équité. [Non souligné dans l’original.]

Il se peut que le juge MacKay renvoyait à l’introduction de nouveaux renseignements dans les rapports du ministère. Cependant, compte tenu de l’obligation d’équité plus grande que propose l’arrêt Baker, il se pourrait fort bien que la démarche que le juge MacKay a adoptée s’applique dans le cas où l’interprétation des renseignements que contient le rapport d’enquête soulève des questions graves quant à leur exactitude et leur caractère exhaustif.

[30]      Dans Bhagwandass c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 1 C.F. 619 (1re inst.), le juge Gibson a conclu, après avoir soigneusement examiné l’arrêt Baker, que l’obligation d’équité que le ministre doit respecter en émettant un avis sur le danger n’est pas simplement « minimale ». Il s’est fondé [aux pages 631 et 632] sur ce que le juge L’Heureux-Dubé a dit au paragraphe 32 de l’arrêt Baker :

Pondérant ces facteurs, je ne suis pas d’accord avec la conclusion de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Shah, [Shah c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 170 N.R. 238] […], que l’obligation d’équité dans ces circonstances est simplement « minimale ». Au contraire, les circonstances nécessitent un examen complet et équitable des questions litigieuses, et le demandeur et les personnes dont les intérêts sont profondément touchés par la décision doivent avoir une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à leur affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable.

Avec égards, je souscris à la conclusion du juge Gibson.

[31]      Le juge Gibson a ensuite fait état de la norme qu’il convient d’appliquer en matière d’équité, à son avis, au processus menant à l’avis sur le danger (au paragraphe 33 [page 639]) :

Par analogie avec le raisonnement que la Cour suprême a tenu dans l’arrêt Baker, je suis convaincu que l’omission, de la part du défendeur, de communiquer les rapports récapitulatifs au demandeur et de donner à ce dernier l’occasion d’y répondre, et, par la suite, d’inclure toute réponse à ces rapports dans les documents qu’il a envoyés à son représentant sans analyse autre que celle que son représentant a lui-même faite, constituait une violation de l’obligation d’équité qui incombait au défendeur à l’égard du demandeur, compte tenu des faits de la présente affaire. Je suis parvenu à cette conclusion en raison d’une préoccupation particulière, compatible avec l’analyse qui a été faite dans l’arrêt Baker, à l’égard de l’importance suprême, pour le demandeur, du résultat de l’examen de la question de savoir s’il constitue un danger pour le public.

Dans l’affaire Bhagwandass, le demandeur était arrivé au Canada en tant que résident permanent. Il n’était pas un réfugié. L’avis sur le danger n’a été émis qu’en vertu du paragraphe 70(5). Les « rapports récapitulatifs » auxquels renvoie le juge Gibson sont semblables à ceux que j’ai décrits dans les présents motifs, soit le rapport d’enquête et le rapport du siège de la Commission. La décision Bhagwandass fait présentement l’objet d’un appel devant la Cour d’appel (dossier no A-850-99).

[32]      En l’espèce, le demandeur est un réfugié au sens de la Convention qui bénéficie d’une protection contre le refoulement, à moins qu’il n’ait déjà été reconnu coupable d’un crime grave au Canada et que, selon le ministre, il constitue un danger pour le public. Selon l’article 33(2) de la Convention de l’ONU, le réfugié doit avoir été l’objet d’une condamnation pour un crime « particulièrement » grave et constituer une menace pour la communauté. L’alinéa 53(1)a) renvoie à des crimes pouvant donner lieu à une peine d’emprisonnement maximale d’au moins dix ans et à l’avis du ministre sur le danger que constitue l’intéressé. Comme je l’ai déjà mentionné au paragraphe 19, le rapport d’enquête n’a pas dirigé son attention sur les remarques du juge du procès à propos des circonstances qui ont mené à l’incendie criminel que le demandeur a allumé. Une telle analyse serait nécessaire, à mon avis, pour convenablement apprécier la gravité du crime quant à la probabilité que le réfugié au sens de la Convention constitue un danger pour le public au Canada.

[33]      Le défendeur reconnaît la différence entre un avis sur le danger fondé sur le paragraphe 70(5) et un tel avis fondé sur l’alinéa 53(1)a), car il convient que ce dernier avis doit être justifié par des motifs. Cependant, à mon avis, l’obligation d’agir de façon équitable à l’égard d’un réfugié au sens de la Convention exige davantage que le simple fait d’exposer des motifs; cela est d’autant plus vrai en l’espèce que le rapport du siège de la Commission mentionne que le demandeur [traduction] « serait toujours susceptible de subir un traitement cruel et inhumain à son retour au Salvador ».

[34]      Le demandeur n’a pas contesté la détermination que le défendeur a faite, sur le plan de la procédure, selon laquelle les observations de personnes contre qui il envisage d’émettre un avis sur le danger doivent être présentées par écrit. L’occasion de présenter à tout le moins des observations écrites est compatible avec les droits de participation au processus que possède l’individu susceptible de faire l’objet d’une quelconque mesure ou décision administrative qui lui serait défavorable.

[35]      La question litigieuse que soulève la présente instance est de savoir si le refus de donner au réfugié au sens de la Convention l’occasion de répondre au rapport d’enquête des fonctionnaires de l’Immigration et au rapport du siège de la Commission, avant qu’un avis sur le danger ne soit émis en vertu de l’alinéa 53(1)a), constitue une violation de l’obligation d’agir de façon équitable. La mesure dans laquelle l’intéressé aura le droit de faire des observations dépendra du droit de ce dernier qui est en jeu et de la mesure dans laquelle la décision est susceptible d’y porter atteinte : D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Canvasback, 1998), aux paragraphes 10 :9300 et 10 :9400; Goyal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 4 Admin. L.R. (2d) 159 (C.A.F.); et Bulat c. Canada (Conseil du Trésor) (2000), 252 N.R. 182 (C.A.F.). En l’espèce, les droits du réfugié au sens de la Convention sont en cause vu ses condamnations ultérieures au criminel. L’avis sur le danger n’a pas été émis parce que le demandeur constitue une menace pour la sécurité nationale du Canada, un facteur qui aurait exigé une audition orale prévue par la loi, comme ce fut le cas dans l’affaire Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.), au paragraphe 54 [page 636].

[36]      Il faut donc déterminer les droits en matière de procédure qui s’appliquent lorsque le ministre se propose d’émettre un avis sur le danger, en vertu de l’alinéa 53(1)a), à l’égard d’un réfugié au sens de la Convention qui sera renvoyé vers un pays où il pourrait subir un traitement cruel et inhumain. À mon avis, l’obligation d’équité décrite dans l’arrêt Baker exige que le réfugié au sens de la Convention ait l’occasion de commenter le rapport d’enquête et le rapport du siège de la Commission avant que le représentant du ministre ne tranche la question de savoir si le ministre doit ou non émettre un avis sur le danger. Dans l’arrêt Baker (au paragraphe 15 [page 834]), le juge L’Heureux-Dubé a dit qu’une telle détermination constituait « une décision importante qui a des conséquences capitales sur l’avenir des personnes visées ». L’équité l’emporte sur tout fardeau supplémentaire que cette communication au réfugié au sens de la Convention pourrait imposer aux fonctionnaires du défendeur dans le cadre du processus prévu à l’alinéa 53(1)a).

[37]      Dans le cas où serait erronée ma conclusion selon laquelle les rapports dont le représentant du ministre a tenu compte doivent d’abord être communiqués au réfugié au sens de la Convention, afin qu’il puisse les réfuter, dans tous les cas où celui-ci fait l’objet d’un avis sur le danger prévu à l’alinéa 53(1)a), j’adopterais l’approche sélective que propose le juge MacKay dans la décision Kim, précitée, au paragraphe 29 [page 189]. Sur la base des faits de la présente affaire, je conclus que le rapport d’enquête n’a pas résumé de façon équilibrée les remarques du juge du procès, car il les a considérablement dénaturées; en fait, le rapport d’enquête a même contredit le juge sur un point très favorable au demandeur. J’estime que ces erreurs sont assez graves pour me permettre de conclure que l’omission de communiquer le rapport d’enquête au demandeur constitue une violation de l’équité procédurale.

[38]      Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du représentant du ministre d’émettre des avis sur le danger en vertu du paragraphe 70(5) et de l’alinéa 53(1)a) de la Loi est annulée et l’affaire est renvoyée pour qu’il soit statué de nouveau sur celle-ci, mais de façon compatible avec les présents motifs. Les avocates pourront faire des observations écrites sur la certification d’une question grave au plus tard 14 jours suivant la date des présents motifs, et après avoir d’abord communiqué l’une à l’autre leurs positions respectives sur cette question.

[39]      Le présent paragraphe est un post-scriptum. Après avoir presque terminé d’exposer les présents motifs, hormis quelques modifications de rédaction, j’ai pris connaissance de l’arrêt que la Cour d’appel a récemment rendu dans l’affaire Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 854 (C.A.) (QL). Il n’a pas été nécessaire que j’invite les avocates à me faire part d’observations supplémentaires.

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