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A-477-11

2012 CAF 333

Wenzel Downhole Tools Ltd. et William Wenzel (appelants)

c.

National-Oilwell Canada Ltd., National Oilwell Nova Scotia Company, National Oilwell Varco Inc., Dreco Energy Services Ltd., Vector Oil Tool Ltd. et Frederick W. Pheasy (intimés)

Répertorié : Wenzel Downhole Tools Ltd. c. National-Oilwell Canada Ltd.

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Gauthier et Mainville, J.C.A.—Edmonton, 10 octobre; Ottawa, 20 décembre 2012.

Brevets — Contrefaçon — Appel d’une décision de la Cour fédérale qui a rejeté l’action en contrefaçon de brevet intentée par les appelants et a fait droit à la demande reconventionnelle, invalidant ainsi le brevet canadien n° 2026630 (le brevet '630) pour cause d’antériorité et d’évidence — Le brevet '630 de l’appelant William Wenzel porte sur un palier de butée utilisé dans un moteur de forage pour puits de pétrole et de gaz — Son frère, Ken Wenzel, a conçu un moteur de forage plus petit (le palier 3103) pour l’intimée, Dreco Energy Services Ltd., avant la délivrance du brevet '630 — Les appelants prétendent que les intimés ont violé leurs droits parce qu’ils fabriquaient et vendaient ou louaient des paliers 3103 — À la question de savoir si la location du palier constituait une divulgation suffisante pour antérioriser le brevet '630, la Cour fédérale a conclu que les outils loués n’étaient pas seulement accessibles pour une inspection visuelle et qu’il aurait été possible de les démonter — La Cour a conclu que le dessin du palier 3103 pouvait être considéré comme une antériorité découlant d’une publication — Quant à l’évidence, la Cour a appliqué la méthode de l’« essai allant de soi », concluant que l’application des éléments du palier à un moteur de forage de fond à boue allait de soi — La juge Gauthier, J.C.A. (le juge Nadon, J.C.A. souscrivant à ses motifs) : La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant à l’antériorité — La question centrale dans le présent appel est celle de savoir si une description exacte et complète de l’invention était disponible — Le critère juridique d’antériorité est appliqué lorsque la possibilité d’obtenir l’information relative à l’invention est établie — Pour être accessible, il suffit que l’accès à l’information soit possible en utilisant des méthodes ou des instruments connus — Les outils de forage sont comparables à un livre se trouvant dans une bibliothèque tandis que le démontage d’un outil peut se comparer au fait de soulever le capot d’une voiture — La présence du livre dans la bibliothèque suffit à rendre l’information qu’il contient accessible et, par conséquent, répond aux conditions en matière d’antériorité — Il est facile pour une personne moyennement versée dans l’art d’examiner et de décrire l’invention sous-jacente au brevet '630 — Il n’était pas approprié de faire référence à la méthode de l’« essai allant de soi » — Néanmoins, la Cour fédérale a procédé à une analyse approfondie et objective des facteurs pertinents — L’invention était évidente quelle que soit la norme utilisée — Aucune erreur n’appelait l’intervention de la Cour en l’espèce — Appel rejeté — Le juge Mainville, J.C.A. (motifs concourants) : La Cour fédérale a commis des erreurs susceptibles de révision en concluant que le brevet '630 était invalide pour cause d’antériorité — La Cour fédérale a appliqué de manière injustifiée un critère subjectif en matière d’antériorité — Pour qu’il y ait invalidation d’un brevet pour cause d’antériorité, il faut qu’il y ait eu une divulgation antérieure — Lorsqu’elle a apprécié les éléments de preuve, la Cour n’a pas tiré de conclusion de fait sur la question de savoir si le dessin détenu par Ken Wenzel constituait une publication accessible au public — Il n’est pas possible d’établir une comparaison avec un livre publié, se trouvant sur les rayons d’une bibliothèque publique — Le fait d’être disposé à être consulté ne peut être assimilé au fait de divulguer des renseignements — L’ajout d’un élément subjectif au critère se heurte aux dispositions de l’art. 28.2(1) de la Loi sur les brevets — La Cour fédérale a commis une erreur en concluant à l’antériorité découlant d’un emploi antérieur — La Cour fédérale n’était pas fondée à s’appuyer sur la jurisprudence Gibney v. Ford Motor Co. of Canada pour faire une analogie avec le fait de « soulever le capot » — L’arrêt Gibney n’expose pas des principes qui régissent la notion moderne d’antériorité — Le brevet '630 n’a pas été antériorisé par le palier 3103 — Cependant, il y a lieu de confirmer la conclusion d’invalidité pour cause d’évidence.

Il s’agissait d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui a rejeté l’action en contrefaçon de brevet intentée par les appelants contre les intimés et qui a fait droit à la demande reconventionnelle, invalidant ainsi le brevet canadien n° 2026630 (le brevet '630) pour cause d’antériorité et d’évidence.

L’appelant, William Wenzel, est l’inventeur dont le nom figure dans le brevet '630, qui a été délivré en 1994. Le brevet '630 comprend trois revendications et porte sur une méthode pour accroître la capacité de charge de traction d’un palier de butée utilisé dans un moteur de forage pour les puits de pétrole et de gaz. Dans les années 1970, il a été au service de son frère aîné, Ken Wenzel, dans un atelier d’usinage rattaché au secteur pétrolier. Ils ont également travaillé ensemble au début des années 1980. Ken a quitté plus tard la société qui l’employait pour fournir à l’intimée, Dreco Energy Services Ltd. (Dreco), des services de conception et d’élaboration d’outils de forage. L’un de ces outils, qui a été conçu en 1989, était un appareil plus compact que le moteur de forage habituel et capable de suivre des angles plus fermés avec un rayon de courbure plus court (le palier 3103). Les paliers 3103 ont été construits par une société dont Ken Wenzel et Dreco étaient les propriétaires et ont été loués à Ensco Technology Company (Ensco), qui les a utilisés pour des travaux de forage. Par leur déclaration déposée en 2005, les appelants soutenaient que les intimés violaient leurs droits parce qu’ils fabriquaient et vendaient ou louaient des paliers identiques, dans tous les aspects importants, à ceux qui étaient protégés par le brevet '630.

La Cour fédérale a convenu que le palier 3103 contenait tous les éléments essentiels des revendications indépendantes contenues dans le brevet '630 et a conclu que la personne qui fabriquerait un palier conformément au modèle du palier 3103 construirait un palier qui serait visé par les revendications 1 et 2 du brevet '630, si cela était fait après la délivrance du brevet. Dans son analyse de la question de savoir si la location des outils de forage à Ensco constituait une divulgation suffisante pour antérioriser le brevet '630, la Cour fédérale a reconnu que le palier 3103 était installé dans un tube d’acier et que, par conséquent, l’inspection visuelle des trois unités louées à Ensco n’aurait pas révélé leur fonctionnement interne. Elle a toutefois conclu que les outils loués à Ensco n’étaient pas seulement accessibles pour une inspection visuelle et qu’il aurait été possible de les démonter. La Cour fédérale a également conclu, à titre subsidiaire, que le dessin du palier 3103 pouvait être considéré comme une antériorité découlant d’une publication puisque Ensco avait eu accès au dessin en question lorsque Ken Wenzel s’était rendu sur le chantier de forage au début de la location. Quant à l’évidence, la Cour fédérale a appliqué l’analyse en quatre étapes suivie dans l’affaire Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. (Sanofi). Selon la Cour fédérale, les idées originales des revendications du brevet '630 étaient le placement par l’inventeur d’un ou plusieurs paliers de butée bidirectionnels dans une seule chambre de confinement contenant également des épaulements permettant à ces mêmes paliers de supporter les charges de compression comme de traction auxquelles l’équipement est soumis pendant les opérations de forage. La Cour fédérale a conclu, entre autres, que la construction des tubes carottiers faisait partie des connaissances générales qu’une personne moyennement versée dans l’art posséderait et, quant à l’analyse de l’« essai allant de soi », elle a conclu qu’il serait évident d’appliquer les éléments d’un palier d’un tube carottier au palier d’un moteur de forage de fond.

Les appelants ont soutenu que la Cour fédérale a commis une erreur dans l’application du droit aux faits de l’espèce en assimilant le palier 3103 à un livre se trouvant sur les rayons d’une bibliothèque publique ou à un moteur se trouvant sous le capot d’une voiture parce que la conclusion de la Cour fédérale ne tenait pas compte des témoignages qu’elle avait retenus, selon lesquels l’invention revendiquée était insérée dans un tube de métal et n’aurait pu être examinée sur le chantier de forage, et en omettant de prendre en compte que rien n’indiquait que la personne moyennement versée dans l’art se trouvait sur le chantier ou qu’une telle personne aurait eu la capacité de démonter l’outil de forage pour examiner le palier 3103 et prendre connaissance de l’invention.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

La juge Gauthier, J.C.A. (le juge Nadon, J.C.A. souscrivant à ses motifs) : La Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant à l’antériorité sur le fondement de la location des moteurs de forage à Ensco. La question centrale dans le présent appel était celle de savoir si une description exacte et complète de l’invention était disponible dans la présente affaire. Le critère en matière d’antériorité découlant d’une divulgation par le biais d’un produit (et également en matière d’antériorité par publication) est de nature objective. Il importe peu qu’une personne correspondant à la définition de la personne moyennement versée dans l’art ait été réellement présente sur le chantier de forage. Le fait de devenir accessible veut dire que le public a eu la possibilité d’obtenir l’information relative à l’invention. Lorsque la possibilité d’obtenir l’information est établie, le critère juridique d’antériorité consacré par la jurisprudence Sanofi (divulgation intégrale de tous les éléments essentiels de l’invention et capacité de la réaliser) est appliqué à l’information que la personne fictive moyennement versée dans l’art obtiendrait à la suite d’un examen fictif. Pour être accessible, il n’est pas nécessaire que l’accès à l’information soit facile; il suffit qu’il soit possible en utilisant des méthodes ou des instruments connus. En l’espèce, les outils de forage en question étaient comparables à un livre se trouvant dans une bibliothèque, et le démontage d’un outil peut comparer au fait de soulever le capot d’une voiture. La présence du livre dans la bibliothèque suffit à rendre l’information qu’il contient disponible et, par conséquent, répond aux conditions en matière d’antériorité prévues à l’article 28.2 de la Loi sur les brevets. La référence au moteur se trouvant sous le capot était une indication que la Cour fédérale a conclu qu’il aurait été assez facile pour une personne moyennement versée dans l’art d’accéder à la structure interne pour examiner et décrire l’invention sous-jacente au brevet '630.

Il n’était pas approprié de faire référence en l’espèce à la méthode de l’« essai allant de soi ». Avant qu’un juge puisse déclarer que la méthode de l'« essai allant de soi » puisse être utile dans un domaine particulier, quel qu’il soit, il doit fournir quelques indications touchant les motifs sur lesquels repose cette conclusion. Idéalement, le juge doit faire référence aux éléments de preuve à l’appui de sa conclusion. En l’absence d’une telle référence expresse, il est possible que le principe sous-jacent à la méthode ressorte de l’analyse effectuée par le juge lorsqu’il l’a appliquée, en particulier lorsqu’il examine les variables prévisibles ainsi que le type de programme d’expérimentation envisagé. Le fait qu’il peut arriver que la personne doive modifier dans son esprit ce qu’elle constate dans l’art antérieur ou ce qui fait partie des connaissances générales communes, ne veut pas toujours dire que la référence à la méthode de l’« essai allant de soi » est justifiée. Il était difficile de repérer dans les motifs des éléments permettant à la Cour de comprendre l’observation de la Cour fédérale selon laquelle la méthode de l’« essai allant de soi » était justifiée. En l’espèce, malgré son renvoi à la méthode de l’« essai allant de soi », la Cour fédérale a procédé à une analyse approfondie et objective des facteurs pertinents, y compris de ceux qui sont exposés dans les trois premières étapes de l’analyse dans l’arrêt Sanofi. Au final, la Cour fédérale a clairement conclu que l’invention était simple ou plus ou moins évidente. Cela veut dire que l’invention était évidente quelle que soit la norme utilisée et la méthode particulière que la Cour fédérale a elle-même retenue. Elle a retenu les preuves qui justifiaient sa conclusion et aucune intervention n’était justifiée en l’espèce.

Le juge Mainville, J.C.A. (motifs concourants) : La Cour fédérale a commis des erreurs susceptibles de révision en concluant que le brevet '630 était invalide pour cause d’antériorité. Elle a appliqué de manière injustifiée un critère subjectif en matière d’antériorité et a commis des erreurs de fait manifestes et dominantes en tirant des conclusions qui n’étaient pas fondées sur les éléments de preuve produits. L’utilisation antérieure ne peut, à elle seule, rendre invalide le brevet. Pour qu’il y ait invalidation d’un brevet pour cause d’antériorité, il faut qu’il y ait eu une divulgation antérieure. On doit apprécier la divulgation selon un critère objectif pour rechercher si les deux conditions essentielles ont été remplies : il y a eu divulgation antérieure et cette divulgation a permis de réaliser l’invention. Les notions de divulgation et de caractère réalisable doivent généralement faire l’objet d’examens distincts. Aux fins du présent appel, il était nécessaire d’examiner les principes régissant l’antériorité par publication, communication orale et utilisation. Dans toutes ces circonstances, il convient d’examiner l’antériorité sur une base objective pour déterminer s’il y a eu divulgation antérieure et si cette divulgation a permis de réaliser l’invention. Lorsque la Cour fédérale a apprécié les éléments de preuve, elle n’a pas tiré de conclusion de fait sur la question de savoir si le dessin que possédait Ken Wenzel constituait une publication accessible au public ou si les renseignements concernant le palier 3103 avaient été véritablement communiqués par lui. La Cour fédérale a tout simplement assimilé la possibilité de consulter Ken Wenzel à une antériorité par publication antérieure, sans avoir recherché auparavant si des renseignements avaient été réellement publiés ou divulgués. Il n’existe aucun élément de preuve établissant la divulgation antérieure, que ce soit par publication ou par communication verbale. Un dessin non divulgué ne constitue pas une publication qui est accessible au public. Il n’était pas possible d’établir une comparaison avec un livre publié, se trouvant sur les rayons d’une bibliothèque publique. Dans le cas du livre, il est possible de déterminer objectivement s’il y a eu divulgation du seul fait qu’il a été rendu publiquement accessible par un tiers, c’est-à-dire la bibliothèque publique. Dans le cas d’un dessin en possession d’un inventeur, il n’est pas possible de conclure objectivement à une divulgation au public en l’absence de preuve dont il ressort qu’il a été rendu accessible au public par son dépôt dans une bibliothèque publique, son affichage sur Internet, sa publication dans un journal spécialisé, etc., ou par une divulgation réelle à un membre du public qui ne serait pas tenu par ailleurs à une obligation de préserver la confidentialité des renseignements. Le fait d’être disposé à être consulté ne peut être assimilé au fait de divulguer des renseignements. Pour que la communication verbale de renseignements puisse être retenue à des fins d’antériorité, il faut que les renseignements aient réellement été communiqués. L’ajout d’un tel élément subjectif au critère, à savoir que Ken Wenzel aurait pu divulguer les renseignements si cela lui avait été demandé, se heurte aux dispositions du paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets, qui exigent expressément que l’information fasse l’objet d’une communication « qui l’a rendu[e] accessible au public ». En outre, il serait difficile, voire impossible, d’effectuer avec la diligence raisonnable voulue la recherche sur l’art antérieur à des fins de brevet si l’on ajoutait cet élément subjectif, ce qui introduirait une incertitude inutile dans le droit et dans la pratique en matière de brevets. La Cour fédérale a commis une erreur en concluant à l’antériorité découlant d’un emploi antérieur. La Cour fédérale n’était pas fondée à s’appuyer sur la jurisprudence Gibney v. Ford Motor Co. of Canada pour faire une analogie avec le fait de « soulever le capot ». Je suis d’avis que cette jurisprudence expose des principes qui régissent la notion moderne d’antériorité, qui exige à la fois la divulgation et la réalisation de l’invention. Il en résulte que le brevet '630 n’a pas été antériorisé par le palier 3103. Cependant, il y a lieu de confirmer la conclusion d’invalidité pour cause d’évidence qu’a tirée la Cour fédérale.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Leahy-Smith America Invents Act, 35 U.S.C. § 102 (2012).

Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, ch. 15, art. 33.

Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33.

Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, art. 27(1)a),b),c), 28.2.

Patents Act 1977 (R.-U.), 1977, ch. 37.

Traités et autres instruments cités

Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), 5 octobre 1973, art. 54 (2).

Traité de coopération en matière de brevets, 19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265; G 0001/92 (Accessibilité au public), [1993] J.O. OEB 277, [1993] R.O.E.B. 241.

décisions examinées :

Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49; Lux Traffic Controls Ltd. v. Pike Signals Ltd. and Faronwise Ltd., [1993] R.P.C. 107; Folding Attic Stairs Ltd. v. The Loft Stairs Company Ltd. & Anor, 2009 EWHC 1221 (Pat.); Synthon B.V. v. SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All E.R. 685; Beloit Canada Ltée c. Valmet OY, A-362-84, le juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 10 février 1986, C.A.F; Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024; Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. and Anr. v. H. N. Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76 (H.L.); FISONS plc v. Packard Instrument B.V., EPO,T 0952/92—3.4.1, August, 17, 1994; Gibney v. Ford Motor Co. of Canada, [1967] 2 R.C.E. C.R. 279, (1967), 52 C.P.R. 140.

décisions citées :

Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574; Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2011 CAF 83; Weatherford Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2011 CAF 228; Windsurfing International Inc. v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.); Pozzoli SPA v. BDMO SA, [2007] EWCA Civ. 588; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Calgon Carbon Corp. c. North Bay (Ville), 2008 CAF 81; Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp., [1991] A.C.F. no 124 (C.A.) (QL); General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A.).

DOCTRINE CITÉE

Chartered Institute of Patent Attorneys. CIPA Guide to the Patents Acts, 7e éd. Londres : Sweet & Maxwell, 2011.

Chitty, Joseph. Chitty on Contracts, 30e éd., vol. 2 par H. G. Beale et al. Londres : Thomson Reuters, 2008.

Henderson, Gordon F. Patent Law of Canada. Scarborough, Ont.: Carswell, 1994.

Smith, Patrick S. et Donald M. Cameron, « The Supreme Court’s Sanofi Decision: Three Years Later » (2012), 27 C.I.P.R. 281.

Terrell, Thomas. Terrell on the Law of Patents, 15e éd. par Simon Thorley et al. Londres : Sweet & Maxwell, 2000.

APPEL interjeté à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale (2011 CF 1323) qui a rejeté l’action en contrefaçon de brevet intentée par les appelants contre les intimés et qui a fait droit à la demande reconventionnelle, invalidant ainsi le brevet canadien no 2026630 pour cause d’antériorité et d’évidence. Appel rejeté.

ONT COMPARU

Timothy S. Ellam, Kara L. Smyth et Steven Tanner pour les appelants.

Kimberley Wakefield et Dennis Schmidt pour les intimés.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Ogilvie LLP, Edmonton, pour les appelants.

Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l., Edmonton, pour les intimés.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        La juge Gauthier, J.C.A. : Wenzel Downhole Tools Ltd. (Wenzel Ltd.) et William (Bill) Wenzel interjettent appel de la décision par laquelle la juge Snider (la juge) (motifs publics publiés sous la référence 2011 CF 1323) a rejeté leur action en contrefaçon de brevet intentée contre les intimés et a fait droit à la demande reconventionnelle, invalidant ainsi le brevet canadien no 2026630 (le brevet '630) pour cause d’antériorité et d’évidence.

[2]        Les appelants attaquent la conclusion de la juge selon laquelle la location et l’utilisation d’un outil comprenant ce qui est appelé le « palier 3103 » avaient rendu l’invention revendiquée dans le brevet '630 accessible au public. À titre subsidiaire, les appelants soutiennent que la juge a mal interprété la revendication 2 du brevet '630 parce qu’elle a omis de constater que les épaulements parallèles du palier constituaient un élément essentiel. Par conséquent, elle n’aurait pas dû conclure que, faute de cet élément, le palier 3103 était antérieur au brevet '630.

[3]        Enfin, les appelants soutiennent que la juge a appliqué un critère erroné dans son analyse de l’évidence et que, par conséquent, il y a lieu de lui renvoyer l’affaire pour qu’elle rende une nouvelle décision.

[4]        Par les motifs qui suivent, je conclus que la juge n’a pas commis une erreur qui appelle l’intervention de notre Cour.

Faits

[5]        Bill Wenzel, l’inventeur dont le nom figure dans le brevet '630, a quatre frères. Il a été au service de son frère aîné, Kenneth (Ken), dans un atelier d’usinage rattaché au secteur pétrolier dans les années 1970, avant de collaborer dans le même domaine avec ses autres frères Doug et Bob.

[6]        En 1984, tous les frères Wenzel collaboraient. À un moment donné, Ken a quitté la société qui l’employait pour travailler avec un des intimés, Dreco Energy Services Ltd. (Dreco). Dans leur mémoire, les appelants signalent un différend entre les frères concernant l’emploi de certains composants dans un outil de fond de puits.

[7]        Le 1er octobre 1990, Bill Wenzel a déposé une demande de brevet portant sur une « méthode pour accroître la capacité de charge de traction d’un palier de butée ». Sa demande a été publiée le 2 avril 1992. Le brevet '630, qui ne comprenait que trois revendications, a été délivré le 17 mai 1994. Il a été cédé à Wenzel Ltd. en 1997, à une époque où cette société exerçait ses activités sous une autre dénomination sociale.

[8]        Ken Wenzel a assuré à Dreco des services de conception et d’élaboration d’outils de forage par l’entremise de sa société de conseils. Il a notamment conçu un palier de butée bidirectionnel utilisé dans un moteur de forage de fond, appelé le palier 3103. Il s’agissait d’un appareil plus compact que le moteur de forage habituel et capable de suivre des angles plus fermés avec un rayon de courbure plus court (dossier d’appel, volume 10, à la page 3011).

[9]        La juge a conclu que cet outil avait été conçu à l’automne de 1989. Ce fait est maintenant constant. Il a été utilisé sur un chantier à Dilley, au Texas, au début de 1990 (le chantier Dilley), c’est-à-dire avant le 1er octobre 1990, date à laquelle Bill Wenzel a déposé sa demande. Plus précisément, les paliers 3103 (il y en avait trois) ont été construits par Griffith Oil Tools (Griffith), société dont Ken Wenzel était actionnaire avec Dreco jusqu’en 1980 environ, année au cours de laquelle Dreco en est devenu la seule propriétaire. Ces outils ont été loués par le bureau de location de Griffith situé à Rosenberg, au Texas, à Ensco Technology Company (Ensco), qui les a utilisés sur le chantier Dilley pour Oryx Energy Co.

[10]      Par leur déclaration déposée le 29 juillet 2005 (dossier de la Cour fédérale T‑1327‑05), les appelants soutenaient que les intimés violaient leurs droits parce qu’ils fabriquaient et vendaient ou louaient des paliers identiques, sur tous les aspects importants, à ceux qui étaient protégés par le brevet '630.

[11]      À l’époque, les appelants savaient que les intimés invoqueraient la location et l’utilisation du palier 3103 pour contester le caractère novateur de l’invention revendiquée dans le brevet '630. Ce même moyen de défense avait été soulevé par Schlumberger, un des clients de Vector aux États-Unis, lorsque les appelants (ou leur prédécesseur en titre) avaient tenté de faire appliquer l’équivalent américain du brevet '630, et avaient envoyé à Schlumberger une mise en demeure à l’égard de moteurs de forage de fond semblables.

[12]      À l’exception de quelques dessins supplémentaires, il semble que la preuve documentaire concernant la location et l’utilisation des paliers 3103 par Ensco se limitait à ce qu’avait obtenu l’avocat de Schlumberger à l’automne de 1993.

La décision de la Cour fédérale

[13]      Dans ses motifs publics de 88 pages (les motifs), la juge a examiné en détail les éléments de preuve produits au cours du procès qui a duré neuf jours, y compris le témoignage des divers experts qui ont déposé au sujet des questions d’interprétation, d’antériorité, d’évidence et d’utilité.

[14]      Après avoir résumé le droit applicable à l’interprétation des revendications de brevet et défini la personne moyennement versée dans l’art (paragraphes 42 à 46 des motifs), la juge a interprété les deux revendications indépendantes qui étaient en cause. Elle a en particulier discuté les quatre points qui étaient alors en litige (paragraphe 54 des motifs).

[15]      Je me référerai uniquement à ses conclusions touchant le troisième point, qui est le seul controversé dans le présent appel : l’importance de l’utilisation, à la revendication 1, de l’expression [traduction] « relativement alignés » par opposition à [traduction] « relativement parallèles », mots employés à la revendication 2.

[16]      Sur ce point, la juge a reconnu que le mot « parallèle » a habituellement un sens mathématique précis, ce qui n’est pas le cas pour le mot « aligné ». Après avoir fait référence au témoignage d’un des experts des intimés, M. Miller, elle observe que l’emploi de mots différents dans les deux revendications était quelque peu mystérieux, étant donné que le parallélisme sans alignement ne permettrait pas de former la chambre de confinement prévue à la revendication 2. En fait, tous les experts se sont entendus sur ce dernier point.

[17]      D’après M. Miller, dont la juge a manifestement retenu le témoignage, après avoir examiné les revendications avec le dessin et fait un croquis des éléments revendiqués, la personne moyennement versée dans l’art conclurait que dans ce contexte, le mot « parallèle » a le même sens que le mot « aligné ». La juge a retenu cette interprétation, en notant que les deux expressions étaient en outre qualifiées par le mot « relativement » et visaient à montrer que les épaulements se trouvant dans les sections tubulaires externes et internes avaient pour but de former une chambre de confinement.

[18]      Au paragraphe 77 de ses motifs, la juge a résumé de la manière suivante les éléments essentiels des deux revendications :

Pour résumer la question de l’interprétation des revendications, je conclus que la revendication 1 (la méthode) et la revendication 2 (les améliorations) visent les moteurs de forage de fond dotés d’une section tubulaire externe et d’une section tubulaire interne séparées par des paliers pour en faciliter la rotation relative tout en supportant des charges radiales et axiales. La section tubulaire interne est un cylindre creux. Les éléments essentiels de l’invention divulguée aux revendications 1 et 2 sont les suivants :

1.         Deux épaulements diamétralement opposés sur la face intérieure de la section tubulaire externe.

2.         Deux épaulements diamétralement opposés sur la face extérieure de la section tubulaire interne.

3.         Les épaulements de la section tubulaire interne sont relativement alignés avec les épaulements de la section tubulaire externe (ou sont relativement parallèles à ceux-ci) pour former une chambre de confinement.

4.         Au moins un palier de butée dans la chambre de confinement.

5.         Le palier de butée est doté d’un chemin de roulement de chaque côté, de façon à ce que :

a)         Le premier épaulement de la section tubulaire externe vienne s’appuyer contre le chemin de roulement du premier côté et que le deuxième épaulement de la section tubulaire interne vienne s’appuyer contre le chemin de roulement du deuxième côté lorsque le palier est soumis à une charge de compression;

b)         Le deuxième épaulement de la section tubulaire externe vienne s’appuyer contre le chemin de roulement du deuxième côté et que le premier épaulement de la section tubulaire interne vienne s’appuyer contre le chemin de roulement du premier côté lorsque le palier est soumis à une charge de traction.

[19]      Pour ce qui est de l’antériorité, la juge a examiné la jurisprudence pertinente de la Cour suprême du Canada (Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Sanofi); Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574) et de notre Cour (Baker Petrolite Corpc. Canwell-Enviro Industries Ltd., 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49 (Baker Petrolite); Bauer Hockey Corp. c. Easton Sports Canada Inc., 2011 CAF 83 (Bauer); Weatherford Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2011 CAF 228 (Weatherford)).

[20]      Elle a expressément relevé que la question fondamentale que posait le palier 3103 était de savoir si, d’après les faits dont elle était saisie, il était possible de conclure que l’invention revendiquée avait été rendue accessible au public. Elle s’est référée à cet égard à l’analyse du juge Rothstein, alors juge à la Cour d’appel, de la notion véhiculée par l’expression « rendu accessible au public » au sens de l’article 28.2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, dans l’arrêt Baker Petrolite. Dans cette affaire, le juge a établi une liste non-exhaustive des principes pertinents élaborés en Europe, notamment en Angleterre, qui, à son avis, étaient pertinents, étant donné que le même critère (accessible au public) jouait en Europe depuis l’adoption de la Convention sur le brevet européen 1973 [Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), 5 octobre 1973], et en Angleterre depuis au moins 1977, année à laquelle la nouvelle Patents Act 1977 [(R.-U.), 1977, ch. 37] (Loi sur les brevets de 1977) a été adopté.

[21]      La juge a conclu que les principes 3 et 6 exposés de la liste susmentionnée sont particulièrement pertinents. Voici ces deux principes, qui sont exposés au paragraphe 86 de ses motifs :

3. L’utilisation antérieure ou la vente antérieure d’un produit chimique permettra au public de réaliser l’invention s’il est possible d’en découvrir la composition au moyen d’une analyse. […]

6. Il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un membre du public a effectivement analysé le produit qui a été vendu. Dans l’arrêt Lux, le juge Aldous a dit ce qui suit à la page 133 :

[traduction] De plus, il est bien reconnu en droit qu’il n’est pas nécessaire de prouver qu’une personne a effectivement pris connaissance de la divulgation, pourvu que celle-ci ait été rendue publique. Ainsi, une description antérieure contenue dans un ouvrage aura pour effet d’invalider un brevet si l’ouvrage en question se trouve sur une étagère d’une bibliothèque ouverte au public, indépendamment du fait que personne ne l’a lu et que celui-ci se trouve dans un coin sombre et poussiéreux de la bibliothèque. Si l’ouvrage était accessible au public, celui-ci aura le droit d’utiliser les renseignements qu’il contient pour réaliser l’invention sans devoir faire face à un obstacle découlant d’un monopole accordé par l’État […]

Même si les commentaires du juge Aldous concernent l’exemple d’une publication antérieure, l’affaire Lux portait sur une utilisation antérieure et le principe qu’il a formulé s’applique tout aussi bien au cas de l’utilisation antérieure ou de la vente antérieure qu’à celui de la publication antérieure. [Soulignement et caractères italiques dans l’original.]

[22]      Se fondant sur le commentaire du juge Aldous dans la décision Lux Traffic Controls Ltd. v. Pike Signals Ltd. and Faronwise Ltd., [1993] R.P.C. 107 (Lux), à la page 134, la juge a reconnu au paragraphe 87 des motifs que pour invalider un brevet, la description consignée par la personne moyennement versée dans l’art doit constituer une description claire et non ambiguë de l’invention revendiquée. Elle doit être également suffisamment précise pour permettre à cette personne de réaliser l’invention.

[23]      Elle a également reconnu au paragraphe 89 des motifs que le public a été défini comme étant « [traduction] “une personne qui utilise sans contrainte en droit et en equity l’information” ». Cette définition exclut donc l’information divulguée de façon confidentielle ou dans des circonstances donnant naissance à une obligation implicite de confidentialité. Elle s’est aussi penchée sur le sens de l’expression « utilisation à des fins expérimentales ».

[24]      La juge a appliqué ces règles aux faits dont elle était saisie et a conclu que la seule différence qui existe entre le palier 3103 et les revendications du brevet '630 est que les épaulements du palier 3103 sont biseautés alors que le brevet '630 ne fait pas explicitement référence à des épaulements biseautés, ou à une forme particulière d’épaulement. Après avoir examiné le témoignage des experts, elle a conclu que le brevet '630 n’interdisait pas les épaulements biseautés.

[25]      S’appuyant sur l’analyse effectuée par MM. Wooley et Nelson, la juge a retenu la thèse portant que le palier 3103 contient tous les éléments essentiels des revendications indépendantes contenues dans le brevet '630 (paragraphe 100 des motifs). Elle a conclu que la personne qui fabriquerait un palier conformément au modèle du palier 3103 construirait un palier qui serait visé par les revendications 1 et 2 du brevet '630, si cela était fait après la délivrance du brevet.

[26]      Dans son analyse de la question de savoir si la location des outils de forage à Ensco constituait une divulgation suffisante pour antérioriser le brevet '630, la juge a reconnu que le palier 3103, tout comme les autres parties du moteur, était installé dans un tube d’acier et que, par conséquent, l’inspection visuelle des trois unités louées à Ensco n’aurait pas révélé leur fonctionnement interne (en particulier celui du palier 3103).

[27]      Elle a toutefois conclu que les outils loués à Ensco n’étaient pas seulement accessibles pour une inspection visuelle (paragraphe 119 des motifs). La juge a aussi admis qu’en fait, les outils ont été remis intacts à Griffith, mais elle a fait remarquer qu’il aurait été possible de les démonter (paragraphe 121 des motifs).

[28]      De plus, elle a conclu que le fait que les outils aient été loués plutôt que vendus ne modifiait pas le fait que cette location donnait la possibilité d’examiner ces outils (paragraphe 121 des motifs). Elle a ensuite conclu qu’Ensco pouvait utiliser sans contrainte en droit et en equity les renseignements susceptibles d’être obtenus pendant la location. En outre, l’utilisation de ces outils pour effectuer un forage sur le chantier Dilley ne faisait pas partie de l’expérience.

[29]      Outre ce qui précède, la juge a également conclu, à titre subsidiaire, que le dessin du palier 3103 pouvait être considéré comme une antériorité découlant d’une publication. Sur ce point, elle avait relevé auparavant qu’Ensco avait eu accès (même si cette société ne l’avait pas nécessairement examiné) au dessin en question lorsque Ken Wenzel s’était rendu sur le chantier Dilley au début de la location (paragraphe 120 des motifs). Elle a également estimé que ce dessin et les renseignements supplémentaires qu’Ensco aurait pu demander à Ken Wenzel, auraient pu être fournis à Ensco en cas de besoin, par exemple si l’outil de forage s’était rompu dans le puits et si des « experts en repêchage » avaient été invités à en récupérer les morceaux (paragraphe 121 des motifs).

[30]      Avant d’aborder la conclusion de la juge au sujet de l’évidence, il convient de noter que les intimés avaient soutenu que l’invention revendiquée avait déjà été antériorisée par un type de tube carottier, qui était facilement disponible et bien connu à l’époque (comme cela est mentionné au paragraphe 79 des motifs, un tube carottier est un dispositif utilisé pour le carottage, opération souvent associée au forage des puits de pétrole et de gaz). La juge a fait des observations au sujet des différences entre ces outils et a conclu que le tube carottier n’était pas antérieur à l’objet défini dans les revendications 1 et 2 du brevet '630; elle a toutefois observé qu’elle examinerait de façon plus poussée l’effet de cette technique dans son analyse relative à l’évidence (paragraphe 190 des motifs).

[31]      Après avoir exposé l’analyse en quatre étapes consacrée par les jurisprudences Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.) et Pozzoli SPA v. BDMO SA, [2007] EWCA Civ. 588, et suivie dans l’affaire Sanofi (paragraphe 150 des motifs), la juge a précisé ce qu’est une personne moyennement versée dans l’art ainsi que les connaissances générales qu’une telle personne posséderait aux époques en cause (paragraphes 152 à 172 des motifs). Le fait qu’elle ait admis que fait partie de ces connaissances générales la construction des tubes carottiers décrite dans le World Oil Composite Catalog, qui comprenaient les tubes carottiers du genre invoqué par les intimés sur la question de l’antériorité, et qu’elle en ait traité dans ses motifs dans la section « évidence » est particulièrement pertinent.

[32]      La juge a conclu que ces connaissances comprennent également ce qu’elle a appelé le brevet Geczy qui porte sur « un palier de butée radial » faisant partie d’un outil de forage de fond. C’est un brevet qui appartient au même domaine que le brevet '630 (paragraphe 163 des motifs).

[33]      Selon la juge, les idées originales des revendications du brevet '630 (aspect non contesté devant la Cour) étaient le placement par l’inventeur d’un ou plusieurs paliers de butée bidirectionnels dans une seule chambre de confinement contenant également des épaulements permettant à ces mêmes paliers de supporter les charges de compression comme de traction auxquelles l’équipement est soumis pendant les opérations de forage.

[34]      Elle a conclu que les connaissances générales comprenaient l’emploi d’un palier bidirectionnel dans une chambre de confinement unique dans le contexte des tubes carottiers, et que le but de l’utilisation d’un seul palier de butée décrit dans le brevet Halvorsen (brevet relatif à un tube carottier faisant également partie des connaissances générales au Canada) ressemble de façon frappante à l’objet décrit dans le brevet '630.

[35]      La juge a retenu l’analyse qu’ont produite les « experts » des intimés au sujet des éléments essentiels du brevet '630 que l’on retrouve dans le brevet Halvorsen (paragraphe 181 des motifs). Elle a toutefois observé qu’il y avait deux différences entre les tubes carottiers, lesquelles avaient d’ailleurs été reconnues par tous les experts. Premièrement, le tube carottier ne fait pas partie d’un moteur de forage. Deuxièmement, le tube carottier intérieur demeure stationnaire lorsque la couronne de carottage s’enfonce dans le sol, alors que dans un moteur de forage de fond, la section tubulaire interne n’est pas fixe. Elle a également expressément rejeté les autres différences signalées par M. Thicke, l’expert des appelants (paragraphes 184 à 190 des motifs), en relevant que certaines de ces différences ne ressortaient pas des éléments de preuve et d’autres étaient mineures ou sans importance.

[36]      Pour ce qui est du brevet Geczy, la juge a reconnu que les différences étaient tellement importantes qu’elle ne voyait pas comment, sans rien d’autre, la personne versée dans l’art pourrait appliquer les enseignements de ce brevet pour parvenir au brevet '630. Elle a toutefois fait remarquer qu’il se peut que ce brevet, considéré dans la mosaïque entière, contribue à rendre le brevet '630 évident.

[37]      La quatrième étape de son analyse consistait à rechercher si les deux différences existant entre le brevet '630 et les tubes carottiers mentionnés ci-dessus constitueraient des étapes évidentes pour la personne moyennement versée dans l’art ou si elles appelaient quelque inventivité (paragraphe 192 des motifs).

[38]      C’est à cette étape de son analyse que la juge aurait commis une erreur de droit lorsqu’elle a examiné, aux paragraphes 193 à 195, les observations du juge Rothstein dans l’arrêt Sanofi au sujet de ce que l’on appelle l’« essai allant de soi », qui peut faire partie de l’analyse à la quatrième étape du critère consacré par la jurisprudence dans Sanofi. Elle a relevé que dans les cas de ce genre, le juge doit conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il va plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention et qu’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux. Elle a ensuite énuméré les facteurs mentionnés aux paragraphes 69 à 71 de l’arrêt Sanofi : l’existence d’un nombre déterminé de solutions prévisibles, la nature et l’ampleur des efforts requis, la nature de l’expérimentation nécessaire, les motifs de rechercher la solution et les mesures concrètes prises par les inventeurs.

[39]      Après avoir dit au paragraphe 197 de ses motifs qu’il était justifié de procéder à l’analyse de l’« essai allant de soi » en l’espèce, la juge a signalé les témoignages des experts qu’elle a choisi de retenir pour conclure qu’il serait évident d’appliquer les éléments d’un palier d’un tube carottier au palier d’un moteur de forage de fond.

[40]      À titre de conclusion subsidiaire, elle a également conclu que, même en supposant qu’une certaine inventivité serait tout de même nécessaire pour adapter le palier d’un tube carottier à un moteur de forage, la personne moyennement versée dans l’art saurait que l’on peut utiliser un palier de butée bidirectionnel dans un moteur de forage de fond grâce au brevet Geczy. À son avis, cela dissipait tout doute au sujet de la possibilité d’appliquer les enseignements du tube carottier à un outil de forage de fond.

[41]      Comme dernière remarque, la juge a observé que l’invention a été réalisée rapidement et apparemment avec peu d’efforts de la part de son auteur. Même en tenant compte du fait que Bill Wenzel avait davantage de connaissances que la personne moyennement versée dans l’art, cette période extrêmement courte d’élaboration de l’outil est tout à fait remarquable. Elle a ainsi conclu au paragraphe 205 :

En somme, compte tenu des connaissances générales qu’il est possible d’acquérir grâce au tube carottier et au brevet Geczy, il va plus ou moins de soi qu’une personne versée dans l’art en serait arrivée à créer un palier pour moteur de forage comme celui décrit au brevet 630 et possédant tous les éléments essentiels du brevet 630 tels qu’énoncés au paragraphe 77 des présents motifs.

[42]      Vu ses conclusions en matière d’antériorité et d’évidence, la juge a conclu qu’il n’était pas nécessaire de discuter les autres questions soulevées dans cette affaire, comme l’absence d’utilité et elle a déclaré que le brevet '630 était invalide.

Analyse

La norme de contrôle

[43]      En l’espèce, il est interjeté appel d’une décision d’un tribunal de première instance. Les moyens de droit doivent être examinés selon la norme de la décision correcte alors que les moyens de fait et mélangés de fait et de droit (à l’exception des erreurs de droit isolables) doivent l’être selon la norme de la raisonnabilité (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (Housen), aux paragraphes 8, 10 et 36).

[44]      L’interprétation des revendications d’un brevet est une question de droit. Toutefois, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de la décision du juge des faits concernant la force probante à attribuer au témoignage des experts sur la façon dont certains mots seraient compris par la personne moyennement versée dans l’art. L’antériorité et l’évidence sont habituellement considérées comme étant des questions de fait ou des questions mélangées de fait et de droit. Les appelants soutiennent que, pour ce qui est de l’évidence, la juge a commis une erreur de droit isolable parce qu’elle a appliqué un critère erroné.

            Interprétation des revendications

[45]      Il y avait un conflit entre le témoignage de M. Thicke, l’expert des appelants, et ceux des autres experts sur la manière dont la personne moyennement versée dans l’art interpréterait la revendication 2.

[46]      Premièrement, M. Thicke a estimé que le mot [traduction] « amélioration » utilisé dans le préambule de la revendication 2 serait compris comme renvoyant à l’objet ou à l’utilité de l’invention, à savoir une augmentation de la capacité de la charge de traction. Les appelants soutiennent ainsi que la juge a commis une erreur de droit en omettant d’inclure cet élément dans la liste des éléments essentiels de la revendication 2.

[47]      Deuxièmement, M. Thicke a témoigné que l’expression [traduction] « relativement parallèles » serait comprise comme faisant référence à un parallélisme pur et simple, à savoir que les deux lignes en question ne se recouperaient pas. Il a été inébranlable sur ce point. Par conséquent, d’après les appelants, la juge aurait dû retenir cette opinion, parce que c’est la seule qui reflète le sens véritable des mots utilisés. On doit tenir pour acquis que l’emploi de deux mots différents a pour but de désigner des choses différentes.

[48]      Il est bien reconnu qu’une invention unique peut être revendiquée de différentes façons. En l’espèce, la revendication 1 concerne une méthode, alors que la revendication 2 est une revendication concernant un produit (paragraphes 50 et 51 des motifs).

[49]      Il existe diverses façons de formuler la revendication relative à un produit. Ce qu’on appelle la « revendication Jepson » (ou « revendication allemande ») en est une. Comme cela est signalé dans « The Art of Claiming and Reading a Claim », par William L. Hayhurst, c.r., à la page 210 (dans Gordon Henderson, Patent Law of Canada, Scarborough, Ontario : Carswell, 1994, aux pages 177 à 220), cette formulation Jepson est décrite comme étant [traduction] « une formulation qui vise à exposer, au début de la revendication, les éléments qui sont communs à l’art antérieur, pour ensuite présenter les aspects que le revendicateur a ajoutés à l’art ».

[50]      Je suis certaine que l’emploi des mots [traduction] « amélioration » et « [l]es améliorations apportées comprennent : » que l’on retrouve dans la revendication 2 visaient les éléments nouveaux du produit revendiqué décrits aux alinéas a) à c) de la revendication.

[51]      La juge avait toute latitude pour n’accorder qu’une force probante minime au témoignage de M. Thicke et, à mon avis, elle a conclu, à juste titre, que l’utilité alléguée (augmentation de la capacité de charge de traction) dans le brevet ne constituait pas un élément essentiel de la revendication 2.

[52]      Pour ce qui est du deuxième argument, à savoir que [traduction] « relativement parallèles » veut dire un parallélisme parfait, il est clair que la juge était consciente des contradictions entre les témoignages des experts à ce sujet. Comme cela a été signalé, elle a expressément reconnu le sens ordinaire du mot « parallèle », mais l’a rejeté en se fondant sur les témoignages rendus par les autres experts qui ont déposé devant elle et qui ont examiné le sens qu’aurait ce mot pour la personne moyennement versée dans l’art dans le contexte particulier de ce brevet. Il lui était loisible de suivre cette approche.

[53]      Comme cela a été signalé par les intimés, il est intéressant de noter que les appelants ont reconnu, dans leurs observations finales présentées à la juge, qu’il serait peu logique d’interpréter la revendication 2 comme si elle ne faisait aucune référence à l’alignement des épaulements, et qu’ils ont soutenu que la Cour devait lire les revendications 1 et 2 comme si elles comprenaient les mots [traduction] « relativement alignés » et « relativement parallèles », ajoutant ainsi des mots à chacune des revendications.

[54]      Après avoir soigneusement examiné la formulation des revendications au regard du contexte général de la divulgation ainsi que les témoignages des experts retenus par la juge, il n’y a aucune raison de modifier l’interprétation de la juge exposée au paragraphe 17 des présents motifs.

            Antériorité

[55]      Les appelants soutiennent que la juge a commis une erreur dans l’application du droit aux faits de l’espèce, plus particulièrement : i) en assimilant le palier 3103 à un livre se trouvant sur les rayons d’une bibliothèque publique ou à un moteur se trouvant sous le capot d’une voiture parce que la conclusion de la juge ne tenait pas compte des témoignages qu’elle avait retenus, selon lesquels l’invention revendiquée était insérée dans un tube de métal et n’aurait pu être examinée sur le chantier Dilley, ce qui n’a d’ailleurs pas été fait; ii) en omettant de prendre en compte que rien n’indiquait que la personne moyennement versée dans l’art se trouvait sur le chantier ou qu’une telle personne aurait eu la capacité de démonter l’outil de forage pour examiner le palier 3103 et prendre connaissance de l’invention.

[56]      Du point de vue des appelants, étant donné que les ouvriers foreurs n’étaient pas des personnes moyennement versées dans l’art, la juge aurait dû tirer à la même conclusion que le juge de première instance dans l’affaire Folding Attic Stairs Ltd. v. The Loft Stairs Company Ltd. & Anor, 2009 EWHC 1221 (Pat.), qui semble avoir retenu l’argument du demandeur (résumé au paragraphe 84 de la décision) selon lequel l’unité testée dans cette affaire n’était pas accessible au public parce qu’elle avait été uniquement montrée au cours d’une visite des lieux réservée à un ministre et à un photographe qui n’étaient pas des personnes moyennement versées dans l’art et qui n’avaient manifesté aucun intérêt à l’égard de l’unité testée.

[57]      Enfin, d’après les appelants, l’approche adoptée par la juge, qui a pris en compte la possibilité que les outils se brisent (c.-à-d., que serait-il arrivé si un moteur de forage loué s’était brisé pendant des opérations de forage et qu’un « expert en repêchage » ait eu besoin d’avoir accès aux dessins et si les personnes présentes sur le chantier avaient pu voir les parties internes de l’outil), n’est pas avalisée par la jurisprudence.

[58]      Pour l’essentiel, les appelants soutiennent que, si la juge n’avait pas commis les erreurs susmentionnées, elle aurait conclu que les intimés n’avaient pas établi que l’invention était accessible au public, compte tenu des faits et de l’état du droit actuel. Je ne peux retenir cette thèse.

[59]      Comme je l’ai déjà mentionné, les appelants n’attaquent plus les conclusions de la juge selon lesquelles Ensco utilisait sans contrainte en droit et en equity l’information disponible, laquelle découlait de la location de ce produit. Par conséquent, s’il y a eu divulgation suffisante, celle-ci était de nature publique.

[60]      En outre, les appelants ne semblent pas attaquer le fait que, si la personne moyennement versée dans l’art aurait pu observer le fonctionnement interne du moteur de forage, y compris le palier 3013, elle aurait pu consigner une description complète de l’invention (objet de leur argumentation sur l’interprétation à adopter, examinée précédemment).

[61]      On a également soutenu qu’une telle divulgation ne constituerait pas une divulgation permettant de réaliser l’invention concernée. Sur ce point, les appelants soutiennent que la juge n’a pas pris en compte le témoignage de Ken Wenzel selon lequel Dreco et Griffith n’avaient pas fabriqué plus de trois de ces unités parce qu’elles étaient difficiles à fabriquer et à entretenir correctement (à cause des épaulements biseautés). La juge est toutefois présumée avoir examiné l’ensemble des preuves produites (Housen, au paragraphe 46).

[62]      En outre, je ne suis pas convaincue que la juge ait commis une erreur manifeste et dominante dans son appréciation des preuves à cet égard, compte tenu d’un certain nombre de facteurs, à savoir : la personne compétente a le droit d’effectuer des essais successifs pour réaliser l’invention; la juge a expressément mentionné que, pour conclure qu’il y avait antériorité, il fallait qu’il y ait une divulgation permettant de réaliser l’invention; elle a conclu que le volet relatif au caractère réalisable du critère de l’antériorité était respecté (paragraphe 144 des motifs). Elle a clairement préféré se fonder sur le fait que Griffith avait été en mesure de fabriquer des outils de forage contenant le palier 3103 qui avaient bien fonctionné sur le chantier Dilley. Il lui était loisible de conclure qu’il était satisfait à ce volet du critère d’antériorité.

[63]      Cela dit, la question centrale dans le présent appel est celle de savoir si une description exacte et complète de l’invention était disponible dans la présente affaire, en appliquant les principes non-controversés exposés aux paragraphes 80 à 90 des motifs. Comme cela a été mentionné dans le résumé des observations verbales portant sur l’antériorité présenté par les appelants, il faut rechercher si la juge a mal appliqué le droit eu égard aux conclusions de fait auxquelles elle est arrivée au sujet de ce qui s’est effectivement produit. Selon les appelants, la juge a commis une erreur parce que [traduction] « la divulgation, et non pas la divulgation hypothétique de l’invention, est une condition préalable pour conclure qu’il y avait antériorité ».

[64]      Dans l’affaire Lux, le juge Aldous a clairement signalé qu’il rejetait la thèse portant que la Cour avait pour mission de déterminer [traduction] « ce qui s’était véritablement passé lors de l’utilisation du prototype [le produit dans lequel se trouvait l’invention revendiquée dans cette affaire] et d’en conclure ce qu’une personne versée dans l’art aurait déduit » (Lux, à la page 134).

[65]      En l’espèce, j’estime que les appelants sont victimes de la même confusion.

[66]      Le critère en matière d’antériorité découlant d’une divulgation par le biais d’un produit (et également en matière d’antériorité par publication) est de nature objective. Il importe peu qu’une personne correspondant à la définition de la personne moyennement versée dans l’art ait été réellement présente sur le chantier de forage; ce qui est pertinent, c’est ce qui s’est effectivement passé sur le chantier pendant la location de l’outil.

[67]      Ce qui est pertinent dans le cas d’un produit comme les outils de forage en cause en l’espèce « est ce que la personne versée dans l’art, si on lui demandait de décrire la construction et le fonctionnement de cette machine, écrirait après avoir effectué un essai ou un examen convenable » (je souligne) (Lux, à la page 134, passage cité par la juge au paragraphe 87 de ses motifs).

[68]      Me fondant sur la jurisprudence pertinente, il me semble que le fait de devenir accessible veut dire que le public, défini précédemment, a eu la possibilité d’obtenir l’information relative à l’invention. Comme je l’ai déjà signalé, il n’est pas exigé que quelqu’un se soit effectivement prévalu de cette possibilité. Lorsque la possibilité d’obtenir l’information est établie (ici, par exemple, en montrant que : i) Dreco avait un accès illimité aux outils de forage, les renseignements découlant de cet accès n’étaient pas de nature confidentielle; et ii) la méthode à utiliser pour ouvrir ces outils et examiner leurs structures internes était connue), la Cour applique le critère juridique d’antériorité consacré par la jurisprudence Sanofi (divulgation intégrale de tous les éléments essentiels de l’invention et capacité de la réaliser) à l’information que la personne fictive moyennement versée dans l’art obtiendrait à la suite d’un examen fictif.

[69]      Les appelants rejettent les analogies auxquelles a eu recours la juge, à savoir : i) le livre se trouvant dans une bibliothèque publique (paragraphe 118 des motifs); et ii) le fait de « soulever le capot » (paragraphe 123 des motifs). Ils soutiennent que les outils de forage en question en l’espèce ne sont pas comparables à un livre se trouvant dans une bibliothèque, et que le démontage d’un outil ne peut se comparer au fait de soulever le capot d’une voiture. Encore une fois, je ne puis retenir cet argument. Dans l’affaire Lux, le juge Aldous, cité par la suite par le juge Rothstein dans l’arrêt Baker Petrolite, a fait référence à un livre d’une bibliothèque publique même s’il examinait une affaire d’utilisation antérieure d’un produit, et non pas d’antériorité par publication. Le livre de la bibliothèque publique pourrait être en japonais, même si la bibliothèque se trouve dans un village isolé où personne ne parle japonais. Il y aurait quand même divulgation ayant pour effet de rendre accessible l’information contenue dans ce livre, même si l’accès à l’information disponible exigeait l’utilisation d’un dictionnaire ou même d’un interprète que l’on ne pourrait trouver dans ce village. Quant au fait de soulever le capot d’une voiture, il est vrai que l’ouverture de joints scellés pour examiner la structure interne est peut-être une opération un peu plus complexe que le fait de soulever un capot, mais cela ne change rien à la validité de l’analogie. Comme cela a été signalé, la complexité de l’opération n’est pas pertinente; pour être accessible, il n’est pas nécessaire que l’accès à l’information soit facile; il suffit qu’il soit possible en utilisant des méthodes ou des instruments connus.

[70]      Encore une fois, je répète que, selon le droit en vigueur à l’heure actuelle, même si la bibliothèque inscrivait dans un registre toutes les personnes qui sont entrées dans la bibliothèque et consignait tous les livres examinés par elles et qu’un défendeur soit ainsi en mesure d’établir que personne n’a véritablement eu accès au livre se trouvant dans la bibliothèque, ma conclusion ne changerait pas. La présence du livre dans la bibliothèque suffit à rendre l’information qu’il contient disponible et, par conséquent, répond aux conditions en matière d’antériorité prévues à l’article 28.2.

[71]      Un tel critère peut sembler rigoureux, mais il l’est moins que celui qui était appliqué au Canada avant l’adoption de l’alinéa 28.2(1)a), et en Angleterre avant l’adoption de sa Patents Act 1977, qui mettait en vigueur la CBE. Il n’existe aucun élément indiquant qu’en adoptant ce nouvel alinéa, le législateur canadien poursuivait un but autre que celui d’harmoniser cette disposition avec le critère suivi en Europe. Je note qu’une modification semblable entrera en vigueur aux États-Unis en 2013 (Leahy-Smith America Invents Act, 35 U.S.C. §102 (2012) (date d’entrée en vigueur le 16 mars 2013)).

[72]      Comme cela est mentionné dans l’arrêt Baker Petrolite, l’alinéa 28.2(1)a) exclut de l’utilisation antérieure les produits dont l’examen ne fournirait pas une description précise et complète de l’invention, même en utilisant les méthodes d’analyse connues les plus complexes par une personne moyennement versée dans l’art (voir le paragraphe 42, en particulier les sous-paragraphes 1, 4 et 7, de l’arrêt Baker Petrolite). Des exemples illustrant bien cette situation seraient le cas où la composition ou la structure interne d’un composé ou d’un produit ne fournirait aucun renseignement sur la méthode utilisée pour le fabriquer (invention revendiquée) ou sur le matériau utilisé au départ (élément essentiel d’une invention revendiquée). Il est également possible de penser à l’utilisation d’un composé ou d’un produit connu pour obtenir un effet technique nouveau qui ne pourrait être découvert par l’examen du produit lui-même parce que celui-ci doit être utilisé en combinaison avec un autre produit (dans le cas où la revendication porte sur l’utilisation nouvelle d’une combinaison de produits).

[73]      Il est également utile de noter que, par son avis daté du 18 décembre 1992, la Grande Chambre de recours de l’Office européen des brevets enseigne clairement que la composition ou la structure interne d’un produit (et le même principe s’applique à tous les produits) fait partie de l’état de la technique « dès lors que ce produit […] peut être analysé et reproduit par l’homme du métier, indépendamment de la question de savoir s’il est possible de déceler des raisons particulières pour analyser cette composition » (je souligne) (G 0001/92 (Accessibilité au public), [1993] J.O. OEB 277, [1993] R.O.E.B. 241 [au paragraphe 1 de la Conclusion]. Je signale que cet avis a été cité par la Chambre des lords dans l’affaire Synthon B.V. v. SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All E.R. 685, au paragraphe 29). La Chambre a conclu que la loi n’exigeait pas la présence d’un motif; il n’est pas nécessaire que la personne moyennement versée dans l’art ait eu un motif pour examiner la composition du produit. Tout comme le juge Rothstein l’a déclaré dans l’arrêt Baker Petrolite, je conclus qu’il en va de même au Canada, ce qui est tout à fait conforme au fait que la Cour n’a pas à rechercher si la personne fictive moyennement versée dans l’art s’intéresserait à une publication antérieure pertinente de l’art antérieur pour ce qui est de l’antériorité par publication. La personne fictive moyennement versée dans l’art est présumée avoir correctement lu le document.

[74]      La juge devait appliquer les principes exposés ci-dessus à la présente affaire et décider si, en l’espèce, il y avait eu possibilité d’accès à l’information pertinente pendant la location.

[75]      C’est sur ce point que la juge a opéré une distinction entre l’affaire dont elle était saisie et les faits de l’affaire Bauer. Dans cette dernière affaire, les produits n’avaient pas été loués ou utilisés par un tiers : ils avaient simplement été exposés dans un centre sportif ouvert au public au cours d’une pratique; toutefois, la manière employée pour le faire empêchait toute personne n’étant pas soumise à l’obligation de confidentialité de faire davantage qu’une inspection visuelle de loin. Il a été constaté dans cette affaire qu’une telle inspection n’aurait pas permis à la personne moyennement versée dans l’art de rédiger une description complète de l’invention. Cependant, vu les faits dont elle était saisie, la juge a conclu que les outils de forage loués n’étaient pas seulement accessibles pour une inspection visuelle (paragraphe 119 des motifs) et que ces outils pouvaient être démontés (paragraphe 121 des motifs). Elle a expressément conclu que le fait que les outils étaient loués au lieu d’être vendus ne changeait rien à la conclusion selon laquelle il avait été possible de les examiner (paragraphe 121 des motifs).

[76]      La juge n’examine pas dans ses motifs les éléments de preuve qu’elle a prise en compte pour tirer la conclusion que le palier 3103 pouvait être démonté, et ce que cela impliquerait. Elle disposait de plusieurs dessins des moteurs de forage et des pièces pertinentes ainsi que de dessins d’autres moteurs semblables. Elle disposait d’une image et d’un échantillon du propre moteur de forage des demandeurs similaire à celui se trouvant dans le palier 3103, à l’exception de la coupe de la gaine abritant le palier (utilisée à des seules fins d’exposition). Ken Wenzel a déclaré que les moteurs de forage loués à Ensco, tout comme les autres moteurs de forage dont il est question dans la présente affaire, étaient conçus pour pouvoir être entretenus (dossier d’appel, volume 10, aux pages 3036, 3082 et 3100), ce qui implique qu’il était possible d’avoir accès à leur structure interne. Ken Wenzel a également déclaré en contre-interrogatoire que, pour démonter le moteur, il fallait un dispositif permettant de l’immobiliser pour ouvrir les joints avec les outils appropriés. Il aurait été possible de se procurer de tels outils dans l’atelier de Rosenberg qu’Ensco partageait avec Griffith (dossier d’appel, volume 10, aux pages 3024, 3099 et 3100).

[77]      Il importe peu que ces outils appropriés ne sont pas toujours habituellement disponibles sur un chantier de forage ou que les joints ne sont pas habituellement ouverts sur place. Rien ne donne à penser qu’il était interdit à Ensco d’apporter sur le chantier les outils appropriés ou d’apporter un des moteurs de forage à l’atelier d’usinage.

[78]      En l’absence de dispositions contractuelles expresses à l’effet contraire, selon la common law, le locataire a le droit d’utiliser l’équipement loué comme il l’entend pourvu qu’il le remette en bon état (H. G. Beale et al. éd., Chitty on Contracts, 30e éd., Londres, Angleterre : Thomson Reuters, 2008) à la page 238, section 33‑077). Rien ne tend à indiquer que le démontage des outils de forage les aurait endommagés. En fait, étant donné que ces outils étaient conçus pour pouvoir être entretenus, on peut penser qu’Ensco aurait été en mesure d’ouvrir et de refermer les joints de la gaine d’acier protégeant le moteur et le palier dans le but d’en examiner le fonctionnement interne. Comme je l’ai dit précédemment, il importe peu que cette société ait, ou n’ait pas, été réellement intéressée à le faire.

[79]      Ken Wenzel a clairement signalé que l’information concernant les outils loués n’était pas confidentielle. La juge a retenu ce témoignage. Il en résulte qu’il est également clair que la présence de joints d’étanchéité sur les outils de forage n’avait rien à voir avec la confidentialité.

[80]      Lorsqu’il a été demandé aux appelants d’expliquer pourquoi il était important que les outils aient été loués, par opposition à vendus, ils ont répondu qu’Ensco n’avait été en possession de l’équipement que pendant une brève période. Pourtant, je ne peux comprendre pourquoi il n’était pas loisible à la juge de conclure, comme elle l’a fait, que la location plutôt que la vente de l’équipement de forage n’avait aucune incidence.

[81]      Pour en revenir aux analogies auxquelles a eu recours la juge, la référence au moteur se trouvant sous le capot n’est peut-être pas, comme je l’ai déjà mentionné, la façon la plus appropriée d’expliquer comment il aurait été possible d’examiner le fonctionnement interne des outils de forage en question. Néanmoins, à mon sens, il ressort de cette observation que la juge a conclu qu’il aurait été assez facile pour une personne moyennement versée dans l’art d’accéder à la structure interne pour examiner et décrire l’invention sous-jacente au brevet '630.

[82]      Comme l’ont fait remarquer les appelants, il est exact que la juge n’a pas expressément recherché si la question de savoir si une personne moyennement versée dans l’art possédait les compétences nécessaires pour utiliser l’outil permettant d’ouvrir la gaine d’acier et d’examiner le palier 3103. Il est possible que cela s’explique tout simplement parce qu’elle n’a pas estimé que l’argument des appelants (s’il lui a été effectivement présenté, puisque la transcription est muette sur ce point) méritait d’être discuté.

[83]      En fait, il est difficile d’imaginer pourquoi la personne moyennement versée dans l’art, décrite au paragraphe 46 des motifs, n’aurait pu démonter le moteur de forage et examiner le palier. Rien ne démontre que l’emploi d’un outil approprié exigeait la possession de compétences particulières ou un élément d’inventivité. Il est certain que les moyens permettant d’ouvrir le moteur de forage existaient.

[84]      Je discuterai le dernier moyen soulevé par les appelants à l’égard de l’antériorité. Ils soutiennent que la juge a commis une erreur en combinant des sources d’art antérieures (les dessins du palier 3103 et les outils loués à Ensco) pour tirer sa conclusion qu’il y avait antériorité.

[85]      Je relève tout d’abord que la juge observe expressément au paragraphe 82 de ses motifs que, pour conclure que l’invention n’était pas nouvelle, elle devait constater que l’invention avait été rendue publique dans une même divulgation.

[86]      Deuxièmement, au paragraphe 122 de ses motifs, elle indique clairement qu’à son avis le dessin du palier 3103 pouvait constituer une antériorité découlant d’une publication, et que la conclusion était de nature subsidiaire.

[87]      Malgré le fait que les paragraphes 120 et 121 de ces motifs auraient pu être mieux structurés (la juge semble avoir essayé d’exprimer trop d’idées à la fois), je ne saurais conclure, dans les circonstances, que la juge a effectivement commis une erreur de droit en se fondant sur la mosaïque qui constitue l’art antérieur pour tirer sa conclusion finale.

[88]      Vu ce qui précède, je conclus que la juge n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en concluant à l’antériorité sur le fondement de la location des moteurs de forage à Ensco. Il est possible que les éléments de preuve sur lesquels reposent certaines des conclusions de fait de la juge soient minces, mais la juge a estimé que les preuves dont elle disposait était suffisantes pour tirer ces conclusions. Il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard de ces questions.

[89]      Il n’est pas nécessaire d’examiner sa conclusion subsidiaire concernant le dessin lui-même. Il n’y a pas lieu de voir dans les présents motifs l’avalisation de sa conclusion sur ce point.

[90]      En principe, je ne ferais pas d’observations sur la question soulevée par la conclusion de la juge concernant l’évidence, étant donné que sa conclusion selon laquelle le brevet '630 était invalide est appuyée par sa conclusion voulant qu’il ait été antériorisé. Toutefois, compte tenu des réserves exprimées par mon collègue le juge Mainville au sujet du caractère suffisant des preuves produites, il est utile de discuter la conclusion de la juge quant à l’évidence.

            Évidence

[91]      Les appelants soutiennent essentiellement à ce sujet que la Cour suprême du Canada enseigne clairement par la jurisprudence Sanofi que la méthode de l’« essai allant de soi » qui fait partie de l’étape quatre de l’analyse de l’évidence n’est appropriée que dans les cas où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation (Sanofi, au paragraphe 68). À ce sujet, les appelants ont renvoyé la Cour à un article intitulé « The Supreme Court’s Sanofi Decision: Three Years Later » (« l’arrêt Sanofi de la Cour suprême : trois ans plus tard »), rédigé par Patrick S. Smith et Donald M. Cameron (2012), 27 C.I.P.R. 281.

[92]      Les parties admettent qu’elles ont fait valoir leurs moyens sans faire référence à la méthode de l’« essai allant de soi » examinée dans l’arrêt Sanofi. Les intimés ont confirmé le fait que les opinions de leurs experts indiquaient que l’objet du brevet '630 était évident sans qu’il soit nécessaire de procéder à une expérimentation. En fait, si l’on examine le rapport de M. Nelson, l’un des experts des intimés (à la page 1145 du dossier d’appel, volume 4, onglet 57), il observe au paragraphe 94 :

[traduction] J’estime que la tâche consistant à mettre au point une méthode permettant d’améliorer la capacité de charge de traction d’un palier (c.-à-d., le titre du brevet 630) avait déjà été accomplie et brevetée par Halvorsen dans le brevet 338, le 27 septembre 1927 et aurait pu être appliquée par une personne versée dans l’art en 1990 sans qu’il soit nécessaire de procéder à une expérimentation et ni d’avoir recours à une quelconque inventivité. [Non souligné dans l’original.]

Voir, au même effet, les paragraphes 5.2 et 5.4 du rapport de M. Wooley à la page 1478 du dossier d’appel, volume 5, onglet 59.

[93]      La juge a néanmoins déclaré au paragraphe 197 de ses motifs que l’« analyse fondée sur le critère de l’“essai allant de soi” [était] nettement justifiée en l’espèce ». Sur ce point, elle a noté que la plupart des éléments de preuve produits au procès portaient sur la question de savoir s’il était plus ou moins évident que l’essai en question devait fonctionner. En fait, elle a immédiatement fait suivre son observation selon laquelle l’analyse fondée sur le critère de l’« essai allant de soi » était justifiée en l’espèce par ceci : « Autrement dit, l’invention allait-elle plus ou moins de soi? » La personne versée dans l’art n’examinerait pas seulement l’art antérieur; elle serait en mesure de faire certaines adaptations dénuées de caractère inventif pour résoudre son problème. Sur ce point, elle a observé que même M. Thicke, l’expert des appelants, l’avait reconnu.

[94]      Dans l’affaire Sanofi, le juge Rothstein n’a pas limité la méthode de l’« essai allant de soi » aux affaires concernant des produits pharmaceutiques, par exemple, la chimie chirale. Toutefois, compte tenu des moyens invoqués, le juge Rothstein pensait certainement à cette technologie particulière et c’est l’exemple auquel il a eu recours pour montrer ce qu’il voulait dire par domaine où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation.

[95]      Cela ne veut toutefois pas dire que la méthode de l’« essai allant de soi » ne peut s’appliquer au domaine de la mécanique. Cela dépend toujours des faits et des preuves dans chaque affaire.

[96]      C’est à bon droit que les appelants soutiennent qu’avant qu’un juge puisse déclarer qu’une telle méthode peut être utile dans un domaine particulier, quel qu’il soit, il doit fournir quelques indications touchant les motifs sur lesquels repose cette conclusion. Idéalement, le juge doit faire référence aux éléments de preuve à l’appui de sa conclusion. En l’absence d’une telle référence expresse, il est possible que le principe sous-jacent à la méthode ressorte de l’analyse effectuée par le juge lorsqu’il l’a appliquée, en particulier lorsqu’il examine les variables prévisibles ainsi que le type de programme d’expérimentation envisagé.

[97]      Le fait qu’il peut arriver que la personne doive modifier dans son esprit ce qu’elle constate dans l’art antérieur ou ce qui fait partie des connaissances générales communes, ne veut pas toujours dire que la référence à la méthode de l’« essai allant de soi » (ou « la méthode de l’essai évident » comme elle est appelée dans l’article de Smith et Cameron précité) est justifiée.

[98]      En l’espèce, à l’exception de cette référence à l’adaptation, qui ne fait pas nécessairement appel à une expérimentation portant sur un certain nombre de variables, il est difficile de repérer dans les motifs des éléments permettant à la Cour de comprendre l’observation de la juge au paragraphe 197 selon laquelle la méthode de l’« essai allant de soi » était justifiée.

[99]      Je note que, dans son témoignage, Ken Wenzel a fait référence au fait que tous les moteurs Dreco avaient été testés avant d’être utilisés. (dossier d’appel, volume 10, aux pages 3015 et 3086). À mon avis, ce n’est pas le genre de preuve à partir de laquelle il est possible de conclure que les progrès dans cet art particulier ont été obtenus par expérimentation. En fait, Ken Wenzel semblait faire référence aux essais que le fabricant diligent effectuerait avant de mettre sur le marché un produit, que celui-ci soit le fruit d’une nouvelle invention ou d’un modèle éprouvé.

[100]   Par conséquent, j’estime qu’il n’était pas approprié de faire référence en l’espèce à la méthode de l’« essai allant de soi ».

[101]   Les intimés soutiennent que cette erreur n’a pu influencer la conclusion finale de la juge dans la présente affaire, étant donné qu’il est clair qu’elle avait conclu que l’invention était plus ou moins évidente, qu’elle allait de soi. Ils soutiennent que la juge a retenu le témoignage de leurs experts qui n’ont pas fait ressortir la nécessité de procéder à des expériences. La juge a observé, au paragraphe 200 :

À l’exception de M. Thicke, tous les experts ont convenu que l’application des éléments du palier d’un tube carottier à celui d’un moteur à boue irait de soi. Je suis d’accord. Il va plus ou moins de soi que le palier d’un tube carottier peut facilement être adapté dans le but de l’utiliser dans un moteur de forage de fond. Face à la problématique soulevée par Bill Wenzel, je suis convaincue qu’une personne moyennement versée dans l’art verrait qu’il est possible d’utiliser un palier de butée bidirectionnel dans une application différente mais connexe; en somme, il lui serait évident d’essayer d’utiliser, dans un moteur de fond, le palier du tube carottier Christensen ou celui décrit dans le brevet Halvorsen. À mon avis et selon les experts des défendeurs, les adaptations requises pour ce faire sont minimes. De plus, les efforts requis pour adapter le palier ne seraient ni prolongés ni ardus.

[102]   Par la suite, pour ce qui est de sa conclusion subsidiaire, elle observe au paragraphe 202 :

À mon avis, les connaissances glanées lors de l’examen du tube carottier, conjuguées à celles tirées du brevet Geczy, amèneraient une personne moyennement versée dans l’art à l’invention décrite au brevet 630, et ce, avec peu d’efforts.

C’est la formulation utilisée par le juge Hugessen dans l’arrêt Beloit Canada Ltée c. Valmet OY, A-362-84, jugement en date du 10 février 1986, C.A.F. — le critère traditionnel appliqué avant la jurisprudence Sanofi.

[103]   En fait, étant donné que la juge recherchait principalement si l’invention était plus ou moins évidente, je conviens que sa conclusion formulée aux paragraphes 200 et 202 se tient vu les éléments de preuve qu’elle a retenus dans le cadre d’une approche plus classique quant à la quatrième étape de l’analyse de l’évidence dont il est fait état dans la jurisprudence Sanofi.

[104]   Il est également bon de noter ici que les facteurs que l’on examinait habituellement au cours de l’étape quatre sont essentiellement les mêmes que ceux que le juge Rothstein a recensés comme facteurs pertinents pour la méthode de l’« essai allant de soi », sauf que dans ce dernier cas, l’approche comprend l’examen de nombreuses variables interreliées, l’existence d’un nombre déterminé de solutions prévisibles, et la nécessité d’évaluer la nature de l’expérimentation nécessaire. Les mesures concrètes prises par l’inventeur, la situation de l’industrie et des indices secondaires comme le succès commercial ou les prix obtenus sont tous des facteurs qui peuvent être pris en compte dans l’analyse de l’évidence, quel que soit le domaine concerné.

[105]   Enfin, il convient de rappeler que, dans l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué qu’il n’y avait pas de méthode unique obligatoire pour procéder à l’analyse de l’évidence. En réalité, le fait d’accepter que la méthode de l’« essai allant de soi » pouvait être utile dans certaines circonstances s’inscrivait dans une démarche consistant à écarter les règles strictes qui avaient limité jusque-là l’analyse de l’évidence pour adopter une approche plus souple, plus générale et plus axée sur les faits (Sanofi, aux paragraphes 61 à 63). La Cour voulait simplement apporter davantage de rationalité, de clarté et d’objectivité à l’analyse (Sanofi, au paragraphe 67).

[106]   En l’espèce, malgré son renvoi à la méthode de l’« essai allant de soi », la juge a procédé à une analyse approfondie et objective des facteurs pertinents, y compris de ceux qui sont exposés dans les trois premières étapes de l’analyse retenue dans l’arrêt Sanofi. Au final, elle a clairement conclu que l’invention était simple ou, comme elle l’a dit, plus ou moins évidente. Cela veut dire que l’invention était évidente quelle que soit la norme utilisée et la méthode particulière qu’elle a elle-même retenue. Elle a retenu les preuves qui justifiaient sa conclusion et je suis d’avis que la Cour ne doit pas intervenir.

Conclusion

[107]   Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que les appelants n’ont pas démontré l’existence d’une erreur appelant l’intervention de la Cour et que l’appel doit être rejeté avec dépens.

            Le juge Nadon, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[108]   Le juge Mainville, J.C.A. (motifs concourants) : J’ai lu les motifs préparés par ma collègue, la juge Gauthier, et je souscris à la solution proposée. Je conviens d’accord avec elle que si la juge n’était pas fondée à utiliser le critère de l’« essai allant de soi » dans la présente affaire, l’application de ce critère en l’espèce n’invalide pas la décision de la juge. Comme ma collègue l’a indiqué, la juge a néanmoins jugé l’invention évidente selon le critère habituel en matière d’évidence et la Cour n’est pas justifiée à modifier sa conclusion sur ce point.

[109]   Toutefois, je ne saurais souscrire aux motifs de ma collègue sur la question de l’antériorité.

[110]   Les appelants soutiennent dans le présent appel que la juge a commis une erreur de droit en modifiant le critère de l’antériorité de façon non autorisée et injustifiée (voir les paragraphes 27, 36 et 40 du mémoire des appelants). Ils soutiennent également que la juge a commis des erreurs manifestes et dominantes dans son appréciation des faits concernant l’antériorité. Je conviens avec les appelants que la juge a commis des erreurs sur ces questions. À mon avis, elle a appliqué de manière injustifiée un critère subjectif en matière d’antériorité et a commis des erreurs de fait manifestes et dominantes en tirant des conclusions qui n’étaient pas fondées sur les éléments de preuve produits.

a) Les conclusions de la juge quant à l’antériorité

[111]   La juge a retenu l’idée que le palier 3103 n’avait jamais été réellement divulgué au public. En fait, sa décision sur la question de la divulgation était fondée sur la notion de divulgation par interprétation, selon laquelle toute personne aurait pu obtenir l’information nécessaire en consultant Ken Wenzel sur le chantier du Texas où l’outil a été brièvement utilisé. Elle a fait une analogie avec un livre se trouvant dans une bibliothèque, ce qui constitue une divulgation même si personne n’a lu le livre. Elle a estimé que le fait que Ken Wenzel puisse être consulté était un élément qui pouvait se comparer au livre d’une bibliothèque (aux paragraphes 118 à 122 des motifs). Elle a considéré que cela constituait non seulement une antériorité par utilisation, mais également une « antériorité découlant d’une publication » (au paragraphe 122 des motifs).

[112]   En outre, la juge a estimé que toute personne se trouvant sur le chantier du Texas aurait pu « soulever le capot » et examiner le palier 3103 en le démontant : aux paragraphes 121 et 124 des motifs. À titre subsidiaire, elle a conclu que, si le palier 3103 s’était brisé, un « expert en repêchage » aurait pu voir les pièces situées à l’intérieur du palier pendant qu’il récupérait les morceaux dans le puits de forage (au paragraphe 121 des motifs).

b) La norme de contrôle

[113]   L’antériorité d’une invention soulève des questions mélangées de fait et de droit : Weatherford Canada Ltd. c. Corlac Inc., 2011 CAF 228 (Weatherford), au paragraphe 36; Calgon Carbon Corp. c. North Bay (Ville), 2008 CAF 81, au paragraphe 6; Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd., 2002 CAF 158, [2003] 1 C.F. 49 (Baker Petrolite), au paragraphe 46.

[114]   Les questions mélangées de fait et de droit appellent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 35. Lorsqu’une erreur est attribuable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de prendre en compte un élément obligatoire d’un critère juridique, ou d’une erreur de principe semblable, elle peut être qualifiée d’erreur de droit et sanctionnée selon la norme de la décision correcte. La cour d’appel doit toutefois faire preuve de circonspection avant de conclure à l’existence d’erreurs de droit parce qu’il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. C’est pour cette raison que ces questions sont souvent qualifiées de questions « mélangées de fait et de droit ». Lorsque le principe juridique est isolable, une norme plus rigoureuse est applicable. Cependant, si la question litigieuse en appel se rapporte à l’appréciation des preuves, cette appréciation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 36.

c) Le fardeau de la preuve

[115]   Il incombe à la partie qui attaque le brevet pour cause d’antériorité selon la norme de la prépondérance des probabilités : Weatherford, aux paragraphes 45 et 46. Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp., [1991] A.C.F. no 124 (QL), 125 N.R. 218 (C.A.F.), au paragraphe 26 de l’édition N.R.

d) Le droit en matière d’antériorité

[116]   Avant les modifications entrées en vigueur en 1989, la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P‑4, disposait qu’un brevet pouvait être contesté pour cause d’antériorité s’il avait été connu ou utilisé avant que le détenteur du brevet ne l’invente. En cas d’utilisation antérieure, la loi n’exigeait pas que l’utilisation donne véritablement lieu à la divulgation de l’invention. Le paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets se lisait comme suit à l’époque :

27. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une pétition exposant les faits, appelés dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas:

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l’ait faite;

b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

Qui peut obtenir les brevets

[117]   La Loi sur les brevets a été modifiée en 1987 par la Loi modifiant la Loi sur les brevets et prévoyant certaines dispositions connexes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 33. Ces modifications sont entrées en vigueur le 1er octobre 1989. Ces modifications visaient principalement à assurer que les brevets soient accordés en fonction de la date de la demande, ce qui faciliterait la participation du Canada au Système international de dépôt des brevets prévu par le Traité de coopération en matière de brevets [19 juin 1970, [1990] R.T. Can. no 22]. C’est dans ce contexte que les modifications de 1989 ont abrogé la règle relative à l’utilisation antérieure et l’ont remplacée par des règles portant sur la divulgation antérieure. Ces règles relatives à la divulgation sont maintenant énoncées aux alinéas 28.2(1)a) et b) de la Loi sur les brevets, adoptés dans le cadre des modifications de 1993 apportées par la Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, ch. 15 [article 33], entrées en vigueur le 1er octobre 1996 :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs.

Objet non divulgué

[118]   Ainsi, depuis au moins 1989, l’utilisation antérieure ne peut, à elle seule, rendre invalide le brevet. Pour qu’il y ait invalidation d’un brevet pour cause d’antériorité, il faut qu’il y ait eu une divulgation antérieure. La divulgation peut s’effectuer de différentes façons, notamment par publication, communication orale, vente ou utilisation antérieures. Cependant, quelle que soit la façon dont la divulgation est faite, on doit l’apprécier selon un critère objectif pour rechercher si les deux conditions essentielles ont été remplies : a) il y a eu divulgation antérieure et b) cette divulgation a permis de réaliser l’invention. Habituellement, ces deux conditions sont examinées séparément : Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, [2008] 3 R.C.S. 265 (Sanofi), au paragraphe 28.

[119]   Le premier élément, l’existence d’une divulgation antérieure, doit être apprécié du point de vue de la personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention (ci-après appelée « la personne versée dans l’art »). Celle-ci doit être en mesure de comprendre l’invention sans avoir à faire des essais ou de l’expérimentation : Sanofi, aux paragraphes 24 et 25, citant l’arrêt Synthon B.V. v. SmithKline Beecham plc, [2005] UKHL 59, [2006] 1 All E.R. 685 (Synthon). À ce stade, la personne versée dans l’art examine les renseignements divulgués pour comprendre l’invention et découvrir ses avantages particuliers : Sanofi, aux paragraphes 25 et 32.

[120]   Le deuxième élément, le caractère réalisable, est apprécié lorsqu’il a été déterminé, sur une base objective, que l’objet de l’invention a effectivement été divulgué. Il ne s’agit alors plus de savoir ce que la personne versée dans l’art a compris grâce à la divulgation, mais si cette personne serait en mesure d’exécuter le brevet sans trop de difficultés : Sanofi, aux paragraphes 26 et 37. Pour savoir si les difficultés sont excessives, il faut tenir compte de la nature de l’invention. Il est permis à cette étape-ci de procéder par essais successifs ou par expérimentation. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante : Sanofi, aux paragraphes 27 et 33 à 37.

[121]   Il est important de ne pas oublier que la divulgation et le caractère réalisable sont des notions distinctes qui sont chacune assujetties à leurs propres règles : Synthon, au paragraphe 28. Une même divulgation peut toutefois répondre aux deux conditions, la divulgation et le caractère réalisable, comme dans le cas où un produit est « accessible au public » et où la personne versée dans l’art peut en découvrir la composition ou la structure interne et la reproduire sans difficulté excessive : Synthon, aux paragraphes 29 et 30. Cela dit, les notions de divulgation et de caractère réalisable doivent généralement faire l’objet d’examens distincts.

[122]   L’on doit parfois procéder à un certain ajustement pour tenir compte des circonstances dans lesquelles ont eu lieu les divulgations antérieures. Ainsi, la jurisprudence a reconnu que les principes relatifs à l’antériorité découlant de la publication antérieure doivent parfois être ajustés eu égard aux circonstances de l’antériorité découlant d’une communication orale ou utilisation antérieures. Comme l’a fait remarquer le juge Rothstein, alors juge à la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Baker Petrolite, au paragraphe 35 (je souligne) :

[…] au-delà d’un certain niveau d’énoncés généraux, il sera peut-être nécessaire d’ajuster les principes régissant l’antériorité fondée sur la publication antérieure en fonction des caractéristiques particulières de l’antériorité découlant de l’utilisation antérieure par le public ou de la vente antérieure au public. Ainsi, le principe selon lequel la publication antérieure doit contenir des instructions d’une clarté telle qu’une personne versée dans l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée s’applique au contexte spécifique de la publication antérieure. Dans ce dernier cas, la personne versée dans l’art lira la publication. En ce qui concerne l’utilisation antérieure ou la vente antérieure, la lecture ne sera pas nécessairement pertinente. Au moment de décider s’il y a antériorité découlant de l’utilisation antérieure ou de la vente antérieure en vertu de l’alinéa 28.2(1)a), la Cour doit tenir compte des circonstances de l’utilisation ou de la vente en question pour savoir comment une personne versée dans l’art serait menée infailliblement à l’invention revendiquée.

[123]   Aux fins du présent appel, il convient d’examiner les principes régissant l’antériorité par a) publication, b) communication orale et c) utilisation. Dans toutes ces circonstances, et comme cela a été indiqué précédemment, il convient d’examiner l’antériorité sur une base objective pour déterminer s’il y a eu divulgation antérieure et si cette divulgation a permis de réaliser l’invention. Quoi qu’il en soit, les preuves relatives à l’antériorité doivent, en toutes circonstances, faire l’objet d’un examen minutieux : Baker Petrolite, au paragraphe 35.

Publication antérieure

[124]   L’antériorité par publication antérieure exige que l’invention ait été, en fait, divulguée dans un document écrit accessible au public, comme les descriptions de brevet, les articles de journaux spécialisés et les publications professionnelles, y compris les manuels de réparation et d’entretien et les brochures. Le critère objectif applicable à la divulgation découlant de la publication antérieure est exposé de la manière suivante dans la décision Beloit Canada Ltée c. Valmet OY, A-362-84, le juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 10 février 1986, C.A.F. (Beloit) :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée. Lorsque, comme c’est le cas ici, l’invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d’antériorité. [Je souligne.]

[125]   Le critère de l’antériorité découlant de la publication antérieure exposé dans la décision Beloit a été cité avec approbation par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, au paragraphe 26, qui a également observé qu’il était difficile de respecter ce critère. Sous réserve de la distinction établie entre la divulgation et le caractère réalisable, les critères exposés dans l’arrêt Beloit en matière d’antériorité par publication sont toujours d’actualité : Sanofi, au paragraphe 28.

[126]   Étant donné que la divulgation doit être examinée sur une base objective, il suffit que le document puisse être consulté par le public (comme dans une bibliothèque publique ou sur Internet), peu importe que le document ait été effectivement lu : Lux Traffic Controls Ltd. v. Pike Signals Ltd. and Faronwise Ltd., [1993] R.P.C. 107 (Lux), à la page 133. Par contre, les manuscrits privés qui ne sont pas accessibles au public ou les études qui sont conservées dans des classeurs ou des archives auxquels le public n’a pas normalement accès ne répondent pas à cette condition, étant donné qu’objectivement ces documents ne sont pas « accessibles au public ».

[127]   En outre, il faut non seulement que le document soit accessible au public, mais également qu’il fournisse clairement tous les renseignements nécessaires pour que l’on puisse comprendre l’invention : General Tire & Rubber Co. v. Firestone Tyre & Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A.), aux pages 485 et 486.

[128]   Lorsque la divulgation antérieure par publication a été établie, il y a lieu d’examiner le caractère réalisable, c’est-à-dire, la question de savoir si la personne versée dans l’art serait en mesure de réaliser l’invention sans difficulté excessive.

Communication verbale antérieure

[129]   L’invention peut également devenir « accessible au public » lorsqu’elle a été communiquée verbalement à un membre du public qui était libre de l’utiliser comme il l’entendait, pourvu que ces renseignements permettent à la personne versée dans l’art de bien comprendre l’invention. Évidemment, il y a souvent des difficultés sur le plan de la preuve lorsqu’il s’agit de prouver ce qui a été dit. L’antériorité par communication verbale est donc un élément particulièrement difficile à prouver pour ceux qui assument le fardeau de la preuve : Terrell on the Law of Patents, 15e éd. par Simon Thorley et al., Londres : Sweet & Maxwell, 2000, au paragraphe 7.11; CIPA Guide to the Patents Acts, 7e éd., Londres : Sweet & Maxwell, 2011, au paragraphe 2.06.

[130]   Tout comme l’antériorité par publication antérieure, l’antériorité par divulgation verbale doit également être appréciée en fonction d’un critère objectif. Il faut qu’il y ait eu véritablement communication au public pour établir que les renseignements sont objectivement « accessibles au public ». Le seul fait de conserver dans son esprit ces renseignements ne saurait constituer une divulgation au public. Il faut qu’il y ait eu véritablement une communication de renseignements.

[131]   En outre, les conditions applicables à la divulgation par publication antérieure s’appliquent également à la divulgation verbale, c’est-à-dire que la divulgation doit porter sur tous les renseignements nécessaires à la compréhension de l’invention : Lux, aux pages 131 et 132. En outre, une fois la divulgation établie, il convient également de démontrer le caractère réalisable de l’invention.

L’emploi antérieur

[132]   L’emploi antérieur peut également donner lieu à l’antériorité aux termes du paragraphe 28(1) de la Loi sur les brevets malgré les modifications législatives de 1989. Toutefois, avec ces modifications législatives, l’emploi antérieur ne peut désormais à lui seul établir l’antériorité. Pour démontrer l’antériorité par emploi antérieur, il faut apporter une preuve positive montrant que la divulgation a découlé de l’emploi et que cette divulgation a eu pour effet de rendre accessible au public l’objet de l’invention : Baker Petrolite, au paragraphe 32.

[133]   Dans l’affaire Baker Petrolite au paragraphe 42, le juge Rothstein, qui était alors juge à la Cour d’appel fédérale, s’est inspiré de la jurisprudence du Royaume-Uni et la jurisprudence européenne portant sur la Convention sur la délivrance de brevets européens (Convention sur le brevet européen), 5 octobre 1973, pour dégager huit principes applicables à la divulgation par utilisation antérieure. Ces principes ont été construits dans le contexte de contentieux touchant des brevets concernant un processus chimique, mais ils sont néanmoins instructifs et peuvent être adaptés aux inventions mécaniques, comme celle en cause en l’espèce. Je vais brièvement exposer ces principes et procéder, dans la mesure où cela peut être utile aux fins du présent appel, à une analyse plus précise des arrêts les plus pertinents provenant du Royaume-Uni et de l’Office européen des brevets cités avec approbation dans l’arrêt Baker Petrolite (au paragraphe 42) :

1. La vente au public ou l’utilisation par le public ne suffit pas à elle seule à prouver l’antériorité. […] il est nécessaire de prouver qu’il y a eu divulgation de l’invention.

[…]

2. Pour qu’une vente ou utilisation antérieure constitue une antériorité opposable à une invention, il doit s’agir d’une divulgation qui permet de réaliser celle-ci (« enabling disclosure »).

[…]

3. L’utilisation antérieure ou la vente antérieure d’un produit chimique permettra au public de réaliser l’invention s’il est possible d’en découvrir la composition au moyen d’une analyse.

[…]

4. L’analyse doit pouvoir être faite par une personne versée dans l’art conformément aux techniques d’analyse connues et disponibles à la date pertinente.

[…]

La personne versée dans l’art doit être en mesure, à l’aide des techniques d’analyse disponibles, de prouver l’invention sans l’exercice d’un génie inventif.

5. […] dans les cas où un procédé de rétroingénierie est nécessaire et permet de découvrir l’invention, une invention devient accessible au public lorsqu’un produit qui la renferme est vendu à un membre du public qui peut l’utiliser comme bon lui semble.

[…]

6. Il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un membre du public a effectivement analysé le produit qui a été vendu.

[…]

7. Le temps et l’énergie consacrés à l’analyse ne permettent pas de déterminer de façon concluante si une personne compétente aurait pu découvrir l’invention. Le facteur pertinent à cet égard est uniquement la question de savoir si l’exercice d’un génie inventif était nécessaire.

[…]

8. Il n’est pas nécessaire que le produit faisant l’objet de l’analyse soit susceptible de reproduction exacte. C’est l’objet des revendications du brevet (l’invention) qui doit être divulgué à l’aide de l’analyse. La nouveauté de l’invention revendiquée sera détruite s’il y a eu divulgation d’une variante visée par la revendication.

[134]   Dans toutes les circonstances, pour qu’il y ait antériorité, il faut que les renseignements nécessaires relatifs à l’invention aient été divulgués. Ce principe est tiré de la jurisprudence Merrell Dow Pharmaceuticals Inc. and Anr. v. H. N. Norton & Co. Ltd., [1996] R.P.C. 76 (H.L.) (Merrell Dow), lord Hoffman a alors observé (à la page 86) que [traduction] « l’emploi d’un produit n’a pour effet d’introduire l’invention dans l’état de la technique que dans la mesure où cet emploi rend accessible les renseignements nécessaires ».

[135]   Dans l’affaire Merrell Dow, une compagnie pharmaceutique avait breveté la composition chimique d’un métabolite acide fabriqué par le foie après l’ingestion d’un médicament antihistaminique appelé terfénadine. Le brevet a été contesté pour cause d’antériorité par emploi antérieur et d’antériorité par publication antérieure. L’emploi antérieur reposait sur le fait que les personnes qui avaient absorbé de la terfénadine produisaient un métabolite acide dans leur foie. Lord Hoffman a rejeté cet argument fondé sur l’antériorité découlant d’un emploi antérieur pour le motif que cet emploi à lui seul, même si le foie de ceux qui avaient pris ce médicament produisait du métabolite acide, ne révélait pas l’invention, étant donné que cet emploi n’avait pas pour effet de communiquer des renseignements : Merrell Dow, aux pages 86 et 87. Lord Hoffman a toutefois conclu que la connaissance du métabolite acide avait néanmoins été rendue accessible au public en raison de la publication antérieure de la spécification de la terfénadine sous la description [traduction] « “une partie des réactions chimiques de l’organisme induites par l’ingestion de terfénadine et ayant un effet antihistaminique” ». Cette conclusion quant à l’antériorité découlant d’une publication antérieure n’est peut-être plus d’actualité compte tenu des exigences en matière de réalisation exposées dans la décision Synthon — et en fait, il semble que lord Hoffman ait lui-même mis en doute, au paragraphe 33 dans la décision Synthon, sa propre conclusion antérieure relative à l’antériorité par publication dans l’arrêt Merrell Dow. La discussion de lord Hoffman dans l’arrêt Merrell Dow expose toutefois clairement le principe selon lequel l’emploi antérieur qui n’a pas pour effet de divulguer les renseignements nécessaires au sujet de l’invention ne peut résulter en une conclusion d’antériorité.

[136]   Dans l’affaire Lux, il fallait rechercher si le brevet visant un système de contrôle des feux de circulation qui comprenait un dispositif de commande centrale réactif aux véhicules en mouvement et capable d’ajuster les feux de circulation en conséquence, avait été antériorisé par l’utilisation de prototypes de l’invention dans le cadre d’activités commerciales. La Cour a interprété les mots [traduction] « rendu accessible au public » comme si elle exigeait que l’emploi entraîne une divulgation rendant possible la réalisation de l’invention, mais qu’il suffit que cette divulgation rendant possible la réalisation de l’invention puisse découler de l’observation de son emploi. Dans les circonstances particulières de l’affaire Lux, la Cour a jugé que la personne versée dans l’art qui aurait simplement observé le fonctionnement des feux contrôlés visés par l’invention, aurait acquis suffisamment de renseignements pour lui permettre de comprendre comment fonctionnait l’invention : Lux, aux pages 134 et 135. Inversement, si la seule observation de l’emploi d’une invention ne permet pas à la personne versée dans l’art d’en comprendre le fonctionnement, en d’autres termes s’il n’y a pas divulgation des renseignements permettant de réaliser l’invention, cet emploi ne peut constituer une antériorité.

[137]   Cette approche a été reprise et élargie par le l’Office européen des brevets par son avis de la Grande Chambre de recours, 18 décembre 1992, G 0001/92, Accessibilité au public (Avis G/92) et par la décision FISONS plc v. Packard Instrument BV, numéro de dossier EPO, T 0952/92—3.4.1 de Chambre de recours technique de l’Office européen des brevets — 17 août 1994 (FISONS v. Packard). L’affaire et l’avis concernaient tous deux la portée de l’article 54(2) de la Convention sur le brevet européen qui dispose que « [l]’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet européen par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen ».

[138]   Par l’Avis G/92, la Grande Chambre de recours décide (au paragraphe 2.1) qu’il faut utiliser un critère objectif dans tous les cas, y compris lorsqu’il s’agit d’utilisation antérieure, pour déterminer si l’invention a été rendue accessible au public. Elle a également conclu (au paragraphe 1.4) que, lorsque le produit est accessible au public et que la personne versée dans l’art parvient à découvrir la composition ou la structure interne du produit et à la reproduire sans difficulté excessive, le produit et sa composition sont réputés être accessibles au public.

[139]   La jurisprudence FISONS v. Packard enseigne en outre qu’il n’y a pas de difficulté excessive lorsqu’il est possible d’analyser la composition et la structure interne du produit grâce aux techniques d’analyse auxquelles la personne versée dans l’art a accès. Par contre, lorsque la composition et la structure interne du produit ne sont pas accessibles à des fins d’analyse ou ne peuvent être déterminées à l’aide des techniques d’analyse connues, la divulgation au public et l’antériorité ne sont pas établies (FISONS v. Packard, au paragraphe 2.1) :

[traduction] Il semble en premier lieu que, selon la jurisprudence bien fixée de la Chambre de recours, pour que l’invention revendiquée ait été « rendue accessible au public » au sens de l’article 54(2) de la CBE avant la date de dépôt pertinente, des renseignements équivalent à l’invention revendiquée doivent avoir été accessibles à la personne versée dans l’art. Comme l’a déclaré la Grande Chambre de recours dans les décisions G 2/88 et G 6/88 (JO OEB 1990, 93 et 114), « le mot “accessible” emporte l’idée que, pour pouvoir conclure à l’absence de nouveauté, tous les aspects techniques de l’invention revendiquée, une fois combinés, doivent avoir été communiqués ou exposés au public ».

e) L’application de ces principes en l’espèce

[140]   Comme il a été indiqué précédemment, selon le critère de l’antériorité par publication antérieure, « l’antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié » (Beloit). Le critère de l’antériorité découlant d’une communication verbale exige également qu’il y ait eu une véritable divulgation. Dans tous les cas, la divulgation doit porter sur tous les renseignements nécessaires à la compréhension de l’invention et fournir des directives claires et non ambiguës qui permettront à la personne versée dans l’art de faire ce que le titulaire du brevet affirme avoir inventé.

[141]   En l’espèce, les éléments qui ont été qualifiés de « publications » par la juge étaient le dessin du palier 3103 que possédait Ken Wenzel sur le chantier et le fait que Ken Wenzel était disponible sur les lieux pour être consulté : voir les paragraphes 120 à 122 des motifs. Cependant, lorsque la juge a apprécié les éléments de preuve, elle n’a pas tiré de conclusion de fait sur la question de savoir si le dessin constituait une publication accessible au public ou si les renseignements concernant le palier 3103 avaient été véritablement communiqués par Ken Wenzel. Elle a tout simplement assimilé la possibilité de consulter Ken Wenzel — qui possédait le dessin — à une antériorité par publication antérieure, sans avoir recherché auparavant si des renseignements avaient été réellement publiés ou divulgués.

[142]   D’après le témoignage de Ken Wenzel, le dessin n’a pas été divulgué. Il a également témoigné qu’il aurait pu être consulté pendant la très brève période pendant laquelle il s’est trouvé sur le chantier, mais il n’a pas mentionné s’il avait été véritablement consulté et, le cas échéant, quels étaient les renseignements qu’il aurait transmis (dossier d’appel (DA), vol. 10, aux pages 3020 et 3021) :

[traduction]

Q.        M. WAKEFIELD :         Pendant que vous vous trouviez dans la région de Dilley, au Texas, en 1990, est-ce que les dessins étaient accessibles à Oryx ou à Ensco?

R.         Je ne me souviens pas si j’ai examiné les dessins du palier, je ne l’aurais pas fait – non pas avec Oryx, non, jamais, mais avec Ensco, si des représentants de cette société me l’avaient demandé, s’ils avaient voulu voir un palier, mais je ne me souviens pas si j’ai – je ne me souviens pas leur avoir remis un dessin et je ne me souviens même pas de l’avoir examiné avec eux.

Q.        Les dessins se trouvaient là-bas?

R.         Pendant que je m’y trouvais.

Q.        Et la même question à votre sujet. Étiez-vous disponible aux fins de consultation?

R.         Oh, oui.

[143]   Il n’existe aucun élément de preuve établissant la divulgation antérieure, que ce soit par publication ou par communication verbale.

[144]   En utilisant un critère objectif, je suis obligé de conclure qu’un dessin non divulgué ne constitue pas une publication qui est accessible au public. Il n’est pas possible d’établir ici une comparaison avec un livre publié, se trouvant sur les rayons d’une bibliothèque publique. Dans le cas du livre, il est possible de déterminer objectivement s’il y a eu divulgation du seul fait qu’il a été rendu publiquement accessible par un tiers, c’est-à-dire la bibliothèque publique. Dans le cas d’un dessin en possession d’un inventeur, il n’est pas possible de conclure objectivement à une divulgation au public en l’absence de preuve dont il ressort qu’il a été rendu accessible au public par son dépôt dans une bibliothèque publique, son affichage sur Internet, sa publication dans un journal spécialisé, etc., ou par une divulgation réelle à un membre du public qui ne serait pas tenu par ailleurs à une obligation de préserver la confidentialité des renseignements.

[145]   Un dessin en possession d’une personne et les renseignements se trouvant dans la tête d’une personne ne font pas partie du domaine public tant qu’ils n’ont pas été réellement communiqués au public.

[146]   Aucun élément de preuve n’indique que de tels renseignements ont été communiqués en l’espèce. Ken Wenzel n’a pas déclaré avoir divulgué le dessin ni avoir réellement fourni des renseignements concernant le palier 3103; il a simplement déclaré qu’il était disposé à être consulté. Le fait d’être disposé à être consulté ne peut être assimilé au fait de divulguer des renseignements. Pour que la communication verbale de renseignements puisse être retenue à des fins d’antériorité, il faut que les renseignements aient réellement été communiqués. Une personne comme Ken Wenzel pourrait fort bien être assise dans un bureau, dans un avion ou dans une salle de congrès et posséder tous ces renseignements dans son esprit, mais l’on ne pourrait dire pour autant que ces renseignements ont été rendus accessibles au public à moins qu’il ne soit établi, à l’aide d’une preuve incontestable, qu’ils ont véritablement été transmis au public en utilisant une forme de communication ou une autre. En termes simples, « le fait d’être prêt à être consulté » n’est pas une forme de communication. Cela revient à dire « s’ils m’avaient posé la question, je leur aurais répondu », ce qui est peut-être vrai mais, tant que la personne n’a pas vraiment « répondu à une question », aucun renseignement n’a été communiqué.

[147]   Pour conclure à l’antériorité en l’espèce, la juge a ajouté un élément subjectif au critère, à savoir que Ken Wenzel aurait pu divulguer les renseignements si cela lui avait été demandé. L’ajout d’un tel élément subjectif se heurte aux dispositions du paragraphe 28.2(1) de la Loi sur les brevets, qui exigent expressément que l’information fasse l’objet d’une communication « qui l’a rendu[e] accessible au public ». En outre, il serait difficile, voire impossible, d’effectuer avec la diligence raisonnable voulue la recherche sur l’art antérieur à des fins de brevet si l’on ajoutait cet élément subjectif, ce qui introduirait une incertitude inutile dans le droit et dans la pratique en matière de brevets. En fait, il est tout à fait impossible de rechercher ce qui aurait pu être publié ou communiqué oralement au public (mais qui n’a pas en fait été ni publié ni communiqué). Une telle approche subjective pourrait fort bien nous ramener aux notions désuètes d’« emploi antérieur sans divulgation » et de « priorité de l’invention » qui existaient avant les modifications apportées en 1989 à la Loi sur les brevets.

[148]   En se prononçant comme elle l’a fait, la juge a introduit un élément subjectif injustifié dans le critère de l’antériorité, ce qui rend pratiquement impossible l’appréciation objective des éléments de l’antériorité, à savoir la divulgation (les renseignements dont aurait besoin la personne versée dans l’art pour comprendre l’invention étaient-ils accessibles) et l’antériorité (la personne versée dans l’art aurait-elle été en mesure de réaliser l’invention sans difficulté excessive).

[149]   J’estime également que la juge a commis une erreur en concluant à l’antériorité découlant d’un emploi antérieur.

[150]   Les principes permettant de conclure à l’antériorité découlant de l’emploi antérieur sont notamment exposés dans les décisions Baker Petrolite, Merrell Dow, Lux et FISONS v. Packard, examinées précédemment. Conformément à ces principes, pour contester avec succès la conclusion relative à l’antériorité découlant d’un emploi antérieur, les intimés devaient présenter des éléments de preuve démontrant, selon la prépondérance des probabilités, qu’après un examen objectif, la personne versée dans l’art aurait été en mesure de comprendre et d’analyser l’invention de manière à pouvoir la réaliser et l’utiliser sans difficulté excessive.

[151]   Pour établir l’antériorité découlant de l’utilisation antérieure, il faut démontrer qu’il était loisible au public d’inspecter et d’analyser l’invention. En l’absence de preuve contraire — comme l’existence d’un accord de confidentialité et de non-divulgation — cet élément peut être tenu pour acquis lorsque l’équipement est vendu : Baker Petrolite, au paragraphe 42, principe 5, et aux paragraphes 96 et 97. En l’espèce, l’équipement (à savoir le palier 3103) n’a été utilisé que pendant une période très brève dans le cadre d’une location. Étant donné qu’il n’y a pas eu de contrat de location écrit, il convient de déduire des circonstances les conditions de la location.

[152]   La location ou le bail d’équipement est une sous-catégorie du bail à titre onéreux, connu sous le nom de location de meuble : Chitty on Contracts, 30e éd., vol. 2, Londres : Thomson Reuters, 2008 (Chitty on Contracts) à la section 33‑063, page 229. Le locataire ne peut utiliser le meuble que pour la fin pour laquelle il lui a été loué. Sur ce point, Chitty on Contracts, enseigne à la section 33‑077 :

[traduction] Le locataire ne peut utiliser le meuble que dans le but pour lequel il lui a été loué. Ainsi, dans les affaires anciennes, lorsqu’un cheval avait été loué pour être monté, le locataire ne pouvait l’utiliser pour faire du saut; lorsque le cheval avait été loué pour effectuer un certain trajet, le locataire n’était pas autorisé à s’en écarter. Mais le pouvoir qui est accordé au locataire d’utiliser le meuble sera interprété comme s’il lui attribuait implicitement le pouvoir d’employer le meuble de façon accessoire à son usage, à moins que le contrat ne contienne une disposition expresse à l’effet contraire. Le preneur à bail qui utilise un meuble dans un but non envisagé par le contrat de location met en jeu sa responsabilité contractuelle et délictuelle en cas de préjudice causé par un tel usage.

[153]   En l’espèce, pour établir la divulgation découlant d’une utilisation antérieure, il fallait apporter des éléments de preuve démontrant soit que le fonctionnement de l’équipement comportait à lui seul divulgation permettant de réaliser l’invention (comme dans l’affaire Lux), soit que la personne versée dans l’art aurait été capable d’avoir accès au fonctionnement interne de l’équipement et de l’analyser, sans difficulté excessive, comme dans l’affaire FISONS v. Packard.

[154]   La seule preuve produite au procès sur la question de l’antériorité découlant d’un emploi antérieur fut le témoignage de Ken Wenzel. Il a déclaré que le palier 3103 était [traduction] « un petit moteur de forage avec un palier de butée scellé » (DA, vol. 10, à la page 3001, lignes 6 et 7, je souligne.) Il a également déclaré qu’il n’était pas possible d’examiner l’intérieur des unités du palier 3103 pendant leur emploi au Texas, et que ces unités ne pouvaient être démontées que dans un atelier d’usinage et non pas sur le chantier de forage (DA, à la page 3100, lignes 1 à 22, je souligne) :

[traduction]

Q.        Lorsque vous les avez vues [les unités de palier 3103], s’agissait-il simplement plus ou moins d’un morceau de tuyau, vu de l’extérieur?

R.         Oui.

Q.        Était-il possible de voir les parties internes de ces paliers par simple inspection visuelle?

R.         Non.

Q.        Et savez-vous si les paliers 3103 ont été démontés sur le chantier de forage?

R.         Je ne me trouvais pas sur les lieux, mais habituellement –non, on ne démonte pas un moteur sur le chantier de forage. On le ramène à l’atelier pour le réparer.

Q.        Pour démonter un moteur, il faut en fait des outils spéciaux, n’est-ce pas?

R.         Oui, il faut démonter les joints et il faut donc les fixer quelque part, oui, non, on les ramène toujours à l’atelier pour les réparer. Je ne sais pas – je n’ai jamais entendu dire qu’on ait démonté un moteur sur un chantier.

Q.        Très bien, de sorte que si vous étiez un ouvrier foreur et que vous travailliez sur ce chantier à Dilley [Texas], seriez-vous en mesure de dire quelles étaient les pièces internes de ce palier 3103?

R.         Non.

[155]   Ce témoignage dément la conclusion de la juge selon laquelle « n’importe qui aurait pu “soulever le capot” et examiner le palier 3103 au chantier de forage à Dilley » : au paragraphe 124 des motifs. En fait, le témoignage de Ken Wenzel appelle la conclusion contraire. Étant donné que le fardeau d’établir l’antériorité par divulgation découlant d’une utilisation antérieure incombait aux intimés, je ne peux qu’en conclure qu’ils ne se sont pas acquittés de ce fardeau et que la juge a commis une erreur manifeste et dominante en tirant une conclusion contraire.

[156]   J’ajoute que la juge n’était pas fondée à s’appuyer (aux paragraphes 123 et 124 des motifs) sur la jurisprudence Gibney v. Ford Motor Co. of Canada, [1967] 2 R.C.É. 279, (1967), 52 C.P.R. 140 pour faire une analogie avec le fait de « soulever le capot ». Cette décision a été rendue sur le fondement des anciennes dispositions de la Loi sur les brevets aux termes desquelles il était possible de contester un brevet en se fondant uniquement sur l’utilisation antérieure. La question dans cette affaire était de savoir si l’utilisation en question était visée par l’exception relative à l’utilisation expérimentale. Je suis d’avis que cette jurisprudence expose des principes qui régissent la notion moderne d’antériorité, qui exige à la fois la divulgation et la réalisation de l’invention.

[157]   La juge a également déclaré (au paragraphe 121 des motifs) que, si l’outil contenant le palier 3103 s’était brisé pendant le forage, un « expert en repêchage » aurait vu le fonctionnement interne du palier 3103 à mesure que les pièces étaient récupérées dans le puits. En toute déférence, j’estime que le témoignage de Ken Wenzel au sujet de cette situation hypothétique ne permet pas d’établir qu’il y a eu divulgation appelant une conclusion d’antériorité.

[158]   La preuve relative à l’« expert en repêchage » se trouve dans le témoignage de Ken Wenzel aux pages 3022 et 3023 du dossier d’appel. L’« expert en repêchage » est la personne qui récupère les pièces brisées lorsqu’un outil de forage casse dans un puits de forage pétrolier. Ken Wenzel a déclaré que, si le palier 3103 s’était brisé dans le puits de forage (ce qui ne s’est pas produit), il aurait été possible qu’on retienne les services d’un « expert en repêchage » pour récupérer ses pièces. Il a ajouté que dans de telles circonstances, le propriétaire du palier 3103 (et non le locataire) aurait pu fournir à l’« expert en repêchage » des renseignements concernant la forme ou la taille des pièces pour faciliter leur récupération dans le puits de forage. Aucune preuve n’a été produite sur la question de savoir si la fourniture de renseignements concernant la forme ou la taille des pièces aurait permis à un « expert en repêchage » de comprendre le fonctionnement du palier 3103. En outre, rien dans les preuves produites ne tendait à établir que les pièces brisées de l’équipement « récupéré » dans le puits de forage auraient permis à la personne versée dans l’art de comprendre l’invention et, éventuellement, de l’utiliser. En l’absence de telles preuves, il n’était pas possible de conclure à l’antériorité en se fondant sur le témoignage intéressé de Ken Wenzel au sujet de l’« expert en repêchage ». J’observe encore une fois que le fardeau d’établir l’antériorité sur le fondement de la divulgation hypothétique de la forme et de la taille des pièces à un « expert en repêchage » ou par la récupération des pièces de l’équipement brisé incombait aux intimés.

[159]   Étant donné que les éléments d’antériorité, de divulgation publique et de réalisation n’ont pas été établis, j’estime que la juge a commis des erreurs susceptibles de révision en concluant que le brevet '630 était invalide pour cause d’antériorité.

Conclusions et dispositif

[160]   Il en résulte que le brevet '630 n’a pas été antériorisé par le palier 3103. Cependant, comme l’a expliqué ma collègue la juge Gauthier, il y a lieu de confirmer la conclusion d’invalidité pour cause d’évidence qu’a tirée la juge.

[161]   Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

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