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[2001] 1 C.F. 257

T-1892-99

Jacob Fast (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le procureur général du Canada (défendeurs)

Répertorié : Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge LemieuxOttawa, 10, 11 et 27 avril; 11 juillet 2000.

Droit administratif Appels prévus par la loi Requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire de l’avis de révocation envisagée de la citoyenneté au motif que le demandeur a été admis au Canada ou a acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels L’art. 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale exclut toute demande de contrôle judiciaire dans les cas où le législateur a prévu un autre droit d’« appel » L’art. 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté prévoit un renvoi à la Cour afin qu’elle déclare que la citoyenneté canadienne a été obtenue par fraude et au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels Le renvoi constitue une instruction visant à trancher la question de fait qui consiste à savoir si une personne a acquis sa citoyenneté par des moyens interdits par le législateur Au cours de l’instruction, qui se déroule comme une action régie par la partie 4 des Règles de la Cour fédérale (1998), le juge doit rendre de nombreuses décisions relatives à la procédure, ainsi que tirer des conclusions de droit Selon les principes établis dans Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics) pour trancher la question de savoir quel processus de révision constitue un appel aux fins de l’application de l’art. 18.5, le renvoi prévu par l’art. 18(1)b), combiné à la partie 4 des Règles, offre un mécanisme permettant de vérifier le bien-fondé de l’avis de révocation Selon l’intention du législateur, toutes les questions liées intégralement au processus de renvoi doivent être tranchées dans le cadre du renvoi.

Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Délivrance par le ministre d’un avis de révocation envisagée de la citoyenneté Demande de contrôle judiciaire Requête du ministre en vue d’obtenir la radiation de la demande L’art. 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale exclut toute demande de contrôle judiciaire dans les cas où le législateur a prévu un autre droit d’« appel » Signification du mot « appel » L’art. 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté prévoit le renvoi de l’affaire à la Cour afin qu’elle détermine si la citoyenneté a été acquise par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels Si la Cour conclut que l’exigence fixée par la loi n’a pas été respectée, cette conclusion empêche la révocation de la citoyenneté et l’expulsion Le processus de renvoi prévu par l’art. 18(1)b) offre un mécanisme permettant d’examiner le bien-fondé de l’avis de révocation Selon l’intention du législateur, ces questions doivent être tranchées dans le cadre du renvoi La demande de contrôle judiciaire a été radiée parce qu’elle n’avait aucune chance d’être accueillie.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Citoyens L’art. 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté prévoit un renvoi à la Cour afin qu’elle détermine si la citoyenneté a été acquise par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels Demande de contrôle judiciaire de l’avis de révocation envisagée de la citoyenneté au motif qu’elle a été acquise par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels L’art. 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale exclut toute demande de contrôle judiciaire dans les cas où le législateur a prévu un autre droit d’« appel » La demande de contrôle judiciaire a été radiée Le processus de renvoi prévu par l’art. 18(1)b) et la partie 4 des Règles de la Cour fédérale (1998) offrent un mécanisme permettant de vérifier le bien-fondé de l’avis de révocation Selon l’intention du législateur, toutes les questions liées intégralement au processus de renvoi doivent être tranchées dans le cadre du renvoi.

Pratique Actes de procédure Requête en radiation Demande de contrôle judiciaire de l’avis de révocation envisagée de la citoyenneté au motif que le demandeur a été admis au Canada à titre de résident permanent et a acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels L’art. 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté prévoit le renvoi de ces affaires à la Cour L’art. 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale exclut toute demande de contrôle judiciaire dans les cas où le législateur a prévu un autre droit d’« appel » La Cour peut radier une demande de contrôle judiciaire manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie Requête accueillie Le ministre n’a pas démontré que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie en raison de l’absence d’une question relevant de la compétence des tribunaux parce que l’avis ne touchait pas les droits du demandeur, ni en raison de l’absence d’exercice d’un pouvoir prévu par une loi, arguments selon lesquels les déclarations faites au moment de la demande d’immigration n’ont rien à voir avec l’acquisition subséquente de la citoyenneté, le défaut de divulguer les activités en temps de guerre est un facteur étranger parce qu’il ne constituait pas un motif permettant de refouler le demandeur à l’époque Mais la demande de contrôle judiciaire est interdite par l’art. 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale Le processus de renvoi prévu par l’art. 18(1)b) et la partie 4 des Règles de la Cour fédérale (1998) offrent un mécanisme permettant de vérifier le bien-fondé de l’avis de révocation.

Interprétation des lois L’art. 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale exclut toute demande de contrôle judiciaire dans les cas où le législateur a prévu un autre droit d’«appel » L’art. 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté prévoit un renvoi à la Cour afin qu’elle déclare que la citoyenneté canadienne a été acquise par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels La question de savoir si un processus constitue un appel aux fins de l’art. 18.5 tient au fond et non à la forme du processus Le mot « appel » n’est par un terme technique Le renvoi prévu par l’art. 18(1)b) constitue un « appel » La demande de contrôle judiciaire de l’avis de révocation envisagée de la citoyenneté a été radiée.

Il s’agissait d’une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a immigré au Canada en 1947 et est devenu citoyen canadien en 1954. En 1999, il a reçu un avis de révocation envisagée de sa citoyenneté l’informant que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration avait l’intention de présenter un rapport au gouverneur en conseil portant qu’il avait acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration du fait que, en 1947, il n’avait pas divulgué aux fonctionnaires canadiens qu’il était citoyen allemand et, en conséquence, sujet d’un pays ennemi et inadmissible au Canada, et que, parmi les activités auxquelles il s’était livré pendant la Deuxième Guerre mondiale, il avait collaboré avec les autorités de l’occupation allemande en Ukraine et avait participé à d’autres activités qui l’auraient rendu inadmissible à l’époque. Après avoir avisé le ministre, « sous toutes réserves », qu’il désirait que l’affaire soit renvoyée devant la Section de première instance de la Cour fédérale, le demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire en vue de faire annuler l’avis de révocation et d’interdire au ministre de renvoyer l’affaire à la Cour et de présenter un rapport au gouverneur en conseil. Le ministre et le procureur général ont présenté une requête en rejet ou en radiation de la demande de contrôle judiciaire en invoquant les moyens suivants : 1) l’action échappait à la compétence des tribunaux parce que l’avis ne touchait pas les droits du demandeur et, dans ce contexte, l’avis ne constituait pas l’exercice d’une compétence ou de pouvoirs conférés par une loi au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale ou 2) la demande de contrôle judiciaire était interdite par l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, qui exclut toute demande de contrôle judiciaire dans les cas où le législateur a prévu un autre droit d’« appel ». Par la suite, le ministre a renvoyé l’affaire à la Cour pour qu’elle conclue, en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, que le demandeur avait acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. La Cour peut radier une demande de contrôle judiciaire qui est « manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie ». Le demandeur a soutenu que, compte tenu de l’imprécision des mots « autres activités en temps de guerre », « notamment », « collaboration » et « association », il ne savait pas quels étaient les faits qu’on lui reprochait d’avoir dissimulés ou les fausses déclarations qu’on lui reprochait d’avoir faites. En conséquence, le ministre avait outrepassé sa compétence en lui donnant l’avis, qui est incompatible avec l’article 18. Il a aussi soutenu que le ministre avait commis une erreur de compétence en tenant compte d’un facteur étranger lorsqu’il a allégué que le demandeur avait fait une fausse déclaration aux fonctionnaires de l’Immigration en 1947. Une telle fausse déclaration, en supposant qu’elle ait été faite, n’était pas pertinente relativement à l’examen de sa demande de citoyenneté en 1954 en vertu de la version de la Loi sur la citoyenneté alors en vigueur. Le demandeur a aussi attaqué l’avis en affirmant qu’il n’avait pas divulgué ses activités en temps de guerre en 1947, parce que la loi ne conférait pas alors aux fonctionnaires de l’Immigration le pouvoir de refouler un demandeur parce qu’il n’avait pas divulgué ses activités en temps de guerre.

La question en litige consistait à se demander si la demande de contrôle judiciaire était manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie.

Jugement : la requête est accueillie au motif que la demande de contrôle judiciaire était interdite par l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale.

1) Le ministre et le procureur général n’ont pas démontré que la demande de contrôle judiciaire n’avait aucune chance d’être accueillie en invoquant l’absence de question relevant de la compétence des tribunaux et d’exercice d’un pouvoir conféré par une loi. Premièrement, la question de savoir si les allégations satisfaisaient aux exigences imposées par la jurisprudence était discutable, vu la marge de manœuvre que le ministre s’était réservée pour inclure des activités autres que celles décrites dans l’avis. La prétention selon laquelle le demandeur n’avait pas saisi ce que signifiait l’avis quant à sa collaboration ou à son association avec les autorités allemandes en temps de guerre n’était toutefois pas fondée. L’applicabilité des décisions qui établissent qu’une demande de contrôle judiciaire ne relève pas de la compétence des tribunaux lorsque les droits du demandeur ne sont pas touchés pouvait encore être débattue dans le contexte de l’argument du demandeur, qui était axé sur l’obligation de satisfaire à une exigence imposée par la loi quant à la suffisance du contenu de l’avis prescrit. De plus, le ministre et le procureur général n’ont pas prouvé que le ministre, lorsqu’il a donné l’avis, n’exerçait pas un pouvoir prévu par une loi au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Deuxièmement, à la lecture du dossier, un débat demeurait possible sur la question de savoir si les faits que le demandeur avait révélés aux fonctionnaires en 1947, au moment de sa demande d’immigration au Canada, n’avaient rien à voir avec l’acquisition de sa citoyenneté en 1954. En outre, il était possible de présenter une argumentation quant à savoir si les fonctionnaires de l’immigration avaient le pouvoir de le refouler pour des raisons de sécurité.

2) Le débat sur le deuxième moyen a porté surtout sur la signification du mot « appel » utilisé dans l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale. Par application de l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, la Cour doit décider s’il y a eu « fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels ». Une conclusion négative empêche la révocation de la citoyenneté et l’expulsion qui en résulte. Un renvoi est en fait une instruction visant à trancher la question de fait qui consiste à savoir si une personne a acquis sa citoyenneté par des moyens interdits par le législateur. Au cours de cette instruction, qui se déroule comme une action régie par la partie 4 des Règles de la Cour fédérale (1998), un juge doit nécessairement rendre de nombreuses décisions relatives à la procédure et à la preuve ainsi que tirer des conclusions de droit. Il faut trancher la question de savoir si un processus donné constitue un appel aux fins de l’application de l’article 18.5 en analysant le fond et non la forme de ce processus. Le mot « appel » n’est pas un terme technique. Selon les principes établis dans l’affaire Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics), le processus de renvoi prévu par l’art. 18(1)b), combiné à la partie 4 des Règles (qui régit les renvois par application de la règle 169), offre un mécanisme permettant de vérifier et d’examiner le bien-fondé de l’avis de révocation au regard des moyens invoqués dans la demande de contrôle judiciaire. La demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance d’être accueillie et doit être radiée. L’intention du législateur est claire : toutes les questions liées intégralement au processus de renvoi, y compris celles soulevées dans la demande de contrôle judiciaire, doivent être tranchées dans le cadre du renvoi.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 44(d)(iii).

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 44.

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 10, 14(5), 18.

Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, ch. 108.

Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33.

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18 (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5), 18.5 (édicté, idem).

Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1.

Loi sur l’immigration, S.R.C. 1927, ch. 93, art. 3(1).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 169, 171, 208.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (1994), 58 C.P.R. (3d) 209; 176 N.R. 48 (C.A.); Luitjens c. Canada (Secrétaire d’État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149; 142 N.R. 173 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [1992] 2 R.C.S. viii; Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1993), 21 Admin. L.R. (2d) 152; 68 F.T.R. 235 (C.F. 1re inst.); Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 17; (1998), 36 O.R. (3d) 418; 154 D.L.R. (4th) 193; 50 C.B.R. (3d) 163; 33 C.C.E.L. (2d) 173; 221 N.R. 241; 106 O.A.C. 1; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; (1997), 1 Admin. L.R. (3d) 1; 118 C.C.C. (3d) 443; 14 C.P.C. (4th) 1; 10 C.R. (5th) 163; 40 Imm. L.R. (2d) 23; Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331 [1984] CTC 352; (1984), 84 DTC 6345 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Assoc. canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd., [1997] A.C.F. no 493 (C.A.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dueck (1998), 154 F.T.R. 241; 47 Imm. L.R. (2d) 162 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Odynsky (1999), 166 F.T.R. 255; 49 Imm. L.R. (2d) 192 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Podins (1999), 171 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander, [2000] A.C.F. no 229 (1re inst.) (QL); Canada (Secrétaire d’État) c. Luitjens, [1989] 2 C.F. 125 (1988), 6 Imm. L.R. (2d) 231 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203 (1998), 155 F.T.R. 1; 50 Imm. L.R. (2d) 216 (1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Katriuk (1999), 156 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kisluk (1999), 169 F.T.R. 161; 50 Imm. L.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1; 42 Imm. L.R. (2d) 248 (C.F. 1re inst.); Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; (1979), 106 D.L.R. (3d) 385; 50 C.C.C. (2d) 353; 13 C.R. (3d) 1; 15 C.R. (3d) 315; 30 N.R. 119; Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309 [1990] 2 C.T.C. 524; (1990), 90 DTC 6647; 116 N.R. 200 (C.A.); Cangene Corp. c. Eli Lilly and Co. (1995), 63 C.P.R. (3d) 377; 101 F.T.R. 238 (C.F. 1re inst.); Albion Transportation Research Corp. c. Canada, [1998] 1 C.F. 78 (1997), 133 F.T.R. 250; 97 DTC 5481 (1re inst.); Aliments Prince Foods Inc. c. Canada (Ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire) (1999), 164 F.T.R. 104 (C.F. 1re inst.); Shun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 211; 206 N.R. 7 (C.A.F.).

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast, [2000] A.C.F. no 552 (1re inst.) (QL); Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694 (1995), 125 D.L.R. (4th) 559; 184 N.R. 260 (C.A.); Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (1999), 19 C.C.P.B. 179; 236 N.R. 317 (C.A.); Union of Nova Scotia Indians c. Maritimes and Northeast Pipeline Management Ltd. (1999), 243 N.R. 205 (C.A.F.); Rich Colour Prints Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1984] 2 C.F. 246 (1984), 60 N.R. 235 (C.A.).

DOCTRINE

Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed. Toronto : Butterworths, 1983.

REQUÊTE en radiation de la demande de contrôle judiciaire d’un avis de révocation envisagée de la citoyenneté parce que celle-ci a été acquise par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration. Requête accueillie au motif que le processus de renvoi prévu par l’alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté offre un mécanisme permettant de vérifier le bien-fondé de l’avis de révocation et que, par conséquent, l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale interdit le contrôle judiciaire de l’avis de révocation.

ONT COMPARU :

Peter K. Doody et Lawrence A. Elliot pour le demandeur.

Peter A. Vita, c.r. et Madeleine Schwarz pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais, Ottawa, pour le demandeur

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

Le juge Lemieux :

INTRODUCTION

[1]        Jacob Fast (le demandeur) a reçu un avis de révocation envisagée de sa citoyenneté (l’avis) que lui a adressé le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) en date du 4 septembre 1999.

[2]        M. Fast avait immigré au Canada en 1947 et était devenu citoyen canadien en 1954.

[3]        L’avis informait M. Fast que le ministre avait l’intention de présenter un rapport au gouverneur en conseil en vertu des articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté [L.R.C. (1985), ch. C-29] (la Loi) pour les deux motifs suivants :

[traduction] 1) Vous avez été admis au Canada à titre de résident permanent et vous avez acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels du fait que, en 1947, vous n’avez pas divulgué les éléments suivants aux fonctionnaires canadiens responsables de la sélection des personnes désireuses de venir au Canada ni à aucun autre fonctionnaire de l’Immigration :

   Vous étiez citoyen allemand et vous étiez en conséquence sujet d’un pays ennemi et inadmissible au Canada;

2) Vous avez été admis au Canada à titre de résident permanent et vous avez acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels du fait que, en 1947, vous n’avez pas divulgué, aux fonctionnaires canadiens responsables de la sélection des personnes désireuses de venir au Canada, les activités auxquelles vous vous êtes livré pendant la Deuxième Guerre mondiale et notamment :

—   votre collaboration avec les autorités de l’occupation allemande en Ukraine;

   votre association avec les forces de police auxiliaire locales parrainées par l’Allemagne à Zaporojie;

   votre association avec la police de sécurité et le service de sécurité allemands (Sicherheitspolizei und SD);

OU

   d’autres activités auxquelles vous avez participé en temps de guerre et qui vous auraient rendu inadmissible au Canada au moment où vous y êtes venu.

[4]        Le 29 octobre 1999, M. Fast a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour, après avoir avisé le ministre, sous toutes réserves, qu’il lui demandait, conformément à la Loi et à l’avis, de renvoyer l’affaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale.

[5]        Dans sa demande, M. Fast sollicite les réparations suivantes :

(a) une ordonnance annulant l’avis;

(b) une ordonnance interdisant au ministre défendeur de renvoyer l’affaire à la Cour;

(c) une ordonnance interdisant au ministre de présenter un rapport au gouverneur en conseil selon lequel le demandeur aurait soit été admis au Canada à titre de résident permanent, soit acquis la citoyenneté canadienne, par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[6]        Le 3 décembre 1999, le ministre et le procureur général du Canada ont demandé à la Cour de rejeter ou de radier la demande de contrôle judiciaire déposée par M. Fast.

[7]        Le 3 mars 2000, le ministre a renvoyé l’affaire devant la Cour conformément aux règles 169 et 171 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106] (les Règles) en déposant une déclaration dans le dossier T-453-00 [[2000] A.C.F. no 552 (1re inst.) (QL)]; dans cette déclaration, il a désigné Jacob Fast en qualité de défendeur et demandé à la Cour de conclure, en vertu de l’alinéa 18(1)b) de la Loi, que M. Fast avait acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[8]        Les dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté de 1976 [S.C. 1974-75-76, ch. 108], en vigueur aujourd’hui [L.R.C. (1985) ch. C-29], sont les articles 10 et 18, reproduits ci-dessous :

10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu’il est convaincu, sur rapport du ministre, que l’acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l’intéressé, à compter de la date qui y est fixée :

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l’a acquise à raison d’une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l’un de ces trois moyens.

[…]

18. (1) Le ministre ne peut procéder à l’établissement du rapport mentionné à l’article 10 sans avoir auparavant avisé l’intéressé de son intention en ce sens et sans que l’une ou l’autre des conditions suivantes ne se soit réalisée :

a) l’intéressé n’a pas, dans les trente jours suivant la date d’expédition de l’avis, demandé le renvoi de l’affaire devant la Cour;

b) la Cour, saisie de l’affaire, a décidé qu’il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

(2) L’avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu’a l’intéressé, dans les trente jours suivant sa date d’expédition, de demander au ministre le renvoi de l’affaire devant la Cour. La communication de l’avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l’intéressé.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d’appel. [Non souligné dans l’original.]

ANALYSE

I.          La définition des questions en litige

(a)  Le critère applicable à une requête en radiation

[9]        Il ne fait aucun doute que le ministre et le procureur général du Canada doivent s’acquitter d’un lourd fardeau pour que leur requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire de M. Fast soit accueillie. Il en est ainsi parce que les tribunaux ont statué que le moyen opportun de contester une demande de contrôle judiciaire que le défendeur croit non fondée consiste à comparaître et à présenter ses arguments à l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

[10]      Dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600, le juge Strayer a écrit que la Cour pouvait néanmoins radier une demande de contrôle judiciaire « qui est manifestement irréguli[ère] au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli[e] ». Il a ajouté que « [c]es cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête ».

[11]      L’affaire Assoc. canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd., [1997] A.C.F. no 493 (C.A.), est un exemple de situation dans laquelle la demande de contrôle judiciaire a été radiée. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale a radié la demande de contrôle judiciaire parce qu’elle était d’avis qu’elle n’avait [au paragraphe 1] « aucune chance de succès ».

(b)   Le fondement de la requête en radiation du ministre et du procureur général

[12]      Le ministre et le procureur général du Canada ont invoqué deux moyens principaux pour justifier la radiation, à ce stade-ci, de la demande de contrôle judiciaire de M. Fast. Premièrement, ils affirment que la demande échappe à la compétence des tribunaux parce que l’avis et, de fait, la décision que la Cour rendra à l’issue du renvoi, quelle qu’elle soit, ne touchent pas les droits de M. Fast, et ils ajoutent que, dans ce contexte, l’avis ne constitue pas l’exercice d’une compétence ou de pouvoirs conférés par une loi fédérale au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1)]. Deuxièmement, la demande de contrôle judiciaire n’a aucune chance d’être accueillie parce qu’elle est interdite par l’article 18.5 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale, étant donné que le renvoi à la Cour par le ministre constitue un autre recours, c’est-à-dire un appel, prescrit par le législateur fédéral, que le demandeur doit exercer plutôt que de procéder par voie de demande de contrôle judiciaire.

[13]      À titre subsidiaire, le ministre et le procureur général du Canada soutiennent, à tout le moins, que la demande de contrôle judiciaire doit être radiée dans la mesure où elle conteste le premier motif énoncé dans l’avis, vu que les citoyens allemands n’étaient pas autorisés à venir au Canada en 1947 parce qu’ils étaient les sujets d’un pays ennemi.

(c)        La position de M. Fast

(i)    Aperçu

[14]      Les avocats de M. Fast ont fait valoir que la requête en radiation de sa demande de contrôle judiciaire doit être rejetée parce qu’elle n’appartient pas aux cas d’exception très restreints décrits dans l’arrêt David Bull Laboratories, précité, c’est-à-dire, qu’il ne s’agit pas d’une demande manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie.

[15]      Pour établir leur prétention, les avocats de M. Fast ont expliqué le fondement ou le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire déposée.

(ii)   Premier moyenInsuffisance de l’avis

[16]      Les avocats de M. Fast ont étayé leur argumentation sur ce point en se reportant à trois décisions de la Cour en matière de révocation de la citoyenneté : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dueck (1998), 154 F.T.R. 241; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Odynsky (1999), 166 F.T.R. 255 (C.F. 1re inst.); et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Podins (1999), 171 F.T.R. 161.

[17]      Dans l’affaire Dueck, précitée, le juge Noël, alors de la Section de première instance, a établi deux principes relativement à l’importance de l’avis. Premièrement, il a statué que l’affaire qui est renvoyée à la Cour par le ministre en vertu de l’article 18 de la Loi est celle énoncée par le ministre dans l’avis. En conséquence, le ministre ne pouvait pas, dans le cadre du renvoi devant la Cour, lui demander de trancher une question étrangère à l’affaire énoncée par le ministre dans son avis. Deuxièmement, bien que l’article 18 de la Loi ne précise pas la teneur de l’avis qui doit être donné, celui-ci doit mettre l’intéressé au courant à la fois de l’essentiel de la fausse déclaration qui lui est reprochée et de l’intention du ministre de demander en conséquence la révocation de sa citoyenneté. Le juge Noël a appuyé sa conclusion sur le fait qu’aux termes des alinéas 18(1)a) et b) de la Loi, l’avis offre un choix à l’intéressé : il peut choisir soit de ne pas répondre à l’avis, soit de demander au ministre de renvoyer l’affaire à la Cour. Il s’est dit d’avis que l’intéressé ne peut choisir la voie à suivre que s’il est au courant des faits qu’on lui reproche d’avoir dissimulés ou des fausses déclarations qu’on lui reproche d’avoir faites.

[18]      Dans l’affaire Odynsky, précitée, le juge MacKay de notre Cour a précisé qu’il faut accorder de l’importance à l’avis de révocation parce qu’il sert à décrire, bien que brièvement, les motifs pour lesquels le ministre a décidé de demander la révocation de la citoyenneté du défendeur. Il a conclu que lorsque l’intéressé ne demande pas le renvoi de l’affaire devant la Cour, c’est l’avis de révocation qui sert de cadre à l’établissement de tout rapport adressé par le ministre au gouverneur en conseil afin de lui recommander la révocation de la citoyenneté de l’intéressé. Voici ce qu’il a écrit au paragraphe 20 [page 260] de sa décision :

Je suis d’accord avec le juge Noël pour dire que, dans les limites imposées par les termes utilisés dans l’avis de révocation, le résumé des faits et de la preuve (ou suivant les Règles actuelles, l’exposé de la demande du ministre) peut servir à préciser les éléments que le ministre essaiera d’établir relativement aux allégations plus générales formulées dans l’avis. Lorsque des exposés déposés plus tard allèguent des faits qui ne sont pas visés dans l’avis de révocation, ces allégations sont étrangères puisque sans rapport avec la question que la Cour doit trancher telle qu’elle est définie dans l’avis de révocation donné au défendeur. [Non souligné dans l’original.]

[19]      Dans l’affaire Podins, précitée, le juge McKeown s’est prononcé sur une allégation portant que le fait que le défendeur avait appartenu à la Waffen SS n’était pas visé par l’avis de révocation qui lui avait été adressé. Voici comment il s’est exprimé au paragraphe 11 [pages 166 et 167] de sa décision :

À mon avis, l’allégation suivant laquelle M. Podins a collaboré avec les autorités allemandes du fait de son appartenance à la Waffen SS ne fait pas partie de l’« affaire » exposée dans l’avis. L’avis précise que la « collaboration » attribuée au défendeur concerne sa présumée appartenance à la police auxiliaire lettone et son « travail à ce titre ». Ce libellé a pour effet de restreindre la portée des présumées activités de M. Podins en tant que collaborateur dans le cadre de son travail à la prison de Valmiera et d’exclure toute allégation postérieure à cette période. Comme les allégations relatives au service du défendeur au sein des Waffen SS ne font pas partie de l’« affaire » intéressant M. Podins, il n’est pas nécessaire de tirer de conclusions de fait à ce sujet. [Non souligné dans l’original.]

[20]      En s’appuyant sur cette jurisprudence, les avocats de M. Fast contestent l’avis qui lui a été adressé pour plusieurs motifs, dont le principal vise l’allégation fourre-tout : « ou d’autres activités auxquelles vous avez participé en temps de guerre et qui vous auraient rendu inadmissible au Canada au moment où vous y êtes venu ». Selon eux, cette allégation fourre-tout indique que le ministre se propose de révoquer la citoyenneté de M. Fast pour des motifs qu’il ignore et qu’ignore nécessairement M. Fast, qui, compte tenu de l’imprécision de ce motif, n’a aucun moyen de savoir quels sont les faits qu’on lui reproche d’avoir dissimulés ou les fausses déclarations qu’on lui reproche d’avoir faites.

[21]      Les avocats de M. Fast ne limitent pas leur contestation de l’avis à l’allégation fourre-tout. Ils soutiennent que le mot « notamment », dans le deuxième paragraphe de l’avis, laisse entendre que la dissimulation ou les fausses déclarations qu’on lui reproche pourraient avoir pour objet des activités qui ne sont pas énoncées dans l’avis. De plus, ils affirment que les mots « collaboration » et « association » utilisés dans ce paragraphe sont trop vagues et imprécis pour permettre à M. Fast de savoir quels faits il aurait dissimulés ou quelles fausses déclarations il aurait faites.

[22]      En conséquence, M. Fast fait valoir que le ministre a outrepassé sa compétence en lui donnant cet avis, qui est incompatible avec l’article 18 de la Loi vu qu’il n’informe pas équitablement M. Fast des faits qu’on lui reproche d’avoir dissimulés ou des fausses déclarations qu’on lui reproche d’avoir faites.

(iii)  Deuxième moyenNon-pertinenceLe processus d’immigration de 1947

[23]      M. Fast prétend que le ministre a commis une erreur de compétence en tenant compte d’un facteur étranger lorsqu’il a allégué que le demandeur avait fait une fausse déclaration aux fonctionnaires de l’Immigration en 1947. Une telle fausse déclaration, en supposant qu’elle ait été faite, n’est pas pertinente parce que le ministre n’allègue pas que M. Fast a menti à l’occasion de l’examen de sa demande de citoyenneté en 1954.

[24]      Cet argument s’appuie sur le libellé de la Loi sur la citoyenneté canadienne [S.R.C. 1952, ch. 33] de 1946 (l’ancienne Loi) sous le régime de laquelle M. Fast a acquis la citoyenneté en 1954, par contraste avec la Loi sur la citoyenneté actuelle, entrée en vigueur en 1976, laquelle contient la présomption édictée au paragraphe 10(2) qui concerne la résidence permanente et la relie au processus d’acquisition de la citoyenneté, alors que l’ancienne Loi ne le faisait pas.

[25]      Cet argument fait intervenir des notions complexes de droits acquis en vertu de l’ancienne Loi et fait appel à différentes dispositions de la Loi d’interprétation [L.R.C. (1985), ch. I-21] concernant l’effet de l’abrogation d’une loi sur les droits substantiels. Les avocats de M. Fast reconnaissent toutefois que cette question a été examinée par le juge MacKay, de notre Cour, dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Oberlander, [2000] A.C.F. no 229 (1re inst.) (QL). Dans la décision Oberlander, précitée, le juge MacKay s’est reporté au jugement prononcé par le juge Collier dans Canada (Secrétaire d’État) c. Luitjens, [1989] 2 C.F. 125 (1re inst.), où il a statué, à la page 133, que les droits substantiels liés à l’acquisition de la citoyenneté sont régis par les dispositions législatives en vigueur au moment de l’octroi de la citoyenneté.

[26]      Le juge MacKay a statué que malgré l’absence d’une disposition équivalente au paragraphe 10(2) dans l’ancienne Loi, telle qu’elle s’appliquait en 1954 dans l’affaire dont il était saisi, ce paragraphe établissait simplement une présomption relative à la preuve, soit une question de procédure visée par le sous-alinéa 44d)(iii) de la Loi d’interprétation, de sorte qu’il était possible d’appliquer cette nouvelle disposition aux faits antérieurs à l’abrogation de l’ancienne Loi.

(iv)  Deuxième moyenNon-pertinence Raisons de sécurité

[27]      M. Fast conteste également l’avis au motif que l’allégation qui y figure lui reproche de ne pas avoir divulgué aux fonctionnaires canadiens responsables de la sélection des personnes désireuses de venir au Canada, en 1947, les activités auxquelles il s’est livré pendant la Deuxième Guerre mondiale. Il affirme que cette allégation constitue une erreur de compétence parce que la loi ne conférait pas aux fonctionnaires de l’Immigration le pouvoir de refouler un demandeur pour ces motifs, en 1947.

[28]      Cet argument a pour toile de fond la structure de la Loi sur l’immigration en vigueur en 1947 ainsi que la teneur et l’applicabilité des différents décrets pris en vertu de cette Loi, telle qu’elle existait alors. L’examen de cette question exige aussi que soit tranchée la question de savoir si, en l’absence d’un pouvoir d’origine législative, la prérogative royale régissant l’entrée des personnes au Canada pouvait être invoquée.

[29]      À l’appui de leur argumentation sur ce point, les avocats de M. Fast invoquent trois décisions de notre Cour en matière de révocation de la citoyenneté dans lesquelles cette question a été examinée et tranchée. Il s’agit des décisions Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203 Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Katriuk (1999), 156 F.T.R. 161, prononcée par le juge Nadon; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kisluk (1999), 169 F.T.R. 161, prononcée par le juge Lutfy, devenu depuis juge en chef adjoint.

[30]      Dans l’affaire Dueck, précitée, le juge Noël est parvenu à la conclusion que la Loi sur l’immigration [S.R.C. 1927, ch. 93] en vigueur en juillet 1948 et les décrets pris sous le régime de cette Loi ne conféraient pas le pouvoir de refouler les immigrants éventuels au motif qu’ils avaient collaboré avec l’ennemi. Il a aussi conclu que le législateur, en édictant la Loi sur l’immigration, avait entièrement supplanté la prérogative royale qui aurait pu justifier le refoulement des immigrants éventuels pour des raisons de sécurité.

[31]      Le juge Noël a écrit ce qui suit [au paragraphe 304, pages 274 et 275] :

Même si, en vertu de la common law, aucun immigrant étranger n’avait le droit de débarquer au Canada, la Loi de l’immigration en vigueur en 1948 déterminait l’admissibilité des candidats à l’immigration. Un agent d’immigration a statué en juillet 1948 que le défendeur remplissait les conditions de la Loi et qu’il satisfaisait aux conditions prescrites par les décrets applicables. C’est pourquoi le défendeur a eu le droit d’entrer au Canada. Même si, en raison de considérations qui n’avaient rien à voir avec la Loi et les décrets applicables, il n’aurait pu être admis au Canada s’il avait révélé honnêtement ses activités passées, il n’en demeure pas moins qu’il a été légalement admis au Canada.

[32]      Dans la décision Katriuk, le juge Nadon a écrit, au paragraphe 111 [pages 207 et 208] de ses motifs :

Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Dueck, […] mon collègue, Monsieur le juge Noël, conclut qu’avant l’adoption du décret C.P. 1950-2856, rien ne permettait en vertu de la Loi de l’immigration de 1927 et des décrets y afférents de refuser l’entrée d’immigrants au Canada pour des raisons de sécurité. Je souscris à l’avis exprimé par le juge Noël. Toutefois, le 14 août 1951, lorsque le défendeur a obtenu le droit d’établissement au Canada, il existait clairement un fondement juridique permettant de refuser l’entrée des immigrants qui ne satisfaisaient pas aux normes de sécurité.

[33]      Dans l’affaire Kisluk, précitée, le juge Lutfy (maintenant juge en chef adjoint) était convaincu, en se fondant sur les décrets C.P. 4849 et C.P. 4851, qu’en décembre 1948, les agents d’immigration avaient légalement le pouvoir d’interdire l’entrée et l’établissement d’immigrants au Canada au motif qu’ils étaient indésirables ou qu’ils constituaient un risque pour la sécurité. Il estimait cette conclusion tout à fait cohérente avec l’interdiction d’entrer faite dans l’alinéa 3(i) de la Loi sur l’immigration [S.R.C. 1927, ch. 93] alors en vigueur. Dans la décision Kisluk, précitée, le juge Lutfy a examiné la décision Dueck et conclu que les prétentions du demandeur dans l’affaire dont il était saisi différaient considérablement de celles formulées devant le juge Noël dans l’affaire Dueck, précitée. Il a aussi établi une distinction avec la décision rendue par le juge McKeown dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), sur le fondement que la question du pouvoir légal n’avait pas été vraiment soulevée dans cette affaire.

II.    Application à la présente espèce

[34]      La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le ministre et le procureur général du Canada ont satisfait au critère établi dans la décision Bull Laboratories.

(a)  Premier moyenAbsence de question relevant de la compétence des tribunaux et d’exercice d’un pouvoir prévu par une loi

[35]      Selon moi, le ministre et le procureur général n’ont pas démontré, en invoquant ce premier moyen, que la demande de contrôle judiciaire présentée par M. Fast n’avait aucune chance d’être accueillie et que l’absence de question relevant de la compétence des tribunaux et d’exercice d’un pouvoir prévu par une loi ne constituait pas un moyen suffisamment convaincant pour permettre à la Cour de rejeter la demande. Mes motifs comportent deux volets.

[36]      Premièrement, bien que j’estime que l’avis du ministre a exposé à M. Fast l’essentiel des fausses déclarations qu’on lui reproche et qu’il est suffisant pour lui permettre de choisir de demander ou non le renvoi de l’affaire, j’ai des réserves au sujet de la portée indéterminée de l’allégation fourre-tout et de la marge de manœuvre que le ministre s’est réservée pour pouvoir y inclure des activités autres que celles décrites dans l’avis. La question de savoir si les allégations, telles qu’elles sont formulées, satisfont aux exigences fixées par le juge Noël dans l’affaire Dueck, précitée, et par le juge MacKay dans l’affaire Odynsky, précitée, est discutable.

[37]      J’estime toutefois non fondée la prétention de M. Fast selon laquelle il n’a pas saisi ce que signifiait l’avis quant à sa collaboration ou à son association avec les autorités allemandes en temps de guerre.

[38]      Les avocats du ministre et du procureur général ont beaucoup insisté sur leur prétention que les droits de M. Fast ne sont pas touchés et que sa demande de contrôle judiciaire échappe donc à la compétence des tribunaux. Ils se sont appuyés sur l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Luitjens c. Canada (Secrétaire d’État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149, dans laquelle la Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation de pourvoi [[1992] 2 R.C.S. viii]. Ils ont aussi invoqué l’arrêt Martineau c. Comité de discipline de l’Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, à l’appui de leur prétention qu’il n’est pas possible d’exercer un recours en certiorari à moins que l’organisme public ait le pouvoir de trancher une question qui a une incidence sur les droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d’une personne.

[39]      Peut encore être débattue, notamment, la question de savoir si les deux causes invoquées par les avocats du ministre et du procureur général s’appliquent dans le contexte de l’argument de M. Fast, qui est axé sur l’obligation de satisfaire à une exigence imposée par la loi quant à la suffisance du contenu de l’avis prescrit.

[40]      En outre, je ne suis pas convaincu que le ministre et le procureur général ont prouvé que le ministre, lorsqu’il a donné l’avis, n’exerçait pas un pouvoir prévu par une loi au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et, sur ce point, les arrêts Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694et Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476de la Cour d’appel fédérale sont pertinents.

[41]      Deuxièmement, à la lecture du dossier, si je me reporte à plusieurs décisions de la Cour en matière de révocation de la citoyenneté je conclus qu’on ne peut affirmer qu’aucune question susceptible de faire l’objet d’un débat ne ressort des arguments de M. Fast, selon lesquels les faits qu’il a pu révéler ou dissimuler aux fonctionnaires de l’Immigration en 1947, au moment de présenter sa demande d’immigration au Canada, n’ont rien à voir avec l’acquisition de sa citoyenneté en 1954. Je suis aussi d’avis qu’on ne peut affirmer clairement que la question de savoir si les fonctionnaires de l’Immigration avaient le pouvoir de refouler M. Fast pour des raisons de sécurité ne peut pas vraiment être plaidée.

[42]      À elles seules, ces questions justifieraient que la Cour procède à un examen plus approfondi dans le cadre d’une audience sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire présentée par M Fast. Je juge très opportuns les propos tenus par le juge Strayer dans l’affaire Bull Laboratories, précitée, selon lesquels une requête en radiation ne peut être accueillie dans les situations où la question en litige porte sur la pertinence des allégations.

(b)  Deuxième moyenLa signification d’un renvoi devant la Cour dans le contexte de l’article 18.5

[43]      Le ministre et le procureur général ont invoqué, comme deuxième moyen subsidiaire, l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, qui exclut toute demande de contrôle judiciaire lorsque le législateur a prévu un autre droit d’appel. Le ministre et le procureur général soutiennent plus particulièrement que le renvoi devant la Cour constitue un tel droit d’appel.

[44]      Voici l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale :

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi. [Non souligné dans l’original.]

[45]      Le débat entre les parties a porté sur la signification du mot « appel » utilisé dans l’article 18.5 de la Loi sur le Cour fédérale. Les avocats du ministre et du procureur général ont prôné une interprétation large et libérale de ce mot en s’appuyant principalement sur la décision rendue par mon collègue le juge McKeown dans l’affaire Société canadienne des postes c. Canada (Ministre des Travaux publics) (1993), 21 Admin. L.R. (2d) 152 (C.F. 1re inst.).

[46]      Les avocats de M. Fast ont proposé une interprétation plus restrictive fondée sur l’arrêt Union of Nova Scotia Indians c. Maritimes and Northeast Pipeline Management Ltd. (1999), 243 N.R. 205 (C.A.F.) afin de conserver son droit d’introduire une demande de contrôle judiciaire. Ils ont soutenu que, même lorsqu’une loi prévoit qu’il peut être interjeté appel d’une décision, celle-ci peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur un moyen qui ne peut être invoqué en appel; ils se sont appuyé à cet égard sur l’arrêt Rich Colour Prints Ltd. c. Sous-ministre du Revenu national, [1984] 2 C.F. 246 (C.A.).

[47]      Ils ont interprété le mot « appel » comme s’entendant de la révision, par une juridiction supérieure, de la décision d’une instance inférieure aux fins d’en vérifier la validité, et affirmé que la décision rendue par la Cour à l’issue du renvoi par le ministre ne constitue pas une révision de la décision du ministre de donner l’avis de révocation, mais plutôt un processus d’enquête sur les faits destiné à établir si M. Fast a acquis, conservé ou répudié sa citoyenneté ou a été réintégré dans celle-ci par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels comme l’allègue l’avis de révocation. De plus, le renvoi ne constitue nullement « un jugement définitif sur des droits juridiques. »

[48]      La question de la signification qu’il faut attribuer au mot « appel » relève du domaine de l’interprétation législative et, dans ce contexte, il est utile de rappeler la démarche adoptée par la Cour suprême du Canada dans Rizzo& Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, où le juge Iacobucci a cité en l’approuvant, à la page 41, un passage de l’ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) d’Elmer Driedger [à la page 87] :

[traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[49]      La nature de la décision qu’un juge de la Cour doit rendre est décrite en ces termes par le législateur à l’alinéa 18(1)b) : « la Cour […] a décidé qu’il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. » Si la Cour conclut, dans une instance donnée, en se fondant sur la preuve produite et les conclusions de droit nécessaires, que l’exigence fixée par la loi n’a pas été respectée, le ministre ne peut pas soumettre un rapport au gouverneur en conseil et le gouverneur en conseil ne peut pas examiner la question de savoir si la citoyenneté de l’intéressé doit être révoquée. En d’autres termes, une conclusion défavorable de la Cour empêche la révocation de la citoyenneté et l’expulsion en conséquence du Canada.

[50]      À la page 413 [paragraphe 52] de l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, la Cour suprême du Canada a dit de la décision rendue par la Cour en vertu de l’alinéa 18(1)b) qu’il s’agissait d’un « genre très particulier de décision » et elle a cité l’arrêt prononcé par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Luitjens c. Canada (Secrétaire d’État) (1992), 9 C.R.R. (2d) 149, à la page 152 :

Il n’y a […] aucune contradiction entre les deux paragraphes [18(3) et 27(1)]. Tout d’abord, la décision n’est pas un « jugement définitif » de la Cour, pas plus qu’un « jugement interlocutoire ». Même si la décision faisait suite à une audience au cours de laquelle de nombreux éléments de preuve ont été produits, il s’agissait simplement d’une conclusion de fait de la part de la Cour, qui devait constituer le fondement d’un rapport du ministre et, à terme, d’une décision du gouverneur en conseil, comme le décrivent l’article 10 et le paragraphe 18(1). La décision n’a déterminé en fin de compte aucun droit juridique.

[51]      Dans l’arrêt Tobiass, précité, la Cour suprême du Canada s’est préoccupée des décisions interlocutoires qu’un juge saisi d’un renvoi rend dans le cadre du renvoi. Au paragraphe 56 [pages 414 et 415] de sa décision, la Cour suprême du Canada a écrit :

Bien que la question ne se pose pas en l’espèce, l’argument suivant est très séduisant : le par. 18(1) de la Loi sur la citoyenneté vise non seulement la décision ultime tranchant la question de savoir si la citoyenneté a été obtenue par des moyens frauduleux, mais également les décisions rendues au cours du renvoi prévu à l’art. 18 s’y rapportant. Cela comprendrait tous les jugements interlocutoires que le tribunal a le pouvoir de rendre dans le contexte d’un renvoi prévu à l’art. 18 (voir, par exemple, l’art. 46 de la Loi sur la Cour fédérale et les règles 5, 450 à 455, 461, 477, 900 à 920, 1714 et 1715 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663). Cette interprétation du par. 18(1) a été adoptée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Luitjens, précité, où il a été décidé que les jugements interlocutoires rendus dans le contexte d’un renvoi prévu au par. 18(1) sont des décisions « visée[s] au » par. 18(1). Il n’est pas nécessaire aux fins du présent pourvoi de déterminer si cette conclusion devrait être modifiée. Cela ne devrait être fait que dans le cadre d’un appel où la question découlerait des faits.

[52]      Au paragraphe 59 [page 415] de cet arrêt, la Cour suprême du Canada a ajouté :

En outre, il se peut qu’en autorisant les appels formés contre les jugements interlocutoires rendus dans le contexte d’un renvoi prévu à l’art. 18 on aille effectivement à l’encontre du but que le législateur fédéral visait en conférant un caractère définitif aux décisions en matière de citoyenneté. Comme le juge McLachlin l’a fait remarquer dans l’arrêt R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, des préoccupations de politique générale légitimes justifient la lutte menée contre la « pléthore d’appels interlocutoires avec les retards qu’ils entraînent nécessairement » (p. 641).

[53]      À mon avis, les arrêts Tobiass et Luitjens, précités, définissent la démarche qu’il convient d’adopter pour déterminer si un renvoi peut être considéré comme un appel aux fins de l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale. Selon moi, un renvoi est effectivement une instruction visant à trancher la question de fait qui consiste à savoir si une personne a acquis sa citoyenneté par des moyens interdits par le législateur. Au cours de cette instruction, qui se déroule sous la forme d’une action régie par la partie 4 des Règles, un juge doit nécessairement rendre de nombreuses décisions relatives à la procédure et à la preuve, ainsi que tirer des conclusions de droit; la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans l’affaire Tobiass, précitée.

[54]      Je retiens les principes suivants, établis par le juge McKeown dans l’affaire Société canadienne des postes, précitée :

(1) Le but et l’intention du législateur, lorsqu’il a édicté l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale, comportaient deux aspects : premièrement, la raison d’être de cet article est d’assurer que l’intéressé exercera le recours expressément prévu par le législateur dans la loi régissant la procédure, plutôt que de présenter une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1; deuxièmement, cet article vise à éviter la multiplicité des instances.

(2) Il faut trancher la question de savoir si un processus donné constitue un appel aux fins de l’application de l’article 18.5 en analysant le fond et non la forme de ce processus. Le mot « appel » n’est pas un terme technique.

(3) Un appel au sens de l’article 18.5 est un processus de révision visant à vérifier la validité de la décision rendue par une instance inférieure. Le juge McKeown était d’avis qu’un appel peut s’entendre d’un procès de novo, d’un appel devant le gouverneur en conseil, d’un appel par voie d’exposé de cause et d’un appel traditionnel d’après le dossier constitué devant le tribunal administratif ou judiciaire d’instance inférieure (aux pages 155 et 156).

(4) L’article 18.5 est conçu pour limiter l’application des articles 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] et 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la Loi sur la Cour fédérale aux situations dans lesquelles la loi applicable ne prévoit ni appel ni révision.

(5) Selon l’arrêt Ministre du Revenu national c. Parsons, [1984] 2 C.F. 331 de la Cour d’appel fédérale, les questions de compétence ne doivent pas être tranchées séparément des questions soulevées en appel. De l’avis du juge McKeown, la Cour d’appel fédérale a étayé ce principe dans Optical Recording Corp. c. Canada, [1991] 1 C.F. 309 où le juge Urie a écrit, à la page 321 :

Par conséquent, il est sans intérêt de savoir si la cotisation établie le 3 juin 1985 est, à cette étape-ci, purement théorique ou non. Aux termes de l’article 29 de la Loi sur la Cour fédérale, la Section de première instance n’avait pas compétence pour accorder la réparation demandée dans la requête fondée sur l’article 18, étant donné que la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit la procédure appropriée pour en appeler de la cotisation. Dans le cadre de cette procédure, on peut soulever toutes les questions litigieuses concernant la cotisation, y compris sa validité ou son caractère théorique.

[55]      Dans la décision Société canadienne des postes, précitée, le juge McKeown a radié une demande de contrôle judiciaire parce que l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information [L.R.C. (1985), ch. A-1] prévoyait un procès de novo.

[56]      La démarche adoptée par le juge McKeown pour trancher la question de savoir quel processus de révision constitue un appel aux fins de l’application de l’article 18.5 a été confirmée dans les décisions suivantes :

a) Cangene Corp. c. Eli Lilly & Co. (1995), 63 C.P.R. (3d) 377 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge en chef adjoint Jerome a radié une demande de contrôle judiciaire parce qu’il « ressort des dispositions de la Loi sur les brevets [L.R.C. (1985), ch. P-4] que le législateur a prévu un ensemble complet de mécanismes qui permettent de contester une décision du commissaire aux brevets » (à la page 379);

b) Albion Transportation Research Corp. c. Canada, [1998] 1 C.F. 78 (1re inst.), dans laquelle le juge Gibson a jugé irrecevable la contestation de la validité d’un avis de cotisation parce que, selon l’intention du législateur, cette question devait être tranchée par la Cour de l’impôt;

c) Aliments Prince Food Inc. c. Canada (Ministère de l’Agriculture et Agroalimentaire) (1999), 164 F.T.R. 104 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Dubé a suivi l’opinion exprimée par le juge McKeown dans Société canadienne des postes, précitée;

d) Shun c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 35 Imm. L.R. (2d) 211 (C.A.F.), dans laquelle la Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement du juge Pinard, qui avait radié une demande de contrôle judiciaire visant la décision d’un juge de la citoyenneté de rejeter une demande de citoyenneté. Le juge Stone, de la Cour d’appel, a dit que le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté prévoyait un droit d’appel général et que la Cour était convaincue que les questions de la compétence du juge de la citoyenneté et des prétendues irrégularités qu’il aurait commises dans le traitement de la demande de citoyenneté pouvaient être examinées en détail et les réparations appropriées accordées dans le cadre d’un appel interjeté sous le régime du paragraphe 14(5);

e) Smith c. Ministre du Revenu national (1992), 8 Admin. L.R. (2d) 146 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Rothstein, alors de la Section de première instance, a radié une demande de contrôle judiciaire visant à contester une saisie compensatoire pratiquée sous le régime de la Loi sur les douanes [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1] parce que cette Loi prévoyait un processus d’appel.

[57]      Vu ces décisions, qui indiquent clairement la voie à suivre, je suis convaincu que le processus de renvoi prévu par l’alinéa 18(1)b) de la Loi, combiné à la partie 4 des Règles qui régit le renvoi, offre un mécanisme permettant de vérifier et examiner le bien-fondé de l’avis de révocation donné par le ministre en vertu de l’article 18 de la Loi au regard des moyens invoqués par M. Fast dans sa demande de contrôle judiciaire. Rappelons que ces moyens touchent la compétence et portent sur la suffisance de l’avis, la non-pertinence de facteurs énoncés dans l’avis, qui reproche au demandeur d’avoir fait une fausse déclaration aux fonctionnaires de l’Immigration, et l’allégation l’accusant de ne pas avoir divulgué, en 1947, aux fonctionnaires canadiens responsables de la sélection des personnes désireuses de venir au Canada, les activités auxquelles il s’était livré au cours de la Deuxième Guerre mondiale.

[58]      Les deuxième et troisième moyens invoqués par les avocats de M. Fast ont déjà fait l’objet de plusieurs décisions de la Cour en matière de révocation parce qu’ils soulèvent des questions que la Cour devait nécessairement trancher avant de prononcer la décision que le législateur lui demandait de rendre. M. Fast peut faire valoir ces arguments dans le cadre du renvoi qu’il a demandé, de sorte que la Cour examinera sa contestation de l’avis dans ce contexte.

[59]      Le premier moyen touchant la suffisance de l’avis a aussi fait l’objet de remarques dans des instances en matière de révocation, ce qui prouve que la Cour examine la suffisance de l’avis dans le cadre du renvoi. M. Fast sollicite la radiation de l’avis pour des motifs touchant la compétence en raison de l’allégation fourre-tout et de l’imprécision des mots « collaboration » et « association ». Tenant pour acquis que le ministre a commis une erreur de compétence en donnant l’avis entaché de ces prétendues lacunes j’estime qu’il est clair que M. Fast peut contester l’avis en vertu de la règle 208 des Règles qui régissent maintenant les renvois.

[60]      Je conclus que la demande de contrôle judiciaire de M. Fast n’a aucune chance d’être accueillie et qu’elle doit être radiée. L’intention du législateur est claire : toutes les questions liées intégralement au processus de renvoi, y compris celles soulevées par M. Fast dans sa demande de contrôle judiciaire, doivent être tranchées dans le cadre du renvoi.

DISPOSITIF

[61]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est radiée parce qu’interdite par l’article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale. Les dépens ne sont pas adjugés aux défendeurs, dont la requête est accueillie.

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