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[2001] 2 C.F. 164

A-348-99

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant)

c.

Rohini Ranganathan (intimée)

Répertorié : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Létourneau, Sexton et Malone, J.C.A.Toronto, 14 décembre; Ottawa, 21 décembre 2000.

Citoyenneté et Immigration Statut au Canada Réfugiés au sens de la Convention Possibilité de refuge intérieur (PRI) Le fait qu’on n’a pas de parenté à l’endroit sûr de son pays ne suffit pas à rendre une PRI déraisonnable; un demandeur doit établir que sa vie et sa sécurité seraient mises en péril lorsqu’il doit se rendre en lieu sûr ou s’y réinstaller Il est important de ne pas baisser la barre très haute, qui a été établie par la C.A.F. dans Thirunavukkarasu pour satisfaire au critère du caractère raisonnable de la PRI Il ne faut pas dénaturer la définition de réfugié Il ne faut pas gommer la distinction entre les revendications de statut de réfugié et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire.

L’intimée, une Tamoule du Sri Lanka âgée de 42 ans et dont les plus proches parents vivent au Canada, a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. La SSR a rejeté sa revendication au motif qu’elle avait une possibilité raisonnable de refuge intérieur (PRI) à Colombo, où elle a vécu quatre ans avant de venir au Canada. Le juge des requêtes a annulé cette décision aux motifs que la SSR n’avait pas traité de la politique qui interdit aux Tamouls de demeurer plus de trois jours à Colombo, et qu’en examinant s’il était raisonnable de s’attendre qu’elle vive à Colombo, elle n’avait pas retenu comme pertinent le fait qu’elle avait de la famille au Canada et aucune parenté à Colombo. Une question certifiée a été portée en appel, fondée sur le deuxième motif.

Arrêt : l’appel est accueilli.

Comme la question n’avait jamais été soulevée devant elle, on ne peut critiquer la SSR de ne pas s’être penchée sur la politique des trois jours. L’intimée avait, de fait, vécu à Colombo pendant quatre ans avant de se rendre au Canada.

Au sujet du fait qu’il n’y avait pas de parents à Colombo, on a appliqué l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.). Cet arrêt précise qu’en matière de PRI, le critère n’est pas la convenance des demandeurs de statut; il faut établir qu’ils ne peuvent, ni ne veulent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays. Pour obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention, les demandeurs doivent démontrer qu’il n’est pas raisonnable de chercher et d’obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de leur pays; le fait de ne pas avoir de parenté à l’endroit sûr, pris en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre au critère du déraisonnable que s’il atteint le seuil de la mise en péril de leur vie ou de leur sécurité. Dans Thirunavukkarasu, la Cour a placé la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable et il est important de ne pas baisser cette barre. Autrement, la définition de réfugié serait dénaturée à tel point qu’on deviendrait un réfugié sans avoir la crainte d’être persécuté, simplement en démontrant que la vie au Canada serait meilleure que dans un endroit sûr de son propre pays. Il s’ensuivrait aussi de la confusion en gommant la distinction entre les revendications de statut de réfugié et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire.

Bien que la SSR a pu commettre une erreur lorsqu’elle a omis de considérer, aux fins de l’examen du caractère raisonnable, le fait que l’intimée n’avait pas de parenté à l’endroit sûr de son pays, comme ce facteur a peu de poids et qu’il ne correspond pas à la condition susmentionnée, savoir « la mise en péril de la vie et de la sécurité », l’erreur de la SSR est sans conséquence.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 83(1) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (1993), 109 D.L.R. (4th) 682; 22 Imm. L.R. (2d) 241; 163 N.R. 232 (C.A.); Kanagaratnam c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 83 F.T.R. 131; 28 Imm. L.R. (2d) 44 (C.F. lre inst.).

APPEL d’une décision du juge des requêtes (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 269 (1999), 172 F.T.R. 93; 1 Imm. L.R. (3d) 245 (1re inst.)) accueillant la demande de contrôle judiciaire d’une décision de la SSR rejetant la revendication de statut de réfugié présentée par l’intimée. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Kevin Lunney pour l’appelant.

Kumar Sriskanda pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Kumar Sriskanda, Scarborough (Ontario) pour l’intimée.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Létourneau, J.C.A. : Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et modifications (la Loi), contre la décision du juge des requêtes qui a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée d’une décision rendue par la section du statut de réfugié (la Commission) rejetant la revendication du statut de réfugié de l’intimée. La décision du juge des requêtes est publiée au Recueil des arrêts de la Cour fédérale sous l’intitulé : Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 4 C.F. 269

[2]        La seule question devant la Commission était de savoir s’il y avait raisonnablement une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Colombo pour l’intimée, une Tamoule du Sri Lanka. Le juge des requêtes a annulé la décision de la Commission pour deux motifs :

a) Elle n’a pas mentionné ou traité dans ses motifs la preuve documentaire au dossier qui porte que les Tamouls du Nord ne sont pas autorisés à demeurer plus de trois jours à Colombo, non plus que le témoignage de l’intimée quant au fait que les policiers l’avaient avertie de quitter Colombo;

b) Elle n’a pas retenu comme pertinent le fait que l’intimée avait de la famille au Canada, mais qu’elle n’avait aucune parenté à Colombo, lorsqu’elle a examiné la question de savoir s’il était déraisonnable de s’attendre à ce qu’elle vive à Colombo.

[3]        En prononçant sa décision, le juge des requêtes a certifié la question suivante [au paragraphe 57] :

La section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit lorsqu’elle omet de considérer, aux fins de l’examen du caractère déraisonnable sous le second volet du critère de Rasaratnam, le fait qu’un demandeur du statut de réfugié qui a de la parenté au Canada n’en a pas à l’endroit sûr de son pays de nationalité?

Les faits

[4]        Aux fins du présent appel, il n’est pas nécessaire de revenir longuement sur les faits. Il suffit de rappeler que l’intimée est une Tamoule de 42 ans, citoyenne du Sri Lanka, dont les plus proches parents vivent au Canada. Enfant, elle a contracté la poliomyélite et elle marche aujourd’hui à l’aide de béquilles.

[5]        En 1993, elle a quitté le nord du Sri Lanka avec sa mère pour s’installer à Colombo. Un an plus tard, sa mère a immigré au Canada à titre de résidente permanente. Elle était parrainée par sa fille, qui a la citoyenneté canadienne.

[6]        Après le départ de sa mère, l’intimée est demeurée à Colombo jusqu’à son départ, en septembre 1997, pour le Canada, où elle a revendiqué le statut de réfugié en alléguant qu’elle craignait avec raison d’être persécutée. Elle a témoigné devant la Commission au sujet d’un incident impliquant la police en septembre 1997, à l’occasion duquel elle aurait été avisée de quitter Colombo immédiatement. Cet incident avec la police était malheureux et fortuit : elle s’est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment.

[7]        L’intimée est demeurée à Colombo sans avoir de problème pendant plus de trois ans, jusqu’à l’incident susmentionné. Elle jouissait de l’aide financière de sa famille, qui est relativement aisée.

[8]        La Commission a conclu qu’elle n’était pas une réfugiée au sens de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] du fait qu’il n’était pas déraisonnable qu’elle réside à Colombo. La Commission a déclaré comprendre son désir de rester au Canada avec sa mère, son frère et sa sœur, mais elle a statué qu’elle n’avait pas compétence pour trancher les revendications du statut de réfugié en se fondant sur des raisons d’ordre humanitaire.

Analyse

[9]        Je commencerai mon analyse de la décision du juge des requêtes en examinant le premier motif qu’il invoque pour annuler la décision de la Commission. Ensuite, je traiterai de la question certifiée et du fait que la Commission n’a pas considéré comme étant un facteur pertinent l’absence de parents à Colombo et leur présence au Canada.

La Commission a-t-elle commis une erreur en ne traitant pas dans ses motifs de la politique restreignant à trois jours le séjour des Tamouls à Colombo, ainsi que du témoignage de l’intimée que les policiers l’avaient avertie de quitter Colombo immédiatement?

[10]      Selon moi, on ne peut critiquer la Commission de ne pas s’être penchée dans ses motifs sur le fait que les Tamouls ne sont pas autorisés à rester à Colombo pendant plus de trois jours. Au vu de la transcription de l’audience devant la Commission, il appert que l’intimée était représentée par avocat et que ce dernier n’a jamais soulevé cette question. C’était à l’intimée de démontrer que la politique des trois jours faisait que l’installation à Colombo ne représentait pas une possibilité de refuge intérieur. On se serait attendu à ce qu’elle soulève cette question si elle était importante. Elle ne l’a pas fait et la Commission pouvait tout à fait considérer que cette question ne se posait pas, étant donné que l’intimée avait vécu à Colombo pendant quatre ans avant de partir pour le Canada en 1997.

[11]      De plus, l’intimée, qui avait le fardeau de la preuve, n’a présenté aucune preuve claire que la politique des trois jours s’appliquait à elle. Elle n’en a même pas fait un argument et son avocat n’en a fait aucune mention non plus dans ses observations adressées à la Commission. Dans ce contexte, on ne peut blâmer la Commission de ne pas s’être lancée dans des considérations purement spéculatives au sujet d’une question qui à l’évidence préoccupait peu l’intimée, sinon pas du tout. La Commission a une tâche difficile dont elle doit se décharger dans des délais stricts et sous l’empire de conditions stressantes. Le défaut d’un revendicateur de satisfaire à ses obligations quant au fardeau de la preuve ne peut être imputé à la Commission et se transformer en faute de la Commission.

[12]      Quant au témoignage de l’intimée portant que les policiers lui auraient dit de quitter Colombo immédiatement, la preuve démontre qu’elle ne l’a pas fait et qu’il ne lui est rien arrivé. De plus, encore une fois, son avocat n’a présenté aucune observation sur le sujet, laissant croire à la Commission que l’avertissement de la police n’avait pas été pris au sérieux par l’intimée, surtout qu’elle vivait déjà à Colombo depuis quatre ans.

La question certifiée

[13]      Dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 notre Cour a examiné la situation d’un revendicateur n’ayant pas de parents dans l’endroit sûr de son pays où il se réfugie. Le juge Linden, J.C.A., au nom de la Cour, déclare aux pages 597 à 599 de cet arrêt :

Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s’agit d’un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C’est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s’il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s’en prévaloir à moins qu’ils puissent démontrer qu’il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.

[…]

Permettez-moi de préciser. Pour savoir si c’est raisonnable, il ne s’agit pas de déterminer si, en temps normal, le demandeur choisirait, tout compte fait, de déménager dans une autre partie plus sûre du même pays après avoir pesé le pour et le contre d’un tel déménagement. Il ne s’agit pas non plus de déterminer si cette autre partie plus sûre de son pays lui est plus attrayante ou moins attrayante qu’un nouveau pays. Il s’agit plutôt de déterminer si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs […]

La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l’autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S’il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter. On ne peut exiger du demandeur qu’il s’expose à un grand danger physique ou qu’il subisse des épreuves indues pour se rendre dans cette autre partie ou pour y demeurer. Par exemple, on ne devrait pas exiger des demandeurs de statut qu’ils risquent leur vie pour atteindre une zone de sécurité en traversant des lignes de combat alors qu’il y a une bataille. On ne devrait pas non plus exiger qu’ils se tiennent cachés dans une région isolée de leur pays, par exemple dans une caverne dans les montagnes, ou dans le désert ou dans la jungle, si ce sont les seuls endroits sûrs qui s’offrent à eux. Par contre, il ne leur suffit pas de dire qu’ils n’aiment pas le climat dans la partie sûre du pays, qu’ils n’y ont ni amis ni parents ou qu’ils risquent de ne pas y trouver de travail qui leur convient. S’il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d’être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n’est pas un réfugié.

En conclusion, il ne s’agit pas de savoir si l’autre partie du pays plaît ou convient au demandeur, mais plutôt de savoir si on peut s’attendre à ce qu’il puisse se débrouiller dans ce lieu avant d’aller chercher refuge dans un autre pays à l’autre bout du monde. Ainsi, la norme objective que j’ai proposée pour déterminer le caractère raisonnable de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est celle qui se conforme le mieux à la définition de réfugié au sens de la Convention. Aux termes de cette définition, il faut que les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d’origine et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays. Les conditions préalables de cette définition ne peuvent être respectées que s’il n’est pas raisonnable pour le demandeur de chercher et d’obtenir la protection contre la persécution dans une autre partie de son pays. [Non souligné dans l’original.]

[14]      Je partage l’avis exprimé par le juge Rothstein, alors juge à la Section de première instance, dans Kanagaratnam c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1994), 83 F.T.R. 131 (C.F. 1re inst.), lorsqu’il déclare que la décision de notre Cour dans l’arrêt Thirunavukkarasu n’exclut pas comme facteur à prendre en considération dans l’examen du caractère raisonnable de la PRI l’absence de parents à l’endroit sûr ou dans les environs. Toutefois, la Cour y établit clairement que l’absence de parents n’est pas en soi un élément suffisant pour que la PRI soit déraisonnable. Lorsqu’une personne doit abandonner la douceur de son foyer pour aller s’installer dans une autre partie du pays, y trouver du travail et recommencer sa vie loin de sa famille et de ses amis, elle est assurément confrontée à des épreuves, et même à des épreuves indues. Toutefois, ce ne sont pas là les épreuves indues dont notre Cour fait état dans l’arrêt Thirunavukkarasu.

[15]      Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d’appel, indique qu’il faille placer la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. L’absence de parents à l’endroit sûr, prise en soi ou conjointement avec d’autres facteurs, ne peut correspondre à une telle condition que si cette absence a pour conséquence que la vie ou la sécurité du revendicateur est mise en cause. Cela est bien différent des épreuves indues que sont la perte d’un emploi ou d’une situation, la diminution de la qualité de vie, le renoncement à des aspirations, la perte d’une personne chère et la frustration des attentes et des espoirs d’une personne.

[16]      Il y a au moins deux motifs qui font qu’il est important de ne pas baisser la barre. Premièrement, comme notre Cour l’a dit dans Thirunavukkarasu [à la page 599], la définition de réfugié au sens de la Convention exige que « les demandeurs de statut ne puissent ni ne veuillent, du fait qu’ils craignent d’être persécutés, se réclamer de la protection de leur pays d’origine et ce, dans n’importe quelle partie de ce pays ». En d’autres mots, ce qui fait qu’une personne est un réfugié au sens de la Convention, c’est sa crainte d’être persécutée par son pays d’origine quel que soit l’endroit où elle se trouve dans ce pays. Le fait d’élargir ou de rabaisser la norme d’évaluation du caractère raisonnable de la PRI dénature de façon fondamentale la définition de réfugié : on devient un réfugié sans avoir la crainte d’être persécuté et du fait que la vie au Canada serait meilleure sur le plan matériel, économique et affectif que dans un endroit sûr de son propre pays.

[17]      Deuxièmement, il s’ensuit une certaine confusion en brouillant la distinction entre les revendications du statut de réfugié et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire. Il s’agit là de deux procédures qui correspondent à des considérations et à des objectifs différents. Comme le juge Rothstein l’a déclaré dans Kanagaratnam, à la page 133 :

Bien que, dans le sens le plus général, la politique canadienne en matière de statut de réfugié se fonde peut-être sur des considérations humanitaires, cette terminologie dans la Loi sur l’immigration et les procédures suivies par les agents sous le régime de cette loi a pris une connotation particulière. La question des considérations humanitaires est normalement soulevée après qu’il a été déclaré qu’un requérant n’est pas un réfugié au sens de la Convention. L’omission par le tribunal d’examiner des considérations humanitaires dans sa décision en matière de statut de réfugié au sens de la Convention n’était pas une erreur.

En fait, les lignes directrices portant sur les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire sont à la fois généreuses et souples : voir le Guide de l’immigration (1999), chapitre 6, Demandes d’établissement présentées au Canada pour des considérations humanitaires (CH), aux pages 13 à 32. Selon moi, elles sont certainement assez larges pour aider l’intimée au cas où elle présenterait une telle demande. Plus on laisse les raisons d’ordre humanitaire intervenir dans le cadre des revendications du statut de réfugié, plus la procédure applicable aux réfugiés se confond avec la procédure propre à la prise en compte des raisons d’ordre humanitaire. En conséquence, les chances augmentent que le concept de persécution que l’on trouve dans la définition du réfugié soit en pratique remplacé par le concept d’épreuve.

[18]      Je suis d’avis de répondre par l’affirmative à la question certifiée et de statuer que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a omis de considérer, aux fins de l’examen du caractère déraisonnable, le fait que l’intimée n’avait pas de parenté à l’endroit sûr de son pays, parce que cela demeure un facteur pertinent. Toutefois, ce facteur a peu de poids s’il ne correspond pas à la condition mentionnée au paragraphe 15.

[19]      En l’instance, c’est là le seul facteur soulevé par l’intimée et il ne remplit pas la condition. De ce fait, l’erreur de la Commission est sans conséquence. Après avoir examiné la transcription et le peu de preuve portant sur l’aspect déraisonnable de la PRI, je suis convaincu que la Commission serait arrivée à la même conclusion si elle avait tenu compte de cette preuve.

[20]      Pour ces motifs, je serais d’avis d’accueillir l’appel avec dépens, de répondre par l’affirmative à la question certifiée, d’annuler la décision du juge de première instance et, pour rendre la décision qui aurait dû être rendue, de rejeter la demande de contrôle judiciaire de l’intimée.

Le juge Sexton, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

Le juge Malone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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