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[2001] 2 C.F. 297

A-75-98

Sing Chi Stephen Chiau (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié : Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.)

Cour d’appel, juges Linden, Sexton et Evans, J.C.A. Toronto, 27 et 28 septembre; Ottawa, 12 décembre 2000.

Droit administratif Contrôle judiciaire Certiorari Appel d’une ordonnance de la Section de première instance rejetant la demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent des visas de délivrer un visa au motif que l’appelant n’était pas admissible selon l’art. 19(1)(c.2) de la Loi sur l’immigration L’agent des visas avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une organisation qui pouvait être raisonnablement suspectée d’activités criminelles organisées Décision en partie fondée sur des renseignements confidentiels non communiqués à l’appelant Le juge de la Section de première instance a estimé que l’appelant avait eu une occasion raisonnable de connaître les arguments exposés à son encontre et d’y répondre, et que le refus ne constituait pas une violation de l’obligation d’équité Appel rejeté Aucune violation de l’obligation d’équité dans le refus de la demande sans que soit fourni à l’appelant un sommaire des documents confidentiels Effet préjudiciable anodin sur l’appelant Les non-ressortissants n’ont pas un droit automatique d’entrer au Canada L’appelant n’avait pas avec le Canada des liens propres à rendre pénible pour lui le refus du visa Le refus n’était pas définitif puisqu’il pouvait présenter une nouvelle demande Dommage potentiel appréciable pour la sécurité du Canada et pour ses relations internationales s’il y avait communication de renseignements confidentiels L’appelant connaissait le fondement juridique de la décision de l’agent des visas L’occasion de présenter des documents appuyant sa position (le fait qu’il travaillait pour des entreprises légitimes) ne lui a pas été refusée La teneur des renseignements confidentiels rend inutile la question de savoir si le juge de la Section de première instance a appliqué la bonne norme de contrôle La décision de l’agent des visas satisferait à n’importe quelle norme.

Citoyenneté et Immigration Exclusion et renvoi Personnes non admissibles Appel d’une ordonnance de la Section de première instance rejetant la demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent des visas de délivrer un visa au motif que l’appelant n’était pas admissible selon l’art. 19(1)(c.2) de la Loi sur l’immigration (motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une organisation raisonnablement suspectée d’activités criminelles organisées) Le juge de la Section de première instance a défini l’expression « motifs raisonnables de croire » comme la croyance légitime à une possibilité sérieuse; le mot « membre » comme une personne qui « appartenait » simplement à une organisation criminelle Appel rejeté Renseignements confidentiels révélant des « motifs raisonnables » de croire que l’appelant était « membre » d’une triade C’est à juste titre que le mot « membre » a été interprété d’une manière libérale L’art. 19(1)(c.2) est assez large pour permettre au Canada de protéger sa sécurité nationale en excluant les personnes dont la présence au Canada pourrait servir à renforcer une organisation criminelle et à favoriser l’accomplissement de ses objets La ligne de démarcation n’est pas toujours claire entre les activités légitimes et les activités criminelles d’une organisation Le fait de participer à des activités légitimes en sachant qu’elles sont contrôlées par une organisation criminelle peut dans certains cas autoriser une croyance raisonnable La norme de preuve que constituent les « motifs raisonnables » s’entend de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi Norme de preuve plus exigeante lorsque le pouvoir exercé a de sérieuses conséquences sur un droit individuel important, contrairement au refus d’un visa Le juge de la Section de première instance a conclu à bon droit à l’existence de motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une organisation criminelle.

Citoyenneté et Immigration Pratique en matière d’immigration Appel d’une ordonnance de la Section de première instance rejetant une demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent des visas de délivrer un visa au motif que l’appelant n’était pas admissible selon l’art. 19(1)(c.2) de la Loi sur l’immigration (motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une organisation raisonnablement suspectée d’activités criminelles organisées) La décision de l’agent des visas était fondée en partie sur des renseignements confidentiels Le juge de la Section de première instance a estimé que les renseignements étaient pertinents, concluants, dignes de foi et d’une nature telle qu’ils ne devaient pas être communiqués L’art. 82.1(10) renferme des règles procédurales détaillées pour l’examen de documents confidentiels Il est incompatible avec l’économie de la Loi de voir dans l’art. 82.1(10) une obligation pour l’agent des visas, avant de refuser un visa, de fournir un sommaire des renseignements confidentiels L’art. 82.1(10) n’impose pas la production d’un sommaire de renseignements secrets avant le refus d’un visa Vu la nature détaillée et particulière des renseignements, ainsi que la nature et la multiplicité des sources, le juge de la Section de première instance a eu raison de conclure que les documents étaient pertinents et convaincants, sans devoir faire davantage que les lire.

Il s’agit d’un appel du jugement de la Section de première instance rejetant une demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent des visas de délivrer un visa à l’appelant, au motif qu’il n’était pas admissible selon l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration. L’appelant, un acteur connu en Asie de l’Est et du Sud-Est, est apparu dans plus de 20 films, dont sept ont été faits par deux studios qui, selon la rumeur publique, sont sous la coupe d’une triade. Une triade est une organisation très structurée, souvent gérée par les membres d’une famille, qui s’adonne à des activités criminelles, telles l’extorsion et le passage de migrants clandestins, et qui exerce aussi parfois des activités licites telles que l’industrie du film à Hong Kong. L’appelant s’est présenté à une entrevue avec un agent des visas. Se fondant sur les réponses de l’appelant aux questions, ainsi qu’à des renseignements confidentiels qu’il n’avait pas le pouvoir de révéler, l’agent des visas a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une organisation qui pouvait être raisonnablement suspectée d’activités criminelles organisées. L’alinéa 19(1)(c.2) interdit l’admission au Canada de ces personnes. Le juge de la Section de première instance a trouvé que les renseignements confidentiels étaient pertinents, concluants, dignes de foi et d’une nature telle qu’il ne fallait pas les communiquer à la personne concernée puisque cela risquait d’entraîner le tarissement de la source de renseignements. Il a jugé que l’appelant avait eu une occasion raisonnable de connaître les arguments exposés à son encontre et d’y répondre, et le visa n’avait donc pas été refusé au mépris de l’obligation d’équité. Il a aussi jugé qu’il y avait des « motifs raisonnables » autorisant l’agent à croire que l’appelant était « membre » d’une organisation criminelle, définissant les « motifs raisonnables de croire » comme « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi », une norme de preuve moins rigoureuse que la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités. Il a jugé que le mot « membre » n’était pas limité à une personne qui participait activement à des activités criminelles, ou à une personne qui détenait une carte de membre et dont le nom apparaissait sur une liste de membres, mais que ce mot désignait simplement une personne qui « appartenait » à l’organisation criminelle en question. Le paragraphe 82.1(10) de la Loi sur l’immigration renferme des règles procédurales détaillées à l’usage de la Cour lorsqu’elle examine certains renseignements confidentiels qu’il prévoit.

Les questions suivantes ont été certifiées comme questions graves de portée générale : 1) l’intéressé a-t-il, au titre de l’équité procédurale, droit à un sommaire des renseignements qui, selon la décision de la Cour en application du paragraphe 82.1(10), ne devraient pas lui être communiqués, quand bien même ce sommaire n’indique pas l’identité de la source? 2) l’avocat qui représente l’intéressé a-t-il, au titre de l’équité procédurale, droit à un sommaire des renseignements qui, selon la décision de la Cour en application du paragraphe 82.1(10), ne doivent pas être communiqués à l’intéressé, si l’identité de la source n’est pas révélée à l’avocat et si l’avocat s’engage à ne pas révéler le sommaire à son client? et 3) quelle est la bonne interprétation de l’expression « motifs raisonnables » et du mot « membres », dans l’alinéa 19(1)(c.2)? L’avocate de l’appelant a soulevé deux autres questions : 4) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse des renseignements confidentiels par contre-interrogatoire ou autrement, avant d’agir en conséquence; et 5) le juge de première instance a-t-il commis une erreur en examinant, selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, la décision de l’agent des visas selon laquelle il existait des « motifs raisonnables » de croire que l’appelant était « membre » d’une organisation criminelle?

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

1) Sur la question de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité dans le refus du visa sans que soit remis un sommaire des renseignements confidentiels, la nature des intérêts individuels en jeu dans cette affaire donnait à penser que le contenu procédural de l’obligation à l’accomplissement de laquelle l’appelant avait droit avant que l’agent des visas ne rende sa décision se trouvait à l’extrémité inférieure du registre. La décision de l’agent des visas ne privait pas l’appelant d’un droit quelconque, puisque les non-ressortissants n’ont pas un droit d’entrée au Canada qui leur serait conféré par la common law ou par la loi. L’appelant n’avait pas non plus avec le Canada des liens propres à transformer en pénible épreuve pour lui le refus d’un visa. Au reste, le refus de délivrer un visa n’est pas définitif, en ce sens que l’intéressé peut toujours présenter une nouvelle demande. Le motif pour lequel le visa a été refusé était susceptible de nuire à la réputation de l’appelant et de lui causer un préjudice financier, mais l’appelant supportait une part de responsabilité dans la publicité défavorable qu’il a pu recevoir. La publicité du cas est devenue inévitable lorsque l’appelant a exercé son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.

Mais les facteurs suivants donnaient à penser qu’il convenait d’attribuer en l’espèce un contenu procédural relativement élevé à l’obligation d’équité : la décision était fondée sur des critères raisonnablement objectifs, elle était fondée sur des faits qui concernaient l’auteur de la demande de visa, et elle ne s’appliquait qu’à l’appelant. Par ailleurs, les agents des visas ne tiennent pas d’audiences de type juridictionnel avant d’arriver à leurs décisions, lesquelles sont fondées en grande partie sur le contenu du dossier, auquel s’ajoute l’entrevue.

Le contenu de l’obligation d’équité peut également être ramené en deçà de ce que dictent d’autres facteurs en raison de la présence d’un intérêt public faisant contrepoids, notamment la rétention de renseignements confidentiels qui causeraient un préjudice à la sécurité nationale ou aux relations internationales s’ils étaient communiqués. La communication de renseignements secrets en l’espèce entraînerait le tarissement des sources d’information, au détriment de la sécurité du Canada.

L’appelant connaissait le fondement juridique sur lequel l’agent était enclin à faire reposer sa décision; il connaissait l’organisation dont il était soupçonné d’être membre; il savait que ce soupçon reposait en partie sur ses rapports avec des studios prétendument dominés par des triades et avec leurs chefs, ainsi que sur ses relations avec un autre membre de la triade. Il aurait pu apporter la preuve qu’il avait fait des films pour des studios autres que ceux que l’agent croyait appartenir à des sociétés dominées par des triades. Il ne s’est pas vu refuser une occasion équitable de présenter des documents qui auraient pu appuyer sa position. Le paragraphe 8(1) fait reposer sur les candidats à l’admission au Canada la charge d’établir que leur admission ne serait pas contraire à la Loi.

Il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité. L’effet défavorable sur l’appelant a été relativement anodin, et le dommage que pouvait entraîner pour la sécurité et les relations internationales du Canada la communication d’une partie des documents confidentiels était appréciable. Le paragraphe 39(6) de la Loi sur l’immigration oblige le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à fournir à la personne qui fait l’objet d’un rapport un sommaire des renseignements secrets en matière de sécurité et de criminalité, afin de lui permettre d’être informée des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement du rapport. Mais cela ne signifie pas nécessairement que l’obligation d’équité requiert la production d’un tel sommaire avant qu’un visa ne soit refusé pour des motifs de sécurité nationale. S’il en est ainsi, c’est parce que l’article 39 de la Loi s’applique à l’expulsion de résidents permanents du Canada : l’expulsion a, en principe, des conséquences plus graves pour l’intéressé, et pour sa famille, que le refus d’un visa à une personne qui voudrait être admise au Canada. Lorsqu’un visa est refusé, il y a moins de raisons d’imposer un degré de communication susceptible de nuire à la sécurité nationale, et les facteurs qui déterminent le contenu de l’obligation d’équité doivent être rééquilibrés.

2) Il n’était pas nécessaire d’examiner le sens du mot « membres » aux fins de l’alinéa 19(1)(c.2) puisque, si l’on considère le contenu des affidavits secrets, toute signification un tant soit peu vraisemblable de ce mot autorisait la conclusion selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre de la triade. Quoi qu’il en soit, le juge de première instance a conclu à juste titre que, dans ce contexte, le mot devrait être défini largement. L’alinéa 19(1)(c.2) est assez large pour permettre au Canada de protéger sa sécurité nationale en excluant non seulement ceux qui ont l’intention de commettre des crimes ici, mais également ceux dont la présence au Canada pourrait servir à renforcer une organisation criminelle ou à favoriser l’accomplissement de ses objets. Il ne sera pas toujours possible de tracer une ligne précise entre les activités commerciales légitimes d’une organisation criminelle et ses activités criminelles. C’est pourquoi lorsqu’une personne prend part à des activités légitimes en sachant que c’est une organisation criminelle qui en tient les leviers de commande, on peut, selon les circonstances, avoir des motifs raisonnables de croire qu’elle est membre de cette organisation criminelle.

Le juge de première instance a défini correctement l’expression « motifs raisonnables » comme une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi. La norme de preuve est souvent plus exigeante avant que ne soit exercé un pouvoir qui a des conséquences graves pour un droit individuel important. Le refus de délivrer un visa à l’appelant ne constituait pas un tel cas. Le juge de première instance a eu raison de dire que l’agent des visas n’avait pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu que, eu égard à l’ensemble des documents sur lesquels il avait fondé son refus, il existait des « motifs raisonnables » de croire que l’appelant était membre d’une organisation criminelle.

3) Il serait contraire à l’économie de la Loi de voir dans le paragraphe 82.1(10) une obligation pour l’agent des visas de fournir un sommaire des renseignements secrets avant de refuser le visa. Le paragraphe 82.1(10) n’impose pas la production d’un sommaire des documents. Lorsque le législateur fédéral exige la production d’un tel sommaire, il le prévoit expressément.

4) Vu la nature détaillée et précise des renseignements figurant dans les documents confidentiels, et vu la nature et la multiplicité des sources d’où ils provenaient, le juge de première instance était fondé à trouver les renseignements « pertinents, convaincants et dignes de considération », sans devoir faire davantage que les lire.

5) Le contenu des renseignements confidentiels versés au dossier de la Cour faisait qu’il était inutile de se demander si le juge de première instance avait appliqué la bonne norme de contrôle. La décision de l’agent des visas satisferait à n’importe laquelle des normes applicables de contrôle, y compris, pour les questions de droit, celle de la décision correcte.

Il a été répondu ainsi aux questions certifiées : 1) non; 2) non; 3) compte tenu des faits, il n’était pas nécessaire de répondre à cette question; cependant, vu l’ensemble du dossier, y compris les documents confidentiels, le juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans la manière dont il a traité ces aspects.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 8(1), 19(1)c.2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), 39(2) (mod., idem, art. 29), (6), 82.1(10) (édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73), 83(1) (mod., idem).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS CITÉES :

Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653; (1990), 69 D.L.R. (4th) 489; [1990] 3 W.W.R. 289; 83 Sask. R. 81; 43 Admin. L.R. 157; 30 C.C.E.L. 237; 90 CLLC 14,010; 106 N.R. 17; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711; (1992), 90 D.L.R. (4th) 289; 2 Admin. L.R. (2d) 125; 72 C.C.C. (3d) 214; 8 C.R.R. (2d) 234; 16 Imm. L.R. (2d) 1; 135 N.R. 161; Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216; (1975), 54 D.L.R. (3d) 277; 7 N.R. 271 (C.A.).

APPEL du jugement de la Section de première instance (Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 2 C.F. 642 (1re inst.)) rejetant une demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent des visas de délivrer un visa au motif qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une organisation criminelle et qu’il était une personne non admissible selon l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Barbara L. Jackman, pour l’appelant.

Harry J. Wruck et Esta Resnick, pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, pour l’appelant.

Le sous-procureur général du Canada, pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A.        INTRODUCTION

[1]        Il s’agit d’un appel contre une décision du juge Dubé ([1998] 2 C.F. 642 rejetant une demande de contrôle judiciaire du refus d’un agent des visas à Hong Kong de délivrer un visa à l’appelant, Sing Chi Stephen Chiau. La décision de l’agent des visas se fondait sur le fait qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Chiau était membre d’une organisation criminelle et qu’il n’était donc pas admissible selon l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11].

[2]        Chacun des aspects du présent appel comporte une tâche qui présente une responsabilité considérable pour les fonctionnaires et les institutions d’une société libre et démocratique, y compris ses cours de justice, savoir la nécessité de trouver le juste milieu entre l’intérêt individuel et l’obligation pour l’État de protéger la sécurité nationale.

[3]        L’intérêt individuel en jeu dans la présente affaire est le droit de l’appelant à ce que sa demande de visa, ainsi que sa demande de contrôle de la décision qui y fait suite, soient traitées en conformité avec la loi, ce qui englobe les normes de l’équité procédurale.

[4]        Cet intérêt individuel doit être mis en équilibre avec la nécessité pour les autorités publiques d’avoir accès et de pouvoir se fier aux renseignements fournis sous le sceau du secret par les organes d’application de la loi, notamment les institutions et gouvernements étrangers, renseignements dont la communication pourrait entraîner le tarissement de sources précieuses d’indications, au détriment de la capacité de l’État à repérer et exclure les ressortissants étrangers dont l’admission au Canada pourrait mettre en péril la sécurité nationale en raison de leurs liens avec le crime organisé.

B.        LES FAITS

[5]        M. Chiau est un acteur qui a beaucoup de succès. Ses rôles dans des films et émissions de télévision en font une personnalité très connue, notamment parmi la population cantonaise de l’Asie de l’Est et du Sud-Est. Depuis 1981, il a des engagements avec la TVB, une station de télévision de Hong Kong, qui est également son imprésario pour la négociation de ses contrats de tournage. Il a d’ailleurs fait plus de 20 films, dont sept films pour deux studios de Hong Kong qui, selon la rumeur publique, sont sous la coupe d’une certaine triade. Par contre, rien ne permet de croire que la TVB soit elle aussi dépendante d’une triade.

[6]        Les triades sont en général des organisations très structurées, souvent gérées par les membres d’une famille qui s’adonnent à des activités criminelles : drogue, prostitution, extorsion, passage de migrants clandestins, jeu, etc. Il arrive aussi que les membres d’une triade exercent des activités légitimes. Ainsi, les triades contrôleraient, d’après la rumeur, une partie importante de l’industrie du film et du divertissement à Hong Kong.

[7]        La première demande de visa présentée par M. Chiau en vue d’être admis au Canada comme résident permanent à titre de travailleur autonome a été refusée par un agent des visas à Singapour en septembre 1993, pour le même motif que le refus visé par le présent appel. Toutefois, en 1994, la Section de première instance de la Cour fédérale avait annulé, par consentement des parties, cette décision, parce que M. Chiau n’avait pas eu le bénéfice d’une entrevue avant que l’agent refuse sa demande de visa.

[8]        L’appelant a renouvelé sa demande de visa en novembre 1995, en la présentant cette fois à la section des visas du Haut-Commissariat du Canada à Hong Kong, croyant que son dossier de demande serait transféré de Singapour à Hong Kong. En janvier 1996, l’appelant a reçu une lettre de l’agent des visas à Hong Kong qui s’occupait de sa demande, Jean Pierre Delisle, lequel avait été affecté à Hong Kong pour s’occuper de la présélection des demandeurs de visas sur les plans de la sécurité et des antécédents criminels.

[9]        La lettre l’informait qu’il y avait lieu de croire que M. Chiau pourrait ne pas être admissible en vertu de l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi, et elle l’invitait à se présenter à une entrevue le 5 mars 1996 [traduction] « afin de vérifier si vous avez conservé des liens avec des triades ou autres cellules criminelles organisées ».

[10]      Il y a un certain désaccord sur ce qui s’est passé exactement lors de l’entrevue, à laquelle M. Chiau s’est présenté seul, surtout quant à savoir si M. Chiau avait apporté des exemplaires de contrats de tournage visant des sociétés autres que celles qui, croyait-on, étaient sous la coupe d’une triade. M. Delisle a dit que non, ajoutant qu’il avait invité M. Chiau à présenter les exemplaires en question soit ce jour-là, soit plus tard, ce que M. Chiau n’a pas fait.

[11]      M. Chiau, quant à lui, a dit qu’il avait apporté avec lui à l’entrevue des exemplaires de contrats, mais que l’agent des visas ne s’intéressait qu’à ceux qui concernaient les studios prétendument dominés par les triades. Il a nié que M. Delisle lui ait demandé de produire des copies de contrats conclus avec des sociétés cinématographiques qui n’étaient pas dépendantes de triades.

[12]      Je devrais mentionner également que M. Delisle a affirmé que, lorsqu’il a décidé de refuser le visa, il ne disposait pas de la copie du plan d’entreprise que M. Chiau avait présentée avec sa demande initiale, parce qu’elle ne figurait pas dans le dossier qui avait été transféré de Singapour. Toutefois, M. Delisle admet qu’il avait en sa possession des copies du contrat que M. Chiau avait conclu avec la TVB. M. Chiau a déclaré qu’il n’avait pas présenté un plan d’entreprise à M. Delisle parce qu’il présumait que le plan qu’il avait produit avec sa demande antérieure de visa à Singapour avait été transmis à Hong Kong.

[13]      M. Delisle a demandé à M. Chiau au cours de l’entrevue s’il connaissait un certain membre d’une triade, membre qu’il a nommé, et il s’est informé sur sa relation avec deux des patrons des sociétés à qui appartenaient les studios pour qui il avait travaillé. L’agent avait aussi indiqué à M. Chiau qu’il était curieux que, malgré le nombre de sociétés cinématographiques présentes à Hong Kong, il semblait n’avoir travaillé que pour des studios dominés par des triades.

[14]      Les réponses aux questions de M. Delisle ne l’ont pas convaincu que M. Chiau disait la vérité. Ainsi, après avoir d’abord nié qu’il connaissait le membre nommément désigné de la triade, l’appelant a plus tard reconnu que si M. Delisle voulait parler de la personne dont le décès récent avait fait la une des médias de Hong Kong, alors oui, il l’avait connu, mais le nom ne lui était pas revenu.

[15]      Quant à l’homme qui gérait un studio de cinéma et pour qui M. Chiau avait travaillé, et qui, selon le Sous-comité du Sénat des États-Unis sur le crime organisé en Asie, était un membre du conseil des chefs d’une triade, M. Chiau a affirmé qu’il entretenait avec lui des rapports strictement commerciaux relativement aux films qu’il avait faits pour son studio.

[16]      Il y a eu aussi lors de l’entrevue une discussion concernant un incident, largement rapporté dans la presse de Hong Kong, durant lequel un coup de feu avait été tiré dans le bureau de l’un des studios qui auraient été dominés par les triades et pour qui M. Chiau travaillait. Le directeur de la société à qui appartenait le studio aurait affirmé qu’il s’agissait là de la tentative d’une autre triade d’intimider le studio pour qu’il autorise M. Chiau à faire un film pour l’une de ses sociétés.

[17]      M. Chiau a dit à M. Delisle que cette personne n’avait nullement le pouvoir de prétendre que son studio avait le droit de dire pour quelles sociétés M. Chiau pouvait ou non travailler. La station TVB avait même par la suite clarifié une déclaration antérieure faite par elle en disant qu’aucun des producteurs de films n’avait un droit général de veto sur les activités professionnelles de M. Chiau au titre de contrats non incompatibles qu’il avait conclus avec d’autres sociétés.

[18]      Comme je l’ai déjà indiqué, M. Delisle a témoigné qu’il avait demandé à M. Chiau des exemplaires de contrats que lui-même ou sa société avait conclus avec des studios cinématographiques non dominés par les triades. Malgré les incertitudes qui entourent ce témoignage, je ne suis pas convaincu qu’il ne correspondait pas à la vérité. Il n’est pas concluant que M. Chiau ait par la suite annexé à l’affidavit déposé par lui sous la foi du serment aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire une liste de sociétés qui n’étaient pas dominées par les triades et pour qui il avait fait des films.

[19]      Dans une lettre en date du 26 mars 1996, M. Delisle a informé M. Chiau que sa demande de visa avait été refusée au motif qu’il se pouvait qu’il soit visé par l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi, c’est-à-dire qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’il était membre d’une organisation que l’on pouvait raisonnablement soupçonner d’activités criminelles organisées.

[20]      M. Delisle a conclu que M. Chiau n’était pas admissible vu qu’il était visé par l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi sur l’immigration. Il a fondé sa décision sur les réponses aux questions qu’il avait posées à M. Chiau concernant les rapports de longue date de celui-ci avec l’un des studios cinématographiques et avec son directeur, et concernant leurs liens avec une certaine triade, ainsi que sur l’information fournie par M. Chiau et sur des renseignements confidentiels qu’il n’avait pas le droit de communiquer.

C.        LA DÉCISION DE LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

[21]      Lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire de cette décision devant la Section de première instance, l’avocat du ministre a invoqué le paragraphe 82.1(10) [édicté par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. 19; L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration et présenté des arguments à huis clos et en l’absence de l’autre partie. Il a expliqué au juge la nature et l’importance des renseignements confidentiels dont disposait l’agent des visas, et exposé les raisons pour lesquelles leur communication serait préjudiciable à la sécurité nationale ou aux relations internationales du Canada. Si, comme l’avocat l’avait indiqué au juge, tel était le cas, la Cour pouvait tenir compte des renseignements en examinant la décision de l’agent des visas.

[22]      Après avoir entendu ces arguments en l’absence de l’autre partie et revu attentivement les renseignements confidentiels, le juge a trouvé ces derniers (affaire précitée, au paragraphe 18, page 655) :

[…] pertinents, concluants, dignes de foi, et d’une telle nature qu’il ne fallait pas les communiquer à l’intéressé. Il m’est apparu évident que si ces renseignements confidentiels devaient être divulgués, sans même que soit divulgué le nom du gouvernement étranger ou de l’organe de l’État étranger dont ils émanaient, la source d’information tarirait immédiatement.

[23]      Vu les renseignements confidentiels, les renseignements que l’agent avait communiqués à M. Chiau concernant la nature de ses réserves, et la possibilité que l’appelant avait eu d’y répondre, et vu que M. Chiau n’avait aucun droit d’entrer au Canada, le juge a conclu que M. Chiau avait eu une occasion raisonnable de connaître les arguments exposés à son encontre et d’y répondre. Le visa n’avait donc pas été refusé au mépris de l’obligation d’équité.

[24]      Le juge a aussi estimé que l’agent avait des « motifs raisonnables » de croire que M. Chiau était « membre » d’une organisation criminelle, à savoir une triade, au sens de l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi. Il a défini (affaire précitée, au paragraphe 27, page 658) les « motifs raisonnables de croire », dans un tel contexte, comme « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi », une norme de preuve moins rigoureuse que la norme civile habituelle de la prépondérance des probabilités.

[25]      Quant au sens du mot « membre », le juge a estimé que compte tenu du principe qui sous-tend l’alinéa 19(1)c.2), le mot « membre » n’était pas limité à une personne qui participait activement à des activités criminelles, ou à une personne qui détenait une carte de membre et dont le nom apparaissait sur une liste de membres. Ce mot devrait plutôt s’entendre dans un sens plus large, pour désigner simplement une personne qui « appartenait » à l’organisation criminelle en question.

[26]      Se fondant sur le dossier public et sur le contenu des renseignements confidentiels, le juge a conclu qu’il était impossible de qualifier de « manifestement déraisonnable » la décision de l’agent des visas selon laquelle il existait des « motifs raisonnables de croire » que M. Chiau était « membre » d’une certaine triade, une organisation dont il était raisonnable de croire qu’elle se livrait à des activités criminelles organisées. Rien n’autorisait donc la Cour à annuler le refus.

D.        LE CADRE LÉGISLATIF

[27]      Pour plus de commodité, les dispositions de la Loi sur l’immigration qui sont mentionnées dans les présents motifs sont reproduites ci-après [art. 39(2) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 29)].

8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu’il en a le droit ou que le fait d’y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

[…]

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[…]

(c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elles sont ou ont été membres d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction au Code criminel, à la Loi sur les stupéfiants ou aux partie III ou IV de la Loi sur les aliments et drogues qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l’étranger un faitacte ou omissionqui, s’il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

[…]

39. […]

(2) Le ministre et le solliciteur général du Canada peuvent, en lui adressant un rapport à cet effet, saisir le comité de surveillance des cas où ils sont d’avis, à la lumière de renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité dont ils ont eu connaissance, qu’un résident permanent appartiendrait à l’une des catégories visées à l’alinéa 19(1)c.2), au sous-alinéa 19(1)d)(ii), aux alinéas 19(1)e), f), g), k) ou l) ou 27(1)a.1), au sous-alinéa 27(1)a.3)(ii) ou aux alinéas 27(1)g) ou h).

[…]

(6) Afin de permettre à l’intéressé d’être informé le mieux possible des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement du rapport, le comité de surveillance lui adresse, dans les meilleurs délais suivant la réception de celui-ci, un résumé des informations dont il dispose à ce sujet.

[…]

82.1 […]

(10) Dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire d’une décision de l’agent des visas de refuser un visa au motif que l’intéressé appartient à l’une des catégories visées aux alinéas 19(1)c.1) à g), k) ou l) :

a) le ministre peut présenter à la Section de première instance de la Cour fédérale, à huis clos et en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant, une demande en vue d’empêcher la communication de renseignements obtenus sous le sceau du secret auprès du gouvernement d’un État étranger, d’une organisation internationale mise sur pied par des États étrangers ou l’un de leurs organismes;

b) la Section de première instance de la Cour fédérale, à huis clos et en l’absence de l’intéressé et du conseiller le représentant :

(i) étudie les renseignements,

(ii) accorde au représentant du ministre la possibilité de présenter ses arguments sur le fait que les renseignements ne devraient pas être communiqués à l’intéressé parce que cette communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

c) ces renseignements doivent être remis au représentant du ministre et ne peuvent servir de fondement au jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire si la Section de première instance de la Cour fédérale détermine que leur communication à l’intéressé ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes;

d) si la Section de première instance de la Cour fédérale décide que cette communication porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle de personnes, les renseignements ne sont pas communiqués mais peuvent servir de fondement au jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale sur la demande de contrôle judiciaire.

E.        LES QUESTIONS LITIGIEUSES

[28]      Le juge de première instance a certifié trois questions en vertu du paragraphe 83(1) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi, dont chacune soulevait « une question grave de portée générale ». Cependant, comme Mme Jackman, avocate de l’appelant, s’est empressée de le souligner, la Cour d’appel fédérale doit considérer tout motif invoqué au soutien de l’appel. Elle a recensé un total de cinq motifs, dont les questions certifiées, pour lesquels, selon elle, l’appel devrait être accueilli :

(i) l’agent des visas a manqué à l’obligation d’équité lorsqu’il a refusé le visa sur la base de renseignements que des organes d’application de la loi lui avaient communiqués sous le sceau du secret et qu’il n’a pas divulgués à l’appelant;

(ii) l’agent des visas a commis une erreur de droit en concluant qu’il avait des « motifs raisonnables » de croire que l’appelant était « membre » d’une organisation criminelle;

(iii) le juge de première instance a privé l’appelant d’une audience équitable lorsqu’il a tenu compte des renseignements confidentiels dont disposait l’agent des visas, sans en communiquer les points principaux à l’appelant ou à son avocate;

(iv) le juge de première instance a commis une erreur de droit en tenant pour véridiques les renseignements confidentiels sans les soumettre à une vérification pour s’assurer de leur exactitude; et

(v) le juge de première instance a commis une erreur de droit en appliquant la norme de la décision « manifestement déraisonnable » à la conclusion de l’agent des visas selon laquelle l’appelant était un « membre » au sens de l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi.

F.         L’ANALYSE

[29]      Avant d’aborder les points mentionnés ci-dessus, je dirai quelques mots sur les renseignements confidentiels et sur l’examen qu’en a fait la Cour.

[30]      D’abord, nous n’avons pas jugé nécessaire d’entendre les observations de l’avocat du ministre sur la question de savoir si la Cour pourrait, voire devrait, dans le présent appel, tenir une audience à huis clos en l’absence de l’appelant et de son avocate, audience à laquelle l’avocat du ministre ferait parcourir à la Cour les documents confidentiels et lui expliquerait pourquoi ces documents autorisaient la décision de l’agent des visas et ne devraient pas être communiqués. Cette procédure est expressément prévue au paragraphe 82.1(10) de la Loi sur l’immigration pour les instances introduites devant la Section de première instance, et nous n’avons pas à décider si cette procédure tout à fait inusitée s’applique également devant la Cour d’appel fédérale.

[31]      Deuxièmement, nous avons lu les affidavits confidentiels et leurs documents complémentaires, puisqu’ils faisaient partie du dossier dont disposaient le juge de première instance et l’agent des visas. Mme Jackman ne s’y est pas opposée. Nous n’avons cependant pas lu les observations écrites « secrètes » que l’avocat du ministre a préparées, ni le recueil « secret » de jurisprudence qu’il a présenté à la Cour, vu que nous nous sentions en mesure de comprendre par nous-mêmes la nature et l’utilité des renseignements figurant dans les affidavits secrets.

[32]      Troisièmement, la nature et les sources des renseignements, ainsi que les conditions auxquelles ils ont été fournis, n’ont laissé aucun doute dans notre esprit que leur communication pourrait bel et bien nuire à la sécurité nationale du Canada et aux relations du Canada avec des institutions et gouvernements étrangers. La communication même d’un sommaire, sans indication des sources, pourrait entraîner par inadvertance la communication de renseignements, y compris l’identité des informateurs, qui pourraient être utiles au crime organisé et mettre des vies en danger. Leur communication pourrait donc effectivement entraîner le tarissement de ces sources et de sources semblables auxquelles les autorités canadiennes doivent s’en remettre pour le refoulement des personnes non admissibles selon l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi.

[33]      Quatrièmement, Mme Jackman a reconnu dans sa plaidoirie que le contenu et la nature des renseignements secrets présentés à la Cour risquaient d’enlever toute portée pratique à ses observations, puisque celles-ci ne reposaient nécessairement que sur le dossier public. M. Wruck, avocat du ministre, a reconnu cela lorsqu’il a affirmé qu’il s’agissait là presque entièrement d’une affaire fondée sur des faits, c’est-à-dire que si la Cour acceptait les renseignements contenus dans les affidavits secrets, la plupart des points de droit sur lesquels s’appuyait Mme Jackman étaient par le fait même résolus.

[34]      Nous souscrivons à ces observations; la teneur des affidavits secrets, au nombre de quatre, rend théoriques la plupart des arguments, d’ailleurs habiles, de Mme Jackman. Les affidavits et les documents qui les accompagnent représentent environ 200 pages. Ils contiennent des renseignements détaillés et concrets sur les triades en général, et sur la triade particulière dont l’agent des visas croyait que M. Chiau était membre, et ils rattachent M. Chiau à cette triade. Ces documents, conjointement avec le dossier public, justifient amplement la décision de l’agent des visas.

Question 1 :  L’agent des visas a-t-il manqué à l’obligation d’équité lorsqu’il a refusé la demande de visa de l’appelant sans lui remettre au moins un sommaire de la teneur des renseignements figurant dans l’affidavit?

[35]      Les parties ont convenu que lorsqu’il examine une demande de visa, l’agent des visas est soumis à l’obligation d’équité et que cette obligation requiert de donner à l’auteur de la demande une occasion raisonnable de prendre connaissance des renseignements sur lesquels l’agent entend se fonder pour rendre sa décision, ainsi qu’une occasion raisonnable d’y répondre. Pour savoir si cette occasion raisonnable a été refusée à l’appelant, il faut analyser les contextes factuel, administratif et juridique de la décision.

[36]      Il est admis en droit que le contenu de l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte : la notion d’équité est situationnelle, et non abstraite ou absolue. La Cour suprême du Canada a défini plusieurs facteurs à prendre en considération pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité dans une situation donnée : voir en particulier l’arrêt Knight c. Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, aux pages 682 à 687; et l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux pages 837 à 844.

[37]      M’inspirant des motifs de ces arrêts, je vais maintenant examiner les facteurs les plus aptes à déterminer si l’agent des visas a communiqué à M. Chiau des renseignements suffisants pour lui donner une occasion raisonnable de dissiper les réserves de M. Delisle.

(i)    l’importance de la décision pour la personne qu’elle concerne

[38]      D’abord, il est nécessaire de considérer la gravité des conséquences d’une décision administrative défavorable pour la personne concernée. La décision de l’agent des visas dans la présente affaire ne privait pas l’appelant d’un droit quelconque, puisque les non-ressortissants n’ont pas un droit d’entrée au Canada qui leur serait conféré par la common law ou par la loi (Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733), encore que le régime législatif en vertu duquel est administré le contrôle de l’immigration ne laisse pas les décisions d’admission au seul bon vouloir du ministre ou de ses fonctionnaires. M. Chiau n’avait pas non plus avec le Canada des liens propres à transformer en pénible épreuve pour lui le refus d’un visa.

[39]      Au reste, le refus de délivrer un visa n’est pas définitif, en ce sens que l’intéressé peut toujours présenter une nouvelle demande. Toutefois, il faut également reconnaître que lorsqu’un visa est refusé à un demandeur en vertu de l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi, les demandes ultérieures présentées par lui feront probablement l’objet d’un examen plus minutieux que ce ne serait le cas en d’autres circonstances.

[40]      Par ailleurs, Mme Jackman a soutenu que le motif pour lequel le visa a été refusé était susceptible de nuire à la réputation de l’appelant et de lui causer un préjudice financier, en particulier parce qu’il est une célébrité et que son cas a été très médiatisé. Je fais cependant remarquer que M. Chiau supporte une part de responsabilité dans la publicité défavorable qu’il a pu recevoir. Après tout, ce n’est pas l’agent des visas qui a rendu public le refus du visa ou le motif de ce refus. Si elle ne s’était pas produite auparavant, la publicité du cas est devenue inévitable lorsque M. Chiau a exercé son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire du refus.

[41]      Comme je l’ai indiqué, il n’a pas été contesté que l’obligation d’équité s’applique aux décisions portant sur les demandes de visa, mais la nature des intérêts individuels en jeu dans la présente affaire donne à penser que le contenu procédural de l’obligation à l’accomplissement de laquelle l’appelant avait droit avant que l’agent des visas ne rende sa décision se trouvait à l’extrémité inférieure du registre.

(ii)   la nature de la décision et le processus décisionnel

[42]      Il s’agit de savoir dans quelle mesure la décision contestée, et la manière dont elle a été prise, peuvent être assimilées à une décision judiciaire : plus étroite sera l’affinité, plus étendu sera le contenu des règles de l’équité procédurale. Les trois facteurs suivants donnent à penser qu’il convient d’attribuer en l’espèce un contenu procédural relativement élevé à l’obligation d’équité : la décision était fondée sur des critères raisonnablement objectifs, plutôt que sur un pouvoir discrétionnaire subjectif et sans limite précise, elle était fondée sur des faits qui concernaient l’auteur de la demande de visa, et la décision ne s’appliquait qu’à l’appelant.

[43]      Par ailleurs, les agents des visas ne tiennent pas d’audiences de type juridictionnel avant d’arriver à leurs décisions : l’entrevue portant sur une demande de visa, à laquelle le requérant n’est pas en principe autorisé à se présenter avec un avocat, ne saurait s’apparenter au genre d’audiences conduites par la plupart des tribunaux administratifs indépendants. Les décisions des agents sont fondées en grande partie sur le contenu du dossier, auquel s’ajoute l’entrevue.

(iii)  l’intérêt public

[44]      Le contenu de l’obligation d’équité peut également être ramené en deçà de ce que dictent d’autres facteurs en raison de la présence d’un intérêt public faisant contrepoids, notamment la rétention de renseignements confidentiels qui, bien qu’intéressant une décision administrative défavorable à une personne, causeraient un préjudice à la sécurité nationale ou aux relations internationales du pays s’ils lui étaient communiqués.

[45]      En l’espèce, comme je l’ai déjà mentionné, l’agent a fondé sa décision en partie sur des renseignements secrets recueillis par le gouvernement ou l’institution d’un État étranger, renseignements dont la communication entraînerait le tarissement de ces sources d’information et d’autres sources analogues, au détriment de la sécurité du Canada. Après avoir examiné les documents en question, je souscris à cette évaluation.

[46]      Les activités du crime organisé constituent une importante menace pour la sécurité de toutes les nations. Les avantages de la mondialisation, notamment la facilité accrue avec laquelle les gens, l’argent, les biens et l’information peuvent traverser les frontières entre pays, ne se limitent pas aux activités légitimes. Une coopération internationale entre gouvernements et entre leurs organes d’application de la loi est essentielle si l’on veut enrayer la progression insidieuse du crime organisé à l’échelle internationale.

(iv)  le contexte factuel

[47]      Les facteurs examinés ci-dessus doivent être mis en équilibre, non dans l’abstrait, mais dans le contexte factuel de l’affaire considérée. Pour déterminer si l’équité exigeait la communication d’une partie des documents secrets sur lesquels s’est fondé l’agent des visas, il faut donc aussi de se demander si la connaissance qu’avait l’intéressé de la nature des réserves de l’agent des visas lui permettait réellement d’y répondre.

[48]      En fait, M. Chiau était relativement bien informé. Il connaissait le fondement juridique sur lequel l’agent était enclin à faire reposer sa décision; il connaissait l’organisation dont il était soupçonné d’être membre; il savait que ce soupçon reposait en partie sur ses rapports avec des studios prétendument dominés par des triades et avec leurs chefs, ainsi que sur ses relations avec un autre membre de la triade.

[49]      Il était donc loin d’ignorer la nature des réserves de l’agent, et il aurait pu tenter de les dissiper, par exemple en apportant la preuve qu’il avait fait des films pour des studios autres que ceux que l’agent croyait appartenir à des sociétés dominées par des triades.

[50]      Malgré l’imprécision de la preuve concernant le déroulement de l’entrevue relative à la demande de visa, je ne suis pas convaincu que M. Chiau s’est vu refuser une occasion raisonnable de présenter, à l’entrevue ou après celle-ci, des documents qui auraient pu soutenir sa position. Il est pertinent de noter que le paragraphe 8(1) de la Loi fait reposer sur les candidats à l’admission au Canada la charge d’établir que leur admission ne serait pas contraire à la Loi.

(v)   conformité à l’obligation d’équité

[51]      J’ai conclu, eu égard à ce qui précède, qu’il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité. L’appelant a bel et bien eu une occasion raisonnable, avant le refus de sa demande de visa, de connaître les arguments exposés à son encontre et d’y répondre, quand bien même l’agent des visas aurait en partie fondé sa décision sur des documents qu’il a gardés strictement confidentiels.

[52]      Malgré le caractère individualisé et relativement structuré du pouvoir décisionnel exercé par l’agent des visas, l’effet défavorable de la décision sur l’appelant a été relativement anodin. En revanche, le dommage que pouvait entraîner pour la sécurité et les relations internationales du Canada la communication d’une partie des documents confidentiels était appréciable. La quantité de renseignements fournis au demandeur, et l’occasion qu’il a eue d’y répondre, sont également pertinents en ce qui concerne ma conclusion selon laquelle il n’y a eu aucun manquement à l’obligation d’équité.

[53]      Il est vrai, comme l’a fait observer Mme Jackman, que le paragraphe 39(6) de la Loi sur l’immigration oblige le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité à fournir à la personne qui fait l’objet d’un rapport un sommaire des renseignements secrets en matière de sécurité ou de criminalité, afin de lui permettre d’être informée le mieux possible des circonstances qui ont donné lieu à l’établissement du rapport : voir Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), précité.

[54]      Cependant, cette exigence légale ne signifie pas nécessairement que l’obligation d’équité exige la production d’un tel sommaire avant qu’un visa ne soit refusé pour des motifs de sécurité nationale. S’il en est ainsi, c’est parce que l’article 39 de la Loi s’applique à l’expulsion de résidents permanents du Canada : l’expulsion a, en principe, des conséquences plus graves pour l’intéressé, et pour sa famille, que le refus d’un visa à une personne qui voudrait être admise au Canada en tant qu’immigrant indépendant, et c’est pourquoi elle donne lieu à des garanties procédurales supérieures. Lorsqu’une autre décision, tel le refus d’un visa, a des conséquences moins graves sur des intérêts individuels, il y a moins de raisons d’imposer un degré de communication susceptible de nuire à la sécurité nationale, et les facteurs qui déterminent le contenu de l’obligation d’équité doivent être rééquilibrés.

Question 2 :  L’agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il y avait des « motifs raisonnables » de croire que l’appelant était « membre » d’une organisation criminelle?

[55]      Il est commode d’examiner simultanément les aspects portant sur la question de savoir si l’agent des visas a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a estimé qu’il y avait des « motifs raisonnables » de croire que M. Chiau était « membre » d’une organisation criminelle, à savoir une certaine triade.

[56]      Peut-être serait-il difficile de défendre la décision de l’agent des visas sur ces aspects en se fondant uniquement sur le dossier public, mais, si l’on considère le contenu des affidavits secrets, il ne fait aucun doute que toute signification un tant soit peu vraisemblable du mot « membres » figurant à l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi autorise la conclusion selon laquelle l’agent avait des motifs raisonnables de croire que M. Chiau était membre de la triade.

[57]      Il n’est donc pas nécessaire ou utile d’en dire davantage sur le sens du mot « membres » aux fins de l’alinéa 19(1)c.2). Cependant, en assimilant la qualité de « membre » à l’«appartenance » à une organisation criminelle, le juge de première instance a conclu à juste titre que, dans ce contexte, le mot devrait être défini largement. Avec égards pour les arguments de Mme Jackman, je ferais deux autres observations.

[58]      D’abord, à mon avis, l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi est assez large pour permettre au Canada de protéger sa sécurité nationale en excluant non seulement ceux qui ont l’intention de commettre des crimes ici, mais également ceux dont la présence au Canada pourrait servir à renforcer une organisation criminelle ou à favoriser l’accomplissement de ses objets.

[59]      Deuxièmement, il ne sera pas toujours possible de tracer une ligne précise entre les activités commerciales légitimes d’une organisation criminelle et ses activités criminelles. Des activités commerciales légitimes peuvent servir au blanchiment du produit d’activités criminelles, et des activités criminelles peuvent à leur tour être financées à l’aide des bénéfices dégagés par des activités légitimes. C’est pourquoi lorsqu’une personne prend part à des activités légitimes en sachant que c’est une organisation criminelle qui en tient les leviers de commande, on peut, selon les circonstances, avoir des motifs raisonnables de croire qu’elle est membre de cette organisation criminelle.

[60]      Quant à savoir s’il existait des « motifs raisonnables » étayant la croyance de l’agent, je souscris à la définition que le juge de première instance donne à l’expression « motifs raisonnables » (affaire précitée, paragraphe 27, page 658). Il s’agit d’une norme de preuve qui, sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi ». Voir Le procureur général du Canada c. Jolly, [1975] C.F. 216 (C.A.).

[61]      Mme Jackman a soutenu que la preuve à partir de laquelle le décideur a conclu à l’existence de « motifs raisonnables » doit non seulement être « crédible », mais aussi présenter de fortes chances d’être véridique selon la prépondérance des probabilités. Je doute qu’il soit opportun d’appliquer dans tous les cas cette norme plus rigoureuse. Cela dépendra souvent du contexte : la norme de preuve est souvent plus exigeante avant que ne soit exercé un pouvoir qui a des conséquences graves pour un droit individuel important. Toutefois, le refus de délivrer un visa à M. Chiau ne constituait pas un tel cas, même s’il était fondé sur des motifs de sécurité nationale.

[62]      Après avoir examiné les documents confidentiels versés au dossier de la Cour, je suis convaincu que le juge de première instance a eu raison de dire que l’agent des visas n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle lorsqu’il a conclu que, eu égard à l’ensemble des documents sur lesquels il fondait son refus, il existait des « motifs raisonnables » de croire que l’appelant était membre d’une organisation criminelle.

Question 3 :  Le juge de première instance a-t-il manqué à l’obligation d’équité en ne fournissant pas à l’appelant, ou à son avocate, en échange d’un engagement de stricte confidentialité, un sommaire des documents confidentiels, avant l’audition de la demande de contrôle judiciaire?

[63]      Outre les considérations qui m’ont amené à conclure que l’obligation d’équité n’obligeait pas l’agent des visas à fournir un sommaire des renseignements secrets avant de refuser le visa, il serait à mon avis contraire à l’économie de la Loi de voir une telle exigence dans le paragraphe 82.1(10).

[64]      Cette disposition établit des règles procédurales détaillées qui s’appliquent lorsque la Cour examine certains renseignements confidentiels qu’elle prévoit. Elle n’impose pas la production d’un sommaire des documents. Lorsque le législateur fédéral exige la production d’un tel sommaire, il le prévoit expressément, comme il le fait au paragraphe 39(6) de la Loi, où, comme je l’ai déjà mentionné, une décision défavorable pourrait entraîner une sanction plus grave, c’est-à-dire l’expulsion.

Question 4 : Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en ne procédant pas à l’analyse des renseignements confidentiels par contre-interrogatoire ou autrement, avant d’agir en conséquence?

[65]      Vu la nature détaillée et précise des renseignements figurant dans les documents confidentiels, et vu la nature et la multiplicité des sources d’où ils provenaient, le juge de première instance était pleinement fondé à trouver les renseignements (affaire précitée, paragraphe 43, page 663) « pertinents, convaincants et dignes de considération », sans devoir faire davantage que les lire.

Question 5 :  Le juge de première instance a-t-il commis une erreur en examinant la conclusion de l’agent des visas selon laquelle il existait des « motifs raisonnables » de croire que l’appelant était « membre » d’une organisation criminelle?

[66]      Là encore, le contenu des renseignements confidentiels versés au dossier de la Cour fait qu’il est inutile de répondre à cette question. La décision de l’agent des visas satisferait à n’importe laquelle des normes applicables de contrôle, y compris, pour les questions de droit, celles de la décision correcte.

G.        LE DISPOSITIF

[67]      Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel et de répondre ainsi aux questions certifiées :

1.         L’intéressé a-t-il, au titre de l’équité procédurale, droit à un sommaire des renseignements qui, selon la décision de la Cour en application du paragraphe 82.1(10) de la Loi, ne devraient pas lui être communiqués, quand bien même ce sommaire n’indique pas l’identité de la source?

Réponse : Non.

2.         L’avocat qui représente l’intéressé a-t-il, au titre de l’équité procédurale, droit à un sommaire des renseignements qui, selon la décision de la Cour en application du paragraphe 82.1(10) de la Loi, ne doivent pas être communiqués à l’intéressé, si l’identité de la source n’est pas révélée à l’avocat, et si l’avocat s’engage à ne pas révéler le sommaire à son client?

Réponse : Non.

3.         Quelle est la bonne interprétation de l’expression « motifs raisonnables » et du mot « membre », dans l’alinéa 19(1)c.2) de la Loi?

Réponse : Compte tenu des faits, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question; cependant, vu l’ensemble du dossier, y compris les documents confidentiels, le juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans la manière dont il a traité ces aspects.

[68]      Je suis d’avis de répondre comme il suit aux questions additionnelles soulevées par l’avocate de l’appelant :

(i)         L’agent des visas n’a pas manqué à l’obligation d’équité lorsqu’il a refusé de délivrer un visa sur la foi, notamment, de renseignements confidentiels qu’il n’a pas résumés pour l’appelant ou son avocate.

(ii)        Vu la nature et le contenu des renseignements confidentiels, le juge de première instance était fondé, sans les vérifier davantage, à s’en remettre à ces derniers lorsqu’il a estimé que l’agent n’avait pas commis d’erreur en concluant qu’il existait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était membre d’une organisation criminelle.

(iii)       Compte tenu des faits, il est inutile de se demander si le juge de première instance a appliqué une norme de contrôle adéquate à la conclusion de l’agent des visas selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que l’appelant était « membre » d’une organisation criminelle.

Le juge Linden, J.C.A. : J’y souscris.

Le juge Sexton, J.C.A. : J’y souscris.

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