Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2001] 1 C.F. 284

T-1442-99

Sandra Lanier Bains (appelante/demanderesse)

c.

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (intimé/défendeur)

Répertorié : Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Dawson—Toronto, 2 juin; Ottawa, 11 août 2000.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Citoyens — Appel du refus d’attribuer la citoyenneté — L’appelante n’avait pas répondu à une demande en vue de l’obtention de ses empreintes digitales, destinée à confirmer si elle était visée par les art. 21 et 22 de la Loi sur la citoyenneté — L’art. 21 prévoit que ne sont pas prises en compte pour la durée de résidence les périodes au cours desquelles l’intéressé a été sous le coup d’une ordonnance de probation, a bénéficié d’une libération conditionnelle ou a été détenu dans un pénitencier ou une prison — L’art. 22 prévoit que nul ne peut devenir citoyen pendant la période où il est sous le coup d’une ordonnance de probation, il bénéficie d’une libération conditionnelle, il est détenu dans une prison — L’appelante avait signé 1) un formulaire de demande de citoyenneté renfermant une déclaration disant que les interdictions énumérées à l’art. 22 ne s’appliquaient pas; 2) un avis indiquant que le juge de la citoyenneté était convaincu que les exigences de la Loi avaient été remplies sauf la question de savoir si l’appelante était visée par une interdiction selon l’art. 22 et une attestation confirmant que, depuis qu’elle avait présenté sa demande de citoyenneté, elle n’avait pas fait l’objet de procédures criminelles ou concernant l`immigration — Le juge de la citoyenneté a conclu que l’appelante avait omis de réfuter la présomption selon laquelle l’application des art. 21 et 22 de la Loi l’empêchait d’obtenir la citoyenneté — Appel rejeté — L’attestation figurant dans l’avis n’était pas un élément de preuve pertinent étant donné que l’appelante n’y avait pas attesté sous serment qu’elle n’était pas assujettie à une interdiction prévue à l’art. 22 — L’avis faisait simplement état du fait que le juge de la citoyenneté n’avait pas pu vérifier si l’appelante était visée par ce motif d’inadmissibilité — La procédure qui doit être suivie en vertu du Règlement sur la citoyenneté, 1993 sur réception d’une demande indique que les déclarations qui sont faites dans une demande de citoyenneté ne sont pas prises au pied de la lettre Lorsqu’une partie omet de présenter au tribunal un élément de preuve qu’elle est en mesure de fournir, il est inféré que cet élément ne lui aurait pas été favorable Le juge de la citoyenneté pouvait à bon droit inférer que si l’appelante avait omis de fournir ses empreintes digitales, c’était parce que le résultat aurait nui à sa demande de citoyenneté.

Preuve — La personne qui demandait la citoyenneté n’avait pas répondu à une demande visant l’obtention d’empreintes digitales, relativement aux art. 21 et 22 de la Loi sur la citoyenneté — Demande rejetée — Le juge de la citoyenneté avait conclu qu’en refusant de fournir des empreintes, l’appelante avait omis de réfuter la présomption selon laquelle l’application des art. 21 et 22 l’empêchait d’obtenir la citoyenneté — Question de savoir si le juge avait commis une erreur en appliquant la présomption — Lorsqu’une partie omet de présenter un élément de preuve qu’elle est en mesure de fournir, le tribunal peut inférer que cet élément ne lui aurait pas été favorable, à moins que des explications raisonnables ne soient fournies — Sens du mot « présomption » en droit de la preuve — Dans le contexte de l’inférence à faire par suite d’un fait établi, le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur en employant le mot « présomption ».

Il s’agissait d’un appel du refus d’attribuer la citoyenneté. Après avoir soumis sa demande de citoyenneté canadienne, l’appelante a reçu une lettre en date du 12 novembre 1998 lui demandant de fournir ses empreintes digitales afin de confirmer si elle était visée par les articles 21 ou 22 de la Loi sur la citoyenneté. L’article 21 prévoit que ne sont pas prises en compte pour la durée de résidence les périodes où l’intéressé a été sous le coup d’une ordonnance de probation, a bénéficié d’une libération conditionnelle ou a été détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction. L’article 22 prévoit que nul ne peut devenir citoyen canadien pendant la période où il est sous le coup d’une ordonnance de probation, il bénéficie d’une libération conditionnelle, il est détenu dans une prison. L’appelante n’a pas répondu à la lettre. Par la suite, elle s’est présentée devant un juge de la citoyenneté, qui a rejeté la demande de citoyenneté pour le motif qu’elle avait refusé de fournir des empreintes digitales, omettant ainsi de réfuter la présomption selon laquelle elle ne pouvait pas obtenir la citoyenneté canadienne, en application des articles 21 et 22.

L’appelante avait signé le formulaire de demande de citoyenneté dans lequel on informe le demandeur qu’il doit faire savoir si, au cours des trois dernières années, il a été trouvé coupable d’un acte criminel ou si, au cours des quatre dernières années, il a été détenu dans un pénitencier ou dans une prison, sous probation ou sous libération conditionnelle, ou s’il est actuellement accusé d’un crime. Le formulaire renferme également une déclaration disant que les interdictions énumérées à l’article 22 ne s’appliquent pas et que le demandeur promet d’informer un agent de la citoyenneté de tout changement qui pourrait survenir avant qu’il prête le serment de citoyenneté. L’appelante a par la suite signé un : « Avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté » indiquant que le juge de la citoyenneté était convaincu que toutes les exigences de la Loi avaient été remplies sauf la question de savoir si l’appelante était visée par une interdiction selon l’article 22. Le juge de la citoyenneté a noté relativement à cette interdiction : [traduction] « N’ai pas pu vérifier. » L’appelante a signé une attestation selon laquelle, depuis sa demande de citoyenneté, elle n’avait pas fait l’objet de procédures criminelles ou concernant l’immigration. Elle a maintenu qu’en plus de cet élément de preuve, il n’y avait rien dans le dossier qui tende à montrer qu’elle avait un casier judiciaire et qu’au mieux, en consultant les données inscrites à l’ordinateur, le juge ne pouvait pas vérifier si elle avait un casier judiciaire.

Il s’agissait de savoir si le juge de la citoyenneté avait commis une erreur en interprétant la preuve d’une façon erronée, en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents tendant à montrer que l’appelante n’était pas visée par l’article 21 ou 22 de la Loi ou en appliquant une « présomption » à l’égard des articles 21 et 22, et si le juge avait respecté les règles d’équité procédurale puisque les allégations qui étaient faites contre l’appelante n’avaient pas été divulguées d’une façon adéquate.

Jugement : l’appel doit être rejeté.

La norme de contrôle à appliquer aux appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté se rapproche de la norme de la décision correcte.

Le juge de la citoyenneté n’a pas omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents et il n’a pas interprété d’une façon erronée la preuve dont il disposait. L’attestation figurant dans l’avis, à part le fait que l’appelante avait déclaré sous serment qu’elle n’avait pas fait l’objet de poursuites criminelles depuis qu’elle avait présenté sa demande de citoyenneté, n’était pas un élément de preuve pertinent étant donné que l’appelante n’y avait pas attesté sous serment qu’elle n’était pas visée par une interdiction prévue à l’article 22. L’avis faisait plutôt simplement état du fait que le juge de la citoyenneté « n’avait pas pu vérifier », même après que l’appelante se fut présentée devant elle, si cette dernière était visée par ce motif d’inadmissibilité. Le fait que l’appelante avait signé cette attestation montrait qu’elle ne remettait pas en question la déclaration selon laquelle le juge de la citoyenneté « n’avait pas pu vérifier ».

Les déclarations qui sont faites dans une demande de citoyenneté ne doivent pas être prises au pied de la lettre, comme l’indique la procédure prévue par le Règlement sur la citoyenneté, 1993, selon laquelle sur réception d’une demande, on entreprend les enquêtes nécessaires pour déterminer si les exigences applicables de la Loi et du Règlement ont été remplies et l’on saisit le juge de la citoyenneté de la demande, celui-ci pouvant demander au ministre d’envoyer un avis au demandeur, l’informant qu’il a la possibilité de comparaître devant le juge pour déposer sous serment. Le demandeur doit fournir toute preuve supplémentaire qui pourrait être nécessaire pour établir qu’il remplit les conditions prévues par la loi.

Quant à l’assertion selon laquelle il n’y avait rien dans le dossier dont disposait le juge de la citoyenneté qui tende à montrer que l’appelante avait un casier judiciaire, le dossier certifié du tribunal renfermait une copie d’un document intitulé : [traduction] « Historique de la vérification », indiquant que la situation de l’appelante « n’a[vait] pas été attestée », à côté de l’inscription « Activités criminelles ». Ce document a de fait servi de fondement, lorsque le juge de la citoyenneté s’est demandé, avec raison, si l’application de l’article 21 ou 22 empêchait l’appelante d’obtenir la citoyenneté. Les dispositions de la Loi et du Règlement sont telles qu’il ne suffisait pas que l’appelante dise qu’étant donné qu’elle avait rempli le formulaire de demande de citoyenneté, il incombait au gouvernement de réfuter ses déclarations.

Lorsqu’une partie omet de présenter au tribunal un élément de preuve qu’elle est en mesure de fournir, il est possible d’inférer que cet élément ne lui aurait pas été favorable. Toutefois, aucune inférence ne peut être faite contre une partie si une explication raisonnable est fournie pour justifier l’omission de présenter un élément de preuve. Compte tenu de la preuve dont disposait le juge de la citoyenneté, et en particulier compte tenu de l’absence apparente d’explication justifiant l’omission de l’appelante de fournir ses empreintes digitales, le juge pouvait à bon droit inférer que si l’appelante avait fourni ses empreintes digitales, le résultat aurait nui à sa demande et ne l’aurait pas aidée à établir qu’elle n’était pas visée par l’article 21 ou par l’article 22. C’était l’inférence que le juge de la citoyenneté avait faite dans le passage contesté de sa décision. Une présomption de fait est une inférence logique fondée sur le bon sens, tirée des faits qui ont été prouvés. Lorsque les faits établis donnent lieu à une présomption de fait, le juge des faits peut faire une inférence, mais il n’est pas tenu d’en faire une. Le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur en employant le mot « présomption ».

L’appelante a initialement été avisée de l’existence d’un problème à l’égard de sa demande au moyen de la lettre du 12 novembre 1998. Des explications étaient fournies dans la lettre au sujet des articles 21 et 22. Rien ne montrait que l’appelante eût posé des questions à la suite de la réception de la lettre. Le dossier ne renfermait aucun renseignement au sujet de ce qui s’était passé à l’audience qui avait eu lieu devant le juge de la citoyenneté. L’appelante a décidé de ne pas déposer d’affidavit à l’appui de sa demande, mais elle a plutôt déposé l’affidavit d’une secrétaire juridique qui disait simplement que l’avocat avait demandé certains documents, les documents fournis en réponse y étant joints. En l’absence d’une preuve fournie par l’appelante, précisant de quelle façon on lui avait refusé la possibilité de participer d’une façon valable à l’audience tenue par le juge de la citoyenneté, on ne saurait conclure que le juge de la citoyenneté n’a pas respecté les règles d’équité procédurale à l’endroit de l’appelante. La lettre du 12 novembre avisait d’une façon suffisante l’appelante des questions auxquelles elle devait répondre.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, art. 14(5), 21, 22 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 11; L.C. 1992, ch. 47, art. 67; ch. 49, art. 124; 1999, ch. 31, art. 42).

Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246, art. 11(1) (mod. par DORS/94-442, art. 2), (5) (mod., idem), (7) (mod., idem), 12 (mod., idem), 28.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION MENTIONNÉE :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Malik (1997), 128 F.T.R. 309 (C.F. 1re inst.).

DOCTRINE

Sopinka, John and Lederman, Sidney N. The Law of Evidence in Civil Cases. Toronto : Butterworths, 1974.

Sopinka, John et al. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Markham, Ontario : Butterworths, 1999.

Wigmore, John Henry. Evidence in Trials at Common Law, revised by James H. Chadbourn. Boston : Little, Brown & Co., 1979.

APPEL du refus d’attribuer la citoyenneté fondé sur le fait que l’appelante n’avait pas répondu à la demande qui lui avait été faite de fournir des empreintes digitales afin d’établir que les articles 21 et 22 de la Loi sur la citoyenneté ne s’appliquaient pas, omettant ainsi de réfuter la présomption selon laquelle les articles 21 et 22 interdisaient de lui attribuer la citoyenneté canadienne. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Clayton C. Ruby pour l’appelante/demanderesse.

Leena Jaakkimainen pour l’intimé/défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ruby & Edwardh, Toronto, pour l’appelante/ demanderesse.

Le sous-procureur général du Canada pour l’intimé/défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Dawson : Le 8 janvier 1998, Sandra Lanier Bains a présenté une demande en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne. Dans une décision en date du 18 juin 1999, le juge de la citoyenneté Suzanne Pinel a rejeté la demande pour le motif que Mme Bains avait refusé de se conformer aux demandes visant l’obtention d’empreintes digitales.

[2]        Mme Bains interjette appel contre la décision que le juge de la citoyenneté a rendue, conformément au paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa forme modifiée (la Loi). Mme Bains allègue que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit en lui demandant de fournir ses empreintes digitales et, en outre, que le juge n’a pas respecté les règles d’équité procédurale à son égard.

APERÇU DES FAITS

[3]        Environ 10 mois après avoir soumis sa demande de citoyenneté, Mme Bains a apparemment reçu une lettre en date du 12 novembre 1998 de Citoyenneté et Immigration Canada. Cette lettre avisait Mme Bains que l’examen des données signalétiques figurant dans son formulaire semblait indiquer [traduction] « qu’une question peut se poser à votre sujet en ce qui concerne les articles 21 ou 22 de la Loi sur la citoyenneté ou au sujet d’une autre personne dont le nom et les données signalétiques sont identiques aux vôtres. Par conséquent, si vous souhaitez poursuivre votre demande, je vous prie de prendre des dispositions pour faire prendre vos empreintes digitales le plus tôt possible ».

[4]        Pour replacer cette demande dans son contexte, il convient de citer les articles 21 et 22 [mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 30, art. 11; L.C. 1992, ch. 47, art. 67; ch. 49, art. 124; 1999, ch. 31, art. 42] de la Loi, qui prévoient respectivement ce qui suit :

21. Malgré les autres dispositions de la présente loi, ne sont pas prises en compte pour la durée de résidence les périodes où, en application d’une disposition législative en vigueur au Canada, l’intéressé :

a) a été sous le coup d’une ordonnance de probation;

b) a bénéficié d’une libération conditionnelle;

c) a été détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction.

22. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre de l’article 5 ou du paragraphe 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté :

a) pendant la période où, en application d’une disposition législative en vigueur au Canada :

(i) il est sous le coup d’une ordonnance de probation,

(ii) il bénéficie d’une libération conditionnelle,

(iii) il est détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction;

b) tant qu’il est inculpé pour une infraction prévue aux paragraphes 29(2) ou (3) ou pour un acte criminel prévu par une loi fédérale, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions, et ce, jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours;

c) tant qu’il fait l’objet d’une enquête menée par le ministre de la Justice, la Gendarmerie royale du Canada ou le Service canadien du renseignement de sécurité, relativement à un fait visé au paragraphe 7(3.71) du Code criminel, ou tant qu’il est inculpé pour une infraction relative à ce fait et ce, jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours;

d) s’il a été déclaré coupable d’une infraction relative à un fait visé au paragraphe 7(3.71) du Code criminel;

e) s’il n’a pas obtenu l’autorisation du ministre éventuellement exigée aux termes du paragraphe 55(1) de la Loi sur l’immigration pour être admis au Canada et y demeurer à titre de résident permanent;

f) si, au cours des cinq années qui précèdent sa demande, il a cessé d’être citoyen en application du paragraphe 10(1).

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, mais sous réserve de la Loi sur le casier judiciaire, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre de l’article 5 ou du paragraphe 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté s’il a été déclaré coupable d’une infraction prévue aux paragraphes 29(2) ou (3) ou d’un acte criminel prévu par une loi fédérale, autre qu’une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions :

a) au cours des trois ans précédant la date de sa demande;

b) entre la date de sa demande et celle prévue pour l’attribution de la citoyenneté ou la prestation du serment.

[5]        Le dossier ne comporte pas de réponse à la lettre du 12 novembre 1998 et Mme Bains n’a pas soutenu qu’il y en avait eu une. Selon le dossier certifié dont dispose la Cour, un avis de convocation a par la suite été délivré à Mme Bains, lui enjoignant de se présenter le 7 mai 1999; cet avis est ainsi libellé : « Le juge de la citoyenneté a besoin de plus de renseignements pour prendre une décision au sujet de votre demande de citoyenneté. Vous devez donc vous présenter à une entrevue ».

[6]        Mme Bains s’est présentée à cette entrevue.

[7]        Mme Bains n’a jamais fourni d’empreintes digitales.

LA DÉCISION

[8]        Le juge de la citoyenneté Pinel a rendu la décision suivante eu égard à ces faits :

[traduction] Le 7 mai 1999, vous avez comparu devant moi pour l’audition de votre demande de citoyenneté canadienne. J’ai alors reporté ma décision. Cette lettre vise à vous informer que, malheureusement, la demande de citoyenneté n’est pas approuvée.

Selon le dossier, vous avez peut-être un casier judiciaire susceptible d’entraîner l’application des articles 21 et 22 de la Loi sur la citoyenneté. L’article 21 prévoit que ne sont pas prises en compte pour la durée de résidence les périodes où, en application d’une disposition d’une loi en vigueur au Canada, l’intéressé a été détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction. En vertu de l’article 22, nul ne peut recevoir la citoyenneté canadienne pendant la période où il est sous le coup d’une ordonnance de probation, il bénéficie d’une libération conditionnelle, il est détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction, tant qu’il est inculpé pour un acte criminel ou pour une infraction à la Loi sur la citoyenneté, et ce, jusqu’à la date d’épuisement des voies de recours, ou encore s’il a été déclaré coupable d’une infraction au cours des trois ans précédant la date de sa demande ou entre la date de sa demande et celle prévue pour l’attribution de la citoyenneté.

Dans une lettre datée du 12 novembre 1998, le greffier de la citoyenneté vous a demandé de fournir vos empreintes digitales de façon à ce qu’il puisse être déterminé si vous êtes visée par les articles 21 ou 22. Lorsque vous vous êtes présentée devant moi, vous avez encore une fois eu la possibilité de démontrer, en fournissant vos empreintes digitales, que vous n’étiez pas visée par les dispositions susmentionnées.

Étant donné que, même si vous avez eu la possibilité de le faire, vous avez refusé de fournir vos empreintes digitales, j’estime que vous avez omis de réfuter la présomption selon laquelle vous ne pouvez pas obtenir la citoyenneté canadienne, en application des articles 21 et 22 de la Loi sur la citoyenneté.

Il ne s’agit pas ici d’un cas dans lequel il convient d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi sur la citoyenneté puisque l’article 22 prévoit expressément que, dès que cette disposition s’applique, nul ne peut recevoir la citoyenneté au titre de l’article 5 ou du paragraphe 11(1) ni prêter le serment de citoyenneté.

Conformément aux dispositions du paragraphe 14(3) de la Loi sur la citoyenneté, soyez donc avisée que, pour les motifs susmentionnés, votre demande de citoyenneté n’est pas approuvée.

LES POINTS LITIGIEUX

[9]        Mme Bains invoque trois erreurs précises que le juge de la citoyenneté Pinel aurait commises, à savoir :

1) Le juge a commis une erreur en interprétant la preuve d’une façon erronée ou en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents tendant à montrer que Mme Bains n’est pas visée par l’article 21 ou 22 de la Loi;

2) Le juge a commis une erreur en appliquant une « présomption » à l’égard des articles 21 et 22 de la Loi;

3) Le juge n’a pas respecté les règles d’équité procédurale puisque les allégations qui étaient faites contre Mme Bains n’ont pas été divulguées d’une façon adéquate.

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]      Le paragraphe 14(5) de la Loi, qui crée le droit d’appel dont Mme Bains s’est prévalue, est rédigé comme suit :

14. […]

(5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

a) de l’approbation de la demande;

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

[11]      En ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer aux appels interjetés en vertu de cette disposition, le juge Lutfy (maintenant juge en chef adjoint de la Cour) a fait les remarques suivantes au paragraphe 33 de la décision Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst.) :

La justice et l’équité, tant pour les demandeurs de citoyenneté que pour le ministre, appellent la continuité en ce qui concerne la norme de contrôle pendant que la Loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo. La norme appropriée, dans les circonstances, est une norme qui est proche de la décision correcte.

ANALYSE

(i) Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en interprétant la preuve d’une façon erronée ou en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents?

[12]      Par l’entremise de son avocat, Mme Bains a affirmé que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en omettant de tenir compte de la preuve qu’elle avait présentée, à savoir qu’elle n’avait pas de casier judiciaire et que les circonstances entraînant l’application des articles 21 ou 22 de la Loi ne s’appliquaient pas à elle.

[13]      Mme Bains a fourni des renseignements pertinents à deux reprises.

[14]      En premier lieu, dans le formulaire de demande de citoyenneté, on informe le demandeur qu’il doit faire savoir si l’une ou l’autre des interdictions ci- après énoncées s’applique :

[traduction]

Avez-vous été au cours des quatre dernières années ou êtes-vous actuellement :

détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction?

sous probation?

sous libération conditionnelle?

Avez-vous été trouvé coupable d’un acte criminel au cours des trois dernières années?

Êtes-vous actuellement accusé d’un crime?

[15]      Le formulaire de demande exige ensuite que le demandeur appose sa signature sous les déclarations suivantes :

[traduction] Si vous mentez, omettez des renseignements ou donnez de faux renseignements sur ce formulaire, vous commettez un crime. Votre citoyenneté pourrait vous être retirée et vous pourriez être accusé en vertu de la Loi sur la citoyenneté si l’acquisition de la citoyenneté était obtenue par fraude ou au moyen d’une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

1)   Je comprends les interdictions énumérées à gauche et je déclare par les présentes que ces interdictions ne s’appliquent pas à moi. Je promets d’informer un agent de la citoyenneté de tout changement qui pourrait survenir avant que je prête le serment de citoyenneté.

2)   Je comprends le contenu de ce formulaire et je déclare que les renseignements que j’ai fournis sont exacts et corrects. Je comprends que si je fais une fausse déclaration, je pourrais être accusé en vertu de la Loi sur la citoyenneté ou je pourrais perdre ma citoyenneté.

Mme Bains a apposé sa signature. Les interdictions en question sont celles qui sont mentionnées ci-dessus au paragraphe 14.

[16]      En second lieu, le jour où elle s’est présentée devant le juge de la citoyenneté Pinel, Mme Bains a signé un document intitulé : « Avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté » (l’avis). Le passage pertinent de ce document exige que le juge de la citoyenneté indique si le demandeur satisfait à un certain nombre d’exigences, et notamment qu’il n’est pas visé par une interdiction selon l’article 22 de la Loi.

[17]      Sur l’avis, le juge de la citoyenneté a noté que toutes les exigences de la Loi étaient remplies sauf la question de savoir si Mme Bains était visée par une interdiction selon l’article 22. Le juge de la citoyenneté a noté relativement à cette interdiction : [traduction] « N’ai pas pu vérifier ».

[18]      Sous cette remarque, Mme Bains a signé l’attestation suivante :

Les déclarations faites dans la présente sont exactes et conformes à la vérité et je confirme que depuis ma demande de citoyenneté, je n’ai pas fait l’objet de procédures criminelles ou concernant l’immigration.

____________________

Signature du demandeur

[19]      Mme Bains a prêté serment devant le juge de la citoyenneté à l’égard de cette attestation.

[20]      En plus de mentionner cet élément de preuve, Mme Bains a maintenu qu’il n’y avait rien dans le dossier qui tende à montrer qu’elle avait un casier judiciaire et qu’au mieux, en consultant les données inscrites à l’ordinateur, le juge [traduction] « [n’avait] pas pu vérifier » si elle avait un casier judiciaire.

[21]      Dans ces conditions, Mme Bains affirme que le juge de la citoyenneté a commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte de la preuve qu’elle avait fournie, à savoir qu’elle n’avait pas de casier judiciaire.

[22]      Cette prétention exige un examen minutieux de la preuve fournie par Mme Bains.

[23]      Dans son formulaire de demande de citoyenneté, Mme Bains a déclaré, non sous serment, mais sous peine d’être poursuivie en vertu de la Loi, qu’elle n’avait pas été déclarée coupable d’une infraction criminelle au cours des trois dernières années, qu’elle n’avait pas été détenue dans une prison ou été sous le coup d’une ordonnance de probation ou bénéficié d’une libération conditionnelle au cours des quatre dernières années, et qu’elle n’était ni inculpée d’une infraction criminelle, ni détenue dans une prison, ni sous le coup d’une ordonnance de probation et qu’elle ne bénéficiait pas d’une libération conditionnelle.

[24]      Par contre, je ne puis constater l’existence d’aucun élément de preuve pertinent qui aurait été fourni par Mme Bains au moyen de l’attestation figurant dans l’avis, à part le fait que Mme Bains a déclaré sous serment qu’elle n’avait pas fait l’objet de poursuites criminelles depuis qu’elle avait présenté sa demande de citoyenneté. Je ne puis trouver dans l’avis aucun autre élément de preuve pertinent étant donné que Mme Bains n’y a pas attesté sous serment qu’elle n’était pas visée par une interdiction prévue à l’article 22 de la Loi. L’avis faisait plutôt simplement état du fait que le juge de la citoyenneté [traduction] « [n’avait] pas pu vérifier », même après que Mme Bains se fut présentée devant elle, s’il existait certains faits montrant que Mme Bains n’était pas visée par ce motif d’inadmissibilité. Étant donné qu’elle a signé cette attestation, je conclus que Mme Bains n’a pas remis en question la déclaration selon laquelle le juge de la citoyenneté « [n’avait] pas pu vérifier ».

[25]      Dans son argumentation orale, l’avocat de Mme Bains a soutenu que l’attestation que sa cliente avait signée se rapportait aux déclarations qui étaient faites dans l’avis ainsi qu’aux déclarations qui figuraient dans le formulaire de demande de citoyenneté. Ce n’est pas ainsi que j’interprète l’attestation et, en l’absence d’une preuve de la part de Mme Bains tendant à montrer que tel était l’effet voulu, je ne suis pas prête à interpréter l’attestation de la façon prônée par l’avocat.

[26]      Quel est donc l’effet à attribuer aux déclarations que Mme Bains a faites, sous peine d’être poursuivie, dans le formulaire de demande de citoyenneté? L’avocat de Mme Bains a soutenu qu’il ressort clairement des motifs que le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte de ces déclarations. Il a affirmé que le juge de la citoyenneté avait commis une erreur susceptible de révision en omettant de tenir compte d’éléments de preuve pertinents ou en interprétant la preuve d’une façon erronée. L’avocat a affirmé que cette erreur était particulièrement grave étant donné que la preuve n’était pas contredite.

[27]      En examinant l’effet des déclarations que Mme Bains a faites dans son formulaire de demande de citoyenneté, je me fonde au départ sur la prémisse selon laquelle les déclarations qui sont faites dans une demande de citoyenneté ne doivent pas être prises au pied de la lettre. C’est ce qu’indique la procédure qui, selon le Règlement sur la citoyenneté, 1993, DORS/93-246, dans sa forme modifiée (le Règlement), doit être suivie sur réception d’une demande. Le Règlement prévoit notamment ce qui suit [articles 11(1) (mod. par DORS/94-442, art. 2), (5) (mod., idem), (7) (mod., idem), 12 (mod., idem)] :

11. (1) Sur réception d’une demande visée aux paragraphes 3(1), 6(1), 7(1) ou 8(1), le greffier fait entreprendre les enquêtes nécessaires pour déterminer si la personne faisant l’objet de la demande remplit les exigences applicables de la Loi et du présent règlement.

[…]

(5) Une fois que les enquêtes entreprises en vertu du paragraphe (1) sont terminées, le greffier :

a) dans le cas d’une demande et des documents déposés auprès de l’agent de la citoyenneté conformément au paragraphe 3(1) ou transmis au greffier selon le paragraphe 3(3), demande à l’agent de la citoyenneté auprès de qui ils ont été déposés ou à qui ils ont été transmis conformément au paragraphe 3(5) d’en saisir le juge de la citoyenneté;

b) dans le cas d’une demande et des documents déposés conformément aux paragraphes 6(1), 7(1) ou 8(1), les transmet à l’agent de la citoyenneté du bureau de la citoyenneté qu’il juge compétent en l’espèce et lui demande d’en saisir le juge de la citoyenneté.

[…]

(7) Lorsque le juge de la citoyenneté saisi de la demande conformément au paragraphe (5) estime qu’il lui est impossible d’approuver celle-ci sans de plus amples renseignements, il demande au ministre d’envoyer un avis écrit au demandeur à sa dernière adresse connue, par courrier ordinaire, l’informant qu’il a la possibilité de comparaître devant ce juge aux date, heure et lieu qui y sont précisés.

[…]

12. Le demandeur qui comparaît devant le juge de la citoyenneté en application du paragraphe 11(7) peut :

a) être tenu de déposer sous serment ou non, selon ce qu’en décide le juge à sa discrétion;

b) être accompagné d’autres personnes que le juge peut admettre, à sa discrétion, dans l’intérêt du demandeur et pour favoriser une décision rapide en la matière.

[…]

28. Malgré les autres dispositions du présent règlement, la personne qui présente une demande en vertu de la Loi doit fournir toute preuve supplémentaire qui pourrait être nécessaire pour établir qu’elle remplit les conditions prévues dans la Loi et le présent règlement. [Non souligné dans l’original.]

[28]      Quant à l’assertion selon laquelle il n’y avait rien dans le dossier dont disposait le juge de la citoyenneté qui tende à montrer qu’elle avait un casier judiciaire, Mme Bains a soutenu que le juge de la citoyenneté n’avait tout simplement pas pu vérifier, en consultant les données inscrites à l’ordinateur, si elle avait un casier judiciaire.

[29]      Cette prétention exige l’examen de la preuve dont disposait le juge de la citoyenneté et qui aurait pu amener le juge à se demander si Mme Bains était visée par les interdictions prévues aux articles 21 ou 22 de la Loi.

[30]      L’avis de convocation qui a été délivré à Mme Bains renferme une note manuscrite rédigée comme suit :

[traduction]

À rappeler le

28-5-99

pour vérifier de nouveau l’absence de casier judiciaire

[initialé]

7-5-99

Résultat : il manque encore

les empreines 14-5-99

[initialé] 10-6-99

Suzanne, pour

décision

[initialé]

10-6-99

Cette note semble avoir été destinée à informer le juge de la citoyenneté des questions qui se posaient relativement à l’absence de casier judiciaire.

[31]      Le dossier certifié du tribunal renferme une photocopie d’un document intitulé : [traduction] « Historique de la vérification ». Sous la rubrique « Situation », il est mentionné que la situation de Mme Bains a été « attestée », à côté des inscriptions « Immigration » et « Sécurité », mais qu’elle « n’a pas été attestée » à côté de l’inscription « Activités criminelles ».

[32]      Sous la rubrique « Mesures » figurent entre autres les inscriptions suivantes :

[traduction]

Mesures

Date

Activités criminelles—Non attestées

10 juin 1999

[…]

Activités criminelles—Non attestées

14 déc. 1998

Activités criminelles—Lettre envoyée à la cliente en vue de l’obtention d’empreintes digitales

13 nov. 1998

Activités criminelles—Il manque les empreintes digitales

09 nov. 1998

[33]      Cela étant, je conclus qu’après que les demandes de renseignements eurent été faites et après que le juge de la citoyenneté eut été saisi de la demande de Mme Bains pour décision, le document intitulé : [traduction] « Historique de la vérification » a de fait servi de fondement, lorsque le juge de la citoyenneté s’est demandé, avec raison, si l’application de l’article 21 ou 22 de la Loi empêchait Mme Bains d’obtenir la citoyenneté.

[34]      Les dispositions précitées de la Loi et du Règlement sont telles que je conclus également qu’il ne suffit pas que Mme Bains dise en fait qu’étant donné qu’elle a rempli le formulaire de demande de citoyenneté, il incombe au gouvernement de réfuter ses déclarations. En d’autres termes, je ne retiens pas la prétention selon laquelle Mme Bains n’était pas tenue de fournir une preuve supplémentaire.

[35]      Je conclus donc que, dans ces conditions, le juge de la citoyenneté Pinel n’a pas omis de tenir compte d’éléments de preuve pertinents ou qu’il n’a pas interprété d’une façon erronée la preuve dont il disposait.

(ii) Le juge de la citoyenneté a-t-il commis une erreur en appliquant une « présomption » à l’égard des articles 21 et 22 de la Loi?

[36]      En invoquant cet argument, Mme Bains a remis en question le passage suivant des motifs du juge de la citoyenneté :

[traduction] Étant donné que, même si vous avez eu la possibilité de le faire, vous avez refusé de fournir vos empreintes digitales, j’estime que vous avez omis de réfuter la présomption selon laquelle vous ne pouvez pas obtenir la citoyenneté canadienne, en application des articles 21 et 22 de la Loi sur la citoyenneté.

[37]      Mme Bains a soutenu que ni l’article 21 ni l’article 22 de la Loi ne créent une « présomption » à son encontre. Elle affirme que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en créant et en appliquant pareille présomption.

[38]      Lorsqu’une partie omet de présenter au tribunal un élément de preuve qu’elle est en mesure de fournir, il est possible d’inférer que cet élément ne lui aurait pas été favorable. Voir : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Malik (1997), 128 F.T.R. 309 (C.F. 1re inst.), et les renvois à The Law of Evidence in Civil Cases par J. Sopinka et S. N. Lederman, 1974 et à Wigmore on Evidence qui y sont faits.

[39]      Au paragraphe 289 de Evidence in Trials at Common Law par J. H. Wigmore (édition rév. de Chadbourn, 1979), l’auteur fait remarquer que le refus d’une partie de subir un contrôle physique devrait de la même façon pouvoir donner lieu à une inférence [traduction] « puisque cela équivaut presque à dissimuler un élément de preuve ».

[40]      Toutefois, aucune inférence ne peut être faite contre une partie si une explication raisonnable est fournie pour justifier l’omission de présenter un élément de preuve (voir : Wigmore, précité, au paragraphe 285).

[41]      Je conclus que, compte tenu de la preuve dont disposait le juge de la citoyenneté, et en particulier compte tenu de l’absence apparente d’explication justifiant l’omission de la demanderesse de fournir ses empreintes digitales, le juge de la citoyenneté pouvait à bon droit faire une inférence par suite de l’omission de Mme Bains de fournir ses empreintes digitales. Il serait possible d’inférer que si Mme Bains avait fourni ses empreintes digitales, le résultat aurait nui à sa demande de citoyenneté et ne l’aurait pas aidée à établir qu’elle n’était pas visée par l’article 21 ou par l’article 22 de la Loi.

[42]      Je conclus que c’est essentiellement ce que le juge de la citoyenneté a fait dans le passage contesté de sa décision.

[43]      Quant à l’emploi du mot « présomption », Sopinka, John et al., dans l’ouvrage intitulé : The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (1999), aux paragraphes 4.4 et 4.5, dit ceci :

[traduction]

4.4 Une présomption de fait est une déduction de fait qui peut logiquement et raisonnablement être tirée d’un fait ou d’un ensemble de faits qui ont été constatés ou qui ont par ailleurs été établis En d’autres termes, il s’agit d’une inférence logique fondée sur le bon sens, tirée des faits qui ont été prouvés. Par conséquent, si le fait A est prouvé, le juge des faits peut inférer l’existence ou l’inexistence du fait B. Lorsque les faits établis donnent lieu à une présomption de fait, le juge des faits peut faire une inférence, mais il n’est pas tenu d’en faire une. Une présomption de fait n’est donc pas une règle de droit puisqu’elle n’exige pas et qu’elle n’interdit pas que l’on fasse une inférence.

4.5 Étant donné que les présomptions de fait varient quant à leur force, dans certaines affaires civiles, elles peuvent, mais elles ne doivent pas, obliger la partie concernée à produire une contre-preuve, à défaut de quoi cette dernière risque fortement de perdre sa cause. Lorsque l’on a ainsi recours à une présomption, cela veut dire que les faits sont tels qu’une certaine inférence devrait logiquement être faite, sans toutefois qu’il soit nécessaire de la faire. Cependant, il importe de souligner qu’une présomption de fait n’a pas en droit pour effet d’imposer à l’autre partie la charge de présentation ou la charge ultime de la preuve à l’égard d’un fait ou d’une question litigieuse. [Renvois omis; non souligné dans l’original.]

[44]      Étant donné que Sopinka emploie le mot « présomption » dans le contexte d’une inférence qui est tirée d’un fait établi, je ne puis conclure qu’en employant le mot « présomption », le juge de la citoyenneté a commis une erreur.

(iii) Le juge de la citoyenneté a-t-il respecté les règles d’équité procédurale?

[45]      Mme Bains a affirmé que même si le dossier dont le juge de la citoyenneté disposait indiquait qu’elle avait un casier judiciaire, elle n’a pas reçu un préavis suffisant pour être en mesure de répondre aux allégations dont elle faisait l’objet.

[46]      Cette prétention exige encore une fois un examen plus détaillé de la preuve.

[47]      Il semble que Mme Bains ait initialement été avisée de l’existence d’un problème au moyen de la lettre du 12 novembre 1998 de Citoyenneté et Immigration Canada, laquelle était ainsi libellée :

[traduction] La présente fait suite à la demande que vous avez présentée en vue d’obtenir la citoyenneté canadienne.

Lorsqu’une personne demande la citoyenneté canadienne, certains renseignements de base doivent être fournis avant qu’une audience puisse être tenue par un juge de la citoyenneté, ou avant que l’intéressé puisse se voir attribuer la citoyenneté ou puisse prêter le serment de citoyenneté. Entre autres choses, le Règlement sur la citoyenneté exige que le greffier établisse que le demandeur ne pose pas de problèmes sérieux sur le plan de la sécurité et au point de vue criminel.

L’article 21 de la Loi sur la citoyenneté prévoit que ne sont pas prises en compte pour la durée de résidence les périodes où l’intéressé a été sous le coup d’une ordonnance de probation, a bénéficié d’une libération conditionnelle ou a été détenu dans un pénitencier, une prison ou une maison de correction.

De plus, l’article 22 de la Loi prévoit que nul ne peut recevoir la citoyenneté pendant la période où il est sous le coup d’une ordonnance de probation, il bénéficie d’une libération conditionnelle, il est détenu dans une prison, ou encore s’il a été déclaré coupable d’un acte criminel ou d’une infraction à la Loi sur la citoyenneté au cours des trois ans précédant la date de sa demande.

Par conséquent, le ministre transmet toutes les demandes de citoyenneté pour vérification des casiers judiciaires en utilisant les données signalétiques figurant dans le formulaire de demande en vue de déterminer s’il y a des cas qui exigent un examen plus approfondi en ce qui concerne les dispositions des articles 21 ou 22 de la Loi sur la citoyenneté.

Lorsqu’il semble exister un casier judiciaire, il faut absolument s’assurer qu’il n’y a aucune erreur d’identification en ce qui concerne le demandeur. Étant donné que des données signalétiques similaires peuvent parfois donner lieu à une erreur d’identification, la seule façon d’éviter pareille erreur consiste à avoir recours à des empreintes digitales.

L’examen des données signalétiques figurant dans votre formulaire de demande semble indiquer qu’une question peut se poser à votre sujet en ce qui concerne les articles 21 ou 22 de la Loi sur la citoyenneté ou au sujet d’une autre personne dont le nom et les données signalétiques sont identiques aux vôtres. Par conséquent, si vous voulez poursuivre votre demande, je vous prie de faire le nécessaire pour faire prendre vos empreintes digitales le plus tôt possible. Pour ce faire, vous pouvez vous adresser à :

Services d’empreintes digitales international du Canada

100, avenue Argyle

Ottawa (Ontario)

K2P 1B6

Tél. : (613) 237-9061

Ces bureaux sont ouverts de 8 à 16 h; des frais seront exigés pour ce service. Veuillez apporter cette lettre lorsque vous vous présenterez en vue de faire prendre vos empreintes digitales.

Une fois que le formulaire d’empreintes digitales aura été reçu, il sera transmis à la direction générale de la GRC à Ottawa pour obtention de renseignements additionnels. À la suite de la réception du rapport de la GRC, le Bureau de la citoyenneté communiquera avec vous à nouveau au sujet de votre demande. Le formulaire d’empreintes digitales vous sera renvoyé; je tiens à vous assurer qu’aucun document et qu’aucune copie des empreintes digitales que vous aurez fournies à des fins d’identification ne sera conservé par la GRC ou par le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration.

Si vous souhaitez discuter du dossier ou si vous avez des questions particulières, n’hésitez pas à communiquer avec le centre téléphonique au 1-888-242-2100 (numéro sans frais).

Veuillez agréer, Madame, l’expression de mes meilleurs sentiments.

Darren Ouderkirk

Citoyenneté et Immigration

[Non souligné dans l’original.]

[48]      Par cette lettre, on disait que Mme Bains ou une autre personne dont le nom et les données signalétiques étaient identiques à ceux de Mme Bains pouvait être visée par les dispositions de l’article 21 ou de l’article 22 de la Loi. Des explications étaient fournies dans la lettre au sujet de ces deux dispositions. Rien ne montre que Mme Bains ait posé des questions à la suite de la réception de la lettre.

[49]      Mme Bains n’ayant pas répondu à cette lettre, elle a reçu un avis lui enjoignant de se présenter devant un juge de la citoyenneté. En plus de préciser l’heure, la date et le lieu de l’audience, l’avis informait Mme Bains de ce qui suit : [traduction] « Le juge de la citoyenneté a besoin de plus de renseignements pour prendre une décision au sujet de votre demande de citoyenneté. Vous devez donc vous présenter à une entrevue. Lors de cette entrevue, il se peut que l’on vous pose des questions afin de déterminer si vous avez une connaissance suffisante de l’anglais ou du français et une connaissance suffisante du Canada. »

[50]      Le dossier mis à ma disposition ne renferme aucun renseignement au sujet de ce qui s’est passé à l’audience.

[51]      Un avocat éminent représentait Mme Bains devant la Cour. Mme Bains a décidé de ne pas déposer d’affidavit à l’appui de sa demande. La demande était plutôt étayée par l’affidavit d’une secrétaire juridique de l’avocat de Mme Bains. L’affidavit disait simplement que l’avocat avait demandé certains documents; les documents fournis par le Bureau de la citoyenneté en réponse à cette demande y étaient joints.

[52]      En l’absence d’une preuve fournie par Mme Bains, précisant de quelle façon on lui a refusé la possibilité de participer d’une façon valable à l’audience tenue par le juge de la citoyenneté, je ne suis pas prête à conclure que ce dernier n’a pas respecté les règles d’équité procédurale à l’endroit de Mme Bains.

[53]      En l’absence d’une preuve contraire, je conclus que la lettre du 12 novembre 1998 avisait d’une façon suffisante Mme Bains des questions auxquelles elle devait répondre.

[54]      Comme son avocat l’a soutenu, Mme Bains aurait peut-être été en mesure de répondre d’une façon satisfaisante aux questions du juge de la citoyenneté sans avoir à fournir ses empreintes digitales. Toutefois, en l’absence d’une preuve tendant à montrer qu’elle a vraiment tenté de le faire, je ne puis tirer de conclusion à ce sujet.

[55]      Pour les motifs susmentionnés, je conclus qu’il n’y a eu ni erreur ni violation des règles d’équité de la part du juge de la citoyenneté. L’appel est rejeté.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.