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[2001] 2 C.F. 337

A-19-98

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (appelant) (demandeur)

c.

Hawa Ibrahim Adam (intimée) (défenderesse)

Répertorié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Isaac et Evans, J.C.A.— Toronto, 21 novembre 2000; Ottawa, 11 janvier 2001.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes non admissibles — Appel du rejet en partie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de l’immigration accueillant un appel du refus de faire droit à la demande de l’intimée de parrainer son mari — Demande d’établissement refusée en raison du fait que le mari était un ministre du cabinet dans le gouvernement somalien de Siad Barre - L’art. 19(1)l) de la Loi sur l’immigration interdit l’admission de personnes qui, à un rang élevé, font partie ou sont au service d’un gouverne­ment qui se livre à des violations des droits de la personne ou à des crimes contre l’humanité, sauf si elles convain­quent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national — Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, une cour ne peut pas tenir compte de la question de la dispense ministérielle quand cette question n’a pas été soulevée par les parties devant le tribunal — Les mots « sauf si elles convainquent » laissent supposer que la dispense ministérielle doit précéder la décision de l’agent des visas — L’art. 19(1)l), (1.1) ne contient pas de présomption réfutable (le juge Isaac, J.C.A., dissident) — Cependant, la Commission aurait dû demander qu’on lui présente des arguments quant à savoir si une mesure spéciale devrait être octroyée conformément à l’art. 77(3)b) — L’affaire a été renvoyée devant la Commission pour une nouvelle décision sur la question de savoir s’il existe des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale.

Il s’agissait d’un appel formé contre le rejet en partie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la section d’appel de l’immigration qui accueillait un appel du refus de faire droit à la demande de l’intimée de parrainer la demande d’établissement de son mari. Le parrainage avait été refusé en raison du fait que le mari de l’intimée, un citoyen de la Somalie, n’était pas admissible parce qu’il était une personne visée par l’alinéa 19(1)l) de la Loi sur l’immigration, qui interdit l’admission de personnes qui, à un rang élevé, font partie ou sont au service d’un gouvernement qui se livre à des violations des droits de la personne ou à des crimes contre l’humanité, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national. Le paragraphe 19(1.1) définit les « personnes visées par l’alinéa (1)l) ». La section d’appel de l’immigration a accueilli l’appel pour le motif que l’alinéa 19(1)l) contenait une présomption réfutable que le mari de l’intimée avait réussi à réfuter. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge en chef adjoint a conclu que l’alinéa 19(1)l) ne créait pas une présomption réfutable. Il a statué qu’une inscription aux alinéas a) à g) du paragraphe 19(1.1) fait automatiquement tomber une personne sous le coup de l’interdiction mentionnée à l’alinéa 19(1)l), mais que le ministre avait commis une erreur dans son appréciation de la dispense contenue dans cet alinéa. Le juge des requêtes a supposé que la dispense avait été refusée et que le ministre n’avait pas motivé sa décision. Le juge des requêtes a certifié les questions suivantes sous le régime de l’article 83 : 1) dans une demande de contrôle judiciaire d’une décision portant sur l’admissibilité d’une personne en vertu de l’alinéa 19(1)l), la Cour peut-elle tenir compte de la question de la dispense ministérielle dans cet article quand cette question n’a pas été soulevée par les parties devant le tribunal; 2) dans l’affirmative, une personne est-elle tenue de présenter une demande écrite au ministre afin de le convain­cre que son admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national et le ministre est-il tenu de fournir des motifs écrits de sa décision; 3) l’alinéa 19(1)l) et le paragraphe 19(1.1) contiennent-ils une présomption réfutable?

Arrêt (le juge Isaac, J.C.A., dissident en partie) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Stone, J.C.A. (avec l’appui du juge Evans, J.C.A.) : L’interprétation de ces alinéas est sans précédent. Une fois qu’il a été décidé que le mari de l’intimée a occupé le poste de ministre du cabinet dans le gouvernement somalien de Siad Barre, il est visé par l’alinéa 19(1.1)b) (membres du cabinet) et devient donc non admissible au Canada sous le régime de l’alinéa 19(1)l), à moins que le ministre n’ait accepté de le soustraire à l’application de cet alinéa. Les mots « sauf si elles convainquent » dans le libellé de la dispense laissent supposer que la dispense ministérielle doit précéder la décision de l’agent des visas. Comme le mari de l’intimée n’a pas demandé une dispense ministérielle en temps opportun, il ne peut plus le faire. On a répondu à la première question par la négative; par consé­quent, il n’était pas nécessaire de répondre à la deuxième question.

Il faudrait répondre à la troisième question par la négative. L’alinéa 19(1)l) ne contient pas de présomption réfutable. La Commission aurait dû cependant demander qu’on lui présente des arguments quant à savoir si une mesure spéciale devrait être octroyée au mari de l’intimée confor­mément à l’alinéa 77(3)b), avant qu’elle ne tranche définitivement l’affaire. Le sujet des « raisons d’ordre humanitaire » a été abordé, mais la Commission a conclu qu’il n’était pas nécessaire de tirer une conclusion relativement à la disponibilité de la mesure prévue à l’alinéa 77(3)b) parce que l’intimée avait « réfuté avec succès la présomption soulevée » à l’alinéa 19(1)l). L’affaire a été renvoyée devant la Commission pour une nouvelle décision sur la question de savoir s’il existe des raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale conformément à l’alinéa 77(3)b).

Le juge Isaac, J.C.A. (dissident quant à la réponse à la troisième question) : Une inscription aux alinéas a) à g) du paragraphe 19(1.1) ne fait pas automatiquement tomber une personne sous le coup de l’interdiction mentionnée à l’alinéa 19(1)l).

Le litige portait sur l’interprétation de l’alinéa 19(1)l). Les questions d’interprétation des lois sont des questions de droit. Par conséquent, une cour siégeant en contrôle judiciaire peut appliquer la norme de la décision correcte, même si la question de droit tranchée par le tribunal ne comportait pas de question de compétence.

Les tribunaux sont tenus d’interpréter un texte législatif dans son contexte global. Une caractéristique contextuelle est l’objet de la loi, figurant à l’article 3, qui reconnaît la nécessité de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l’étranger. Il s’agit d’une loi rectificative. Il faut donc donner au libellé une interprétation propre à la réalisation de ses objectifs. La définition des personnes qui « à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement » n’est pas exhaustive. Par conséquent, dans le cadre d’une audience, pour réussir, le ministre doit démonter qu’une personne qui ne figure pas sur la liste au paragraphe 19(1.1), occupe un poste, et en raison de ce poste pouvait être en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par son gouvernement. Si on supposait, par hypothèse, que le ministre présente une telle preuve, la procédure contradictoire exigerait que la personne présente une preuve qui fasse pencher la balance en sa faveur, afin de ne pas tomber sous le régime de l’alinéa 19(1)l). L’avocate du ministre a toutefois nié que cela s’appliquerait aux personnes visées par les alinéas 19(1.1)a) à g). Une telle interprétation serait incompatible avec les dispositions d’équité de la Charte et en contravention du but et des objectifs énoncés par la Loi. Une interprétation qui permet à toutes les personnes dont les demandes de parrainage ont été rejetées aux termes de l’alinéa 19(1)l) et du paragraphe 19(1.1) de présenter une preuve qui, si on y prête foi, annulera la classification dans la catégorie non admissible prévue par l’alinéa 19(1)l) est plus compatible avec des notions d’équité sous-jacentes à la Charte et aux objectifs énoncés par la Loi.

Il n’est pas pertinent que l’on dise que le paragraphe 19(1.1) crée une présomption réfutable ou qu’il exige que le ministre fasse une preuve prima facie. Dans les deux cas, la personne dont l’admission a été refusée doit présenter une preuve qui, si on y prête foi, mènerait à la conclusion tirée par la section d’appel de l’immigration en l’espèce. Une telle interprétation ferait en sorte qu’il ne serait pas nécessaire d’avoir recours à une demande fondée sur l’alinéa 77(3)b).

Le mari de l’intimée et sa famille ont été séparés pendant de nombreuses années. Les circonstances et l’objet explicite de la Loi exigeaient que la présente affaire soit considérée avec plus d’attention que ne le laissaient entendre les motifs du juge des requêtes.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 3, 19(1)l) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), (1.1) (édicté, idem), 77(3) (mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15), 83 (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 73).

JURISPRUDENCE

DÉCISION EXAMINÉE :

Esse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 46 (1re inst.) (QL).

DÉCISIONS CITÉES :

Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gill (H.K.) (1991), 137 N.R. 373 (C.A.F.); Sheik c. Canada (Minis­tre de la Citoyenneté et de l’Immigration), C.I.S.R., l’arbitre Micillo, décision en date du 17-7-95; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; (1998), 160 D.L.R. (4th) 193; 11 Admin. L.R. (3d) 1; 43 Imm. L.R. (2d) 117; 226 N.R. 201; Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394; (1994), 116 D.L.R. (4th) 61; 22 Admin. L.R. (2d) 79; 21 C.R.R. (2d) 236; 24 Imm. L.R. (2d) 117; 167 N.R. 282; 72 O.A.C. 348.

DOCTRINE

Sullivan, Ruth. Driedger on the Construction of Statutes, 3rd ed. Toronto : Butterworths, 1993.

APPEL du rejet en partie d’une demande de contrôle judiciaire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Adam (1997), 137 F.T.R. 68 (C.F. 1re inst.)) d’une décision de la section d’appel de l’immigration (Adam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 155) accueillant un appel du refus de faire droit à la demande de l’intimée de parrainer son mari, parce que celui-ci était une personne visée par l’art. 19(1)l) de la Loi sur l’immigration. Appel accueilli.

ONT COMPARU :

Sally E. Thomas pour l’appelant.

Personne n’a comparu pour l’intimée.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelant.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Stone, J.C.A. :Il s’agit de l’appel d’une décision en date du 29 août 1997 [(1997), 137 F.T.R. 68], par laquelle le juge en chef adjoint de l’époque a rejeté en partie une demande de contrôle judiciaire et a, le 29 décembre 1997, certifié les ques­tions suivantes conformément à l’article 83 [mod par L.C. 1992, ch. 49, art. 73] de la Loi sur l’immigration [L.R.C. (1985), ch. I-2] (la Loi) :

[traduction]

1.   Dans une demande de contrôle judiciaire d’une décision portant sur l’admissibilité d’une personne en vertu de l’alinéa 19(1)l) de la Loi sur l’immigration, la Cour peut-elle tenir compte de la question de la dispense ministérielle dans cet article quand cette question n’a pas été soulevée par les parties devant le tribunal?

2.   Dans l’affirmative, une personne est-elle tenue de présenter une demande écrite au ministre afin de le convaincre que son admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national et le ministre est-il tenu de fournir des motifs écrits de sa décision?

3.   L’alinéa 19(1)l) et le paragraphe 19(1.1) de la Loi sur l’immigration contiennent-ils une présomption réfutable?

[2]        L’intimée cherchait à parrainer la demande d’établissement au Canada de son mari, un citoyen de la Somalie. Un agent des visas a refusé le parrainage en raison du fait que le mari n’était pas admissible au Canada parce qu’il était une personne visée par l’alinéa 19(1)l) [mod. idem, art. 11] de la Loi. Cet alinéa prévoit :

19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[…]

l) celles qui, à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à des crimes de guerre ou contre l’humanité, au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[3]        L’alinéa 19(1)l) doit être lu conjointement avec le paragraphe 19(1.1) [édicté, idem], qui prévoient :

19. […]

(1.1) Les personnes visées par l’alinéa (1)l) sont celles qui, du fait de leurs présentes ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement, notamment :

a) le chef d’état ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées, des services de renseignement ou de la sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomati­que de haut rang;

g) les juges.

[4]        L’intimée a interjeté appel du refus à la section d’appel de l’immigration (la Commission) aux termes du paragraphe 77(3) [mod. par L.C. 1995, ch. 15, art. 15] de la Loi, et l’appel a été accueilli [Adam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 155 (S.A.I.)] pour le motif que l’alinéa 19(1)l) contenait une présomption réfutable que le mari de l’intimée avait réussi à réfuter. La Commission a interprété les dispositions en litige comme prévoyant qu’une personne qui occupe, ou occupait, un poste énuméré au paragraphe 19(1.1) était présumée, du fait de ses fonctions, être, ou avoir été, en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par son gouvernement, et qu’une fois que le ministre a établi qu’il en est ainsi, c’est à la personne visée de démontrer qu’elle n’était pas en mesure d’exercer une telle influence présumée.

[5]        Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge en chef adjoint a conclu que l’alinéa 19(1)l) ne créait pas une présomption réfutable, mais que le ministre avait commis une erreur dans son appréciation de l’exception contenue dans cet alinéa, qui autorise le ministre à soustraire de son application les personnes qui « convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ». Le dossier de la requête ne comportait aucune preuve que le ministre avait décidé de refuser l’exception. Le juge en chef adjoint était d’avis qu’une lettre écrite par l’ancien ambassadeur des États-Unis en Somalie en faveur du mari de l’intimée « est fort probante, peut- être décisive ». Toutefois, il paraît avoir supposé que l’exception avait été refusée et que le ministre n’avait pas motivé sa décision.

[6]        L’appelant prétend que le juge des requêtes ne pouvait pas prendre en considération la question de l’exception ministérielle prévue par l’alinéa 19(1)l) compte tenu des circonstances de la présente affaire. Il maintient que selon une interprétation juste de cet alinéa, une fois qu’il ressort qu’une personne exerce, ou a exercé, des fonctions énumérées aux alinéas 19(1.1) a) à g), cette personne devient automatique­ment non admissible au Canada aux termes de l’alinéa 19(1)l). Afin que cette personne puisse invoquer avec succès une exception, l’alinéa exige une décision favorable du ministre, qui doit être prise si la personne visée le demande et si celle-ci prouve que son admission au Canada ne sera pas préjudiciable à l’intérêt national. L’appelant soutient que la disposition d’exception n’est pas une condition préalable à la mise en œuvre du reste de l’alinéa 19(1)l) et en conséquence qu’un décideur sous son régime n’a besoin que d’être convaincu, au moment où il prend sa décision, que le ministre n’a pas encore rendu une décision favorable en ce qui concerne l’exception.

[7]        Je suis convaincu que ces arguments sont bien fondés. Selon l’interprétation que je fais des alinéas en litige, une fois qu’il est décidé que le mari de l’intimée a occupé le poste de ministre du cabinet dans le gouvernement somalien de Siad Barre, il est visé par l’alinéa 19(1.1)b) et devient donc non admissible au Canada sous le régime de l’alinéa 19(1)l), à moins que le ministre n’ait accepté de le soustraire à l’application de cet alinéa. La présence des mots « sauf si elles convainquent » dans le libellé de l’exception me laisse supposer que l’exception ministérielle doit précéder la décision de l’agent des visas. Comme le mari de l’intimée n’a pas demandé une exception ministérielle en temps opportun, il ne peut plus le faire.

[8]        Il faut reconnaître que l’interprétation de ces alinéas est sans précédent. J’ai trouvé un appui à l’interprétation que j’ai adoptée dans Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Gill (H.K.) (1991), 137 N.R. 373 (C.A.F.). Dans Esse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 46 (1re inst.) (QL), le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d’appel) a fait des observations sur les alinéas en litige quand il a déclaré au paragraphe 11 :

Sur ce point, il appert d’une lecture de l’alinéa 19(1)l) et du paragraphe 19(1.1) que l’objet de ces dispositions est d’éviter, dans la mesure du possible, que le Canada ne devienne un refuge pour les personnes qui se sont livrées à des actes de terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à des crimes de guerre ou contre l’humanité. Le but des dispositions législatives est de considérer les membres supérieurs ou les fonctionnaires d’un gouvernement comme des personnes qui étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement, de sorte qu’ils doivent être tenus responsables des actes répréhensibles de celui-ci. Les personnes occupant certains postes au sein d’un gouvernement sont présumées être des membres supérieurs de celui-ci ou des fonctionnaires supérieurs à son service à cette fin. C’est pour cette raison que le requérant, en qualité d’ambassadeur, a été considéré comme une personne visée par l’alinéa 19(1)l). Pour obtenir une exemption de la ministre, cette personne doit démontrer, dans la mesure où les faits le permettent, que malgré la position qu’elle occupait comme membre supérieur présumé d’un gouvernement ou fonction­naire à son service, elle n’a nullement participé aux actes répréhensibles de celui-ci. Même si la question de savoir si cette personne constituait un danger pour le public au Canada peut aussi être examinée (bien qu’il existe d’autres dispositions portant spécifiquement sur ces aspects), la participation aux actes du gouvernement fautif constitue sans doute le facteur le plus important.*

[9]        Je répondrais à la première question par la négative.

[10]      Compte tenu de la réponse que je compte donner à la première question, il n’est pas nécessaire que je réponde à la deuxième.

[11]      Je suis également d’avis que le juge en chef adjoint a correctement décidé que l’alinéa 19(1)l) ne contient pas de présomption réfutable et que la Com­mission a commis une erreur en jugeant qu’il en contenait une. Vu la réponse que je donne à la pre­mière question, il n’est pas nécessaire que j’élabore davantage. Je répondrais à la troisième question par la négative.

[12]      Avant de conclure mes motifs, je souhaite ajouter un dernier commentaire. Même avec l’interprétation que je donne à la loi, une personne qui se trouve dans la situation du mari de l’intimée n’est pas nécessairement empêchée d’obtenir le droit d’établissement au Canada. En l’espèce, l’agent des visas a jugé qu’il n’était pas admissible aux termes de l’alinéa 19(1)l), et le ministre ne l’a pas dispensé de l’applica­tion de cet alinéa. À mon avis, cependant, la Commission aurait dû demander qu’on lui présente des arguments quant à savoir si une mesure spéciale devrait être octroyée conformément à l’alinéa 77(3)b), avant qu’elle ne tranche définitivement l’affaire. Il est manifeste à la lecture de la décision de la Commission que le sujet des « raisons d’ordre humanitaire » a été abordé, mais comme la Commission était d’avis que l’intimée avait [traduction] « réfuté avec succès la présomption soulevée » à l’alinéa 19(1)l), elle a conclu qu’il n’était pas nécessaire de tirer une conclusion relativement à la disponibilité de la mesure prévue à l’alinéa 77(3)b). J’estime que cette omission devrait à présent être corrigée.

[13]      Je suis d’avis d’accueillir l’appel, et de répondre

Question 1—Non

Question 2—Il n’est pas nécessaire de répondre

Question 3—Non

et de renvoyer l’affaire devant la Commission pour un nouvel examen et une nouvelle décision sur la question de savoir si compte tenu de la preuve dont elle disposait, notamment la lettre de l’ancien ambassadeur des États-Unis, il existe des « raisons d’ordre humanitaire justifiant l’octroi d’une mesure spéciale » conformément à l’alinéa 77(3)b) de la Loi.

Le juge Evans, J.C.A. :Je souscris aux présents motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[14]      Le juge Isaac, J.C.A.(dissident en partie) : J’ai pris connaissance des motifs de mon collègue le juge Stone, J.C.A. Je note que mon collègue le juge Evans, J.C.A. est d’accord avec lui. Malheureusement, je suis incapable de tirer la même conclusion. Les motifs de mon désaccord suivent.

[15]      La décision relative au présent appel porte sur la vraie signification qui doit être donnée à l’alinéa 19(1)l) et au paragraphe 19(1.1) de la Loi sur l’immigration (la Loi) qui prévoient :

19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[…]

l) celles qui, à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à des crimes de guerre ou contre l’humanité, au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[…]

(1.1) Les personnes visées par l’alinéa (1)l) sont celles qui, du fait de leurs présentes ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement, notamment :

a) le chef d’état ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées, des services de renseignement ou de la sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomati­que de haut rang;

g) les juges.

[16]      Devant la Commission, les deux parties étaient représentées par des avocats.

[17]      Les motifs de la Commission mentionnent que les deux parties ont admis que l’alinéa 19(1)l) de la Loi soulève une présomption réfutable. La Commis­sion s’est exprimée ainsi :

[traduction] Il était entendu que l’intimé avait un fondement pour tirer la conclusion précédente [que le demandeur n’est pas admissible parce qu’il appartient à la catégorie des personnes décrites à l’alinéa 19(1)l)], mais que l’invocation de l’alinéa 19(1)l) ne soulève qu’une présomption réfutable. Il était donc loisible à l’appelante de présenter une preuve pour réfuter la conclusion que l’intimé avait tirée[1].

La Commission a poursuivi en disant qu’en raison de cette entente entre les avocats, le bien-fondé respectif des affaires tranchées après la décision d’un arbitre dans Sheik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[2] n’avait pas été soulevé. Quoi qu’il en soit, la Commission était d’avis que la question méritait d’être étudiée.

[18]      La Commission a signalé qu’il existait des décisions contradictoires à la section d’appel sur la question de savoir si l’alinéa 19(1)l) soulevait une présomption réfutable. Elle a poursuivi en disant :

[traduction] En l’absence d’un précédent faisant autorité qui prévoirait le contraire, le présent tribunal accepte la position prise par l’appelante et l’intimé sur la question en l’espèce[3].

La Commission a procédé à l’analyse de ce point de vue et a conclu de la façon suivante :

[traduction] À mon avis, le point de vue adopté par les parties dans la présente affaire est compatible avec l’orientation de la loi, qui énonce en jargon juridique les objectifs en matière de politique énoncés aux alinéas 3f), g), i) et j) de la Loi :

f) de garantir que les personnes sollicitant leur admission au Canada à titre permanent ou temporaire soient soumises à des critères excluant toute discrimination contraire à la Charte canadienne des droits et libertés;

g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l’endroit des personnes déplacées ou persécutées;

i) de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l’ordre public au Canada;

j) de promouvoir l’ordre et la justice sur le plan international en n’acceptant pas sur le territoire canadien des personnes susceptibles de se livrer à des activités criminelles.

L’alinéa 19(1)l) et le paragraphe 19(1.1) exposent claire­ment que toutes les personnes qui, à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement et qui, du fait de leurs fonctions, étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement, ne sont pas admissibles; mais, pour plus de clarté et pour aider à établir la preuve, celles qui sont énumérées aux alinéas a) à g) sont présumées avoir occupé des postes où elles sont ou étaient en mesure d’exercer une telle influence.

Elles doivent démontrer, par une preuve crédible ou fiable, qu’elles n’ont pas exercé une telle influence présumée, à défaut de quoi elles seront jugées non admissibles, « sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national »[4]. [Souligné dans l’original].

[19]      La Commission a alors procédé à l’analyse de l’appel interjeté au motif de raisons d’ordre humanitaire conformément à l’alinéa 77(3)b) de la Loi. La Commission a conclu, après analyse, de la façon suivante :

[traduction] Aucun argument n’a été présenté en ce qui concerne un appel fondé sur l’alinéa 77(3)b) « raisons d’ordre humanitaire ». Compte tenu de ce fait et des réserves précédemment soulevées, il n’est pas nécessaire de parvenir à une conclusion relativement à ce deuxième motif d’appel[5].

[20]      Ayant pris connaissance des témoignages et de la preuve documentaire, la Commission a conclu que le refus n’était pas valable en droit et l’appel a été accueilli conformément à l’alinéa 77(3)a) de la Loi, dans les termes suivants :

[traduction] Même si le tribunal n’est pas convaincu par la preuve présentée par l’appelante quant aux circonstan­ces en vertu desquelles son mari a quitté la Somalie, le tribunal trouve que la preuve de l’ancien ambassadeur des États-Unis est très convaincante. Ce dernier connaissait le mari de l’appelante personnellement et l’avait rencontré. La preuve de M. Crigler ne reposait pas simplement sur un ouï-dire, une rumeur, ou une connaissance de sa réputation. L’appelante n’a présenté aucune preuve pour discréditer la lettre de M. Crigler.

Le tribunal est convaincu vu la preuve que l’appelante a réussi à réfuter la présomption soulevée par l’alinéa 19(1)l). Le refus n’est donc pas valable en droit. Par conséquent, l’appel présenté aux termes de l’alinéa 77(3)a) est accueilli[6].

[21]      L’appelant a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission devant la Section de première instance. L’appelant était représenté par un avocat, mais l’intimée n’était pas représentée et n’a pas non plus assisté à l’audience.

[22]      La demande a été entendue devant le juge des requêtes de la Section de première instance. Contrairement au point de vue adopté devant la Commission, l’appelant, à l’audience devant le juge des requêtes, a soutenu que l’alinéa 19(1)l) de la Loi ne crée pas de présomption réfutable et aussi, que le mari de l’intimée tombe manifestement sous le coup de l’un des alinéas du paragraphe 19(1.1).

[23]      Le juge des requêtes [au paragraphe 4], sans analyse, en est arrivé à la conclusion suivante :

Aux termes de l’alinéa 19(1)l), sont personnes non admissibles :

l) celles qui, à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à des crimes de guerre ou contre l’humanité, au sens de l’art. 7(3.76) du Code criminel, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

L’intéressé est réputé occuper un rang élevé s’il relève de l’une des catégories visées à la définition du paragraphe 19(1.1), alinéas a) à g) :

(1.1) Les personnes visées par l’alinéa (1)l) sont celles qui, du fait de leurs présentes ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement, notamment :

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées, des services de renseignement ou de la sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomati­que de haut rang;

g) les juges.

Il ressort des preuves produites que le mari de l’intimée était un membre du gouvernement Barre et que de ce fait, il tombe sous le coup de l’art. 19(1)l).

[24]      Le juge des requêtes a alors traité la demande comme si la Commission avait conclu que le membre de phrase « sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national » à l’alinéa 19(1)l) de la Loi avait créé une présomption réfutable. En fait, la Commission n’a tiré aucune conclusion sur cet aspect de l’affaire. Une lecture attentive des motifs de la Commission montre qu’elle n’a pas tiré une telle conclusion[7].

[25]      Le juge des requêtes était évidemment impres­sionné par la lettre sur laquelle la Commission avait fondé sa conclusion selon laquelle l’intimée avait réfuté la présomption soulevée par l’alinéa 19(1)l) et le paragraphe 19(1.1) de la Loi. Il a donc rejeté la demande et a renvoyé l’affaire pour qu’elle soit traitée en conformité avec ses motifs. Par la suite, sur de­mande de réexamen, le juge des requêtes a certifié les trois questions mentionnées dans les motifs de mon collègue, disant que par inadvertance il les avait omises de son ordonnance formelle.

Analyse

[26]      Je suis du même avis que mes collègues quant aux réponses qu’ils proposent de donner aux questions un et deux. Je ne suis pas d’accord avec la réponse proposée pour la troisième question, pour les motifs qui suivent.

[27]      Au paragraphe 7 de ses motifs, mon collègue le juge Stone, J.C.A. fait la remarque suivante :

Selon l’interprétation que je fais des alinéas en litige, une fois qu’il est décidé que le mari de l’intimée a occupé le poste de ministre du cabinet dans le gouvernement somalien de Siad Barre, il est visé par l’alinéa 19(1.1)b) et devient donc non admissible au Canada sous le régime de l’alinéa 19(1)l), à moins que le ministre n’ait accepté de le soustraire à l’application de cet alinéa.

Pour parvenir à cette conclusion, mon collègue paraît avoir adhéré au point de vue de l’avocate de l’appelant, énoncé au paragraphe 6 des motifs de mon collègue :

Il [l’appelant] maintient que selon une interprétation juste de cet alinéa, une fois qu’il ressort qu’une personne exerce, ou a exercé, des fonctions énumérées aux alinéas 19(1.1)a) à g), cette personne devient automatiquement non admissible au Canada aux termes de l’alinéa 19(1)l). [Non souligné dans l’original.]

[28]      Par souci de commodité, je reproduis ici les paragraphes en litige :

19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

[…]

l) celles qui, à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement qui, de l’avis du ministre, se livre ou s’est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou à des crimes de guerre ou contre l’humanité, au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

[…]

(1.1) Les personnes visées par l’alinéa (1)l) sont celles qui, du fait de leurs présentes ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par leur gouvernement, notamment :

a) le chef d’État ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées, des services de renseignement ou de la sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomati­que de haut rang;

g) les juges.

[29]      Mes collègues et le juge des requêtes sont d’avis qu’une inscription aux alinéas a) à g) du paragraphe 19(1.1) fait automatiquement tomber une personne sous le coup de l’interdiction mentionnée à l’alinéa 19(1)l). La Commission n’était pas d’accord, disant que ce n’était pas automatique, et je suis du même avis. Le litige repose sur l’interprétation de l’alinéa 19(1)l).

[30]      À mon avis, la première question qui est soulevée dans un cas comme celui-ci où le juge des requêtes n’est pas d’accord avec la conclusion d’un tribunal administratif est de savoir quelle norme de contrôle le juge des requêtes a utilisée. C’est ce qui ressort clairement des préceptes de l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[8]. Bien que cet arrêt n’ait pas encore été rendu quand le juge des requêtes a rendu l’ordonnance ici contestée en appel, j’estime que le principe qu’il énonce régit notre démarche quant aux questions soulevées dans le présent appel.

[31]      Il est de droit constant que les questions d’interprétation des lois sont des questions de droit. Par conséquent, je suis d’avis qu’une cour siégeant en contrôle judiciaire peut appliquer la norme de la décision correcte, même si la question de droit tranchée par le tribunal ne comportait pas de question de compétence. Le juge des requêtes pouvait donc être en désaccord avec l’interprétation que la Commission a faite de l’alinéa 19(1)l) et du paragraphe 19(1.1) de la Loi. Notre Cour peut elle-même à son tour être en désaccord avec lui, si elle considère que son interpré­tation n’a pas accordé suffisamment d’importance à toutes les considérations pertinentes[9].

[32]      Étant donné que le présent appel soulève une question d’interprétation des lois, il pourrait être utile de citer le passage suivant, tiré de Driedger on the Construction of Statutes[10] :

[traduction] La règle moderne. Il n’existe qu’une seule règle d’interprétation moderne : les tribunaux sont tenus d’interpréter un texte législatif dans son contexte global, en tenant compte de l’objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d’interprétation, ainsi que des sources acceptables d’aide extérieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d’un texte législatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l’interprétation qui est appropriée. L’interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée en raison a) de sa plausibilité, c’est-à-dire sa conformité avec le texte législatif; b) de son efficacité, dans le sens où elle favorise la réalisation de l’objet du texte législatif; et c) de son acceptabilité, dans le sens où le résultat est raisonnable et juste.

[33]      Une caractéristique contextuelle est, évidemment, l’objet de la loi, figurant à l’article 3 de la Loi, qui prévoit notamment :

3. La politique canadienne d’immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en œuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité  :

[…]

c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l’étranger;

[…]

g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l’endroit des personnes déplacées ou persécutées.

Il s’agit en fait d’une loi rectificative. Nous sommes donc tenus de donner au libellé une interprétation propre à la réalisation de ses objectifs.

[34]      L’appel a été interjeté devant la Commission par la femme du droit du demandeur d’établissement qui était son répondant. Il a été présenté aux termes de l’alinéa 77(3)a) de la Loi. Ces appels sont régis par les dispositions de la Loi et par les règles de la section d’appel. Les règles prévoient une procédure contradictoire au cours de laquelle il peut y avoir des témoignages présentés de vive voix, et elles exigent que le ou les membres du tribunal devant qui l’appel est pré­senté entendent la preuve et les arguments et tranchent l’appel.

[35]      Il est clair pour moi à la lecture des paragraphes 19(1) et (1.1) de la Loi que, premièrement, la définition des personnes qui « à un rang élevé, font ou ont fait partie ou sont ou ont été au service d’un gouvernement » n’est pas exhaustive. Dans le cadre d’une audience, il faut que cela signifie que, pour réussir, le ministre doit démonter qu’une personne qui ne figure pas sur la liste au paragraphe 19(1.1), a) occupe un poste, et b) en raison de ce poste pouvait être en mesure d’influencer sensiblement l’exercice du pouvoir par son gouvernement. Si on supposait, par hypothèse, que le ministre présente une preuve qui, si elle demeurait irréfutée, pourrait amener un tribunal raisonnable ou le membre d’un tribunal à conclure que la personne a vraiment occupé le poste et qu’en raison de ce poste elle était en mesure d’exercer le degré d’influence nécessaire, la procédure contradictoire exigerait que la personne présente une preuve qui fasse pencher la balance en sa faveur, afin de ne pas tomber sous le régime de l’alinéa 19(1)l). En fait, j’ai présenté cette hypothèse à l’avocate du ministre lors de l’argumentation et, sans qu’elle lui ait attribué plus de valeur qu’elle n’en a, elle était d’accord. Elle a toutefois nié que cela s’appliquait aux personnes visées par les alinéas 19(1.1)a) à g). Elle n’a pas dit pourquoi, et j’ai moi-même de la difficulté à comprendre la distinction. Une telle interprétation serait incompatible avec les dispositions d’équité de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) et en contravention du but et des objectifs énoncés par la Loi. J’estime qu’une interprétation qui permet à toutes les personnes dont les demandes de parrainage ont été rejetées aux termes de l’alinéa 19(1)l) et du paragraphe 19(1.1) de la Loi de présenter une preuve qui, si on y prête foi, annulera la classification dans la catégorie non admissible prévue par l’alinéa 19(1)l) de la Loi est plus compatible avec des notions d’équité sous-jacentes à la Charte et aux objectifs énoncés par la Loi.

[36]      Prenons le cas d’un ambassadeur qui a été affecté à l’étranger du temps où le gouvernement mentionné à l’alinéa 19(1)l) est réputé avoir commis des crimes mentionnés à cet alinéa; ne devrait-on pas permettre à cette personne de démontrer, si elle le peut, qu’elle n’a pas influencé de façon significative l’exercice du pouvoir gouvernemental? Ou prenons le cas des juges, qui ne font pas partie du gouvernement au sens traditionnel; sont-ils automatiquement empêchés d’entrer au Canada simplement parce que leurs fonctions sont celles d’une personne énumérée au paragraphe 19(1.1) de la Loi? Je crois respectueusement que rien dans notre expérience ni dans notre tradition ne commande une telle interprétation. Il me semble plus compatible avec les objectifs de la Loi et avec nos normes constitutionnelles d’interpréter les paragraphes en question comme permettant aux personnes de produire une preuve qui, si on y prête foi, leur éviterait de tomber sous le coup de l’alinéa 19(1)l).

[37]      C’est ce qui s’est produit dans la présente affaire. L’intimée a présenté une preuve devant la Commission. Celle-ci y a prêté foi et a conclu que le refus n’était pas valable et a accueilli l’appel. Il est sans importance que l’on dise que le paragraphe 19(1.1) crée une présomption réfutable ou qu’il exige que le ministre fasse une preuve prima facie. Dans les deux cas, la personne dont l’admission a été refusée doit présenter une preuve qui, si on y prête foi, mènerait à la conclusion tirée par la Commission en l’espèce. Une telle interprétation ferait en sorte qu’il ne serait pas nécessaire d’avoir recours à une demande fondée sur l’alinéa 77(3)b) de la Loi.

[38]      Avant de terminer le présent appel, je souhaite faire une observation concernant le bien-fondé de l’affaire, qui paraît avoir troublé tous ceux qui l’ont pris en considération. Le dossier montre que le demandeur du droit d’établissement et sa famille ont été séparés pendant de nombreuses années. Sa femme et ses sept enfants vivent au Canada et y ont obtenu la citoyenneté. Le demandeur du droit d’établissement lui-même habite à Trond­heim en Norvè­ge. La présente affaire a débuté quand sa femme a cherché à parrainer sa demande de statut de résident permanent. En toute déférence, j’estime que ces circonstances et l’objet explicite de la Loi, de « faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l’étranger »[11], exigent que la présente affaire soit considérée avec plus d’attention que ne le laissent entendre, à mon avis, les motifs du juge des requêtes. Et ce, particulièrement parce qu’il n’y a aucun doute que le demandeur du droit d’établis­sement cherche à devenir résident permanent au Canada afin de s’acquitter de ses responsabilités envers sa famille.

[39]      Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel en partie, j’annulerais l’ordonnance du juge des requêtes et je rétablirais l’ordonnance rendue par la section d’appel.



*N.d.T. Dans la version anglaise de la disposition, le verbe convaincre est conjugué au passé (« have satisfied »).

[1] (1996), 36 Imm. L.R. (2d) 155 (S.A.I.), à la p. 157.

[2] 17 juillet 1995, A. M. Micillo (Arb.).

[3] Précité, note 1, à la p. 158.

[4] Ibid., aux p. 160 et 161.

[5] Ibid., à la p. 167.

[6] Ibid.

[7] Ibid., à la p. 158.

[8] [1998] 1 R.C.S. 982.

[9] Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, au par. 20.

[10] 3e éd. par Ruth Sullivan (Toronto : Butterworths, 1993), à la p. 131.

[11] L’art. 3c) de la Loi.

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