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[2001] 1 C.F. 591

IMM-2063-99

Hossein Tajgardoon (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Tajgardoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Division de première instance, juge Pelletier—Toronto, 5 juillet; Ottawa, 1er septembre 2000.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Résidents permanents — Contrôle judiciaire du refus de l’agent des visas d’accorder au demandeur un visa au motif qu’il n’avait pas les qualités personnelles nécessaires pour s’établir sur le plan économique au Canada — Le demandeur est un ingénieur civil et un ancien ambassadeur de l’Iran — L’agent des visas lui a accordé 5 points sur 10 au titre de la personnalité, en notant que le fait qu’il n’avait pas appris les langues locales pendant ses affectations à l’étranger reflétait négativement sur sa faculté d’adaptation — Il manquait au demandeur un point sur le total des points requis pour obtenir le statut de résident permanent — Les facteurs énumérés à l’annexe A, aux points 1 à 9, sont examinés uniquement dans la mesure où ils sont pertinents à la faculté d’adaptation, à la motivation et à l’esprit d’initiative, qui sont des facteurs sur lesquels est évaluée la personnalité — Pour ce qui concerne la faculté d’adaptation, l’agent n’est pas libre de ne tenir compte que d’un facteur isolé et de ne pas tenir compte du reste des antécédents professionnels — Les faiblesses linguistiques sont minimes en comparaison de la vaste expérience du demandeur dans différents domaines — Tenir compte de l’âge dans l’évaluation de la personnalité constitue une double prise en compte, qui n’est pas autorisée — La réalité du marché du travail à laquelle sont confrontés les travailleurs âgés est déjà prise en compte dans le nombre moins élevé de points accordés aux immigrants de plus de 44 ans.

Preuve — Les notes d’un agent des visas sont-elles admissibles en vertu de la règle 317, Règles de la Cour fédérale (1998) à titre de preuve? — La règle 317 prévoit qu’une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à sa demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis — Cette règle fournit simplement un mécanisme pour déposer le dossier devant la Cour — Dans le cas d’un réfugié, le dossier transmis à la Cour se limite au dossier du tribunal, et n’inclut ni les versions préliminaires des motifs ni les notes justificatives — Il est peu probable que les notes de l’agent des visas au STIDI fassent partie du dossier étant donné qu’elles ne font pas partie des renseignements dont est saisi l’agent des visas quand il prend sa décision, et participent davantage de la nature des motifs de la décision — Il n’y a pas de principe général selon lequel les motifs sont admissibles du simple fait de leur production — L’admissibilité est toujours fonction de la fin poursuivie — Dans les mains du défendeur, les notes constituent du ouï-dire — Pour constituer une preuve des faits auxquels elles font référence, les notes doivent être adoptées en tant que témoignage de l’agent des visas dans un affidavit — En vertu de la démarche fondée sur des principes concernant la preuve par ouï-dire, suivie par la C.S.C., le ouï-dire est admissible s’il peut répondre aux critères de nécessité et de fiabilité — Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Pratique — Affidavits — L’agent des visas est-il tenu de déposer un affidavit à l’appui des notes du STIDI, produites aux termes de la règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998) qui prévoit qu’une partie peut demander que des documents ou des éléments matériels pertinents à sa demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis — La règle 307 prévoit que le défendeur doit déposer et signifier les affidavits et pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa position — Il n’est tenu de déposer que les affidavits sur lesquels il entend s’appuyer — Les notes ne sont pas admissibles sur l’instance du défendeur étant donné qu’elles constituent du ouï-dire — Il faut qu’elles soient adoptées en tant que témoignage de l’agent des visas dans un affidavit pour constituer une preuve des faits auxquels elles font référence.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du refus de l’agent des visas d’accorder au demandeur un visa au motif que celui-ci n’avait pas les qualités personnelles qui lui permettraient de s’établir sur le plan économique au Canada. Le demandeur, citoyen iranien, est un ingénieur civil diplômé, a été ambassadeur de l’Iran aux Pays-Bas, chef du protocole au ministère iranien des Affaires étrangères, directeur général du plus important fabricant d’automobiles de l’Iran et, depuis 1994, il est directeur général adjoint de la société iranienne Offshore Engineering and Construction Company. L’entrevue avec l’agent des visas s’est déroulée en anglais. Après avoir convenu que le demandeur parlait, lisait et écrivait bien l’anglais, l’agent des visas lui a demandé de lire un paragraphe en anglais, et il lui a accordé six points sur neuf pour la maîtrise de l’anglais. L’agent des visas a attribué cinq points sur dix au demandeur au titre de la personnalité, notant que le fait de ne pas avoir appris les langues locales pendant ses affectations à l’étranger reflétait négativement sur sa faculté d’adaptation, et que l’absence d’effort pour communiquer avec des employeurs éventuels démontrait un manque d’initiative. Il manquait au demandeur un point pour obtenir les 70 points prescrits par le Règlement. L’agent des visas a indiqué que, même si le demandeur avait réussi à obtenir 70 points, il aurait exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le Règlement de refuser un visa au motif que le total des points ne reflétait pas avec exactitude les chances du demandeur de s’établir avec succès au Canada.

Les notes de l’agent des visas, que l’on appelle habituellement les notes du STIDI, ont été produites en vertu de la règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998). La règle 317 prévoit qu’une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis. Le demandeur a fait valoir qu’à moins que les faits consignés dans les notes ne soient établis par affidavit, ils ne font pas la preuve de la véracité de leur contenu étant donné qu’ils constituent du ouï-dire.

Les questions étaient les suivantes : 1) l’agent des visas est-il tenu de déposer un affidavit à l’appui des notes du STIDI? 2) les notes sont-elles admissibles en vertu de la règle 317 à titre de preuve? 3) l’agent des visas a-t-il commis une erreur dans son évaluation de la maîtrise de l’anglais ou de la personnalité du demandeur?

Jugement : la demande est accueillie.

1) La règle 307 prévoit que le défendeur doit déposer et signifier « les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa position ». Alors que la version anglaise de la règle est ambiguë, la version française indique clairement que le défendeur n’est tenu de déposer que les affidavits sur lesquels il entend s’appuyer. S’il n’en a pas, aucun ne sera déposé. Le demandeur doit rassembler la preuve dont il a besoin pour sa cause.

2) La règle 317 fournit simplement un mécanisme pour déposer le dossier devant la Cour. Quand on compare cette règle au mécanisme permettant de déposer le dossier devant la Cour dans un cas concernant un réfugié, la règle 17 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration prévoit la production d’une copie certifiée du dossier du tribunal, qui se limite aux éléments matériels produits devant le tribunal aux fins de sa décision et n’inclut ni les versions préliminaires des motifs ni les notes justificatives. Si la version préliminaire des motifs ne fait pas partie du dossier, il est peu probable que les notes du STIDI en fassent partie. Ces notes ne font pas partie des renseignements dont est saisi l’agent des visas quand il prend sa décision, et participent davantage de la nature des motifs de la décision. Il n’y a pas de principe général selon lequel les motifs sont admissibles du simple fait de leur production. L’admissibilité est toujours fonction de la fin poursuivie. Le demandeur aura tendance à utiliser le contenu des notes du STIDI pour démontrer que l’agent des visas a mal agi d’une façon ou d’une autre. Quant au défendeur, il se servira des mêmes notes pour appuyer sa prétention selon laquelle tous les facteurs pertinents ont été examinés. La conclusion qui en découle, selon le droit de la preuve, c’est que les notes du STIDI seraient admissibles sur l’instance du demandeur à titre d’aveux, mais qu’elles ne seraient pas admissibles à la demande du défendeur parce qu’elles sont des déclarations intéressées constituant du ouï-dire. Pour que les notes du STIDI soient considérées comme une preuve des faits auxquels elles font référence, elles doivent être adoptées en tant que témoignage de l’agent des visas dans un affidavit. La Cour suprême du Canada a décidé de suivre une démarche fondée sur des principes concernant l’admissibilité de la preuve par ouï-dire, en vertu de laquelle le ouï-dire est admissible s’il peut répondre aux critères de nécessité et de fiabilité. On peut présumer que le défendeur ferait valoir que l’inconvénient découlant de la préparation des affidavits par les agents des visas disséminés dans toutes les parties du monde répond au critère de nécessité. Mais il est probablement plus facile pour le défendeur d’obtenir un affidavit d’un de ses agents, qu’il n’est facile pour le demandeur qui se trouve aussi à l’étranger de trouver quelqu’un pour préparer son affidavit. Dans le cours normal des choses, le critère de nécessité ne serait pas respecté. L’exigence d’une quelconque garantie circonstancielle concernant la crédibilité est plus problématique. Pour que le document soit admissible dès sa production, les faits nécessaires à la démonstration d’une garantie circonstancielle de crédibilité doivent se trouver dans le document lui-même. Et cela équivaut à s’appuyer sur un document dont la fiabilité n’est pas connue pour prouver que ce même document est fiable. Il s’agit d’un argument circulaire mais il est clair que ce raisonnement ne devrait pas être accepté.

3) L’évaluation de l’agent des visas concernant le niveau de compétence du demandeur en anglais ne devrait pas être modifiée étant donné qu’il a eu la possibilité d’entendre le demandeur et de lui parler. La personnalité se fonde sur la faculté d’adaptation, la motivation, l’esprit d’initiative, l’ingéniosité et d’autres qualités semblables. Il est possible de tenir compte sous cette rubrique de certains des facteurs énumérés aux points 1 à 9 de l’Annexe I, mais uniquement dans la mesure où ils sont pertinents à ces qualités. Il est douteux que le fait que le demandeur n’ait pas appris le néerlandais ou l’allemand soit une indication de sa faculté d’adaptation, puisqu’il avait réussi à apprendre l’anglais et à communiquer dans cette langue. En considérant la faculté d’adaptation, l’agent des visas n’est pas libre de ne tenir compte que d’un facteur isolé et de ne pas tenir compte du reste des antécédents professionnels d’un demandeur. Les faiblesses linguistiques du demandeur semblent minimes en comparaison de sa vaste expérience dans différents domaines.

En outre, quand l’agent des visas a tenu compte de l’âge dans son évaluation de la personnalité, il a doublement pris ce facteur en compte d’une façon qui n’est pas permise. L’âge n’est pas pertinent pour déterminer la faculté d’adaptation, la motivation, l’esprit d’initiative, l’ingéniosité ou d’autres qualités semblables. La réalité du marché du travail à laquelle sont confrontés les travailleurs âgés est déjà prise en compte dans le nombre moins élevé de points qui sont attribués aux immigrants de plus de 44 ans.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règlement sur l’immigration de 1978, DORS/78-172, ann. I.

Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration, DORS/93-22, règles 4 (mod. par DORS/98-235, art. 2), 5(2), 17.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 307, 317.

JURISPRUDENCE

DÉCISION APPLIQUÉE :

Wang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 C.F. 165 (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 178; 121 N.R. 243 (C.A.).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Awwad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 162 F.T.R. 209 (C.F. 1re inst.); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 F.T.R. 278 (C.F. 1re inst.); Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 3 Imm. L.R. (3d) 212 (C.F. 1re inst.); R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; (1990), 59 C.C.C. (3d) 92; 79 C.R. (3d) 1; 113 N.R. 53; 41 O.A.C. 353; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; (1992), 94 D.L.R. (4th) 590; 75 C.C.C. (3d) 257; 15 C.R. (4th) 133; 139 N.R. 323; 55 O.A.C. 321; R. c. K.G.B., [1993] 1 R.C.S. 740 (1993), 79 C.C.C. (3d) 257; 19 C.R. (4th) 1; 61 O.A.C. 1.

DÉCISIONS CITÉES :

Amir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 125 F.T.R. 158 (C.F. 1re inst.); Fung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 164; 121 N.R. 263 (C.A.F.); Gaffney c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 185; 121 N.R. 256 (C.A.F.); L’Église anglicane du Canada, diocèse de Montréal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 38 Imm. L.R. (2d) 276 (C.F. 1re inst.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; (1999), 174 D.L.R. (4th) 193; 14 Admin. L.R. (3d) 173; 1 Imm. L.R. (3d) 1; 243 N.R. 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lau (1999), 164 F.T.R. 64; 46 Imm. L.R. (2d) 173 (C.F. 1re inst.); Weerasinge c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 330 17 Admin. L.R. (2d) 214; 22 Imm. L.R. (2d) 1; 161 N.R. 200 (C.A.); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1080 (1re inst.) (QL).

DOCTRINE

Sopinka, John et al. The Law of Evidence in Canada, 2nd ed. Markham, Ont. : Butterworths, 1999.

DEMANDE de contrôle judiciaire du refus d’un agent des visas d’accorder au demandeur un visa au motif qu’il n’avait pas les qualités personnelles qui lui permettraient de s’établir sur le plan économique au Canada. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Stephen W. Green, pour le demandeur.

Susan Nucci, pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green & Spiegel, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Pelletier : Hossein Tajgardoon, demandeur, est un citoyen iranien qui souhaite immigrer au Canada. L’agent des visas qui a traité sa demande a conclu qu’il n’avait pas les qualités personnelles qui lui permettraient de s’établir sur le plan économique au Canada. Cela ne le distingue pas des nombreux autres candidats à l’immigration au Canada. Ce qui le distingue vraiment, c’est qu’il est ingénieur civil diplômé, qu’il a été ambassadeur de l’Iran aux Pays-Bas de 1984 à 1987, chef du protocole au ministère iranien des Affaires étrangères de 1987 à 1990, directeur général de la société Khodro d’Iran (le plus important fabricant d’automobiles en Iran) de 1991 à 1994 et que, depuis 1994, il est directeur général adjoint de la société iranienne Offshore Engineering and Construction Company. Si cet homme manque de qualités personnelles, quel espoir de satisfaire à nos exigences en matière de visa peuvent entretenir les demandeurs dont les réalisations sont plus modestes?

[2]        M. Tajgardoon a été interrogé par l’agent des visas à l’ambassade du Canada à Damas, en Syrie. Son témoignage indique que l’entrevue s’est déroulée tout en anglais sans l’aide d’un interprète. L’agent des visas n’a eu aucune difficulté à le comprendre et il a réussi à répondre à toutes les questions qui lui ont été posées. Dans son affidavit, il déclare qu’il parle couramment l’anglais. D’après les notes de l’agent des visas, ce dernier a demandé à M. Tajgardoon quel était son niveau de compétence en anglais et, après quelque discussion, ils ont convenu que M. Tajgardoon parlait, lisait et écrivait bien l’anglais. Malgré cette évaluation conjointe, l’agent des visas lui a ensuite demandé de lire un paragraphe en anglais. L’agent des visas indique dans son évaluation que [traduction] « la lecture était difficile et [qu’] il n’a pu résumer avec exactitude le passage qu’il a lu. La cote “Bien” qui lui est attribuée ici est généreuse ». Sur la foi de cette évaluation, le demandeur a obtenu six (6) points sur un maximum de neuf (9) points possibles pour la maîtrise de l’anglais.

[3]        L’agent des visas a ensuite évalué la personnalité du demandeur, et noté qu’il était un ancien diplomate. Il lui a demandé s’il parlait le néerlandais ou l’allemand (pendant ses trois années au service de la Khodro d’Iran, il travaillait à l’usine de la société à Dusseldorf, en Allemagne) et le demandeur a répondu qu’il ne parlait aucune de ces langues. Quand l’agent lui a demandé pourquoi il n’avait pas appris la langue locale au cours de ses affectations à l’étranger, le demandeur a répondu qu’il communiquait en anglais. L’agent des visas a indiqué que cela reflétait la faculté d’adaptation du demandeur. L’agent des visas s’est assuré que le demandeur n’avait fait aucun effort pour communiquer avec des employeurs éventuels, ce qui, à son avis, démontrait un manque d’initiative. À la question concernant l’effet que son âge pouvait avoir sur son employabilité, le demandeur [traduction] « a répondu de façon quelque peu arrogante qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter ». Dans l’ensemble, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’était pas « une personne très agréable » ce qui, à son avis, aurait un impact négatif sur sa capacité de faire valoir ses compétences sur le marché du travail. Il a donc attribué au demandeur cinq (5) points sur dix (10) au titre de la personnalité, ce qui constitue une évaluation de la capacité du demandeur de s’établir avec succès au Canada[1].

[4]        Les points attribués au demandeur dans le barème d’évaluation prescrit en vertu de l’annexe I du Règlement sur l’immigration de 1978 [DORS/78-172] sont les suivants :

Âge

04

Profession

05

Préparation professionnelle spécifique

17

Expérience

08

Emploi réservé

00

Facteur démographique

08

Études

16

Anglais

06

Français

00

Parents

00

Personnalité

Total

05

69

[5]        Il manquait donc au demandeur un point pour obtenir les soixante-dix (70) points prescrits par le Règlement. Par conséquent, le nombre peu élevé de points dans les catégories de l’anglais et de la personnalité a beaucoup d’importance. Toutefois, l’agent a indiqué que, même si le demandeur avait réussi à obtenir soixante-dix (70) points, il aurait exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère le Règlement de refuser un visa au motif que le total des points ne reflète pas avec exactitude les chances du demandeur de s’établir avec succès au Canada.

[6]        Le demandeur a soulevé un point préliminaire concernant l’absence d’affidavit de l’agent des visas et l’importance qu’il fallait accorder aux notes de ce dernier, que l’on appelle habituellement les notes du STIDI (Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration). Il soutient que les notes du STIDI, qui sont produites en vertu de la règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], ne font pas la preuve de la véracité de leur contenu puisqu’elles constituent un exemple typique de ouï-dire, c’est-à-dire une affirmation extrajudiciaire offerte comme preuve de son contenu. Le demandeur fait valoir qu’à moins que les faits consignés dans les notes ne soient établis par affidavit, ils ne constituent pas une preuve devant la Cour et ne peuvent être utilisées par le défendeur à l’appui de sa cause. Subsidiairement, le demandeur souligne le fait qu’en l’absence d’un affidavit il n’est pas possible de contre-interroger l’agent des visas concernant les notes du STIDI. Étant donné qu’en présentant sa demande à la Cour le demandeur doit courir le risque d’être contre-interrogé, le défendeur devrait être soumis à la même obligation.

[7]        Le défendeur fait valoir que le dossier du tribunal, y compris les notes du STIDI, constituent une preuve dont l’importance doit être évaluée en regard des autres éléments de preuve dont est saisie la Cour de sorte qu’une affirmation consignée dans les notes du STIDI est crédible à moins qu’elle ne soit contredite par d’autres éléments de preuve. La crédibilité des notes découle du fait qu’elles sont consignées au moment où se produisent les événements dont elles font état. La dernière affirmation peut fort bien être vraie, mais la seule preuve de sa véracité se trouve dans les notes elles-mêmes.

[8]        Le demandeur s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Wang c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 2 C.F. 165 (C.A.), qui traitait de l’admissibilité d’une note d’un agent des visas concernant le souvenir qu’il avait de certains événements, note qui avait été rédigée après le fait et qui était annexée comme pièce justificative à l’affidavit d’un agent d’immigration. Le juge Mahoney de la Cour d’appel fédérale a conclu que rien ne justifiait de s’écarter des règles de preuve habituelles étant donné qu’il n’est pas plus difficile pour l’agent des visas de préparer un affidavit que ce ne l’est pour le demandeur. Dans la mesure où le demandeur est tenu de faire un affidavit pour que sa version des événements puisse être produite devant la Cour, ce qui l’expose à un contre-interrogatoire, il n’y a pas de raison de permettre au défendeur de présenter sa version des faits à la Cour sans le soumettre aux mêmes obligations. L’arrêt Wang, précité, a été suivi dans de nombreuses causes notamment Fung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 164 (C.A.F.); Gaffney c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 12 Imm. L.R. (2d) 185 (C.A.F.); L’Église anglicane du Canada, diocèse de Montréal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1997), 38 Imm. L.R. (2d) 276 (C.F. 1re inst.), pour n’en nommer que quelques-unes.

[9]        Le défendeur s’appuie sur deux causes récentes dans lesquelles des juges de la Section de première instance de la Cour fédérale ont conclu que le défendeur n’avait aucunement l’obligation de déposer un affidavit. Dans la décision Awwad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 162 F.T.R. 209 (C.F. 1re inst.), le juge Teitelbaum a refusé de certifier une question quant à savoir si les notes du STIDI étaient admissibles en l’absence d’un affidavit attestant la véracité de leur contenu. Le juge Teitelbaum a statué que les parties avaient l’obligation de présenter leurs causes comme elles le jugeaient approprié. C’était au défendeur qu’il incombait de décider s’il souhaitait déposer un affidavit. Cette explication élude la question de la valeur probante qu’il faut donner aux notes du STIDI en l’absence d’un affidavit déposé à l’appui de la véracité de leur contenu.

[10]      Dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 166 F.T.R. 278 (C.F. 1re inst.) (Wang II), le juge Blais a conclu que le défendeur n’était nullement tenu de déposer un affidavit et que le dossier constituait une preuve à l’appui de la décision de l’agent des visas. Le juge Blais s’est appuyé sur la décision Awwad, précitée, pour en venir à cette conclusion.

[11]      Finalement, la question a été examinée par le juge Reed dans Chou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 3 Imm. L.R. (3d) 212 (C.F. 1re inst.), décision dans laquelle ma collègue a fait l’historique de cette question depuis que la Cour d’appel fédérale s’est prononcée dans l’arrêt Wang, précité. Elle a exprimé son hésitation à suivre les décisions Awwad et Wang II, précitées, en l’absence de toute indication que ces décisions avaient été prises au regard de la jurisprudence sur la question établie par la Cour d’appel fédérale. Elle a conclu que les notes du STIDI ne constituaient pas une preuve de leur contenu en l’absence d’affidavit. Toutefois, elle a conclu qu’elles étaient admissibles en tant que motifs de la décision conformément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[12]      La règle 307, traitant tout d’abord de l’obligation de produire un affidavit, prévoit que le défendeur doit déposer et signifier « les affidavits et les pièces documentaires qu’il entend utiliser à l’appui de sa position » (« any supporting affidavits and documentary exhibits »). Alors que la version anglaise de la règle est ambiguë, la version française indique clairement que le défendeur n’est tenu de déposer que les affidavits sur lesquels il entend s’appuyer[2]. S’il n’y en a pas, aucun ne sera déposé. Cela est conforme à la position adoptée par le juge Teitelbaum dans la décision Awwad, précitée, selon laquelle il incombe au demandeur de rassembler la preuve dont il a besoin pour sa cause.

[13]      La question suivante est celle de l’admissibilité des documents produits aux termes de la règle 317. La règle précise ce qui suit :

317. (1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l’office fédéral dont l’ordonnance fait l’objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l’office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

[14]      La portée limitée de la règle ressort clairement quand on la compare à la règle 17 des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration [DORS/93-22], qui énonce ce qui suit :

17. Dès réception de l’ordonnance visée à la règle 15, le tribunal administratif constitue un dossier composé des pièces suivantes, disposées dans l’ordre suivant sur des pages numérotées consécutivement :

a) la décision, l’ordonnance ou la mesure visée par la demande, ainsi que les motifs écrits y afférents;

b) tous les documents pertinents qui sont en la possession ou sous la garde du tribunal administratif,

c) les affidavits et autres documents déposés lors de l’audition,

d) la transcription, s’il y a lieu, de tout témoignage donné de vive voix à l’audition qui a abouti à la décision, à l’ordonnance, à la mesure ou à la question visée par la demande,

dont il envoie à chacune des parties une copie certifiée conforme par un fonctionnaire compétent et au greffe deux copies de ces documents.

[15]      Quand on compare les deux règles, il est manifeste que la règle 17 prévoit la production d’une copie certifiée du dossier du tribunal, alors que la règle 317 fournit simplement un mécanisme permettant à une partie d’obtenir des documents qui ne sont pas en sa possession afin qu’elle puisse déposer le dossier devant la Cour. Mais, même en vertu de la règle 17, le dossier se limite aux éléments matériels produits devant le tribunal aux fins de sa décision et n’inclut ni la version préliminaire des motifs ni les notes justificatives. Voir Weerasinge c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 330 (C.A.).

[16]      La règle 4 [mod. par DORS/98-235, art. 2] des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration prévoit que, sauf dans les cas où elles sont incompatibles avec la Loi, diverses parties des Règles de la Cour fédérale (1998) s’appliquent aux contestations des décisions des agents des visas. L’une des parties qui s’applique à de telles demandes est la partie 5, qui traite des demandes et dans laquelle se trouve la règle 317. Personne n’a laissé entendre qu’il y avait quelque incompatibilité. Par conséquent, la procédure à suivre pour présenter un dossier devant la Cour n’est pas la même dans un cas concernant un agent des visas et dans un cas concernant un réfugié.

[17]      En outre, si la version préliminaire des motifs ne fait pas partie du dossier, il est peu probable que les notes du STIDI en fassent partie. Ces notes ne font pas partie des renseignements dont est saisi l’agent des visas quand il prend sa décision au même titre que le dossier du demandeur concernant ses études ou son emploi. Les notes du STIDI sont des documents de gestion interne et non pas des documents communiqués à l’agent des visas par les parties. Comme le signalait le juge Reed dans la décision Chou, précitée, les notes du STIDI participent davantage de la nature des motifs de la décision, même si, dans le cas d’un visa, le demandeur aura reçu une lettre l’informant des raisons pour lesquelles sa demande a été refusée.

[18]      Mais le fait d’affirmer que les notes du STIDI sont des motifs ne règle pas la question de leur admissibilité. Il n’y a pas de principe général selon lequel les motifs sont admissibles du simple fait de leur production. L’admissibilité est toujours fonction de la fin poursuivie. Le demandeur aura tendance à utiliser le contenu des notes du STIDI pour démontrer que l’agent des visas a mal agi d’une façon ou d’une autre. Quant au défendeur, il se servira des mêmes notes pour appuyer sa prétention selon laquelle tous les facteurs pertinents ont été examinés. Dans le jargon du droit de la preuve, on pourrait dire que le demandeur s’appuie sur des aveux décelés dans les notes, alors que le défendeur cherche à utiliser des déclarations intéressées faites dans un document extrajudiciaire dont l’auteur n’est pas disponible aux fins du contre-interrogatoire. Il faudrait tirer d’une analyse traditionnelle du droit la conclusion que les notes du STIDI seraient admissibles sur l’instance du demandeur à titre d’aveux, mais qu’elles ne seraient pas admissibles à la demande du défendeur parce qu’elles sont des déclarations intéressées constituant du ouï-dire.

[19]      Il y a une objection technique à cette analyse selon laquelle le défendeur, soit le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, n’est pas l’agent des visas et que les aveux ne sont admissibles que contre la partie qui les a faits[3]. Le ministre est le défendeur en sa qualité d’endosseur de la décision, et non pas en tant que personne responsable du fait de l’agent des visas[4]. Mais, cette objection technique ne doit pas servir à occulter la réalité de la situation. C’est la décision de l’agent des visas qui est contestée. Ce qu’affirme l’agent des visas au sujet de la décision ou des circonstances dans lesquelles elle a été prise est certainement pertinent quant à la question de la légitimité de cette décision. Le fait que les aveux proviennent de l’agent des visas soulève les mêmes arguments au sujet de leur admissibilité que la question des aveux faits par une partie[5]. En tant qu’endosseur de la décision, le défendeur n’a aucun intérêt dans le litige au-delà de la protection de l’intégrité de la décision. Il ne s’agit pas d’un cas où l’on essaie de considérer l’aveu d’une personne comme étant celui d’une autre. Pour toutes ces raisons, il est raisonnable d’aller au-delà de l’argument technique pour toucher le fond de la question et de conclure que le contenu des notes du STIDI est admissible à l’encontre du défendeur en tant qu’aveux faits par l’agent des visas dont le défendeur cherche à maintenir la décision.

[20]      Toutefois, le défendeur n’est pas en mesure de s’appuyer sur les notes du STIDI comme faisant foi de leur contenu parce qu’il s’agit d’un cas typique de ouï-dire. Elles ne sont pas admissibles en tant que pièces commerciales en l’absence d’une preuve qui établit qu’elles satisfont aux conditions d’admissibilité des pièces commerciales. Pour que les notes du STIDI soient considérées comme une preuve des faits auxquels elles font référence, elles doivent être adoptées en tant que témoignage de l’agent des visas dans un affidavit.

[21]      Bien que la question n’ait pas été débattue devant moi, le résultat est le même si l’on analyse le problème à la lumière de la trilogie des décisions de la Cour suprême du Canada traitant de la preuve par ouï-dire : R c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. K.G.B., [1993] 1 R.C.S. 740. Dans chacune de ces affaires, la Cour suprême devait traiter d’un problème portant sur une exception traditionnelle à la règle du ouï-dire : le témoignage d’une mère au sujet de ce que son jeune enfant lui avait dit concernant une agression sexuelle dans l’arrêt Khan, précité, la déclaration faite par la victime du meurtre à sa mère concernant sa crainte de l’accusé, dans Smith, précité, et les déclarations antérieures incompatibles dans l’arrêt K.G.B., précité. En traitant de ces questions, la Cour suprême s’est écartée de la démarche traditionnelle concernant la preuve par ouï-dire, selon laquelle cette preuve est inadmissible à moins qu’elle puisse être considérée comme étant visée par l’une des exceptions reconnues au ouï-dire, pour, concernant l’admissibilité de la preuve par ouï-dire, suivre une démarche fondée sur des principes. En vertu de cette démarche fondée sur des principes, le ouï-dire est admissible s’il peut répondre aux critères de nécessité et de fiabilité. Si l’on ne peut obtenir le témoignage de la personne qui a fait la déclaration extrajudiciaire, et que les circonstances dans lesquelles cette déclaration a été faite mènent à la conclusion que la déclaration est probablement vraie, alors le ouï-dire est admissible, qu’il soit ou non visé par l’une des exceptions traditionnelles.

[22]      Les notes du STIDI répondent-elles aux critères de nécessité et de fiabilité de sorte qu’elles pourraient être admissibles comme preuve de leur contenu à la demande du défendeur[6]? La première question est celle de la nécessité. On peut présumer que le défendeur ferait valoir que l’inconvénient découlant de la préparation des affidavits par les agents des visas disséminés dans toutes les parties du monde répond au critère de nécessité. Cette question a été soulevée et tranchée dans l’arrêt Wang, précité. Il est probablement plus facile pour le défendeur d’obtenir un affidavit d’un de ses agents, qu’il n’est facile pour le demandeur qui se trouve aussi à l’étranger de trouver quelqu’un pour préparer son affidavit. Dans le cours normal des choses, le critère de nécessité ne serait pas respecté. L’exigence d’une quelconque garantie circonstancielle concernant la crédibilité est plus problématique. Pour que le document soit admissible dès sa production, les faits nécessaires à la démonstration d’une garantie circonstancielle de crédibilité doivent se trouver dans le document lui-même. Mais cela équivaut à s’appuyer sur un document dont la fiabilité n’est pas connue pour prouver que ce même document est fiable. Il s’agit d’un raisonnement circulaire et il est clair que ce raisonnement ne devrait pas être accepté. Le résultat est le même quelle que soit la démarche utilisée.

[23]      Si l’on aborde maintenant le fond de la demande, le demandeur prétend que l’évaluation de sa maîtrise de l’anglais est incorrecte étant donné que toute l’entrevue s’est déroulée en anglais. En outre, il fait valoir que sa déclaration sous serment selon laquelle il parle anglais couramment doit être considérée comme étant plus crédible que les observations, non faites sous serment, que l’agent des visas a consignées dans ses notes, au cas où elles seraient admissibles. Je ne suis pas disposé à modifier l’évaluation de l’agent des visas concernant le niveau de compétence du demandeur en anglais. L’agent des visas a eu la possibilité d’entendre le demandeur et de lui parler. La preuve par affidavit du demandeur est intéressée, pour dire le moins. Je ne suis pas disposé à modifier cette conclusion.

[24]      L’annexe I du Règlement sur l’immigration de 1978 définit les différents facteurs du barème d’évaluation et précise les points qu’il faut leur attribuer. Sous le facteur personnalité, des points d’appréciation sont attribués au demandeur au cours d’une entrevue qui permet de déterminer « si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de s’établir avec succès au Canada, d’après la faculté d’adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d’initiative, son ingéniosité et d’autres qualités semblables »[7]. Il est possible de tenir compte sous cette rubrique de certains des facteurs énumérés aux articles 1 à 9 de l’annexe I, mais uniquement dans la mesure où ils sont pertinents quant aux questions de l’adaptation, de la motivation, de l’esprit d’initiative, etc. :

Le fait de compter en double de la part de l’agente des visas serait une erreur de droit. Autrement dit, les facteurs déterminés tels que les études, la langue, la demande dans la profession ou un des cinq autres facteurs prévus à l’annexe I qui sont déjà évalués séparément ne peuvent pas être comptés en double lors de l’appréciation de la personnalité du demandeur [voir la note 2 ci-dessous]. Ces facteurs peuvent être pris en considération dans le facteur personnalité, mais seulement dans la mesure où ils permettent de déterminer des qualités du demandeur et notamment sa faculté d’adaptation, sa motivation, son esprit d’initiative et son ingéniosité. Par exemple, le demandeur qui habite un pays anglophone pendant plusieurs années sans y apprendre la langue fait preuve d’une moins grande faculté d’adaptation. Un agent des visas ne commet pas d’erreur en tenant compte des facteurs distincts dans cette optique. [Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1080 (1re inst.) (QL), au par. 6].

[25]      Il y a des éléments de preuve qui permettraient de conclure que le demandeur n’a pas fait preuve de beaucoup d’initiative dans sa recherche d’un emploi au Canada. Il est plus douteux que le fait que le demandeur n’ait pas appris le néerlandais ou l’allemand soit une indication de sa faculté d’adaptation, puisqu’il a réussi à apprendre l’anglais et à communiquer dans cette langue. En considérant la faculté d’adaptation, l’agent des visas n’est pas libre de ne tenir compte que d’un facteur isolé et de ne pas tenir compte du reste des antécédents professionnels d’un demandeur. Il semblerait quelque peu ironique qu’on reproche à un homme qui a été ambassadeur d’un grand pays du Moyen-Orient dans une capitale européenne, directeur général d’une importante entreprise industrielle et directeur général adjoint d’une grande société de construction et de génie de manquer de faculté d’adaptation. Ses faiblesses linguistiques, quelles qu’elles soient, semblent minimes en comparaison de sa vaste expérience dans différents domaines.

[26]      En outre, quand l’agent des visas a tenu compte de l’âge dans son évaluation de la personnalité, il a doublement pris ce facteur en compte d’une façon qui n’est pas permise. L’âge n’est pas pertinent pour déterminer la faculté d’adaptation, la motivation, l’esprit d’initiative, l’ingéniosité ou d’autres qualités semblables. La réalité du marché du travail à laquelle sont confrontés les travailleurs âgés est déjà prise en compte dans le nombre moins élevé de points qui sont attribués aux immigrants de plus de 44 ans. Le demandeur a perdu six (6) points sur dix (10) parce qu’il a plus de quarante-quatre (44) ans. Il ne doit pas en perdre d’autres pour la même raison sous le facteur de la personnalité.

[27]      Une ordonnance sera rendue dans dix jours dans laquelle la décision de l’agent des visas sera annulée et l’affaire sera renvoyée pour être réexaminée par un autre agent des visas.

[28]      Entre-temps, les parties peuvent proposer une question aux fins de la certification.



[1]  Amir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 125 F.T.R. 158 (C.F. 1re inst.).

[2]  Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lau (1999), 164 F.T.R. 64 (C.F. 1re inst.).

[3]  Sopinka, Lederman et Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Butterworths, Toronto, 1999, au par. 6.292

[4]  Règle 5(2) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d’immigration énonce que ce qui suit : sauf dans un cas où il est lui-même le demandeur, le ministre est le défendeur dans toute demande.

[5]  Sopinka, précité, note 3.

[6]  La démarche relative à l’exception fondée sur des principes ne rend pas inadmissible ce qui aurait auparavant été admissible. Par conséquent, les aveux continuent d’être admissibles contre la partie qui les a faits, à la demande de la partie adverse.

[7]  « the personal suitability of the person and his dependants to become successfully established in Canada based on the person’s adaptability, motivation, initiative, resourcefulness and other similar qualities ».

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