Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2001] 1 C.F. 3

IMM-546-99

Nabil Bouguettaya (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Bouguettaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Lemieux— Montréal, 28 octobre 1999; Ottawa, 22 juin 2000.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la section du statut de la CISR a rejeté une demande relative à la tenue d’une nouvelle audience — La demande de sursis militaire du demandeur était imprimée sur du papier blanc — La preuve documentaire montre que la carte de dispense pour les fins du sursis militaire en Algérie est de couleur jaune — Le demandeur explique qu’elle lui a été délivrée alors qu’il avait le statut d’enseignant et non d’étudiant — On lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié au motif d’absence de crédibilité — Le tribunal a reconnu que des attestations de sursis imprimées sur des feuilles de papier ont été délivrées au moins depuis 1998 par les autorités algériennes, en remplacement des cartes de couleur jaune, mais n’a pas conclu à la violation des principes de justice naturelle parce qu’au moment où la cause a été entendue et lors du délibéré, la preuve documentaire n’a pas été contredite — Demande accueillie — Violation des principes de justice naturelle — 1) Le tribunal n’a pas tenu compte d’autres décisions de la section du statut dans lesquelles on a accordé la reconnaissance du statut de réfugié aux demandeurs algériens présentant des sursis sur du papier blanc — Lorsqu’une formation de la section du statut décide de conclure différemment d’une autre formation du même tribunal sur des questions de droit et de faits semblables, elle se doit de faire les distinctions qui s’imposent pour éviter les décisions arbitraires et injustes — 2) Le tribunal ne pouvait conclure que la preuve documentaire n’a pas été contredite par le demandeur au moment de l’audition de sa cause puisque ce dernier a expliqué pourquoi son sursis était sur papier blanc — Le tribunal a mal apprécié le fait que l’information sur les sursis était fondée sur une conversation téléphonique datant de 1993 — 3) Le tribunal a trop restreint la portée du concept de la violation des principes de justice naturelle — Le fait que l’information ne soit pas connue et ne semble pas être en vigueur au moment où la cause a été entendue se rattache au concept de faits nouveaux plutôt qu’à la notion de la violation des principes de justice naturelle — La portée du concept de violation des principes de justice naturelle est plus large et se rattache à la notion de la justice fondamentale, un principe dont le contenu est variable et dépend des circonstances et peut inclure un vice de preuve.

Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a rejeté une requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience. La revendication du statut de réfugié du demandeur a été rejetée le 28 novembre 1997. Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de ladite décision a été rejetée le 2 avril 1998. Le 23 novembre 1998, le demandeur a déposé une requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience, alléguant que dans la décision du 28 novembre 1997 certains commissaires s’étaient fondés sur une preuve documentaire qui contenait, au jour de l’audience, des informations fausses ou inexactes. Le demandeur prétend que les commissaires lui ont refusé la reconnaissance du statut de réfugié au motif d’absence de crédibilité fondée sur une contradiction liée à la preuve documentaire. Le demandeur précise que ce nouvel élément de preuve n’existait pas ni au jour de l’audience, ni à la date de la décision du tribunal. Le tribunal a indiqué que la pièce A-13 montrait que le sursis militaire en Algérie (carte de dispense) est de couleur jaune clair. Le demandeur avait déposé lors de l’audience un sursis militaire imprimé sur du papier blanc, émis le 26 décembre 1995. Le 13 mars 1998 (quatre mois après que les commissaires eurent rendu leur décision), en réponse à une question que le demandeur lui avait posée, la section des services de renseignements de la CISR a indiqué que les attestations étaient provisoirement imprimées sur des feuilles de papier. Le demandeur soutient que cette réponse contredisait la pièce A-13, un document annexé à une réponse fournie suite à une demande de renseignements sur le service militaire en Algérie, qui à son tour renvoie à un document suisse citant un entretien téléphonique avec un représentant de l’Ambassade d’Algérie à Ottawa en 1993 comme sa source de renseignements. Le demandeur soutient que l’information utilisée pour lui refuser le statut de réfugié était fausse depuis le 26 décembre 1994 au moins. Le demandeur a également fait mention d’autres dossiers dans lesquels la section du statut, en 1998, a accordé la reconnaissance du statut de réfugié aux insoumis présentant des sursis sur du papier blanc. Rejetant la requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience, la Commission a reconnu que des attestations de sursis imprimées sur des feuilles de papier ont été délivrées depuis mars 1998 au moins par les autorités algériennes, en remplacement de celles qui ont été émises sous la forme d’une carte de couleur jaune clair, mais n’a pas conclu à la violation des principes de justice naturelle parce qu’au moment où la cause a été entendue et lors du délibéré, la preuve documentaire n’a pas été contredite.

La question en litige consiste à savoir s’il y a eu violation des principes de justice naturelle.

Jugement : la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Il y a bel et bien eu violation des principes de justice naturelle. 1) Le tribunal a ignoré la reconnaissance par d’autres formations de la section du statut qu’un sursis militaire pouvait avoir été émis sur papier blanc par les autorités algériennes en 1994 et 1995. Même si les membres de la section du statut ne sont pas tenus de suivre les décisions rendues par d’autres membres de la même section, lorsqu’une formation de la section décide de conclure différemment d’une autre formation du même tribunal sur des questions de droit et de faits semblables, elle se doit de faire les distinctions qui s’imposent afin de justifier un tel écart et pour éviter les décisions arbitraires et injustes. 2) Le tribunal ne pouvait conclure que la preuve documentaire (pièce A-13) n’a pas été contredite par le demandeur au moment de l’audition de sa cause puisque ce dernier a expliqué lors de son audition pourquoi son sursis était sur papier blanc, la raison étant qu’il n’était plus étudiant mais qu’il avait le statut d’enseignant au moment où le sursis lui a été accordé. De plus, le tribunal a mal apprécié le fait que l’information sur les sursis n’était pas récente puisque celle-ci était fondée sur une conversation téléphonique datant de 1993. Par ailleurs, le dossier n’étaye pas la conclusion du tribunal que la nouvelle information n’existait pas au moment où la cause a été entendue. 3) Les conclusions du tribunal portant sur la violation des principes de justice naturelle ont pour effet de restreindre beaucoup trop la portée de ce concept. Les considérations retenues par le tribunal pour arriver à la conclusion selon laquelle il ne pouvait pas tenir compte de l’information qui n’était pas connue et qui ne semblait pas être en vigueur au moment où la cause a été entendue ou prise en délibéré, se rattachent au concept de faits nouveaux plutôt qu’à la notion de la violation des principes de justice naturelle. Le tribunal n’a pas non plus tenu compte du fait que d’autres formations de la section du statut n’ont pas évoqué cette contrainte. La portée du concept de violation des règles de justice naturelle est beaucoup plus large et se rattache à la notion de la justice fondamentale, un principe dont le contenu est variable et dépend des circonstances et peut inclure un vice de preuve.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, règle 28.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Longia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 288 (1990), 44 Admin. L.R. 264; 10 Imm. L.R. (2d) 312; 114 N.R. 280 (C.A.); Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848; (1989), 101 A.R. 321; 62 D.L.R. (4th) 577; [1989] 6 W.W.R. 521; 70 Alta. L.R. (2d) 193; 40 Admin. L.R. 128; 36 C.L.R. 1; 99 N.R. 277.

DÉCISIONS CITÉES :

Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.); Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 170 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté une demande relative à la tenue d’une nouvelle audience au motif qu’il y a eu violation des principes de justice naturelle. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Denis Girard pour le demandeur.

Martine Valois pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Denis Girard, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs de l’ordonnance rendus en français par

Le juge Lemieux :

INTRODUCTION

[1]        Cette demande de contrôle judiciaire soulève une question de droit reliée au pouvoir de la section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (ci-après : le tribunal) d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience.

[2]        Le 8 janvier 1999, le tribunal rejeta la requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience de M. Nabil Bouguettaya (ci-après : le demandeur), déposée en vertu de la règle 28 des Règles de la section du statut de réfugié, DORS/93-45, qui s’était vu refuser sa revendication de réfugié par le tribunal le 28 novembre 1997.

[3]        Il appert du dossier que le 2 avril 1998, la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de ladite décision rendue le 28 novembre 1997 fut également rejetée. Toutefois, et tel que nous pourrons le constater plus loin, la preuve soumise par le demandeur afin de justifier sa requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience ne lui a été communiquée qu’après le dépôt des procédures au dossier de cette Cour.

LA REQUÊTE EN VUE DE LA TENUE D’UNE NOUVELLE AUDIENCE

[4]        Le 23 novembre 1998, le demandeur déposa une requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience. Il alléguait alors que les commissaires Handfield et Ndejuru, (ci-après les commissaires) dans leur décision du 28 novembre 1997 lui refusant la reconnaissance de réfugié s’étaient fondés sur de la preuve documentaire qui contenait, au jour de l’audience, des informations fausses ou inexactes. Le demandeur précisa que ce nouvel élément de preuve n’existait ni le jour de l’audience (le 7 octobre 1997) ni le 28 novembre 1997, date de la décision du tribunal.

[5]        Afin de convaincre le tribunal qu’il y avait matière à réouverture, le demandeur prétendit que les commissaires lui avaient refusé la reconnaissance du statut de réfugié au motif d’absence de crédibilité basée sur une contradiction ou une invraisemblance majeure reliée à la preuve documentaire (pièce A-13). Dans cette preuve documentaire, il y est indiqué que le sursis militaire (carte de dispense) délivré par le ministère de la Défense nationale, est de couleur jaune clair alors que le demandeur avait déposé lors de l’audience un sursis militaire imprimé sur du papier blanc, émis le 26 décembre 1995 (pièce P-6).

[6]        L’impact de cette contradiction ou invraisemblance ressort de l’extrait suivant de la décision du tribunal rendue le 28 novembre 1997 :

Lors de l’audience, le tribunal constata, après vérification des copies du passeport en question, que le revendicateur est retourné à au moins trois reprises en Algérie après avoir fui ce pays pour la France, le 9 février 1996. Confronté sur ce point fort important, le revendicateur fournit comme explication que son frère Mohamed, qui réside en France depuis 1992 sous le statut d’étudiant, a utilisé son passeport à trois reprises afin de rendre visite à sa mère et pour apporter de l’argent. Il précise que son frère a utilisé son passeport et son sursis militaire [pièce P-6], pour la raison suivante : « Mon frère avait son sursis mais cela prend du temps pour le faire renouveler ».

Toutefois, selon la preuve documentaire au dossier, le sursis militaire présenté par le revendicateur [pièce P-6] ne serait pas conforme. En effet, selon le document A-13, page 10, on y indique que le sursis [carte de dispense] est de couleur jaune clair et délivré par le Ministère de la défense nationale. Or, la pièce P-6 n’est pas une carte de couleur jaune clair. Confronté, le revendicateur dit que lorsqu’il a eu son sursis, il était enseignant et non étudiant. Les autorités auraient donc pris sa carte jaune. Cette explication ne nous satisfait pas. La preuve documentaire ne fait nullement de distinction entre un sursis délivré pour un étudiant ou pour une autre raison quant à la forme du document en question.

Or, le revendicateur n’est pas crédible quand il nous dit que c’est son frère qui a utilisé son passeport pour voyager entre la France et l’Algérie. Nous croyons que le revendicateur a inventé cette histoire dans le but de camoufler ses retours dans le pays de persécution allégé après avoir quitté justement ce pays en février 1996. Or, ceci affecte grandement sa crédibilité quand il prétend craindre la persécution en Algérie. [Je souligne.]

[7]        Afin de justifier ses prétentions pour nouvelle audience, le demandeur se référa à une question posée le 6 mars 1998 (quatre mois après que les commissaires eussent rendu leur décision) à la section des services de renseignements de la CISR (ci-après le Centre) et à la réponse qui lui avait été fournie en retour, le 13 mars 1998. La question posée était celle-ci :

Confirmer l’existence et la validité d’attestation de sursis émis sur papier (et non sur un carton tel que décrit dans la réponse DZA 27592.F) conforme au spécimen ci-joint. Expliquez s’il s’agit d’un original, quelle autorité émet ce document, quand, dans quelles circonstances, à quel endroit, pourquoi il est différent de celui en carton et en quoi il diffère de ce dernier.

[8]        En effet, la pièce A-13 déposée lors de l’audition de la revendication du demandeur est, à l’origine, un document annexé à une réponse fournie par le Centre (no. DZA 27592.F) datée du 1er août 1997, suite à une demande de renseignements sur le service militaire en Algérie, la désertion, le refus de servir, sur le parcours d’un militaire et sur les cartes de légitimisation de l’Armée nationale populaire.

[9]        On constate alors que ladite réponse du 1er août 1997 renvoie le lecteur à un document daté du 16 juin 1997 et publié par l’Office fédéral des réfugiés de la Suisse intitulé « Algérie : service militaire, désertion et refus de servir ». Or, le paragraphe 5.2 de ce document établit une distinction entre une dispense et un sursis. Il y est indiqué que le document pour la dispense de service militaire en Algérie est de couleur jaune et sa taille correspond à un passeport ouvert (195 x 155 mm). S’il s’agit d’un sursis accordé aux élèves ou aux étudiants jusqu’à leur 27 ans révolus, le bureau de recrutement estampe la carte de dispense de couleur jaune clair, délivrée par le ministère de la Défense nationale. De plus, le document suisse cite comme étant sa source de renseignements « l’IRBDC. Entretient téléphonique avec un représentant de l’Ambassade d’Algérie, Ottawa, 17/11/93 ». L’acronyme IRBDC signifie « Immigration and Refugee Board Document Centre » (le Centre).

[10]      La réponse du Centre, datée du 13 mars 1998, se lit comme suit :

Un représentant du bureau de l’Attaché de Défense de l’ambassade d’Algérie à Washington a déclaré le 11 mars 1998 au cours d’un entretien téléphonique que les modalités de délivrance des attestations de sursis sont en cours de modification et que ces attestations sont provisoirement imprimées sur des feuilles de papier. Ces attestations sont délivrées par l’une des cinq sous-directions du Bureau de recrutement du ministère de la Défense nationale et ne sont valides que pour la durée des études de l’étudiant.

En ce qui concerne la photocopie de l’échantillon de l’attestation imprimée sur une feuille de papier, le représentant a indiqué qu’il s’agit d’une attestation de sursis mais n’était pas en mesure de confirmer son authenticité. Le représentant a également indiqué que la Sous-direction du Bureau de recrutement n’était pas indiquée sur le document.

Cette réponse a été préparée par la Direction des recherches à l’aide de renseignements puisés dans les sources qui sont à la disposition du public, et auxquelles la Direction des recherches a pu avoir accès dans les délais prescrits. Cette réponse ne prétend pas être un traitement exhaustif du pays étudié, ni apporter de preuves concluantes quant au fondement d’une demande d’asile ou de statut de réfugié. [Je souligne.]

[11]      Le demandeur soutint que ladite réponse du Centre contredit ou modifie la preuve documentaire (pièce A-13) sur laquelle les commissaires avaient fondé leur conclusion d’invraisemblance dans leur décision du 28 novembre 1997 lorsqu’ils ont rejeté la pièce P-6 qui était le sursis militaire du demandeur imprimé sur du papier blanc.

[12]      Au soutient de sa demande de réouverture, le requérant reproduisit le document du Centre sur lequel l’Office fédéral suisse s’était appuyé pour en venir à sa conclusion sur la véritable couleur du sursis militaire. Ce document est daté du 16 novembre 1993 et se lit comme suit :

La durée du service national est fixée à dix-huit (18) mois consécutifs et continus (13 décembre 1989, 1189).

[…]

Sont dispensés du service national les citoyens âgés de trente (30) ans et plus au 1er novembre 1989 quelle que soit leur situation juridique à l’égard du service national (13 décembre 1989, 1189).

Selon un représentant de l’ambassade de l’Algérie à Ottawa, le service national a été institué en 1969 et comprend six mois de service militaire (entraînement) et un an de service civil dans un milieu de travail correspondant aux qualifications de chaque individu (17 nov. 1993). La loi d’amnistie de 1989 pour les Algériens de 30 ans et plus ne s’appliquait qu’aux gens qui avaient 30 ans et plus durant la seule année de 1989 (ibid). Cette amnistie n’était pas permanente (ibid). Le représentant ajoute que le sursis pour le service national n’est généralement émis qu’aux étudiants (ibid.). L’exemption ou la dispense ne peut être attribuée qu’aux fils […]

Le document pour le sursis est délivré par le ministère de la Défense nationale et est de couleur jaune clair (ibid). Le document pour la dispense est également de couleur jaune et sa taille correspond à celle d’un passeport canadien ouvert (ibid.). Le sursis doit être demandé à chaque année et doit être accompagné d’une justification (ibid.). Lorsque la nouvelle demande est acceptée, le bureau du recrutement estampe la même carte pour l’année en cours (ibid.). [Je souligne.]

[13]      Ayant étalé la documentation citée, le demandeur, dans sa requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience, soutint avoir fait la preuve de la fausseté de l’information utilisée en 1997 pour lui refuser le statut de réfugié et qu’il a également prouvé que cette information était fausse depuis au moins le 26 décembre 1994.

[14]      En effet, le demandeur fixa le 26 décembre 1994 comme date repère en se fondant sur certaines décisions rendues par la section du statut dans le cadre d’autres dossiers de revendication au statut de réfugié déposés par des ressortissants algériens en 1998, soit après la date où sa revendication au statut de réfugié fut rejetée. Cette date du 26 décembre 1994 est d’autant plus cruciale que le sursis militaire déposé par le demandeur fut émis le 26 décembre 1995, soit un an plus tard.

[15]      Au soutien de ses prétentions, le demandeur soumit que dans le cadre du dossier M97-03276, le revendicateur avait déposé un sursis militaire sur papier blanc, renouvelé le 26 décembre 1994 et ce dernier fut reconnu comme étant véridique. Le demandeur fit mention également d’autres dossiers dans lesquels la section du statut, en 1998, accorda la reconnaissance du statut de réfugié aux insoumis présentant des sursis sur du papier blanc.

[16]      En deuxième lieu, le demandeur invoqua un fait nouveau survenu seulement après que la décision des commissaires fusse rendue. Avec preuve à l’appui, le demandeur avisa le tribunal que le 27 décembre 1997, l’une de ses sœurs ainsi que son oncle paternel avaient été assassinés à son domicile algérien, démontrant ainsi que c’est soit lui ou soit sa famille qui se trouve ciblé.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL REFUSANT LA REQUÊTE EN VUE DE LA TENUE D’UNE NOUVELLE AUDIENCE

[17]      Le 8 janvier 1999, le tribunal rejeta la requête en vue de le tenue d’une nouvelle audience. Ce dernier débuta son analyse en écrivant :

Tout en admettant que des attestations de sursis (R-5) imprimées sur des feuilles de papier aient été délivrées au moins depuis mars 1998 par les autorités compétentes algériennes, en remplacement de celles qui ont été émises sous la forme d’une carte de couleur jaune clair, doit-on conclure au manquement des règles de justice naturelle dû au fait que les commissaires aient jugé le document (P-6) du requérant « non conforme » parce qu’imprimée sur une feuille de papier de couleur blanche au lieu d’être présenté en format de carte de couleur jaune clair, tel que révélé à la page 10 du document algérien (A-13) traitant de service militaire et portant la date du 16 juin 1997? [Je souligne.]

[18]      Le tribunal décida qu’il ne pouvait conclure en la violation des principes de justice naturelle dans le cas en l’espèce parce qu’au moment où la cause a été entendue et lors du délibéré, la section du statut saisit du dossier, examina le document (P-6) relatif au sursis militaire, uniquement en fonction de la preuve documentaire (A-13) au dossier qui n’a pas été contredite par le requérant (demandeur aux présentes) au moment de l’audition de sa cause.

[19]      Il élabora ses pensées de la façon suivante :

L’information (A-13) à laquelle les commissaires ont fait allusion et qui fait état de sursis imprimé sur du papier jaune clair, était suffisamment récente (13 juin 1997) pour que le tribunal soit porté tout naturellement à croire qu’elle était à jour. On ne peut donc y voir bris de justice naturelle parce qu’une autre information (R-5) datée du 13 mars 1998, exactement quatre mois après que la décision eut été rendue, fasse état de délivrance d’attestations de sursis imprimés sur des feuilles de papier. La SSR ne peut tenir compte aujourd’hui de cette information (R-5) qui n’était pas connue et qui ne semble avoir été en vigueur au moment où la cause a été entendue (27 octobre 1997) ou durant la période où elle a été prise en délibéré. [Je souligne.]

[20]      Le tribunal souligna que la compétence de la section du statut de réfugié en matière de réexamen de revendication au statut de réfugié est très limitée et qu’une fois qu’elle a rendu sa décision, elle s’est acquittée par le fait même de sa fonction (functus officio). Elle ne peut y revenir que dans les cas où il y a violation des règles de justice naturelle. Il conclut comme suit :

Or, l’examen de la requête, des affidavits et de l’ensemble du dossier ne nous permet pas d’arriver à une telle conclusion.

[21]      Pour ce qui est du pouvoir d’intervention de la section du statut afin de recevoir des éléments de preuve après que le jugement ait été rendu, le tribunal rappela selon les principes établis dans Longia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 288 (C.A.) et dans la jurisprudence de la Section de première instance de la Cour fédérale qui en découla, qu’il n’était pas habilité à intervenir dans un cas semblable.

ANALYSE

Les principes de droit applicables

[22]      La jurisprudence de cette Cour a établi et ce, de façon non équivoque, le pouvoir du tribunal de rouvrir une demande de réexamen d’une revendication de statut de réfugié si un déni de justice naturelle fut commis lors de l’audition. Dans Longia c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 288 (C.A.), le juge Marceau énonce le principe de la façon suivante aux pages 293 et 294 :

En effet, il est désormais bien établi, dans la jurisprudence de cette Cour, que si l’audition d’une demande ne s’est pas déroulée selon les règles de justice naturelle, la Commission peut considérer que sa décision est nulle et réexaminer la question […] D’autre part, il a été décidé dans l’arrêt Kaur c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.) que la décision rendue à l’issue d’une enquête qui s’était déroulée à un moment où la personne concernée était sous l’influence directe d’un tiers (son mari) et n’était pas libre de présenter les faits tels qu’ils étaient, ne respectait pas les règles de justice naturelle, de sorte qu’elle a été déclarée nulle en vertu de la Charte, et que l’arbitre a pu réexaminer sa décision. La Commission ne se trouvait-elle pas dans une situation semblable en l’espèce, compte tenu de la déclaration du requérant voulant qu’il ait tenu sous silence son appartenance à la International Sikh Youth Federation en 1985 et en 1986 de crainte que cette révélation n’ait des répercussions sur sa famille en Indes? La Commission n’a pas fait de commentaire à ce sujet, pour la simple raison, je suppose, qu’elle n’a jamais été accusée d’avoir enfreint les règles de justice naturelle. Nous non plus, à ce que je sache. Cette question m’est venue à l’esprit à cause de la façon dont j’ai abordé le dossier. Ma réponse est cependant tout à fait négative. La contrainte dont parle le requérant n’est pas de la même nature que celle dont il est question dans l’arrêt Kaur, c’est-à-dire qu’elle n’est ni directe, ni immédiate. On ne peut certainement pas considérer qu’elle a nuit à l’audition de la demande au point d’en faire un simulacre de justice. La Commission ne pouvait venir à la conclusion que sa première décision pouvait être considérée nulle en se fondant uniquement sur les prétentions contenues dans l’affidavit qui accompagnait la requête en réouverture de la demande. Par conséquent, la Commission n’avait pas le pouvoir de reprendre l’audition de la demande afin de permettre au requérant de produire les renseignements qu’il souhaitait fournir, pas plus qu’elle n’avait le pouvoir de l’autoriser à mettre en preuve de faits nouveaux. [Je souligne.]

[23]      Notons que ce pouvoir d’intervention des tribunaux afin de remédier à un déni de justice naturelle avait également été clairement énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, où le juge Sopinka s’exprime ainsi à la page 863 :

Si l’erreur qui a pour effet de rendre nulle la décision entache la totalité des procédures, le tribunal doit tout recommencer […] Dans chaque cas, il s’agissait d’un déni de justice naturelle qui avait pour effet de vicier toute l’instance. Le tribunal était tenu de tout recommencer afin de remédier à ce vice.

[24]      Tel que je l’ai exprimé précédemment, le tribunal rejeta la requête aux motifs qu’il ne pouvait conclure qu’il y avait eu violation des principes de justice naturelle et que selon les principes établis dans l’arrêt Longia, précité, il n’est pas habilité à intervenir pour recevoir des nouveaux éléments de preuve après que jugement eut été rendu.

La question en litige

[25]      En ce qui a trait au deuxième motif invoqué par le tribunal pour rejeter la requête, soit son incapacité d’intervenir pour recevoir de nouveaux éléments de preuve, je ne vois effectivement aucune erreur de droit dans l’application des principes de l’arrêt Longia, précité, pouvant justifier l’intervention de cette Cour. Ainsi, la seule question en litige qui demeure est à savoir si le tribunal a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu violation des principes de justice naturelle lors du rejet de la revendication de statut de réfugié du demandeur.

Application des principes de droit au présent dossier

[26]      Considérant la jurisprudence de notre Cour sur cette question, j’en conclus que lors de l’analyse de la décision rendue par le tribunal, cette Cour doit évaluer la nature et l’importance du vice soulevé par le demandeur pour en arriver à déterminer si le tribunal a, effectivement, commis une erreur révisable justifiant intervention.

[27]      Dans le cadre du présent dossier, je constate, sans l’ombre d’un doute que les membres ayant constitué le tribunal qui a entendu la revendication du demandeur et l’a refusée, se sont appuyés sur la pièce A-13 pour écarter le témoignage de ce dernier sur un point essentiel, c’est-à-dire trois voyages en France. Aujourd’hui, prétend le demandeur, il ne fait aucun doute que la pièce A-13 donnait une fausse représentation au sujet de la forme et de la couleur d’un sursis militaire émis en Algérie et que ce fait a été reconnu par d’autres membres du tribunal en 1998 et 1999, y incluant les commissaires Handfield et Ndejuru qui ont statué sur la revendication du demandeur. Je dois donc maintenant déterminer si l’utilisation de cette preuve ayant entraîné le rejet de la revendication du demandeur constitue une erreur ayant entraîné un déni des principes de justice naturelle.

[28]      Or, après analyse, je me dois de conclure qu’il y a bel et bien eu violation aux principes de justice naturelle et ce, pour à tout le moins trois motifs que je vais décrire succinctement. En premier lieu, le tribunal a complètement ignoré un aspect fondamental soulevé par le demandeur, c’est-à-dire la reconnaissance par d’autres formations de la section du statut qu’un sursis militaire pouvait avoir été émis, en 1994 et 1995, sur papier blanc par les autorités algériennes compétentes. Le tribunal n’a fait aucune mention de cet élément central et ce, malgré son obligation de le faire (voir à cet effet les motifs de M. le juge Evans, maintenant à la division d’appel, dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.).

[29]      Certes, il est vrai que les membres de la section du statut de réfugié ne sont pas tenus de suivre les décisions rendues par d’autres membres de la même section. Néanmoins, afin d’éviter que l’arbitraire et l’injustice ne se multiplient au sein de ladite section, c’est à bon droit de conclure que lorsqu’une formation de la section du statut de réfugié décide de conclure différemment d’une autre formation du même tribunal sur des questions de droit et de faits semblables, elle se doit de faire les distinctions qui s’imposent afin de justifier un tel écart. Je me réfère d’ailleurs au jugement rendu par ma collègue la juge McGillis dans Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 170 F.T.R. 153 (C.F. 1re inst.) où elle réitère les principes applicables.

[30]      En deuxième lieu, le tribunal a mal saisi un élément important qui avait été mis en preuve devant le premier tribunal. En effet, il ne pouvait conclure que la preuve documentaire (A-13) n’avait pas été contredite par le requérant (demandeur aux présentes) au moment de l’audition de sa cause puisque ce dernier a expliqué lors de son audition le 7 octobre 1998, pourquoi son sursis était sur papier blanc et non sur carton jaune. La raison était qu’il n’était plus étudiant mais qu’il avait le statut d’enseignant.

[31]      De plus, je constate que le tribunal a mal apprécié le fait que l’information (A-13) sur les sursis n’était pas récente (13 juin 1997) puisque celle-ci était basée sur une conversation téléphonique ayant eu lieu en 1993. Par ailleurs, je constate que le tribunal a indiqué que la nouvelle information (R-5) datée du 13 mars 1998 ne semblait pas être en vigueur au moment où la cause a été entendue ou lors du délibéré. Or, j’en conclus que la preuve au dossier ne permet pas une telle assertion.

[32]      En dernier lieu, les conclusions du tribunal en ce qui constitue une violation des principes de justice naturelle ont pour effet de beaucoup trop restreindre la portée de ce concept. Le tribunal dit ne pas pouvoir tenir compte, aujourd’hui, de l’information (R-5) qui n’était pas connu et qui ne semblait pas être en vigueur au moment où la cause a été entendue ou durant la période où elle a été prise en délibéré. Toutefois, les considérations retenues par le tribunal pour en arriver à une telle conclusion se rattachent plutôt au concept de faits nouveaux et non à la notion de la violation des principes de justice naturelle. De plus, je constate que le tribunal n’a pas tenu compte du fait que d’autres formations de la section du statut n’ont pas évoqué cette contrainte.

[33]      La portée du concept de violation des règles de justice naturelle ou simulacre de justice est beaucoup plus large et se rattache à la notion de la justice fondamentale, un principe dont le contenu est variable et dépend des circonstances et peut certainement inclure un vice de preuve.

[34]      Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du tribunal refusant la réouverture est cassée et l’affaire est déférée à la section du statut de réfugié pour qu’une nouvelle formation entende de nouveau la requête en vue de la tenue d’une nouvelle audience déposée par le demandeur.

[35]      Aucune question certifiée n’a été proposée et nulle n’est formulée.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.