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[2012] 2 R.C.F. 291

IMM-1251-10

2010 CF 1079

Jean-Pierre Kenne (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Kenne c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Bédard—Montréal, 14 octobre; Ottawa, 3 novembre 2010.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant l’appel du demandeur à l’encontre d’une décision de l’agent d’immigration refusant la demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial de ses trois enfants adoptifs — Le demandeur est un citoyen canadien du Cameroun — Il a, par processus judiciaire au Cameroun, adopté les trois enfants de son ami décédé — La SAI a statué que l’adoption des enfants n’était pas valide sous le régime du droit camerounais et qu’elle ne répondait pas aux exigences des art. 3(2) et 117(3)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés — Il s’agissait de savoir si la SAI a commis une erreur dans son appréciation de la validité en droit de l’adoption des enfants et si l’adoption était conforme au Règlement — La SAI a commis une erreur dans son appréciation de la preuve — Bien que le Code civil camerounais ne mentionne pas expressément l’adoption plénière, la preuve documentaire en soutenait l’existence et la validité en droit camerounais — Deux opinions juridiques confirmaient l’existence de l’adoption plénière et ses assises dans le Code civil — Même si les opinions juridiques n’ont pas été préparées par des experts en matière d’adoption, pour apprécier la valeur probante à accorder à des opinions juridiques sur la portée de dispositions législatives étrangères et pour décider de les écarter, il importait de bien les comprendre — La décision de la SAI ne reflétait pas fidèlement les opinions juridiques et démontrait que la SAI n’a pas saisi les opinions ni la portée des dispositions législatives étrangères en cause — Demande accueillie.

  Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés à l’égard d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant l’appel du demandeur à l’encontre d’une décision de l’agent d’immigration de l’ambassade du Canada à Abidjan, refusant la demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial de ses trois enfants adoptifs. Le demandeur est un citoyen canadien du Cameroun. En octobre 2006, il a procédé à l’adoption simple des trois enfants de son ami décédé par jugement rendu par le tribunal de première instance de Douala. En avril 2008, le demandeur a parrainé les trois enfants et a obtenu des visas de résidence permanente au Canada pour les trois enfants dans la catégorie du regroupement familial. L’ambassade du Canada n’a pas accepté les actes d’adoption simple et a exigé des actes d’adoption plénière. Un jugement statuant sur l’adoption plénière des enfants rendu en juillet 2008 par le tribunal de première instance de Douala a ensuite été déposé. L’agent d’immigration a jugé que l’adoption n’était ni valide, ni authentique.

En appel, la SAI a jugé que le demandeur n’avait pas prouvé que l’adoption des enfants était valide en droit et qu’elle répondait aux exigences du paragraphe 3(2) et de l’alinéa 117(3)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Elle a conclu que l’adoption n’a pas été faite en conformité avec le Code civil camerounais et qu’elle n’a pas eu pour effet de rompre tout lien de filiation entre les enfants du demandeur et leurs parents biologiques.

La principale question à trancher était celle de savoir si la SAI a commis une erreur dans son appréciation de la validité en droit de l’adoption des enfants par le demandeur et si l’adoption était conforme au Règlement.

Jugement : la demande doit être accueillie.

Bien que la SAI se soit posé les bonnes questions, soit si l’adoption des trois enfants était conforme au droit camerounais et si elle a eu pour effet de rompre les liens de filiation préexistants des enfants avec leurs parents biologiques, elle a erré dans son appréciation de la preuve. Bien qu’il soit exact d’affirmer que le Code civil camerounais ne mentionne pas expressément l’adoption plénière, la preuve documentaire soumise par le demandeur soutenait l’existence et la validité de l’adoption plénière en droit camerounais, notamment selon l’exception prévue à l’article 352 du Code civil. Cette disposition précise que l’adopté cesse d’appartenir à sa famille naturelle lorsque certaines conditions sont remplies. Les deux opinions juridiques déposées par le demandeur confirmaient l’existence de l’adoption plénière et ses assises dans le Code civil. Même si les avocats qui ont fourni les opinions juridiques n’étaient pas des experts en matière d’adoption, pour apprécier la valeur probante à accorder à des opinions juridiques sur la portée de dispositions législatives étrangères et pour décider de les écarter, il importe de bien les comprendre. La décision de la SAI ne reflétait pas fidèlement les opinions émises par les deux avocats et démontrait que la SAI n’avait pas saisi les propos des deux avocats, ni la portée de l’article 352 du Code civil. Les deux opinions juridiques étaient bien articulées et offraient une interprétation tout à fait raisonnable des dispositions du Code civil camerounais relatives à l’adoption. Les conclusions de la SAI en l’espèce, qui reposaient uniquement sur sa propre compréhension et faisaient abstraction de tous les éléments de preuve documentaire déposés, n’appartenaient pas aux issues raisonnables possibles au regard de la preuve.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code civil, art. 344, 347, 348, 351, 352, 355, 356, 357, 358, 360, 361, 367, 368, 369, 370 (Cameroun).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 12(1), 72(1).

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 3(2), 117(2) (mod. par DORS/2010-208, art. 2), (3).

Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, règle 25.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, 29 mai 1993, [1997] R.T. Can. n12.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 655.

décisions citées :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392; Xiao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, [2009] 4 R.C.F. 510; Kisimba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 252; Wai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 364; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, [2002] 1 C.F. 200.

  DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejetant l’appel du demandeur à l’encontre d’une décision de l’agent d’immigration refusant la demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial de ses trois enfants adoptifs. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Amina Chakibi pour le demandeur.

Sylviane Roy pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Amina Chakibi, Montréal, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Voici les motifs du jugement et le jugement rendus en français par

[1]        La juge Bédard : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’égard d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SAI), datée du 5 février 2010, rejetant l’appel du demandeur à l’encontre d’une décision de l’agent d’immigration de l’ambassade du Canada à Abidjan, refusant la demande de résidence permanente dans la catégorie du regroupement familial des trois enfants adoptifs du demandeur d’origine camerounaise.

Contexte

[2]        Le demandeur est un citoyen canadien originaire du Cameroun. Le 16 octobre 2006, par jugement rendu par le tribunal de première instance de Douala, il a procédé à l’adoption simple des trois enfants de son ami décédé en 2003. Les trois enfants sont nés de deux mères différentes.

[3]        En avril 2008, le demandeur a entrepris des démarches afin de parrainer et d’obtenir des visas de résidence permanente au Canada pour les trois enfants dans la catégorie du regroupement familial.

[4]        Le 21 mai 2008, une des filles adoptives du demandeur, Yogho Carita, alors âgée de 16 ans, a reçu une lettre envoyée par un agent du bureau des visas de l’ambassade du Canada à Abidjan l’informant que les demandes de résidence permanente pour les trois enfants pourraient être refusées parce que les actes d’adoption simple ne peuvent être acceptés et qu’ils devaient produire des actes d’adoption plénière auxquels les mères devaient consentir.

[5]        Le demandeur a entrepris les démarches requises et il a déposé à l’ambassade un jugement statuant sur l’adoption plénière des enfants rendu le 2 juillet 2008, par le tribunal de première instance de Douala.

[6]        En date du 21 avril 2009, l’agent d’immigration principal de l’ambassade du Canada à Abidjan a refusé la demande de visas de résidence permanente des enfants au motif qu’ils ne répondaient pas aux exigences pour faire partie de la catégorie du regroupement familial. L’agent a jugé que l’adoption n’était ni valide, ni authentique et qu’elle visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

[7]        Le demandeur a porté cette décision en appel devant la SAI. La demande a été rejetée. Bien que l’agent d’immigration avait rejeté la demande de visas pour deux motifs, soit l’invalidité en droit des adoptions et leur manque d’authenticité, la SAI a décidé d'examiner uniquement le premier motif. Au cours du processus d’appel, le défendeur a ajouté un motif de contestation à la demande de visa, soit que l’adoption des demandeurs n’avait pas eu pour effet de rompre tout lien de filiation préexistant des enfants avec leurs parents biologiques.

La décision contestée

[8]        La SAI a jugé que le demandeur n’avait pas prouvé que l’adoption des enfants était valide en droit et qu’elle répondait aux exigences du paragraphe 3(2) et de l’alinéa 117(3)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La SAI a conclu que l’adoption des demandeurs n’avait pas été faite en conformité avec le Code civil camerounais et qu’elle n’avait pas eu pour effet de rompre tout lien de filiation entre les enfants du demandeur et leurs parents biologiques.

Les questions en litige

[9]        La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

1) La SAI a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne convoquant pas d’audience avant de rendre sa décision?

2) La SAI a-t-elle erré dans son appréciation de la validité en droit de l’adoption des enfants du demandeur et de sa conformité avec le Règlement?

Analyse

Norme de contrôle

[10]      La première question met en cause l’équité procédurale et doit être révisée selon la norme de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392).

[11]      La deuxième question met en cause la preuve du contenu et de l’interprétation du droit camerounais et la jurisprudence a reconnu que ces questions constituaient des questions de faits qui doivent être révisées en suivant la norme de la raisonnabilité (Xiao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, [2009] 4 R.C.F. 510; Kisimba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 252; Wai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 364; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, [2002] 1 C.F. 200; Dunsmuir et Khosa).

[12]      Lorsqu’elle applique la norme de la raisonnabilité, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard du décideur et elle ne doit pas substituer son opinion à la sienne. Le rôle de la Cour a été établi dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47 :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

1) La SAI a-t-elle manqué à son obligation d’équité procédurale en omettant de tenir une audience avant de rendre sa décision?

[13]      La SAI a déterminé que le demandeur n’avait pas réussi à prouver que l’adoption des enfants était conforme au droit camerounais ni qu’elle rompait les liens de filiation préexistants des enfants. Tel que mentionné précédemment, pour arriver à sa conclusion, la SAI a interprété les dispositions du Code civil camerounais et elle a écarté le jugement d’adoption et les opinions juridiques déposées par le demandeur.

[14]      Le demandeur prétend qu’une audience aurait permis d’expliquer les contradictions apparentes entre le jugement et les dispositions du Code civil et que la SAI n’avait pas la compétence pour interpréter seule le droit camerounais sans entendre des témoins qui auraient pu l’éclairer sur l’interprétation à donner à ces documents. Le demandeur soutient également qu’en l’absence d’audience, la SAI a effectué des erreurs factuelles, notamment en concluant que les enfants vivaient avec leurs mères.

[15]      Le défendeur, pour sa part, soutient que le demandeur a eu amplement l’occasion de faire valoir son point de vue par écrit et qu’ainsi, son droit d’être entendu a été respecté.

[16]      Il déclare que le fardeau incombait au demandeur de fournir toute la preuve ou les arguments nécessaires à l’appui de sa position.

[17]      La SAI n’a pas l’obligation de tenir une audience. Le paragraphe 25(1) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 prévoit ce qui suit :

25. (1) La Section peut, au lieu de tenir une audience, exiger que les parties procèdent par écrit, à condition que cette façon de faire ne cause pas d’injustice et qu’il ne soit pas nécessaire d’entendre des témoins.

Procédures sur pièces

[18]      Dans la décision Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 655, la Cour a indiqué qu’il n’y avait pas de violation de l’équité procédurale si le demandeur connaissait la question que devait trancher la SAI, s’il avait eu l’occasion de présenter ses éléments de preuve et ses arguments se rapportant à cette question et si la SAI avait appuyé sa décision sur tous les éléments dont elle était saisie.

[19]      En l’espèce, le demandeur connaissait la question en litige devant le tribunal et il a eu l’occasion de déposer toutes les pièces et arguments qu’il souhaitait au soutien de ses prétentions. Au cours du processus, la SAI lui a accordé des délais supplémentaires et lui a même permis de déposer des pièces alors que les délais pour se faire étaient expirés. De plus, le demandeur a semblé satisfait du processus suivi par la SAI et il ne lui a jamais demandé de convoquer une audience. J’estime donc qu’aucune injustice n’a découlé de la décision de la SAI de procéder par écrit.

[20]      Il n’y a donc pas lieu que la Cour révise la décision de la SAI sur ce motif.

2) La SAI a-t-elle erré dans son appréciation de la validité de l’adoption des enfants du demandeur et de sa conformité avec le Règlement?

[21]      Je considère que bien que la SAI se soit posé les bonnes questions, elle a erré dans son appréciation de la preuve.

[22]      Il importe de citer les dispositions législatives et règlementaires que la SAI devait appliquer pour trancher l’appel dont elle était saisie. Le paragraphe 12(1) de la Loi prévoit que la sélection d’un étranger dans la catégorie du « regroupement familial » se fait en fonction de sa relation avec un citoyen ou un résident permanent canadien à divers titres, dont en tant qu’enfant de ce dernier.

[23]      En vertu du paragraphe 117(2) [mod. par DORS/2010-208, art. 2] du Règlement, un enfant adopté de moins de 18 ans ne peut être considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de sa relation avec un répondant citoyen ou résident permanent canadien que si l’adoption a eu lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de la Convention sur l’adoption [Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, 29 mai 1993, [1997] R.T. Can. no 12].

[24]      Le paragraphe 117(3) du Règlement énonce les critères à prendre en considération afin de déterminer si l’intérêt supérieur de l’enfant a effectivement été respecté :

117. […]

(3) L’adoption visée au paragraphe (2) a eu lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant si les conditions suivantes sont réunies :

a) des autorités compétentes ont fait ou ont approuvé une étude du milieu familial des parents adoptifs;

b) les parents de l’enfant ont, avant l’adoption, donné un consentement véritable et éclairé à l’adoption de l’enfant;

c) l’adoption a créé un véritable lien affectif parent-enfant entre l’adopté et l’adoptant;

d) l’adoption était, au moment où elle a été faite, conforme au droit applicable là où elle a eu lieu;

e) l’adoption est conforme aux lois du lieu de résidence du répondant et, si celui-ci résidait au Canada au moment de l’adoption, les autorités compétentes de la province de destination ont déclaré par écrit qu’elle ne s’y opposaient pas;

f) s’il s’agit d’une adoption internationale et que le pays où l’adoption a eu lieu et la province de destination sont parties à la Convention sur l’adoption, les autorités compétentes de ce pays et celles de cette province ont déclaré par écrit qu’elles estimaient que l’adoption était conforme à cette convention;

g) s’il s’agit d’une adoption internationale et que le pays où l’adoption a eu lieu ou la province de destination ne sont pas parties à la Convention sur l’adoption, rien n’indique que l’adoption projetée a pour objet la traite de l’enfant ou la réalisation d’un gain indu au sens de cette convention.

Intérêt supérieur de l’enfant

[25]      En outre, le paragraphe 3(2) du Règlement précise que l’adoption doit s’entendre « du lien de droit qui unit l’enfant à ses parents et qui rompt tout lien de filiation préexistant ».

[26]      En l’espèce, la SAI devait statuer sur la conformité de l’adoption des trois enfants avec le droit camerounais et vérifier si l’adoption avait eu pour effet de rompre les liens de filiation préexistants des enfants avec leurs parents biologiques.

[27]      La SAI a conclu que l’adoption des enfants n’était pas conforme au Code civil du Cameroun et que, par conséquent, elle ne répondait pas aux exigences de l’alinéa 117(3)d) du Règlement. Elle a ensuite conclu que l’adoption survenue n’avait pas rompu les liens de filiation des enfants avec leurs familles naturelles et que, dès lors, l’adoption ne correspondait pas à la définition d’adoption prévue au paragraphe 3(2) du Règlement.

[28]      Il importe de résumer les dispositions du Code civil relatives à l’adoption pour bien saisir la preuve déposée au dossier et le raisonnement suivi par la SAI.

[29]      Le titre huitième du Code civil camerounais traite de deux régimes particuliers de filiation : l’adoption et la légitimation adoptive.

[30]      Le régime d’adoption est prévu aux articles 343 à 367 du Code civil camerounais qui énoncent les paramètres d’application suivants :

• Les qualités requises des adoptants sont prescrites à l’article 344;

• Le consentement des parents ou du parent survivant d’un enfant adopté est requis lorsque la personne adoptée est mineure (article 347);

• Le consentement du ou des parents peut être donné dans l’acte d’adoption ou par acte authentique devant un notaire ou un juge de paix (article 348);

• L’adoptant et l’enfant qu’il veut adopter, si ce dernier a plus de 16 ans, doivent se présenter devant un juge de paix ou un notaire pour « passer acte de leurs consentements respectifs » (article 358);

• L’acte d’adoption doit être homologué par le tribunal du domicile de l’adoptant. Le tribunal est saisi par le biais d’une requête à laquelle est jointe une copie de l’acte d’adoption (article 360);

• Le tribunal saisi de la requête en homologation vérifie si toutes les conditions de la loi sont remplies, s’il y a des justes motifs de l’adoption et si l’adoption présente des avantages pour l’adopté (article 361);

L’adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits mais l’adoptant est le seul investi de la puissance paternelle à l’égard de l’adopté et il est le seul à pouvoir consentir à son mariage (article 351);

• L’adopté et l’adoptant se doivent mutuellement des aliments (article 355);

• Les droits successoraux de l’adopté sont prévus aux articles 356 et 357;

• L’adoption peut être révoquée par jugement du tribunal pour des motifs graves (article 367).

[31]      L’article 352 du Code civil camerounais prévoit une exception importante au principe prévu au premier alinéa de l’article 351, suivant lequel l’adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits. Il se lit comme suit :

Nonobstant les dispositions de l’alinéa 1er de l’article précédent, le tribunal, en homologuant l’acte d’adoption, peut à la demande de l’adoptant et s’il s’agit d’un mineur de moins de vingt et un ans, décider après enquête que l’adopté cessera d’appartenir à sa famille naturelle sous réserve des prohibitions au mariage visées aux articles 161, 162, 163 et 164 du présent Code. Dans ce cas aucune reconnaissance postérieure à l’adoption ne sera admise; d’autre part l’adoptant ou le survivant des adoptants pourra désigner un tuteur testamentaire.

[32]      La légitimation adoptive est prévue aux articles 368 à 370 du Code civil camerounais. Cette forme de filiation est permise uniquement à l’égard des enfants de moins de cinq ans qui ont été abandonnés par leurs parents ou dont les parents sont décédés ou inconnus. L’article 369 prévoit que cette forme d’adoption est irrévocable et l’article 370 édicte que l’enfant cesse d’appartenir à sa famille naturelle et qu’il a les mêmes droits et obligations que s’il était né du mariage.

[33]      L’essentiel du raisonnement qui a amené la SAI à conclure que l’adoption des enfants n’était pas conforme au droit camerounais est fondé sur les propositions suivantes :

• Le droit camerounais, et plus particulièrement le Code civil camerounais, ne prévoit pas le type d’adoption (l’adoption plénière) dont se réclament le demandeur et ses enfants adoptifs;

• Les opinions juridiques déposées par le demandeur contredisent les dispositions du Code civil camerounais;

• L’adoption des enfants ne pouvait être faite que sous l’un ou l’autre des régimes d’adoption prévus au Code civil : l’adoption selon le régime général ou la légitimation adoptive;

• L’adoption plénière est un concept qui implique une rupture des liens de filiation préexistants. Comme seule la légitimation adoptive prévoit la rupture des liens de filiation préexistants, l’adoption plénière à laquelle le demandeur prétend se rapproche de la légitimation adoptive;

• Si le jugement d’adoption doit être considéré comme une légitimation adoptive, il n’est pas conforme au Code civil camerounais qui prévoit que la légitimation adoptive est limitée aux enfants de moins de cinq ans qui sont abandonnés par leurs parents ou dont les parents sont décédés;

• L’adoption envisagée selon le régime général d’adoption n’est pas non plus valide parce que plusieurs exigences prévues au Code civil n’ont pas été respectées en l’espèce.

[34]      L’une des prémisses à la base du raisonnement de la SAI réside dans sa conclusion que le Code civil camerounais ne prévoit pas l’adoption plénière et que, partant, ce régime d’adoption n’existe pas. Aussi, un tribunal ne pouvait pas conclure que les trois enfants étaient adoptés selon ce régime.

[35]      Bien qu’il soit exact d’affirmer que le Code civil camerounais ne mentionne pas expressément l’adoption plénière, la preuve documentaire soumise par le demandeur soutenait l’existence et la validité de l’adoption plénière en droit camerounais, notamment au terme de l’exception prévue à l’article 352 du Code civil. Les deux opinions juridiques déposées par le demandeur confirmaient l’existence de l’adoption plénière et ses assises dans le Code civil.

[36]      La SAI a écarté ces opinions juridiques au motif qu’elles contenaient des affirmations contradictoires avec le Code civil du Cameroun. À cet égard, la SAI s’exprime comme suit (aux paragraphes 13 et 20) :

Rappelons que le législateur camerounais n’utilise pas les termes d’adoption « simple » ou d’adoption « plénière », mais parle plutôt d’ « adoption » et de « légitimation adoptive ». Ce n’est que le tribunal de Première Instance du Cameroun qui mentionne dans son jugement le terme d’adoption « plénière », alors que le conseil de l’appelant, basé sur les opinions de deux avocats camerounais, allègue l’existence d’une distinction à faire en droit camerounais entre adoption « simple » et adoption « plénière », sans toutefois démontrer l’existence de ces termes dans le Code civil du Cameroun.

[…]

Qui plus est, les opinions des deux avocats camerounais contiennent des affirmations contradictoires avec le Code Civil du Cameroun. Ainsi, le tribunal constate que la première opinion affirme que les articles 343 à 367 ont créé l’adoption plénière qui a pour effet de rompre tout lien de l’enfant avec sa famille d’origine, tout en citant dans le même paragraphe l’article 351 du Code Civil camerounais qui dispose que « l’adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits ». Quant à la deuxième opinion, elle affirme que « le seul point commun aux deux notions ne se trouve que dans l’intérêt de l’enfant et de la rupture des liens avec sa famille naturelle », contrairement aux dispositions de l’article 351 du Code Civil camerounais.

[37]      Le défendeur soutient qu’il appartenait à la SAI d’interpréter la preuve soumise eu égard au droit camerounais et qu’elle pouvait décider de la valeur probante à accorder aux opinions juridiques, d’autant plus qu’il n’y a pas de preuve que les avocats qui ont émis les opinions sont des experts en matière d’adoption.

[38]      Je conviens qu’il appartenait à la SAI d’apprécier la preuve relative à l’existence et au sens du droit camerounais, mais son appréciation de la preuve et son interprétation des dispositions législatives doivent être raisonnables.

[39]      Je conviens également que la preuve ne permet pas d’établir que Me Tétang et Me Tsapi sont des experts en matière d’adoption. Toutefois, pour apprécier la valeur probante à accorder à des opinions juridiques quant à la portée de dispositions législatives étrangères et pour décider de les écarter, encore faut-il bien les comprendre. Or avec égards, les passages précités de la décision de la SAI ne reflètent pas fidèlement les opinions émises par les deux avocats et démontrent que la SAI n’avait pas saisi les propos des deux avocats, ni la portée de l’article 352 du Code civil.

[40]      Je traiterai d’abord de la première opinion émise par Me Tétang.

[41]      Contrairement à ce qu’affirme la SAI, Me Tétang ne prétend pas que l’adoption plénière a été créée en vertu des articles 343 à 367. Il affirme plutôt que l’adoption plénière est une adoption de forme particulière qui résulte de l’application de l’exception prévue à l’article 352 du Code civil entraînant des effets différents quant aux liens de filiation préexistants.

[42]      Dans son opinion, Me Tétang explique, dans un premier temps, la distinction entre la légitimation adoptive et l’adoption plénière. Il explique ensuite où se situe l’adoption plénière au sein du régime général de l’adoption. Il s’exprime comme suit :

II- l’adoption plénière ou légitimation adoptive n’est-elle possible que pour les enfants de moins de cinq (5) ans, orphelins, abandonnés ou sans filiation connue?

Il convient tout d’abord de signaler que cette question est mal formulée, parce qu’elle crée une confusion entre deux notions juridiques distinctes : adoption plénière et légitimation adoptive.

Ces deux notions sont traités dans le code civil applicable au Cameroun dans le livre premier, titre huitième intitulé : « DE L’ADOPTION ET DE LA LÉGITIMATION ADOPTIVE ».

Ce titre est divisé en deux chapitres distincts, le premier traitant de l’adoption et le second de la légitimation adoptive.

Les seuls intitulés ci-dessus permettent de se rendre compte de ce que l’adoption plénière et la légitimation adoptive sont des nations [sic] juridiques distinctes et on ne peut par conséquent parler de adoption plénière ou légitimation adoptive comme si l’un pouvait se substituer à l’autre ou le valait;

La légitimation adoptive n’étant pas l’objet du jugement querellé, il convient de l’évacuer avant de nous attarder sur l’adoption plénière.

[…]

La légitimation adoptive n’étant pas l’objet du jugement querellé nous n’en avons relevé les conditions que pour permettre de comprendre la différence avec l’adoption plénière.

B- DE L’ADOPTION PLÉNIÈRE

L’adoption plénière est une forme d’adoption c'est à dire de création par jugement d’un lien de filiation entre deux personnes avec la particularité que l’enfant adopté rompt tout lien avec sa famille d’origine et est assimilé à un enfant légitime dans sa famille d’adoption.

L’adoption trouve son fondement et ses conditions dans les articles 343, 344(1); 346 (2); 347 (1); 350 (2); et 351 (1) du code civil Camerounais et l’adoption plénière complète ces textes par l’article 352 du même code.

[…]

SUR L’ÂGE DE L’ENFANT À ADOPTER

[…]

L’article 352 qui consacre l’adoption plénière est plus explicite quant à l’âge de l’adopté lorsqu’il dispose que « le tribunal, en homologuant l’acte d’adoption, peut à la demande de l’adoptant et s’il s’agit d’un mineur de vingt et un ans décider après enquête que l’adopté cessera d’appartenir à sa famille naturelle ».

Ce texte détermine donc l’âge de l’enfant qui peut faire l’objet de l’adoption plénière et le fixe à moins de vingt et un ans (21) et donc jusqu’à vingt ans.

B- SUR L’EXISTENCE DES PARENTS DE L’ADOPTÉ

L’article 347 sus-visé exige pour l’adoption d’un enfant mineur de seize ans le consentement de ses parents si ceux-ci sont encore vivants; cela veut tout simplement dire que l’enfant à adopter n’est ni orphelin de père et de mère, ni abandonné, ni sans filiation.

L’adoption est donc ouverte aux enfants dont les parents sont connus et même vivants, étant entendu que si l’adopté est mineur, ceux-ci doivent consentir à son adoption.

CONCLUSION

Compte tenu de ce qui précède, vous voudrez bien noter que :

– Le jugement n° 854/5 rendu le juillet 2008 est régulier et authentique comme rendu par une juridiction compétente et conformément à la législation camerounaise :

– L’adoption plénière en droit camerounais est différente de la légitimation adoptive et par conséquent leurs conditions sont différentes;

– L’adoption plénière au Cameroun est possible pour les enfants mineurs de vingt ans c’est-à-dire de la naissance jusqu’à l’âge de vingt ans;

– La filiation établie des enfants et leur appartenance à une famille connue avec des parents vivants ne font pas obstacle à leur adoption plénière;

Le jugement n’indique pas l’exception prévue à l’article 352 du Code civil s’applique et la mention que les enfants appartiennent désormais à la famille Kenne ne veut pas nécessairement dire que les liens de filiations préexistants sont rompus. La preuve démontre que les enfants ont conservés des liens avec leurs familles naturelles puisqu’ils continuent de porter le nom de leurs mères et continuent d’habiter avec elle. [Je souligne.]

[43]      La deuxième opinion juridique, émise par Me Tsapi, confirme elle aussi l’existence de l’adoption plénière en droit camerounais et son caractère distinct du concept de légitimation adoptive ainsi que le fait que « le seul point commun aux deux notions ne se trouve que dans l’intérêt de l’enfant et de la rupture des liens avec sa famille naturelle ». La SAI a jugé cette opinion contradictoire avec l’article 351 du Code civil. Or, la proposition n’est absolument pas contradictoire avec l’article 352 qui crée une exception à l’article 351.

[44]      Je considère que les opinions émises par les deux avocats étaient bien articulées et qu’elles offrent une interprétation tout à fait raisonnable des dispositions du Code civil camerounais relatives à l’adoption. Cette interprétation est d’ailleurs conforme à la définition de l’adoption plénière que la SAI a elle-même citée :

Dans cette veine, le dictionnaire « Petit Robert » nous apprend qu’à l’encontre de « l’adoption simple » qui laisse subsister des liens avec la famille d’origine, « l’adoption plénière » résulte en une « rupture des liens avec la famille d’origine ».

De plus, outre ces deux opinions juridiques, plusieurs autres éléments de la preuve documentaire déposée tendaient à démontrer que le concept d’adoption plénière existe en droit camerounais :

• Dans sa lettre datée du 21 mai 2008, l’agent de l’Ambassade canadienne mentionne lui-même que les actes d’adoption simple des enfants ne peuvent être acceptés, que des actes d’adoption plénière doivent être produits et que les mères biologiques doivent renoncer à leurs droits parentaux.

• Les actes notariés relatifs au consentement des mères font clairement référence à l’adoption plénière des enfants et aux conséquences de ce type d’adoption. Chacune des mères a déclaré dans les actes notariés « consentir expressément à l’adoption plénière ». Chaque acte notarié comprend également la déclaration suivante : « Elle reconnaît en outre avoir été informée par le Notaire soussigné des effets légaux de l’adoption plénière projetée qui confèrera à ses enfants une filiation se substituant à leur filiation d’origine ».

• Les concepts d’adoption simple et d’adoption plénière sont également repris dans les jugements d’adoption. Alors que le premier jugement d’adoption des enfants en 2006 prononçait leur adoption simple, le jugement de juillet 2008 prononçait leur adoption plénière.

[45]      La SAI a fondé sa conclusion sur sa propre interprétation des dispositions du Code civil et elle a rejeté toute la preuve documentaire déposée qui soutenait une interprétation contraire. Il est de plus manifeste que la SAI n’a pas saisi le sens des opinions juridiques. Je considère donc qu’en l’espèce, les conclusions de la SAI, fondées seulement sur sa propre compréhension et ignorant tous les éléments de preuve documentaire déposés, n’appartiennent pas aux issues raisonnables possibles au regard de la preuve.

[46]      Je considère également que la SAI a commis une autre erreur lorsqu’elle a conclu que le juge ayant prononcé l’adoption des enfants n’avait pas appliqué l’exception prévue à l’article 352 du Code civil et que l’adoption n’avait pas eu pour effet de rompre les liens de filiation préexistants des enfants. La SAI s’exprime comme suit :

Le tribunal est persuadé que l’adoption prévue aux articles 343 à 367 du Code Civil camerounais ne rompt pas « tout lien de filiation préexistant », puisque les articles 351, 356, 357 et 367 indiquent tout le contraire. De plus, l’appelant n’a pas réussi à démontrer que dans les faits, l’adoption qu’il a entrepris au Cameroun a eu pour effet de rompre tout lien de filiation préexistant, d’autant plus que la forme d’adoption adoptée par le législateur camerounais dans les articles 343 à 367 sur lesquels s’appuie l’appelant est révocable, et que l’article 351 est on ne peut plus clair, en précisant que « l’adopté reste dans sa famille naturelle et y conserve tous ses droits », en comparaison de la « légitimation adoptive » qui, elle, a pour effet de faire cesser l’appartenance de l’enfant à sa famille naturelle (article 370). Nulle part le jugement d’homologation camerounais n’indique qu’à la demande de l’adoptant il a décidé d’appliquer l’exception prévue à l’article 352 du Code civil du Cameroun, de faire cesser l’appartenance des demandeurs à leurs familles naturelles respectives et de ne plus y conserver tous leurs droits. Le fait que les demandeurs ont continué et continuent encore à utiliser les noms de leurs familles naturelles n’en est qu’une démonstration évidente. Le fait que les demandeurs ont continué après l’adoption et continuent encore de résider avec leurs mères respectives en est une autre démonstration évidente. Le fait que le jugement dise que les enfants adoptés appartiennent désormais à la famille Kenne (la famille de l’appelant) ne veut pas nécessairement dire que les demandeurs ont cessé d’appartenir à leurs familles naturelles et d’y conserver tous leurs droits. [Je souligne.]

[47]      Ce passage démontre encore une fois que tout le raisonnement de la SAI est fondé sur le fait qu’elle ne reconnaît pas l’adoption plénière. De plus, son affirmation que le jugement n’indique pas que le juge a appliqué l’exception prévue à l’article 352 n’est pas raisonnable eu égard à la preuve.

[48]      Le jugement d’adoption doit être compris dans le contexte de l’ensemble de la preuve documentaire déposée.

[49]      D’abord, le jugement d’adoption plénière faisait suite au jugement du 16 octobre 2006 qui prononçait l’adoption simple des trois enfants et qui ne faisait aucune mention de leur famille d’appartenance. Une telle mention aurait cependant été inutile parce que l’article 351 du Code civil prévoit que l’adopté reste dans sa famille et y conserve tous ses droits.

[50]      Toutefois, les actes de consentement des mères des enfants déposés au tribunal de première instance au soutien de la requête pour adoption plénière mentionnent expressément que ces dernières ont été informées de la substitution de filiation qui résulterait de l’adoption plénière.

[51]      Le jugement de 2 juillet 2008 réfère expressément aux consentements des mères et il mentionne qu’il prononce l’adoption plénière des enfants. En soi, il s’agissait d’une reconnaissance que le tribunal avait appliqué l’exception prévue à l’article 352 du Code civil et que l’effet de cette adoption est celui prévu à cet article, soit que les adoptés cesseront d’appartenir à leur famille naturelle. Le juge va plus loin en mentionnant expressément la substitution des liens de filiation préexistants des enfants, et ce, en utilisant les mêmes termes que ceux utilisés à l’article 352. Il est utile de reproduire à nouveau l’article 352 :

Art. 352 – Nonobstant les dispositions de l’alinéa 1er de l’article précédent, le tribunal, en homologuant l’acte d’adoption, peut à la demande de l’adoptant et s’il s’agit d’un mineur de vingt et un ans, décider après enquête que l’adopté cessera d’appartenir à sa famille naturelle sous réserve des prohibitions au mariage visées aux articles 161, 162, 163 et 164 du présent Code. Dans ce cas, aucune reconnaissance postérieure à l’adoption ne sera admise; d’autre part, l’adoptant ou le survivant des adoptants pourra désigner à l’adopté un tuteur testamentaire. [Je souligne.]

[52]      Or, le jugement du 2 juillet 2008 du tribunal de première instance de Douala, contient entre autres, les mentions suivantes :

Attendu que par acte N° 168 du répertoire de Maître Florence NJONGUE ETAME, Notaire à Douala, dame veuve Miyer YOGHO née NKEM Comfort, mère des enfants YOGHO Carita et YOGHO Stanislas NKEM a exprimé son consentement à cette adoption plénière;

Que par acte N° 169 du répertoire de Maître Florence NJONGUE ETAME, Notaire à Douala, dame YOGHO Ziporah, mère de la jeune DGOUKOUO Ginette a approuvé la demande d’adoption plénière de sieur KENNE Jean Pierre;

Attendu qu’au cours de l’audience publique dame veuve Miyer YOGHO née NKEM Comfort et dame YOGHO Ziporah ont réitéré chacune son consentement à l’adoption de leurs enfants susnommés;

Attendu que la coutume Bamiléké, celles des parties, non contraire aux dispositions du droit écrit énonce que l’adoption est admise si elle offre pour l’adopté des conditions meilleures de vie et si les parents ou celui survivant y consentent;

Que par ailleurs il ressort des débats et des pièces produites que l’adoption plénière sollicitée par KENNE Jean Pierre repose sur de justes motifs et présente des avantages certains pour les adoptés;

Qu’il y a lieu de déclarer que les enfants YOGHO Carita, YOGHO Stanislas NKEM et DGOUKOUO Ginette, sont adoptés suivant le régime de l’adoption plénière par KENNE Jean Pierre;

Attendu que KENNE Jean Pierre a sollicité que les enfants ainsi adoptés appartiennent désormais à la famille KENNE;

Qu’il convient de faire droit à cette demande;

[…]

Y faisant droit déclare que les enfants YOGHO Carita née le 11 octobre 1991 à Douala, YOGHO Stanislas NKEM né le 21 mars 1996 à Douala et DGOUKOUO Ginette née le 14 juillet 1991 à Douala sont adoptés suivant le régime de l’Adoption plénière par KENNE Jean Pierre.

Dit que les enfants ainsi adoptés appartiennent désormais à la famille KENNE; [Je souligne.]

[53]      J’estime que les erreurs commises par la SAI sont déterminantes parce qu’elles ont eu pour effet de vicier tout son raisonnement.

[54]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question d’importance aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que le dossier soit retourné devant un autre commissaire de la SAI pour un nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

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