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A-335-99

2001 CAF 63

Procureur général du Canada et Conseil du Trésor du Canada (appelants) (intimés)

c.

Constance St-Hilaire (intimée) (requérante)

Répertorié : St-Hilaire c. Canada (Procureur général) (C.A.)

Cour d’appel, juges Desjardins, Décary et Létourneau, J.C.A.—Québec, 31 janvier, Ottawa, 19 mars 2001.

Fonction publique — Pensions — L’intimée, accusée du meurtre au second degré de son mari, a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire — Son mari, ancien fonctionnaire, avait contribué au compte de pension de retraite ouvert en conformité avec l’art. 4 de la LPFP — La veuve a réclamé les allocations prévues par la Loi en sa qualité de conjointe survivante et d’héritière de la succession de son mari — Le Conseil du Trésor a refusé de payer en invoquant la règle d’ordre public qui veut que nul ne puisse profiter de son crime — Il faut se référer au Code civil du Québec lorsque la loi fédérale est silencieuse sur le sens des mots « conjoint survivant » et « succession » — L’homicide involontaire coupable donne ouverture à l’indignité successorale de plein droit prévue à l’art. 620 du Code civil du Québec — L’intimée s’est livrée à des voies de fait graves ou à des lésions corporelles graves susceptibles de causer la mort, et elle est de ce fait indigne de plein droit d’hériter de son mari.

Code civil — L’intimée a réclamé les allocations prévues par Loi sur la pension de la fonction publique en sa qualité de conjointe survivante et d’héritière à la suite du décès de son mari survenu au cours d’une violente querelle conjugale — Accusée de meurtre au second degré, elle a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire — Les mots « conjoint survivant » et « succession » ne sont pas définis dans la Loi — Complémentarité du droit civil québécois par rapport au droit fédéral en cas de silence de ce dernier — Le droit civil constitue le droit supplétif lorsque le tribunal doit interpréter et appliquer un texte de loi fédéral qui est muet dans un litige concernant les droits civils au Québec — L’indignité successorale prévue à l’art. 620(1) du Code civil du Québec s’attache à la personne déclarée coupable d’avoir attenté à la vie du défunt — Le Code civil du Québec reconnaît l’existence du principe que nul ne doit profiter de son crime — Examen de la jurisprudence canadienne et anglaise — L’art. 620 du Code civil du Québec n’apporte aucune modification substantielle au droit antérieur touchant la succession légale — Il n’écarte pas de son champ d’application tous les homicides involontaires coupables.

Il s’agit de l’appel d’un jugement par lequel la Section de première instance a accueilli la demande présentée par l’intimée en vue d’obtenir un jugement déclaratoire qui consacrerait son droit aux avantages prévus par la Loi sur la pension de la fonction publique et ordonné au Conseil du Trésor de lui verser les sommes qu’elle réclamait. En février 1995, l’intimée a tué son mari au cours d’une violente querelle conjugale. Accusée de meurtre au second degré, elle a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire. Le mari était un fonctionnaire fédéral qui avait travaillé au sein de la Garde côtière du Canada pendant 25 ans et contribué au compte de pension de retraite ouvert en conformité avec l’article 4 de la Loi, ainsi qu’au compte de prestations de décès de la fonction publique ouvert en conformité avec l’article 56. L’intimée s’est adressée au Conseil du Trésor pour qu’il lui verse, en sa qualité de conjointe survivante et d’héritière de la succession de son mari, les allocations prévues par la Loi. Le Conseil du Trésor a refusé de payer quoi que ce soit à l’intimée, en invoquant la règle d’ordre public que nul ne puisse profiter de son crime. L’intimée s’est alors adressée à la Section de première instance de la Cour fédérale pour obtenir un jugement déclaratoire qui consacrerait son droit aux avantages prévus par la Loi. Le juge Blais a accueilli la demande de l’intimée et s’est dit d’avis que le droit applicable en l’espèce était le droit des successions défini dans le Code civil du Québec, qu’en vertu de celui-ci, il n’y a indignité de plein droit que s’il y a intention de commettre le crime reproché et que l’infraction d’homicide involontaire coupable échappe à cette régle. La principale question en litige en appel était de savoir si le droit civil québécois constitue le droit supplétif lorsque le tribunal doit interpréter et appliquer un texte de loi fédéral qui est muet au sujet des droits civils au Québec et, dans l’affirmative, si l’intimée était indigne de plein droit d’hériter de son mari en raison du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec.

Arrêt (le juge Décary, J.C.A. dissident en partie) : l’appel doit être accueilli.

Le juge Létourneau, J.C.A. : La Cour d’appel fédérale a maintes fois reconnu la complémentarité du droit civil québécois au droit fédéral en cas de silence de ce dernier. Elle s’est aussi efforcée d’harmoniser les effets des lois fédérales afin d’éviter les disparités qui sont sources d’injustice, tout en reconnaissant un droit à la différence lorsque l’harmonisation s’avère impossible. L’indignité successorale prévue au paragraphe 620(1) du Code civil du Québec s’attache à la personne déclarée coupable d’avoir attenté à la vie du défunt. Le libellé de cet article crée de sérieuses difficultés, étant donné qu’il n’existe pas en droit pénal canadien d’infraction d’avoir attenté à la vie du défunt. Dans notre droit pénal, l’homicide involontaire coupable constitue une catégorie résiduelle qui englobe tout ce qui n’est pas autrement assigné au meurtre et à l’infanticide. Les trois catégories d’infractions prévues par le Code criminel — le meurtre, l’homicide involontaire et l’infanticide — sont loin d’être étanches entre elles et ce serait une erreur que de se retrancher derrière l’étiquette « homicide involontaire coupable » pour conclure que toutes et chacune des atteintes à la vie qui entrent dans cette catégorie ne peuvent être source d’indignité successorale de plein droit. De plus, on ne peut pas inférer de la présence du mot « involontaire » dans le concept d’homicide involontaire coupable une absence de volonté de tuer ou de donner la mort. Le paragraphe 620(1) du Code civil du Québec n’écarte pas de son champ d’application tous les homicides involontaires coupables. Lorsque, comme en l’espèce, une personne se livre à des voies de fait graves ou à des lésions corporelles graves susceptibles de causer la mort, sachant que la mort peut en résulter, mais étant indifférente qu’elle s’ensuive ou non, cette personne est indigne de plein droit d’hériter de sa victime. Ce geste satisfait à toutes les conditions du meurtre prévues au sous-alinéa 229a)(ii) du Code criminel et constitue un meurtre. L’intimée voulait, sinon tuer son époux, à tout le moins lui causer des lésions corporelles graves susceptibles de causer sa mort. Elle a consciemment et volontairement porté atteinte à la vie du défunt au sens du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec. L’intimée était par conséquent indigne de plein droit d’hériter de son mari au sens de cette disposition et elle ne pouvait toucher la rente de conjoint survivant.

Le juge Desjardins, J.C.A. : Pour déterminer le sens des mots « conjoint survivant » et « succession », lorsque la loi fédérale en cause, la Loi sur la pension de la fonction publique, est silencieuse, il faut se référer au Code civil du Québec, et non au common law. Le Code civil du Québec constitue le fondement non seulement des autres lois québécoises, mais également des dispositions pertinentes de la Loi en l’espèce. Le paragraphe premier de l’article 620 du Code, qui déclare de plein droit indigne de succéder « celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt » n’écarte pas de son champ d’application tous les homicides involontaires coupables, et certes pas celui commis par l’intimée. Si le législateur québécois avait vraiment voulu exclure à l’article 620 du Code civil du Québec tout recours devant les tribunaux civils, il lui était loisible d’emprunter la terminologie propre au droit criminel dans la rédaction du paragraphe premier de l’article 620, ce qu’il s’est bien gardé de faire. Comme l’intimée a été déclarée « coupable d’avoir attenté à la vie du défunt », elle était de plein droit indigne d’hériter de son mari selon les termes de cette disposition et elle ne pouvait toucher la rente de conjoint survivant.

Le juge Décary, J.C.A. (dissident en partie) : La prestation sous forme d’allocation mensuelle prévue au paragraphe 13(3) de la Loi est payable au « conjoint survivant » et aux « enfants ». Il n’y a pas d’enfant en l’espèce et l’intimée est le « conjoint survivant ». Les parties ont par erreur tenu pour acquis que l’intimée et la « succession » de son mari ne faisaient qu’un. Le Code criminel du Canada distingue trois sortes d’homicide coupable : le meurtre, l’homicide involontaire coupable et l’infanticide. En l’espèce, l’intimée, en termes de droit criminel, a intentionnellement causé des lésions corporelles graves qui ont entraîné la mort de son mari. La Loi sur la pension de la fonction publique ne contenait, à l’époque pertinente, aucune disposition concernant la disqualification d’un bénéficiaire pour cause d’attentat à la vie du cotisant. Au Québec, le « droit commun » de la province est constitué du Code civil du Québec et du Code de procédure civile, même si ce sont là des textes législatifs. Le juge chargé d’interpréter et d’appliquer une loi fédérale dans un litige qui concerne les droits civils au Québec doit savoir que, règle générale, le droit supplétif est le droit civil. L’argument du procureur général suivant lequel l’admissibilité à des bénéfices reconnus aux employés de l’État fédéral est une question de droit administratif régie par les règles propres au droit public, donc par la common law, comporte deux failles. Premièrement, la Loi sur la pension de la fonction publique n’est pas une loi à caractère exclusivement administratif. En second lieu, la règle de common law qui veut qu’une personne ne puisse profiter de son crime n’est pas une règle de droit public, mais une règle de droit privé. Ce qui devrait déterminer s’il y a lieu ou non de recourir au droit privé (au Québec, le droit civil), ce n’est pas le caractère public ou privé de la loi fédérale en cause, mais le fait que la loi fédérale, dans un litige donné, doit être appliquée à des situations ou à des relations qu’elle n’a pas définies et qui ne peuvent l’être qu’en fonction des personnes affectées. Lorsque celles-ci sont des justiciables et que leurs droits civils sont en litige et n’ont pas été définis par le Parlement, c’est le droit privé provincial qui vient combler le vide. Le droit civil s’applique, au Québec, à toute législation fédérale qui ne l’écarte pas. Une loi fédérale, fut-elle qualifiée de loi publique, qui renvoie sans le définir à un concept de droit privé tel que la succession, doit être interprétée au Québec en fonction du droit civil. Comme ce sont les droits civils du conjoint survivant et des héritiers qui sont en litige, le silence du législateur fédéral doit être interprété comme un acquiescement à l’application du principe de l’asymétrie juridique qui caractérise le droit fédéral canadien.

Le Code civil du Québec reconnaît l’existence du principe que nul ne doit profiter de son crime. L’article 620 du Code civil du Québec, qui déclare de plein droit indigne de succéder celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt, n’apporte aucune modification substantielle au droit antérieur, du moins dans le cadre de la succession légale. On doit opter pour la solution qui apparaît à la fois la plus restrictive, la plus objective, la plus certaine et la seule susceptible d’entraîner une exclusion automatique. Cette solution est également celle qu’a retenue en France la majorité des juges et des auteurs. Sous le régime du droit successoral québécois actuel, l’intimée, en sa qualité d’héritière, n’était pas indigne de plein droit. Comme elle n’a pas été jugée indigne par déclaration judiciaire et comme le délai imparti aux successibles pour rechercher une déclaration judiciaire d’indignité était expiré, l’intimée avait le droit de réclamer du Conseil du Trésor, à titre d’héritière de la succession de son mari, la somme de 81 750 $ payable en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi à titre de prestation supplémentaire de décès. Toutefois, aux termes de l’article 2443 du Code civil du Québec, qui régit la présente situation, l’attentat à la vie du cotisant par le bénéficiaire entraîne la déchéance de ce bénéficiaire. Les circonstances du crime doivent mener, en l’espèce, à la disqualification de l’intimée. La description des événements révélait une volonté bien arrêtée de profiter de l’occasion qui se présenterait pour « piquer » une fois pour toutes la victime. Il y avait là une atteinte à la vie de la victime au sens du droit des assurances et l’intimée profiterait de son crime s’il lui était permis de recevoir les prestations dues à un conjoint survivant. L’intimée était déchue de son droit de recevoir les prestations dues à un conjoint survivant en vertu du paragraphe 13(3) de la Loi, mais elle avait droit en sa qualité d’héritière au montant minimal de 75 202,50 $ payable en vertu du paragraphe 27(2) de la Partie I de la Loi ainsi qu’à la prestation supplémentaire de décès d’environ 81 750 $.

lois et règlements

Act to Abolish Forfeitures for Treason and Felony, and to otherwise amend the Law relating thereto (R.-U.), 33 & 34 Vict., ch. 23.

Acte de Québec de 1774, L.R.C. (1985), appendice II, no 2, art. VIII.

Code civil (Fr.), Art. 727.

Code civil du Bas-Canada, art. 610, 611, 813, 893, 2559.

Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, art. Disposition préliminaire, 6, 7, 9, 613, 620, 621, 622, 623, 653, 696, 697, 1373, 1411, 1413, 1836, 1837, 2379, 2443, 2445, 2453, 2460.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 222(2),(3), (4),(5), 223(5), 229, 231 (mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 7, 40(2), ann. I, 185, ann. III; (4e suppl.), ch. 1, art. 18, ann. I; L.C. 1997, ch. 16, art. 3; ch. 23, art. 8), 232, 234, 235, 239 (mod. par L.C. 1995, ch. 39, art. 143), 745 (mod. par L.C. 1995, ch. 22, art. 6), 745.1 (édicté idem).

Code de procédure civile, L.R.Q., ch. C-25.

Code pénal (Fr.), Arts. 295 à 317.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 92(13), 94.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 18(1)a).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 39(1), 56 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 18).

Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36, art. 4, 12(9) « enfant » (mod. par L.C. 1989, ch. 6, art. 2), 13(3) (mod. par L.C. 1996, ch. 18, art. 30), 25(4) (mod. par L.C. 1999, ch. 34, art. 75), (8) (édicté, idem), 27(2) (mod., idem, art. 78), 42(1)mm), 43 (mod., idem, art. 93), 54, 55(1), 56 (mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 27).

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35.

Nouveau Code civil (Fr.), Art. 726.

Nouveau Code pénal (Fr.), Arts. 221-1, 221-2, 221-3, 221-4, 221-5, 221-7.

Ontario Municipal Employees Retirement System Act, R.S.O. 1980, ch. 348.

Règlement sur la pension de la Fonction publique, C.R.C., ch. 1358, art. 41 (mod. par DORS/93-450, art. 11).

P.L. S-4, Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, 1re sess., 37e Parl., 2001.

Social Security Act 1975 (U.K.), 1975, c. 14.

jurisprudence

décisions appliquées :

R. v. National Insurance Comr, ex parte Connor, [1981] 1 All E.R. 769 (C.B.R.); Gray v. Barr (Prudential Assurance Co Ltd, third party), [1971] 2 All ER 949 (C.A.).

décisions examinées :

R. c. St-Hilaire, [1996] A.Q. no 597 (C.S. Qué.) (QL); Foncière Compagnie d’Assurance de France c. Perras, [1943] R.C.S. 165; [1943] 2 D.L.R. 129; (1943), 10 I.L.R. 45; Millar (Charles), Deceased, In re Estate of, [1938] R.C.S. 1; (1938) 1 D.L.R. 165; Brissette, succession c. Westbury Life Insurance Co.; Brissette, succession c. Crown, Cie d’assurance-vie, [1992] 3 R.C.S. 87; (1992), 96 D.L.R. (4th) 609; 13 C.C.L.I. (2d) 1; 47 E.T.R. 109; 142 N.R. 104; 58 O.A.C. 10; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804; (1999), 179 D.L.R. (4th) 577; [2000] 1 W.W.R. 195; 69 B.C.L.R. (3d) 201; 99 DTC 5799, 248 N.R. 216; Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; 23 Q.A.C. 1; (1989), 45 M.P.L.R. 1; 94 N.R. 1; ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (C.P.); Couture-Lauzon c. Industrielle Alliance (L’), compagnie d’assurances sur la vie, [1993] R.R.A. 406 (C.Q.); Galarneau et Beaupré, J.E. 81-1085 (C.S. Qué.); Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association, [1892] 1 Q.B. 147 (C.A.); Lundy v. Lundy (1895), 24 R.C.S. 650; Nordstrom v. Baumann, [1962] R.C.S. 147; (1961), 31 D.L.R. (2d) 255; 37 W.W.R. 16; Ontario Municipal Employees Retirement Board and Young et al., Re (1985), 49 O.R. (2d) 78; 15 D.L.R. (4th) 475; 21 E.T.R. 1 (H.C.).

décisions citées :

Shaw v. Gillan (1982), 40 O.R. (2d) 146; 143 D.L.R. (3d) 232; 32 C.P.C. 251; [1983] I.L.R. 6179 (H.C.); Goulet c. Cie d’assurance-vie Transamerica Canada, [2000] R.J.Q. 1066; [2000] R.R.A. 325; 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; (1996), 140 D.L.R. (4th) 577; 42 Admin. L.R. (2d) 1; 205 N.R. 1; Exchange Bank of Canada v. Reg. (1886), 11 App. Cas. 157 (C.P.); Canada c. Construction Bérou Inc. (1999), 99 DTC 5868; 251 N.R. 115 (C.A.F.); Biderman c. Canada (2000), 2000 DTC 6149; 253 N.R. 236 (C.A.F.); Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; (1983), 2 D.L.R. (4th) 193; 4 Admin. L.R. 205; 7 C.C.C. (3d) 385; 37 C.R. (3d) 289; 51 N.R. 81; T.S.C.O. of Canada Ltd. c. Châteauneuf, [1995] R.J.Q. 637 (C.A.), Ménard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521 (1992), 146 N.R. 92 (C.A.); King, The v. Central Railway Signal Co., [1933] R.C.S. 555; [1933] 4 D.L.R. 737; Héritiers de feu Michel Prézeau c. Legault-Prézeau, J.E. 83-96 (C.S. Qué.).

doctrine

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APPEL d’un jugement ([1999] 4 C.F. 23 (1999), 32 E.T.R. (2d) 126; 167 F.T.R. 46) par lequel la Section de première instance a accueilli la demande présentée par l’intimée en vue d’obtenir un jugement déclaratoire qui consacrerait son droit aux avantages prévus par la Loi sur la pension de la fonction publique et a ordonné au Conseil du Trésor de lui verser les sommes qu’elle réclamait. Appel accueilli.

ont comparu :

Guy A. Blouin pour les appelants (intimés).

Suzy-Guylaine Gagnon pour l’intimée (requérante).

avocats inscrits au dossier :

Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (intimés).

Rochon, Belzile, Carrier, Auger & Associés, Québec, pour l’intimée (requérante).

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[1]        Le juge Desjardins, J.C.A. : Je souscris aux motifs exprimés par mon collègue le juge Décary, J.C.A. selon lequel le droit civil québécois est celui qui s’applique en l’espèce. La démonstration fouillée qu’il en fait ne laisse aucun doute dans mon esprit. Déterminer le sens des mots « conjoint survivant » et « succession », lorsque la loi fédérale en cause, la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), c. P-36 (la Loi), est silencieuse, oblige à nous référer au Code civil du Québec [L.Q. 1991, ch. 64], et non au common law. Je souligne en passant que, malgré l’usage courant de l’expression « la common law », peut-être en souvenir de la vieille expression française, la « Common Ley », j’appartiens à l’école de ceux qui préfèrent la masculinisation de l’expression « common law », puisqu’elle désigne le droit et non la loi ou les lois particulières. (Voir J.-C. Bonenfant, « Droit canadien des compagnies » (1967) 70 R. du N. 253, et Yves Caron, « Correspondance » (1968) 70 R. du N. 372.) Le Code civil du Québec constitue non seulement le fondement des autres lois québécoises (Code civil du Québec, Disposition préliminaire) mais également le fondement des dispositions pertinentes de la Loi en l’espèce.

[2]        Il reste toutefois à préciser quelle est la portée du paragraphe premier de l’article 620 du Code civil du Québec qui déclare, de plein droit indigne de succéder, « celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt ». Ces mots reprennent substantiellement les dispositions de l’article 610 du Code civil du Bas-Canada qui déclarait indigne de succéder et comme tel exclu des successions celui qui était « convaincu d’avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt ».

[3]        Sur ce plan, je diffère d’opinion avec le juge Décary, J.C.A.

[4]        Accusée de meurtre au second degré, l’intimée a plaidé coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire. Les circonstances de l’acte posé par l’intimée telles que relatées lors du jugement sur sentence prononcé par le juge André Trotier de la Cour supérieure du Québec [R. c. St-Hilaire, [1996] A.Q. no 597 (QL)] et reproduites par le juge Décary au paragraphe 25 de ses motifs, et particulièrement les paroles prononcées par l’intimée devant la police, le soir du crime, le 3 février 1995 : « c’est moi qui l’a piqué l’hostie », n’échappent pas à l’analyse de texte du paragraphe premier de l’article 620 du Code civil du Québec ainsi qu’à celle de la doctrine québécoise et de la jurisprudence canadienne et anglaise faite par le juge Létourneau, J.C.A. Ce qui l’amène à conclure que le paragraphe premier de l’article 620 du Code civil du Québec n’écarte pas de son champ d’application tous les homicides involontaires coupables, et certes pas celui commis par l’intimée.

[5]        Je partage cet avis.

[6]        Il pourrait cependant arriver, dans des situations autres que celle-ci, que l’atteinte à la vie du défunt puisse être plus ou moins présente lors d’une condamnation pour homicide involontaire coupable. Devant ce débat, et pour toutes les raisons qu’il donne, le juge Décary opte pour une interprétation plus restrictive, ne visant que le meurtre, (voir ses paragraphes 88 à 90), parce qu’elle lui apparaît la plus objective, la plus certaine et la seule susceptible d’entraîner une exclusion automatique, celle de plein droit prévue au paragraphe premier de l’article 620 du Code civil du Québec (voir les paragraphes 95, 96, 97 et 98 de ses motifs).

[7]        L’exclusion de plein droit me paraît pourtant compatible avec le fait qu’un tribunal civil puisse être appelé à déterminer, si un individu « a été déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt ». Le juge civil constate alors, à la lumière du dossier pénal, qu’il y a indignité de plein droit au sens du Code civil du Québec. Le juge n’est pas appelé à exercer une discrétion à la manière de l’ancien droit français (voir le paragraphe 91 des motifs du juge Décary et sa référence à Mayrand [Traité élémentaire de droit civil : les successions ab intestat, 1971]) mais bien à exercer un jugement. Il existe, certes, une marge souvent étroite entre une constatation judiciaire et une déclaration judiciaire (comparer les articles 620 et 621 du Code civil du Québec). Mais le droit n’est pas étranger à toutes ces distinctions.

[8]        C’est d’ailleurs à cette constatation judiciaire par un tribunal civil, je crois, que fait allusion le ministre de la Justice dans ses Commentaires portant sur le paragraphe premier de l’article 620 du Code civil du Québec [Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du Québec : un mouvement de société] (Tome I, page 367) :

La gravité des situations visées par l’article et l’existence d’un jugement qui constate les faits justifient le fait que l’inhabilité qui en résulte soit établie de plein droit. [Je souligne.]

[9]        La cour criminelle, pour sa part, ne « constate » pas les faits ni la « gravité des situations visées par l’article »; elle « enquête » sur les faits en fonction de l’acte d’accusation.

[10]      Si l’on compare les Commentaires du ministre de la Justice concernant l’article 620 du Code civil du Québec, tels que reproduits plus haut, avec ceux qu’il fait à l’article 621 du même Code, il écrit (Tome I, page 367) :

Cet article complète le précédent, en énonçant les causes permettant de faire déclarer l’indignité d’une personne à succéder. Comme la preuve des faits visés n’a pas été établie devant un tribunal, ou l’a été dans une autre instance, celui qui veut alléguer l’indignité devra la faire prononcer pour l’une ou l’autre des causes mentionnées. [Je souligne.]

[11]      Dans le cas de l’article 621, le tribunal civil fait enquête et déclare l’indignité.

[12]      À supposer que toute cette ambiguïté ne soit pas résolue par les Commentaires du ministre de la Justice (à cause des mots « ou l’a été dans une autre instance »), il n’en demeure pas moins que si le législateur québécois avait vraiment voulu exclure à l’article 620 du Code civil du Québec tout recours devant les tribunaux civils, il lui était loisible d’emprunter la terminologie propre au droit criminel dans la rédaction du paragraphe premier de l’article 620 du Code civil du Québec, ce qu’il s’est bien gardé de faire.

[13]      Je conclurais, pour les motifs exprimés par le juge Létourneau, J.C.A., que l’intimée, Constance St-Hilaire, a été déclarée « coupable d’avoir attenté à la vie du défunt », et qu’elle est de plein droit indigne d’hériter de son mari selon les termes du paragraphe premier de l’article 620 du Code civil du Québec. Je conclurais également, pour les motifs exprimés par le juge Décary, J.C.A., qu’elle ne peut toucher la rente de conjoint survivant.

[14]      J’accueillerais l’appel, j’infirmerais la décision du juge de la Section de première instance [[1999] 4 C.F. 23 et, procédant à rendre le jugement qu’il aurait dû rendre, je rejetterais la demande de jugement déclaratoire de l’intimée, le tout sans frais vu le succès partiel remporté par chaque partie.

* * *

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[15]      Le juge Décary, J.C.A. (dissident en partie) : Le 3 février 1995, l’intimée frappe son mari (M. Morin) d’un coup de couteau au cours d’une violente querelle conjugale. M. Morin meurt quelques heures plus tard. Accusée de meurtre au second degré, elle plaide coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire et elle est condamnée à une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour assortie d’une ordonnance de probation de trois ans devenant effective à sa libération.

[16]      M. Morin était membre de la fonction publique du Canada. Il travaillait au sein de la Garde côtière du Canada, une composante du ministère des Transports. Il contribuait depuis quelque 25 ans au compte de pension de retraite ouvert en conformité avec l’article 4 de la Loi sur la pension de la fonction publique (L.R.C. (1985), ch. P-36) (la Loi) ainsi qu’au compte de prestations de décès de la fonction publique ouvert en conformité avec l’article 56 [mod. par L.C. 1992, ch. 46, art. 27].

[17]      Le couple habitait à Charlesbourg, en banlieue de Québec. Les époux s’étaient mariés en 1981 sous le régime de la séparation de biens. Ils n’avaient pas d’enfants. Au moment du décès de M. Morin, il n’existait aucune autre disposition testamentaire que celle prévue au contrat de mariage. En vertu de cette disposition, les époux se faisaient donation mutuelle, à cause de mort, de l’universalité de biens meubles et immeubles composant la succession du premier décédé (dossier d’appel (ci-après d.a.), à la page 43). Il appert du dossier que M. Morin avait au moins un neveu, M. Mario Richard (d.a., aux pages 74, 140) et l’intimée, au moins une soeur (d.a., à la page 140). Aucun successible de M. Morin n’a demandé, aux termes de l’article 623 du Code civil du Québec [ci-après C.c.Q.] (voir paragraphe 69), que l’intimée soit déclarée indigne. Selon l’article 613 C.c.Q., une donation à cause de mort est une disposition testamentaire régie par les dispositions relatives à l’ouverture des successions et aux qualités requises pour succéder.

[18]      L’intimée s’est adressée au Conseil du Trésor du Canada (le Conseil du Trésor) pour qu’il lui verse, d’une part en sa qualité de conjointe survivante et d’autre part en sa qualité d’héritière de la succession de M. Morin, les allocations prévues dans la Loi. Cette Loi, en effet, prévoit dans sa partie I le paiement d’une prestation au conjoint survivant sous la forme d’allocation mensuelle (paragraphe 13(3) [mod. par L.C. 1996, ch. 18, art. 30]), et, dans le cas où il n’y a personne (conjoint ou enfant) à qui une allocation peut être versée, le paiement d’un montant minimal à la succession, équivalant à cinq fois la pension de base du défunt (paragraphe 27(2) [mod. par L.C. 1999, ch. 34, art. 78]), et dans sa partie II le paiement d’une prestation supplémentaire de décès à la succession, équivalant au double du traitement annuel du défunt (article 54 et paragraphe 55(1)). En l’espèce, il est reconnu par le Conseil du Trésor que le montant desdits bénéfices, s’il devait être payé, serait le suivant : environ 626,68 $ par mois pour la prestation de conjoint survivant, environ 81 750 $ pour la prestation supplémentaire de décès payable à la succession et environ 75 202,50 $ pour le montant minimal payable à la succession s’il n’y avait ni conjoint survivant ni enfant (d.a., à la page 52).

[19]      Selon l’article 43 [mod. par L.C. 1999, ch. 34, art. 93], les montants nécessaires au paiement des prestations établies par les paragraphes 13(3) et 27(2) sont payés sur le compte de pension de retraite. Selon l’article 56, la prestation supplémentaire de décès établie aux articles 54 et 55 est payée sur le Trésor et portée au débit du compte de prestation de décès de la fonction publique.

[20]      Le Conseil du Trésor a refusé de payer quoi que ce soit à l’intimée, en invoquant la règle d’ordre public qui veut que nul ne puisse profiter de son crime.

[21]      L’intimée s’est alors adressée à la Section de première instance de cette Cour pour obtenir un jugement déclaratoire qui consacrerait son droit aux bénéfices prévus par la Loi. L’intimée plaidait essentiellement ce qui suit (d.a., aux pages 35 et 36) :

 9.   Il ressort de l’ensemble du dossier et de ma condamnation pour homicide involontaire que je n’ai jamais eu l’intention d’attenter à la vie de mon conjoint écartant ainsi l’application de l’article 620 du Code civil du Québec prévoyant l’indignité de plein droit;

10.  Au surplus, seuls les successibles pouvaient soulever l’indignité relative dans l’année qui suivait l’ouverture de la succession. Or, plus de trois (3) ans se sont écoulés et personne ne s’étant manifestée le recours est maintenant prescrit me laissant ainsi seule héritière;

11.  Rien dans le Régime de pensions du Canada ou toutes autres lois concernant les prestations de pension ne viennent ajouter aux possibilités d’indignités prévues au Code civil du Québec;

12.  Également, je rencontre toutes les conditions relatives à la définition de « conjoint survivant » prévue à cette même Loi.

[22]      Le juge Blais a accueilli la demande de l’intimée et ordonné au Conseil du Trésor de verser à l’intimée les sommes réclamées. Dans une décision publiée à [1999] 4 C.F. 23(1re inst.), il s’est dit d’avis que le droit applicable en l’espèce est le droit des successions défini dans le Code civil du Québec, qu’en vertu du droit successoral québécois il n’y a indignité de plein droit que s’il y a intention de commettre le crime reproché et que l’infraction d’homicide involontaire coupable échappe à l’indignité de plein droit. Il refusait, par ailleurs, d’ordonner au Conseil du Trésor, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, de payer des intérêts; cette partie de l’ordonnance a fait l’objet d’un appel incident de la part de l’intimée, laquelle s’en est désisté à l’audience.

[23]      Les appelants (le procureur général du Canada et le Conseil du Trésor du Canada) (ci-après le procureur général) plaident que l’objet du litige relève exclusivement du droit public, et plus particulièrement du droit administratif, que la common law est la source du droit public fédéral et s’applique au gouvernement fédéral même en territoire québécois, qu’il existe en common law une règle d’ordre public qui veut que nul ne puisse profiter de son crime et qui s’applique au crime d’homicide involontaire coupable, que le droit privé québécois ne peut écarter cette règle eu égard au droit public fédéral et enfin, que de toute façon, le crime d’homicide involontaire coupable entraîne l’indignité de plein droit en droit civil québécois.

Observations préliminaires

[24]      Avant de résoudre ce formidable casse-tête juridique, il sera utile que je décrive avec quelques détails les circonstances du crime, que je détermine l’identité du bénéficiaire des allocations payables en vertu de la législation fédérale, que je rappelle certaines notions de base en droit criminel, que j’examine le rôle des tribunaux dans l’adoption ou la définition de règles d’ordre public et que je fasse état de la préoccupation exprimée dans la Loi elle-même relativement à la perpétration d’actes criminels.

A.        Les circonstances du crime

[25]      Les circonstances du crime sont décrites dans les motifs du jugement sur sentence du juge Trotier de la Cour supérieure du Québec ([1996] A.Q. no 597 (QL), aux paragraphes 8, 9, 10, 11, 13, 14, 15 et 22) :

La veille du drame, le 2 février 1995, vous aviez encore tous deux consommé en quantité excessive, ce qui a entraîné une nouvelle intervention de la police. Le 3 février 1995, à nouveau enivrés, le conflit s’est accentué à l’heure du souper : non seulement vous êtes-vous adressés mutuellement des reproches et des insultes, mais finalement, vous êtes passés aux actes physiques : lui, en vous repoussant dans le mur de la cuisine et vous, en saisissant un couteau dans un tiroir, pour lui en administrer un coup fatal à l’abdomen.

Le témoin Gilles Gasse, alors présent sur les lieux, nous éclaire sur la situation de violence existante ce soir-là. La victime voulait connaître vos fournisseurs de cocaine, menaçait de vous faire suivre, s’il le fallait, par des Hell’s Angels. De plus, votre époux cherchait à obtenir des renseignements sur vos relations extra-conjugales que vous avez, d’ailleurs, admises devant nous.

Quel était votre état psychologique lors de ce souper? Vous l’avez déclaré au cours de votre témoignage. Vous auriez agi « sous l’effet de la colère » en raison de la présence d’un étranger. Mais, le témoin Gilles Gasse nous dit que les menaces de votre mari relativement aux Hell’s Angels ne semblaient pas vous affecter outre mesure, que le climat de tension était palpable ce soir-là, mais pas tellement différent de celui constaté au cours de ses visites antérieures.

Quant aux événements qui ont suivi, ils font voir au départ votre état d’affolement. Vous avez tenté de ranimer votre conjoint, mais devant la situation irrémédiable créée, vous avez vite repris votre sang froid. Ainsi, vous donnez des instructions au témoin Gasse concernant la remise du couteau dans le tiroir et procédez avec lui au changement de vêtements sur la victime. Subséquemment, il y eut appel aux ambulanciers et à la police. Au policier Tougas, vous mentez en lui déclarant avoir mis le couteau dans le lave-vaisselle et avez ajouté : « c’est moi qui l’a piqué l’hostie », répétant par ces mots une menace antérieure faite devant ce même policier en 1994 à l’occasion d’une autre intervention. Vous lui aviez alors dit : « un jour, je vais le piquer l’hostie ».

[…]

À force de vous rappeler les événements depuis un an, vous n’en avez plus, Madame, une idée très nette. Le temps a laminé vos souvenirs et vous les avez enrichis, embellis en votre faveur. Entre ce qui est réellement survenu et ce que vous avez raconté pour la première fois à la Cour, il y a un monde. Vous avez certes témoigné avec sincérité, mais la sincérité n’est pas nécessairement la vérité. Certes, vous n’avez pas voulu tuer votre mari ce soir-là, mais avez agi sous « le coup de la colère », et non pas « par peur » dans le but de vous soustraire à un danger.

[…]

Avec égard pour cet expert, ce n’est pas dans un contexte d’effondrement de vos mécanismes de défense que l’acte regrettable a été posé, mais par un manque de contrôle inspiré par « la colère accentuée par les consommations ». À l’agression dont vous étiez victime, vous avez voulu répondre par l’intimidation, ce qui implique l’usage de vos moyens de défense.

Le contexte de violence familiale constante et excessive dans laquelle votre mari et vous avez vécu, laissait entrevoir une telle issue à défaut de vous séparer. Vous y étiez tous deux habitués même devant des tiers et encore une fois, je ne crois pas que la théorie du refoulement et du déni chez-vous soit à la base de ce funeste événement. Il ne s’agit pas d’un ultime acte désespéré d’une femme qui croyait sincèrement que sa vie était en danger. De plus, ce soir-là, vous aviez d’autres alternatives ou exutoires habituellement utilisés, tels que vous enfermer dans votre chambre, quitter les lieux pour vous rendre dans des bars ou appeler la police.

[…]

CONSIDÉRANT, que dans les circonstances, l’infraction commise le fut sous le coup de la colère et non de la peur, ce qui exclut toute prétention à un accident.

B.        Le bénéficiaire des allocations payables

[26]      La prestation sous forme d’allocation mensuelle prévue au paragraphe 13(3) de la Loi est payable au « conjoint survivant » et aux « enfants ». Le mot « enfant » est défini au paragraphe 12(9) [mod. par L.C. 1989, ch. 6, art. 2] et le paragraphe 25(4) [mod. par L.C. 1999, ch. 34, art. 75] décrit quelle personne est réputée être le « conjoint survivant ». Il n’y a pas d’enfant en l’espèce et il n’est pas contesté que l’intimée soit le « conjoint survivant ».

[27]      Le montant minimal prévu au paragraphe 27(2) est payable à la succession s’«il n’y a personne à qui une allocation prévue par la présente partie puisse être versée, ou quand les personnes à qui cette allocation peut être versée meurent ou cessent d’y avoir droit et qu’aucun autre montant ne peut leur être versé en vertu de la présente partie ». La « présente partie » à laquelle renvoie ce paragraphe est la partie I de la Loi, « Pension de retraite », qui regroupe les articles 1 à 46. Le procureur général n’a pas plaidé que ce paragraphe ne trouverait pas application si la raison pour laquelle aucune allocation ne pouvait être versée était l’inéligibilité du bénéficiaire. Le montant minimal consiste en la plus grande des sommes suivantes : le montant d’un remboursement des contributions ou un montant égal à cinq fois la pension à laquelle le contributeur aurait eu droit à la date de son décès. Le dossier n’indique pas auquel de ces montants correspond le montant de 75 202,50 $ admis par le procureur général. L’expression « succession », au paragraphe 27(2), n’est pas définie dans la Loi.

[28]      La prestation supplémentaire de décès prévue par le paragraphe 55(1) (qui se trouve dans la partie 2 de la Loi, « Prestations supplémentaires de décès ») serait payable, en l’espèce, à la succession. L’expression « succession » n’est pas définie dans la Loi.

[29]      Les parties semblent avoir tenu pour acquis que l’intimée et la « succession » de M. Morin ne faisaient qu’un. C’est là une erreur. Comme je l’ai noté plus tôt, nous savons, par une lettre apparaissant à la page 91 du dossier d’appel, que M. Morin avait au moins un neveu. Nous savons aussi, par une lettre du notaire de la « succession » en date du 8 mars 1996, que ce dernier s’affairait à « obtenir auprès des héritiers de la succession qu’ils mandatent et nomment, conformément au Code civil du Québec, un liquidateur successoral qui deviendra l’interlocuteur de la succession ». (d.a., à la page 43).

[30]      Il eut été préférable que ce « liquidateur successoral » fut partie à l’instance. Si la Cour décidait que l’intimée était indigne de succéder et ne pouvait en conséquence réclamer en qualité d’héritière l’un ou l’autre des montants payables à la succession, la réclamation de l’intimée en qualité d’héritière ne pourrait être que rejetée, mais le Conseil du Trésor n’en serait pas moins redevable envers les autres héritiers de la succession Morin, que nous ne connaissons pas. Le cas échéant, donc, ce jugement pourrait ne pas mettre fin aux obligations du Conseil du Trésor.

C.        Le Code criminel

[31]      Essentiellement, selon le Code criminel du Canada [L.R.C. (1985), ch. C-46 (ci-après C. cr.)], l’homicide coupable consiste à causer la mort d’un être humain au moyen d’un acte illégal ou par négligence (paragraphe 222(5) C. cr.). Le Code criminel distingue trois sortes d’homicide coupable (paragraphe 222(4)), lesquelles reflètent des différences au niveau de la culpabilité morale de leur auteur : le meurtre (article 229), lorsque la personne qui « cause la mort d’un être humain a l’intention de causer sa mort » ou « a l’intention de lui causer des lésions corporelles qu’elle sait être de nature à causer sa mort, et qu’il lui est indifférent que la mort s’ensuive ou non ». Le meurtre peut être du premier degré, i.e. commis « avec préméditation ou de propos délibéré » (article 231) [mod. par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 27, art. 7, 40(2), ann. I, 185, ann. III; (4e suppl.), ch. 1, art. 18, ann. I; L.C. 1997, ch. 16, art. 3; ch. 23, art. 8] ou du deuxième degré, i.e. un meurtre qui n’est pas un meurtre au premier degré (paragraphe 231(7)); l’homicide involontaire coupable, qui n’est ni un meurtre ni un infanticide (article 234) et qui peut être un meurtre commis « dans un accès de colère causé par une provocation soudaine » (paragraphe 232(1)); et l’infanticide, causé « par un acte ou une omission volontaire de la mère » (article 233). Ces trois formes d’homicide coupable supposent que leur auteur, avec succès et contrairement à la loi, a porté atteinte à la vie de la victime. En d’autres termes, ces trois formes d’homicide coupable renvoient, sous trois angles différents, au même geste. La personne qui échoue dans son geste est coupable de tentative de meurtre (article 239) [mod. par L.C. 1995, ch. 39, art. 143].

[32]      Dans le cas présent, l’intimée a été déclarée coupable d’ homicide parce qu’elle avait causé la mort de son mari au moyen d’un acte illégal (alinéa 222(5)a)). L’acte illégal consistait en des voies de fait graves, soit l’infliction de coups de couteau. Pour des raisons qui sont propres à l’administration de la justice criminelle, le poursuivant public a accepté un plaidoyer de culpabilité à un homicide coupable de moindre gravité que le meurtre, soit un homicide involontaire coupable. Il est, en l’espèce, certainles circonstances du crime ne laissent aucun doute là-dessusque l’intimée, en termes de droit criminel, a intentionnellement causé des lésions corporelles graves qui ont entraîné la mort de son mari.

D.        Le rôle des tribunaux dans l’adoption ou la définition de règles d’ordre public

[33]      La notion d’ordre public est une notion fuyante dont les tribunaux doivent se méfier. Dans Foncière Compagnie d’Assurance de France c. Perras, [1943] R.C.S. 165, le juge Rinfret rappelait, à la page 174, que la Cour suprême du Canada,

[…] dans la cause The Estate of Charles Millar ([1938] SCR 1), mettait en garde contre le danger d’accepter de nouvelles théories d’ordre public qui ne seraient pas contenues dans la loi statutaire ou qui ne seraient pas reconnues par une jurisprudence bien établie. Et cette Cour référait au jugement de Lord Wright, dans la cause de Fender v. Mildway [sic].

Précisément dans cette affaire Millar [Millar (Charles), Deceased, In re Estate of, [1938] R.C.S. 1] à laquelle renvoyait le juge Rinfret, le juge en chef Duff, à la page 5, s’exprimait comme suit :

[traduction] Le baron Alderson s’est dit d’accord, dans l’affaire Egerton v. Brownlow, pour dire qu’un tel principe « anéantirait totalement la distinction justifiée et réelle entre les fonctions judiciaires et législatives »; il a ajouté : « en ma qualité de juge, j’ai l’obligation de suivre des règles fixes et des précédents bien établis. » Le baron Parke a, pour sa part, fait la remarque suivante, dans la même cause (page 123) :

Il appartient à l’homme d’État, et non à l’avocat, de tenir un débat et à la législature de déterminer ce qui sert le mieux le bien public et d’y pourvoir en édictant les textes législatifs qui conviennent.

Lord Wright traite de cette question de façon très éclairée, si je puis dire, dans l’affaire Fender v. Mildmay. Il conclut que la perception moderne du droit est celle décrite dans les observations, qu’il cite, formulées par le baron Parke, dans Egerton v. Brownlow, et par lord Lindley, dans Janson v. Driefontein Consolidated Mines, Ltd.

Voici l’extrait de l’opinion du baron Parke :

Il appartient au juge d’expliquer le droit seulement; le droit écrit contenu dans les lois; le droit non écrit ou droit commun tiré des décisions de nos prédécesseurs et des tribunaux existants, décrit par les auteurs de doctrine reconnus et le droit établi par les principes qui en émergent par un raisonnement logique et des déductions judicieuses; il ne doit pas élaborer des hypothèses sur les solutions qui, à son avis, serviraient le mieux la collectivité. Certaines de ces décisions peuvent certainement reposer sur des opinions dominantes et justes du bien public; par exemple, l’illégalité des engagements formels restreignant la liberté de mariage et la liberté de commerce. Elles font maintenant partie du droit établi et elle nous lient, mais nous ne sommes pas pour autant autorisés à ériger en règles de droit toutes les mesures que nous pouvons imaginer au nom du bien public, ni à interdire tout ce que nous pouvons imaginer au nom du bien public, ni interdire tout ce que nous pouvons imaginer autrement.

Voici la phrase tirée du jugement de lord Lindley :

l’ordre public constitue un fondement bien instable et dangereux sur lequel construire, tant qu’une décision ne l’a pas rendu sûr. Sur ce point, j’ose rappeler à vos seigneuries les observations de poids faites par les barons Alderson et Parke dans Egerton v. Brownlow.

[34]      Ces principes, tel qu’il appert de l’opinion du juge Rinfret rendue dans la cadre d’un pourvoi de droit civil, valent aussi bien en common law qu’en droit civil. (Voir également : Shaw v. Gillan (1982), 40 O.R. (2d) 146 (H.C.); Goulet c. Cie d’assurance-vie Transamerica Canada, [2000] R.J.Q. 1066 (C.A.); Brissette, Succession c. Westbury Life Insurance Co.; Brissette, Succession c. Crown, Cie d’assurance-vie, [1992] 3 R.C.S. 87, juge Cory, dissident, à la page 107.)

[35]      La Cour suprême du Canada a tout récemment réaffirmé sa réticence à servir d’instrument de définition de règles d’ordre public. Dans 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, la Cour avait à décider s’il était contraire à l’ordre public d’interpréter l’alinéa 18(1)a) de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] de manière à permettre la déduction d’amendes et de pénalités. Quoique prononcés dans un contexte de droit fiscal, ces propos du juge Iacobucci illustrent bien le dilemme dans lequel se trouvent les tribunaux dès lors qu’on leur demande de définir l’ordre public [aux pages 838 à 841; paragraphes 59, 62 à 65) :

Ces difficultés démontrent que les arguments fondés sur l’ordre public demandent aux tribunaux de rendre des décisions difficiles sur des fondements discutables […]

[…]

Même si divers objectifs de politique sont mis en oeuvre par la voie de notre système fiscal et violent les principes de la neutralité et de l’équité, j’estime que c’est au Parlement qu’il revient de prendre ces décisions de politique publique. L’observation suivante faite par notre Cour dans Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, au par. 112, est très à propos : « une prescription du législateur est plus susceptible d’être claire qu’une règle dont les limites précises ne seront établies que par suite d’une longue et coûteuse série de poursuites ». Notre Cour a approuvé cette observation dans Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au par. 41, et ajouté qu’ « [e]n matière d’impôt sur le revenu, le droit est suffisamment compliqué sans que les tribunaux fassent inutilement des incursions dans le domaine de la création des lois. En tant que ligne de conduite et par respect pour le rôle même du législateur, c’est un lieu commun que de dire que la promulgation de nouvelles règles de droit fiscal doit être laissée au législateur ».

Cette approche et cette conclusion trouvent appui dans le fait que le Parlement a expressément interdit la déduction de certaines dépenses pour des motifs qui semblent relever de l’ordre public […]

[…]

Ces dispositions de la Loi enlèvent aussi du poids à l’argument selon lequel la déduction d’amendes et de pénalités permettrait au contribuable de tirer profit de ses propres méfaits. On a souvent fait remonter ce type de raisonnement à une déclaration de Lord Atkin dans Beresford c. Royal Insurance Co., [1938] 2 All E.R. 602 (H.L.), à la p. 607 : [traduction] « la règle absolue est que les tribunaux ne reconnaîtront pas au criminel quelque bénéfice découlant de son crime ». Toutefois, comme le notent plusieurs commentateurs, l’affaire Beresford visait le paiement d’une indemnité d’assurance à la suite du suicide de la personne assurée, à une époque où le suicide était qualifié de crime odieux. Voie E. M. Krasa, « The Deductibility of Fines, Penalties, Damages, and Contract Termination Payments » (1990), 38 Can. Tax J. 1399, à la p. 1417, et Krishna, aux pp. 31 et 32. On ne peut donc donner une portée plus générale à l’observation de Lord Atkin compte tenu particulièrement du fait qu’il est clairement autorisé, comme je l’indique plus haut, de considérer des dépenses engagées dans le cadre d’activités illégales comme des dépenses déductibles.

De plus, puisque le Parlement a spécifiquement envisagé la déduction de dépenses liées à certaines activités énumérées à l’art. 67.5 de la Loi qui constituent des infractions en vertu du Code criminel, il n’y a pas lieu, selon moi, d’apporter judiciairement quelque modification à la question générale de la déductibilité des amendes et des pénalités. Le fait que la Loi n’est pas muette sur la question de la restriction des déductions de dépenses engagées dans le but de produire un revenu indiquent fortement que le Parlement y a effectivement prêté attention et que, dans les cas où il le souhaitait, il a expressément limité la déduction de dépenses ou de paiements d’amendes et de pénalités. Je suis aussi sceptique sur la possibilité que la déduction d’amendes et de pénalités entraîne un bénéfice ou un avantage pour le contribuableen fait, elles ont pour objet de permettre le calcul du bénéfice du contribuable qui est alors assujetti à l’impôt.

E.        La perpétration d’actes criminels envisagée dans la Loi elle-même

[36]      Je note, en terminant ces observations préliminaires, que le Parlement s’est préoccupé, à l’alinéa 42(1)mm) de la Loi, de la règle selon laquelle nul ne doit profiter de son crime, mais que sa préoccupation s’est arrêtée à l’acte criminel commis par l’employé qui constituerait « une inconduite dans son emploi » :

42. (1) Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements :

[…]

mm) prévoyant, par dérogation aux autres dispositions de la présente partie, la réduction de toute pension ou allocation annuelle payable d’après la présente partie à une personne, ou à l’égard d’une personne, qui a été déclarée coupable d’un acte criminel par elle commis alors qu’elle était employée dans la fonction publique, si, de l’avis du ministre, la perpétration de cet acte par elle constituait une inconduite dans son emploi;

[37]      L’article 41 [mod. par DORS/93-450, art. 11] du Règlement sur la pension de la Fonction publique, C.R.C., ch. 1358, a justement prévu ce qui suit :

41. Lorsqu’un contributeur est déclaré coupable d’un acte criminel commis pendant son emploi dans la fonction publique et constituant, de l’avis du conseil du Trésor, inconduite dans l’exercice de ses fonctions, toute pension ou allocation annuelle payable selon la Loi au contributeur ou pour son compte doit être réduite du montant que le conseil du Trésor juge approprié.

Partie I—Le droit applicable : le droit civil du Québec ou la common law?

[38]      La Loi ne contenait, à l’époque pertinente, aucune disposition concernant la disqualification d’un bénéficiaire pour cause d’attentat à la vie du cotisant.

[39]      Au risque de simplifier des débats qui ont encore cours, je dirai que les règles générales qui s’appliquent sont les suivantes. Je les tire principalement des motifs des juges Beetz et L’Heureux-Dubé dans Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville), [1989] 1 R.C.S. 705; de ceux du juge L’Heureux-Dubé dans 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919; de l’étude des professeurs Brisson et Morel, « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation » (1996), 75 R. du B. can. 297; de l’étude du professeur Brisson, « L’impact du Code civil du Québec sur le droit fédéral : une problématique » (1992), 52 R. du B. 345; et de L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien : Recueil d’études publié en 1997 par le ministère de la Justice du Canada. Je reproduis d’entrée de jeu les extraits suivants de l’étude du professeur Brisson, aux pages 347 et 348, 352 et 353 :

À moins d’indication contraire, pourtant, nul autre texte que le Code civil ne doit servir de droit commun, en droit privé, à la législation fédérale applicable au Québec.

Ceci s’explique d’abord par le fait que le fédéral est un ordre de gouvernement et non pas un territoire. Le droit fédéral actuellement en vigueur s’est constitué non pas sur la base d’un système d’emprunt qui y aurait été introduit, dans l’histoire, par un phénomène de colonisation, comme c’est le cas pour le droit des provinces par exemple, mais par l’intervention active du Parlement fédéral et des autorités que ce dernier a investies d’un pouvoir de nature législative. Aussi bien, la législation fédérale entendue dans son acception la plus large exprime-t-elle à elle seule ce qu’est le droit fédéral, à moins que dans un texte donné, législatif ou réglementaire, l’autorité compétente n’ait désigné expressément un droit destiné à servir à titre supplétif. En l’absence d’une telle désignation, il n’y a pas, en droit fédéral, d’ensemble de règles juridiques à caractère fondamental qui puisse servir de réservoir à la législation, parce que le fédéral, contrairement aux territoires qui forment le Canada, n’en a jamais reçu.

C’est donc en principe le droit des provinces qui constitue ce réservoir, dont le contenu est en conséquence susceptible de varier, par la force des choses, d’une province à l’autre. Pour faire échec à l’utilisation du droit des provinces à titre supplétif, il suffit, mais il est nécessaire, soit de combler la lacune qui rend cette utilisation indispensable dans un cas donné, soit d’imposer nommément un autre droit de référence que celui-là. En termes clairs, il faut donc retenir qu’il n’y a pas de droit commun proprement fédéral, dans un domaine donné, sans texte.

[…]

À chaque fois, en effet, qu’une loi fédérale que l’on veut appliquer au Québec fait usage d’une notion de droit privé sans la définir et que la Loi d’interprétation reste elle aussi silencieuse, ou qu’elle n’occupe pas tout le domaine possible de la compétence de droit privé qui est exercée, c’est le Code civil qui fournit le soutien conceptuel nécessaire à une application intelligente de cette loi. La situation de dépendance implicite de la législation fédérale est donc, et de loin, celle qui est la plus répandue.

[40]      Premièrement : C’est l’Acte de Québec de 1774 [L.R.C. (1985), appendice II, no 2] qui a scellé le sort des deux systèmes juridiques qui allaient régir le droit applicable au Québec : le droit civil français tel qu’il existait avant 1760 avec ses modifications subséquentes au Québec pour tout ce qui touche à la propriété et aux droits civils, et la common law telle qu’elle existait en Angleterre à la même époque avec ses modifications subséquentes au Québec et au Canada pour tout ce qui touche au droit public. L’article VIII de l’Acte de Québec de 1774, qui prescrivait que « dans toutes affaires en litige, qui concerneront leurs propriétés et leurs droits de citoyens, ils auront recours aux lois du Canada », était le précurseur du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]].

[41]      Deuxièmement : Le droit public provincial, au Québec, se compose d’une part du droit écrit (les lois provinciales) et d’autre part de la common law. Seule la partie de la common law qui est dite de caractère public est cependant applicable, encore que ce ne soit pas tâche facile de distinguer la common law publique de la common law privée. La législature québécoise peut modifier dans les limites de sa compétence la common law de caractère public, pourvu qu’elle le fasse de façon claire et non ambiguë.

[42]      Troisièmement : Le droit public fédéral, au Québec, se compose d’une part du droit écrit (les lois fédérales de droit public) et d’autre part de la common law de caractère public. Le Parlement du Canada peut modifier la common law, pourvu qu’il le fasse de façon claire et non ambiguë.

[43]      Quatrièmement : Le droit privé fédéral, au Québec, se compose du droit privé défini dans une loi du Parlement du Canada et du droit civil s’il est nécessaire de recourir à une source externe pour appliquer une loi fédérale. Le Parlement du Canada peut adopter des lois de droit privé qui formeront un code complet auquel cas point n’est besoin de recourir à la source externe, qui est le droit civil, ou il peut adopter des lois de droit privé qui, parce qu’incomplètes, feront appel, de manière expresse ou implicite, au droit civil pour leur application.

[44]      Cinquièmement : Le Parlement du Canada peut déroger au droit civil lorsqu’il légifère sur un sujet de droit qui relève de sa compétence.

[45]      Sixièmement : La Cour suprême du Canada, dans ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, a reconnu que la Cour fédérale n’est pas tenue d’appliquer seulement le droit fédéral aux affaires dont elle est saisie (à la page 781, le juge McIntyre) :

Lorsqu’une affaire relève, de par son « caractère véritable », de sa compétence légale, la Cour fédérale peut appliquer accessoirement le droit provincial nécessaire à la solution des points litigieux soumis par les parties.

[46]      J’ajouterai les observations suivantes :

[47]      Au Québec, il est acquis que le « droit commun » de la province est constitué du Code civil du Québec et du Code de procédure civile [L.R.Q., ch. C-25], même si ce sont là des textes législatifs. (Voir Exchange Bank of Canada v. Reg. (1886), 11 App. Cas. 157 (C.P.); La Couronne en droit canadien, Paul Lordon, Cowansville : Y. Blais, 1992, à la page 148).

[48]      Le Comité judiciaire du Conseil privé, dans Citizens Insurance Company of Canada v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96, lord Montague Smith, à la page 111) a consacré en ces termes le principe qu’il fallait interpréter dans leur sens le plus vaste les mots « propriété » et « droits civils » qu’on retrouve à l’article VIII de l’Acte de Québec de 1774 et au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867 :

[traduction] Soulignons que les mêmes termes « droits civils » (civil rights) figurent dans 14 Geo. 3, ch. 83, qui établissait le gouvernement de la province de Québec. L’article 8 de cette loi prévoyait que les sujets canadiens de Sa Majesté dans la province de Québec conservaient leurs droits de propriété, doits d’usage et autres droits civils dont ils bénéficiaient auparavant et que toute controverse relative à la propriété et aux droits civils serait régie par les lois du Canada et tranchée en conformité avec ces lois. Dans cette loi, les mots « propriété » et « droits civils » sont employés surtout dans leur sens large; et rien ne justifierait que le tribunal statue que, dans la loi dont il est saisi, ils sont utilisés dans un sens différent et plus étroit.

[49]      C’est la Constitution même du Canada qui prévoit que des lois fédérales aient des effets qui soient différents selon qu’elles trouvent application au Québec ou dans les autres provinces. En assurant la perpétuité du droit civil au Québec et en encourageant, à l’article 94, l’uniformisation des lois des provinces autres que le Québec en ce qui concerne la propriété et les droits civils, la Loi constitutionnelle de 1867 consacre au Canada le principe fédéral selon lequel une loi fédérale qui recourt à une source de droit privé externe ne s’appliquera pas nécessairement de façon uniforme à travers le pays. C’est ignorer la Constitution que d’associer de manière systématique toute législation fédérale et common law.

[50]      Le juge chargé d’interpréter et d’appliquer une loi fédérale dans un litige qui concerne les droits civils au Québec doit savoir que règle générale, et sous réserve de ce qui sera dit ci-après eu égard aux lois dites de droit public, le droit supplétif est le droit civil. Cela ne veut pas dire qu’on ne doive pas chercher à harmoniser les effets des lois fédérales à travers le pays là où c’est possible en droit privé. (Voir : Canada c. Construction Bérou Inc. (1999), 99 DTC 5868 (C.A.F.); Biderman c. Canada (2000), 2000 DTC 6149 (C.A.F.).) Cela veut plutôt dire que l’asymétrie est la règle prévue par la Constitution. Cela veut dire aussi que si harmonisation il y a, elle peut tout aussi bien s’inspirer du droit civil que de la common law.

[51]      Le justiciable québécois, impliqué dans un litige relatif à ses droits civils en application d’une loi fédérale muette à cet égard, est en droit de s’attendre à ce que ses droits civils soient définis par le droit civil québécois, et ce même si la partie adverse est le gouvernement fédéral. Comme le dit si bien le professeur Morel (à la page 17), dans « L’harmonisation de la législation fédérale avec le Code civil du Québec. Pourquoi? Comment? », une étude publiée dans le Recueil d’études du Ministère de la Justice du Canada (supra, paragraphe 39) :

La complémentarité de la législation fédérale de droit privé avec le droit civil du Québec—comme d’ailleurs avec le droit fondamental de toutes les provinces—est la règle. Elle l’est au plan des principes. Elle l’est aussi dans la réalité des choses, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas courant que le législateur fédéral y fasse lui-même obstacle.

[52]      Pour les raisons que j’exposerai en détails plus loin, je ne crois pas qu’il soit réaliste de diviser en deux catégories étanches les lois fédérales, celles qui seraient de droit public et qui échapperaient donc par principe et dans leur totalité au droit civil, et celles qui seraient de droit privé et qui seraient complétées, si nécessaire, par le droit civil.

[53]      Enfin, je constate que la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7], au paragraphe 39(1), entérine le principe d’asymétrie juridique dans les causes qui impliquent le gouvernement fédéral en prescrivant, sans distinguer entre loi de droit public et loi de droit privé, que le droit relatif à la prescription des actions est régi par la loi de la province dans laquelle est survenu le fait générateur de l’instance. On peut en dire autant, relativement au droit procédural, du renvoi que l’article 56 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 18] de la Loi sur la Cour fédérale fait au droit provincial lorsqu’il s’agit de saisie-exécution.

[54]      J’applique maintenant ces règles et observations au présent dossier.

[55]      Pour privilégier l’application de la common law en l’espèce, le procureur général soutient que la Loi en litige, la Loi sur la pension de la fonction publique, fait partie du droit public fédéral, lequel se fonde sur la common law. Selon le procureur général, cette Loi régit les relations entre l’Administration fédérale et ses employés et participe en ce sens du droit administratif, lequel est identifié au droit public. Il cite cet extrait de l’ouvrage de P. Garant, Droit Administratif, 4e éd., vol. 1 (Cowansville : Yvon Blais, 1996), aux pages 7 et 8 :

En tant que discipline scientifique, on peut définir le droit administratif comme étant la branche du droit public qui concerne l’Administration du secteur public. L’Administration est l’ensemble des activités, agents et organismes chargés, sous l’impulsion du pouvoir politique, d’assurer les multiples interventions de l’État moderne.

[…]

Il comprend ensuite l’étude de l’activité gouvernementale et administrative et des moyens d’action; l’Administration pose des actes divers, d’où nécessité d’élaborer une théorie des actes pour en permettre l’analyse; l’Administration a besoin d’un personnel d’agents et de fonctionnaires publics qui sont soumis à un régime juridique particulier; l’Administration a en outre besoin de biens matériels, etc. Enfin, l’Administration doit être contrôlée afin de ne pas dévier dans la poursuite de l’intérêt général; ces contrôles sont multiples et concernent surtout le contrôle par les tribunaux non seulement de la légalité administrative mais aussi de la réparation indemnitaire pour les dommages causés par l’Administration dans l’exercice de ses pouvoirs.

et il conclut que l’admissibilité à des bénéfices reconnus aux employés de l’État fédéral est une question de droit administratif régie par les règles propres au droit public, donc par la common law.

[56]      Je vois deux failles fatales dans cette proposition. La première : la Loi sur la pension de la fonction publique n’est pas une loi à caractère exclusivement administratif. La seconde : la règle de common law qui veut qu’une personne ne puisse profiter de son crime n’est pas une règle de droit public, mais une règle de droit privé. J’examine d’abord ce deuxième aspect.

[57]      La règle selon laquelle nul ne doit profiter de son crime a été principalement développée dans le contexte du droit des testaments, des successions ab intestat et des assurances. Il s’agit là, assurément, de common law de droit privé. Le juge Beetz avait écrit dans Laurentide Motels Ltd., précité, (à la page 721) que ce ne serait pas tâche facile de distinguer la common law publique de la common law privée. Cette tâche, ici, est facile, d’autant plus qu’à la page 723 le juge Beetz avait ajouté ce qui suit :

Une règle qui ne s’applique qu’aux organismes publics, et dont l’existence et la justification trouvent leur source dans le caractère public de ces organismes, est assurément une règle de droit public. Lord Wilberforce écrit à la p. 754 de l’arrêt Anns v. Merton London Borough Council, précité :

[traduction] […] l’autorité locale est un organisme public, qui remplit des fonctions conférées par une loi : ses pouvoirs et ses obligations se définissent en fonction du droit public et non du droit privé.

[58]      Clairement, ici, la règle ne s’applique pas seulement aux organismes publics et ni son existence ni sa justification ne trouvent leur source dans le caractère public de l’Administration fédérale. La règle n’a pas été développée à l’intention des employés de l’État et elle s’applique à eux de la même manière qu’elle s’applique à des employés du secteur privé. Il suffit, pour illustrer et confirmer le monde qui sépare cette règle des règles de common law publiques, de constater que la règle de common law publique en jeu dans l’affaire Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, était le principe de confidentialité des sources d’information de la police, et dans l’affaire de la Régie des permis d’alcool (supra, paragraphe 39), le principe d’indépendance et d’impartialité d’un tribunal administratif.

[59]      La seconde faille se trouve dans la qualification de la Loi sur la pension de la fonction publique. Cette Loi possède, assurément, des caractéristiques propres à une loi de droit administratif, donc de droit public. Mais elle possède également des caractéristiques propres à une loi de droit privé.

[60]      La Loi, en effet, ne vise pas à déterminer les fonctions qu’exercent les employés de l’État non plus que leur mode de nomination, de promotion, de renvoi ou même de rémunération. Elle ne vise pas la responsabilité qu’engendre l’exercice de ces fonctions. Elle n’a aucune incidence sur les relations entre l’Administration fédérale et le public. Elle ne définit pas les pouvoirs et les obligations de l’Administration en fonction du droit public. Elle ne fait que réglementer le régime de retraite des employés, lequel se compose essentiellement des contributions que chacun y verse; semblable régime constitue, ainsi que le notait le juge LeBel, alors membre de la Cour d’appel du Québec, dans T.S.C.O. of Canada Ltd. c. Châteauneuf, [1995] R.J.Q. 637, à la page 675, « un élément des conditions de travail de l’employé » et « s’insère dans la relation de travail de l’employé ». La Loi, dans la partie qui nous intéresse, ne fait que désigner le bénéficiaire du régime auquel participait un employé de l’État. La nature de la Loi ne m’apparaît pas différente de celle de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), c. P-35 et pourtant, dans Ménard c. Canada, [1992] 3 C.F. 521(C.A.), cette Cour a appliqué la théorie civiliste de l’enrichissement sans cause, plutôt que la théorie de l’estoppel en common law, pour condamner Sa Majesté la Reine à payer des heures supplémentaires à un employé du Service correctionnel du Canada. Et cette Cour applique le droit civil d’une manière routinière dans les causes, au Québec, relatives à la Loi de l’impôt sur le revenu, une loi dite de droit public.

[61]      Brisson et Morel, dans l’article cité plus haut [au paragraphe 39] (page 309), écrivent que la dépendance implicite d’une loi fédérale par rapport au droit civil :

[…] n’est d’ailleurs pas propre à certaines catégories de lois. On la rencontre aussi bien pour les lois de droit public que de droit privé, car il en est fort peu au total qui pourvoient elles-mêmes, par une disposition expresse, à la détermination de ce qui constitue leur droit supplétif.

[62]      De même, le professeur André Morel, dans l’étude à laquelle j’ai renvoyé plus tôt [au paragraphe 51], dira-t-il (aux pages 7, 8 à 11) :

Le rôle que joue le droit civil à l’égard de la législation fédérale de droit privé lorsque celle-ci est appliquée au Québec apparaît tout à la fois comme une anomalie et comme une chose qui va de soi. Le fait que toutes les autres provinces et les territoires aient en commun un même système juridique qui est la common law et qui constitue le droit fondamental de toute législation, quelle qu’elle soit, contribue en effet à créer l’impression qu’il existe une sorte de lien organique, une association inscrite dans la nature des choses entre loi fédérale et common lawune impression d’ailleurs que le langage législatif utilisé sert parfois à alimenter. Dans ce contexte, l’application du droit civil peut paraître singulière. C’est pourtant une réalité que la doctrine comme la jurisprudence québécoises semblent tenir pour acquise tant il est rare qu’on prenne la peine de la justifier ou qu’on s’aventure à la contester.

Il est bien sûr toujours loisible au législateur fédéral de faire obstacle au jeu normal de la complémentarité entre la loi qu’il édicte et le droit commun des diverses provinces.

[…]

Il est tout d’abord nombre de situations où le droit civil est appelé à jouer un rôle que l’on pourrait qualifier de passif. Ce sont tous ces cas où une loi fédérale, dans la poursuite d’une fin qui lui est propre, prend appui sur des actes ou sur des faits juridiques réglementés par le Code civil pour y attacher des effets particuliers. Les exemples abondent. Il n’est que de penser à la législation en matière de faillite, de lettres de change, d’intérêt ou de sûretés bancaires qui suppose, pour avoir effet, l’existence de contrats tels qu’un prêt, une vente ou une hypothèque mobilière ou immobilière. Il n’en va pas autrement en matière de divorce comme en matière de responsabilité extracontractuelle de l’État. La Loi de l’impôt sur le revenu, qui détermine les incidences fiscales d’une vente ou d’une cession de créances, d’une donation ou d’un legs par exemple, montre que certaines lois de droit public, elles aussi, peuvent demander, pour avoir effet, que l’on recourre au Code civil afin de qualifier la nature exacte de l’acte juridique en cause. Dans ce cas comme dans les autres, à moins que la loi n’en dispose autrement, le Code civil régit un rapport de droit privé qui rejoint la loi fédérale indirectement puisque celle-ci vient s’y superposer pour en tirer des conséquences dans l’ordre fédéral.

Mais les situations les plus courantes sont bien plutôt celles où le droit civil joue un rôle actif en s’appliquant de façon immédiate pour compléter des lois fédérales de droit privé, tout comme il le fait d’ailleurs à l’égard de lois provinciales de même nature. Le plus souvent et par la force des choses, ces lois ne contiennent pas tout ce qui est nécessaire à leur mise en œuvre. Elles sont presque toujours, sous un aspect ou sous un autre, incomplètes, lacunaires. Elles utilisent des notions de droit civil sans les définir; elles font référence à des institutions consacrées par le Code civil ou elles omettent, volontairement ou non, de prévoir toutes les règles applicables dans le secteur qu’elles réglementent. Le droit civil est alors mis à contribution pour suppléer aux lacunes ou aux silences de la loi fédérale. Il la complète pour tout ce qu’elle n’a pas prévu et qui peut s’y ajouter sans contrecarrer l’objectif poursuivi par le législateur fédéral.

De cela, la jurisprudence offre d’innombrables exemples qui font appel à presque tous les domaines du droit civil, qu’il s’agisse du droit des personnes ou de la famille, du droit des biens ou des obligations, du droit des sûretés ou de la prescription. Et les lois fédérales qui donnent lieu à ces applications du Code à titre complémentaire sont d’une extrême variété. On constate que, si le législateur fédéral n’y fait pas lui-même obstacle, les tribunaux acceptent spontanément le jeu de la complémentarité du droit civil avec les dispositions législatives fédérales de droit privé. Ils le fond d’ailleurs avec une quasi-unanimité, si bien que les décisions judiciaires qui recourent plutôt à la common lawle plus souvent sous prétexte d’uniformitésont, dans l’ensemble de la jurisprudence québécoise, trop rares pour n’être pas considérées comme véritablement marginales.

[63]      MM. Macdonald et Scott, dans une autre étude publiée dans le Recueil d’études préparé par le Ministère de la Justice et intitulée : « Harmonizing the Concept and Vocabulary of Federal and Provincial Law : The Unique Situation of Quebec Civil Law », diront aussi, aux pages 47 et 48 :

[traduction] […] on peut supposer que le Parlement du Canada a l’intention que, dans une de ses lois, le mot « contrat » renvoie, pour l’application de cette loi dans la province d’Ontario, à la notion de contrat en common law en vigueur en Ontario et, pour l’application de cette loi dans la province de Québec, à la notion de contrat en droit civil en vigueur au Québec.

[64]      Le juge en chef Duff, dans King, The c. Central Railway Signal Co., [1933] R.C.S. 555, disait d’ailleurs ce qui suit à la page 567 :

[traduction] […] nous doutons qu’il soit possible de tracer, entre les prérogatives mineures et majeures ou entre le droit public et le droit privé une ligne assez précise pour servir de guide lorsqu’il s’agit de régler des cas individuels.

[65]      Ce qui, je pense, devrait déterminer s’il y a lieu ou non de recourir au droit privé (au Québec, le droit civil), ce n’est pas le caractère public ou privé de la loi fédérale en cause, mais le fait, tout simplement, que la loi fédérale, dans un litige donné, doit être appliquée à des situations ou à des relations qu’elle n’a pas définies et qui ne peuvent l’être qu’en fonction des personnes affectées. On ferme en quelque sorte le cercle et on revient au point de départ, à l’article VIII de l’Acte de Québec de 1774 : quand ces personnes affectées sont des justiciables et que leurs droits civils sont en litige et n’ont pas été définis par le Parlement, c’est le droit privé provincial qui vient combler le vide. Bref, le droit civil s’applique, au Québec, à toute législation fédérale qui ne l’écarte pas.

[66]      Cette conclusion me parait en tous points conforme à la position qu’a adoptée le gouvernement du Canada lorsqu’il a déposé, le 12 juin 1998, le projet de loi C-50 visant l’harmonisation du droit fédéral avec le droit civil. Je comprends qu’il ne s’agit là que d’un projet de loi, mais ces commentaires en date du 4 novembre 1998 préparés par la Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire décrivent, me semble-t-il, l’état du droit actuel [Projet de loi C-50 : Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil] aux pages 4 et 5 :

A.    Rappel du principe de complémentarité entre le droit fédéral et le droit civil

Depuis 1867, le Parlement fédéral a adopté plus de 300 lois dont la totalité des dispositions ou certaines d’entre elles avaient pour objet de réglementer des questions de droit privé. Il l’a fait principalement en vertu de sa compétence exclusive dans des matières qui, n’eut été du partage des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867, auraient relevé des provinces au titre de la propriété et des droits civils comme le mariage et le divorce, la faillite et l’insolvabilité, les lettres de change et les billets à ordre, l’intérêt de l’argent, le droit maritime, les brevets d’invention et les droits d’auteur. Il l’a fait aussi, de façon moins directe, en adoptant des lois réglementant principalement des questions de droit public mais qui comportent des dispositions faisant appel à des notions de droit privé ou réglementant des rapports de droit privé.

Toutes ces lois ne constituent pas un système juridique autonome. En dérogeant ou en ajoutant au droit commun de chacune des provinces, ce droit commun se trouve également à compléter ces lois ainsi qu’à aider à les interpréter et à les appliquer. Il y a donc un rapport de complémentarité entre la législation fédérale et le droit commun des provinces.

[…]

De son côté, le gouvernement du Canada avance d’autres raisons qui justifient la nécessité d’harmoniser les lois fédérales et le droit civil du Québec; certaines d’entre elles sont énumérées dans le préambule du projet de loi C-50. Le gouvernement affirmerait, entre autres, que tous les Canadiens doivent avoir accès à des lois fédérales conformes à leur tradition juridique, que le droit civil témoigne du caractère unique de la société québécoise, qu’une interaction harmonieuse des législations fédérale et provinciales s’impose et que le plein épanouissement de nos deux grandes traditions juridiques ouvre aux Canadiens une fenêtre sur le monde et facilite les échanges avec la grande majorité des autres pays.

[67]      Il sera utile de citer à ce moment des extraits du projet de loi S-4 [Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil] dont deuxième lecture a été donnée au Sénat le 7 février 2001. Ce projet de loi a remplacé, suite à la dissolution des Chambres à l’automne 2000, le projet de loi C-50 :

Attendu :

que tous les Canadiens doivent avoir accès à une législation fédérale conforme aux traditions de droit civil et de common law;

que la tradition de droit civil de la province de Québec, qui trouve sa principale expression dans le Code civil du Québec, témoigne du caractère unique de la société québécoise;

qu’une interaction harmonieuse de la législation fédérale et de la législation provinciale s’impose et passe par une interprétation de la législation fédérale qui soit compatible avec la tradition de droit civil ou de common law, selon le cas;

que le plein épanouissement de nos deux grandes traditions juridiques ouvre aux Canadiens une fenêtre sur le monde et facilite les échanges avec la grande majorité des autres pays;

que, sauf règle de droit s’y opposant, le droit provincial en matière de propriété et de droits civils est le droit supplétif pour ce qui est de l’application de la législation fédérale dans les provinces;

[…]

Propriété et droits civils

8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l’application du texte.

8.2 Sauf règle de droit s’y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d’application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l’un et l’autre de ces systèmes.

[68]      Je ne crois pas qu’il puisse y avoir de doute que cette partie de la Loi qui réfère à la « succession » sans la définir, doive être interprétée, au Québec, à la lumière du droit civil. Voilà un bel exemple du danger qu’il y aurait de conclure qu’une loi fédérale est soit de droit public, soit de droit privé, et que dès lors qu’elle est de droit public, toute référence à un concept de droit privé doit être interprétée à la lumière de la common law. J’imagine mal comment, en l’espèce, la succession de M. Morin serait déterminée autrement qu’en vertu du Code civil du Québec. Il est incontournable, à mon avis, qu’une loi fédérale, fut-elle qualifiée de loi publique, qui renvoie sans le définir à un concept de droit privé tel que la succession, doit être interprétée au Québec en fonction du droit civil.

[69]      La solution n’est pas aussi évidente quand il s’agit de définir les droits du « conjoint survivant ». Cette expression, je l’ai dit déjà, est définie dans la Loi et, qui plus est, elle ne correspond à aucun concept qui soit défini dans le Code civil du Québec. La Loi paraît, à prime abord, constituer un code complet à cet égard. Mais est-ce vraiment le cas?

[70]      Ce qu’on cherche, ici, ce n’est pas qui est le conjoint survivant. On la connaît. Ce qu’on se demande, plutôt, c’est si ce conjoint survivant est éligible à recevoir la prestation prévue par la Loi. Comme la Loi est muette sur la question d’éligibilité, le procureur général soutient que le vide législatif doit être comblé par la règle de common law. Cet argument ne peut réussir, car la question d’éligibilité est une question de droits civils et la règle applicable en est une de droit privé, donc, en l’espèce, de droit civil.

[71]      Je comprends l’intérêt du Conseil du Trésor à appliquer au conjoint survivant une règle d’éligibilité qui vaille quelle que soit la province où résidait le fonctionnaire décédé. Ce même intérêt, cependant, exigerait qu’il en soit de même en ce qui concerne la succession du fonctionnaire et j’ai déjà conclu que cette proposition ne pouvait être retenue.

[72]      Je ne crois pas que le Parlement ait voulu que dans une province donnée, l’éligibilité du conjoint survivant et celle d’un héritier du fonctionnaire décédé soient décidées en fonction de deux systèmes de droit. Je ne crois pas que la Constitution du Canada puisse être interprétée de manière à ce qu’au Québec le droit d’une personne de recevoir ce qui est, au fond, le fruit du travail d’une autre, soit décidé, pour les fins de l’application d’une loi fédérale qui est muette sur ce point, sur la base de règles de droit privé autres que celles contenues dans le droit civil de la province de Québec. Comme, en bout de ligne, ce sont les droits civils du conjoint survivant et des héritiers qui sont en litige, je suis enclin à interpréter le silence du législateur fédéral comme un acquiescement à l’application du principe de l’asymétrie juridique qui caractérise le droit fédéral canadien.

[73]      En arrivant à la conclusion que ce litige doit être résolu à la lumière du Code civil du Québec, je réponds en quelque sorte à cette invitation que lancent Brisson et Morel [supra, au paragraphe 39] à la toute fin de leur étude (à la page 334) :

On est ainsi amené à penser que la complémentarité du droit fédéral et du droit civil, toute naturelle qu’elle soit pour les raisons que l’on sait, doit être constamment entretenue, réaffirmée, sinon réinventée, pour demeurer vivante.

Partie II—Le droit civil québécois

[74]      Le Code civil du Québec reconnaît l’existence du principe que nul ne doit profiter de son crime. Il le fait de manière directe aux articles 620 à 623 et à l’article 2443 et, de manière indirecte, aux articles 1836 et 1837. Ces articles se lisent :

DES QUALITÉS REQUISES

POUR SUCCÉDER

[…]

Art. 620. Est de plein droit indigne de succéder :

1° Celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt;

2° Celui qui est déchu de l’autorité parentale sur son enfant, avec dispense pour celui-ci de l’obligation alimentaire, à l’égard de la succession de cet enfant.

Art. 621. Peut être déclaré indigne de succéder :

1 Celui qui a exercé des sévices sur le défunt ou a eu autrement envers lui un comportement hautement répréhensible;

2 Celui qui a recelé, altéré ou détruit de mauvaise foi le testament du défunt;

3 Celui qui a gêné le testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament.

Art. 622. L’héritier n’est pas indigne de succéder et ne peut être déclaré tel si le défunt, connaissant la cause d’indignité, l’a néanmoins avantagé ou n’a pas modifié la libéralité, alors qu’il aurait pu le faire.

Art. 623. Tout successible peut, dans l’année qui suit l’ouverture de la succession ou la connaissance d’une cause d’indignité, demander au tribunal de déclarer l’indignité d’un héritier lorsque celui-ci n’est pas indigne de plein droit.

[…]

DE LA RÉVOCATION DE LA DONATION

POUR CAUSE D’INGRATITUDE

[…]

Art. 1836. Toute donation entre vifs peut être révoquée pour cause d’ingratitude.

Il y a cause d’ingratitude lorsque le donataire a eu envers le donateur un comportement gravement répréhensible, eu égard à la nature de la donation, aux facultés des parties et aux circonstances.

Art. 1837. L’action en révocation doit être intentée du vivant du donataire et dans l’année qui suite la cause d’ingratitude ou le jour où le donateur en a eu connaissance.

[…]

DES ASSURANCES

[…]

Art. 2443. L’attentat à la vie de l’assuré par le titulaire de la police entraîne de plein droit la résiliation de l’assurance et le paiement de la valeur de rachat.

L’attentat à la vie de l’assuré par toute autre personne n’entraîne la déchéance qu’à l’égard du droit de cette personne à la garantie.

[75]      Le Code civil du Québec reconnaît sans doute, aussi, de manière implicite, aux articles 6, 7 et 9, 1373, 1411 et 1413, l’existence du principe. Ces articles se lisent :

DE LA JOUISSANCE ET DE L’EXERCICE

DES DROITS CIVILS

[…]

Art. 6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

Art. 7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.

[…]

Art. 9. Dans l’exercice des droits civils, il peut être dérogé aux règles du présent code qui sont supplétives de volonté; il ne peut, cependant, être dérogé à celles qui intéressent l’ordre public.

[…]

DES OBLIGATIONS

[…]

Art. 1373. L’objet de l’obligation est la prestation à laquelle le débiteur est tenu envers le créancier et qui consiste à faire ou à ne pas faire quelque chose.

La prestation doit être possible et déterminée ou déterminable; elle ne doit être ni prohibée par la loi ni contraire à l’ordre public.

[…]

DU CONTRATS

[…]

Art. 1411. Est nul le contrat dont la cause est prohibée par la loi ou contraire à l’ordre public.

[…]

Art. 1413. Est nul le contrat dont l’objet est prohibé par la loi ou contraire à l’ordre public.

[76]      Il faut donc se demander ce que le droit civil entend par le principe qui veut que nul ne doit profiter de son crime. Plusieurs questions se soulèvent, auxquelles il n’est pas aisé de répondre : le législateur, en adoptant des dispositions spécifiques et distinctes relativement à l’indignité en matière de successions, de donation et d’assurances, a-t-il limité la règle à ces seuls domaines? Est-il possible de recourir à la notion d’ordre public pour étendre la portée de la règle à un conjoint survivant qui se réclame d’un régime de retraite? L’héritière coupable d’homicide involontaire a-t-elle « attenté à la vie du défunt » au sens du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec?

1.         Un héritier reconnu coupable d’homicide involontaire a-t-il « attenté à la vie du défunt » au sens de l’article 620 du Code civil du Québec?

[77]      L’article 620 déclare qu’est de plein droit indigne de succéder celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt. Le ministre de la Justice, dans ses Commentaires (Tome I, aux pages 366 et 367), explique ce qui suit :

Cet article et le suivant énumèrent les causes d’indignité successorale et reprennent substantiellement les dispositions antérieurement prévues aux articles 610 et 893 du Code civil du Bas Canada. Réunissant les causes d’indignité communes aux successions ab intestat et testamentaires, les articles 620 et 621 distinguent celles qui entraînent une exclusion automatique — une inhabilité de plein droit à succéder — de celles qui nécessitent une demande préalable pour faire déclarer l’indignité d’une personne.

La gravité des situations visées par l’article et l’existence d’un jugement qui constate les faits justifient le fait que l’inhabilité qui en résulte soit établie de plein droit.

[78]      Cet article, nous dit le ministre, reprend « substantiellement les dispositions antérieurement prévues aux articles 610 et 893 du Code civil du Bas-Canada ». Ces articles se lisaient comme suit :

Art. 610 Sont indignes de succéder et comme tels exclus des successions :

1. Celui qui est convaincu d’avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt;

2. Celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse;

3. L’héritier majeur qui, instruit du meurtre du défunt, ne l’a pas dénoncé à la justice.

[…]

Art. 893 La demande en révocation d’un testament ou d’un legs peut aussi être admise : pour la participation du légataire à la mort du testateur, ou pour cause d’injure grave faite à sa mémoire, de la même manière que dans le cas de succession légitime; ou encore si le légataire a gêné le testateur quant à la révocation ou à la modification du testament; par suite de la condition résolutoire.

[79]      Dans les textes réunis par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec relativement à La Réforme du Code civil : Personnes, successions, biens, le professeur Jacques Beaulne [dans un article intitulé « Les successions (ouverture, transmission, dévolution, testaments) » page 241] émet l’opinion que voici (volume 1, aux pages 251-252) :

16. En ce qui concerne l’attentat à la vie du défunt, signalons que l’article 620 C.c.Q. n’apporte aucune modification substantielle au droit actuel, du moins dans le cadre de la succession légale : il y a indignité de plein droit aussitôt que le successible est déclaré coupable d’attentat ou d’homicide. En outre, seul l’homicide coupable entraîne l’indignité, car c’est précisément l’intention de donner la mort qui est punie par la déchéance du droit de succéder; le successible qui tue sans cette intention coupable n’est pas écarté de la succession. Il est donc essentiel qu’il y ait déclaration de culpabilité, prononcée par un tribunal de juridiction pénale, pour entraîner la déchéance du droit de succéder. Par contre, la sentence n’a aucun impact sur l’indignité; qu’il y ait remise de peine ou appel sur la sentence, l’indignité du successible demeure.

[…]

22. Lorsque le successible est indigne de plein droit, il n’est pas nécessaire de recourir au tribunal, ni pour faire déclarer cette indignité, ni même pour la faire constater; ceci s’explique du fait que les actes justifiant l’indignité ont déjà été reconnus par un jugement. Ainsi, si l’indignité résulte de l’attentat à la vie du défunt, un tribunal de juridiction pénale aura déjà conclu à la culpabilité du successible; l’indignité découlant de ce jugement n’a donc pas à être à nouveau constatée dans un autre jugement.

[80]      Le professeur Beaulne précise que l’article 620 C.c.Q. n’apporte aucune modification substantielle au droit actuel, « au moins dans le cadre de la succession légale ». La précision est importante. En matière de succession testamentaire, l’article 893 C.c.B.-C. n’exigeait pas de condamnation pénale, visait « la participation à la mort » plutôt que l’attentat à la vie et n’imposait pas de plein droit la révocation du testament. En matière de donation, l’attentat à la vie constituait une cause de révocation, mais l’article 813 C.c.B.-C. n’exigeait pas de condamnation pénale et l’ingratitude n’opérait pas de plein droit. En matière d’assurance, l’attentat à la vie de l’assuré par le titulaire de la police entraînait d’office la résiliation de l’assurance selon l’article 2559 C.c.B.-C., mais aucune condamnation pénale n’était exigée. Les successions, les donations et les assurances ont de tous temps été assujetties à des régimes distincts qu’il faut prendre garde de confondre. Il en résulte des incongruités, mais il n’appartient pas aux tribunaux de réunir ce que le législateur a séparé.

[81]      Il faut en conséquence interpréter l’article 620 C.c.Q., comme avant lui l’article 610 C.c.B.-C., dans le seul cadre du droit des successions. Ainsi, en matière d’assurance, le juge Dumais de la Cour du Québec a bien fait ressortir, dans Couture-Lauzon c. Industrielle Alliance (L’), compagnie d’assurances sur la vie, [1993] R.R.A. 406, que c’est l’absence d’une exigence de condamnation pénale, à l’article 2559 C.c.B.-C., qui permettait d’opposer de plein droit la nullité de la police d’assurance à une bénéficiaire ayant plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire de l’assuré. C’est aussi l’absence de cette exigence de condamnation pénale qui fait dire au professeur Bergeron, dans son Précis de droit des assurances, 1996, Éditions Revue de droit Université de Sherbrooke, relativement à l’article 2443 C.c.Q. [à la page 132] :

L’attentat à la vie ne suppose pas une condamnation pénale. Une condamnation pour homicide involontaire disqualifie donc aussi son auteur.

[82]      À l’appui de son opinion selon laquelle il n’y avait pas indignité de plein droit s’il n’y avait pas intention coupable, dans le Code civil du Bas-Canada, le professeur Beaulne renvoie au traité du professeur Brière [Les successions, 1990] ainsi qu’aux jugements de la Cour supérieure du Québec dans Galarneau et Beaupré, C.S. Québec, 200-05-002 869-811, 5 octobre 1981, le juge Philippon, J.E. 81-1085 et Héritiers de feu Michel Prézeau c. Legault-Prézeau, J.E. 83-96 (C.S.). Je note que le professeur Beaulne ne fait pas état du débat qui oppose les auteurs relativement à l’homicide involontaire coupable.

[83]      Voici, par ailleurs, ce que dit Brière, dans la dernière édition, parue en 1997 chez Wilson & Lafleur, Le nouveau droit des successions, 2e éd., page 53 :

La question de savoir si l’homicide involontaire coupable entraîne l’indignité de plein droit se pose sous l’article 620 C.c.Q. comme elle se posait sous l’article 610 C.c.B.-C. Il y a lieu de considérer que tel homicide ne fait pas encourir l’indignité successorale, vu que l’expression « attentat à la vie » implique l’intention de tuer. Toutefois, le premier cas de l’article 621 C.c.Q. pourrait avoir une application en l’occurrence.

[84]      Je suis d’avis, à l’instar du professeur Beaulne, que l’article 620 C.c.Q. n’est pas venu modifier substantiellement le droit antérieur, du moins dans le cadre de la succession légale. J’ajouterais que cet article a rendu plus sévère la règle de l’indignité en matière de succession testamentaire. Je ne crois pas que les mots « coupable d’avoir attenté à la vie du défunt », à l’article 620 C.c.Q., aient un sens différent des mots « convaincu d’avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt », à l’ancien article 610. Les mots « déclaré coupable » et « convaincu » ont, me semble-t-il, le même sens. Quant aux mots « avoir attenté à la vie », ils combinent simplement, à mon avis, les mots « avoir donné ou tenté de donner la mort » qui se trouvaient dans l’ancien texte. Les changements apportés sont de nature cosmétique.

[85]      Qu’en est-il, alors, de la controverse qui divise les auteurs relativement à l’exigence d’une volonté de tuer?

[86]      Le législateur québécois, quand il a adopté l’article 620 C.c.Q. et, avant lui, l’article 610 C.c.B.-C., s’est bien gardé d’employer le vocabulaire connu en droit criminel. Les mots « déclaré coupable » supposent, bien sûr, qu’il y a une déclaration de culpabilité par un tribunal de juridiction pénale, mais les mots « avoir attenté à la vie » sont des mots qui ne se trouvent pas dans les articles du Code criminel qui traitent du meurtre, de l’homicide involontaire coupable et de l’infanticide. De toute évidence, le législateur n’a pas voulu se compromettre, peut-être parce qu’il ne voulait pas ancrer le Code civil du Québec dans un renvoi à des termes du Code criminel susceptibles de changer.

[87]      Il m’appartient donc de déterminer quel était ce droit antérieur préservé par l’article 620 C.c.Q. Un groupe d’auteurs était d’opinion que l’expression « donné ou tenté de donner la mort » incluait l’homicide involontaire coupable (Mignault, P.B., Le droit civil canadien, tome 3, 1897, à la page 282; Langelier, F. Cours de droit civil de la Province de Québec, tome 2, 1906, à la page 362; L. Baudouin, Le droit civil de la province de Québec : modèle vivant de droit comparé, 1953, aux pages 1093 et s.).

[88]      Un autre groupe était d’avis que l’expression « donné ou tenté de donner la mort » ne visait que le meurtre (Faribault, L. Traité de droit civil du Québec, tome 4, 1954, aux pages 161 et s.); Mayrand, A. Les successions ab intestat, 1971, à la page 66; Brière, G. Les successions ab intestat, 8e éd., Cours de Thémis, 1979, aux pages 23 et s.).

[89]      Curieusement, il semble que la question n’ait jamais été directement examinée par la Cour d’appel du Québec et le procureur général ne nous a remis qu’une décision rendue en Cour supérieure du Québec par le juge Philippon dans Galarneau et Beaupré (C.S., 5 octobre 1981, J.E. 81-1085). Le juge Philippon s’est rangé dans le camp de Mignault et a conclu que l’article 610 C.c.B.-C. visait également l’homicide involontaire coupable. Comme cette décision n’est pas publiée, il me paraît utile d’en citer ici de larges extraits :

Je souligne qu’aucune preuve introduite dans le dossier en matière criminelle n’est produite dans le présent dossier de telle sorte qu’on ignore totalement les circonstances de l’acte qui a entraîné la déclaration de culpabilité.

Les avocats ont suggéré de rapprocher l’article 610,1 du Code civil des articles 813,1 (révocation de la donation si le donataire a attenté à la vie du donateur) et 893,1 (révocation d’un legs si le légataire a participé à la mort du testateur). Les mots soulignés incitent à comparer avec prudence. Les avocats ont cité Mignault et Faribault pour souligner une controverse. Si on ajoute d’autres opinions, on peut retenir ce qui suit dans Mignault, volume 3, page 282 :

Mais qu’il y ait meurtre ou seulement homicide involontaire, et que le jury rende un verdict de culpabilité contre le prévenu, nous nous trouvons dans le cas de l’article 610. L’héritier est convaincu d’avoir donné la mort au défunt. L’article ne distingue pas un cas de l’autre et dans chacun de ces cas il s’agit d’un homicide coupable.

Avec Mignault : Langelier, Cours de droit civil, tome II, (1906), page 362) et Baudouin, (Le Droit civil de la Province de Québec, 1953, pages 1093-1094).

Faribault au contraire enseigne que l’article 610,1 ne saurait s’appliquer à l’homicide involontaire (Faribault, Traité de droit civil du Québec, vol. 4, pages 161-162) :

Il y a homicide involontaire quand on cause la mort de quelqu’un sans intention préalable, ou sans s’être placé dans une situation telle qu’il était à craindre qu’elle pourrait causer sa mort. Tel est le cas de celui qui tue dans un accès de colère, ou d’ivresse, ou qui cause la mort d’un autre par sa négligence grossière. L’article 610 ne saurait s’appliquer à ce genre d’homicide.

La provocation peut rendre excusable un homicide volontaire, mais, au point de vue de l’indignité de l’héritier, cette excuse ne vaut que si les jurés l’ont acceptée en l’acquittant.

Le fait d’avoir, par sa négligence, causé la mort du défunt peut bien donner lieu à une condamnation à des dommages, mais il ne saurait entraîner l’indignité.

Avec Faribault, on trouve les auteurs suivants : Albert Mayrand, (Les successions ab intestat-Traité élémentaire de droit civil, 1971, page 66), Germain Brière, (Les successions ab intestat, 1977, page 12), Aubry et Rau, (Droit civil français, 1875, tome 7, page 414), Colin et Capitant («Précis de droit civil français », tome 3, p. 288) et Planiol et Ripert («Successions », tome IV, 1956, pp. 97-98).

Essentiellement, ceux qui nient l’indignité dans le cas d’homicide involontaire soulignent le défaut d’intention de tuer, l’aspect restrictif de l’interprétation qu’il faut donner à une disposition de nature pénale ou font un rapprochement avec le mot meurtrier de l’article 611 du Code civil.

[…]

Sur l’interprétation restrictive d’une disposition d’ordre pénal, il n’est guère de discussion possible mais s’agit-il vraiment, à l’article 610,1 C.c. du caractère pénal qui entraîne ce type d’interprétation ou plutôt de la sanction civile d’un fait criminel? Sans peine, au sens habituel du mot pénal (amende ou emprisonnement), la sanction ici n’a pas de finalité pénale mais vise plutôt à rétablir la situation que le défunt aurait, présumément, voulue lui-même rétablir, eut-il su que l’héritier coupable avait voulu le tuer, même dans un accès de colère causé par une provocation soudaine (Code criminel 215) ou au moyen d’un acte illégal ou par négligence criminelle (205,5, a et b).

Exiger l’intention de tuer paraît vider en partie de son contenu la notion d’indignité introduite au Code civil, dans la mesure où il faut trouver au Code criminel plutôt que dans un sens littéral, l’acceptation de l’expression donner la mort. Or, ceci ne paraît pas faire de doute puisqu’il faut une conviction que seul le Code criminel peut prévoir. Mignault élimine ainsi l’homicide non coupable (À la p. 282, op. citée).

Il est évident qu’il n’est pas question ici de l’homicide non coupable, car comme il n’y a point là de crime (art. 220, Code criminel), il ne peut y avoir de conviction de l’héritier accusé. La condition prescrite par l’article 610 ne se trouve donc pas remplie dans ce cas.

Or, le Code criminel à l’article 205 stipule en partie :

205. (1) Commet un homicide, quiconque, directement ou indirectement, par quelque moyen, cause la mort d’un être humain.

(2) L’homicide est coupable ou non coupable.

(3) L’homicide qui n’est pas coupable ne constitue pas une infraction.

(4) L’homicide coupable est le meurtre, l’homicide involontaire coupable ou l’infanticide.

(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain,

a) au moyen d’un acte illégal,

b) par négligence criminelle,

c) en portant cet être humain, par des menaces ou la crainte de quelque violence, ou par la supercherie, à faire quelque chose qui cause sa mort, ou

d) en effrayant volontairement cet être humain, dans le cas d’un enfant ou d’une personne malade.

Le Code criminel, pour qu’il y ait infraction, rend donc indissociable de l’aspect involontaire l’aspect coupable de l’acte. À mon sens, le Code criminel permet d’envisager un type d’acte où toute conscience n’est pas absente de tout acte involontaire. En tous cas, pas toute conscience implicite, théoriquement possible dans le cas de négligence grossière, dans ces circonstances où l’auteur ne peut vraisemblablement être considéré avoir ignoré les conséquences imminentes d’un geste.

Mais l’essentiel n’est-il pas de reconnaître que donner la mort est un homicide tout autant en commettant un meurtre, donc homicide intentionnel, qu’en frappant, par exemple, avec un objet contondant au point de causer la mort sans intention de le faire, homicide involontaire, dans les deux cas, homicide coupable. On peut logiquement présumer que dans les deux cas, la notion d’indignité est satisfaite si on reconnaît que l’indignité dépend d’un rapport de convenance entre ce que le défunt aurait pu accepter et ce que l’héritier aurait pu commettre.

Plus encore, l’article 215 du Code criminel démontre que l’indignité trouve son compte dans l’homicide coupable même involontaire au sens du Code criminel, tel le meurtre commis dans un accès de colère causé par une provocation soudaine.

[…]

En bref, la Cour est d’avis que l’expression donner la mort contenue à 610,1 C.c., à cause du mot convaincu qu’on y trouve, réfère à l’homicide coupable, qu’il s’agisse d’un meurtre ou d’un homicide involontaire coupable. Dans un contexte aussi clair, il n’y a pas lieu de distinguer.

[90]      Avec égards pour le juge Philippon, je suis d’avis que c’est l’école de Faribault qu’il faut suivre, et ce pour les raisons suivantes.

[91]      Les auteurs des deux camps s’entendent pour dire que l’article 610 doit être interprété restrictivement. Mignault dira ce qui suit des causes d’indignité, à la page 279 :

1. Des causes d’indignité.Elles étaient fort nombreuses dans l’ancien droit, sans être même limitativement déterminées. Elles sont limitativement déterminées aujourd’hui, et le juge ne peut, sous aucun prétexte, prononcer l’indignité en dehors des cas textuellement prévus.

Ce n’est pas vraiment, comme le laisse entendre le juge Philippon, parce qu’il s’agit d’une disposition d’ordre pénal que l’article 610 C.c.B.-C. s’interprète restrictivement, mais plutôt, comme le rappellera Mayrand, aux pages 64 et 65, parce qu’on a voulu enlever aux juges la discrétion qu’ils avaient dans l’ancien droit français de déterminer au cas par cas « si l’héritier avait commis une faute suffisamment grave pour lui faire encourir l’indignité ». Mayrand d’ajouter à la page 65 :

En déterminant ainsi les causes d’indignité successorale, le droit acquiert plus de certitude; par contre, on s’accorde à reconnaître le caractère exagérément limitatif de l’indignité successorale.

[92]      L’emploi du mot « meurtre », au paragraphe 610(3) C.c.B.-C., me paraît important. Il précise, à mon avis, quelle était l’intention du législateur quand il a utilisé l’expression « donner la mort » au paragraphe 610(1) C.c.B.-C. Je ne peux lire le paragraphe 610(3) C.c.B.-C. autrement que comme déclarant indigne l’héritier majeur qui ne dénonçait pas la personne qui, au sens du paragraphe 610(1) C.c.B.-C., avait donné la mort, donc le « meurtrier ».

[93]      L’emploi du mot « donner » plutôt que « causer » la mort est également révélateur. C’est « causer » que le Code criminel utilise, et ce mot me semble plus général que « donner » en ce sens qu’on peut dire de l’homicide involontaire coupable que la mort est causée par le geste d’une personne qui n’avait pas comme intention première de la donner. Si le législateur civil avait voulu qu’on référât aux présomptions de causalité établies par le Code criminel pour inclure les personnes qui ont causé une mort qu’elles n’avaient pas voulu donner en tant que telle, il eut employé le mot « causer » plutôt que le mot « donner ».

[94]      Les mots « avoir tenté » invitent aussi une comparaison avec le mot « tentative », lequel, dans le Code criminel, n’est utilisé qu’en relation avec le meurtre (article 239).

[95]      Le texte même du paragraphe 610(1) C.c.B.-C. requiert que soit appliqué un test purement objectif : dès lors que l’héritier a été reconnu coupable par une cour de juridiction pénale d’avoir donné ou tenté de donner la mort, l’indignité opère de plein droit. Accepter l’homicide involontaire coupable comme cause d’indignité de plein droit, c’est ou bien décider que toute condamnation pour homicide involontaire coupable entraîne d’office l’indignité, quelles que soient les circonstances du crimeje ne suis pas certain que tel soit le résultat recherché par ceux qui favorisent cette thèseou bien transformer une indignité qui se veut de plein droit en une indignité qui pourra varier au gré d’un juge appelé nécessairement à se demander dans chaque cas s’il y avait bien, dans les faits, une volonté de tuer, par opposition à une volonté, par exemple, de blesser. Une invitation, donc, à refaire au civil le procès pénal, alors que le but recherché par le paragraphe 610(1) C.c.B.-C. est d’éviter tout recours aux tribunaux.

[96]      Il faut en effet se rappeler qu’en introduisant le concept d’indignité de plein droit, le législateur s’est littéralement mis dans la peau du défunt et a présumé que ce dernier, s’il avait deviné l’avenir, aurait déshérité quiconque l’aurait volontairement tué ou aurait volontairement tenté de le tuer. Le législateur n’a pas voulu présumer que le défunt, eut-il connu les circonstances d’un crime que, par définition en l’espèce, il a lui-même provoqué et qui, par définition, a été commis par un héritier sous le coup de la colère, aurait nécessairement, quelles que soient les circonstances, déshérité l’auteur du crime. Le législateur a voulu s’en remettre, dans de tels cas, au successible qui serait d’avis qu’il y a matière à indignité et qui demanderait à la Cour de déclarer l’héritier indigne (article 623 C.c.Q.), puis au juge civil, lequel déterminerait à la suite d’un nouveau procès si les faits sont tels que l’auteur du crime devrait être exclu de la succession.

[97]      Je ne suis pas sans constater que le Code civil du Québec permet vraisemblablement à une personne, qui serait la seule « successible », d’échapper à l’indignité prononcée judiciairement dès lors qu’elle ne chercherait pas elle-même à se faire déclarer indigne. Tel est, cependant, le choix du législateur, et la situation dans laquelle se trouve une personne trouvée coupable d’homicide involontaire n’est pas différente, à cet égard, d’une personne qui aurait exercé des sévices sur le défunt et qui serait la seule personne « successible ». J’ai cru, un instant, que l’État, par la voix du curateur public, pourrait intervenir, mais le texte des articles 653 et 697 permet de penser que l’État ne peut être considéré comme un « successible » capable d’invoquer l’indignité d’un héritier.

[98]      J’opte donc pour la solution qui m’apparaît être à la fois la plus restrictive, la plus objective, la plus certaine et, pour reprendre les mots du Ministre dans ses commentaires (supra, paragraphe 77), la seule susceptible d’entraîner « une exclusion automatique ».

[99]      Cette solution est également celle qu’a retenue en France la majorité des juges et des auteurs. L’article 727 du Code civil français se lit :

Art. 727 Sont indignes de succéder, et, comme tels, exclus des successions :

1° Celui qui serait condamné pour avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt;

2° Celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse;

3° L’héritier majeur qui, instruit du meurtre du défunt, ne l’aura pas dénoncé à la justice.

L’article 610 C.c.B.-C. est donc une copie presque parfaite du texte du Code civil français.

[100]   Or, tel qu’il appert de cet extrait de Droit civil : les successions, les libéralités, par François Terré et Yves Lequette, 3e éd., 1997, Paris : Dalloz, l’homicide involontaire n’est pas, en France, cause d’indignité de plein droit [aux pages 45 et 46] :

2° Cas d’indignité—Désireux de réduire la liberté d’appéciation dont disposaient précédemment les juges en la matière, les rédacteurs du Code civil ont prévu limitativement trois cas d’indignité (art. 727).

a) Est, en premier lieu, indigne de succéder « celui qui sera condamné pour avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt ». De cette formule résulte l’exigence de deux conditions : un fait répréhensible et une condamnation.

Il faut, tout d’abord, avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt. Ainsi la tentative est, ici, assimilée à l’infraction réalisée. Encore doit-on observer que la seule infraction visée est celle de meurtre, ce qui couvre divers cas (meurtre, assassinat, empoisonnement, parricide, infanticide), mais implique une intention homicide, de sorte que, compte tenu de l’interprétation stricte qui a été retenue par les tribunaux, il n’y a pas indignité en cas de condamnation pour homicide par imprudence (art. 221-6, nouv. c. pén.) ou pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner (art. 222-7, nouv. c. pén.).

On peut également référer à ce passage des Cours de droit civil; Les successions, les libéralités, par Philippe Malaurie, 4e éd., 1998, Édition Cujas [à la page 53] :

57. Causes.—Trois causes, limitatives, entraînent l’indignité (a. 727).

1. L’assassinat du de cujus par l’héritier. La loi assimile la tentative au meurtre, mais la jurisprudence, par une interprétation littérale des textes, n’attache l’indignité ni à la complicité ni à l’homicide involontaire. On a pu dire qu’il y a « des cas où l’on hérite de ceux que l’on assassine ».

[101]   Même s’il est structuré différemment du nôtre, le Code pénal français distingue, lui aussi, l’homicide volontaire de l’homicide involontaire. L’ancien Code pénal distinguait en effet les « meurtres et autres crimes capitaux, menaces d’attentat contre les personnes » (articles 295 à 308) des « blessures et coups volontaires non qualifiés de meurtres » (articles 309 à 317). Ainsi, l’article 295, dans la section « meurtres » qualifiait de meurtre « l’homicide commis volontairement » et l’article 311, dans la section « blessures » se lisait :

Art. 311—Toute personne qui, volontairement, aura porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort sans intention de la donner sera punie d’une peine de cinq à quinze ans de réclusion criminelle.

[102]   Le Code pénal actuel, en France, distingue les « atteintes volontaires à la vie » (articles 221-1 à 221-5) des « atteintes involontaires à la vie » (articles 221-6 et 221-7). Seules les premières, on l’a vu, sont visées par l’article 727 du Code civil et sont causes d’indignité de plein droit.

[103]   Je note, en terminant, que le projet de réforme du droit des successions, en France, propose qu’il soit dit désormais que l’intention de donner la mort n’est pas requise pour qu’il y ait indignité de plein droit. En effet, l’article 727 du Code civil actuel serait remplacé par un nouvel article 726 qui se lirait :

Art. 726 : Sont indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession : 1. celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt 2. celui qui est condamné comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner. [Mon soulignement.]

(Voir F. Terré et Y. Lequette, supra, paragraphe 100, à la page 45.)

Le législateur québécois semble-t-il, n’en est pas rendu là et il ne m’appartient pas de l’y précéder, si tant est qu’il veuille y aller.

[104]   J’en viens donc à la conclusion qu’en vertu du droit successoral québécois actuel, l’intimée, en sa qualité d’héritière, n’est pas indigne de plein droit. Comme elle n’a pas été jugée indigne par déclaration judiciaire et comme le délai imparti aux successibles pour rechercher une déclaration judiciaire d’indignité est expiré, l’intimée a droit de réclamer du Conseil du Trésor, à titre d’héritière de la succession Morin, la somme d’environ 81 750$ payable à la succession en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi à titre de prestation supplémentaire de décès. Je reviendrai sur le montant minimal payable à la succession en vertu du paragraphe 27(2), puisque ce montant n’est payable que si le conjoint survivant ne reçoit pas d’allocation en vertu de la partie I de la Loi.

[105]   Si mon interprétation est erronée et si l’intimée est indigne de plein droit du fait qu’elle a été reconnue coupable d’homicide involontaire, le procureur général ne serait pas au bout de ses peines car il faudrait alors déterminer à qui, à défaut de l’intimée, serait dévolue la succession du défunt. J’ai noté, au paragraphe 17 de ces motifs, que M. Morin avait un neveu. Y a-t-il d’autres successibles? Ou s’il n’y en avait aucun, le curateur public du Québec ne devrait-il pas, en bout de ligne, vu les articles 653 et 696 C.c.Q., avoir saisine du montant qui est dû à la succession Morin par le Conseil du Trésor et qui est payable à même le compte de prestation de décès de la fonction publique?

2.         Le conjoint survivant qui a plaidé coupable à une accusation d’homicide involontaire est-il déchu du droit à des prestations?

[106]   Qu’en est-il, alors, de la réclamation que fait l’intimée en sa qualité de conjoint survivant? On sait, en effet, que la Loi sur la pension de la fonction publique désigne, au paragraphe 13(3), le conjoint survivant comme bénéficiaire.

[107]   Le Code civil du Québec, on l’a vu, est avare de sanctions lorsqu’il s’agit du meurtre ou de l’homicide involontaire commis par une personne qui tire un avantage pécuniaire de la mort d’une autre personne. En matière de successions légales et testamentaires, il n’y a indignité de plein droit que si l’héritier est reconnu coupable d’avoir attenté à la vie du défunt et l’indignité par voie de déclaration judiciaire, pour cause de sévices par exemple, doit être demandée dans l’année qui suit l’ouverture de la succession ou la connaissance de la cause d’indignité. En matière d’assurances, seul l’attentat à la vie de l’assuré par le titulaire de la police entraîne de plein droit la résiliation de l’assurance et le paiement de la valeur de rachat; l’attentat à la vie de l’assuré par un bénéficiaire qui n’est pas titulaire de la police n’entraîne que la disqualification de ce bénéficiaire. Bref, force est de constater que le législateur québécois, quand il veut s’assurer que quelqu’un ne puisse profiter de son crime, s’exprime de manière précise et s’en tient à des cas bien limités.

[108]   En matière de donation, l’ingratitude est cause de révocationet l’ingratitude peut très certainement découler d’un homicide involontaire coupable, mais elle doit être prononcée par le tribunal.

[109]   En matière de régime de retraite, le législateur québécois a été plus discret, mais il ne s’en est pas moins manifesté par le biais d’une disposition qu’on trouve au chapitre consacré au contrat de rente.

[110]   L’article 2379 du Code civil du Québec prévoit en effet que la révocation d’un bénéficiaire désigné dans un régime de retraite est régie par les règles du contrat d’assurances. Voici le texte de cet article :

Art. 2379. La désignation ou la révocation d’un crédirentier autre que la personne qui a fourni le capital de la rente, est régie par les règles de la stipulation pour autrui.

Toutefois, la désignation ou la révocation d’un crédirentier, au titre de rentes pratiquées par les assureurs ou dans le cadre d’un régime de retraite, est régie par les règles du contrat d’assurance relatives aux bénéficiaires et aux titulaires subrogés, compte tenu des adaptations nécessaires.

[111]   Or, les « règles du contrat d’assurance relatives aux bénéfices et aux titulaires subrogés » se trouvent aux articles 2445 à 2460 du Code. L’article 2453 prévoit ce qui suit :

Art. 2453. Le bénéficiaire et le titulaire subrogé sont créanciers de l’assureur; toutefois, l’assureur peut alors opposer les causes de nullité ou de déchéance susceptibles d’être invoquées contre le titulaire ou l’adhérent.

[112]   Ce qui nous ramène donc, par ricochet, à l’article 2443 C.c.Q., dont j’ai déjà examiné la portée et que je cite de nouveau :

Art. 2443. L’attentat à la vie de l’assuré par le titulaire de la police entraîne de plein droit la résiliation de l’assurance et le paiement de la valeur de rachat.

L’attentat à la vie de l’assuré par toute autre personne n’entraîne la déchéance qu’à l’égard du droit de cette personne à la garantie.

[113]   En appliquant au régime de retraite les règles du contrat d’assurance, « compte tenu des adaptations nécessaires » ainsi que nous y invite l’article 2379 C.c.Q., je suis d’avis que c’est le deuxième paragraphe de l’article 2443 C.c.Q. qui régit la présente situation : l’attentat à la vie du contributeur par le bénéficiaire entraîne la déchéance de ce bénéficiaire.

[114]   L’article 2443 C.c.Q. n’exigeant pas de condamnation pénale, il a été décidé comme je l’expliquais plus haut au paragraphe 81, que la règle était plus souple en matière d’assurance qu’en matière de succession et qu’en matière d’assurance la condamnation pour homicide involontaire pouvait entraîner de plein droit la déchéance du bénéficiaire.

[115]   Les circonstances du crime doivent-elles mener, en l’espèce, à la disqualification de l’intimée? Je suis d’avis que oui. Il serait trop facile à quiconque est accusé de meurtre d’éviter les conséquences civiles d’une condamnation pour meurtre en plaidant coupable à une accusation réduite d’homicide involontaire et en évitant un procès au cours duquel tous les faits pertinents seraient dévoilés. Le tribunal civil, en face d’un plaidoyer de culpabilité à une accusation d’homicide involontaire, peut se montrer sceptique et conclure, à même le peu de preuve dont il dispose et vu la balance des probabilités, qu’il y avait une volonté suffisante de donner la mort.

[116]   En l’espèce, la description des événements que l’on trouve dans le jugement sur sentence révèle une volonté bien arrêtée de profiter de l’occasion qui se présenterait pour « piquer » une fois pour toutes la victime. Il y a là, à mon avis, une atteinte à la vie de la victime au sens du droit des assurances et l’intimée profiterait de son crime s’il lui était permis de recevoir les prestations dues à un conjoint survivant.

[117]   J’en arrive ainsi à la conclusion que l’intimée est déchue de son droit de recevoir les prestations dues à un conjoint survivant en vertu du paragraphe 13(3) de la Loi.

[118]   Étant donné que l’intimée n’a droit à aucune allocation en vertu de la partie I de la Loi, le paragraphe 27(2) de la Loi trouve ici application : puisqu’il n’y a personne à qui une allocation est payable en vertu de la partie I, un montant minimal (évalué en l’espèce à 75 202,50 $) doit être versé à la succession, donc à l’intimée.

[119]   Je note qu’il est tout à fait normal que ce montant minimal, établi en partie en fonction des sommes versées par le défunt dans son régime, se retrouve dans la succession. C’est en quelque sorte l’équivalent de la valeur de rachat de la police d’assurance, laquelle valeur aurait été remise à la succession de l’assuré s’il s’était agi de la résiliation de l’assurance, selon le premier paragraphe de l’article 2443, en raison de l’attentat commis par le titulaire de la police.

[120]   Ma conclusion est donc la suivante : l’intimée n’a pas droit, en sa qualité de conjoint survivant, à l’allocation mensuelle prévue par le paragraphe 13(3) de la Loi, mais elle a droit en sa qualité d’héritière au montant minimal d’environ 75 202,50 $ payable en vertu du paragraphe 27(2) de la partie I de la Loi ainsi qu’à la prestation supplémentaire de décès, d’un montant d’environ 81 750 $, prévue par les articles 54 et 55(1) de la partie II.

[121]   Depuis la publication du jugement rendu en première instance dans cette affaire, le Parlement a adopté le paragraphe 25(8) [édicté par L.C. 1999, ch. 34, art. 75] de la Loi, qui stipule que

25. […]

(8) Le survivant n’a droit à aucune prestation au titre de la présente loi relativement au contributeur si, après le décès de celui-ci, il est tenu criminellement responsable de sa mort.

Cette modification fait en sorte qu’à l’avenir, le renvoi au droit privé provincial ne sera plus nécessaire, du moins en ce qui a trait à ce qui peut être qualifié de prestations payables à un survivant. Je laisse à d’autres le soin d’interpréter cette nouvelle disposition le temps venu.

Partie III—La règle de common law

[122]   Au cas où je me sois mépris quant à l’application du droit civil, je crois utile de dire quelques mots au sujet de la règle de common law.

[123]   L’existence en common law d’une règle selon laquelle nul ne doit profiter de son crime ne fait pas de doute. Encore faut-il déterminer à quels crimes et à quels bénéfices la règle s’applique-t-elle.

[124]   Cette règle d’ordre public (mais de droit privé) repose sur le principe qu’aucun système de jurisprudence ne saurait, sans choquer l’ordre et la conscience publics, tolérer qu’une personne puisse s’adresser aux tribunaux pour se voir reconnaître un droit à des bénéfices résultant d’un crime qu’elle a commis. La règle a été énoncée comme suit par le lord juge Fry, de la Cour d’appel d’Angleterre, dans Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association, [1892] 1 Q.B. 147, aux pages 156-158 :

[traduction] Le principe de l’ordre public invoqué est, selon moi, allégué à juste titre. Il me semble qu’aucun système de droit ne peut raisonnablement inclure parmi les droits qu’il sanctionne des droits que la personne qui les fait valoir a directement obtenus en commettant un crime. Si aucun droit d’action ne peut émerger de la fraude, il me semble impossible de supposer qu’il puisse en émerger un d’une infraction majeure ou mineure. Il se peut qu’aucune source ne confirme directement l’existence de ce principe; néanmoins, l’arrêt Fauntleroy’s Case de la Chambre des lords semble procéder de ce principe et en donner un exemple particulier. Ce principe d’ordre public, comme tous les principes de ce type, doit être appliqué à toutes les situations où il peut être appliqué sans égard au caractère particulier du droit invoqué ou à la façon dont il est invoqué. dans l’arrêt Fauntleroy’s Case le tribunal a statué qu’il empêchait les cessionnaires d’un faussaire de réclamer en justice le bénéfice d’une police à son décès en raison de la contrefaçon dont il s’était rendu coupable. Il me semble qu’ils s’appliquerait également au bénéficiaire d’une fiducie qui ferait valoir un droit en cette qualité à la suite du meurtre du tenant viager antérieur ou de l’assuré visé dans une police; et il faut aborder l’interprétation des lois du Parlement en tenant pour acquis que les termes généraux qui pourraient inclure des situations contraires à ce principe doivent être interprétés comme y étant assujettis.

[…]

Maintenant, la fiducie ainsi créée par voie législative et le libellé de la loi qui la crée doivent, à mon avis, être assujettis tous deux au principe d’ordre public que j’ai énoncé c’est-à-dire que la fiducie en est une que la meurtrière de son conjoint ne peut faire valoir et que le libellé de la loi doit être interprété comme s’il comportait une exception applicable en pareil cas. Par conséquent, la fiducie que la loi visait à créer n’a jamais pris naissance ou est devenue, par le fait de sa bénéficiaire, impossible à sanctionner. […] que le principe d’ordre public doit être appliqué aussi souvent que la meurtrière présente une demande et empêchera toujours de fait l’obtention d’un avantage qu’elle pourrait tenter d’obtenir en conséquence de son crime.

[125]   Il s’agissait dans l’affaire Cleaver d’une épouse qui avait empoisonné son mari. Reconnue coupable de « wilful murder », elle fut condamnée à mort. La sentence fut par la suite commuée en une sentence d’emprisonnement à vie. Son mari détenait une police d’assurance dont elle était bénéficiaire en sa qualité d’épouse. Quelques mois après le décès de son mari, l’épouse avait assigné ses droits dans la police d’assurance à un dénommé Cleaver. L’assureur refusa de payer Cleaver. La Cour avait trois questions à résoudre : s’il était prouvé que l’épouse avait intentionnellement empoisonné son mari, quels étaient, à l’égard de l’assureur, a) les droits de Cleaver en sa qualité de cessionnaire de la police, b) les droits de Cleaver en sa qualité d’administrateur des biens de l’épouse au sens de l’Act to Abolish Forfeitures for Treason and Felony, and to otherwise amend the Law relating thereto (R.-U.) [33 & 34 Vict., ch. 23], et c) les droits de l’exécuteur de la succession du mari. La Cour a jugé que l’assureur n’avait aucune obligation à l’égard de Cleaver pour des raisons d’ordre public, mais qu’il devait payer les exécuteurs de la succession, lesquels remettraient la somme aux créanciers de la succession et, le cas échéant, aux enfants du mari en leur qualité d’héritiers de leur père.

[126]   La règle telle qu’énoncée par le lord juge Fry a été endossée par le juge en chef de la Cour suprême du Canada, le juge en chef Strong, dans Lundy v. Lundy (1895), 24 R.C.S. 650, à la page 652, un cas où la testatrice avait été tuée par son mari, lequel avait ensuite été condamné pour homicide involontaire coupable :

[traduction] La Cour d’appel a fait une distinction entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable et elle a statué que, bien qu’un légataire soit déchu de tout legs prévu dans le testament de la personne dont il a causé la mort par un acte qui équivaut à un meurtre, il est encore possible qu’il bénéficie du testament dans le cas d’un homicide involontaire coupable.

Je ne puis être d’accord avec la Cour d’appel en ce qui concerne cette conclusion, ni le raisonnement qu’elle a suivi pour y parvenir. Il me semble que le raisonnement de la Cour s’applique à un cas d’homicide justifiable ou excusable plutôt qu’à un cas d’homicide involontaire coupable. Le principe en vertu duquel le légataire est tenu pour incapable de bénéficier du testament de la personne qu’il tue veut que personne ne puisse profiter de sa propre faute. Or, il est certain qu’un acte pour lequel une personne est déclarée coupable d’homicide involontaire coupable et se voit infliger une longue peine d’emprisonnement était fautif, illégal et constituait autrefois une infraction majeure appelée felony (lorsque les felonies formaient une catégorie distincte d’infractions). Je ne connais aucun principe susceptible de fonder la décision de la Cour d’appel ni aucune source qui l’appuie.

[127]   Dans Nordstrom v. Baumann, [1962] R.C.S. 147, un cas de succession, il fut décidé que la veuve qui avait mis le feu à la résidence familiale pouvait réclamer sa part de l’héritage de son mari décédé dans l’incendie, mais seulement parce qu’elle souffrait d’aliénation mentale. Le juge Ritchie, à la page 156, disait ce qui suit :

[traduction] La règle d’ordre public qui empêche une personne de profiter de son propre crime fait partie intégrante de notre système de droit et, bien que certains doutes aient été soulevés quant à savoir si cette règle l’emporte sur les lois écrites concernant le partage de la masse successorale d’un intestat (voir In re Houghton, Houghton v. Houghton), le point de vue le plus valable me semble être celui selon lequel elle s’applique en pareils cas (voir In re Pitts, Cox v. Kilsby, Whitelaw v. Wilson, et Re Estate of Maud Mason). Comme l’a dit le lord juge Fry dans Cleaver v. Mutual Reserve Fund Life Association, précité, à la page 156 :

Il me semble qu’aucun système de droit ne peut raisonnablement inclure parmi les droits qu’il sanctionne des droits que la personne qui les fait valoir a directement obtenus en commettant un crime.

Tel qu’il l’a déjà été mentionné, les tribunaux civils de notre pays ont tranché à maintes reprises la question de savoir si la conduite d’une personne équivaut ou non à un crime aux fins de l’application de cette règle.

[128]   Dans Brissette, Succession c. Westbury Life Insurance Co.; Brissette, Succession c. Crown, Cie d’assurance-vie, [1992] 3 R.C.S. 87, la Cour suprême du Canada en est venue, à la majorité, à la conclusion que le mari qui avait tué son épouse (il s’agissait, semble-t-il, d’un meurtre) et qui s’était désigné bénéficiaire d’une police d’assurance qu’il avait contractée sur la vie de son épouse, ne pouvait réclamer de l’assureur ni en sa qualité de bénéficiaire ni en sa qualité d’exécuteur testamentaire. La Cour s’est dite d’avis que, selon les termes mêmes du contrat, l’argent devait être versé au survivant (et non à la succession) et que l’ordre public interdit que l’argent soit versé conformément aux conditions explicites du contrat à un survivant qui a acquis cette qualité en tuant l’autre partie. En refusant de reconnaître le droit de réclamer aussi bien au survivant qu’à la succession, la Cour s’est fondée sur le fait

[…] que nul ne devrait pouvoir souscrire une assurance contre son propre acte criminel, quel que soit le bénéficiaire. [Juge Sopinka, à la page 94.]

[129]   Commentant l’affaire Cleaver (supra, au paragraphe 124), le juge Sopinka (à la page 95) s’est dit d’avis que si la personne bénéficiaire qui a tué l’assuré n’était pas partie au contrat,

L’ordre public exigeait que le versement soit refusé à l’épouse bénéficiaire, laissant le produit de l’assurance dans la succession. L’ordre public ne pouvait annuler un droit que la succession avait en vertu de la loi.

[130]   La règle, à ce jour, a surtout été examinée dans le cadre des successions ab intestat et testamentaires et du droit des assurances. Les décisions que cite le procureur général ont toutes été rendues dans ce cadre, à l’exception de deux sur lesquelles je reviendrai. Un autre domaine s’est plus récemment ouvert à la règle, celui des « joint tenants ». Selon une étude publiée par Me Norman M. Tarnow « Unworthy Heirs : The Application of the Public Policy Rule in the Administration of Estates » (1980), 58 R. du B. can. 582, il appert que tels étaient généralement, en 1980, les champs couverts par la règle.

[131]   L’article de Me Tarnow est intéressant parce qu’il témoigne d’une diversité considérable dans la jurisprudence de common law et parce qu’il se termine par une invitation à faire preuve d’une certaine réserve dans l’utilisation de la règle à l’avenir. L’article est intéressant aussi parce qu’après avoir cité le dictum du lord juge Fry qui est devenu avec le temps la formulation classique de la règle (Cleaver, supra, à la page 156) :

[traduction] Il me semble qu’aucun système de droit ne peut raisonnablement inclure parmi les droits qu’il sanctionne des droits que la personne qui les fait valoir a directement obtenus en commettant un crime.

il fait état de nombreuses décisions, en common law anglo-saxonne, mais surtout en common law américaine, qui ont restreint l’application de la règle. La règle n’est donc pas aussi absolue qu’elle paraît l’être à prime abord et des questions se sont posées quant à la nature des crimes qu’elle visait et quant à la présence d’une intention coupable, notamment dans les cas d’aliénation mentale.

[132]   Dans Ontario Municipal Employees Retirement Board and Young et al., Re (1985), 49 O.R. (2d) 78 (H.C.), une épouse qui avait plaidé coupable à une accusation de négligence criminelle ayant causé la mort de son mari réclamait, à titre de veuve, la pension prévue par le Ontario Municipal Employees Retirement System Act [R.S.O. 1980, ch. 348]. Le juge Rosenberg, de la Haute Cour de Justice de l’Ontario, s’est dit d’avis, avec une réticence certaine, que même si le crime n’était pas intentionnel dans les circonstances, l’épouse, en recevant la pension, profiterait de son crime, ce qui irait à l’encontre de la règle de la common law [aux pages 81 et 82] :

[traduction] Les tribunaux canadiens ont suivi cette jurisprudence de façon constante, à une seule exception, dans le cas d’une condamnation pour conduite imprudente dont je traiterai. Il semble exister plusieurs décisions américaines portant que la règle d’ordre public interdisant qu’une personne profite de son propre crime ne s’applique que si l’homicide est intentionnel. Si je n’étais pas lié par la jurisprudence anglaise et canadienne, j’aurais préféré suivre en l’espèce le jurisprudence américaine et tirer une conclusion favorable à Therese Vezina Young. Elle n’avait pas l’intention de tuer son conjoint. Il serait mort peu après de toute façon et elle aurait pu bénéficier de la pension. J’estime toutefois que le droit est clair et qu’elle n’a pas le droit d’en bénéficier.

Dans l’affaire Shaw v. Gillian (1982), 40 O.R. (2d) 146, 143 D.L.R. (3d) 232, [1983] I.L.R. para. 1-1604, le juge Hughes était saisi du cas du bénéficiaire d’une police d’assurance-vie qui avait plaidé coupable à une infraction de conduite imprudente relativement à l’accident dans lequel l’assuré avait été tué. Après un examen approfondi de la jurisprudence, le juge a conclu que l’ordre public ne s’appliquait pas à une infraction criminelle à moins qu’il s’agisse d’un acte criminel. Dans son examen de la jurisprudence, le juge Hughes a cependant dit très clairement que, s’il avait été appelé à se prononcer sur un acte criminel comme la négligence criminelle ayant causé la mort, il aurait statué que la règle d’ordre public s’appliquait.

Dans les circonstances, je suis d’avis de conclure, à partir de la preuve qui m’a été présentée, que Therese Vezina Young a perdu son droit de bénéficier des avantages découlant du décès d’Edward Charles Young.

[133]   Dans R. v. National Insurance Comr, ex parte Connor, [1981] 1 All E.R. 769 (ci-après Connor), une formation de trois juges de la Queen’s Bench Division a eu l’occasion d’examiner la question un peu plus en profondeur. Une épouse avait poignardé son mari à l’occasion d’une querelle conjugale. Elle avait été accusée de meurtre, mais elle fut reconnue coupable par un jury d’homicide involontaire. Elle réclamait la pension de veuve prévue par le Social Security Act 1975 [(R.-U.), 1975, ch. 14], dont elle remplissait toutes les exigences d’admissibilité. Le Chief National Insurance Commissioner a rejeté la réclamation en se fondant sur la règle que nul ne peut profiter de son crime. L’épouse s’est alors adressée à la Cour par voie de demande de contrôle judiciaire. Le juge en chef Lane a, lui aussi, rejeté la demande. Voici de larges extraits de ses motifs [aux pages 773 à 775] :

[traduction] Portons notre attention sur deux problèmes que nous a soumis l’avocat. Selon le premier argument qu’il invoque, étant donné que la loi particulière dont nous sommes saisis, la Social Security Act 1975, est selon ses propres termes, une loi autonome moderne, les règles d’ordre public ne s’appliquent pas et, peu importe ce qui a pu arriver, il est amené à soutenir, à ce que je crois, que rien de ce que le demandeur a fait ne peut porter atteinte au droit manifeste que lui confèrent les termes de l’article 24, que j’ai interprétés.

Je rejette cet argument. Le fait que la loi ne fait pas état expressément de la perte du droit de la veuve dans le cas où elle commettrait ce type d’infraction, à la suite de laquelle elle deviendrait veuve, révèle simplement, selon moi, que le rédacteur de la loi était parfaitement conscient qu’il la rédigeait dans le contexte du droit alors existant.

Le deuxième argument porte que ce ne sont pas tous les types de crimes qui ont pour effet d’obliger les tribunaux à rejeter une demande au nom de l’ordre public.

Je serais porté à partager cette opinion. En effet, des remarques incidentes, notamment dans Gray v Barr, [1971] 2 All ER 954, [1971] 2 QB 554, appuient cette hypothèse; c’est le cas plus particulièrement du jugement du lord juge Salmon ([1971] 2 All ER 954, at 964, [1971] 2 QB 554, à 581) qui dit :

L’ordre public est considéré à juste titre comme un cheval rétif qu’il faut monter prudemment, mais j’ai la conviction que l’ordre public exige, sans l’ombre d’un doute, qu’une personne qui menace de commettre des actes de violence avec une arme chargée ne puisse jamais faire valoir une demande d’indemnité à l’encontre de la responsabilité qui pourrait lui être imputée pour avoir agi ainsi. Je n’ai pas l’intention de formuler une énoncé de portée plus large. En particulier, je ne statue pas qu’un homme qui a commis un homicide involontaire coupable sera, en toutes circonstances, empêché d’obtenir l’exécution forcée d’un contrat d’indemnisation relativement à toute responsabilité qui lui serait imputée pour avoir causé la mort ni d’hériter en vertu du testament ou de la succession non testamentaire d’une personne qu’il a tuée. L’homicide involontaire coupable est un crime dont la gravité varie infiniment. Il peut s’apparenter de très près à un meurtre ou dépasser à peine l’inadvertance, bien que, dans cette dernière catégorie de cas, le jury prononce rarement un verdict de culpabilité.

À mon humble avis, cette remarque est juste et je suis d’accord pour dire que, dans chaque cas, ce n’est pas l’étiquette que le droit appose à un crime qui a été commis, mais la nature du crime en soi qui déterminera en définitive si l’ordre public commande au tribunal d’empêcher le demandeur de faire appel à la justice. Il peut être difficile de décider où tracer cette limite, mais la question que doit trancher la Cour en l’espèce est celle de savoir si les actes accomplis par la demanderesse sont suffisants pour lui faire perdre le droit d’obtenir réparation.

Le jugement de lord Denning, président de la Cour d’appel, dans la même affaire donne des indications qui peuvent aider à tracer cette limite. Voici ce qu’il dit ([1971] 2 All ER 954 at 956, [1971] 2 QB 554 à 568) :

Cet homicide involontaire coupable signifie-t-il que M. Barr ne saurait, pour des motifs d’ordre public, être autorisé à toucher le montant de la police? Dans la catégorie des homicides involontaires coupables appelée « homicides involontaires coupables résultant de la conduite automobile, il est incontestablement établi que l’assuré a le droit de toucher l’assurance : voir Tinline v. White Cross Insurance Association Ltd [1921] 3 KB 327; James v. British General Insurance Co Ltd [1927] 2 KB 311, [1927] ALL ER Rep 442. Toutefois, dans la catégorie en cause en l’espèce, la situation est différente. Si sa conduite est volontaire et coupable, il n’a pas le droit de toucher l’assurance : voir Hardy v. Motor Insurers’ Bureau [1964] 2 All ER 742, [1964] 2 QB 745, Je partage l’opinion [du juge Geoffrey Lane] lorsqu’il dit ([1970] 2 All ER 702 à la page 710, [1970] 2 QB 626 à la page 640) : « Le critère logique consiste, selon moi, à se demander si la personne qui veut être indemnisée était coupable d’un acte de violence délibéré, intentionnel et illégal ou de menaces de violence. Si c’est le cas, et si la mort en a résulté, le tribunal ne doit pas accueillir la demande d’indemnisation, peu importe que le décès de la victime n’ait pas été intentionnel. »

Passons maintenant à l’examen de ce qui s’est passé en l’espèce. Selon le verdict du jury, il est clair que l’acte de la demanderesse était délibéré, conscient et intentionnel. Elle avait un couteau à la main et l’a délibérément enfoncé dans la poitrine de son conjoint. Cet acte est différent du fait de décharger les deux canons d’un fusil de chasse; deux situations ne seront jamais semblables. Toutefois, pour ma part, je ne vois aucune distinction sur le plan des principes entre la situation en cause dans Gray v Barr, qui était suffisante pour faire perdre à la demanderesse le droit de toucher une somme d’argent et la situation dont la Cour est saisie aujourd’hui, qui fait aussi perdre à la demanderesse le droit de toucher une somme d’argent.

[134]   Cette décision a fait l’objet d’un commentaire de St. John Robilliard intitulé : « Public Policy and the Widow » (1981), 44 Mod. L. Rev. 718, à la page 720. L’auteur y fait état d’une certaine confusion dans la jurisprudence et fait reproche au juge en chef Lane—sans pour autant suggérer que sa décision était mal fondée—de ne s’être pas posé les questions suivantes :

[traduction] Malgré cette source, lord Lane a préféré (remarque incidente) l’approche adoptée dans Gray v. Barr : c’est-à-dire que c’est la nature du crime qui détermine si la règle s’applique. Il voulait peut-être éviter l’application de ce qui paraît parfois constituer une règle dure et arbitraire. Les critiques ont un argument à faire valoir car, si l’arrêt Gray v. Barr est erroné, dans un cas comme l’affaire Connor, toute veuve qui a causé criminellement la mort de son conjoint est privée de sa pension par application du droit. S’il est correct, il faut examiner plus attentivement les questions d’ordre public en cause. Ces questions incluent celles de savoir s’il est justifié qu’un tribunal civil ajoute à la peine infligée par le droit criminel; si la peine qui en résulte est appropriée et si le fait d’empêcher l’auteur du délit de toucher une somme d’argent sert l’intérêt public qui sous-tend la loi (savoir, qu’une catégorie de personnes doit recevoir une pension).

[135]   Sur le point qui nous intéresse à ce stade, les motifs du juge en chef se réduisent aux deux paragraphes que voici, aux pages 773 et 774 :

[traduction] Portons notre attention sur deux problèmes que nous a soumis l’avocat. Selon le premier argument qu’il invoque, étant donné que la loi particulière dont nous sommes saisis, la Social Security Act 1975, est, selon ses propres termes, une loi autonome moderne, les règles d’ordre public ne s’appliquent pas et, peu importe ce qui a pu arriver, il est amené à soutenir, à ce que je crois, que rien de ce que le demandeur a fait ne peut porter atteinte au droit manifeste que lui confèrent les termes de l’article 24, que j’ai interprétés.

Je rejette cet argument. Le fait que la loi ne fait pas état expressément de la perte du droit de la veuve dans le cas où elle commettrait ce type d’infraction, à la suite de laquelle elle deviendrait veuve, révèle simplement, selon moi, que le rédacteur de la loi était parfaitement conscient qu’il l’a rédigeait dans le contexte du droit alors existant.

[136]   La question de savoir si l’ordre public était mieux servi par la disqualification de la veuve que par le versement des prestations n’a donc pas été véritablement examinée et je suppose qu’aux yeux du juge en chef Lane, le cas présentait suffisamment d’analogie avec les cas jusque-là décidés par les tribunaux pour lui permettre de conclure que le législateur pouvait présumer de l’application de la règle à ce type de cas. Il faut, en effet, se souvenir que dans ses motifs depuis endossés par une pléiade de juges, le lord juge Fry, dans Cleaver, avait dit en obiter ce qui suit (supra, paragraphe 124) :

[traduction] Ce principe d’ordre public, comme tous les principes de ce type, doit être appliqué à toutes les situations où il peut être appliqué sans égard au caractère particulier du droit invoqué ou à la façon dont il est invoqué […] et il faut aborder l’interprétation des lois du Parlement en tenant pour acquis que les termes généraux qui pourraient inclure des situations contraires à ce principe doivent être interprétés comme y étant assujettis.

[137]   Je suis enclin à regretter, avec Robilliard, que la question de l’objet de la loi en cause n’ait pas été considérée par le juge en chef Lane. Je ne suis pas convaincu que ce soit profiter de son crime, au sens de la règle de common law, que de recevoir de l’État une pension établie par une loi générale de portée sociale. Quoi qu’il en soit, la Loi qui nous occupe n’est pas de même nature. Ici, bien que ce soit l’État qui paie, il le fait principalement à même les contributions accumulées par le défunt et la Loi sur la pension de la fonction publique ne saurait être qualifiée de loi sociale.

[138]   J’ai fait ce survol rapide de la jurisprudence en common law pour illustrer à quel point la solution n’est peut-être pas aussi simple qu’elle pouvait le paraître à première vue. Je prends bonne note, enfin, de cette nuance qu’apporte le juge Iacobucci dans 65302 British Columbia, supra, au paragraphe 64 de ses motifs :

On a souvent fait remonter ce type de raisonnement à une déclaration de Lord Atkin dans Beresford c. Royal Insurance Co., [1938] 2 All E.R. 602 (H.L.), à la p. 607 : [traduction] « la règle absolue est que les tribunaux ne reconnaîtront pas au criminel quelque bénéfice découlant de son crime ». Toutefois, comme le notent plusieurs commentateurs, l’affaire Beresford visait le paiement d’une indemnité d’assurance à la suite du suicide de la personne assurée, à une époque où le suicide était qualifié de crime odieux.

Dispositif

[139]   Je serais en conséquence d’avis d’accueillir l’appel en partie et de modifier l’ordonnance rendue par le juge de première instance de manière à ce qu’elle ne fasse plus obligation au Conseil du Trésor du Canada de payer à la demanderesse en sa qualité de conjoint survivant la prestation sous forme d’allocation mensuelle prévue au paragraphe 13(3) de la Loi sur la pension de la fonction publique.

[140]   Vu le succès partiel remporté par chacune des parties, je n’accorderais aucuns dépens.

* * *

Voici les motifs du jugement rendus en français par

[141]   Le juge Létourneau, J.C.A. : J’ai eu le bénéfice de lire les motifs préparés par mon collègue le juge Décary. Je suis d’accord avec l’analyse remarquable et convaincante qu’il fait de la complémentarité du droit civil québécois au droit fédéral en cas de silence de ce dernier. Je partage sa conclusion qu’en l’espèce, le droit civil du Québec s’applique. Comme il le mentionne si bien, notre Cour a maintes fois reconnu le caractère supplétif du droit civil par rapport au droit fédéral. Elle s’est aussi efforcée, dans la mesure du possible, d’harmoniser les effets des lois fédérales afin d’éviter les disparités sources d’injustice, tout en reconnaissant un droit à la différence lorsque l’harmonisation s’avère impossible. Malheureusement, je ne peux souscrire à sa conclusion que l’homicide involontaire coupable, quel qu’il soit et quelles qu’en soient les circonstances, ne peut donner ouverture à une indignité successorale de plein droit en vertu de l’article 620 du Code civil du Québec. Pour une meilleure compréhension des motifs qui fondent ma décision, je reproduis les articles 620 à 623 dudit Code. J’y ajoute également les articles 610 et 611 du Code civil du Bas-Canada qui sont les précurseurs des articles du nouveau Code et que la réforme du droit civil du Québec n’est pas censé avoir altérés dans leur essence :

Code civil du Québec

DES QUALITÉS REQUISES

POUR SUCCÉDER

Art. 620. Est de plein droit indigne de succéder :

1° Celui qui est déclaré coupable d’avoir attenté à la vie du défunt;

2° Celui qui est déchu de l’autorité parentale sur son enfant, avec dispense pour celui-ci de l’obligation alimentaire, à l’égard de la succession de cet enfant.

Art. 621. Peut être déclaré indigne de succéder :

1°Celui qui a exercé des sévices sur le défunt ou a eu autrement envers lui un comportement hautement répréhensible;

2°Celui qui a recelé, altéré ou détruit de mauvaise foi le testament du défunt;

3°Celui qui a gêné le testateur dans la rédaction, la modification ou la révocation de son testament.

Art. 622. L’héritier n’est pas indigne de succéder et ne peut être déclaré tel si le défunt, connaissant la cause d’indignité, l’a néanmoins avantagé ou n’a pas modifié la libéralité, alors qu’il aurait pu le faire.

Art. 623. Tout successible peut, dans l’année qui suit l’ouverture de la succession ou la connaissance d’une cause d’indignité, demander au tribunal de déclarer l’indignité d’un héritier lorsque celui-ci n’est pas indigne de plein droit.

Code civil du Bas-Canada

610 Sont indignes de succéder et comme tels exclus des successions :

1. Celui qui est convaincu d’avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt;

2. Celui qui a porté contre le défunt une accusation capitale jugée calomnieuse;

3. L’héritier majeur qui, instruit du meurtre du défunt, ne l’a pas dénoncé à la justice.

611 Le défaut de dénonciation ne peut cependant être opposé aux ascendants du meurtrier, ni à son épouse, ni à ses frères et sœurs, ni à ses oncles et tantes, ni à ses neveux et nièces, ni à ses alliés aux mêmes degrés.

L’ambiguïté du texte du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec

[142]   L’indignité successorale en vertu du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec s’attache à la personne déclarée coupable d’avoir attenté à la vie du défunt. Il est évident en vertu de ce paragraphe que la personne doit, pour être indigne, avoir été déclarée coupable d’une infraction par un tribunal de juridiction pénale. La difficulté avec le libellé de l’article, et cette difficulté est de taille, c’est qu’il n’existe pas en droit pénal canadien d’infraction d’avoir attenté à la vie du défunt. On retrouve bien en droit pénal la tentative de meurtre, mais il s’agit d’une notion beaucoup plus étroite et plus spécifique que celle d’avoir attenté à la vie du défunt.

[143]   En effet, dans son sens usuel et courant, attenter à la vie d’une personne signifie porter gravement atteinte à la vie de cette personne ou tenter de lui donner la mort : Le Petit Larousse Illustré, 1998, page 96; Le Nouveau Petit Robert : Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 1993, page 150. Il va sans dire que les conditions de l’indignité sont aussi satisfaites si l’atteinte a été couronnée de succès et s’est avérée mortelle. Il suffit donc de porter intentionnellement une atteinte grave à la vie d’une personne, que la mort en résulte ou non.

[144]   En droit pénal, cependant, ce genre d’atteinte grave intentionnelle peut, en cas de décès de la victime, recevoir une qualification différente ou se voir étiqueté différemment selon les circonstances, et ce pour des motifs qui ne sont aucunement reliés à l’indignité successorale et qui participent soit de l’administration de la justice pénale, soit du désir du législateur d’afficher plus ouvertement et plus fortement la réprobation sociale du geste en fonction des circonstances, soit de l’objectif louable d’avoir un système de sanctions qui illustre cette réprobation sociale.

[145]   Le Code criminel canadien différencie, dans un premier temps, entre l’homicide non coupable pour lequel son auteur est exonéré de responsabilité pénale et l’homicide coupable qui constitue une infraction pour laquelle l’auteur peut faire l’objet de poursuites criminelles. Il reconnaît ensuite l’existence de trois sortes d’homicide coupable : le meurtre, l’homicide involontaire coupable et l’infanticide (paragraphes 222(2), (3) et (4) du Code criminel). Il distingue également entre le meurtre au premier degré et le meurtre au second degré qu’il assortit de peines différentes (paragraphe 231(1) et articles 235, 745 [mod. par L.C. 1995, ch. 22, art. 6] ainsi que 745.1 [édicté, idem] du Code criminel relatifs au droit au bénéfice de la libération conditionnelle).

[146]   Dans notre droit pénal, l’homicide involontaire coupable a ceci de particulier : il s’agit d’une catégorie résiduelle dont le contenu flou est défini par exclusion ou par élimination. En effet, en vertu de l’article 234, l’homicide coupable qui n’est pas un meurtre ou un infanticide constitue un homicide involontaire coupable. Cette catégorie englobe donc tout ce qui n’est pas autrement assigné au meurtre et à l’infanticide. Elle recoupe une variété considérable d’atteintes à la vie humaine pouvant résulter d’un acte illégal ou d’une négligence criminelle (paragraphe 223(5) du Code criminel).

[147]   Qui plus est, malgré son appellation, l’homicide involontaire coupable n’est pas toujours involontaire. Le plus bel exemple de cela se retrouve à l’article 232 du Code criminel où la défense de provocation permet de diminuer la responsabilité criminelle d’un individu qui a volontairement, intentionnellement et délibérément causé illégalement la mort de sa victime en réduisant le meurtre à un homicide involontaire coupable. Je reviendrai d’ailleurs plus loin sur cet aspect de la question lorsque j’analyserai la solution préconisée en droit civil québécois par la doctrine.

[148]   Je me suis astreint à faire cette nomenclature sommaire des concepts du droit pénal en matière d’atteintes mortelles à la vie pour, d’une part, illustrer l’absence d’harmonisation entre le droit civil québécois, actuel ou passé, et le droit pénal canadien. Je l’ai aussi fait, d’autre part, pour faire ressortir le danger qu’il y a à considérer d’une manière abstraite, c’est-à-dire indépendamment des circonstances entourant leur perpétration, les trois catégories d’infractions du Code criminel sanctionnant une atteinte réussie à la vie humaine. J’ajouterai, et c’est bien connu, que les trois catégories sont loin d’être étanches entre elles et que ce serait une erreur que de se retrancher derrière l’étiquette « homicide involontaire coupable » pour conclure que toutes et chacune des atteintes à la vie qui entrent dans cette catégorie ne peuvent être source d’indignité successorale de plein droit.

La portée du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec

[149]   Certains arguments de texte ont été soulevés pour écarter l’homicide involontaire coupable du champ d’application de l’article 620 du Code civil du Québec. Je m’arrêterai dans un premier temps à ces arguments.

[150]   Le premier se fonde sur l’emploi du mot « meurtre » au paragraphe 610(3) du Code civil du Bas-Canada. Selon cet argument, l’emploi de ce mot au troisième paragraphe permet d’inférer qu’au premier paragraphe de cet article, le législateur envisageait le meurtre lorsqu’il a utilisé les mots « avoir donné […] la mort ». Avec respect, je crois que c’est l’inférence contraire qu’il faut tirer. Car si le législateur avait voulu limiter l’application du premier paragraphe aux seuls cas de meurtre, il aurait alors utilisé le mot « meurtre » au premier paragraphe comme il ne s’est pas gêné pour le faire au troisième. Il n’aurait pas non plus utilisé des mots aussi larges que « donné […] la mort ». En outre, le troisième paragraphe qui fait usage du mot « meurtre » couvre une réalité bien différente du premier et, compte tenu de celle-ci, il est normal que le législateur en ait limité l’application au seul cas de meurtre.

[151]   En effet, alors qu’au premier paragraphe de l’article 610 l’indignité frappe la personne qui cause la mort et est responsable du décès du défunt, elle s’étend, au troisième paragraphe, à celui qui n’est aucunement impliqué dans ce décès. Elle touche la personne qui n’a pas dénoncé un meurtre dont elle ne fait que connaître l’existence sans même nécessairement en être témoin. Quand on sait qu’il n’existe en droit pénal aucune obligation pour un citoyen de dénoncer à la justice un crime dont il est même témoin et, par conséquent, aucune sanction pénale, il n’est pas surprenant que le législateur québécois ait voulu, pour une simple omission de dénoncer un crime, restreindre le champ d’application de la sanction civile de l’indignité successorale : ainsi seul l’héritier majeur sera redevable pour une telle omission et seulement s’il s’agit d’un meurtre. En outre, il est même relevé de cette obligation de dénoncer si l’auteur est un proche parent ou allié : article 611. On voit donc et on comprend bien, à la lecture du paragraphe 610(3) et de l’article 611, l’intention du législateur de restreindre à des circonstances très limitées et très précises la sanction civile pour l’omission de dénoncer. On ne retrouve pas une telle intention dans le paragraphe 610(1) à l’égard des auteurs du décès.

[152]   Le deuxième argument de texte a trait à l’emploi du mot « donner » au Code civil du Québec plutôt que du terme « causer » que l’on retrouve en usage au Code criminel. Je ne crois pas que le terme « causer » soit plus général que celui de « donner » et que l’on puisse tirer un argument significatif d’un choix de mot plutôt que d’un autre. Car celui qui donne la mort à une personne cause la mort de cette personne. D’ailleurs, « donner » dans le sens de « donner la mort » signifie causer, être la cause de ou procurer (Le Nouveau Petit Robert, page 676) ou encore être la source de ou produire (Le Petit Larousse Illustré, page 345). Toute comme un individu peut causer la mort sans intention première de la causer, il peut aussi la donner sans intention première de la donner. Aucun des deux termes ne requiert ou n’exclut en soi l’intention ou la volonté de tuer.

[153]   Enfin, je ne crois pas que l’on puisse, de façon générale, inférer de la présence du mot « involontaire » dans le concept d’homicide involontaire coupable une absence de volonté de tuer ou de donner la mort. Une personne, aveuglée par la rage, crie ouvertement son désir de tuer celui qui l’a insultée et, sur le champ, en présence de nombreux témoins qui peuvent attester du fait qu’elle a volontairement, intentionnellement et délibérément tué la victime, martèle à mort de coups cette dernière, tout en ne cessant de vociférer son intention de la tuer. Pourtant, suite à une défense de provocation acceptée par le tribunal, le meurtre sera réduit à homicide « involontaire » coupable alors que la mort a été infligée on ne peut plus « volontairement » (article 232 du Code criminel). Comme je le mentionnais précédemment, le crime d’homicide involontaire coupable regroupe plusieurs situations disparates qu’il faut apprécier en fonction des circonstances, ce qui m’amène d’ailleurs à examiner la position de la doctrine québécoise sur le sujet.

[154]   On semble dire que la doctrine est divisée en deux camps hermétiques : ceux qui estiment que le paragraphe 610(1) couvre l’homicide involontaire coupable comme cause d’indignité de plein droit (l’école Mignault, Langelier et Baudouin) et ceux qui l’exclut du champ d’application dudit paragraphe (l’école Faribault et Mayrand) : voir les références aux écrits de ces auteurs données par mon collègue. Mais à l’analyse, il devient évident que les tenants de l’école Faribault n’écartent pas du paragraphe 610(1) tous les homicides involontaires coupables. L’extrait suivant du Traité de droit civil du Québec de Léon Faribault, tome IV, Wilson et Lafleur, 1954, aux pages 161 et 162, illustre bien le fait :

Il y a homicide involontaire quand on cause la mort de quelqu’un sans intention préalable, ou sans s’être placé dans une situation telle qu’il était à craindre qu’elle pourrait causer sa mort. Tel est le cas de celui qui tue dans un accès de colère, ou d’ivresse, ou qui cause la mort d’un autre par sa négligence grossière. L’article 610 ne saurait s’appliquer à ce genre d’homicide.

La provocation peut rendre excusable un homicide volontaire, mais, au point de vue de l’indignité de l’héritier, cette excuse ne vaut que si les jurés l’ont acceptée en l’acquittant. [Le souligné est de moi.]

[155]   Premièrement, l’auteur exclut de son concept d’homicide involontaire pour fin d’indignité successorale sous le paragraphe 610(1) la personne qui s’est placée dans une situation telle qu’il était à craindre qu’elle pourrait causer sa mort. Une personne se place indubitablement dans une telle situation si, sciemment et volontairement, elle poignarde à mort sa victime.

[156]   Deuxièmement, toujours selon l’auteur et l’école de pensée qu’il représente, la personne qui a agi sous l’effet de la provocation évitera la peine de l’indignité seulement si elle a été acquittée, ce qui veut dire qu’elle sera frappée d’indignité si elle est trouvée coupable d’homicide involontaire coupable. Il n’y a là rien de surprenant puisque l’intention ou la volonté de tuer était présente même si, en définitive, le geste mortel a été affublé du vocable « homicide involontaire » coupable.

L’approche de la common law

[157]   La situation n’est pas différente en common law où, comme le font ressortir les extraits de décisions cités par mon collègue, il n’y a pas d’application aveugle du principe qu’une personne ne peut profiter de son crime dès que le geste de cette personne reçoit le qualificatif « homicide involontaire coupable ». Je reprendrai deux passages, l’un de Salmon L.J. et l’autre de lord Denning MR, qui résument bien ma pensée et l’approche qu’il faut prendre en la matière.

[158]   Dans l’affaire Gray v. Barr (Prudential Assurance Co Ltd, third party), [1971] 2 All ER 949 (C.A.), à la page 964, Salmon L.J. écrit :

[traduction] L’ordre public est considéré à juste titre comme un cheval rétif qu’il faut monter prudemment, mais j’ai la conviction que l’ordre public exige, sans l’ombre d’un doute, qu’une personne qui menace de commettre des actes de violence illégaux avec une arme chargée ne puisse faire valoir une demande d’indemnité à l’encontre de la responsabilité qui pourrait lui être imputée pour avoir agi ainsi. Je n’ai pas l’intention de formuler une énoncé de portée plus large. En particulier, je ne statue pas qu’un homme qui a commis un homicide involontaire coupable sera, en toutes circonstances, empêché d’obtenir l’exécution forcée d’un contrat d’indemnisation relativement à toute responsabilité qui lui serait imputée pour avoir causé la mort ni d’hériter en vertu du testament ou de la succession non testamentaire d’une personne qu’il a tuée. L’homicide involontaire coupable est un crime dont la gravité varie infiniment. Il peut s’apparenter de très près à un meutre ou dépasser à peine l’inadvertance, bien que, dans cette dernière catégorie de cas, le jury prononce rarement un verdict de culpabilité. [Le souligné est de moi.]

Le jugement de lord Denning va dans le même sens. À la page 956, il écrit :

[traduction] Cet homicide involontaire coupable signifie-t-il que M. Barr ne saurait, pour des motifs d’ordre public, être autorisé à toucher le montant de la police? Dans la catégorie des homicides involontaires coupables appelée « homicides involontaires coupables résultant de la conduite automobile », il est incontestablement établi que l’assuré a le droit de toucher l’assurance : voir Tinline v White Cross Insurance Association Ltd., [1921] 3 KB 327; James v British General Insurance Co Ltd, [1927] 2 KB 311, [1927] All ER Rep 442. Toutefois, dans la catégorie en cause en l’espèce, la situation est différente. Si sa conduite est volontaire et coupable, il n’a pas le droit de toucher l’assurance : voir Hardy v Motor Insurers’ Bureau, [1964] 2 All ER 742, [1964] 2 QB 745. Je partage l’opinion [du juge Geoffrey Lane] lorsqu’il dit ([1970] 2 All ER 702, à la page 710, [1970] 2 QB 626, à la page 640) :

Le critère logique consiste, selon moi, à se demander si la personne qui veut être indemnisée était coupable d’un acte de violence délibéré, intention et illégal ou de menaces de violence. Si c’est le cas, et si la mort en a résulté, le tribunal ne doit pas accueillir la demande d’indemnisation, quelque non-intentionnel qu’ait été le décès de la victime. [Le souligné est de moi.]

[159]   Comme mon collègue l’a souligné, cette approche a été suivie en 1981 dans R. v. National Insurance Comr, ex parte Connor, [1981] 1 All E.R. 769 (Q.B.). D’écrire le juge en chef qui s’est dit d’accord avec Salmon L.J. [à la page 774] :

[traduction] À mon humble avis, cette remarque est juste et je suis d’accord pour dire que, dans chaque cas, ce n’est pas l’étiquette que le droit appose à un crime qui a été commis, mais la nature du crime en soi qui déterminera en définitive si l’ordre public commande au tribunal d’empêcher le demandeur de faire appel à la justice. Il peut être difficile de décider où tracer cette limite, mais la question que doit trancher la Cour en l’espèce est celle de savoir si les actes accomplis par la demanderesse sont suffisants pour lui faire perdre le droit d’obtenir réparation. [Le souligné est de moi.]

[160]   Les faits de cette affaire ressemblaient beaucoup aux nôtres. Le juge en chef retint que l’acte illégal par lequel la mort fut causée était un acte conscient et délibéré, soit l’infliction, au moyen d’un couteau, de blessures corporelles graves [à la page 774] :

[traduction] Passons maintenant à l’examen de ce qui s’est passé en l’espèce. Selon le verdict du jury, il est clair que l’acte de la demanderesse était délibéré, conscient et intentionnel. Elle avait un couteau à la main et l’a délibérément enfoncé dans la poitrine de son conjoint. [Le souligné est de moi.]

Il conclut que ce genre de « manslaughter » (homicide involontaire coupable) disqualifiait l’auteur du crime du bénéfice de la pension de veuve qu’elle réclamait.

[161]   Je suis d’accord avec cette approche et je crois que le paragraphe 620(1) du Code civil du Québec n’écarte pas de son champ d’application tous les homicides involontaires coupables. Lorsque, comme en l’espèce, une personne se livre à des voies de fait graves ou à des lésions corporelles graves susceptibles de causer la mort, sachant que la mort peut en résulter, mais étant indifférente qu’elle s’ensuive ou non, cette personne est indigne de plein droit d’hériter de sa victime. Ce geste rencontre toutes les conditions du meurtre prévues à l’alinéa 229 a)(ii) du Code criminel et constitue un meurtre. Le fait que son auteur puisse bénéficier des largesses du système de droit pénal, d’un acquittement technique sur l’accusation de meurtre pour être trouvé coupable d’un homicide involontaire coupable, d’une réduction de l’accusation en échange d’un plaidoyer de culpabilité ou d’une condamnation à une infraction incluse dans l’accusation de meurtre suite à une défense de provocation ne change aucunement la nature du geste posé : un acte illégal consistant en des voies de fait graves susceptibles de causer la mort, sachant que la mort peut en résulter.

[162]   Il n’y a aucun doute qu’en l’espèce, Mme St-Hilaire voulait, sinon tuer son époux, à tout le moins lui causer des lésions corporelles graves susceptibles de causer sa mort. Elle avait même fait connaître ses intentions à l’occasion d’une querelle antérieure en disant : « un jour, je vais le piquer, l’hostie ». Elle a consciemment et volontairement porté atteinte à la vie du défunt au sens du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec.

L’approche du droit civil français

[163]   Mon collègue a fait référence au droit civil français pour conclure qu’en France également, l’homicide involontaire n’est pas cause d’indignité de plein droit. Il faut s’aventurer avec prudence dans une comparaison de concepts de droit pénal dans des systèmes de droit pénal si différents. Au plus bas de l’échelle de gravité, le Code pénal français sanctionne l’homicide par maladresse, imprudence ou inattention :

Art. 221-6 « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3 », par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi « ou le règlement », la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende.

«En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement », les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 500 000 F d’amende.

[164]   Nous n’avons pas en droit pénal canadien ce genre d’homicide involontaire coupable puisqu’il faut au moins une négligence criminelle pour que la responsabilité pénale de l’auteur du geste soit engagée. Les définitions et les contenus d’homicide diffèrent. Je remarque que le nouvel article 726 du Code civil français évitera l’étiquetage (meurtre, homicide involontaire coupable) que nous avons dans notre droit pour identifier le geste précis qui entraînera de plein droit la peine d’indignité.

Art. 726. Sont indignes de succéder et, comme tels, exclus de la succession : 1. celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt; 2. celui qui est condamné comme auteur ou complice, à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

Or, ce geste, c’est précisément le fait d’avoir porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner. C’est également ce geste que les tribunaux anglais ont sanctionné d’indignité en statuant qu’une personne ne peut profiter de son crime. C’est ce geste que le législateur canadien qualifie de meurtre lorsque commis intentionnellement et en connaissance du fait que la mort peut en résulter. Et c’est ce geste, et non son appellation, dont il faut tenir compte dans l’interprétation du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec. Car ce geste, posé intentionnellement et sciemment, a consisté en l’espèce à porter une atteinte mortelle à la vie du défunt, bref à avoir attenté à la vie de sa victime au sens du droit civil québécois tel qu’on le retrouve au paragraphe 620(1) du Code civil du Québec.

[165]   Pour ces motifs, je conclurais que l’intimée, Constance St-Hilaire, est indigne de plein droit d’hériter de son mari selon les termes du paragraphe 620(1) du Code civil du Québec. Je conclurais également, comme mon collègue et pour les motifs qu’il exprime, qu’elle ne peut toucher la rente de conjoint survivant. J’accueillerais l’appel, j’infirmerais la décision du juge de la Section de première instance et, procédant à rendre le jugement qu’il aurait dû rendre, je rejetterais la demande de jugement déclaratoire de l’intimée. Dans les circonstances très particulières de cette affaire, je n’accorderais aucun dépens.

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