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[2001] 1 C.F. 192

T-841-97

Jim Dryburgh, Pete Engstad, Sydney Mallon, Arthur Mountain, Morris Hankey, Peter Adams, la succession de Bruce Aikman, William Cairns, Jim Hopkins, David Holmes, Ken Joyce, Jim Provan, William Lenihan, Warren Hong, J. Bridle, John Celona, M. Coldren, Bernie Dahl, Murray Fallen, Paul Fletcher et Ralph Jones (demandeurs)

c.

Oak Bay Marina (1992) Ltd., Oak Bay Marina Ltd., Robert Wright, The Corporation of the District of Oak Bay, Newport Yacht Sales (1996) Ltd. et Newport Yacht Charters Ltd. (défendeurs)

Répertorié : Dryburgh c. Oak Bay Marina (1992) Ltd. (1re inst.)

Section de première instance, protonotaire Hargrave Vancouver, 27 avril et 17 août 2000.

Droit maritime Contrats Le demandeur poursuit les défendeurs pour négligence, inexécution de contrat et manquement à leurs obligations à titre de dépositaires rémunérés, malgré une clause de non-responsabilité dans un contrat d’amarrage Le quai auquel le yacht du demandeur était amarré s’est détaché, occasionnant des dommages au yacht Selon le contrat d’amarrage, les bateaux étaient amarrés aux seuls risques du propriétaire, la partie défenderesse n’étant en aucune circonstance responsable de quelque perte ou préjudice Les tribunaux ne devraient intervenir que lorsque la clause de non-responsabilité est inique Le préjudice doit correspondre au texte même de la disposition Le contrat d’amarrage doit recevoir une interprétation conforme à l’intention véritable des parties d’atteindre un résultat commercial raisonnable Il s’agit de savoir si la clause de non-responsabilité va jusqu’à protéger le président de la société défenderesse Grâce à l’exception étroite au principe du lien contractuel, applicable aux relations entre employeur et employés, le président est dégagé de toute responsabilité L’intention d’étendre la portée de la clause de non-responsabilité doit être mutuelle La clause de non-responsabilité couvre la société défenderesse ainsi que son président.

Contrats Clause de non-responsabilité dans un contrat type d’amarrage Le bateau du demandeur s’est endommagé lorsque le quai s’est cassé par mauvais temps Même si les tribunaux considèrent généralement les clauses de non-responsabilité avec une certaine hostilité, la disposition devrait être maintenue si elle n’est pas inique, injuste ou déraisonnable Si la clause de non-responsabilité est exprimée de façon claire, les règles normales d’interprétation des contrats s’appliquent et rien ne justifie que soit imposé au libellé de la clause un sens forcé et artificiel afin d’éviter l’exclusion de la responsabilité Il serait absurde, dans le cas d’une société possédée en propriété exclusive par son président, que la société soit exonérée d’une responsabilité, mais non son président La règle du lien contractuel en common law a été assouplie progressivement.

Il s’agit d’une requête en jugement sommaire en vertu de la règle 213 déclarant que certains des défendeurs n’étaient pas protégés par une clause de non-responsabilité figurant dans un contrat d’amarrage. Le demandeur a poursuivi les défendeurs pour négligence, inexécution de contrat et manquement à leurs obligations à titre de dépositaires rémunérés après que la marina à Oak Bay, près de Victoria (C.-B.), se soit cassée par mauvais temps, endommageant d’un certain nombre de bateaux, dont le yacht du demandeur. Avant cet incident, le demandeur Dryburgh avait signé avec la défenderesse Oak Bay Marina Ltd. un contrat type d’amarrage sur une base annuelle en vertu duquel les bateaux étaient amarrés aux seuls risques du propriétaire. En vertu de cette clause, la défenderesse n’était en aucune circonstance responsable de quelque perte ou préjudice causés soit par la négligence de la société elle-même ou par celle de ses employés ou de ses représentants. Le demandeur conclut à un jugement portant qu’Oak Bay Marina Ltd. et son président, Robert Wright, ne peuvent invoquer aucune protection en vertu d’une clause de non-responsabilité figurant dans un contrat type d’amarrage. Les points en litige dans cette requête étaient de savoir : 1) si la clause de non-responsabilité dans le contrat d’amarrage exonère Oak Bay Marina Ltd. de toute responsabilité envers le demandeur et 2), dans l’affirmative, si cette exonération s’étend aussi au président de la société, à l’égard des réclamations alléguées dans la déclaration modifiée.

Jugement : la requête est rejetée.

1) Comme les tribunaux considèrent généralement les clauses de non-responsabilité avec une certaine hostilité, ils interprètent de telles clauses de façon stricte à l’encontre de la partie qui les invoque. Même si le contrat d’amarrage est un contrat d’adhésion et qu’il est censé exclure toute responsabilité, même celle qui est causée par négligence, ses dispositions sont clairement libellées et il ne s’agit pas d’un contrat entre un fournisseur de services tout puissant et un client peu expérimenté. De plus, le tarif d’amarrage indique clairement que Oak Bay Marina Ltd. n’agissait pas à titre d’assureur des risques de port. Par conséquent, le contrat n’était pas inique, injuste ou déraisonnable. Dès lors que la disposition d’exonération se rapporte directement à la négligence ou à l’inexécution qui a effectivement eu lieu, un tribunal ne devrait intervenir que si elle est inique. Le préjudice doit correspondre au texte même de la disposition d’exonération de responsabilité. Dans la présente espèce, le contrat d’amarrage est une convention vaste visant la prestation de services adéquats d’amarrage pour des bateaux. La clause de non-responsabilité est aussi large, mentionnant « quelque perte ou préjudice », qu’ils soient ou non causés par négligence. Le contrat n’est pas marqué d’une telle spécificité que la clause de non-responsabilité doive ne renvoyer qu’à la prestation courante de locaux adéquats; au contraire, il mentionne toute perte ou tout préjudice, sans limite. En ce qui a trait à la prétention des demandeurs selon laquelle la négligence dans la conception de la marina, une activité qui a eu lieu en 1994 et en 1995, ne devrait pas être protégée par la clause de non-responsabilité, la Cour a présumé qu’il y a eu négligence dans la conception de la marina, y compris dans la mise en place et le battage des pieux, tâche entreprise par Robert Wright pour le compte d’Oak Bay Marina Ltd. Par suite des travaux de rénovation de la marina effectués en 1994 et en 1995, les deux défendeurs avaient envers les futurs utilisateurs de la marina l’obligation de leur fournir une marina construite adéquatement.

Les règles d’interprétation qui s’appliquent à tout contrat écrit sont également applicables aux clauses de non-responsabilité afin de permettre de dégager le sens que les mots employés visent à donner. Si la clause est exprimée de façon claire et non équivoque, rien ne justifie que soit imposé au libellé de la clause un sens forcé et artificiel afin d’éviter l’exclusion ou la limitation de la responsabilité qu’elle comprend. La doctrine contra proferentem ne devrait être invoquée que s’il y a quelque ambiguïté. Il est nécessaire de tenir compte de l’ensemble du contrat d’amarrage et de dégager une interprétation conforme à l’intention véritable des parties et qui entraîne un résultat commercial raisonnable. Conclure que la clause de non-responsabilité est circonscrite par certaines limites de temps et exclure la négligence passée à l’égard d’une obligation envers le demandeur à titre d’occupant subséquent, fausseraient la règle selon laquelle le dommage doit correspondre au texte même du contrat, et entraîneraient un résultat irréaliste. La clause de non-responsabilité protégeait Oak Bay Marina Ltd. contre la responsabilité à l’égard de la négligence, de la violation de son obligation et de l’inexécution du contrat invoquées dans la déclaration.

2) Le deuxième point en litige a trait à la question de savoir si la clause de non-responsabilité qui protège la société défenderesse, Oak Bay Marina Ltd., va jusqu’à protéger son président. En vertu du principe du lien contractuel, une personne qui n’est pas partie au contrat, comme c’est le cas de M. Wright, ne pourrait profiter de cette protection. Toutefois, dans l’arrêt London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., la Cour suprême du Canada a reconnu une exception étroite au principe du lien contractuel, applicable aux relations entre employeur et employés, lorsqu’il y a une intention d’étendre la protection d’une clause de non-responsabilité. L’arrêt London Drugs a établi deux conditions. La première condition, applicable en l’espèce, concerne la question de savoir si, implicitement, le bénéfice de la clause de non-responsabilité s’étend à Robert Wright qui, tout président de la société qu’il était, en était aussi un employé en ce qu’il a lui-même conçu le réaménagement de la marina au moment où les rénovations ont eu lieu. L’intention de M. Wright de bénéficier de la même exonération de responsabilité que sa société était de bonne foi, puisqu’il serait absurde, dans le cas d’une société possédée en propriété exclusive par son président, que la société soit exonérée de toute responsabilité, mais que le président, ou encore les assureurs, y soient assujettis. L’intention doit aussi être mutuelle. En vertu de la deuxième condition établie dans l’arrêt London Drugs, l’employé qui cherche à bénéficier du contrat doit avoir agi dans l’exercice de ses fonctions et avoir rendu les services mêmes que visait le contrat. Cette condition a elle aussi été remplie. M. Wright avait été directement engagé dans la construction de la marina et il avait tout pouvoir décisionnel et final sur sa reconstruction. Ce travail, en vue de produire une marina construite de façon adéquate et sécuritaire, était en partie ce pourquoi le demandeur avait passé un contrat. Il n’est pas nécessaire que la conduite négligente alléguée comprenne tous les services que vise le contrat. M. Wright devrait pouvoir invoquer la clause de non-responsabilité, à l’instar de sa société, car la conduite négligente alléguée contre lui a eu lieu dans l’exercice de son travail pour la société et dans l’exécution des services mêmes que non seulement Oak Bay Marina Ltd. a entrepris en vertu du contrat, mais que le demandeur s’attendait à ce qu’elle lui fournisse. Cet assouplissement de la règle du lien contractuel est en harmonie avec la modification progressive qu’a subie cette règle en common law. Comme les personnes morales rendent leurs services par l’intermédiaire de leurs employés, il est logique qu’une partie à un contrat ne puisse éviter l’effet d’une perte en engageant des poursuites contre les personnes physiques qui s’acquittent effectivement du travail, à titre d’employés ou de cadres et de propriétaires actifs.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règles 50(1)(c),(2), 213.

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426; (1989), 57 D.L.R. (4th) 321; [1989] 3 W.W.R. 385; 35 B.C.L.R. (2d) 145; 92 N.R. 1; MacKay c. Scott Packing and Warehousing Co. (Canada) Ltd., [1996] 2 C.F. 36 (1995), 192 N.R. 118 (C.A.); Alderslade v. Henson Laundry, Ld., [1945] K.B. 189 (C.A.); Exportations Consolidated-Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888; (1979), 112 D.L.R. (3d) 49; [1980] I.L.R. 595; 32 N.R. 488; London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299; (1992), 97 D.L.R. (4th) 261; [1993] 1 W.W.R. 1; 18 B.C.A.C. 1; 73 B.C.L.R. (2d) 1; 43 C.C.E.L. 1; 13 C.C.L.T. (2d) 1; 143 N.R. 1; Laing Property Corp. v. All Seasons Display Inc. (1998), 53 B.C.L.R. (3d) 142, 53 B.C.L.R. (3d) 142; 29 B.L.R. (2d) 153; 3 C.C.L.I. (3d) 241 (C.S.); inf. sub nom. Orange Julius Canada Ltd. v. Surrey (City), [2000] B.C.J. No. 1655 (C.A.) (QL).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Salmon River Co. v. Burt Bros., [1953] 2 R.C.S. 117; [1954] 1 D.L.R. 1; Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co., [1995] 1 R.C.S. 85; (1995), 121 D.L.R. (4th) 193; [1995] 3 W.W.R. 85; 23 C.C.L.T. (2d) 1; 18 C.L.R. (2d) 1; 100 Man. R. (2d) 241; 176 N.R. 321; 43 R.P.R. (2d) 1; 91 W.A.C. 241; Bombardier Inc. v. Canadian Pacific Ltd. (1992), 7 O.R. (3d) 559; 85 D.L.R. (4th) 558; 6 B.L.R. (2d) 166; 52 O.A.C. 30 (C.A.).

DÉCISIONS CITÉES :

Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210; (1997), 158 Nfld. & P.E.I.R. 269; 153 D.L.R. (4th) 385; 221 N.R. 1; Photo Production Ltd. v. Securicor Transport Ltd., [1980] A.C. 827 (H.L.); Pense v. Northern Life Assurance Co. (1907), 15 O.L.R. 131; conf. par (1908), 42 R.C.S. 246; Adler v. Dickson and Another, [1954] 2 Lloyd’s Rep. 267 (C.A.); Midland Silicones Ltd. v. Scruttons Ltd., [1962] A.C. 446 (H.L.); ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; (1986), 28 D.L.R. (4th) 641; 34 B.L.R. 251; 68 N.R. 241; Greenwood Shopping Plaza Ltd. c. Beattie et autre, [1980] 2 R.C.S. 228; (1980), 39 N.S.R. (2d) 119; 111 D.L.R. (3d) 257; 10 B.L.R. 234; [1980] I.L.R. 914; 32 N.R. 163; Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108; (1999), 176 D.L.R. (4th) 257; [1999] 9 W.W.R. 380; 127 B.C.A.C. 287; 67 B.C.L.R. (3d) 213; 50 B.L.R. (2d) 169; 11 C.C.L.I. (3d) 1; 47 C.C.L.T. (2d) 1; 245 N.R. 88.

DOCTRINE

Chitty on Contracts, 28th ed. London : Sweet & Maxwell, 1999.

REQUÊTE en jugement sommaire en vertu de la règle 213 pour qu’il soit déclaré que certains défendeurs ne sont pas protégés par une clause de non-responsabilité figurant dans un contrat type d’amarrage. Requête rejetée.

ONT COMPARU :

Douglas G. Schmitt pour le demandeur Jim Dryburgh.

John W. Bromley pour les défendeurs Oak Bay Marina Ltd. et Robert Wright.

Michael R. Tinker pour la défenderesse Pacific Pile Driving Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour le demandeur Jim Dryburgh.

Bromley Chapelski, Vancouver, pour les défendeurs Oak Bay Marina Ltd. et Robert Wright.

Killam, Whitelaw & Twining, Vancouver, pour la défenderesse Pacific Pile Driving Ltd.

Carfra & Lawton, Victoria, pour la défenderesse The Corporation of the District of Oak Bay.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendus par

[1]        Le protonotaire Hargrave : Les présents motifs se rapportent à une cause type qui est en fait une question de droit, soulevée par voie de requête en jugement sommaire en vertu de la règle 213 [des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106] et visée par l’alinéa 50(1)c) et le paragraphe 50(2) des Règles qui confèrent au protonotaire la compétence nécessaire. La question en litige porte sur l’effet d’une clause de non-responsabilité dans un contrat d’amarrage sur la réclamation de l’un des demandeurs, M. Jim Dryburgh. M. Dryburgh, en qualité de propriétaire du yacht Three Martletts, poursuit les défendeurs pour négligence, inexécution de contrat et manquement à leurs obligations à titre de dépositaires rémunérés en raison des dommages subis lorsque la marina à Oak Bay, près de Victoria (C.-B.), s’est cassée par mauvais temps, endommageant un certain nombre de bateaux amarrés à la marina, dont le Three Martletts.

[2]        Certains des défendeurs ont pu se retirer de l’action, par convention. Le demandeur, M. Dryburgh, conclut maintenant à un jugement déclarant qu’Oak Bay Marina Ltd. et M. Robert Wright ne peuvent invoquer aucune protection en vertu d’une clause de non-responsabilité figurant dans un contrat type d’amarrage. Les deux défendeurs ont des liens différents avec M. Dryburgh. Il y a donc lieu d’exposer certains éléments du contexte. En l’espèce, les avocats des parties ont été en mesure de convenir des principaux faits, dont je ferai maintenant l’exposé.

LES FAITS

[3]        Le Three Martletts, yacht d’environ 30 pieds de longueur réglementaire, était amarré à la marina d’Oak Bay depuis 1979. Le 17 octobre 1996, le quai auquel le Three Martletts était amarré s’est détaché et s’est échoué, occasionnant des dommages au yacht.

[4]        M. Dryburgh prétend que le quai s’est détaché par suite de négligence, d’inexécution de contrat et de manquement aux obligations à titre de dépositaires rémunérés. Les fautes reprochées relèvent plus précisément de lacunes dans la conception, la construction, l’entretien et la supervision de la marina.

[5]        Les défendeurs comparaissant dans la présente procédure, ainsi qu’il a été mentionné plus haut, sont Oak Bay Marina Ltd. et Robert Wright, ce dernier prétendant que M. Dryburgh est partie à un contrat d’amarrage qui exonère ces deux défendeurs de toute responsabilité. Je noterai ici qu’à la suite de l’audience, Dean Strongetharm, Randy Wright et George Moore ont pu se retirer de l’action.

[6]        M. Dryburgh a déjà été propriétaire d’une entreprise de réparation et de construction de bateaux attenante. Longtemps après que M. Dryburgh eut commencé à amarrer le Three Martletts à la marina d’Oak Bay, la marina a, en 1994 et 1995, été reconstruite au complet dans le cadre de travaux d’agrandissement et de modification. M. Dryburgh a, sur une base annuelle, signé un contrat type d’amarrage, et plus particulièrement le contrat d’amarrage du 1er avril 1996 au 31 mars 1997, document intitulé « Oak Bay Marine Group Annual Moorage License and Invoice ». Ce document était expédié par la poste chaque année par la défenderesse Oak Bay Marina Ltd. Aux fins de la présente requête, M. Dryburgh admet être lié par les dispositions du contrat type d’amarrage, renonçant ainsi à tout argument fondé sur l’absence de notification de la clause de non-responsabilité.

[7]        La clause contractuelle en cause est celle qui est comprise dans l’Oak Bay Marine Group Annual Moorage License and Invoice, à savoir l’une des conditions de la licence d’amarrage figurant au verso :

[traduction] EXCLUSIONS DE RESPONSABILITÉ

Tous les bateaux, hangars à bateaux et matériels accessoires du propriétaire entreposés ou amarrés dans les locaux de la société le sont aux seuls risques du propriétaire, et la société ne sera en aucune circonstance responsable de quelque perte ou préjudice y causés, que ce soit par la négligence de la société, de ses employés ou de ses représentants, par les actes de tiers, ou autrement. Tous les véhicules stationnés dans les locaux de la société et leur contenu demeurent sous la responsabilité du propriétaire. Toutes les personnes qui utilisent les locaux, les flotteurs et les rampes de la société le font à leurs risques et la société n’assume aucune responsabilité de quelque nature à l’égard des blessures que pourraient subir le propriétaire ou ses invités à l’intérieur des locaux de la société en raison de quelque cause que ce soit.

Ce document, que j’appellerai le contrat d’amarrage, définit le propriétaire comme la personne qui est nommée au recto du contrat : le nom de M. Dryburgh figure dans la case intitulée « Nom du propriétaire » au recto du contrat. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, le recto du contrat d’amarrage porte la mention d’Oak Bay Marina Group. Au haut du contrat figurent les noms de trois entités, à savoir Oak Bay Marina Ltd., North Saanich Ltd. et Pedder Bay Marina : la case devant le nom Oak Bay Marina Ltd. est marquée d’un « X » tapé à la machine. M. Dryburgh a reconnu qu’il obtenait son aire d’amarrage d’Oak Bay Marina Ltd.

[8]        L’Oak Bay Group et par conséquent, indirectement, Oak Bay Marina Ltd., appartiennent au défendeur Robert Wright, qui en est le président.

[9]        Il est juste de dire que M. Dryburgh croyait devoir s’occuper de son bateau pendant que celui-ci se trouvait à la marina, s’assurer qu’il était amarré adéquatement et, globalement, être responsable du Three Martletts lorsqu’il était amarré au quai, même s’il savait aussi que, de temps en temps, les employés d’Oak Bay Marina Ltd. vérifiaient les bateaux à la marina, tout particulièrement pendant les tempêtes.

[10]      Appelé à dire, au cours de l’interrogatoire préalable, comment il percevait la norme suivie pour la construction de la marina, M. Dryburgh a reconnu qu’elle satisfaisait aux normes de sécurité canadiennes actuelles et qu’elle supporterait toutes les conditions météorologiques et tous les états de mer raisonnablement prévisibles. Il s’agissait des services et des conditions visés par le contrat qu’il a passé.

[11]      Quant à l’intention d’Oak Bay Marina Ltd., au sujet de son installation, c’était d’offrir une marina construite et entretenue de façon adéquate et sécuritaire qui supporterait toutes les conditions météorologiques raisonnablement prévisibles. Dans un affidavit du 14 avril 1999, M. Wright déclare qu’il avait tout pouvoir décisionnel et final sur le réaménagement et la reconstruction de la marina en 1994 et en 1995 et qu’aucun autre employé n’avait exercé quelque pouvoir décisionnel à cet égard. M. Wright a choisi la dimension, le nombre et l’emplacement des pieux, en tenant compte de la profondeur du régolite dans lequel les pieux devaient être enfoncés. Il est pertinent de noter ici les allégations de négligence dans la déclaration modifiée, dont le fait d’avoir construit le quai avec des pieux et des ancres inadéquats, le fait de ne pas avoir enfoncé les pieux à une profondeur suffisante, le fait de ne pas avoir corrigé l’installation de pieux affaiblie lorsqu’il est devenu apparent que les pieux bougeaient dans des conditions normales, et le fait d’avoir conçu et équipé le quai d’une façon telle que, sous le vent, les pieux bougeaient et se détérioraient.

[12]      Selon la déposition de M. Wright, pratiquement toutes les marinas ont des contrats d’amarrage comportant une clause de non-responsabilité, et selon lui, cette clause exonérait la société, ses employés et lui-même de toute responsabilité :

[traduction] En ce qui a trait au contrat d’amarrage lui-même, je l’ai lu dans le passé et j’ai toujours compris qu’il prévoyait une exonération de responsabilité pour moi-même et pour tous les employés de la société, de même que, bien sûr, une exonération de responsabilité pour la société. C’était certainement toujours mon intention.

Le fait que M. Wright lui-même n’a jamais invité l’entreprise Oak Bay Marina Group, dont il était propriétaire, à l’inclure expressément comme bénéficiaire de l’exonération de responsabilité, n’est pas incompatible avec sa perception qu’en fait il bénéficiait de l’exonération de responsabilité comme ses sociétés qui exploitaient des marinas.

POINT EN LITIGE

[13]      Il s’agit d’établir si la clause de non-responsabilité figurant au verso du contrat d’amarrage exonère Oak Bay Marina Ltd. de toute responsabilité envers M. Dryburgh et, dans l’affirmative, si cette exonération s’étend aussi à M. Robert Wright, à l’égard des réclamations alléguées dans la déclaration modifiée.

ANALYSE

Les clauses de non-responsabilité en général

[14]      D’abord, les tribunaux considèrent généralement les clauses de non-responsabilité avec une certaine opposition. Ils ont par conséquent tendance à interpréter de telles clauses de façon stricte à l’encontre de la partie qui les invoque : Bow Valley Husky (Bermuda) Ltd. c. Saint John Shipbuilding Ltd., [1997] 3 R.C.S. 1210, à la page 1232, où Mme le juge McLachlin, maintenant juge en chef, renvoie à l’arrêt Hunter Engineering Co. c. Syncrude Canada Ltée, [1989] 1 R.C.S. 426, à la page 497. La Cour d’appel fédérale s’est abondamment fondée sur l’arrêt Syncrude Canada Ltée dans l’arrêt MacKay c. Scott Packing and Warehousing Co. (Canada) Ltd., [1996] 2 C.F. 36 (C.A.), décision utile non pas parce qu’elle comporte quelque nouveauté, mais plutôt parce que la Cour s’est penchée sur la portée de la clause en question, en soulignant qu’il n’est pas nécessaire, pour être efficace, qu’une telle clause exclue explicitement la négligence ou l’inexécution fondamentale, et qu’elle a examiné le caractère juste et raisonnable de la clause.

[15]      Dans la présente espèce, la clause prévoit expressément non seulement que les bateaux sont amarrés aux seuls risques du propriétaire, mais également que la société n’est pas responsable des pertes ou des préjudices [traduction] « causés, que ce soit par la négligence de la société, de ses employés ou de ses représentants, par les actes de tiers, ou autrement. » Il s’agit là d’une disposition clairement libellée et raisonnablement visible. Même si le contrat d’amarrage est un contrat d’adhésion et qu’il est censé exclure toute responsabilité, même celle qui est causée par négligence, il ne s’agit pas d’un contrat entre un fournisseur de services tout puissant et un client peu expérimenté. De plus, Oak Bay Marina Ltd. n’agit pas à titre d’assureur des risques de port : le tarif d’amarrage l’indique clairement. Ces facteurs pris en considération, il appert que le contrat n’est pas inique, injuste ou déraisonnable. Je me réfère ici à l’arrêt Syncrude Canada (précité) à la page 462, où le juge en chef Dickson a dit :

Si d’après son interprétation juste, le contrat écarte la responsabilité pour le genre d’inexécution qui s’est produit, la partie fautive sera généralement soustraite à la responsabilité. Ce n’est que lorsque le contrat est inique, comme cela pourrait se produire dans le cas où il y a inégalité de pouvoir de négociation entre les parties, que les tribunaux devraient modifier les conventions que les parties ont formées librement. Les tribunaux n’appliquent pas aveuglément les conventions draconiennes ou iniques et, comme l’a fait valoir le professeur Waddams, la meilleure façon de saisir le principe de l’« inexécution fondamentale » consiste à le comparer à une manifestation d’un principe général sous-jacent qui justifie l’intervention des tribunaux dans divers contextes contractuels.

Ce qui est important ici, c’est que, dès lors que la disposition d’exonération se rapporte directement à la négligence ou à l’inexécution qui a effectivement eu lieu, un tribunal ne devrait intervenir que si la disposition d’exonération est inique. Dans la présente espèce, la convention n’est pas inique, et il ne serait pas injuste ni déraisonnable d’appliquer la clause d’exclusion dès lors qu’elle se rapporte au sujet. Il y a plusieurs aspects qui méritent d’être examinés à cet égard.

Identité de la société bénéficiaire

[16]      En premier lieu, le demandeur a fait valoir que la mention de « société » dans la clause de non- responsabilité était jusqu’à un certain degré ambiguë. Au recto du contrat, il semble que le contrat d’amarrage pourrait être conclu avec l’une ou l’autre des sociétés qui fournissent des services, mais il y a une marque dans la case précédant immédiatement le nom d’Oak Bay Marina Ltd. : c’est là une bonne indication de l’identité de la société avec laquelle a été passé le contrat d’amarrage. De plus, selon le témoignage de M. Dryburgh, à la page 9 de son interrogatoire préalable, le contrat d’amarrage a été passé avec Oak Bay Marina Ltd. Il est clair que le contrat d’amarrage a été conclu entre M. Dryburgh et Oak Bay Marina Ltd.

Portée de la clause de non-responsabilité

[17]      Il faut ensuite se pencher sur la question de savoir si le libellé d’exonération porte sur les causes d’action particulières soulevées par le demandeur. En bref, le préjudice doit correspondre au texte même de la disposition d’exonération de responsabilité (Alderslade v. Henson Laundry, Ld., [1945] K.B. 189 (C.A.), à la page 192) :

[traduction] Il faut se rappeler qu’une clause de limitation de cette nature ne s’applique que lorsque le préjudice, à l’égard duquel la clause de limitation entre en jeu, correspond au texte même du contrat.

L’arrêt Alderslade a été appliqué par la Cour suprême dans l’arrêt Salmon River Co. v. Burt Bros., [1953] 2 R.C.S. 117. L’arrêt Salmon River donne un bon exemple de négligence débordant le cadre de la clause d’exonération. Dans cette affaire, la clause aurait été applicable, à l’égard d’une réclamation en dommages résultant du chargement d’un camion, si le chargement avait donné lieu au dommage : le dommage n’avait toutefois rien à voir avec l’opération de chargement et, partant, le tribunal a jugé qu’il ne correspondait pas au texte même du contrat. Par conséquent, la clause d’exonération ne s’appliquait pas : voir la décision du juge Cartwright dans l’arrêt Salmon River, aux pages 125 et 126.

[18]      L’avocat de M. Dryburgh reconnaît l’existence d’une obligation de diligence, de la part du concepteur ou du constructeur d’une structure, pour faire en sorte que la structure soit sans danger pour les futurs occupants, citant ici l’arrêt Winnipeg Condominium Corporation No. 36 c. Bird Construction Co., [1995] 1 R.C.S. 85, et les motifs du juge La Forest prononcés au nom de la Cour, aux pages 115 et 116. En fait, la responsabilité des constructeurs et des concepteurs s’étend à l’égard de chaque utilisateur de la structure pendant sa vie utile. L’avocat des demandeurs invoque ici la prétendue négligence des défendeurs, laquelle se résume au fait de ne pas avoir enfoncé adéquatement les pieux et de ne pas avoir corrigé le pieu affaibli qui a bougé et s’est détérioré pendant les tempêtes, l’interrogatoire préalable ayant clairement fait ressortir que Robert Wright a pris la décision finale quant à la dimension, au nombre et à la mise en place des pieux. Il a ensuite porté son attention sur une partie de la transcription de l’interrogatoire préalable qui établirait, selon lui, l’objet visé par les rénovations, lesquelles auraient été effectuées afin de rendre la marina plus rentable :

[traduction]

359 Q.  Le plan global du réaménagement était de faire une nouvelle marina rénovée de haute qualité et, aussi, d’accommoder un parc de bateaux de dimensions en mutation; est-ce exact? Les bateaux à moteur étaient devenus plus gros que ceux pour lesquels la marina avait été construite à l’origine?

359 R.  Construire une marina de haute qualité, oui. Se débarrasser du quai B original, destiné aux bateaux de 14 ou de 15 pieds. Comme le marché et les prix étaient à la hausse, les gens les ramenaient à la maison, il n’y avait plus de marché pour cette catégorie et que nous avions des quais vides, nous avons décidé de voir quelle serait la tendance du marché pour les 15 prochaines années, soit le point central de notre bail de 30 ans. Allaient-ils devenir plus gros ou plus petits, ou subir d’autres changements? Et c’est à partir de cette planification que cela, pensions-nous, devrait répondre aux besoins en ce sens.

360 Q.  D’accord. C’est donc de faire une marina rénovée et rentable?

360 R.  Eh bien, les gens achètent un produit. Nous voulions avoir un produit qui serait acheté. Et nous l’avons fait, et la marina est occupée à pleine capacité, avec une liste d’attente, de sorte que notre décision était la bonne.

Deux éléments peuvent ressortir de cet extrait. Il y a en premier lieu le concept, mis de l’avant par l’avocat à la question 360, que le but de la rénovation était de produire une marina rentable. Robert Wright n’a pas répondu directement à la question, mais a simplement dit qu’il voulait un produit, c’est-à-dire une marina dans laquelle les gens achèteraient des services d’amarrage, et que le résultat, c’était une marina occupée à pleine capacité, avec une liste d’attente. Il y a en deuxième lieu le concept de la construction d’une marina de haute qualité, qui correspond à la réponse 359. Il y a aussi, sur ce point, et sans que cela n’entre en conflit avec l’un ou l’autre de ces concepts, la déposition de Robert Wright, dans son affidavit, donnant des renseignements sur son expérience en matière de construction et de conception de marinas en Colombie-Britannique et en Oregon au cours des 37 dernières années. Dans cet affidavit, il déclare ce qui suit :

[traduction] C’était l’intention de la société et certainement mon intention de réaliser une marina qui était bien construite et bien entretenue, qui répondait aux normes de sécurité canadiennes alors en vigueur et qui serait capable de résister aux conditions météorologiques et de mer raisonnablement prévisibles.

Dans la même veine, le demandeur, Jim Dryburgh, a reconnu lors de l’interrogatoire préalable, avoir pensé que l’aire d’accostage serait dans une marina construite et entretenue de façon adéquate et sécuritaire, dans le respect des normes de sécurité canadiennes en vigueur, et capable de résister à toutes les conditions météorologiques et de mer raisonnablement prévisibles, et que c’est ce pourquoi il a passé un contrat : questions 134 à 137.

[19]      L’avocat de M. Dryburgh fait valoir ici que la seule interprétation raisonnable de la clause de non-responsabilité est qu’elle ne devait s’appliquer qu’aux services contractuels rendus annuellement dans le cadre de l’exploitation et de la supervision de la marina, et que les termes de la clause de non-responsabilité, eu égard au contrat d’amarrage considéré dans son ensemble, ne visaient pas les actes ou omissions passés. Plus particulièrement, l’avocat prétend qu’aucune mention ne vise l’obligation de diligence découlant de la conception et de la construction de la marina, invoquant ici l’arrêt Winnipeg Condominium (précité), distinguant en réalité les aspects conception et construction, d’une part, des services courants d’amarrage, d’autre part. L’avocat invoque aussi, par analogie, la décision Bombardier Inc. v. Canadian Pacific Ltd. (1992) 7 O.R. (3d) 559 (C.A.), dans laquelle des clauses de non-responsabilité visant le transport de cargaisons ne couvraient pas le dommage causé par les employés du transporteur au cours d’une opération de sauvetage effectuée de façon négligente à la suite d’un déraillement. C’est là un exemple clair d’une clause de non-responsabilité conçue expressément pour une situation de transport, à laquelle la Cour d’appel de l’Ontario a, de bon droit, donné une interprétation stricte, en refusant de l’étendre à des éléments débordant amplement le cadre du contrat, à savoir une opération de sauvetage. La présente espèce n’est pas aussi tranchée et, effectivement, la clause est plus vaste que, par exemple, celle qui s’appliquait dans l’affaire Bombardier, laquelle couvrait le transport de marchandises par rail ou par véhicule automobile. Dans la présente espèce, le contrat d’amarrage est une convention plus vaste visant la prestation de services adéquats d’amarrage pour des bateaux. La clause de non-responsabilité est aussi large, mentionnant [traduction] « quelque perte ou préjudice » qu’ils soient ou non causés par négligence. Le contrat ne me paraît pas si spécifique que la clause de non-responsabilité doive ne renvoyer qu’à la prestation courante de locaux adéquats. Au contraire, il mentionne toute perte ou tout préjudice, sans limite. De plus, dans ce domaine, il arrive parfois que des dommages soient causés par le bris d’une marina, par mauvais temps, en raison d’une construction incapable de supporter cette tension.

[20]      Les demandeurs prétendent que la négligence dans la conception de la marina, une activité qui a eu lieu en 1994 et en 1995, ne devrait pas être protégée par la clause de non-responsabilité, en s’appuyant encore sur l’arrêt Winnipeg Condominium (précité). Aux fins de cet argument, je supposerai qu’il y a eu négligence dans la conception de la marina, y compris dans la mise en place et le battage des pieux, une tâche entreprise par Robert Wright pour le compte d’Oak Bay Marina Ltd. Dans l’affaire Winnipeg Condominium, un propriétaire subséquent avait intenté une action délictuelle en indemnisation des frais de réparation découlant d’un travail de construction effectué négligemment pour un propriétaire antérieur. La Cour d’appel du Manitoba avait rejeté la demande au motif qu’il s’agissait d’une perte purement économique non susceptible d’indemnisation par l’entrepreneur général initial puisque, selon la Cour d’appel, en l’absence d’un lien contractuel, un acquéreur éloigné de l’immeuble ne saurait se faire rembourser par le constructeur initial les frais engagés pour réparer une construction défectueuse avant qu’elle ne cause des lésions corporelles ou encore des dommages à un autre bien. Par contraste, le juge La Forest, qui a parlé au nom de la Cour suprême, aux pages 102 et 103, a conclu qu’un entrepreneur devrait se voir assujetti à une norme raisonnable de diligence si une construction faite de façon négligente risque de causer un préjudice à d’autres personnes et à d’autres biens dans la collectivité :

[…] lorsqu’un entrepreneur (ou toute autre personne) fait preuve de négligence dans la conception ou la construction d’un immeuble, et qu’on découvre dans cet immeuble des vices qui résultent de cette négligence et qui présentent un danger réel et important pour les occupants de l’immeuble, ces derniers peuvent intenter une action délictuelle en indemnisation des frais raisonnables engagés pour réparer les vices et pour remettre l’immeuble dans un état où il ne présente plus de danger. La raison d’être de cette conclusion est qu’une personne qui participe à la construction d’une grande structure permanente qui, si elle est construite de façon négligente, risque de causer un préjudice grave à d’autres personnes et à d’autres biens dans la collectivité, devrait se voir assujettie à une norme raisonnable de diligence.

Le juge La Forest a ajouté, à la page 106, que les dispositions contractuelles entre le constructeur initial et le premier propriétaire pouvaient protéger l’entrepreneur, mais que ce « contrat ne saurait toutefois dégager l’entrepreneur de l’obligation en matière délictuelle qu’il a envers les propriétaires subséquents de construire le bâtiment selon des normes raisonnables. » Il s’est ensuite penché sur la question de savoir s’il existait entre les parties un lien suffisamment étroit pour que le constructeur initial eût pu raisonnablement prévoir qu’un manque de diligence de sa part serait susceptible de causer un préjudice à un acquéreur subséquent. Ici, l’avocat des demandeurs me réfère à un passage tiré des pages 115 et 116 :

À mon avis, un entrepreneur peut raisonnablement prévoir que, s’il fait preuve de négligence dans la conception ou la construction d’un immeuble et si ce bâtiment renferme des vices latents résultant de cette négligence, un acquéreur subséquent de l’immeuble pourra subir des lésions corporelles ou que des dommages pourront être causés à d’autres biens lorsque ces vices se manifesteront. L’absence de lien contractuel entre l’entrepreneur et ceux qui occupent l’immeuble au moment où le vice se manifeste ne rend pas moins prévisible le risque de préjudice. Les immeubles sont des structures permanentes qui sont généralement habitées par bien des personnes différentes au cours de leur vie utile. En construisant l’immeuble de façon négligente, l’entrepreneur (ou toute autre personne responsable de la conception et de la construction d’un immeuble) crée un danger prévisible qui menacera non seulement le premier propriétaire, mais quiconque l’habitera au cours de sa vie utile.

Il ressort clairement que par suite des travaux de rénovation effectués de la marina en 1994 et en 1995, Oak Bay Marina Ltd. et Robert Wright avaient envers les futurs utilisateurs de la marina l’obligation de leur fournir une marina construite adéquatement. Les demandeurs font valoir ici qu’il n’y a rien dans la clause de non-responsabilité ou dans le reste du contrat d’amarrage qui vise ou protège qui que ce soit, qui invoquerait le contrat d’amarrage, quant à la responsabilité pour les omissions passées dans la conception et l’installation de nouveaux quais et postes d’amarrage dans la marina lorsqu’elle a été agrandie en 1994 et en 1995.

[21]      Pour apprécier cet argument, il est utile de reprendre certains principes fondamentaux d’interprétation des clauses de non-responsabilité. En premier lieu, les règles d’interprétation qui s’appliquent à tout contrat écrit sont également applicables aux clauses de non-responsabilité afin de permettre de dégager le sens que les mots employés visent à donner : voir l’ouvrage Chitty on Contracts, 28e éd., 1999, Sweet & Maxwell, Londres, à la page 664. De plus, l’ouvrage Chitty on Contracts précise, en se fondant sur l’arrêt Photo Production Ltd. v. Securicor Transport Ltd., [1980] A.C. 827 (H.L.), aux pages 846 et 851, que [traduction] « Si la clause est exprimée de façon claire et non équivoque, rien ne justifie que soit imposé au libellé de la clause un sens forcé et artificiel afin d’éviter l’exclusion ou la limitation de la responsabilité qu’elle comprend » (loc. cit.). En fait, il n’est rien dans une disposition de non-responsabilité qui soit foncièrement mauvais. Il me faut par conséquent interpréter une clause de non-responsabilité, sauf si elle est inique ou déraisonnable, de la même façon que j’interpréterais toute autre disposition contractuelle, en donnant effet à l’intention des parties, et n’invoquer la doctrine contra proferentem que si, et seulement si, il y a quelque ambiguïté. Mention a été faite ici de l’arrêt Exportations Consolidated-Bathurst Ltée c. Mutual Boiler and Machinery Insurance Co., [1980] 1 R.C.S. 888, rendu par la Cour suprême du Canada. Le juge Estey, qui a exprimé l’avis de la majorité de la Cour dans cette décision, s’est penché sur des dispositions d’exclusion dans une police d’assurance et a mentionné une proposition formulée dans l’arrêt Pense v. Northern Life Assurance Co. (1907), 15 O.L.R. 131 (C.A.), à la page 137, adoptée subséquemment par la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans (1908), 42 R.C.S. 246, à la page 248 :

[traduction] Il n’y a aucune raison valable pour appliquer à un contrat d’assurance une règle d’interprétation différente de celle applicable à un contrat d’une autre nature; et il ne peut y avoir aucune sorte d’excuse pour jeter le doute sur le sens de pareil contrat en vue de l’interpréter contre l’assureur, quel que soit le parti pris naturel ou la sympathie que peut éveiller la demande d’indemnité qu’on lui adresse. Dans ce contrat, comme dans tous les autres, il faut donner effet à l’intention des parties qui se dégage des mots qu’ils ont employés.

Après avoir cité ce passage, le juge Estey poursuit, dans l’arrêt Consolidated-Bathurst, à la page 900 :

On peut qualifier pareille proposition de première étape du processus d’interprétation. La deuxième étape est l’application, lorsqu’il y a ambiguïté, de la doctrine contra proferentem.

et il ajoute plus loin à la page 901 :

Même indépendamment de la doctrine contra preferentem dans la mesure où elle est applicable à l’interprétation des contrats, les règles normales d’interprétation amènent une cour à rechercher une interprétation qui, vu l’ensemble du contrat, tend à traduire et à présenter l’intention véritable des parties au moment où elles ont contracté. Dès lors, on ne doit pas utiliser le sens littéral lorsque cela entraînerait un résultat irréaliste ou qui ne serait pas envisagé dans le climat commercial dans lequel l’assurance a été contractée. Lorsque des mots sont susceptibles de deux interprétations, la plus raisonnable, celle qui assure un résultat équitable, doit certainement être choisie comme l’interprétation qui traduit l’intention des parties. De même, une interprétation qui va à l’encontre des intentions des parties et du but pour lequel elles ont à l’origine conclu une opération commerciale doit être écartée en faveur d’une interprétation de la police qui favorise un résultat commercial raisonnable.

En fait, je devrais, en tenant compte de l’ensemble du contrat d’amarrage, dégager une interprétation conforme à l’intention véritable des parties, une interprétation qui entraîne un résultat commercial raisonnable.

[22]      En l’espèce, M. Dryburgh, de son propre aveu, connaissait les modalités du contrat d’amarrage, y compris la clause de non-responsabilité. Il a convenu, au cours de l’interrogatoire préalable, qu’il ne s’attendait pas à ce qu’Oak Bay Marina s’occupe du Three Martletts, ni qu’Oak Bay Marina Ltd. assure le bateau, mais qu’il s’attendait à ce que la marina soit construite et entretenue adéquatement, qu’elle réponde aux normes de sécurité canadiennes en vigueur et qu’elle résiste à toutes les conditions météorologiques raisonnablement prévisibles. Ce sont là des attentes raisonnables.

[23]      Du point de vue d’Oak Bay Marina Ltd., il est clair, en tenant compte du tarif mensuel pour chaque pied et de la somme annuelle des frais d’amarrage figurant au recto du contrat, que la société ne se considérait pas, pour ce tarif, comme un assureur. Cela ressort aussi clairement du libellé de la clause de non-responsabilité. Le mot « quelque », qualifiant les mots « perte ou préjudice » dans la clause de non-responsabilité devrait être interprété de manière raisonnable. Circonscrire le terme et en empêcher l’application à des circonstances extérieures à l’année du contrat d’amarrage, ce serait imposer une contrainte artificielle. Cela aurait pour effet de fausser la convention, de produire un résultat irréaliste, d’interpréter la disposition de non-responsabilité de façon à ne couvrir que l’exploitation courante de la marina pendant l’année du contrat et à exclure la négligence passée dans la construction de la marina, la construction et l’amarrage des flotteurs et des postes d’accostage, et la mise en place et le battage des pieux. Conclure que la clause de non-responsabilité est circonscrite par certaines limites de temps et exclure la négligence passée à l’égard d’une obligation envers M. Dryburgh à titre d’occupant subséquent, fausseraient la règle selon laquelle le dommage doit correspondre au texte même du contrat, et entraîneraient un résultat irréaliste, résultat qui n’était pas envisagé dans le climat commercial entre Oak Bay Marina Ltd. et M. Dryburgh. La clause de non-responsabilité protège Oak Bay Marina Ltd. contre la responsabilité à l’égard de la négligence, de la violation de son obligation et de l’inexécution du contrat invoquées dans la déclaration. Il reste maintenant la question plus difficile de savoir si la clause de non-responsabilité s’étend jusqu’à protéger Robert Wright, point que j’aborde maintenant.

Extension de la clause de non-responsabilité à des personnes physiques

[24]      Les défendeurs font valoir que Robert Wright est dégagé de toute responsabilité en raison de la clause de non-responsabilité dans le contrat d’amarrage entre M. Dryburgh et Oak Bay Marina Ltd. Cela n’est pas précisé expressément dans le libellé en clair de la clause. En fait, traditionnellement, le principe du lien contractuel empêcherait que cette protection profite à M. Wright, président d’Oak Bay Marina Ltd., mais qui n’est pas partie au contrat. Les tribunaux ont toutefois accordé cette protection, dans certaines circonstances limitées, en invoquant les notions de fiducie et de mandat et l’exception relativement étroite au principe du lien contractuel établie dans l’arrêt London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S. 299.

[25]      Aucun élément de preuve ne suggère l’existence d’une relation de fiducie entre la personne morale contractante, Oak Bay Marina Ltd., et M. Wright. En fait, même si ce point a été abordé par l’avocat des demandeurs, il n’a pas été débattu par l’avocat des défendeurs. Il en est de même de la notion de mandat, produisant des effets qui profitent à des tiers, notion élaborée pour la première fois dans l’arrêt Adler v. Dickson and Another, [1954] 2 Lloyd’s Rep. 267 (C.A.), examinée plus en profondeur dans l’arrêt Midland Silicones Ltd. v. Scruttons Ltd., [1962] A.C. 446 (H.L.) et adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt ITOInternational Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 793, en vertu de laquelle il doit y avoir une intention claire de protéger un tiers dans un contrat conclu par un agent autorisé du tiers, et pour lequel le tiers a fourni une contrepartie. Il ressort clairement qu’aucun de ces critères n’est satisfait en l’espèce, puisque Robert Wright n’a pas donné de contrepartie ni demandé à Oak Bay Marina Ltd. de passer un contrat en son nom. Il a seulement voulu ou compris être protégé par la clause de non-responsabilité. Cela nous conduit à l’exception énoncée dans l’arrêt London Drugs, exception étroite au principe du lien contractuel, applicable aux relations entre employeur et employés, lorsqu’il y a une intention d’étendre la protection d’une clause de non-responsabilité. J’aimerais souligner ici que le libellé de la clause de non-responsabilité dans l’arrêt London Drugs ne limitait pas l’effet bénéfique de la clause à Kuehne & Nagel, ni ne l’étendait expressément à ses employés.

[26]      L’arrêt London Drugs, à la page 448 a établi deux conditions :

1) La clause de limitation de la responsabilité doit expressément ou implicitement s’appliquer aux employés (ou à l’employé) qui cherchent à l’invoquer;

2) Les employés (ou l’employé) qui invoquent la clause de limitation de la responsabilité devaient agir dans l’exercice de leurs fonctions et exécuter les services mêmes que visait le contrat intervenu entre leur employeur et le demandeur (le client) au moment où la perte est survenue.

En commentant ces conditions, le juge Iacobucci note que c’est l’intention des parties contractantes qui déterminera si la première condition, à savoir l’extension de l’avantage aux employés, est remplie, bien que cette extension puisse être expresse ou implicite. Le juge Iacobucci considère ces conditions et la dérogation à l’application stricte du principe du lien contractuel comme une modification progressive de la common law.

[27]      Dans l’arrêt London Drugs, le droit des employés d’invoquer une disposition de non-responsabilité qui ne les nommait pas comme bénéficiaires a été reconnu d’abord en raison du fait que les mêmes intérêts étaient partagés relativement aux obligations contractuelles, et ensuite en raison du fait que London Drugs Ltd. savait que des employés de Kuehne& Nagel participeraient à l’exécution des obligations contractuelles. Ces employés n’étaient pas parfaitement étrangers à la clause de limitation de responsabilité, mais étaient plutôt, « à l’égard de cette clause, des tiers bénéficiaires implicites » (à la page 452).

[28]      Les demandeurs ont fait valoir que l’exception de l’arrêt London Drugs au principe du lien contractuel est une exception étroite, en invoquant la décision Laing Property Corp. v. All Seasons Display Inc. (1998), 53 B.C.L.R. (3d) 142, rendue par la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dans laquelle les employés d’un propriétaire foncier ne pouvaient invoquer une clause de non-responsabilité dans un bail. Même si les employés du propriétaire agissaient dans l’exercice de leurs fonctions, il n’y avait pas, selon le juge de première instance, d’intention de faire profiter les employés de l’assurance étendue au propriétaire par les dispositions de non-responsabilité. Toutefois, saisie de cette question, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a infirmé la décision rendue dans l’affaire sub nom. Orange Julius Canada Ltd. v. Surrey (City), [2000] B.C.J. no 1655 (QL) [ci-après Laing Property] et conclu plus particulièrement que les employés satisfaisaient aux deux volets du critère élaboré dans l’arrêt London Drugs, établissant à la fois l’existence d’une intention contractuelle implicite de les faire bénéficier de la clause d’assurance en faveur de leur employeur, et que la conduite négligente qui leur était reprochée s’était produite dans l’exercice de leurs fonctions et à l’occasion de la prestation des services que le propriétaire était tenu de fournir en vertu du contrat en question, à savoir un bail. En étendant la participation de tiers à la clause, la Cour d’appel n’a toutefois pas élaboré du droit nouveau, mais a tout simplement souligné certains aspects de l’arrêt London Drugs et adopté une position différente de celle du juge de première instance quant à l’application de l’arrêt London Drugs aux faits de l’espèce.

[29]      À l’égard de la première partie des conditions de l’arrêt London Drugs, en vertu de laquelle la clause doit expressément ou implicitement s’appliquer aux employés, le juge Finch, a noté, au paragraphe 100, dans ses motifs au nom de la Cour d’appel, que :

[traduction] Il faut se demander si les parties contractantes s’attendraient normalement à ce que l’obligation de prestation de services de l’entrepreneur soit remplie par ses employés. Lorsque l’employeur et ses employés partagent les mêmes intérêts et que l’autre partie est consciente de ce partage d’intérêts et qu’elle s’attendrait, dans le cours normal des événements, à ce que les services soient fournis par les employés, il y a lieu d’inférer une intention d’étendre le bénéfice de toute protection contractuelle aux employés. Autrement, le demandeur pourrait généralement être en mesure de contourner la protection contractuelle de l’employeur en engageant contre les employés des poursuites fondées sur la responsabilité délictuelle. Pour reprendre les mots de l’arrêt London Drugs, « il serait absurde » de permettre un tel résultat.

Le juge Finch [aux paragraphes 104 et 105] a ensuite précisé que les locataires dans l’affaire Laing Property savaient que les services visés par le contrat seraient fournis par les employés du propriétaire. Selon lui, cela indiquait l’existence d’une intention mutuelle implicite, de la part des locataires comme du propriétaire, de permettre aux employés du propriétaire de bénéficier de toute protection prévue dans les baux, et effectivement il serait illogique sur le plan commercial de penser autrement, puisque le contrat énonçait clairement la façon dont les parties entendaient répartir le risque de perte :

[traduction] Le fait est que les locataires payaient pour les services prévus dans les baux et fournis par le propriétaire, et que les locataires savaient que ces services seraient exécutés par les employés du propriétaire.

Dans ces circonstances, il y avait, à mon avis, une intention mutuelle implicite de la part des locataires et du propriétaire de faire bénéficier les employés du propriétaire de toute protection contractuelle visée par les baux. Il serait illogique sur le plan commercial de conclure autrement, puisque les clauses d’assurance montrent clairement comment les parties entendaient répartir le risque de perte. Si les employés pouvaient être poursuivis pour négligence dans leur prestation de services prévus au contrat, le locataire (ou ses assureurs) pourraient être en mesure de contourner le sens évident de ces baux. Les employés, qui supporteraient alors le risque, n’auraient aucune possibilité de se protéger par contrat avec les locataires ou en s’assurant eux-mêmes contre ces risques que les parties contractantes avaient déjà convenu de faire assumer par les locataires.

La Cour d’appel a jugé qu’il s’agissait d’une espèce où il pouvait y avoir lieu de supposer que les parties entendaient permettre aux employés du propriétaire de bénéficier du contrat. La Cour s’est ensuite penchée sur la deuxième partie du critère de l’arrêt London Drugs, la question de savoir si employés exécutaient les services mêmes que visait le contrat au moment où la perte est survenue. Le juge Finch, au paragraphe 108, a résumé cette question en ces termes :

[traduction] Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, je ne puis voir comment les employés peuvent être accusés d’avoir été négligents en agissant dans l’exercice de leurs fonctions et le cadre de leur emploi et, en même temps, se voir reprocher d’exécuter des services qui n’étaient pas les services mêmes que l’employeur s’était engagé par contrat à fournir.

[30]      Le juge Finch [au paragraphe 109] fait ensuite un commentaire pertinent sur le fait qu’il n’est pas nécessaire que la conduite négligente comprenne tous les services que visait le contrat :

[traduction] Selon mon interprétation du raisonnement de l’arrêt London Drugs, il importe peu que la conduite négligente alléguée ne comprenne pas tous les services que le propriétaire s’est engagé par contrat à fournir, ou que les services visés soient laissés à la discrétion du propriétaire. Par exemple, lorsque le contrat oblige une partie à « inspecter et à entretenir », et que la seule négligence reprochée a trait à l’omission d’entretenir, on ne peut dire que les services d’entretien n’étaient pas les services mêmes que visait le contrat. De même, lorsque, comme en l’espèce, le contrat accorde au propriétaire une certaine discrétion quant à la prestation d’une partie ou de la totalité de divers services pour lesquels les locataires paient, et que le propriétaire choisit de fournir certains services et de ne pas fournir certains autres, on ne peut dire que les services ainsi fournis à la discrétion du propriétaire n’étaient pas les services mêmes que visait le bail. [Soulignement ajouté.]

Le juge Finch a conclu que les employés avaient rempli les deux volets du critère énoncé dans l’arrêt London Drugs et qu’ils bénéficiaient des clauses d’assurance, ce qui les mettait à l’abri de la poursuite.

[31]      Le juge Finch s’est ensuite penché sur l’affaire Greenwood Shopping Plaza Ltd. c. Beattie et autre, [1980] 2 R.C.S. 228, mais l’application de cette analyse à la présente espèce n’ajoute rien. Je passe maintenant à l’application de toute cette jurisprudence, tant l’arrêt London Drugs que l’arrêt Laing Property, à la présente espèce.

[32]      La première condition de l’arrêt London Drugs, applicable en l’espèce, concerne la question de savoir si, implicitement, le bénéfice de la clause de non-responsabilité s’étend à Robert Wright. M. Wright, tout président de la société qu’il était, en était aussi un employé en ce qu’il a lui-même conçu le réaménagement de la marina au moment où les rénovations ont eu lieu, notamment en donnant des instructions et en assumant la responsabilité de la mise en place des pieux. Selon son témoignage, M. Wright avait l’intention de bénéficier de la même exonération de responsabilité que sa société. Je suis persuadé que cette intention était de bonne foi, puisqu’il serait absurde, dans le cas d’une société possédée en propriété exclusive par son président, que la société soit exonérée d’une responsabilité majeure, mais que le président, qui était engagé de près dans l’exploitation de la société, ou encore les assureurs, soient assujettis à la même responsabilité. Toutefois, le deuxième volet a trait à la question de savoir si l’intention était mutuelle. À cet égard, les défendeurs ont tenu un bon interrogatoire préalable.

[33]      M. Dryburgh reconnaît qu’Oak Bay Marina Ltd. pouvait agir par l’intermédiaire de ses employés. Ainsi que l’a souligné le juge Finch dans l’arrêt Laing Property, lorsqu’un contrat prévoit la prestation de services et que les employés ont la responsabilité principale d’exécuter ces services contractuels, les intérêts des employés sont les mêmes que ceux de l’employeur. C’est le cas en l’espèce.

[34]      Le deuxième facteur examiné par le juge Finch concerne la question de savoir si les parties contractantes s’attendaient à ce que les services visés par le contrat soient rendus par les employés de l’entrepreneur. C’est, encore une fois, le cas en l’espèce, puisque non seulement M. Dryburgh s’attendait à ce qu’Oak Bay Marina Ltd. agisse par l’intermédiaire de ses employés, mais en fait il connaissait très bien Robert Wright comme propriétaire d’Oak Bay Marina Ltd. Tous ces éléments satisfont à tout le moins à la première condition énoncée dans l’arrêt London Drugs, telle qu’elle a été appliquée dans l’arrêt London Drugs lui-même, à la page 452, ou par le juge Finch dans l’arrêt Laing Property.

[35]      En ce qui a trait à la deuxième condition, exigeant que l’employé qui cherche à bénéficier du contrat ait agi dans l’exercice de ses fonctions et ait rendu les services mêmes que visait le contrat, les faits de l’espèce établissent que c’est le cas pour Robert Wright. M. Dryburgh ne s’attendait pas à ce que les employés soient responsables du Three Martletts et, en fait, le contrat d’amarrage énonçait clairement que cette obligation relevait du propriétaire du bateau. Le contrat prévoyait la prestation de services d’amarrage, et constituait en fait une licence pour l’utilisation d’un poste d’amarrage ou d’une remise à bateaux. Toutefois, les deux parties convenaient qu’il y avait plus à ce que M. Dryburgh s’attendait à recevoir et à ce qu’Oak Bay Marina Ltd. s’attendait à fournir. Ainsi qu’il a été mentionné plus haut, M. Dryburgh s’attendait à ce que les postes d’amarrage soient construits et entretenus de façon adéquate et sécuritaire, qu’ils respectent le normes de sécurité canadiennes en vigueur et qu’ils résistent à toutes les conditions météorologiques et de mer raisonnablement prévisibles. M. Robert Wright avait été directement engagé dans la construction de la marina telle qu’elle existe à l’heure actuelle. Selon son témoignage, en réaménageant la marina, il voulait construire une marina de haute qualité, un produit qui serait acheté (interrogatoire préalable, à la page 75) et il avait tout pouvoir décisionnel et final sur la reconstruction, y compris l’endroit où devaient être mis les pieux, et aucun autre employé n’avait exercé quelque pouvoir décisionnel à cet égard (paragraphe 8 de l’affidavit du 14 avril 1999). Ce travail de Robert Wright, en vue de produire une marina construite de façon adéquate et sécuritaire, était, pour ainsi dire, en partie ce pourquoi M. Dryburgh avait passé un contrat. Ainsi qu’il a été mentionné par le juge Finch de la Cour d’appel dans l’arrêt Laing Property, il n’est pas nécessaire que la conduite négligente alléguée comprenne tous les services que vise le contrat.

[36]      Après avoir pris en considération toutes les circonstances et avoir appliqué l’arrêt London Drugs, y compris la façon dont il a été appliqué dans l’affaire Laing Property, j’estime que M. Robert Wright devrait pouvoir invoquer la clause de non-responsabilité, à l’instar de sa société, car la conduite négligente alléguée contre lui a eu lieu dans l’exercice de son travail pour la société et dans l’exécution des services mêmes que non seulement Oak Bay Marina Ltd. a entrepris en vertu du contrat, mais que M. Dryburgh s’attendait à ce qu’elle lui fournisse.

CONCLUSION

[37]      Je ne suis pas particulièrement en faveur d’étendre artificiellement des clauses de non-responsabilité au-delà de leur portée projetée. Toutefois, il est logique de voir les pertes réparties de la façon prévue par les parties au contrat. Cet assouplissement de la règle du lien contractuel est en harmonie avec la conception de l’arrêt London Drugs exprimée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108, et particulièrement avec l’opinion de la Cour quant à la modification progressive de la règle du lien contractuel en common law, à la page 124. Comme les personnes morales parties à un contrat rendent leurs services par l’intermédiaire de leurs employés, au moins jusqu’à un certain point, en l’espèce, exception faite de tout travail imparti effectué par quelque sous-traitant non désigné, situation qui n’est pas visée par l’arrêt London Drugs, il est logique qu’une partie à un contrat ne puisse éviter l’effet d’une perte en engageant des poursuites contre les personnes physiques qui s’acquittent effectivement du travail, à titre d’employés ou de cadres et de propriétaires actifs. Autrement, cela conduirait à la situation absurde, à laquelle le juge Iacobucci a fait référence, à la page 444 de l’arrêt London Drugs, où il serait permis à une partie « de contourner une clause de limitation de la responsabilité en engageant contre les employés intimés des poursuites fondées sur la responsabilité délictuelle. »

[38]      Dans la présente espèce, la clause de non-responsabilité du contrat d’amarrage couvre Oak Bay Marina Ltd. Elle couvre aussi M. Robert Wright, cadre et propriétaire actif de la société, qui a réalisé, en partie, les travaux et les services et conçu et construit les structures sur lesquels les parties se sont entendues dans le contrat d’amarrage. La requête en jugement sommaire est par conséquent rejetée, avec un mémoire de dépens en faveur d’Oak Bay Marina Ltd. et de Robert Wright.

[39]      Je remercie les avocats pour l’effort consacré à la préparation du matériel et pour leur excellente argumentation.

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