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[2001] 2 C.F. 203

A-421-98

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Lynda McKinnon (défenderesse)

A-422-98

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Ronald Lapointe (intimé)

A-423-98

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Lynda McKinnon (intimée)

A-424-98

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Brad Worrell (défendeur)

A-425-98

Sa Majesté la Reine (appelante)

c.

Brad Worrell (intimé)

A-426-98

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Ronald Lapointe (défendeur)

Répertorié : Canada (Procureur général) c. McKinnon (C.A.)

Cour d’appel, juges Stone, Rothstein et Evans, J.C.A. —Toronto, 15 mai; Ottawa, 24 octobre 2000.

Impôt sur le revenu — Sociétés — Responsabilité des administrateurs — Moyen de défense de la diligence raisonnable — Appels et recours en contrôle judiciaire contre la décision de la C.C.I. portant que les administrateurs en cause ne sont pas responsables du défaut de la compagnie de verser les cotisations d’employeur au RPC et à l’assurance-chômage ainsi que la TPS pour le motif que dans les faits, ils n’avaient pas le contrôle de ses finances — La compagnie, qui fabriquait des éléments utilisés dans la construction, a connu des difficultés financières — Un comptable agréé, connu pour son expérience dans le renflouement d’entreprises de construction, leur a dit que la compagnie était viable et a fait des efforts pour trouver des investisseurs — La banque n’a pas honoré les chèques de versement des retenues à la source — La compagnie a continué à préparer des chèques de versement, que la banque a honorés à quelques reprises, à sa discrétion — La compagnie a déclaré faillite — Selon l’art. 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les administrateurs sont solidairement responsables du défaut de versement — Le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-chômage incorporent l’art. 227.1 pour application aux retenues à la source au titre du RPC et de l’assurance-chômage — L’art. 323(1) et (3) de la Loi sur la taxe d’accise est le pendant de l’art. 227.1(1) et (3) de la Loi de l’impôt sur le revenu — La C.C.I. a conclu que les administrateurs sont exonérés du fait que la compagnie a perdu le contrôle effectif de ses finances aux mains de la banque — Rejet des appels et des recours en contrôle judiciaire — Recension des principes généraux définis par la jurisprudence, y compris le but de l’art. 227.1 et la nature de la norme de diligence raisonnable — Il ne faut pas interpréter l’art. 227.1(1) comme signifiant qu’il ne s’applique que si les administrateurs ont dans les faits le contrôle des opérations financières de la compagnie, en particulier du règlement de ses obligations : (i) le juge ne doit normalement pas ajouter des termes à ceux du texte de loi adopté par le législateur; (ii) ils sont inutiles lorsque les mesures prises pour prévenir le défaut satisfont à la norme de diligence prévue; (iii) que ces mesures soient raisonnables ou non n’a d’importance que vis-à-vis du moyen de défense, une fois l’administrateur tenu pour responsable par application de l’art. 227.1(1) — L’art. 227.1(3) n’exonère que l’administrateur qui a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement, que l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances — Il faut qu’il ait pris des mesures concrètes qui, si elles avaient abouti, auraient pu prévenir le défaut de versement — La compagnie a continué à préparer les chèques de versement, et une personne qui avait fait ses preuves en la matière a fait des efforts pour trouver un nouvel investisseur — Les administrateurs en cause pourraient raisonnablement soutenir que s’ils avaient réussi à trouver un investisseur acceptable pour la banque, les défauts de versement auraient pu être évités — Ils ont satisfait à la norme de diligence raisonnable, prévue à l’art. 227.1(3).

La Cour est saisie en l’espèce d’appels formés sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu au sujet de la responsabilité résultant du défaut par la compagnie de verser les cotisations d’employeur au Régime de pensions du Canada (RPC) et à l’assurance-chômage, et de recours en contrôle judiciaire au sujet du défaut de verser la TPS en application de la Loi sur la taxe d’accise. Les défendeurs (intimés ou défendeurs) étaient les administrateurs d’Abel Metal Limited, laquelle avait été pendant près de 30 ans une entreprise de fabrication d’éléments métalliques non structurels utilisés dans la construction. En 1992, la compagnie a commencé à éprouver des difficultés financières. En avril 1993, sa banque a manifesté son inquiétude au vu de ses états financiers. Bien que la compagnie eût toujours honoré ses factures, la banque a, en septembre 1993, rejeté sans préavis son chèque de versement à Revenu Canada. Abel a retenu les services d’un comptable agréé, qui avait eu du succès dans le renflouement d’autres entreprises de construction en difficulté financière. Le 18 octobre, la banque rejeta un chèque de versement des retenues à la source sur salaires de septembre. La compagnie a quand même continué à préparer des chèques de versement dans l’espoir que la banque les honorerait, ce que cette dernière a fait, à quelques reprises, à sa discrétion. En avril 1994, Abel a déclaré faillite. Le syndic de faillite a versé les retenues sur salaires en souffrance, mais les cotisations d’employeur au RPC et à l’assurance-chômage ainsi que la TPS n’ont pas été versées. Aux termes du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, les administrateurs sont solidairement responsables du défaut de versement de leur société. L’article 21.1 du Régime de pensions du Canada et le paragraphe 54(1) de la Loi sur l’assurance-chômage incorporent respectivement l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu au sujet de la responsabilité des administrateurs en cas de défaut de versement des retenues effectuées à la source au titre du RPC et de l’assurance-chômage. Le paragraphe 227.1(3) exonère l’administrateur qui a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement que l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances. Le paragraphe 323(1) de la Loi sur la taxe d’accise est le pendant du paragraphe 227.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, et son paragraphe 323(3), celui du paragraphe 227.1(3). La Cour de l’impôt a conclu que le fait que les finances d’Abel étaient contrôlées par la banque suffisait à dégager les administrateurs de la responsabilité personnelle tant à l’égard des retenues salariales que pour les cotisations de la TPS, puisque le paragraphe 227.1(1) présume la liberté de choix à cet égard. Elle a jugé que la compagnie a perdu le contrôle effectif de ses finances aux mains de la banque à compter du 18 octobre 1993, ce qui exonérait les administrateurs de toute responsabilité personnelle quant aux défauts subséquents.

La Cour doit examiner si le contrôle exercé dans les faits par la banque sur l’aptitude de la compagnie à faire des versements à Revenu Canada exclut les administrateurs du champ d’application du paragraphe 227.1(1) et, dans la négative, si ceux-ci peuvent se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 227.1(3).

Arrêt : les appels et recours en contrôle judiciaire doivent être rejetés.

Le juge Evans, J.C.A. (le juge Stone, J.C.A., souscrivant à son avis) : Bien que la plupart des décisions sur l’application du paragraphe 227.1(3) se confinent au cas d’espèce, elles ont dégagé les principes généraux suivants : (i) L’article 227.1 vise à interdire aux administrateurs de choisir de payer les créanciers dont les biens ou services sont essentiels au maintien en activité de l’entreprise, au lieu de remettre l’argent dû au fisc. Ce qu’on reprochait aux administrateurs en l’espèce, ce n’était pas d’avoir choisi de désintéresser d’autres créanciers que la Couronne, mais d’avoir continué à exploiter l’entreprise tout en sachant que la banque honorerait en toute probabilité les chèques tirés au profit des fournisseurs essentiels au maintien en activité de l’entreprise, mais ne permettrait pas à cette dernière de désintéresser la Couronne, aussi longtemps qu’elle pensait que le maintien en activité de la compagnie serait la meilleure protection de ses intérêts de créancière. (ii) La norme de « diligence raisonnable » est une norme à la fois objective et subjective. Le juge doit prendre en considération les caractéristiques des administrateurs en cause, y compris leur niveau de compétence, d’expérience et de savoir au regard de leurs fonctions, puis se demander si, dans les mêmes circonstances, un administrateur raisonnablement prudent, avec le même niveau de compétence, d’expérience et de connaissances, aurait fait de même. La « diligence raisonnable » à laquelle étaient tenus les défendeurs se situe au haut de l’échelle. Ils étaient des administrateurs « internes » qui dirigeaient la compagnie, à laquelle ils avaient pris part dès les débuts et dont ils connaissaient parfaitement les affaires. (iii) La « diligence raisonnable » signifie normalement que dès que l’administrateur sait que la compagnie ne peut pas faire les versements en souffrance, il doit prendre des mesures concrètes pour prévenir le défaut. Les administrateurs d’Abel ont effectivement pris des mesures concrètes pour essayer de tirer la compagnie de ses difficultés financières, en retenant les services d’un comptable agréé qui leur a dit que la compagnie était viable et qui a fait des efforts pour trouver des investisseurs. Il y a eu aussi des discussions avec la banque au sujet du paiement des chèques tirés au profit des fournisseurs et des employés, mais il était clair que celle-ci n’honorerait qu’à sa discrétion les chèques de versement à Revenu Canada. (iv) Le paragraphe 227.1(3) impose aux administrateurs de prévenir le défaut. Si ceux-ci deviennent à première vue responsables du défaut de versement de la compagnie, ils ne peuvent normalement se réclamer du bénéfice du paragraphe 227.1(3) si leurs efforts n’avaient pour effet que de les mettre en état de remédier au défaut après coup. La mesure la plus importante qu’aient prise les administrateurs pour prévenir le défaut de versement d’Abel a été de retenir les services d’un comptable agréé pour trouver de nouvelles sources financières pour la compagnie. En outre, le fait que la compagnie continuait à préparer les chèques de versement dans l’espoir que la banque les honorerait, peut aussi être considéré comme une mesure potentiellement préventive. (v) Les administrateurs n’encourent aucune responsabilité personnelle par application du paragraphe 227.1(1) et n’ont donc pas besoin d’invoquer le paragraphe 227.1(3) si à un moment donné, la dette de la compagnie envers Revenu Canada, y compris intérêts et pénalités pour retard de paiement, est acquittée. Comme les retenues sur salaires ont été versées par la suite à Revenu Canada, ces administrateurs n’en ont jamais été indirectement responsables sous le régime du paragraphe 227.1(1). (vi) L’administrateur qui a perdu juridiquement le contrôle de la compagnie, à la nomination d’un séquestre-gérant, n’est pas tenu envers Revenu Canada des dettes contractées par la suite. L’exonération dans ces cas a été expliquée à la fois par le fait que le paragraphe 227.1(1) suppose que les administrateurs ont tout loisir de décider si la compagnie verse les retenues à la source, et par le fait qu’on ne saurait dire que les administrateurs qui n’ont pas le contrôle nécessaire des finances de la compagnie, n’ont pas fait preuve de « diligence raisonnable ».

1) Il ne faut pas interpréter le paragraphe 227.1(1) comme signifiant qu’il ne s’applique que si les administrateurs ont dans les faits le contrôle des opérations financières de la compagnie, en particulier du règlement de ses obligations. En premier lieu, pareils termes ne figurent pas dans le texte de loi, et le juge ne doit normalement pas ajouter des termes à ceux du texte de loi adopté par le législateur. En deuxième lieu, il est inutile d’insérer la notion de contrôle dans le paragraphe 227.1(1). L’exonération pour cause de diligence raisonnable que prévoit le paragraphe 227.1(3) est suffisamment générale pour fournir un moyen de défense aux administrateurs qui ont fait ce qu’il fallait faire pour essayer de prévenir le défaut de versement de leur compagnie. D’ailleurs, il sera difficile de décider si, dans un cas donné, les administrateurs ont conservé suffisamment de « contrôle » pour que le paragraphe (1) entre en jeu. En troisième lieu, si le concept de « contrôle » s’étend à l’inaptitude dans les faits à prendre des mesures pour s’assurer que les sommes dues sont versées à l’échéance, parce que la banque n’honore pas les chèques à l’ordre de Revenu Canada, cela signifie que l’administrateur concerné ne sera pas responsable par application du paragraphe 227.1(1), peu importe qu’il soit raisonnable ou non de maintenir l’entreprise en activité, et peu importe le temps pendant lequel elle reste en activité sans verser les sommes dues à l’échéance. Que les faits et gestes de l’administrateur soient raisonnables ou non n’a d’importance à titre de moyen de défense au regard du paragraphe 227.1(3) qu’une fois que cet administrateur est tenu pour responsable par application du paragraphe (1). La décision que les administrateurs en l’espèce n’étaient pas responsables du défaut de versement des retenues à la source et de la TPS, ne peut donc se fonder sur la conclusion que le paragraphe 227.1(1) n’entrait pas en jeu parce que l’insistance mise par la banque à approuver les chèques tirés par la compagnie privait les contribuables du contrôle des finances de cette dernière.

2) L’appel doit être centré sur ce qu’ont fait les administrateurs d’Abel après le 18 octobre 1993, date à laquelle la banque rejeta le second chèque de versement. Pour être en mesure d’invoquer le moyen de défense tiré du paragraphe 227.1(3), il faut normalement qu’ils aient pris des mesures concrètes qui, si elles avaient abouti, auraient pu prévenir le défaut de versement. Si les administrateurs décident de maintenir l’entreprise en activité dans l’espoir que la compagnie sera remise à flot et sera en mesure de rattraper les défauts de versement après coup, et qu’elle fasse quand même faillite sans avoir payé ce qu’elle devait au fisc, ils ne peuvent arguer en défense qu’une personne raisonnable aurait accepté le risque qu’ils ont couru. Il leur faut prouver qu’ils ont agi avec le soin, la diligence et l’habileté qu’un homme d’affaires raisonnablement prudent aurait exercé dans des circonstances comparables pour prévenir le défaut. La responsabilité d’un administrateur en cas de défaut de versement des retenues à la source et de la TPS ne se cristallise qu’une fois que les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) auront été réunies. Le fait qu’avant de se cristalliser, la responsabilité de l’administrateur soit latente n’est pas incompatible avec la conclusion qu’il y a eu défaut de versement si aucun versement n’a été fait à la date d’échéance. Il s’ensuit que les administrateurs d’Abel ne pouvaient prétendre au bénéfice du paragraphe 227.1(3) par la simple assertion qu’ils avaient poursuivi l’exploitation de l’entreprise en s’en remettant raisonnablement à l’avis du comptable agréé que celle-ci pourrait se remettre à flot dans les 18 mois et que l’économie serait dans une meilleure conjoncture entre-temps. L’adoption de ce conseil ne pouvait pas prévenir les défauts de versement qui devaient survenir antérieurement au renflouement de la compagnie.

Étant donné les restrictions que leur imposait le contrôle de fait exercé par la banque sur les finances de la compagnie, il ressort des faits de la cause que les administrateurs ont exercé, pour prévenir les défauts de versement, le même degré de soin, de diligence et d’habileté qu’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. Le fait que la compagnie continuait à préparer les chèques de versement, manifestement sans l’espoir réaliste que la banque les honorerait tous, indique aussi qu’ils n’ignoraient pas la dette de la compagnie envers Revenu Canada. Ce qui est bien plus important encore, c’étaient les efforts soutenus du comptable agréé pour trouver un nouvel investisseur, étant donné sa conviction que dès lors, la compagnie pourrait être rapidement remise à flot. Tant que ces efforts étaient poursuivis en bonne foi par une personne qui avait fait ses preuves dans le renflouement de compagnies dans le secteur du bâtiment, les administrateurs d’Abel pouvaient raisonnablement dire que, si un investisseur pouvait être trouvé et approuvé par la banque, la compagnie pourrait obtenir le cautionnement nécessaire pour soumissionner pour des contrats lucratifs, ce qui pourrait avoir pour effet d’engager la banque à accroître sa marge de crédit ou, à tout le moins, à honorer le prochain chèque de versement d’Abel. Si le comptable agréé avait réussi à trouver un investisseur acceptable pour la banque, les défauts de versement auraient pu être évités. Le fait qu’il n’a pas réussi et qu’il y a eu des défauts de versement, ne rend pas les administrateurs responsables s’ils avaient fait des efforts raisonnables pour les prévenir. Cependant, ceux-ci n’auraient pas été en droit de s’en remettre indéfiniment à l’avis du comptable agréé s’il n’y avait eu aucune indication d’intérêt de la part d’investisseurs dans la compagnie. Les administrateurs en l’espèce ont satisfait au critère de la diligence raisonnable, prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise.

Le juge Rothstein, J.C.A. (souscrivant au résultat) : Le moyen de défense de la diligence raisonnable est étroitement lié aux faits du cas d’espèce, c’est-à-dire qu’il faut toujours comparer ce qu’ont fait les administrateurs pour prévenir le défaut, à ce qu’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. La diligence raisonnable a été établie en l’espèce au regard des faits de la cause. Il est cependant préférable de ne pas conjecturer sur la question de savoir quels autres faits ou circonstances pourraient fonder ou non le même moyen de défense.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 153(1), 227.1 (mod. par L.C. 1994, ch. 7, ann. V, art. 90).

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8).

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 323 (édicté par L.C. 1990, ch. 45, art. 12; 1992, ch. 27, art. 90; 1997, ch. 10, art. 239).

Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, art. 54(1).

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 21.1 (édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 6, art. 2).

Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, art. 108(1) (mod. par DORS/97-472, art. 3).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (1998), 149 D.L.R. (4th) 297; [1997] 3 C.T.C. 242; 97 DTC 5407; 215 N.R. 372 (C.A.); Canada c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173 (1999), 172 D.L.R. (4th) 708; [1999] 2 C.T.C. 395; 99 DTC 5658; 240 N.R. 151 (C.A.); Canales c. R., [1997] 1 C.T.C. 2001; (1996), 97 DTC 49 (C.C.I.); Ruffo c. M.R.N. (2000), 2000 DTC 6317 (C.A.F.); Ruffo c. R., [1998] 2 C.T.C. 2203 (C.C.I.); K. Merson c. M.R.N., [1989] 1 C.T.C. 2074; (1989), 89 DTC 22 (C.C.I.).

DISTINCTION FAITE D’AVEC :

Robitaille c. Canada, [1990] 1 C.F. 310 (1989), 90 DTC 6059; 30 F.T.R. 225 (1re inst.); Deschênes c. Canada (Ministre du Revenu national — M.R.N.), [1989] A.C.I. no 800 (QL).

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Fancy c. M.R.N. (1988), 71 C.B.R. (N.S.) 29; [1988] 2 C.T.C. 2256; 88 DTC 1641 (C.C.I.); Hamel (M.) c. M.R.N., [1992] 1 C.T.C. 2308; (1991), 92 DTC 1288 (C.C.I.); Champeval (J.-P.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2385; (1990), 90 DTC 1291 (C.C.I.); conf. par (1999), 99 DTC 5115 (C.F. 1re inst.); Clarke c. R., [2000] 2 C.T.C. 431; (2000), 2000 DTC 6230 (C.F. 1re inst.).

DÉCISION CITÉE :

Drover c. Canada (1998), 161 D.L.R. (4th) 518; 98 DTC 6378; 226 N.R. 382 (C.A.F.).

APPELS contre la décision de la Cour de l’impôt concluant que les administrateurs en cause étaient exonérés par le paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu du défaut par la compagnie de remettre les cotisations d’employeur au Régime de pensions du Canada et à l’assurance-chômage, et demandes de contrôle judiciaire contre la décision de la Cour de l’impôt concluant que ces administrateurs n’étaient pas responsables du défaut de remettre la TPS en application de la Loi sur la taxe d’accise (Worrell et al. c. La Reine (1998), 98 DTC 1783 (C.C.I.)). Appels et demandes de contrôle judiciaire rejetés.

ONT COMPARU :

Marie-Thérèse Boris pour l’appelante/demandeur.

Douglas H. Mathew et Michael W. Colborne pour les intimés/défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Le sous-procureur général du Canada pour l’appelante/demandeur.

Thorsteinssons, Toronto, pour les intimés/défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]        Le juge Rothstein, J.C.A. : Je partage dans l’ensemble les motifs prononcés par le juge Evans, J.C.A. Je tiens cependant à souligner que le moyen de défense de la diligence raisonnable est étroitement lié aux faits du cas d’espèce, c’est-à-dire qu’il faut toujours comparer ce qu’ont fait les administrateurs dans un cas donné pour prévenir le défaut, à ce qu’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. Je conviens avec le juge Evans que la diligence raisonnable a été établie en l’espèce au regard des faits de la cause. Je préférerais cependant ne pas conjecturer sur la question de savoir quels autres faits ou circonstances pourraient fonder ou non le même moyen de défense.

[2]        Je souscris à la façon dont le juge Evans tranche l’affaire dans ses motifs.

* * *

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

Le juge Evans, J.C.A. :

A.        INTRODUCTION

[3]        Les administrateurs sont solidairement responsables envers Revenu Canada des retenues à la source sur les salaires des employés ainsi que de la taxe sur les produits et services (TPS) que leur compagnie n’a pas versées et qu’il est impossible de recouvrer auprès d’elle. Un administrateur peut cependant se défendre en faisant la preuve que, pour prévenir ce défaut, il a agi avec autant de soin, de diligence et d’habileté qu’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables.

[4]        Le point litigieux porte en l’espèce sur l’application de ce moyen de défense de la diligence raisonnable à un cas où, par suite de difficultés financières, l’aptitude de la compagnie à effectuer les versements était à la discrétion de la banque à laquelle elle devait de l’argent, et où il était aussi raisonnable de la part des administrateurs de croire qu’en continuant à exploiter l’entreprise, ils finiraient par la remettre à flot.

[5]        La réponse à la question de savoir si en l’espèce, les administrateurs ont satisfait à la norme légale de diligence raisonnable en agissant avec autant de soin, de diligence et d’habileté, pour prévenir le défaut, qu’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables, dépend en grande partie des faits de la cause. Il se pose cependant aussi quelques importants points de droit quant à la portée du moyen de défense de la diligence raisonnable.

[6]        La procédure en instance est un appel formé par la Couronne contre la décision en date du 4 juin 1998 [Worrell et al. c. La Reine (1998), 98 DTC 1783], par laquelle le juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt a fait droit aux recours exercés par les contribuables contre des avis de cotisation, pour ce motif que les administrateurs ne contrôlaient pas dans les faits les finances de la compagnie et qu’ils justifiaient du degré requis de soin, d’habileté et de diligence pour être exonérés de leur responsabilité du fait du défaut par la compagnie de verser les cotisations d’employeur au Régime de pensions du Canada (RPC) et à l’assurance-chômage ainsi que la TPS.

[7]        Il y a cinq autres procédures connexes. Chacun des défendeurs est partie à deux procédures, savoir un appel sous le régime de la Loi de l’impôt sur le revenu [L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1] au sujet du défaut par la compagnie de verser ses cotisations au RPC et à l’assurance-chômage, et un recours en contrôle judiciaire au sujet du défaut de versement de la TPS sous le régime de la Loi sur la taxe d’accise [L.R.C. (1985), ch. E-15]. Les appels constituent les dossiers A-422-98, A-423-98 et A-425-98, et les recours fondés sur l’article 28 [de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 8)], les dossiers A-421-98, A-424-98 et A-426-98.

[8]        Ces affaires ont été entendues ensemble à partir d’une preuve commune. M. Worrell a témoigné en son nom propre et au nom des autres défendeurs (défendeurs et intimés), membres comme lui du conseil d’administration, savoir Mme McKinnon et M. Lapointe qui, ensemble, étaient les administrateurs et directeurs actifs de la compagnie, Abel Metal Limited (Abel). En conséquence, les mêmes motifs s’appliqueront à chacune des six affaires. Une copie des présents motifs sera versée dans chacun des dossiers en question et, après dépôt, constituera les motifs de jugement y afférents.

B.        LES FAITS DE LA CAUSE

[9]        Abel avait été pendant près de 30 ans une entreprise de fabrication d’éléments métalliques non structurels utilisés dans la construction, dans la région de Toronto. Elle a subi de grosses pertes durant la récession qui affectait le secteur du bâtiment à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ses difficultés financières ont commencé à l’automne 1992 et se sont poursuivies l’année suivante. N’empêche qu’en 1993, elle avait encore 70 employés à son service.

[10]      En avril 1993, sa banque, la Banque Canadienne Impériale de Commerce, a manifesté son inquiétude au vu de ses états financiers. Par suite, l’un des administrateurs, M. Lapointe, s’est personnellement porté garant, auprès de la banque, de l’argent qu’Abel devait à cette dernière à l’époque, savoir 1,6 million de dollars. Abel avait atteint la limite de sa marge de crédit à l’automne 1992 ou au début de 1993. Bien que par le passé, la compagnie eût toujours honoré ses factures, la banque a, le 30 septembre 1993, rejeté sans préavis son chèque de versement à Revenu Canada, pour défaut de provision.

[11]      Les difficultés financières d’Abel s’étaient aggravées avec le rejet, en juin 1993 d’une demande de cautionnement, pour cause d’insuffisance d’avoir propre dans la compagnie. La lettre de rejet formel de la compagnie de cautionnement était datée du 30 août 1993. À moins qu’Abel ne pût trouver une injection de capital de quelque 350 000 $ ou une autre source de cautionnement, le refus de cautionnement restreindrait sérieusement son aptitude à s’assurer de nouveaux contrats lucratifs et à pallier ses difficultés de trésorerie déjà graves.

[12]      Dans l’espoir de se tirer de ses difficultés financières, Abel a, le 16 octobre 1993, retenu les services d’un certain M. Humphreys, comptable agréé, qui avait connu beaucoup de succès dans le renflouement d’autres entreprises de construction en difficulté financière. En compagnie de deux administrateurs d’Abel, celui-ci a rencontré des représentants de la banque pour discuter des sujets de préoccupation de celle-ci et essayer de trouver des solutions.

[13]      Cependant, juste deux jours après, le 18 octobre, la banque rejeta un chèque de 46 000 $, tiré par Abel à l’ordre du receveur général du Canada au titre des retenues à la source sur salaires de septembre. À peu près à la même date, elle a commencé à réduire la marge de crédit de la compagnie. Par lettre en date du 22 octobre 1993, elle a averti Abel de ne pas dépasser sa marge de crédit avec ses chèques. En même temps, elle a désigné BDO Dunwoody pour « surveiller » la situation financière d’Abel et lui rendre compte des perspectives d’avenir de cette dernière.

[14]      La banque imposait aussi aux administrateurs d’Abel d’obtenir presque quotidiennement sa permission pour payer les créanciers de la compagnie. Après que le chèque d’octobre eut été rejeté pour défaut de provision, les administrateurs comme M. Humphreys se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas compter sur la banque pour honorer les chèques émis par Abel en paiement de la TPS et des retenues à la source sur salaires. N’empêche que Mme McKinnon a continué à préparer des chèques de versement dans l’espoir que la banque les honorerait, ce que cette dernière a fait, à quelques reprises, à sa discrétion.

[15]      M. Humphreys était convaincu qu’Abel était une entreprise viable : elle était bien établie dans le secteur du bâtiment et s’était sortie d’autres baisses cycliques dans ce secteur. Il pensait qu’avec une injection de capital, la situation de la compagnie pourrait changer rapidement et que, même sans injection de capital, elle serait rentable au bout de 18 mois.

[16]      Malgré ses efforts acharnés, M. Humphreys n’a pu trouver qu’un investisseur potentiel, mais celui-ci ne convenait pas à la banque. C’est à ce moment-là, le 27 avril 1994, que celle-ci a décidé de demander le remboursement de ses créances et que Abel a déclaré faillite. La compagnie avait été probablement insolvable pendant les 12 mois précédents, bien qu’elle eût réglé toutes ses factures avant que la banque ne rejetât une première fois son chèque de versement en septembre 1993.

[17]      La quasi-totalité de la dette de la compagnie envers Revenu Canada au titre des versements manqués, lesquels mettaient en jeu la responsabilité personnelle des défendeurs, s’est accumulée à compter du 18 octobre 1993, date à laquelle la banque a commencé à exercer son contrôle sur les chèques émis par Abel. Après que cette dernière eut déclaré faillite, le syndic de faillite a versé une partie des sommes dues, savoir toutes les cotisations d’employé qui étaient en souffrance. Cependant, les cotisations d’employeur au RPC et à l’assurance-chômage ainsi que la TPS n’ont pas été réglées. Ces versements manqués (y compris intérêts et pénalités pour retard de paiement) s’élevaient à 133 747 $, et ce sont les cotisations y afférentes qui font l’objet du présent appel.

C.   LES TEXTES APPLICABLES

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985)

(5e suppl.), ch. 1 [mod. par L.C. 1994,

ch. 7, ann. V, art. 90]

227.1 (1) Lorsqu’une société a omis de déduire ou de retenir une somme, tel que prévu au paragraphe 135(3) ou à l’article 153 ou 215, ou a omis de remettre cette somme ou a omis de payer un montant d’impôt en vertu de la partie VII ou VIII pour une année d’imposition, les administrateurs de la société, au moment où celle-ci était tenue de déduire, de retenir, de verser ou de payer la somme, sont solidairement responsables, avec la société, du paiement de cette somme, y compris les intérêts et les pénalités s’y rapportant.

(2) Un administrateur n’encourt la responsabilité prévue au paragraphe (1) que dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la société est responsable selon ce paragraphe a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 223 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b) la société a engagé des procédures de liquidation ou de dissolution ou elle a fait l’objet d’une dissolution et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant le premier en date du jour où les procédures ont été engagées et du jour de la dissolution;

c) la société a fait une cession ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et l’existence de la créance à l’égard de laquelle elle encourt la responsabilité en vertu de ce paragraphe a été établie dans les six mois suivant la date de la cession ou de l’ordonnance de séquestre.

(3) L’administrateur n’est pas responsable de l’omission visée au paragraphe (1) lorsqu’il a agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables.

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15

[édicté par L.C. 1990, ch. 45,

art. 12; 1992, ch. 27, art. 90;

1997, ch. 10, art. 239]

323. (1) Les administrateurs de la personne morale au moment où elle était tenue de verser une taxe nette comme l’exigent les paragraphes 228(2) ou (2.3), sont, en cas de défaut par la personne morale, solidairement tenus, avec cette dernière, de payer cette taxe ainsi que les intérêts et pénalités y afférents.

(2) L’administrateur n’encourt de responsabilité selon le paragraphe (1) que si :

a) un certificat précisant la somme pour laquelle la personne morale est responsable a été enregistré à la Cour fédérale en application de l’article 316 et il y a eu défaut d’exécution totale ou partielle à l’égard de cette somme;

b) la personne morale a entrepris des procédures de liquidation ou de dissolution, ou elle a fait l’objet d’une dissolution, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant le premier en date du début des procédures et de la dissolution;

c) la personne morale a fait une cession, ou une ordonnance de séquestre a été rendue contre elle en application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, et une réclamation de la somme pour laquelle elle est responsable a été établie dans les six mois suivant la cession ou l’ordonnance.

(3) L’administrateur n’encourt pas de responsabilité s’il a agi avec autant de soin, de diligence et de compétence pour prévenir le manquement visé au paragraphe (1) que ne l’aurait fait une personne raisonnablement prudente dans les mêmes circonstances.

[18]      Par ailleurs, l’article 21.1 [édicté par L.R.C. (1985) (1er suppl.), ch. 6, art. 2] du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, et le paragraphe 54(1) de la Loi sur l’assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1, incorporent respectivement l’article 227.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu au sujet de la responsabilité des administrateurs en cas de défaut de versement des retenues effectuées à la source au titre du RPC et de l’assurance-chômage.

D.        LA DÉCISION DE LA COUR DE L’IMPÔT

[19]      Saisi des faits tels qu’ils sont essentiellement rappelés ci-dessus, le juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt a conclu (au paragraphe 16 de ses motifs) que, depuis le 18 octobre 1993, date à laquelle le chèque de versement des retenues à la source fut rejeté, jusqu’au jour où Abel déclara faillite en avril de l’année suivante :

[…] c’était la banque, et non les administrateurs, qui contrôlait les finances d’Abel. Cette restriction quant à la liberté de choix suffit à dégager [ces administrateurs] de la responsabilité personnelle tant à l’égard des cotisations établies pour retenues salariales que pour les cotisations de la TPS. Les [administrateurs] n’ont pas eu la liberté de choix de diriger la société et d’empêcher les manquements en ce qui concerne les versements […]

[20]      Il s’ensuit que, les administrateurs n’ayant eu dans les faits aucun contrôle sur l’acquittement des dettes de la compagnie, ils n’étaient pas responsables sous le régime du paragraphe 227.1(1), puisque celui-ci suppose la liberté de choix à cet égard. Le juge McArthur a cité Robitaille c. Canada, [1990] 1 C.F. 310 (1re inst.) comme décision de principe sur cette question, tout en notant que des administrateurs qui avaient perdu le contrôle financier de fait de la compagnie aux mains de la banque avaient aussi été exonérés par application du paragraphe 227.1(3) parce que si effectivement il n’était pas en leur pouvoir de prévenir le défaut par la compagnie de remettre les retenues à la source à Revenu Canada, ils avaient rempli de ce fait les conditions du moyen de défense de la diligence raisonnable.

[21]      En réponse à l’argument que dans ce cas, les administrateurs d’Abel auraient pu prévenir les défauts prévisibles de la compagnie en la fermant, le juge McArthur cite le précédent Fancy c. M.R.N. (1988), 71 C.B.R. (N.S.) 29 (C.C.I.), dont les faits s’apparentent aux faits de la cause en instance. Le juge en chef Couture de la Cour canadienne de l’impôt y a rejeté cet argument (page 36), pour ce motif que la responsabilité créée par le paragraphe 227.1(1) n’était pas absolue, mais était fonction

[…] de [leur] conduite personnelle dans le cadre des circonstances liées à l’omission par leur société de remettre les sommes d’impôt prélevées sur le salaire de ses employés.

[22]      Le juge McArthur conclut de cette affirmation que si une personne raisonnable, comme l’ont été les administrateurs en l’espèce, continue à exploiter la compagnie, le paragraphe 227.1(3) donne à cette personne et donc aux administrateurs le moyen de défense contre la prétention par la Couronne qu’ils étaient personnellement responsables du défaut prévisible de Abel de verser les sommes dues. Il a conclu (au paragraphe 19) qu’en décidant de ne pas fermer l’entreprise avant le 18 octobre 1993, « les appelants ont adopté une approche fondée sur le bon sens », vu leur obligation « à l’égard de leurs employés […] de ne pas fermer les portes de l’entreprise sans fournir de preuves satisfaisantes selon lesquelles [celle-ci] n’était pas viable », l’aptitude de celle-ci à survivre par le passé aux récessions dans le secteur du bâtiment, l’avis de M. Humphreys et ses tentatives de persuader la banque d’honorer les chèques tirés par l’entreprise au profit du receveur général du Canada et de trouver des investisseurs jugés acceptables par la banque, et enfin la garantie personnelle donnée par M. Lapointe.

[23]      Le juge McArthur conclut qu’après avoir fait tout ce qu’elle pouvait faire, la compagnie a perdu le contrôle effectif de ses finances aux mains de la banque à compter du 18 octobre 1993, ce qui exonérait les administrateurs de toute responsabilité personnelle quant aux défauts subséquents.

E.        LES POINTS LITIGIEUX

1. Le contrôle exercé dans les faits par la banque sur l’aptitude de la compagnie à faire des versements à Revenu Canada excluait-il les administrateurs du champ d’application du paragraphe 227.1(1)?

2. Dans la négative, les administrateurs ont-ils agi avec le degré de soin, de diligence et d’habilité qu’aurait exercé une personne raisonnable dans des circonstances comparables pour prévenir le défaut de versement, de façon à pouvoir se prévaloir du moyen de défense prévu au paragraphe 227.1(3)?

F.         ANALYSE

(i)    quelques principes généraux

[24]      Si les causes portant sur l’application du paragraphe 227.1(3) ne manquent pas, il y en a relativement peu qui posent les principes touchant l’approche à adopter pour son interprétation et son application. Les motifs de jugement tendent plutôt à se focaliser sur les circonstances du cas d’espèce; souvent l’analyse se limite à l’observation que l’examen de la question de savoir si la « diligence raisonnable » est prouvée se fait compte tenu de toutes les circonstances de la cause.

[25]      En l’absence d’un cadre d’analyse méthodique, ces causes se distinguent facilement les unes des autres par leurs faits, bien que ces faits, y compris ceux qui nous intéressent en l’espèce, présentent un même profil général. Inévitablement, mais sans qu’elles en fassent expressément état, certaines décisions donnent une interprétation relativement stricte du paragraphe 227.1(3), alors que d’autres, dont celle portée en appel en l’espèce, adoptent une vue plus favorable pour les administrateurs.

[26]      N’empêche que parmi cette multitude de cas d’espèce, on peut dégager certains principes généraux sur l’article 227.1, en particulier de l’arrêt de notre Cour Soper c. Canada, [1998] 1 C.F. 124 (C.A.). En premier lieu, le juge Robertson, J.C.A., prononçant le jugement de la majorité, y met le paragraphe 227.1(3) en contexte et en explique le sens comme suit (au paragraphe 11) :

Pendant la récession, il n’était pas rare non plus que des sociétés omettent de verser les retenues d’impôt faites au nom d’un tiers. Face à l’alternative de verser ces montants à la Couronne ou de les prendre pour rembourser d’importants créanciers dont les biens ou les services étaient nécessaires pour continuer d’exploiter l’entreprise, les administrateurs ont souvent choisi la deuxième voie. Cet abus et cette mauvaise gestion manifestes de la part des administrateurs constituaient la « situation irrégulière » que l’article 227.1 visait à corriger.

[27]      Que le défaut de versement au fisc dans les circonstances évoquées ci-dessus puisse être ou non toujours qualifié à juste titre d’« abus et de mauvaise gestion manifestes », ce que faisaient les administrateurs en l’espèce ne constitue en aucun cas la « situation irrégulière » que relève le juge Robertson. Ce qu’on leur reprochait, ce n’était pas d’avoir choisi de désintéresser d’autres créanciers que la Couronne, mais d’avoir continué à exploiter l’entreprise alors qu’ils savaient, ou auraient dû logiquement savoir, que la banque, qui tenait le cordon de la bourse, honorerait en toute probabilité les chèques tirés au profit des fournisseurs essentiels au maintien en activité de l’entreprise, mais ne permettrait pas à cette dernière de désintéresser la Couronne, aussi longtemps à tout le moins, qu’elle pensait que le maintien en activité de la compagnie serait la meilleure protection de ses intérêts de créancière.

[28]      En deuxième lieu, l’arrêt Soper, précité, clarifie la norme de « diligence raisonnable » applicable au regard du paragraphe 227.1(3), laquelle est, selon le juge Robertson, une « norme objective subjective » mixte. Ainsi donc, pour juger si un administrateur a agi avec « le degré de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir le manquement qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans des circonstances comparables », le juge doit prendre en considération les caractéristiques de l’administrateur en question, y compris son niveau de compétence, d’expérience et de savoir au regard de ses fonctions. Le juge doit ensuite se demander si, dans des circonstances similaires, un administrateur raisonnablement prudent, avec un niveau de compétence, d’expérience et de connaissances comparable, aurait fait de même (paragraphe 25). En appliquant cette norme, le juge Robertson a conclu en ces termes, au paragraphe 44 :

[…] les administrateurs internes, c’est-à-dire ceux qui s’occupent de la gestion quotidienne de la société et qui peuvent influencer la conduite de ses affaires, sont ceux qui auront le plus de mal à invoquer la défense de diligence raisonnable.

[29]      Par application de cette conclusion aux faits de l’espèce, il est clair que la « diligence raisonnable » à laquelle étaient tenus les défendeurs se situe au haut de l’échelle. Ils étaient des administrateurs « internes » qui dirigeaient la compagnie, à laquelle ils avaient pris part dès les débuts et dont ils connaissaient parfaitement les affaires.

[30]      En troisième lieu, la « diligence raisonnable » signifie normalement que dès que l’administrateur sait ou devrait savoir que la compagnie ne peut pas faire les versements en souffrance, il doit prendre des mesures concrètes pour prévenir le défaut, par exemple en essayant d’obtenir un accroissement de la marge de crédit ou de parvenir à un arrangement avec la banque pour être en mesure de verser les sommes dues. Des administrateurs ont aussi porté le problème à l’attention de Revenu Canada et essayé de régler les sommes dues en plusieurs versements.

[31]      Il est clair que les administrateurs d’Abel ont effectivement pris des mesures concrètes pour essayer de tirer la compagnie de ses difficultés financières. En particulier, ils ont retenu les services de M. Humphreys, qui leur a dit que la compagnie était viable, avec ou sans injection de capital, et a fait des efforts, plus ou moins réussis, de trouver des investisseurs.

[32]      Il y a eu aussi des discussions avec la banque au sujet du paiement des chèques tirés au profit des fournisseurs et des employés d’Abel. Bien que les témoignages produits ne permettent pas de dire si c’était M. Humphreys ou si c’étaient les administrateurs qui faisaient des démarches auprès de la banque au sujet des chèques de versement à Revenu Canada, il était clair à leurs yeux qu’elle ne les honorerait qu’à sa discrétion, ainsi qu’elle l’a fait d’ailleurs à l’occasion.

[33]      Il est également clair que ces administrateurs savaient qu’à moins d’injection rapide de capital par un investisseur accepté par la banque, ou à moins que celle-ci ne change d’avis pour honorer les chèques à l’ordre de Revenu Canada, Abel serait probablement en défaut pendant 18 mois pour ce qui était des sommes à remettre, c’est-à-dire le temps que, selon les estimations de M. Humphreys, la compagnie prendrait pour se remettre à flot.

[34]      Cependant, que ces administrateurs en aient fait assez ou non pour s’exonérer de la responsabilité tenant au défaut de versement des retenues à la source et de la TPS, cela dépend, du moins en partie, du quatrième principe dégagé par la jurisprudence, savoir que la diligence raisonnable imposée aux administrateurs de société par le paragraphe 227.1(3) consiste à prévenir ce défaut. Il a été jugé que ce principe signifie que si ceux-ci deviennent à première vue responsables du défaut de versement de la compagnie, ils ne peuvent normalement se réclamer du bénéfice du paragraphe 227.1(3) si leurs efforts n’avaient pour effet que de les mettre en état de remédier au défaut après coup. Il s’ensuit que des mesures prises en vue de remettre Abel à flot, celles qui comptent le plus pour notre propos se limitent à celles qui étaient logiquement à même de prévenir le défaut de verser, à l’échéance, les retenues à la source et la TPS.

[35]      C’est ce qui se dégage de l’arrêt Canada c. Corsano, [1999] 3 C.F. 173 (C.A.), où la Cour souligne (au paragraphe 35) que les administrateurs ont l’obligation de prévenir les omissions et non de fermer les yeux dans l’espoir qu’une solution sera trouvée plus tard. D’ailleurs, dans Soper, précité, le juge Robertson, J.C.A., fait observer (au paragraphe 48) que l’objet de la disposition en question

[…] est de prévenir un manquement et non de réparer un manquement après coup (encore que, en pratique, cette disposition devrait aussi produire cet effet).

De même, dans Canales c. R., [1997] 1 C.T.C. 2001 (C.C.I.), le juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt, rappelle en page 2003 que selon un principe bien établi,

[…] l’appelant doit démontrer qu’une tentative raisonnable a été faite pour prévenir le manquement à l’obligation d’effectuer les retenues et de les remettre et que l’on n’a pas tout simplement tenté de redresser la situation après coup.

Tout récemment, dans Ruffo c. M.R.N. (2000), 2000 DTC 6317, le juge Létourneau, J.C.A., prononçant le jugement de la Cour, a dit (paragraphe 6) :

L’obligation de l’appelant en tant qu’administrateur était de prévenir et d’empêcher l’omission de payer les sommes dues et non de la commettre ou de la perpétuer comme il l’a fait à compter de mars 1992 dans l’espoir qu’en fin de compte l’entreprise renouerait avec la rentabilité ou qu’il y aurait assez d’argent, même en cas de liquidation, pour payer tous les créanciers.

[36]      En l’espèce, la mesure la plus importante qu’aient prise les administrateurs pour prévenir le défaut de versement d’Abel a été de retenir les services de M. Humphreys pour trouver de nouvelles sources financières pour la compagnie : il leur avait dit qu’avec une injection de quelque 350 000 $, celle-ci pourrait se remettre rapidement à flot et il était convaincu qu’un investisseur convenable pourrait être trouvé. En outre, le fait que Mme McKinnon continuait à préparer les chèques de versement dans l’espoir que la banque les honorerait, peut aussi être considéré comme une mesure potentiellement préventive. Ces administrateurs n’ont pas continué à exploiter l’entreprise sur la seule foi d’une assurance que la compagnie était suffisamment solide pour leur permettre d’attendre 18 mois et de tirer profit de la reprise économique prévue.

[37]      En cinquième lieu, les administrateurs n’encourent aucune responsabilité personnelle par application du paragraphe 227.1(1) et n’ont donc pas besoin d’invoquer le paragraphe 227.1(3) si à un moment donné, la dette de la compagnie envers Revenu Canada, y compris intérêts et pénalités pour retard de paiement, est acquittée. Il en est ainsi parce que le paragraphe 227.1(2) tempère le paragraphe 227.1(1) en prévoyant en effet qu’un administrateur n’est tenu de verser à Revenu Canada les sommes en souffrance qu’après que tous les efforts de recouvrement ont été épuisés.

[38]      Il en est ainsi en l’espèce : il est vrai qu’Abel n’avait pas versé les retenues sur salaires au titre des cotisations d’employé, mais ces sommes ont été versées par la suite à Revenu Canada par son syndic de faillite. En conséquence, les administrateurs n’ont jamais été indirectement responsables de leur paiement sous le régime du paragraphe 227.1(1).

[39]      En sixième lieu, l’administrateur qui a perdu juridiquement le contrôle de la compagnie, à la nomination d’un séquestre-gérant par exemple, n’est pas tenu envers Revenu Canada des dettes contractées par la suite. La jurisprudence a parfois étendu ce principe aux cas où les administrateurs ont perdu le contrôle de fait des finances de la compagnie aux mains d’un autre, en particulier de la banque. L’exonération dans ces cas a été expliquée à la fois par la raison que la disposition portant assujettissement à l’impôt, savoir le paragraphe 227.1(1), suppose que les administrateurs ont tout loisir de décider si la compagnie verse les retenues à la source, et pour la raison qu’on ne saurait dire que les administrateurs qui n’ont pas le contrôle nécessaire des finances de la compagnie, n’ont pas fait preuve de « diligence raisonnable ».

(ii)   la jurisprudence

[40]      Il y a eu divers jugements sur des faits qui s’apparentent à ceux de la cause en instance. Bien que les faits ne soient jamais identiques d’une cause à l’autre, ces décisions peuvent être divisées en deux catégories : celles qui favorisent la Couronne et celles qui favorisent les administrateurs. J’examinerai en premier lieu les décisions invoquées par la Couronne, appelante en l’espèce.

[41]      Dans Deschênes c. Canada (Ministre du Revenu national—M.R.N.), [1989] A.C.I. no 800 (QL), le contribuable souhaitait maintenir l’entreprise en activité malgré ses difficultés financières et a négocié avec sa banque un accord qui lui permettait de payer les salaires des employés, mais ne lui a pas demandé d’honorer les chèques de versement des retenues à la source. La compagnie était en défaut de paiement à cet égard et a fait faillite.

[42]      En réponse à l’argument proposé par le contribuable que dans les circonstances de la cause, il n’y avait rien d’autre qu’il eût raisonnablement pu faire pour prévenir le défaut de versement, Mme le juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l’impôt a fait l’observation suivante :

[…] au témoignage même de l’appelant, déjà cité, c’est ce dernier qui a volontairement choisi de ne pas payer les retenues d’impôt et d’assurance-chômage. C’était un risque que l’appelant prenait. Un risque pris dans des circonstances difficiles, sans aucun doute. Mais tout de même un choix délibéré qui s’est continué sur une période de quelques semaines et qui va à l’encontre du devoir de l’administrateur d’une corporation d’agir avec soin, diligence et habileté dans la remise des sommes retenues à la source sur le traitement des employés.

[43]      Il y a lieu de noter qu’à la différence de l’affaire en instance, il n’y avait dans l’affaire Deschênes, précitée, aucune preuve que la banque eût fait savoir qu’elle n’honorerait pas nécessairement les chèques tirés par la compagnie de l’appelant à l’ordre de Revenu Canada. En outre, Mme le juge Lamarre Proulx semble avoir été influencée par le fait qu’étant l’endossataire de deux prêts bancaires, le contribuable espérait qu’en maintenant l’entreprise en activité, la banque n’exigerait pas qu’il honore les endossements. Enfin, il n’y avait dans cette décision aucune conclusion sur le bien-fondé ou non, du point de vue commercial, de la continuation par le contribuable de l’exploitation de la compagnie dans l’espoir d’un retournement de la situation.

[44]      La Couronne cite encore Hamel (M.) c. M.R.N., [1992] 1 C.T.C. 2308 (C.C.I.), dont les faits se rapprochent davantage de l’affaire en instance et où la jurisprudence invoquée devant la Cour de l’impôt a été expressément examinée. Il y a été jugé qu’ayant sciemment décidé de continuer à exploiter l’entreprise au lieu de la fermer, les administrateurs n’avaient pas fait preuve de « diligence raisonnable » et, par suite, demeuraient indirectement responsables du défaut de versement de la compagnie, bien qu’il n’y eût rien d’autre qu’ils eussent pu faire pour le prévenir.

[45]      Il ressortait des preuves et témoignages produits que par suite des difficultés financières de la compagnie, la banque avait surveillé de près ses activités et, de février à juin, date à laquelle la compagnie cessa d’exister, elle avait augmenté sa marge de crédit pour lui permettre de payer ses employés et ses fournisseurs de biens essentiels. Elle refusait cependant d’honorer les chèques de versement des retenues à la source; les administrateurs avaient discuté de cette question avec elle, mais aucun arrangement n’a jamais été conclu à ce sujet. Le juge constatait aussi qu’ils n’en avaient pas parlé non plus à Revenu Canada.

[46]      Le juge a conclu en ces termes, page 2313 :

Si on accepte de poursuivre l’exploitation d’une entreprise malgré les difficultés financières qu’elle rencontre, si on accepte de payer les employés et les fournisseurs, il faut aussi accepter d’acquitter ses obligations envers le fisc. Il faut pouvoir faire état, sinon de démarches positives, du moins de faits concrets pouvant expliquer l’inaction durant une aussi longue période. La décision prise de concert avec la banque de continuer à poursuivre les opérations plusieurs mois alors que les animaux pourraient être vendus avant, laisse supposer que les intéressés avaient l’espoir d’en tirer un avantage éventuel, ne serait-ce que celui de limiter leurs pertes. Une telle décision emporte cependant la responsabilité de voir à ce que l’entreprise ne se finance pas à même ce qui est dû au gouvernement.

Il faut noter qu’aucune conclusion n’a été tirée sur la prudence, du point de vue commercial, de la décision prise par les administrateurs de concert avec la banque, de poursuivre l’exploitation de l’entreprise.

[47]      Je passe maintenant aux principaux précédents invoqués par les administrateurs en l’espèce, en commençant par le plus ancien, Fancy c. M.R.N. (1988), 71 C.B.R. (N.S.) 29 (C.C.I.), au sujet de la responsabilité des deux administrateurs, qui étaient mari et femme, d’une entreprise d’excavation en défaut de versement des retenues sur salaires. Une fois que la compagnie eut connu des difficultés financières, la banque a surveillé tous ses chèques et a refusé d’autoriser un chèque de versement des retenues à la source, ce dont Mme Fancy a informé Revenu Canada dès qu’elle fut au courant.

[48]      Depuis les débuts de la compagnie, la banque en avait financé l’exploitation, obtenant en garantie de ses prêts une cession générale des comptes clients. Le juge en chef Couture de la Cour canadienne de l’impôt en a conclu (page 34) qu’elle avait toujours « [contrôlé] effectivement la marge brute d’autofinancement de la société » et était « en mesure de dominer les finances de la société et de lui dicter son sort ». Il a aussi conclu que les contribuables justifiaient du degré de soin et d’habileté nécessaire pour s’assurer le bénéfice du paragraphe 227.1(3), étant donné la cession consentie par eux des comptes clients de l’entreprise, leurs efforts pour trouver d’autres fonds afin de la maintenir à flot durant la période de difficultés, et leur espoir que la banque permettrait à celle-ci de s’acquitter de ses obligations envers Revenu Canada. Ils étaient, dit-il (page 35), « victimes des circonstances sur lesquelles ils n’avaient aucun pouvoir réel ».

[49]      Le juge en chef Couture a rejeté l’argument qu’une fois informés de la gravité des difficultés financières de la compagnie, les contribuables auraient dû la fermer, pour le motif que pareil argument « ne reflète pas l’intention véritable de la Loi », car la responsabilité prévue au paragraphe 227.1(1) n’était pas absolue et, si leur conduite personnelle dans le défaut de versement de leur compagnie montrait qu’ils avaient agi avec le degré de soin, de diligence et d’habileté nécessaire pour satisfaire à l’impératif du paragraphe 227.1(3), ils étaient exonérés.

[50]      Il appert que, dans son interprétation et application du paragraphe 227.1(3), le juge en chef Couture a examiné si les contribuables en question avaient, dans un sens large, agi de façon honnête et responsable face à une situation difficile, et après que la cession à la banque de leurs comptes clients eut réduit davantage leur aptitude à verser les retenues à la source. Sa conclusion qu’ils n’étaient pas responsables n’est guère surprenante à la lumière des faits de la cause. J’estime cependant que son analyse est discutable en ce qu’il n’y avait guère de preuve de mesures concrètes prises par ces administrateurs pour prévenir le défaut, lequel était parfaitement prévisible en cas de maintien en activité de l’entreprise.

[51]      Robitaille c. Canada, supra, est aussi un précédent régulièrement cité à l’appui d’une interprétation libérale de l’exonération de la responsabilité au regard du paragraphe 227.1(1) dans le cas où l’aptitude des contribuables à verser les retenues à la source a été limitée par le contrôle de fait exercé par la banque sur les finances de la compagnie. Cependant, les faits de la cause étaient si exceptionnels qu’à mon avis, cette décision ne nous éclaire guère sur l’application de l’exonération légale des administrateurs dans des contextes commerciaux plus usuels, comme c’est le cas en l’espèce.

[52]      Mme Robitaille, qui était l’épouse de l’un des propriétaires de la compagnie, avait été nommée administratrice juste pour satisfaire à l’impératif légal que toute société constituée sous le régime des lois fédérales eût au moins trois administrateurs. Elle n’avait joué aucun rôle actif dans la compagnie, et n’avait été informée de ses difficultés financières, y compris le défaut de verser à Revenu Canada les retenues à la source, qu’après que la banque eut assumé le contrôle de fait de la compagnie. Quoi qu’il en soit, le juge Addy a conclu (aux pages 319 et 320) que quand bien même elle aurait été mise au courant plus tôt, « elle n’aurait rien pu faire à cet égard ». En outre, le contrôle exercé par la banque sur les activités de la compagnie, en partie à cause de la cession des stocks que lui avait consentie cette dernière, était tel que Revenu Canada traitait avec la banque, et non avec les administrateurs, pour ce qui était du versement des sommes dues et du maintien de l’entreprise en activité.

[53]      Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que la Cour ait exonéré cette contribuable de la responsabilité personnelle quant au défaut de versement de la compagnie. J’estime cependant que malgré certaines conclusions générales du juge Addy, cette cause ne peut être considérée comme posant pour principe général qu’une fois que la banque contrôle les chèques tirés par la compagnie, les administrateurs de cette dernière ne sont plus indirectement responsables du défaut de versement à Revenu Canada des retenues à la source.

[54]      Le précédent Robitaille susmentionné a été suivi dans Champeval (J.-P.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 2385 (C.C.I.); conf. par [1999] 2 C.T.C. 327 (C.F. 1re inst.), la compagnie avait aussi fait une cession générale de ses comptes clients à la banque, laquelle exerçait ainsi un contrôle absolu sur les rentrées de fonds et décidait quels chèques tirés par la compagnie elle honorerait. Concluant que le contribuable n’était pas responsable, pour le motif que le contrôle absolu exercé par la banque sur la compagnie excluait la responsabilité prévue au paragraphe 227.1(1), le juge a aussi pris en compte les efforts qu’avait faits ce contribuable pour parvenir à un arrangement avec Revenu Canada au sujet des versements à faire.

[55]      Le dernier précédent cité est la décision rendue par le juge MacKay dans Clarke c. R., [2000] 2 C.T.C. 431 (C.F. 1re inst.), qui a conclu que les administrateurs n’étaient pas responsables des sommes dues après la désignation d’un séquestre-gérant, qui assumait leurs pouvoirs légaux, ou des sommes dues plus tôt, après que la banque eut mis la compagnie « sous séquestre mitigé ». Par contre, ils ont été jugés responsables des retenues à la source qui auraient dû être versées durant le mois où, inquiète de la situation financière de la compagnie et de ses propres chances de recouvrer son prêt, la banque avait retenu les services d’un cabinet de comptables pour suivre de près la compagnie et lui rendre compte de l’état et des perspectives financières de cette dernière. Le même mois, un chèque tiré par la compagnie au profit du receveur général du Canada fut rejeté par la banque pour défaut de provision.

[56]      Le juge MacKay a conclu (paragraphe 7) que pendant que la compagnie était « sous séquestre mitigé », le cabinet de comptables nommé par la banque à cet effet était chargé

[…] de trancher toutes les questions concernant l’exploitation, y compris les comptes clients, la vente des stocks et du matériel, les contrats, les achats, les comptes fournisseurs et les paiements, le personnel ainsi que les changements et les prévisions touchant l’exploitation.

En outre, le séquestre a pris possession du chéquier de la compagnie et la banque avait le dernier mot quant aux chèques qu’elle honorerait.

[57]      Le juge MacKay a conclu que, puisque les administrateurs n’avaient pas dans les faits le contrôle de la compagnie, il n’y avait pas de leur part responsabilité au sens du paragraphe 227.1(1). Il a cité avec approbation cette conclusion tirée par le juge Addy dans la décision Robitaille susmentionnée (page 318) :

La responsabilité personnelle de l’administrateur ne saurait être engagée que s’il jouit d’une pleine et entière liberté de choix.

(iii)  conclusions

1.         Le contrôle est-il un critère d’application du paragraphe 227.1(1)?

[58]      Sauf le respect que je dois à tous ceux qui sont d’avis contraire, j’estime qu’il ne faut pas interpréter le paragraphe 227.1(1) comme signifiant qu’il ne s’applique que si les administrateurs ont dans les faits le contrôle des opérations financières de la compagnie, en particulier du règlement de ses obligations.

[59]      En premier lieu, pareils termes ne figurent pas dans le texte de loi, et le juge ne doit normalement pas ajouter des termes à ceux du texte de loi adopté par le législateur.

[60]      En deuxième lieu, l’exonération pour cause de diligence raisonnable que prévoit le paragraphe 227.1(3) est suffisamment générale pour fournir un moyen de défense aux administrateurs qui ont fait ce qu’il faut pour essayer de prévenir le défaut de versement de leur compagnie. Il est donc inutile d’insérer la notion de contrôle dans le paragraphe (1) afin que la responsabilité des administrateurs ne soit pas engagée dans le cas où ce qu’ils font pour prévenir le défaut de versement de la compagnie satisfait à la norme de diligence, telle qu’une personne raisonnable l’aurait observée dans des circonstances comparables pour prévenir le défaut.

[61]      D’ailleurs, « contrôle » n’est pas un concept monolithique et il sera inévitablement difficile de décider si, dans un cas donné, les administrateurs ont conservé suffisamment de « contrôle » pour que le paragraphe (1) entre en jeu. Il en est tout autrement en cas de nomination d’un séquestre dont les pouvoirs supplantent ceux des administrateurs, lesquels cessent, du point de vue fonctionnel, d’être des administrateurs et échappent ainsi au champ d’application du paragraphe 227.1(1); voir par exemple Drover c. Canada (1998), 161 D.L.R. (4th) 518 (C.A.F.), au paragraphe 4.

[62]      En troisième lieu, si le concept de « contrôle » s’étend à l’inaptitude dans les faits à prendre des mesures pour s’assurer que les sommes dues sont versées à l’échéance, parce que la banque n’honore pas les chèques à l’ordre de Revenu Canada, cela signifie que l’administrateur concerné ne sera pas responsable par application du paragraphe 227.1(1), peu importe qu’il soit raisonnable ou non de maintenir l’entreprise en activité, et peu importe le temps pendant lequel elle reste en activité sans verser les sommes dues à l’échéance. Que les faits et gestes de l’administrateur soient raisonnables ou non n’a d’importance à titre de moyen de défense au regard du paragraphe 227.1(3) qu’une fois que cet administrateur est tenu pour responsable par application du paragraphe 227.1(1).

[63]      Par conséquent, avec égards, la conclusion tirée par le juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt que les administrateurs en l’espèce n’étaient pas responsables du défaut de versement des retenues à la source et de la TPS, ne peut se fonder sur la conclusion que le paragraphe 227.1(1) n’entrait pas en jeu parce que l’insistance mise par la banque à approuver les chèques tirés par la compagnie privait les contribuables du contrôle des finances de cette dernière.

2.         Le moyen de défense de la diligence raisonnable au regard du paragraphe 227.1(3)

[64]      Le juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt a pris acte qu’avant le 18 octobre 1993, date à laquelle la banque rejeta un chèque à l’ordre de Revenu Canada, les administrateurs auraient pu fermer l’entreprise. Il a cependant conclu que, se rangeant à l’avis de M. Humphreys qui leur conseillait de maintenir l’entreprise en activité, ils ont agi avec « diligence raisonnable ». Il y a lieu de noter aussi que le 25 octobre 1993, BDO Dunwoody a soumis à la banque, avec copie à Abel, un rapport dans lequel elle recommandait de ne pas fermer l’entreprise, car la fermeture se traduirait par une perte de l’ordre de 80 à 90 p. 100 sur les 2 millions de dollars de comptes clients résultant des contrats de construction d’Abel.

[65]      La question qui se pose est de savoir si tout au long de la période des défauts de versement, de septembre 1993 à avril 1994, les administrateurs ont agi avec le même degré de soin, de diligence et d’habileté qu’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables, pour prévenir le défaut par la compagnie de verser les retenues à la source et la TPS.

[66]      J’accepte que les administrateurs d’Abel ne soient pas personnellement responsables des sommes dues avant le rejet, le 18 octobre 1993, du chèque de versement. Il est admis qu’ils avaient pleinement conscience des difficultés financières de la compagnie, en particulier après le refus de cautionnement de l’été 1993. Ils savaient aussi que la banque avait exprimé des inquiétudes après avoir examiné l’état financier d’avril 1993, qu’elle avait transféré le compte d’Abel d’une agence locale à un service chargé des comptes douteux, et qu’elle avait rejeté un chèque de versement fin septembre.

[67]      Cependant, quelques jours avant que le second chèque ne fût rejeté le 18 octobre, il y avait eu une rencontre entre des représentants de la banque chargés du dossier d’Abel, M. Humphreys et deux des administrateurs de la compagnie. Les administrateurs en ont recueilli l’impression que la banque était satisfaite de la façon dont la compagnie s’occupait de ses problèmes. Qui plus est, la banque n’avait pas averti Abel qu’elle se proposait de rejeter ses chèques et, avant de rejeter le chèque en octobre, elle n’avait pas réduit la marge de crédit de la compagnie. Il convient aussi de noter que par le passé, Abel avait toujours acquitté ses factures.

[68]      En conséquence, cet appel doit être centré sur ce qu’ont fait les administrateurs d’Abel après le 18 octobre 1993, date à laquelle la banque rejeta le second chèque de versement, savoir s’ils ont exercé le degré requis de soin, de diligence et d’habileté pour prévenir les défauts subséquents de la compagnie, dont ils savaient qu’ils se produiraient en toute probabilité.

[69]      Ayant fondé sa décision principalement sur ce motif que la banque exerçait un tel contrôle sur les finances d’Abel que le paragraphe 227.1(1) n’avait jamais été en jeu, le juge de la Cour canadienne de l’impôt ne s’est penché qu’assez brièvement sur le moyen de défense de la diligence raisonnable. Il a cependant bien constaté qu’à la lumière du conseil qu’ils avaient reçu de M. Humphreys et des efforts faits par celui-ci pour trouver un nouvel investisseur, à la lumière du crédit que leur accordait manifestement la banque, à la lumière de la nature cyclique du secteur du bâtiment, des antécédents de la compagnie et de leur obligation envers leurs employés, les contribuables « ont adopté une approche fondée sur le bon sens » en décidant de ne pas fermer l’entreprise. Par contre, il n’est pas tout à fait clair à la lecture des motifs de sa décision s’il a examiné la question de savoir si ces administrateurs auraient dû mettre fin à l’entreprise après le 18 octobre 1993.

[70]      J’estime qu’il est essentiel de ne pas perdre de vue la question qui est au cœur du présent appel, savoir si les administrateurs en l’espèce ont exercé la diligence raisonnable requise pour prévenir le défaut de versement de la compagnie. Il ne s’agit pas nécessairement de la même chose que de se demander s’il était raisonnable de leur part, du point de vue commercial, de continuer à exploiter l’entreprise. Pour être en mesure d’invoquer le moyen de défense tiré du paragraphe 227.1(3), il faut normalement qu’ils aient pris des mesures positives qui, si elles aboutissaient, auraient pu prévenir le défaut de versement. Il faut donc examiner si ce qu’ont fait ces administrateurs pour prévenir le défaut satisfait à la norme de soin, de diligence et d’habileté qu’aurait observée une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables.

[71]      Il ne suffira normalement pas que les administrateurs aient continué à exploiter l’entreprise, sachant qu’un défaut de versement était probable mais dans l’espoir que la compagnie reprendrait pied avec une reprise de l’économie ou une amélioration de sa position sur le marché. Dans ces conditions, les administrateurs seront généralement tenus pour avoir accepté le risque inhérent à la gageure que la compagnie serait subséquemment en mesure de verser les sommes dues. Le public n’a pas à assurer contre son gré ce risque, aussi raisonnable qu’il soit du point de vue commercial pour les administrateurs de continuer à exploiter l’entreprise sans rien faire pour prévenir les défauts de versement à l’avenir.

[72]      Cette conclusion a été récemment tirée dans Ruffo c. R., [1998] 2 C.T.C. 2203 (C.C.I.), décision confirmée par notre Cour le 13 avril 2000 (2000), 2000 DTC 6317, et où Mme le juge Lamarre Proulx de la Cour canadienne de l’impôt s’est prononcée en ces termes (paragraphe 20) :

Je suis d’avis que la jurisprudence de notre Cour est constante sur la diligence qui doit avoir été exercée par l’administrateur d’une corporation pour lui permettre d’échapper à la responsabilité prescrite par le paragraphe 227.1(1) de la Loi. Elle est la diligence qui s’est préoccupée de prévenir le manquement et peut dans bien des cas, se différencier de la diligence que doit exercer l’administrateur envers la corporation.

[73]      Un peu plus loin, elle a cité avec approbation cette affirmation du juge Rip de la Cour canadienne de l’impôt dans K. Merson c. M.R.N., [1989] 1 C.T.C. 2074 (à la page 2083) :

La prudence qu’exige le paragraphe 227.1(3) pour agir avec soin, diligence et habileté diffère de celle que doit exercer l’administrateur qui exécute ses fonctions, en vertu du droit des compagnies, quoique le paragraphe 227.1(3) et l’alinéa 122(1)b) de la Loi sur les sociétés par actions, par exemple, emploient des mots identiques. Le soin, la diligence et l’habileté que le paragraphe 227.1(3) exige de l’administrateur ne reposent pas sur les obligations de ce dernier envers la corporation; ils reposent sur l’une des obligations de la corporation en vertu de la Loi et l’omission, par la corporation, d’exécuter cette obligation. On s’attend à ce que l’administrateur qui gère une entreprise prenne des risques pour accroître la rentabilité et c’est à cette attente que se mesurent les obligations du soin, de la diligence et de l’habileté. Le degré de prudence qu’exige le paragraphe 227.1(3) ne laisse aucune place au risque.

[74]      Je n’interprète pas l’affirmation faite par le juge Rip que « le degré de prudence qu’exige le paragraphe 227.1(3) ne laisse aucune place au risque » comme signifiant que l’article 227.1 impose une présomption de responsabilité aux administrateurs dont la compagnie se révèle en fin de compte incapable d’acquitter les sommes en souffrance. Pareille conception serait indubitablement contraire au paragraphe 227.1(3), qui n’entre en jeu que dans le cas où Revenu Canada ne peut recouvrer l’argent que la compagnie aurait dû verser.

[75]      Je pense au contraire qu’il a voulu dire par là que si les administrateurs décident de maintenir l’entreprise en activité dans l’espoir que la compagnie sera remise à flot et sera en mesure de rattraper les défauts de versement après coup, et que la compagnie fasse quand même faillite sans avoir payé ce qu’elle devait au fisc, ils ne peuvent arguer en défense qu’une personne raisonnable aurait accepté le risque qu’ils ont couru. Le moyen de défense tiré du paragraphe 227.1(3) ne peut servir que si les administrateurs peuvent prouver qu’ils ont agi avec le soin, la diligence et l’habileté qu’un homme d’affaires raisonnablement prudent aurait exercé dans des circonstances comparables pour prévenir le défaut.

[76]      Que les administrateurs aient fait preuve ou non de diligence raisonnable pour prévenir le défaut est à la fois un point de droit et un point de fait. Sur le plan juridique, la responsabilité d’un administrateur en cas de défaut de versement des retenues à la source et de la TPS ne se cristallise qu’une fois que les conditions prévues au paragraphe 227.1(2) auront été réunies. Qui plus est, si les sommes dues sont par la suite intégralement réglées, même tardivement, ces administrateurs ne seront pas tenus responsables du défaut par la compagnie de les verser en premier lieu.

[77]      Cependant, le fait qu’avant de se cristalliser, la responsabilité de l’administrateur soit latente n’est pas incompatible avec la conclusion qu’il y a eu défaut de versement si aucun versement n’a été fait à la date qui, selon les textes applicables, est la date d’échéance. Par exemple, le paragraphe 108(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 [mod. par DORS/97-472, art. 3], prévoit que les sommes retenues sur les salaires des employés dans un mois donné en application du paragraphe 153(1) de la Loi, doivent être versées au receveur général du Canada au plus tard le 15e jour du mois suivant.

[78]      Il s’ensuit, à mon avis, que les administrateurs d’Abel ne pouvaient prétendre au bénéfice du paragraphe 227.1(3) par la simple assertion qu’ils avaient poursuivi l’exploitation de l’entreprise en s’en remettant raisonnablement à l’avis de M. Humphreys que celle-ci pourrait se remettre à flot dans les 18 mois et que l’économie serait dans une meilleure conjoncture économique entre-temps. À supposer même que la compagnie ait pu se mettre en état de tirer parti de la conjoncture économique favorable et soit devenue rentable, elle serait devenue tout au plus capable d’acquitter les sommes dues et de prévenir les défauts de versement à l’avenir. L’adoption de ce conseil ne pouvait pas prévenir les défauts de versement qui devaient survenir antérieurement au renflouement de la compagnie, à supposer même que cette prévision se soit avérée exacte.

[79]      Étant donné les restrictions que leur imposait le contrôle de fait exercé par la banque sur les finances de la compagnie, je conclus des faits de la cause que les administrateurs ont exercé, pour prévenir les défauts de versement, le même degré de soin, de diligence et d’habileté qu’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances comparables. Le fait que Mme McKinnon ait continué à préparer les chèques de versement, manifestement sans l’espoir réaliste que la banque les honorerait tous, indique aussi que ces administrateurs n’ignoraient pas la dette de la compagnie envers Revenu Canada.

[80]      Ce qui est bien plus important encore à mon avis, c’étaient les efforts soutenus de M. Humphreys pour trouver un nouvel investisseur, étant donné sa conviction que dès lors, la compagnie pourrait être rapidement remise à flot. Il a dit aux administrateurs sa confiance qu’un nouvel investisseur pourrait être trouvé. De fait, il a identifié des investisseurs potentiels dans les semaines qui suivirent son engagement, a parlé à 12 personnes qui exprimaient leur intérêt à cet égard, et a trouvé une personne qui était d’accord pour mettre son argent dans la compagnie, mais qui ne convenait pas à la banque pour des raisons qui ne sont pas divulguées.

[81]      Tant que ces efforts étaient poursuivis en bonne foi par une personne qui avait fait ses preuves dans le renflouement des compagnies dans le secteur du bâtiment, les administrateurs d’Abel pouvaient raisonnablement dire que, si un investisseur pouvait être trouvé et approuvé par la banque, la compagnie pourrait obtenir le cautionnement nécessaire pour soumissionner pour des contrats lucratifs, ce qui pourrait avoir pour effet d’engager la banque à accroître sa marge de crédit ou, à tout le moins, à honorer le prochain chèque de versement d’Abel.

[82]      Il s’ensuit que si M. Humphreys avait réussi à trouver un investisseur acceptable pour la banque, les défauts de versement auraient pu être évités. Le fait qu’en fin de compte, il n’a pas réussi et qu’il y a eu des défauts de versement, ne rend pas les administrateurs responsables s’ils avaient fait des efforts raisonnables pour les prévenir. La Cour n’est pas encline à conjecturer après coup sur l’efficacité des efforts des administrateurs pour prévenir les défauts de versement.

[83]      Cependant, ceux-ci n’auraient pas été en droit de s’en remettre indéfiniment à l’avis de M. Humphreys s’il n’y avait eu aucune indication d’intérêt de la part d’investisseurs dans la compagnie. Ils n’auraient pu se réclamer du moyen de défense de la diligence raisonnable tiré du paragraphe 227.1(3) qu’en réexaminant de temps à autre la viabilité de la compagnie et ses perspectives d’attraction de nouveaux investisseurs.

G.        CONCLUSIONS

[84]      Pour ces motifs, je conclus que les administrateurs en l’espèce ont satisfait au critère de la diligence raisonnable, prévu au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu et au paragraphe 323(3) de la Loi sur la taxe d’accise. Je me prononce en conséquence pour le rejet des appels et des recours en contrôle judiciaire, avec allocation d’un seul mémoire de dépens, y compris les débours taxables dans chaque procédure.

Le juge Stone, J.C.A. : Je souscris aux présents motifs.

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