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RÉférence :

Lignes aériennes canadien international ltée c. Canada (Commission des droits de la personne), [2010] 1 R.C.F. 226

A-346-99

Les Lignes aériennes Canadien International Limitée et Air Canada (appelantes)

c.

La Commission canadienne des droits de la personne, le Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (intimés)

Répertorié : Lignes aériennes Canadien International Ltée c. Canada (Commission des droits de la personne) (C.A.F.)

Cour d’appel fédérale, juge en chef Richard, juges Létourneau et Noël, J.C.A.—Montréal, 15 février 2000.

* Note de l’arrêtiste : Ce jugement n’a pas été choisi pour publication intégrale après avoir été rendu le 15 février 2000. Cependant, en raison du fait qu’il est souvent cité par les avocats ainsi que par les Cours fédérales, il a été décidé de le publier dans le Recueil des décisions des Cours fédérales afin de faciliter l’accès à ce jugement par la profession.

Pratique — Parties — Intervention — Appel d’un jugement interlocutoire de la Cour fédérale, Section de première instance accordant à l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) l’autorisation d’intervenir dans les demandes de contrôle judiciaire relatives à une décision de la Commission canadienne des droits de la personne — La juge des requêtes n’a pas motivé son ordonnance accordant l’autorisation — Les facteurs pertinents à prendre en considération pour établir s’il y a lieu d’accorder l’autorisation d’intervenir sont énoncés dans les présents motifs  — L’AFPC n’a pas démontré comment son expertise pouvait aider la Cour à régler les questions soulevées par les parties — L’intérêt de l’AFPC était de nature « jurisprudentielle » — Cet intérêt seul ne peut justifier la demande d’intervention — À défaut de connaître le raisonnement de la juge des requêtes, on ne pouvait trouver aucune base sur laquelle elle pourrait avoir autorisé cette intervention sans tomber dans l’erreur — Appel accueilli.

    LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 11.

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 109.

    JURISPRUDENCE CITÉE

décisions citées :

Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 74 (1re inst.); Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 84 (1re inst.); Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 90 (C.A.); R. c. Bolton, [1976] 1 C.F. 252 (C.A.); Tioxide Canada Inc. c. Canada, [1994] A.C.F. no 634 (C.A.) (QL).

    APPEL d’un jugement interlocutoire de la Cour fédérale, Section de première instance accordant à l’Alliance de la Fonction publique du Canada l’autorisation d’intervenir dans les demandes de contrôle judiciaire relatives à une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (Syndicat canadien de la fonction publique (division du Transport Aérien) c. Lignes Aériennes Canadien International Ltée, [1998] D.C.D.P. n8 (QL)). Appel accueilli.

    ONT COMPARU

Peter M. Blaikie pour les appelantes.

Andrew J. Raven pour l’intimée, l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Heenan Blaikie, Montréal, pour les appelantes.

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne, Ottawa, pour l’intimée, l’Alliance de la Fonction publique du Canada.

    Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

[1]     Le juge Noël, J.C.A. : Cet appel porte sur un jugement interlocutoire de la Section de première instance, qui accordait à l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) l’autorisation d’intervenir dans les demandes de contrôle judiciaire présentées par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) et le Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) (SCFP). Ces demandes de contrôle judiciaire portent sur une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) [Syndicat canadien de la fonction publique (division du Transport Aérien) c. Lignes Aériennes Canadien International Ltée., [1998] D.C.D.P. no 8 (QL)] qui rejetait une plainte du SCFP, portant que les appelantes pratiquaient une politique salariale discriminatoire vis-à-vis leurs pilotes, agents de bord et membres du personnel des opérations techniques.

[2]     Dans sa décision, le Tribunal a notamment décidé que les employés susmentionnés d’Air Canada et des Lignes aériennes Canadien International Limitée (Canadien) travaillent dans des « établissements » distincts aux fins de l’article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), ch. H-6], puisqu’ils sont soumis à des politiques des salaires et du personnel différentes.

[3]     L’AFPC n’a pas demandé à intervenir dans les procédures devant le Tribunal.

[4]     La décision du Tribunal a été rendue le 15 decembre 1998. La Commission et le SCFP ont deposé des demandes de contrôle judiciaire le 15 janvier 1999. La demande d’autorisation d’intervenir de l’AFPC a été deposée le 6 mai 1999. La seule question visée par la demande d’intervention est celle de savoir si les agents de bord, pilotes et membres du personnel des opérations techniques à l’emploi d’Air Canada et de Canadien font partie d’un seul et même « établissement » aux fins de l’article 11 de la Loi.

[5]     L’ordonnance autorisant l’intervention de l’AFPC a été prononcée sans motifs, avec certaines conditions. EIle est redigée comme suit :

[traduction] L’Alliance de la Fonction publique du Canada (1’Alliance) est autorisée à intervenir comme suit :

a)   l’Alliance se verra signifier toute la documentation des autres parties;

b)   l’Alliance peut présenter son propre mémoire des faits et du droit au plus tard le 14 juin 1999, soit dans les 14 jours de la signification et du depôt des mémoires des faits et du droit des Lignes aériennes Canadien International Limitée et d’Air Canada, comme le précise l’ordonnance de M. le juge Lemieux en date du 9 mars 1999;

c)   le Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien), demandeur, la Commission canadienne des droits de la personne, demanderesse, les Lignes aérien­nes Canadien International, défenderesse, et Air Canada, défenderesse, peuvent déposer une réponse au mémoire des faits et du droit de l’Alliance au plus tard le 28 juin 1999, soit dans les 14 jours de la date de la signification du mémoire des faits et du droit de l’Alliance;

d)   le droit des parties de déposer une demande d’audience ne subira aucun retard du fait de l’intervention de l’Alliance dans ces procédures;

e)   l’Alliance sera consultée sur les dates de l’audience en l’instance;

f)   l’Alliance pourra présenter ses plaidoiries devant la Cour.

[6]     Pour réussir ici, les appelantes doivent démontrer que la juge des requêtes a mal interprété les faits ou qu’elle a commis une erreur de principe en accordant l’autorisation d’intervenir. Une cour d’appel n’interviendra pas dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un juge des requêtes simplement parce qu’elle aurait pu l’exercer différemment.

[7]     À ce sujet, l’avocat de l’AFPC souligne, à bon droit, que le fait que la juge des requêtes n’a pas motivé son ordonnance ne veut pas dire qu’elle ne s’est pas fondée sur des considérations pertinentes. Toutefois, ceci veut dire que notre Cour n’a pas l’avantage de connaître son raisonnement. Par conséquent, on ne peut déférer au processus mental qui l’a amenée à exercer son pouvoir discrétionnaire comme elle l’a fait.

[8]     On peut raisonnablement présumer que pour accorder l’autorisation d’intervenir, la juge des requêtes a dû considérer les facteurs suivants, qui ont été énoncés à la fois par les appelantes et par l’AFPC comme étant pertinents en l’instance1 :

1)   La personne qui se propose d’intervenir est-elle directement touchée par l’issue du litige?

2)   Y a-t-il une question qui est de la compétence des tribunaux ainsi qu’un véritable intérêt public?

3)   S’agit-il d’un cas ou il semble n’y avoir aucun autre moyen raisonnable ou efficace de soumettre la question à la Cour?

4)   La position de la personne qui se propose d’intervenir est-elle défendue adéquatement par l’une des parties au litige?

5)   L’intérêt de la justice sera-t-il mieux servi si l’intervention demandée est autorisée?

6)   La Cour peut-elle entendre l’affaire et statuer sur le fond sans autoriser l’intervention?

[9]     La juge devait aussi avoir eu à l’esprit la règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) [DORS/98-106], plus spécifiquement son paragraphe (2), qui fait que l’AFPC devait expliquer, dans sa requête, comment sa participation « aidera à la prise d’une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l’instance ».

[10]     Tout en acceptant le fait que l’AFPC a une expertise réelle dans le domaine de l’équité salariale, on note néanmoins au dossier que :

1.   l’AFPC ne représente personne à l’emploi de l’une ou l’autre des lignes aériennes appelantes;

2.   la décision du Tribunal ne renvoie à aucun litige auquel l’AFPC est partie;

3.   les motifs qui justifient l’autorisation d’intervenir accordée à l’AFPC sont exactement les mêmes que ceux qui seront soulevés par la Commission et par le SCFP;

4.   rien dans la documentation deposée par l’AFPC n’indique qu’elle se prépare à présenter une jurisprudence, des autorités, ou un point de vue que la Commission ou le SCFP ne pourraient pas, ou ne voudraient pas, présenter.

[11]     II est clair que l’intérêt le plus important de l’AFPC est de nature « jurisprudentielle »; elle s’inquiète du fait que si la décision du Tribunal est confirmée, il pourrait y avoir des répercussions sur les litiges portant sur l’équité salariale à l’avenir. Il est bien établi qu’une demande d’intervention ne peut se fonder uniquement sur un intérêt de cette nature2.

[12]     À part le fait de faire valoir son expertise dans le domaine de l’équité salariale, l’AFPC devait démontrer dans sa demande d’autorisation qu’elle apporterait quel-que chose de plus au débat que ce qui était déjà soumis à la Cour par les parties. Plus spécifiquement, elle devait démontrer de quelle façon son expertise pouvait aider la Cour à régler les questions soulevées par les parties. Elle n’en a rien fait. À défaut de connaître le raisonnement de la juge des requêtes, on ne peut trouver aucune base sur laquelle elle pourrait avoir autorisé cette intervention sans tomber dans l’erreur.

[13]     L’appel est accueilli, l’ordonnance de la juge des requêtes autorisant l’intervention est infirmée, la demande d’autorisation d’intervenir de l’AFPC est rejetée, et son mémoire des faits et du droit deposé le 14 juin 1999 est retiré du dossier. Les appelantes ont droit à leurs dépens.

1   Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 74 (1re inst.), aux p. 79 à 83; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 84 (1re inst.), à la p. 88; Rothmans, Benson & Hedges Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 1 C.F. 90 (C.A.).

2   Voir R. c. Bolton, [1976] 1 C.F. 252 (C.A.) (le juge en chef Jackett); Tioxide Canada Inc. c. Canada, [1994] A.C.F. no 634 (C.A.) (QL) (le juge d’appel Hugessen).

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