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IMM-1020-01

2002 CFPI 1207

Adrien Dambana Sungu et Mimie Likandja Mikembi (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (défenderesse)

Répertorié: Sungu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1re inst.)

Section de première instance, juge Blanchard-- Montréal, 18 juin; Ottawa, 22 novembre 2002.

Citoyenneté et Immigration -- Statut au Canada -- Réfugiés au sens de la Convention -- Les demandeurs ont allégué avoir un crainte bien fondée d'être persécutés dans leur pays d'origine du fait de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social -- Le demandeur a été exclu de la définition de réfugié en vertu de l'art. 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, parce qu'il aurait participé à des crimes contre l'humanité -- Examen des principes qui régissent l'exclusion et la complicité -- La section du statut de réfugié de la CISR a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve quant à la question de savoir si la crainte du demandeur d'être persécuté était raisonnable -- Elle a appliqué un principe inapproprié pour décider de la question de complicité.

Droit administratif -- Contrôle judiciaire -- Certiorari -- La section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'ont pas été en mesure de démontrer qu'ils avaient raison de craindre d'être persécutés s'ils devaient retourner dans leur pays d'origine -- Elle a commis une erreur en concluant à l'absence de crédibilité des demandeurs -- Les éléments de preuve quant à la crainte raisonnable de persécution et à l'exclusion du demandeur n'ont pas été examinés -- La section du statut de réfugié a appliqué le mauvais critère juridique en excluant le demandeur de la protection de la Convention -- La conclusion selon laquelle il n'y a aucun lien conjugal entre les demandeurs était manifestement déraisonnable.

Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui avait décidé que les demandeurs n'avaient pas démontré une crainte bien fondée de persécution et qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Les demandeurs, qui sont des citoyens de la République démocratique du Congo (RDC), ont allégué une crainte bien fondée de persécution dans leur pays du fait de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social, soit la famille de l'ancien président Mobutu. Le demandeur a été élu député de la ville de Kinshasa de 1982 à 1987. Par la suite, il a continué à servir le régime. Après le mariage de son frère avec la fille du président, il a travaillé en qualité d'analyste au bureau d'étude de stratégie politique de la présidence. En 1990, il a proposé un mouvement de réforme que les proches collaborateurs du président Mobutu n'ont pas apprécié. Cela lui a valu un isolement politique ainsi que 72 heures en résidence surveillée. Au cours de cette période, le demandeur a travaillé à conscientiser la population laborieuse marginalisée de l'Ubangi pour qu'elle puisse s'organiser politiquement. À l'arrivée de Kabila au pouvoir en 1997, le demandeur a été arrêté pour avoir porté atteinte à la sûreté intérieure de l'État en tant que membre du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR). Une fois relâché, on lui a interdit de quitter la ville de Kinshasa et d'avoir tout contact avec la plantation de la famille qu'il dirigeait. En mai 1999, il a été arrêté et détenu pendant quatre mois au cours desquels il a été torturé mentalement. Après avoir été libéré et, encore une fois repris et relâché, le demandeur a quitté le pays avec sa femme. La section du statut a rejeté la demande du revendicateur en concluant que le demandeur n'avait pas démontré une crainte bien fondée de persécution advenant son retour dans la RDC. Elle a également décidé que le témoignage des demandeurs n'était pas crédible et a fondé cette décision sur certaines contradictions et incohérences. De plus, le demandeur ne pouvait pas bénéficier du statut de réfugié au sens de la Convention en raison de l'application de l'alinéa 1Fa) de la Convention, pour sa complicité avec le régime de Mobutu et les «crimes contre l'humanité» qui ont été commis par ce régime. Quatre questions ont été soulevées: 1) la section du statut a-t- elle erré en concluant à l'absence de crédibilité des demandeurs? 2) a-t-elle tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait avant de conclure que les demandeurs n'avaient pas démontré une crainte bien fondée de persécution? 3) a-t-elle appliqué les principes de droit appropriés en décidant de l'exclusion du demandeur de l'application de la définition de réfugié au sens de la Convention? 4) a-t-elle tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait avant de conclure à l'exclusion du demandeur?

Jugement: la demande doit être accueillie.

1) Selon la preuve, il était déraisonnable pour la section du statut d'avoir conclu que le demandeur aurait dit qu'il n'était pas au courant des actes de torture sous le régime Mobutu. Par conséquent, elle a commis une erreur en concluant à l'absence de crédibilité du demandeur à ce sujet. La section du statut n'a pas retenu les explications du demandeur selon lesquelles des pages manquaient dans ses anciens passeports à cause d'une mauvaise fabrication, mais elle s'est plutôt fiée à des spécialistes qui disaient que les pages auraient été enlevées. Même si la section du statut pouvait conclure que les passeports avaient été modifiés de façon délibérée, cette conclusion, à elle seule, ne pouvait justifier le rejet de la revendication du demandeur. Ce n'était qu'un facteur devant être examiné et certes pas un facteur déterminant. Le demandeur ne s'est pas contredit par son témoignage lorsqu'il a dit qu'il n'était pas près de Mobutu, alors que dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), il avait écrit avoir rencontré Mobutu. Selon son témoignage, le demandeur n'aurait jamais dit qu'il était un proche de Mobutu. En concluant que le demandeur s'est contredit à ce sujet, la section du statut a commis une erreur dans son appréciation de la preuve. Sa conclusion selon laquelle le demandeur n'avait pas de crédibilité était manifestement déraisonnable.

2) Le demandeur a soutenu qu'il a été persécuté par le nouveau régime parce qu'il a été membre du MPR sous l'ancien régime et parce qu'il a continué à travailler au sein de ce parti malgré l'interdiction des activités politiques décrétée par le nouveau régime. Il a soutenu également que des membres de son parti, de son ethnie ou de sa province d'origine avaient participé à un mouvement de rébellion contre le nouveau régime. Dans son FRP, il a déclaré avoir été harcelé pendant une période de trois mois par les autorités du nouveau régime dès qu'il a pris le pouvoir. La section du statut n'a procédé à aucune analyse de ces éléments de preuve ni tiré aucune conclusion quant à la crainte raisonnable de persécution du demandeur dans ces circonstances. Il était essentiel de considérer les éléments de preuve et les prétentions du demandeur en ce qui a trait à sa crainte raisonnable de persécution sous le régime Kabila, ce qui n'a pas été fait. C'était une erreur révisable qui justifiait l'intervention de la Cour.

3) Dans la décision Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), la Cour d'appel fédérale a statué que le ministre avait le fardeau d'établir que le revendicateur était visé par l'une des clauses d'exclusion prévues par la Convention. La Cour a également énoncé les principes devant être suivis lorsque le ministre cherche à exclure l'intéressé de la protection de la Convention, en vertu de l'alinéa Fa) de l'article premier de celle-ci. La règle générale est que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux n'est pas suffisante pour que la disposition d'exclusion puisse être invoquée. Il y a une exception à cette règle générale, lorsque l'existence même de l'organisation en cause vise principalement des fins limitées et brutales, auquel cas il y a alors une présomption réfutable de complicité. Mais il est important, avant de donner lieu à cette présomption de complicité, de caractériser l'organisation au moyen d'une preuve indéniable. Le demandeur a été exclu de la protection de la Convention parce qu'il était un soi-disant «proche de Mobutu» et donc, coupable par association. Même si la preuve avait démontré (ce qu'elle n'a pas fait) que le demandeur était un «proche» de Mobutu, ce n'était pas un motif qui aurait pu justifier à lui seul l'exclusion du demandeur de la protection de la Convention. La section du statut a appliqué un principe inapproprié pour déterminer sa complicité, soit d'être «un homme suffisamment proche de Mobutu pour faire de lui un complice». Elle a commis une erreur révisable en concluant à l'exclusion du demandeur sans tenir compte des éléments dont elle disposait et en appliquant le mauvais critère juridique pour déterminer la complicité par association.

4) La section du statut a conclu que le demandeur ne pouvait pas bénéficier du statut de réfugié en raison de l'alinéa 1Fa) de la Convention, parce qu'il avait été complice de crimes contre l'humanité. Il a été reconnu que le régime Mobutu pratiquait la torture et était responsable de «crimes internationaux», mais que l'organisation ne poursuivait pas une fin limitée et brutale. Pour en venir à sa conclusion de complicité par association, la section du statut devait être convaincue en regard de la preuve que le complice «doit y avoir participé personnellement et sciemment». La complicité dans la perpétration d'une infraction repose sur l'intention commune. Le dossier a établi que le demandeur était au courant des crimes internationaux et des exactions du régime Mobutu. Le point déterminant sur la question de complicité était de savoir si le demandeur avait participé personnellement et sciemment à ces «crimes internationaux» et s'il y avait une intention commune. L'absence de pouvoir décisionnel n'est qu'un facteur parmi d'autres à considérer en matière de complicité. Il est aussi nécessaire de considérer les autres facteurs concernant les actions et activités du demandeur ainsi que le rôle qu'il aurait joué à l'époque au sein du régime. Il n'y avait aucune preuve que le demandeur, en tant que député, a participé à la promotion ou à la préparation de lois appuyant les objectifs criminels du régime Mobutu. Il ressort plutôt de son témoignage des éléments de preuve qui n'ont pas démontré qu'il partageait avec le régime Mobutu une «intention commune» en ce qui a trait à la perpétration de crimes contre l'humanité. Ces éléments de preuve allaient au-delà de l'association personnelle du demandeur avec Mobutu. Ils auraient dû être expressément analysés par la section du statut dans ses motifs au lieu d'être rejetés par suite d'une décision erronée de non-crédibilité.

La section du statut a décidé que la demanderesse n'avait présenté aucune preuve digne de foi à l'appui de sa revendication et a conclu qu'elle n'avait pas établi une crainte bien fondée de persécution. Elle n'a pas expliqué sa décision de n'accorder aucune valeur probante au témoignage de la demanderesse en ce qui a trait à son mariage en 1998. Elle n'a pas accepté l'explication de la demanderesse selon laquelle le certificat de mariage, daté de 1988, contenait une erreur de frappe. Cette explication était toutefois raisonnable, compte tenu de l'âge de la demanderesse (12 ans) à l'époque. La section du statut a donc commis une erreur en disant que la demanderesse n'avait présenté aucune preuve digne de foi. Deux des quatre incohérences de la demanderesse constatées par la section du statut, soit l'erreur de frappe de la date sur le certificat de mariage ainsi que l'erreur attribuable au changement d'adresse en RDC, ont mené la section du statut à des conclusions manifestement déraisonnables, compte tenu des explications données par la demanderesse. La conclusion de la section du statut selon laquelle il n'existait pas de lien conjugal entre les demandeurs était aussi manifestement déraisonnable. Les incohérences relevées par la section du statut n'ont aucun lien avec les aspects fondamentaux de la revendication de la demanderesse, à savoir sa crainte bien fondée de persécution dans son pays du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, soit la famille.

lois et règlements

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1Fa).

Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, art. 6(3),(4),(5).

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 19(1)l) (mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11), (1.1) (édicté, idem).

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 35(1)b), 74d), 190.

Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 16.

jurisprudence

décisions appliquées:

Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306; (1992), 89 D.L.R. (4th) 173; 135 N.R. 390 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433; (1993), 163 N.R. 197 (C.A.).

décisions examinées:

Penate c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79; (1993), 71 F.T.R. 171 (1re inst.); Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.).

décisions citées:

Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680; (1989), 57 D.L.R. (4th) 153 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298; (1993), 107 D.L.R. (4th) 424; 21 Imm. L.R. (2d) 221; 159 N.R. 210 (C.A.); Saridag c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 307 (C.F. 1re inst.); Gutierrez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 30 Imm. L.R. (2d) 106; 84 F.T.R. 227 (C.F. 1re inst.); Cardenas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 74 F.T.R. 214; 23 Imm. L.R. (2d) 244 (C.F. 1re inst.); Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199; 130 N.R. 236 (C.A.F.).

DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié selon laquelle les demandeurs n'avaient pas démontré une crainte bien fondée de persécution et ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Demande accueillie.

ont comparu:

Jean-Michel Montbriand pour les demandeurs.

François Joyal pour la défenderesse.

avocats inscrits au dossier:

Doyon, Guertin, Montbriand et Plamondon, Montréal, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.

Voici les motifs de l'ordonnance et ordonnance rendus en français par

[1]Le juge Blanchard: M. Adrien Dambana (le demandeur) et son épouse Mme Mimie Likandja (la demanderesse) sont des citoyens de la République démocratique du Congo et ils allèguent avoir une crainte bien fondée de persécution dans leur pays en raison de leur opinion politique et de leur appartenance à un groupe social particulier soit la famille. Mme Likandja a basé sa revendication sur celle de son époux M. Dambana. Ils demandent un contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la section du statut) rendue le 6 février 2001 [C.R.B. (Re), [2001] D.S.S.R. no 356 (QL)].

[2]Dans cette décision, il a été déterminé que les demandeurs n'avaient pas démontré une crainte bien fondée de persécution et n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention). La section du statut a fondé cette détermination sur le fait que les demandeurs n'étaient pas crédibles. De plus, la section du statut a jugé que le demandeur était exclu de la définition de réfugié, en application de l'alinéa 1Fa) de la Convention, estimant qu'il avait commis, à titre de complice, des crimes contre l'humanité.

[3]Il est utile de reproduire la partie pertinente de l'alinéa F de l'article premier de la Convention.

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:

a)     qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

EXPOSÉ DES FAITS

[4]Le demandeur est né le 25 avril 1956 et la demanderesse, le 2 mai 1976 à Kinshasa. Le demandeur affirme avoir été élu député de la ville de Kinshasa de 1982 à 1987. En 1987, il s'est de nouveau porté candidat, mais n'a pas été réélu. De 1987 à 1990, le demandeur est resté cadre effectif, non rémunéré, au sein du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR).

[5]Le demandeur, après sa défaite électorale, a continué de servir le régime. En tant que député «honoraire» et membre d'un comité politico-judiciaire, il a fait partie de missions étrangères à Bruxelles, en France et au Portugal. De plus, lorsqu'il était député, le demandeur a participé à une sous-commission portant sur la défense et la sécurité nationales.

[6]Dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur déclare qu'après le mariage de son frère Jean-Jacques Dambana Azuda avec la fille du président Mobutu le 14 avril 1990, (d'où son appartenance au groupe particulier, la famille de l'ex-président Mobutu), il a été affecté au bureau d'étude de stratégie politique de la présidence en qualité d'analyste. Son travail consistait à faire rapport de ce qui se passait sur la scène nationale. Il est demeuré en fonction jusqu'en décembre 1992. Le demandeur était aussi «Commandeur de l'ordre du Léopard», titre honorifique accordé par le président Mobutu en raison de contributions particulières à l'État. Selon le demandeur, tous les députés sont automatiquement membres de l'ordre du Léopard.

[7]Lorsque Mobutu a annoncé le retour à un processus politique démocratique le 24 avril 1990, le demandeur allègue avoir eu l'idée de «lancer un courant réformateur basé sur l'alternance par un changement radical de façon à gérer la chose publique par le débat contradictoire, l'expression libérale et indépendante.» Selon le demandeur, les proches collaborateurs de Mobutu n'ont pas apprécié cette idée, ce qui lui aurait valu un isolement politique et 72 heures en résidence surveillée par le Service national d'intelligence et de protection.

[8]Pendant cette période d'isolement, le demandeur écrit dans son FRP qu'il se serait «consacré à sensibiliser et conscientiser la population laborieuse marginalisée de l'Ubangi dans sa globalité pour qu'elle puisse s'organiser politiquement de manière à atteindre ses aspirations. Cette population est estimée à deux millions d'âmes dans la Province de l'Équateur.» Selon le demandeur, il aurait aussi participé aux activités de la Croix-Rouge et se serait consacré à l'administration de la plantation familiale durant cette période.

[9]C'est en 1996, alors que le gouvernement de Mobutu connaissait des difficultés, que le demandeur fut invité par le président à une grande réunion politique pour qu'il puisse exposer ses projets de réforme. D'autres réformateurs avaient aussi été invités. À cette réunion, le demandeur allègue avoir eu le courage de dénoncer certaines pratiques antidémocratiques du parti et, entre autres, de suggérer que certains généraux des Forces armées soient mis à la retraite et de ne garder que les colonels et la nouvelle génération militaire formés à l'étranger afin de réformer l'Armée. Le demandeur affirme que le président Mobutu était ouvert à son idée, mais que rien ne fut exécuté parce que Mobutu a été frappé du cancer et traité en Europe pendant quelques mois.

[10]Lors du retour de Mobutu au pays, les réformateurs, incluant le demandeur, auraient proposé au président de démissionner et «de demander pardon au peuple pour le mal sous sa responsabilité».

[11]Selon le demandeur, à l'arrivée de Kabila au pouvoir en 1997, il aurait été arrêté par le Département de la sûreté extérieure pour avoir porté atteinte à la sûreté intérieure de l'État en tant que membre du MPR. Relâché, il aurait été convoqué par la 50e Brigade du Camp Luano de Joli-Parc et par l'Agence nationale de renseignement. Il reçut l'interdiction de quitter la ville de Kinshasa et d'avoir tout contact avec la plantation de la famille qu'il dirigeait à Budsala. En 1998, la plantation fut pillée par les Forces de Kabila.

[12]Le demandeur soutient qu'il a tout de même continué son combat politique au sein de son parti.

[13]Le 17 mai 1999, la résidence du demandeur aurait été encerclée par la police d'intervention rapide pour des motifs politiques. La maison aurait fait l'objet de perquisition et aurait été pillée. Par la suite, le demandeur aurait été arrêté et transféré à l'État-major, section Bruza/Pigeon IPN à la résidence Litho Moboti où il aurait passé quatre mois dans une chambre de la villa en question. Pendant cette détention, le demandeur allègue avoir été torturé mentalement.

[14]Le demandeur aurait été libéré le 20 septembre 1999, repris le 5 octobre 1999, et relâché le 30 octobre 1999. Après ces incidents, le demandeur et son épouse ont décidé de quitter la République démocratique du Congo. Ils ont quitté le pays le 20 mars 2000 pour arriver au Canada le 22 mars 2000. Les demandeurs ont réclamé le statut de réfugié le 22 mars 2000.

DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT

[15]En rejetant la demande du revendicateur, la section du statut a conclu que le demandeur n'avait pas démontré avoir une crainte bien fondée de persécution advenant son retour dans la République démocratique du Congo. La section du statut a également déterminé que le témoignage des demandeurs n'était pas crédible et a fondé cette détermination sur certaines contradictions et incohérences. De plus, le tribunal a jugé que le demandeur ne pouvait de toute façon pas bénéficier du statut de réfugié au sens de la Convention en application de l'alinéa 1Fa) de celle-ci, pour sa complicité avec le régime de Mobutu et les «crimes contre l'humanité» qui ont été commis par ce régime.

[16]Quant à la demanderesse, ayant déterminé que son témoignage n'était pas crédible, la section du statut a conclu qu'elle n'avait présenté aucune preuve digne de foi à l'appui de sa revendication et qu'elle n'avait «pas établi une crainte bien fondée de persécution au sens de l'arrêt Adjei» (Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.)).

QUESTIONS EN LITIGE

[17]Il y a quatre questions d'importance à être considérées dans ce contrôle judiciaire. Premièrement, est-ce que la section du statut a erré en concluant à la non-crédibilité des demandeurs? Deuxièmement, est-ce que la section du statut a tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait avant de considérer que les demandeurs n'avaient pas démontré une crainte bien fondée de persécution? Troisièmement, est-ce que la section du statut a appliqué les principes de droit appropriés en déterminant l'exclusion du demandeur de l'application de la définition de réfugié au sens de la Convention? Et quatrièmement, est-ce que la section du statut a tenu compte des éléments de preuve dont elle disposait avant de conclure à l'exclusion du demandeur?

ANALYSE

La crédibilité du demandeur et l'inclusion

[18]La section du statut a déterminé que le demandeur n'était pas crédible en ce qui concerne sa connaissance des actes de torture ainsi que son témoignage sur les pages arrachées de ses passeports diplomatiques.

[19]La section du statut a affirmé que le demandeur aurait prétendu ne pas être au courant que des personnes avaient été torturées sous le régime Mobutu. À mon avis, cette constatation n'est pas fondée au regard de la preuve au dossier. La transcription de l'audience révèle que le demandeur aurait d'abord dit n'avoir jamais été témoin de cas de torture. Selon son témoignage, il aurait ensuite dit avoir entendu parler de ces cas dans la presse internationale ainsi qu'à la Radio France Internationale. Je reproduis les extraits pertinents de la transcription de l'audience aux pages 676 à 679:

Q.     [. . .] avant que vous veniez député au gouvernement de monsieur Mobutu, vous saviez qu'il y avait des exactions [. . .]

R.     Mais, il [. . .]

Q.     [. . .] qui étaient commises par ce même gouvernement?

R.     Oui, il y en avait.

    [. . .]

PAR L'AGENTE CHARGÉE DE LA REVENDICATION (à la personne en cause no 1)

Q.     Qu'est ce qui arrivait exactement à ces opposants, lorsqu'ils étaient arrêtés, Monsieur, à votre connaissance?

R.     Ah, mais je savais, la plupart d'eux on les emprisonnait.

Q.     Qu'est-ce qui leur arrivait en prison, Monsieur, à votre connaissance?

R.     Ça je ne pouvais pas dire amplement. Je savais qu'ils étaient arrêtés. Il y en a même qui ont quitté le pays à l'époque, ça c'est connu de tout le monde.

-     Il était aussi connu de tout le monde, Monsieur, qu'ils étaient torturés.

Q.     Vous ne le saviez pas vous, Monsieur, considérant le [. . .]

R.     Ça je ne peux pas dire [. . .]

Q.     [. . .] poste que vous avez?

R.     [. . .] quelque chose que je n'ai pas vu, mais je sais au moins que les opposi [. . .] les opposants étaient arrêtés.

    [. . .]

Q.     Si j'ai bien compris, Monsieur, avant que vous deveniez député du MPR, vous savez, vous saviez qu'il y avait des exactions? Qu'est-ce que ça veut dire exactement Monsieur ça?

R.     Mais il y en avait, il y en avait.

Q.     Qu'est-ce que ça veut dire exactement exactions, Monsieur? Expliquez-nous?

R.     Exactions?

-     Oui et alors, on les arrêtaient simplement, puis on mettait ces gens-là en détention, c'est tout.

R.     Je ne le sais, on les arrêtait. Ça c'est connu de tout le monde, oui.

PAR LE REPRÉSENTANT DE LA MINISTRE (à la personne en cause no 1)

-     Vous saviez que les gens étaient arrêtés, mis en prison.

Q     Mais vous ne saviez pas ce qui se passait dans les prisons?

R.     Ça je ne sais pas.

Q.     Vous avez jamais entendu parler, à ce moment-là, de ce qui se passait dans les prisons?

R.     Mais, ça je ne sais pas.

PAR L'AGENTE CHARGÉE DE LA REVENDICATION (à la personne en cause no 1)

Q.     Est-ce que c'était connu dans la population, Monsieur, ce qui se passait en prison?

R.     Pardon?

Q.     Dans la population, en général, à votre connaissance, est-ce qu'il était connu ce qui se passait en prison?

R.     Bien certainement, à partir (inaudible), à partir des membres. S'il y a eu des membres de la famille qui ont été arrêtés. Mais moi, à ma connaissance, je ne sais pas dire quelque chose (inaudible).

Q.     Est-ce que vous avez déjà été curieux de savoir ce qui arrivait à ces gens qui étaient arrêtés?

R.     La curiosité comme telle, pas du tout, bien on apprenait ça par la presse de la commu [. . .] la presse internationale.

PAR LE REPRÉSENTANT DE LA MINISTRE (à la personne en cause no 1)

Q.     Qu'est-ce que vous appreniez par la presse internationale?

R.     (Inaudible) tortures, exactions du régime Mobutu, ça on a appris par la presse internationale. [Je souligne.]

[20]Compte tenu de cette preuve et malgré le constat d'une certaine réticence de la part du demandeur dans son témoignage, je suis d'avis qu'il était déraisonnable pour la section du statut de conclure que le demandeur aurait dit qu'il n'était pas au courant des actes de torture sous le régime Mobutu. La section du statut a donc erré en minant la crédibilité du demandeur en concluant comme elle l'a fait.

[21]La section du statut n'a pas retenu les explications du demandeur à l'effet que des pages manquaient dans ses anciens passeports à cause d'une mauvaise fabrication. La section du statut s'est plutôt fié à l'expertise de spécialistes qui disaient que les pages auraient été enlevées. La section du statut a déterminé que cette partie du témoignage du demandeur a grandement miné sa crédibilité.

[22]Je constate que les anciens passeports datent respectivement de 1986 et 1992. La revendication du demandeur se fonde essentiellement sur des événements ayant eu lieu de 1997 à 1999. Alors, même si je déterminais qu'il était loisible à la section du statut de conclure que les passeports avaient été altérés de façon délibérée, cette détermination, à elle seule, ne peut justifier le rejet de la revendication. Ce n'est qu'un facteur à être considéré et certes pas un facteur déterminant.

[23]La section du statut reproche aussi au demandeur de s'être contredit dans son témoignage lorsqu'il aurait dit qu'il n'était pas près de Mobutu, alors que dans son FRP, il a écrit avoir rencontré Mobutu. Le fait d'avoir eu un entretien avec Mobutu avec d'autres réformateurs ne mène pas nécessairement à la conclusion que le demandeur est un «proche de Mobutu». Je n'y constate pas une contradiction. Je suis d'avis que cette contradiction déterminée par la section du statut n'est pas fondée au regard de la preuve. Selon son témoignage, le demandeur n'aurait jamais dit qu'il était un proche de Mobutu. La section du statut en a inféré autant, et ce, de l'ensemble de la preuve. Même si on voyait là une inférence raisonnable de la part de la section du statut, je ne vois pas comment on pourrait conclure que le demandeur s'est contredit à ce sujet. Je suis d'avis que la section du statut a erré dans son appréciation de la preuve en concluant ainsi.

[24]Je détermine donc, pour ces motifs, que la conclusion de la section du statut à l'effet que le demandeur est non crédible est manifestement déraisonnable.

[25]De surcroît, le demandeur soutient qu'il fut persécuté par le nouveau régime dit de «Kabila» parce qu'il a été membre du MPR sous l'ancien régime, parce qu'il a continué d'oeuvrer au sein de ce parti malgré l'interdiction des activités politiques décrétée par ce nouveau régime. Le demandeur soutient également que des membres de son parti ou de son ethnie ou de sa province d'origine participent depuis août 1998 dans un mouvement de rébellion contre ledit nouveau régime de «Kabila». Dans son FRP, le demandeur déclare dès l'avènement du nouveau régime de «Kabila» avoir été harcelé pour une période de trois mois par les autorités du nouveau régime. Il subit des convocations répétées avec interdictions de quitter la ville de Kinshasa et interdiction de contact avec la plantation familiale qu'il dirigeait. En 1998, cette plantation fut pillée par les Forces de Kabila. Enfin, sa détention dans la résidence de Litho Moboti où il allègue avoir été «torturé mentalement». La section du statut n'a procédé à aucune analyse de ces éléments de preuve ni tiré aucune conclusion quant à la crainte raisonnable de persécution du demandeur dans ces circonstances.

[26]Compte tenu de ma détermination subséquente dans ces motifs, à l'effet que la section du statut a erré en concluant à l'exclusion du demandeur, je suis d'avis qu'il était essentiel de considérer les éléments de preuve et les prétentions du demandeur en ce qui a trait à sa crainte raisonnable de persécution sous le régime Kabila, ce qui n'a pas été fait. À mon avis, c'est une erreur révisable qui mérite l'intervention de cette Cour.

L'exclusion--La loi

[27]Dans la décision Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), M. le juge MacGuigan a fait remarquer que le ministre avait le fardeau d'établir que le revendicateur était visé par l'une des clauses d'exclusion prévues par la Convention, à la page 314:

La question de savoir qui assume le fardeau de la preuve n'est pas en litige. Les deux parties s'entendent sur le fait que c'est à la partie qui invoque l'existence de raisons sérieuses de penser que des infractions internationales ont été commises qu'il incombe de les prouver, c'est-à-dire l'intimé. En plus d'éviter aux demandeurs d'avoir à prouver un élément négatif, cette attribution du fardeau est également conforme à l'alinéa 19(1)j) de la Loi, qui impose au gouvernement la charge de démontrer qu'il a des motifs raisonnables d'exclure les demandeurs. Pour toutes ces raisons, la procédure appliquée au Canada exige que le gouvernement assume la charge de la preuve et que la norme de preuve soit moindre que la prépondérance des probabilités.

[28]Le juge MacGuigan a ensuite dit que l'emploi du mot «commis» figurant dans la Convention comporte un élément moral. Il a décrit cet élément moral comme suit aux pages 316 et 317:

En partant de la prémisse qu'une interprétation faisant intervenir la mens rea est nécessaire, j'estime que le critère de la «forme d'activité personnelle de persécution», pris comme comportant un élément moral ou une connaissance, constitue une indication utile de la mens rea dans ce contexte. À l'évidence, personne ne peut avoir «commis» des crimes internationaux sans qu'il n'y ait eu un certain degré de participation personnelle et consciente.

[29]Toujours dans l'arrêt Ramirez, supra, la Cour d'appel fédérale a énoncé les principes devant être suivis lorsque le ministre cherche à exclure l'intéressé de la protection de la Convention, suite à l'application de l'alinéa Fa) de l'article premier de celle-ci. Les principes suivants sont applicables en l'espèce:

a) le ministre a toujours la charge d'établir sur le plan juridique que le revendicateur est complice des crimes internationaux;

b) le fardeau de la preuve est moindre que la prépondérance des probabilités;

c) en règle générale, la «simple appartenance» à une organisation mêlée à la perpétration de crimes internationaux n'est pas suffisante pour exclure l'intéressé; (sauf là où il est établi que l'existence même de l'organisation en cause vise principalement des fins limitées et brutales).

d) la complicité exige la «participation personnelle et consciente» du revendicateur à la perpétration des crimes internationaux; et

e) la complicité se fonde sur l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont.

[30]La règle générale reconnue par la jurisprudence de cette Cour (Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.)) est que la simple appartenance à une organisation impliquée dans la perpétration de crimes internationaux ne permet pas d'invoquer la disposition d'exclusion. La règle générale connaît cependant une exception lorsque l'existence même de l'organisation en cause vise principalement des fins limitées et brutales. Il y a alors une présomption réfutable de complicité (Saridag c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 85 F.T.R. 307 (C.F. 1re inst.)). C'est pourquoi, dans de telles circonstances, il est important, avant de donner lieu à cette présomption de complicité, de caractériser l'organisation avec une preuve indéniable.

[31]La question de complicité a aussi été considérée par Mme le juge Reed dans l'arrêt Penate c. Canada (Ministre de la l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 2 C.F. 79 (1re inst.). Suite à une analyse des arrêts Ramirez, supra, Moreno, supra, et Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), le juge Reed a conclu ainsi aux pages 84 et 85:

Selon mon interprétation de la jurisprudence, sera considéré comme complice quiconque fait partie du groupe persécuteur, qui a connaissance des actes accomplis par ce groupe, et qui ne prend pas de mesures pour les empêcher (s'il peut le faire) ni ne se dissocie du groupe à la première occasion (compte tenu de sa propre sécurité), mais qui l'appuie activement. On voit là une intention commune. Je fais remarquer que la jurisprudence susmentionnée ne vise pas des infractions internationales isolées, mais la situation où la perpétration de ces infractions fait continûment et régulièrement partie de l'opération.

[32]Également, dans Sivakumar, supra, la Cour d'appel, s'appuyant sur Ramirez, supra, a précisé qu'une personne peut être considérée «complice par association» et a énoncé les principes suivants:

- La complicité par association s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres et ce, en raison de son association étroite avec les auteurs principaux.

- En outre la complicité d'un individu dans des crimes internationaux est d'autant plus probable lorsqu'il occupe des fonctions importantes dans l'organisation qui les a commis. Plus l'intéressé se trouve aux échelons supérieurs de l'organisation, plus il est vraisemblable qu'il était au courant du crime et partageait le but poursuivi par l'organisation dans la perpétration de celui-ci.

- Dans ces conditions, un facteur important à prendre en considération est la preuve que l'individu s'est opposé au crime ou a essayé d'en prévenir la perpétration ou de se retirer de l'organisation.

- L'association avec une organisation responsable de la perpétration de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement participé à ces crimes ou les a sciemment tolérés.

[33]Par ailleurs, dans l'arrêt Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282, la Cour d'appel a établi qu'une «participation personnelle et consciente» peut être directe ou indirecte et ne requiert pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais qu'il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'une crime international s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

L'exclusion

[34]En l'espèce, la section du statut a déterminé que le demandeur ne pouvait bénéficier du statut de réfugié en vertu de l'alinéa 1Fa) de la Convention. Elle a estimé qu'il avait commis, à titre de complice, des crimes contre l'humanité. Elle s'est fondée notamment sur la conclusion que le demandeur était suffisamment proche de l'ex-président Mobutu pour faire de lui un complice de son régime.

[35]Avant de procéder avec cette analyse en l'espèce, il est important de faire deux constatations: premièrement, il n'est pas contesté que le régime Mobutu pratiquait la torture et était responsable de «crimes internationaux». Ces actes de torture sont visés par la définition de crimes contre l'humanité en tant qu'«actes inhumains commis contre la population civile ou un groupe identifiable de personnes» au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24. (Alinéa 35(1)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi).) Je suis donc satisfait que la preuve documentaire devant la section du statut lui permettait de raisonnablement conclure ainsi.

[36]En deuxième lieu, en l'espèce, l'organisation, le régime Mobutu, n'a pas été caractérisé comme étant une «organisation poursuivant une fin limitée et brutale». Alors, il n'y a pas lieu d'appliquer la présomption qui verrait le demandeur exclu uniquement en vertu de son appartenance à une telle organisation. En l'espèce, la caractérisation de l'association n'a pas été faite par la section du statut et, à mon avis, n'est pas essentielle dans les circonstances.

[37]Alors, pour en venir à sa conclusion de complicité par association, la section du statut devait donc être satisfaite au regard de la preuve que le complice «doit y avoir participé» personnellement et sciemment. La complicité dans la perpétration d'une infraction repose sur l'intention commune. (Penate, supra, à la page 84.)

[38]Dans ses motifs la section du statut a déterminé que «Le demandeur avait connaissance personnelle et consciente de ces actes (crimes internationaux); de par son poste, il ne pouvait ignorer ou être inconscient des actions commises par le régime dont il faisait partie.»

[39]La preuve établit clairement que le demandeur était au courant des crimes internationaux et des exactions du régime Mobutu. Je reprends l'interrogatoire du demandeur lors de l'audience du 11 août 2000 aux pages 679 et 680:

PAR LE REPRÉSENTANT DE LA MINISTRE (à la personne en cause no 1)

Q.     Qu'est-ce que vous appreniez par la presse internationale?

R.     (Inaudible) tortures, exactions du régime Mobutu, ça, on a appris par la presse internationale.

PAR L'AGENTE CHARGÉE DE LA REVENDICATION (à la personne en cause no 1)

Q.     Quand avez-vous appris ça. Monsieur?

R.     Mais pendant, pendant, pendant notre législature, on le suivant par la [. . .] on le suivait par la RFI.

Q.     Quand exactement Monsieur? Quand?

R.     Pendant que Mobutu était là, jusqu'au moins 90, avant la proclamation du processus démocratique au mois d'avril 90.

Q.     Donc, vous le saviez [. . .]

R.     Je ne peux pas dire avec exactitude, mais cela se passait.

Q.     Pendant que vous étiez député est-ce que vous avez lu dans la presse internationale qu'il y avait de la torture qui était pratiquée par?

R.     Oui, par ceux qui détenaient le pouvoir, notamment l'armée, le service de sécurité.

Q.     Donc, vous étiez au courant?

R.     Oui.

-     Merci.

[40]Alors, en l'espèce, le point déterminant sur la question de complicité qui justifierait l'exclusion est de savoir si le demandeur avait participé personnellement et sciemment à ces «crimes internationaux» et s'il y avait une intention commune.

[41]Le demandeur soumet qu'il n'était qu'un simple député avec aucun pouvoir décisionnel en tant que membre de la composante législative du gouvernement. À ce sujet, la défenderesse fait remarquer que la preuve documentaire établit que les députés étaient d'abord élus par le MPR et ensuite soumis à l'approbation populaire. Elle maintient qu'en matière de complicité, le critère applicable est celui de la participation personnelle et consciente. L'absence de pouvoir décisionnel n'est qu'un facteur parmi d'autres à considérer. La défenderesse soutient par ailleurs que la notion de complicité a été développée justement pour couvrir le cas des personnes qui n'ont pas de pouvoir décisionnel mais qui, en raison de leur association avec ceux qui en ont, peuvent quand même être considérées comme étant coupables, et elle cite Gutierrez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 30 Imm. L.R. (2d) 106 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 30:

Les arrêts Sivakumar et Penate portaient sur des situations dans lesquelles la personne en cause avait occupé, au sein de l'organisation, divers postes de direction, mais une personne occupant un poste subalterne peut également être considérée comme ayant partagé un objectif commun avec l'organisation si elle continue à en faire partie après avoir appris que des infractions internationales sont commises par ceux qui participent aux activités de l'organisation et qu'elle ne quitte pas l'organisation à la première occasion.

[42]Je suis en accord avec les soumissions du défendeur à l'effet que l'absence du pouvoir décisionnel n'est qu'un facteur parmi d'autres à considérer en matière de complicité. À mon avis, il est aussi nécessaire de considérer les autres facteurs concernant les agissements et activités du demandeur ainsi que le rôle qu'il aurait joué à l'époque au sein du régime.

[43]La preuve démontre qu'après avoir perdu ses élections, le demandeur a accepté de servir au bureau du président de la république en qualité d'analyste chargé d'étude de stratégies politiques de la présidence. Cette affectation est survenue à une époque où le demandeur était conscient des actes criminels commis par le régime Mobutu. Il fut personnellement désigné par le président Mobutu. On constate aussi que 10 jours après cette affectation, le Régime annonçait le retour à un processus politique démocratique. Selon le demandeur, il était l'instigateur de ce processus qui lui aurait valu un isolement politique et la perte éventuelle de son poste.

[44]Le demandeur soumet que la composante législative et les personnes membres d'un parti politique ne sont généralement pas ciblées par la clause d'exclusion puisque ces derniers ne prennent pas part aux processus décisionnels pour commettre des crimes contre l'humanité. Selon le demandeur, cette réalité est reflétée dans la Loi notamment, l'alinéa 19(1)l) [mod. par L.C. 1992, ch. 49, art. 11] et le paragraphe 19(1.1) [édicté, idem] de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), c. I-2, qui en vertu de l'article 190 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés se trouvent essentiellement reproduits à l'alinéa 35(1)b) de ladite Loi et à l'article 16 des Règlements de la même Loi [Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227], que je reproduis ci-dessous.

    Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

35. (1) Emportent interdiction de territoire pour atteinte aux droits humains ou internationaux les fait suivants:

    [. . .]

b) occuper un poste de rang supérieur--au sens du règlement--au sein d'un gouvernement qui, de l'avis du ministre, se livre ou s'est livré au terrorisme, à des violations graves ou répétées des droits de la personne ou commet ou a commis un génocide, un crime contre l'humanité ou un crime de guerre au sens des paragraphes 6(3) à (5) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre;

Règlement sur l'immigration et la protection

des réfugiés

16. Pour l'application de l'alinéa 35(1)b) de la Loi, occupent un poste de rang supérieur au sein d'une administration les personnes qui, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, sont ou étaient en mesure d'influencer sensiblement l'exercice du pouvoir par leur gouvernement ou en tirent ou auraient pu en tirer certains avantages, notamment:

a) le chef d'État ou le chef du gouvernement;

b) les membres du cabinet ou du conseil exécutif;

c) les principaux conseillers des personnes visées aux alinéas a) et b);

d) les hauts fonctionnaires;

e) les responsables des forces armées et des services de renseignement ou de sécurité intérieure;

f) les ambassadeurs et les membres du service diplomatique de haut rang;

g) les juges.

[45]En l'espèce, le poste qu'occupait le demandeur à l'époque, notamment celui de député, ne figure pas à la liste énumérée à l'article 16 du Règlement. De là on peut conclure que les députés ne sont pas des personnes qui, du fait de leurs actuelles ou anciennes fonctions, sont ou étaient nécessairement des personnes en mesure d'influencer sensiblement l'exercice du pouvoir de leur gouvernement. Cela n'empêche pas une situation où une telle influence pourrait être établie à la lumière de la preuve, si il y a lieu.

[46]Dans son témoignage, le demandeur a fait état de la structure gouvernementale de la République démocratique du Congo à l'époque où il était député. Il a témoigné que, en tant que député, il n'avait aucune participation dans la sphère du pouvoir. Aux pages 630 et 631 et 664 de la transcription de l'audience, il a dit:

Je veux porter une précision. Quand je parle, rien à me reprocher, c'est-à-dire moi j'ai évolué dans l'organe législatif du parti. Je ne faisais pas partie dans l'organe exécutif. De toute façon exécutif, j'entends par là le gouvernement, les fonctions du gouverneur, des provinces, c'est-à-dire les gens qui, qui, qui [. . .] qui ont eu à assumer les fonctions exécutives dont je viens de citer et s'ils avaient quelque chose à se faire reprocher, et ce n'est que normal pour leur sécurité, ils ont quitté le pays.

[. . .]

C'est parce que le pouvoir législatif n'était pas le pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif c'était le gouvernement, c'est le pouvoir exécutif qui était chargé d'exécuter les, bonne lois qui étaient prises à l'époque. Mais le gouver [. . .] le conseil exécutif ne le faisait pas.

Bien qu'il siégeait sur un sous-comité judiciaire et de la défense nationale, le demandeur dit n'avoir eu aucun lien et joué aucun rôle avec les forces de sécurité. Il a aussi témoigné qu'en sa qualité de député et membre de la sous-commission de l'intérieur et de la défense nationale, il était mandaté de circuler à travers le pays et préparer des rapports qui éventuellement étaient remis au Parlement. Selon le demandeur, ces rapports, en plus de traiter de problèmes quotidiens de santé et de problèmes de transport, traitaient aussi des problèmes qui se rapportaient à la sécurité des biens et des personnes. Il a témoigné aussi à la page 675 de la transcription de l'audience:

Les rapports étaient le changement de comportement vis-à-vis des agents de l'ordre, pour ne pas commettre des exactions vis-à-vis de la population civile.

[47]Par ailleurs, il n'y a aucune preuve pour démontrer que le demandeur en tant que député a participé à la promotion ou à la préparation de lois appuyant les objectifs criminels du régime Mobutu. Il ressort plutôt du témoignage du demandeur des éléments de preuve qui, à mon avis, ne démontrent pas que le demandeur partageait avec le régime Mobutu une «intention commune» en ce qui a trait à la perpétration de crimes contre l'humanité, notamment:

a) le demandeur a été élu député en 1982 et siégeait avec aucun pouvoir décisionnel ou exécutif;

b) en tant que membre de comités parlementaires, il préparait des rapports en vue d'améliorer le quotidien de la population, y inclus des rapports affectant des agents de l'ordre ainsi que des exactions vis-à-vis la population civile;

c) peu après avoir été nommé analyste au bureau de la présidence, il lance l'idée d'un courant réformateur au sein du parti, idée qui est accueillie par le Régime;

d) ce mouvement n'a pas été apprécié par les proches collaborateurs de Mobutu et le demandeur, par la suite, a été intimidé, menacé, isolé politiquement et même mis en résidence surveillée pour enfin perdre son poste au bureau de la présidence en décembre 1992;

e) par la suite, tout en continuant de faire valoir l'opportunité de réforme, il s'est notamment consacré à la Croix-Rouge et à l'administration de sa plantation familiale;

f) en 1996, le régime Mobutu allant clairement à sa perte sans changements, le demandeur fut invité à exposer ses projets de réforme au président. C'est à cette occasion qu'il a dénoncé la pratique antidémocratique du régime;

g) ces discussions avec les dirigeants n'ont pas eu de suite vu le cancer qui a ensuite affecté Mobutu;

h) en décembre 1996, après le retour de Mobutu qui avait été à l'étranger pour des traitements, et alors que le pays était attaqué par les rebelles de Kabila (qui remportera finalement la victoire en mai 1997), le groupe de réformateurs, y inclus le demandeur, a suggéré à Mobutu de démissionner afin de trouver une solution à cette rébellion qui faisait de son renversement l'objectif idéologique principal des réformateurs.

[48]Cette preuve n'attribue aucunement au demandeur une «intention commune» à la perpétration de crimes contre l'humanité de concert avec le régime Mobutu. Entre autres, la preuve établissait que le demandeur dénonçait les pratiques antidémocratiques du régime, et une preuve non contestée établissait également que le demandeur aurait perdu son poste du bureau de la présidence et aurait été isolé en raison de ses idées de réforme.

[49]La section du statut rejette plusieurs de ces éléments de preuve en se basant sur certaines incohérences et contradictions erronées constatées plus tôt dans ses motifs. À mon avis, les éléments de preuve mentionnés ci-haut vont au-delà de l'association personnelle du demandeur avec Mobutu. Cette preuve pourrait avoir une incidence sur la question de l'exclusion et particulièrement celle de savoir si le demandeur avait une intention commune avec le régime totalitaire responsable de ces «crimes contre l'humanité» et si celui-ci appuyait activement les actes commis par le régime. Ces éléments de preuve auraient dû être expressément analysés par la section du statut dans ses motifs au lieu d'être rejetés sur la base d'une détermination erronée de non-crédibilité.

[50]Bien que la section du statut ait touché à ces éléments de preuve dans ses motifs, il semblerait que ce qui aurait motivé la section du statut à conclure à l'exclusion du demandeur serait sa détermination que le demandeur était «un homme suffisamment proche de Mobutu pour faire de lui un complice de ce régime responsable de "crimes contre l'humanité"». Il est utile de reproduire le raisonnement de la section du statut qui se rapporte à cette détermination, aux paragraphes 17 à 21:

Dans son FRP, le demandeur a déclaré:

«Mobutu m'invite à Gemana [. . .] pour une réunion politique de grande envergure pendant laquelle [. . .] j'ai eu le courage de dénoncer certaines pratiques antidémocratiques des conservateurs de notre parti».

Un peu plus loin dans son FRP, il dit qu'en décembre 1996:

«Nous les réformateurs proposons au Président (Mobutu) de démissionner et de demander pardon au peuple pour le mal sous sa responsabilité».

Interrogé au sujet du fait que les réformateurs voulaient que Mobutu démissionne et demande pardon, il a déclaré qu'il était à la base de cela. Le tribunal lui fit alors remarquer qu'il devait être près de Mobutu pour le lui demander. A ce sujet, il a déclaré qu'il n'était pas près de Mobutu, mais que certains membres du parti avaient signé un mémo en ce sens, ce qui est différent de ce qu'il a déclaré dans son FRP, où il dit avoir rencontré Mobutu.

Le tribunal rejette ces allégations qu'il trouve non crédible, parce que le demandeur s'est toujours présenté comme une personne près de Mobutu et d'autant plus que son propre frère est marié avec la fille de ce dernier.

Le tribunal conclut que le demandeur était un homme suffisamment proche de Mobutu pour faire de lui un complice de ce régime responsable de «crimes contre l'humanité», au sens de l'alinéa 1FA, ce qui exclut le demandeur de l'application de la définition de réfugié.

[51]À la lecture de ces motifs, je suis d'avis que le demandeur a été exclu de la protection de la Convention parce qu'il était soi-disant «un proche de Mobutu» et donc, coupable par association. Même si la preuve démontrait (ce qu'elle ne fait pas) que le demandeur était un «proche» de Mobutu, ce n'est certes pas un motif qui pourrait justifier à lui seul l'exclusion du demandeur de la protection de la Convention (Cardenas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 74 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.)).

[52]Ce qui découle de cette conclusion de la section du statut est qu'elle a appliqué un principe inapproprié afin de déterminer sa complicité, soit d'être «un homme suffisamment proche de Mobutu pour faire de lui un complice». En formulant ainsi sa conclusion, la section du statut a commis une erreur révisable.

[53]Je suis d'avis que la section du statut a commis une erreur révisable en concluant à l'exclusion du demandeur sans tenir compte des éléments dont elle disposait, et en appliquant le mauvais test légal afin de déterminer la complicité par association.

[54]Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera accueillie.

La demanderesse

[55]La section du statut a déterminé que la demanderesse n'a présenté aucune preuve digne de foi à l'appui de sa revendication pour conclure qu'elle n'a pas établi une crainte bien fondée de persécution. La section du statut a fondé sa conclusion sur des incohérences dans son témoignage qui, selon la section du statut, remettaient en question l'idée même que les demandeurs puissent avoir déjà fait vie commune. La section du statut a soulevé les incohérences suivantes:

a) La demanderesse dans son témoignage a déclaré s'être mariée le 9 mai 1998, alors que son attestation de mariage indique qu'elle s'est mariée en 1988. La demanderesse explique que c'est une erreur de frappe. La section du statut semble accepter la date dans son attestation de mariage soit 1988 et rejette le témoignage de la demanderesse ainsi que son explication (une explication que je considère plausible, compte tenu du fait que la demanderesse en 1988, n'avait que 12 ans).

b) La demanderesse a été incapable de préciser quand elle vivait avec le demandeur à la même adresse. Elle a déclaré décembre 1998 et lorsqu'on lui fit remarquer qu'elle n'aurait pas commencé à vivre avec le demandeur qu'après leur mariage, elle a déclaré qu'elle vivait avec le demandeur depuis 1997.

c) La demanderesse avait aussi de la difficulté à se rappeler quand elle avait connu le demandeur. Elle a déclaré le 25 décembre 1998 pour changer pour le 19 décembre 1998 et finalement dire le 25 décembre 1997. La demanderesse n'a pu expliquer pourquoi elle avait de la difficulté à se rappeler de cette date.

d) La demanderesse a déclaré que son adresse en République démocratique du Congo (RDC) était 86, Ring Ma Campapa Ngalience. Au point d'entrée, elle a dit que son adresse était 3678, Ring Ma Campape Ngalience. La section du statut n'a pas retenu son explication qu'on avait changé le numéro à l'avènement du nouveau Régime en mai 1997. La section du statut a conclu, sans motiver sa conclusion, qu'il leur paraissait «invraisemblable qu'elle se trompe de numéro civique pour les raisons qu'elle a mentionnées».

[56]La section du statut n'a donc accordé aucune valeur probante au témoignage de la demanderesse ainsi qu'à l'attestation de mariage des demandeurs. La section du statut n'explique pas sa détermination de n'accorder aucune valeur probante au témoignage de la demanderesse en ce qui a trait à son mariage en 1998. La demanderesse a témoigné s'être mariée le 9 mai 1998. La section du statut semble avoir rejeté ce témoignage en faveur de son «attestation de mariage», un document qui indique que la demanderesse se serait mariée en 1988, soit à l'âge de 12 ans. La section du statut n'accepte pas l'explication de la demanderesse que l'attestation de mariage contenait une erreur de frappe, une explication que je considère tout à fait raisonnable compte tenu de l'âge de la demanderesse à l'époque.

[57]Si le rejet du témoignage de la demanderesse est fondé sur le fait que l'attestation de mariage indique une date de mariage différente que celle affirmée par la demanderesse, je suis d'avis, compte tenue de l'explication offerte par la demanderesse «à l'effet qu'il y avait là une erreur de frappe» qu'il était manifestement déraisonnable de rejeter cette preuve pour ce motif. La section du statut n'a pas expliqué d'avantage le rejet de cette preuve. Alors, il est faux de dire que la demanderesse n'a présenté aucune preuve digne de foi. La section du statut a donc erré en concluant ainsi.

[58]La demanderesse, dans son témoignage, explique que son adresse en République démocratique du Congo est bel et bien celle déclarée au point d'entrée, et qu'il y a eu un changement de numéro à l'avènement du nouveau régime en mai 1997. Je ne vois pas là une incohérence puisque c'est la même adresse que celle stipulée au point d'entrée. La section du statut a déterminé que l'explication était non crédible parce qu'«il nous paraît invraisemblable qu'elle se trompe de numéro civique pour les raisons qu'elle a mentionnées». Tout d'abord, la preuve ne révèle pas que la demanderesse s'est trompée de numéro civique puisqu'elle a témoigné que le numéro a changé. La section du statut, par ailleurs, n'offre aucune autre explication pour sa conclusion d'invraisemblance, manquant ainsi à son devoir de motiver ses conclusions de manière claire et précise (Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.)). La section du statut a donc erré en concluant ainsi.

[59]Deux des quatre incohérences de la demanderesse constatées par la section du statut, notamment l'erreur de frappe de la date sur l'attestation de mariage ainsi que l'erreur attribuable au changement d'adresse en RDC ont porté la section du statut à des conclusions qui sont, à mon avis, manifestement déraisonnables, compte tenu des explications données par la demanderesse.

[60]Les deux autres incohérences concernant certaines difficultés qu'aurait eu la demanderesse à se rappeler des dates précises. À mon avis, ces incohérences ne sont pas de portée suffisamment appréciable pour justifier le rejet de la revendication.

[61]En l'instance, la demanderesse fonde sa revendication sur celle du demandeur. Elle allègue que si elle doit être retournée dans son pays, elle sera persécutée en raison de son lien conjugal avec le demandeur. Sa revendication tourne sur l'existence de ce lien conjugal. Je suis d'avis que la conclusion de la section du statut à l'effet qu'il n'existait pas un lien conjugal entre les demandeurs est manifestement déraisonnable.

[62]En plus, je constate que les incohérences soulevées par la section du statut ne touchent aucunement aux aspects fondamentaux de la revendication de la demanderesse, à savoir sa crainte bien fondée de persécution dans son pays en raison de son opinion politique et son appartenance à un groupe social particulier, soit la famille.

[63]Pour ces motifs, je détermine donc que la section du statut a erré en rejetant la revendication de la demanderesse. Conséquemment, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse sera accueillie.

QUESTION À CERTIFIER

[64]Après avoir considéré les soumissions écrites des parties, je suis d'avis que la question et sous-questions soulevées par les demandeurs sont des questions de fait qui ne présentent pas d'intérêt au-delà de cette affaire. À mon avis les points de droit soulevés dans ces questions ont déjà été tranchés par la Cour d'appel fédérale. Alors, je ne suis pas disposé à certifier les questions proposées. Donc, je ne propose pas de certifier une question grave de portée générale telle qu'envisagée à l'alinéa 74d) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

    ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE:

1. La demande de contrôle judiciaire des demandeurs, Adrien Dambana Sungu et Mimie Likandja Mikembi, de la décision rendue le 6 février 2001 par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est accueillie et la revendication des demandeurs est remise pour réexamen par une formation différente de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

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