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[2013] 1 R.C.F. 522

IMM-5834-10

2011 CF 899

Christopher Marco Vassey (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Vassey c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Scott—Toronto, 4 mai; Ottawa, 18 juillet 2011.

Citoyenneté et Immigration — Statut au Canada — Réfugiés au sens de la Convention et personnes à protéger — Contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger — Le demandeur, sergent dans l’Armée américaine, a participé à un déploiement en Afghanistan — Il a reçu des ordres contraires aux règles des conflits armés — Le demandeur a commencé à éprouver des problèmes de santé mentale — Il s’est objecté à participer à des guerres — Il s’est absenté sans permission et a demandé l’asile au Canada — Il prétendait qu’il n’y avait aucune possibilité d’opposer une défense valable à des accusations de désertion — La Commission a interprété l’arrêt United States v. Yolanda M. Huet-Vaughn et a conclu que le pouvoir discrétionnaire de poursuivre n’avait pas été appliqué d’une manière discriminatoire, et que rien n’indiquait l’influence illicite des commandements — Il s’agissait de déterminer si la Commission a omis de prendre en considération les éléments de preuve et si son analyse de la protection de l’État était erronée — La Commission a omis de tenir compte de la preuve et de motiver adéquatement la question des moyens de défense applicables à l’accusation de désertion — La Commission était liée par les arrêts Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum — Le demandeur avait la possibilité de présenter une preuve démontrant que le système de justice militaire aux États-Unis ne constituait pas un recours dont il pouvait se prévaloir dans son pays afin d’obtenir le protection de l’État — L’analyse faite par la Commission de l’indépendance et de l’impartialité du système de justice militaire américain est déraisonnable — La preuve a corroboré la prétention selon laquelle il n’existe pas de défense valable à des accusations de désertion — L’affaire Huet-Vaughn est le droit qui prévaut, et les individus dans une situation similaire n’ont pas pu interjeter appel devant la Cour suprême des États-Unis; il ne subsistait donc pas de recours visant à obtenir la protection de l’État — L’accusation de désertion est une infraction de responsabilité stricte pour laquelle le motif de la désertion n’est pas pertinent — En conséquence, l’argument selon lequel le demandeur ne peut pas présenter de preuve concernant le motif de sa désertion, ni l’illégalité de la conduite exigée de lui en Afghanistan, touche directement à l’existence de la protection de l’État — Par ailleurs, aucun élément de preuve soumis à la Commission n’étayait la conclusion voulant que la recevabilité de la défense fondée sur l’influence illicite des commandements était pertinente quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre — Demande accueillie.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Le demandeur, citoyen des États-Unis, a soutenu que lorsqu’il était en service en Afghanistan en tant que sergent de l’armée américaine, il a reçu l’ordre d’exécuter des actes contraires aux règles des conflits armés. Le demandeur s’est plaint de problèmes de santé mentale croissants durant et après sa participation au déploiement en Afghanistan et a déclaré qu’il souffrait d’instabilité émotionnelle. Il s’est rendu compte de ce que non seulement il n’approuvait plus les guerres en Afghanistan et en Iraq, mais aussi qu’il ne pouvait pas demander le statut d’objecteur de conscience parce que ses objections étaient fondées sur des guerres particulières, et non sur des convictions religieuses. Le demandeur s’est alors absenté sans permission de l’armée américaine et a demandé l’asile au Canada.

La Commission s’est penchée sur la prétention du demandeur selon laquelle il n’y avait aucune possibilité d’opposer une défense valable à des accusations de désertion, et a conclu que la Cour d’appel des États-Unis pour les Forces armées, dans l’arrêt United States v. Yolanda M. Huet-Vaughn, n’avait pas tranché la question de l’illégalité de l’action qu’on lui avait ordonné de commettre, et que l’obligation de désobéir vise les actes qui sont si manifestement hors de la compétence juridique ou du pouvoir discrétionnaire du commandant qu’il est impossible de douter rationnellement de leur illégalité. La Commission a également conclu, notamment, que des facteurs aggravants n’indiquent pas nécessairement que le pouvoir discrétionnaire a été appliqué d’une manière discriminatoire, et que même si le problème de l’influence illicite des commandements était reconnu, la preuve ne discréditait pas le système de justice militaire américain.

Il s’agissait de déterminer si la Commission a omis de prendre en compte ou interprété erronément la preuve ou omis de motiver adéquatement son appréciation de la preuve, et si l’analyse de la protection de l’État à laquelle la Commission a procédé était erronée.

Jugement : la demande doit être accueillie.

La Commission a omis de prendre en compte la preuve dont elle disposait et de faire une analyse adéquate et d’expliquer pourquoi elle rejetait les éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions, particulièrement en ce qui a trait aux moyens de défense applicables à l’accusation de désertion dans une instance en cour martiale aux États-Unis. Les conclusions de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum lient la Commission. Elle ne peut pas interpréter ces arrêts comme infirmant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward. Le demandeur avait donc la possibilité de présenter une preuve sur des individus placés dans une situation similaire pour démontrer que le système de justice militaire aux États-Unis ne constituait pas un recours dont il pouvait se prévaloir dans son pays afin d’obtenir la protection de l’État. L’omission, par la Commission, d’apprécier la preuve concernant l’indépendance et l’impartialité du système des cours martiales américain et d’expliquer pourquoi elle préférait une preuve contraire à celle du demandeur était déraisonnable, car la preuve documentaire dont la Commission n’a pas tenu compte dans ses motifs touche à l’une des questions centrales soulevées par la revendication du demandeur. Par ailleurs, l’interprétation qu’a faite la Commission de l’arrêt Huet-Vaughn était déraisonnable. Les prétentions du demandeur selon lesquelles il n’y avait pas de défense contre l’accusation de désertion ont été corroborées par des dépositions devant la Commission. Il était déraisonnable que la Commission conclue que des individus dans une situation similaire auraient pu interjeter appel devant la Cour suprême américaine, et qu’il subsistait donc des recours pour obtenir la protection de l’État. En fait, l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême des États-Unis a été refusée, dans l’affaire Huet-Vaughn, de sorte que c’est le droit qui prévaut. De plus, les dépositions des témoins en l’espèce, outre l’affaire Huet-Vaughn, démontrent que l’accusation de désertion est considérée comme une infraction de responsabilité stricte, pour laquelle le motif de la désertion n’est pas pertinent. L’argument du demandeur selon lequel il ne pourrait pas présenter de preuve concernant le motif de sa désertion, ni l’illégalité de la conduite exigée de lui en Afghanistan, touche directement à l’existence de la protection de l’État. Enfin, la Commission n’a pas pris en compte la preuve présentée par le demandeur relativement à des individus placés dans des situations similaires et au pouvoir discrétionnaire du poursuivant. Aucun élément de preuve soumis à la Commission n’étayait la conclusion selon laquelle la capacité de présenter une défense fondée sur l’influence illicite des commandements s’appliquait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, annexes I à IV.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(3)d),f), 72(1), 96, 97.

Uniform Code of Military Justice, 10 U.S.C. § 837 (2006).

Army Regulation 27–10, 16 novembre 2005.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions suivies :

Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171; Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL); Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689.

décisions examinées :

Colby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 805; United States v. Yolanda M. Huet-Vaughn, 43 M.J. 105 (C.A.A.F. 1995); R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259; Key (Re), 2010 CanLII 62705 (C.I.S.R.); Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko, 1996 CanLII 3981 (C.A.F.); Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1194, [2011] 1 R.C.F. 36; Rivera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 814.

décisions citées :

U.S. v. Lewis, 63 M.J. 405 (C.A.A.F. 2006); Lowell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 649; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Miranda Ramos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 298; Garcia Osorio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 907; James c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 546; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Findlay v. The United Kingdom, [1997] ECHR 8, 24 EHRR 221; Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL); Gunes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 664; Begashaw c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 462.

DOCTRINE CITÉE

Nations Unies. Comité des droits de l’homme. Observation générale no 32 : article 14, Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, Doc. N.U. CPR/C/GC/32 (23 août 2007).

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, réédition janvier 1992, en ligne : <http://www.unhcr.fr/4ad2f7fa383.pdf>.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, selon laquelle le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande accueillie.

ONT COMPARU

Alyssa Manning pour le demandeur.

Martin Anderson pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

VanderVennen Lehrer, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Scott :

I.          INTRODUCTION

[1]        Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) présentée par Christopher Marco Vassey (le demandeur) aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), voulant que le demandeur ne soit ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision de la Commission et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire pour qu’il procède à un nouvel examen.

II.         LE CONTEXTE

[2]        Le demandeur est un citoyen américain. Très actif dans le Junior Reserve Officer Training Corps lorsqu’il fréquentait l’école secondaire, il s’est enrôlé dans la New Jersey Army National Guard en septembre 2003, à l’âge de 17 ans. Après avoir terminé son entraînement de base, il est devenu recruteur adjoint pour la National Guard. Désabusé par le processus de recrutement, le demandeur s’enrôle dans l’armée américaine en avril 2006. On le poste à Fort Bragg, en Caroline du Nord, dans une unité d’infanterie qui doit être déployée en Afghanistan en 2007. Alors qu’il se prépare à sa mission en Afghanistan, le demandeur devient préoccupé par le manque d’organisation et de formation de son unité ainsi que par les capacités des commandants.

[3]        Le demandeur arrive en Afghanistan en janvier 2007. Initialement, il devait terminer son service là-bas en avril 2009. Après plusieurs mois, le demandeur apprend que la durée de son service serait prolongée contre son gré, et ce, au moins jusqu’au mois de mai 2010. Le demandeur choisit alors de se ré-enrôler volontairement dans l’armée en avril 2007 pour obtenir une promotion et le financement de ses études lorsqu’il aura terminé son service. Le 1er décembre 2007, le demandeur est promu au rang de sergent.

[4]        Le demandeur prétend avoir reçu l’ordre d’exécuter des actes contraires aux règles des conflits armés lors de son service en Afghanistan. Parmi ces ordres figuraient l’exécution de descentes dans des résidences de civils et de reconnaissances du terrain au moyen de tirs, dans le cadre desquelles son unité tirait de manière préventive dans des endroits où, croyait-elle, les forces ennemies se trouvaient, et cela sans prendre aucune précaution pour éviter de blesser des civils. Le demandeur déclare en outre qu’il prenait part à la supervision de l’armée nationale afghane qui, selon ce qu’il a appris, plaçait des détenus dans des [traduction] « boîtes pénibles » dans des conditions extrêmes afin de leur arracher des renseignements. Enfin, le demandeur allègue que, pour intimider les populations locales, son unité faisait rouler dans des villages des véhicules militaires américains, auxquels étaient attachés des cadavres de rebelles afghans.

[5]        Le demandeur s’est plaint de problèmes de santé mentale croissants durant et après son déploiement en Afghanistan. Après son ré-enrôlement volontaire, il a commencé à se sentir déprimé. En congé pendant deux semaines en juillet 2007, le demandeur faisait des cauchemars et souffrait d’insomnie et de sautes d’humeur. Il n’a pas signalé ses problèmes de santé mentale à son officier supérieur et n’a pas non plus cherché à obtenir de l’aide médicale. De retour aux États-Unis le 8 avril 2008, le demandeur déclare qu’il ne supporte pas la compagnie d’autrui ou de se trouver près d’enfants et qu’il souffre d’instabilité émotionnelle et d’irritabilité.

[6]        Lors du discours du président Bush à l’occasion de la « All American Week » en 2008, le demandeur prend conscience de ce que non seulement il n’approuve plus la mission en Afghanistan, mais qu’il n’est plus d’accord non plus avec la guerre en Iraq, du fait que celle-ci n’a rien à voir avec les événements du 11 septembre 2001. Le demandeur se met à chercher des moyens de quitter l’armée et il conclut finalement que, comme il est sergent et qu’il lui reste à accomplir quatre ans de service selon son contrat, il s’exposerait à une peine sévère s’il s’absentait sans permission (ASP). Le demandeur pense qu’il ne peut pas demander le statut d’objecteur de conscience parce que ses objections se fondent sur des guerres particulières et non sur des convictions religieuses.

[7]        Le 7 juillet 2008, le demandeur rassemble ses affaires à Fort Bragg et s’absente sans permission de l’armée américaine. Il entre au Canada le 4 août 2008 et demande l’asile le même jour.

[8]        L’audition de sa demande du statut de réfugié se tient le 9 octobre 2009. La Commission rend sa décision rejetant sa demande d’asile le 27 août 2010.

III.        LA DÉCISION SOUS CONTRÔLE

[9]        La Commission rend une longue décision, qui porte principalement sur la protection de l’État.

[10]      La Commission examine la jurisprudence pertinente sur la protection de l’État, en notant qu’il existe une présomption de protection que le revendicateur d’asile peut réfuter en présentant des éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État à le protéger. La Commission note qu’il n’est pas nécessaire que la protection soit efficace, mais qu’elle doit être adéquate et que le fardeau du revendicateur est plus lourd lorsque l’État en cause est une démocratie bien établie comme les États-Unis d’Amérique.

[11]      La Commission consacre plusieurs pages à l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 (Hinzman). Les appelants, M. Hinzman et M. Hughey, des militaires des Forces armées américaines, avaient déserté parce qu’ils avaient la conviction que la guerre en Iraq était illégale et immorale. Selon l’analyse de la Commission, le juge Sexton de la Cour d’appel fédérale a statué qu’il n’était pas possible de conclure que les appelants n’auraient pas été adéquatement protégés aux États-Unis, car ils n’avaient pas demandé les protections légales qui leur étaient offertes.

[12]      La Commission examine aussi la décision Colby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 805, où le juge Beaudry statue que même si les faits allégués de la demande d’asile pouvaient relever du paragraphe 171 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [Genève, réédition janvier 1992] (Guide des procédures du HCNUR [Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés]), le demandeur d’asile devait établir qu’il n’avait pas accès à la protection de l’État.

A.        La capacité de faire valoir le moyen de défense de l’ordre illégal

[13]      La Commission se penche aussi sur la prétention du demandeur selon laquelle, si le motif de la désertion est jugé non pertinent et inadmissible dans une instance en cour martiale américaine, alors il n’y a aucune possibilité d’opposer une défense valable à des accusations de désertion.

[14]      La Commission résume les éléments de preuve présentés par le demandeur dans les affidavits de plusieurs professeurs et sergents de l’armée américaine.

[15]      La Commission prend en considération le cas de la capitaine M. Huet-Vaughn dans l’arrêt United States v. Yolanda M. Huet-Vaughn, 43 M.J. 105 (1995 C.A.A.F.) (Huet-Vaughn), de la Cour d’appel des États-Unis pour les Forces armées. La Commission conclut qu’il ne découle pas de l’arrêt Huet-Vaughn que le moyen de défense fondé sur un ordre illégal s’applique seulement aux cas extrêmes tels que des crimes de guerre constituant des violations graves des Conventions de Genève [Conventions de Genève pour la protection des victimes de guerre, signées à Genève le 12 août 1949, qui constituent les annexes I à IV de la Loi sur les Conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3]. Selon elle, la Cour d’appel des États-Unis pour les Forces armées n’a pas tranché la question de l’illégalité de l’action qu’on lui a ordonné de commettre. L’obligation de désobéir ne vise que les actes qui sont si manifestement hors de la compétence juridique ou du pouvoir discrétionnaire du commandant qu’il est impossible de douter rationnellement de leur illégalité.

[16]      La Commission conclut que les voies d’appel n’ont pas été épuisées dans l’affaire Huet-Vaughn puisque la question de la recevabilité de la défense d’ordre illégal à l’encontre d’une accusation de désertion n’avait pas été soumise à la Cour suprême des Etats-Unis, conséquemment, les exemples d’individus qui n’avaient pas été en mesure de présenter cette défense ne pouvaient servir à réfuter la présomption de protection de l’État.

[17]      La Commission conclut également que les éléments de preuve au dossier ne permettent pas d’établir que le demandeur n’aurait pas pu demander une libération pour raisons médicales à cause de son état psychiatrique.

B.        Exercice différencié du pouvoir discrétionnaire du poursuivant

[18]      La Commission examine ensuite la prétention du demandeur voulant qu’il n’existe pas de protection de l’État ou de protections procédurales contre l’application différenciée, et donc persécutoire, du pouvoir discrétionnaire de son commandant de porter des accusations et d’introduire une instance en cour martiale.

[19]      La Commission considère les cas cités par le demandeur, de James Burmeister et Robin Long, qui avaient fait en public des déclarations contre la guerre en Iraq et sur lesquelles une preuve avait été présentée à leur procès en cour martiale. Le demandeur a fait valoir que ces déclarations avaient été considérées comme des facteurs aggravants, ce qui ultimement conduit au maintien de la poursuite plutôt qu’à l’octroi d’une libération administrative pour désertion. De l’avis de la Commission, le pouvoir discrétionnaire du poursuivant servait les fins de ce système de justice. Lorsque des facteurs aggravants, comme des déclarations publiques contre une guerre, sont présentés dans une instance, cela n’indique pas nécessairement que le pouvoir discrétionnaire est appliqué de façon discriminatoire.

C.        L’indépendance et l’impartialité du système de justice militaire américain

[20]      La Commission se penche aussi sur la prétention du demandeur voulant que le système de justice militaire aux États-Unis viole les droits fondamentaux de la personne du fait qu’il n’est pas indépendant et impartial.

[21]      La Commission consacre plusieurs pages aux témoignages des experts Donald G. Rehkopf, jr., du professeur Eugene Fidell, de Marjorie Cohn et de Kathleen M. Gilberd, pour le demandeur, et du professeur Victor Hansen, pour le défendeur.

[22]      La Commission reconnaît que l’argument du demandeur voulant que le système de justice militaire américain ne satisfait pas aux exigences de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte) ou aux facteurs énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259 [Généreux], où la Cour s’est penchée sur le système des cours martiales au Canada. Ces facteurs comprennent l’absence d’inamovibilité, de sécurité financière et d’indépendance institutionnelle.

[23]      La Commission a fait état de la déclaration du professeur Hansen, qui témoigne pour le défendeur, réaffirme que le système de justice militaire américain comporte des mécanismes de contrôle suffisants. Le professeur Hansen déclare que la protection la plus importante contre l’influence illicite des commandements se trouve à l’article 37 [§837] du Uniform Code of Military Justice [10 U.S.C. §§801 à 946 (2006)] (UCMJ), lequel interdit à un commandant de censurer, de réprimander ou d’admonester tout militaire, juge ou avocat relativement à toute décision de la cour ou peine prononcée par la cour. L’alinéa 37(a) interdit l’exercice de toute influence illicite sur un membre de la cour militaire. La Commission note que le professeur Hansen affirme que le commandant agit sur le conseil d’avocats militaires avant de prendre une mesure quelconque et qu’il existe un système d’appel robuste visant à empêcher les erreurs, telles les influences illicites des commandements et autres erreurs judiciaires. Le système bénéficie en outre de la protection du juge-avocat.

[24]      La Commission conclut que les experts affiants du défendeur de même que ceux du demandeur convenaient que le commandant militaire joue un rôle central dans le système de justice militaire américain, notamment pour ouvrir les enquêtes, déterminer les accusations à porter et le niveau de la cour martiale auquel les porter ainsi que pour sélectionner le jury et statuer sur une affaire.

[25]      La Commission note que, de façon générale, les experts affiants du demandeur ont déclaré que le système de justice militaire américain ne satisfait pas aux critères énoncés dans l’arrêt Généreux, précité. Aux termes de l’UCMJ, les juges sont nommés de manière discrétionnaire et ne jouissent pas de l’inamovibilité; ils ne bénéficient pas non plus de l’indépendance institutionnelle, car ils sont nommés par le juge-avocat général. Les experts affiants du demandeur ont déclaré qu’on est en présence d’un modèle disciplinaire lorsqu’un commandant peut sélectionner un soldat pour en faire un exemple. De plus, l’article 37 de l’UCMJ qui vise à corriger l’influence illicite des commandements n’est pas efficace, car les plaintes continuent d’être portées à ce chapitre et sont rarement accueillies. M. Rehkopf déclare que le système souffre de plusieurs carences fondamentales sur l’application régulière de la loi, que les mécanismes de contrôle sont insuffisants et que l’influence illicite des commandements se poursuit.

[26]      Le commissaire conclut ce qui suit, au paragraphe 89 de sa décision [Key (Re), 2010 CanLII 62705 (C.I.S.R.)] :

J’accepte les éléments de preuve présentés dans les affidavits de Donald G. Rehkopf fils, du professeur Eugene Fidell, du professeur Victor Hansen et de Marjorie Cohn et Kathleen M. Gilberd […] J’accepte […] les affidavits portant sur le système de justice militaire américain. Toute conclusion tirée de ces éléments de preuve relève de l’unique responsabilité de la Commission.

[27]      Selon la Commission, le test à appliquer pour déterminer s’il était possible à une personne se trouvant dans la position du demandeur de se prévaloir de la protection de l’État est énoncé dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505 (C.A.) (QL) (Satiacum) [au paragraphe 26] :

Sauf dans les circonstances les plus extraordinaires, tous les événements qui ont donné lieu à une poursuite et ceux qui entourent le déroulement d’un procès dans un système judiciaire libre et impartial à l’étranger doivent être considérés comme partie intégrante du processus judiciaire et ne peuvent faire l’objet d’un examen par un tribunal canadien. A titre d’exemple, de circonstances extraordinaires: celles qui tendent à entacher tout le régime de poursuites, la sélection du jury ou le jugement, et non de simples indiscrétions ou illégalités commises par des parties et qui, si la preuve en est faite, peuvent être corrigées à l’intérieur même du processus […]

[28]      La Commission reconnaît que le système de justice militaire américain n’avait pas changé autant que les systèmes canadien et britannique au cours des dernières décennies.

[29]      En ce qui a trait à l’influence illicite des commandements, la Commission estime d’après les éléments de preuve qu’il y a désaccord quant à l’importance de cette influence dans le système de justice militaire américain. La Commission conclut qu’il ressortait de l’arrêt U.S. v. Lewis, 63 M.J. 405 [C.A.A.F. 2006], que le problème de l’influence illicite des commandements est reconnu et peut servir de moyen de défense. Selon la Commission [au paragraphe 92], « [c]e recours comprendrait probablement l’utilisation abusive du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. »

[30]      La Commission détermine que, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve ne discréditent pas substantiellement le système de justice militaire américain.

D.        Les brimades

[31]      La Commission examine ensuite la prétention du demandeur voulant qu’il n’existe aucune protection de l’État adéquate contre les « brimades » cruelles et inusitées auxquelles il serait exposé en punition de la part de son commandant ou de son unité, advenant son retour dans les forces armées.

[32]      La Commission estime que, suivant la décision Lowell c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 649 (Lowell), il existe un mécanisme pour interjeter appel de l’infliction d’un châtiment extrajudiciaire autorisé aux termes du règlement militaire 27-10. À son avis, le demandeur pouvait également recourir aux médias en cas de brimades non autorisées. Le huitième amendement de la constitution américaine, a-t-elle précisé, interdit les châtiments cruels et inusités.

[33]      La Commission conclut que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger, car il n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants. Il n’est donc pas nécessaire de considérer le paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNUR et la revendication est rejetée.

IV.       LA LÉGISLATION PERTINENTE

[34]      Les parties pertinentes de la Loi sont annexées à la présente décision.

V.        LES QUESTIONS EN LITIGE ET LA NORME DE CONTRÔLE

[35]      La présente demande soulève deux questions principales :

1) La Commission a-t-elle ignoré ou mal apprécié les éléments de preuve ou omis de motiver adéquatement son appréciation des éléments de preuve?

2) L’analyse de la protection de l’État de la Commission est-elle erronée?

[36]      Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière soumise à la cour est déterminée dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 57).

[37]      La question de savoir si la Commission a omis de considérer la preuve dont elle disposait est une question factuelle qui appelle habituellement la retenue; elle sera contrôlée selon la norme de la raisonnabilité (voir Dunsmuir, précité; Miranda Ramos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 298, au paragraphe 6; Garcia Osorio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 907, au paragraphe 19).

[38]      L’appréciation du caractère suffisant de la protection de l’État soulève des questions mixtes de fait et de droit. Celles-ci sont susceptibles de révision selon la norme de la raisonnabilité (voir Hinzman, précité, au paragraphe 38; James c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 546, au paragraphe 16).

[39]      Pour contrôler la décision de la Commission selon la norme de la raisonnabilité, la Cour doit rechercher si la Commission a tiré une conclusion transparente, justifiable et intelligible, appartenant aux issues possibles acceptables fondées sur la preuve dont elle disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59).

VI.       LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les prétentions du demandeur

[40]      Le demandeur fait valoir que ses éléments de preuve et ses arguments sont très différents de ceux présentés dans l’arrêt Hinzman, précité, sur lequel la Commission s’est appuyée. Contrairement au demandeur, les appelants dans l’arrêt Hinzman n’avaient soumis aucun renseignement pour réfuter la présomption de protection de l’État. Les éléments de preuve du demandeur à cet égard comprennent la démonstration que le système américain des cours martiales n’est pas conforme aux normes internationales d’équité et qu’un soldat ne peut faire valoir ses motifs de désertion comme moyens de défense contre de telles accusations.

[41]      Le demandeur soutient que la Commission a mal apprécié les éléments de preuve qu’il a présentés sur l’équité du système de justice militaire aux É.‑U. La Commission déclare accepter les éléments de preuve présentés par le demandeur dans les affidavits de Donald G. Rehkopf, jr., du professeur Eugene Fidell, de Marjorie Cohn et de Kathleen M. Gilberd. Cependant, elle n’a pas expliqué pourquoi elle est parvenue, malgré son acceptation de la teneur des affidavits des experts, à une conclusion contraire.

[42]      Le demandeur soutient que plus est grande l’expertise présentée à titre d’élément de preuve, plus grande en est la pertinence et la valeur probante devant la Commission, et plus grande est également la responsabilité du décideur de motiver son rejet des éléments qui contredisent directement ses conclusions. La Commission a commis une erreur en ne considérant pas les éléments de preuve de manière appropriée.

[43]      La Commission n’a pas non plus analysé les éléments de preuve présentés par les experts affiants concernant l’insuffisance du processus de sélection du jury, ainsi que l’absence d’inamovibilité des juges militaires et des juges de cours d’appel.

[44]      Le demandeur soutient en outre que la Commission interprète erronément les éléments de preuve sur la question des moyens de défense possibles contre l’accusation de désertion et qu’elle n’en a pas tenu compte.

[45]      Le demandeur fait valoir que la Commission interprète erronément la jurisprudence américaine sur cette question. Le demandeur fait observer que l’arrêt Huet-Vaughn, précité, établit que le motif de la désertion d’un soldat n’est pas pertinent et est irrecevable relativement à la question de savoir s’il est coupable de désertion. Le demandeur soutient qu’un moyen de défense fondé sur un ordre illégal ne s’applique qu’aux infractions ayant trait aux ordres et non à l’accusation de désertion. De plus, le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur en concluant que l’arrêt Huet-Vaughn ne limite pas la possibilité de soulever une défense fondée sur un ordre illégal aux crimes de guerre. De nombreux éléments de preuve ont été présentés à la Commission par des experts et des militaires américains relativement à l’application de l’arrêt Huet-Vaughn. La Commission n’explique pas pourquoi elle préfère sa propre interprétation du droit américain à celle d’un professeur, de spécialistes du droit militaire et de militaires. Ce défaut rend les motifs de la Commission insuffisants.

[46]      Le demandeur fait observer qu’il ne pourrait pas soulever la conduite qu’il lui avait été ordonné de suivre en Afghanistan dans une cour martiale en défense à l’accusation de désertion. Il soutient par conséquent qu’il n’existe pas de protection étatique à l’égard d’une poursuite pour désertion, malgré le fait qu’il a déserté parce qu’on lui a ordonné d’exécuter des actes visés par le paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNUR.

A.        La protection de l’État

[47]      Le demandeur soutient que, outre sa mauvaise appréciation des éléments de preuve, la Commission commet plusieurs erreurs dans son analyse de la protection de l’État.

[48]      Le demandeur affirme que si la Commission avait véritablement accepté la déposition des quatre experts affiants voulant que le système de justice militaire américain ne soit pas indépendant ou impartial et donc pas conforme aux normes internationales ou à la Charte, alors sa conclusion qu’il existe néanmoins une protection adéquate pour le demandeur est déraisonnable.

[49]      Selon les alinéas 3(3)d) et f) de la Loi, les décisions rendues aux termes des articles 96 et 97 de la Loi doivent être conformes à la Charte et doivent satisfaire aux obligations incombant au Canada aux termes des instruments internationaux en matière de droit de la personne. Le demandeur prétend qu’estimer adéquate une protection de l’État qui est inférieure aux normes énoncées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne et dans la Charte est déraisonnable et contraire à la Loi. Il soutient que cela est également contraire au Guide des procédures du HCNUR, dont le paragraphe 60 énonce ce qui suit :

En pareil cas, compte tenu des difficultés que présente manifestement l’évaluation des lois d’un autre pays, les autorités nationales seront souvent amenées à prendre leur décision par référence à leurs propres lois nationales. En outre, il peut être utile de se référer aux principes énoncés dans les divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, qui ont force obligatoire pour les états parties et qui sont des instruments auxquels ont adhéré nombre des états parties à la Convention de 1951.

[50]      De plus, le demandeur rappelle que la Commission tire, en ce qui concerne le traitement différent par le poursuivant, des conclusions qui ne s’appuient pas sur les éléments de preuve dont elle disposait. La Commission conclut qu’il fallait présumer que la capacité de présenter une défense fondée sur l’influence illicite des commandements s’appliquait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Le demandeur soutient que rien dans les éléments de preuve n’étaye cette conclusion, qu’elle vient plutôt contredire. La décision sur l’opportunité de tout d’abord déposer des accusations aux É.-U. relève entièrement du commandement et elle ne serait donc pas considérée comme « illégale », et elle n’est pas susceptible de révision pour cause d’influence illicite des commandements. La conclusion de la Commission est donc déraisonnable.

[51]      Le demandeur soutient également que la Commission a conclu qu’il est opportun de punir certains soldats et non d’autres pour leur désertion lorsque la poursuite estime qu’il existe des facteurs aggravants tels que le fait de se prononcer publiquement contre la guerre, parce que le système de justice bénéficie du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. Cependant, le demandeur soutient que si le « facteur aggravant » qui motive la poursuite est l’expression des convictions politiques de l’individu, alors le pouvoir discrétionnaire du poursuivant est exercé d’une manière discriminatoire et persécutoire aux termes du paragraphe 169 du Guide des procédures du HCNUR. Les facteurs aggravants ne peuvent comprendre la race, la religion, l’orientation sexuelle, le sexe ou les opinions politiques d’un individu. La Commission commet donc une erreur en parvenant à une conclusion contraire. De plus, la Commission n’a pas fait une analyse sérieuse des éléments de preuve voulant que la poursuite sélectionne les militaires en fonction de leurs convictions politiques.

Les prétentions du défendeur

[52]      Le défendeur soutient que la Commission était liée par les arrêts Hinzman de la Cour d’appel fédérale et Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, de la Cour suprême. En d’autres termes, il est présumé que les États sont en mesure de protéger leurs propres citoyens et cette présomption ne cesse de s’appliquer que si l’incapacité de l’État à protéger un demandeur est confirmée de manière claire et convaincante. Cette présomption est particulièrement forte dans le cas d’une démocratie bien établie comme les États-Unis. La Cour d’appel dans l’arrêt Hinzman conclut que les É.-U. sont une démocratie pleinement fonctionnelle dotée d’un système de justice solide, qui accorde une protection procédurale importante aux personnes traduites en cour martiale. Cette protection comprend la présomption d’innocence, un examen par un juge impartial, le droit de connaître la preuve à réfuter et l’obligation de satisfaire à une norme de preuve élevée pour pouvoir obtenir une condamnation. De plus, la Cour d’appel fédérale a statué, dans l’arrêt Satiacum, précité, qu’un système juridique étranger est présumé être juste à défaut d’éléments de preuve jetant un doute substantiel sur ses procédures. Cela étant, le demandeur devait épuiser tous les recours avant de pouvoir réfuter la présomption de protection de l’État.

[53]      Le demandeur ne s’est prévalu d’aucun recours avant de demander l’asile. Il ne s’est pas plaint à ses supérieurs, n’a pas choisi de ne pas s’enrôler de nouveau, n’a pas demandé une autre affectation ou tenté d’obtenir des soins pour ses problèmes de santé mentale, pas plus qu’il n’a tenté d’obtenir une libération pour raisons médicales avant de déserter. Le défendeur fait valoir que, suivant le principe énoncé dans l’arrêt Hinzman, précité, les demandeurs qui ne se sont pas régulièrement prévalus de la protection légale disponible dans leur pays ne peuvent pas affirmer que leurs droits ne seraient pas adéquatement protégés.

[54]      Le défendeur affirme que la Commission, loin d’ignorer les éléments de preuve, a procédé à un examen méticuleux et précis des éléments dont elle disposait. Il soutient que la Commission a accepté les qualifications de chacun des experts affiants du demandeur et du défendeur et qu’elle a relevé de manière précise les éléments soumis par ces cinq personnes. La Commission a soupesé les éléments de preuve et noté le désaccord entre les divers experts affiants, mais elle a conclu que les mécanismes d’autocorrection du système de justice militaire satisfaisaient aux exigences en ce qui concerne la suffisance de la protection de l’État. Les conclusions des experts affiants ne pouvaient pas être substituées à la décision qu’il incombait à la Commission elle-même de rendre. La Commission a également traité de la jurisprudence américaine selon laquelle, si l’influence illicite des commandements peut certes constituer une préoccupation en ce qui a trait aux poursuites, l’accusé jouit d’un recours puisqu’il peut invoquer cette influence illicite comme moyen de défense. Le demandeur reproche à la Commission d’avoir préféré les éléments de preuve contenus dans la déposition du professeur Hansen aux éléments qu’il a déposés.

[55]      Le défendeur soutient que ni l’une ni l’autre des préoccupations principales du demandeur ne jette un doute important sur le système de justice militaire américain, soit la persistance de l’influence illicite des commandements et la possibilité d’abus du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Rien dans les dépositions des experts affiants n’indique qu’il serait impossible à l’accusé d’interjeter appel de la décision, même dans le cas où ses opinions politiques seraient considérées comme un facteur aggravant aux fins de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. De même, rien ne démontre que des personnes qui allèguent l’influence illicite des commandements se trouvent dans l’incapacité d’exercer leurs droits d’appel.

[56]      Le défendeur fait observer en outre que la Commission [au paragraphe 39] a estimé de manière raisonnable que, selon l’arrêt Huet-Vaughn, précité, le soldat qui reçoit l’ordre de commettre un acte positif susceptible d’être considéré comme un crime de guerre ou autre [traduction] « hors du champ de compétence juridique du commandant », peut invoquer le moyen de défense fondé sur des [traduction] « ordres illégaux ». Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve à la Commission pour établir que les actes qu’il avait exécutés correspondaient aux actes visés par le paragraphe 171 [Guide des procédures du HCNUR], ni qu’on lui a à un moment quelconque ordonné d’exécuter de tels actes. Le demandeur n’a présenté non plus aucune preuve quant aux missions qui lui seraient confiées s’il était redéployé et quant à la question de savoir si ces missions l’exposeraient au risque de violer les règles des conflits armés.

[57]      Le défendeur soutient que la Commission n’a pas ignoré les éléments de preuve relatifs à la défense fondée sur un ordre illégal. Elle a dûment tenu compte des dépositions de Mme Cohn et de M. Gespass, concluant qu’elles ne démontraient pas l’irrecevabilité de la défense fondée sur un ordre illégal relativement à une accusation de désertion ou l’impossibilité pour le demandeur de faire valoir cette défense eu égard aux faits de l’espèce. Le défendeur soutient que, selon la décision Colby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 805 [précitée], le demandeur doit d’abord démontrer que l’État ne pouvait ou ne voulait pas le protéger avant que la Commission puisse rechercher si les faits particuliers relèvent du paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNUR. Or le demandeur a fait défaut d’établir les éléments de preuve.

[58]      Le défendeur soutient en outre que le test applicable en matière de protection de l’État n’est pas la conformité avec les normes internationales ou la Charte. Il fait valoir que la Cour suprême dans l’arrêt Généreux, précité, n’a pas déterminé quel était le degré d’indépendance judiciaire requis de tout système des cours martiales en droit international. De plus, les critères énoncés dans les arrêts Généreux et Findlay v. The United Kingdom, [1997] ECHR 8, 24 EHRR 221, invoqués par le demandeur n’ont pas été érigés en normes internationales péremptoires. Le système de cour martiale américain est conforme aux critères d’indépendance énoncés dans le commentaire général no 32 [Observation générale no 32 : Article 14, Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, Doc. N.U. CPR/C/GC/32 (23 août 2007)] des Nations Unies, Comité des droits de l’homme : il est indépendant du pouvoir exécutif, les juges jouissent de protections qui garantissent l’inamovibilité et le pouvoir exécutif ne peut pas contrôler ou diriger la conduite d’une cour martiale. En outre, sans démonstration que les normes mises de l’avant dans la décision Généreux représentent des normes internationales minimales, on ne peut y recourir pour mesurer la suffisance de la protection dispensée par un système juridique étranger.

[59]      Le défendeur soutient que la Commission pouvait, à partir des éléments de preuve au dossier, conclure raisonnablement que le demandeur serait adéquatement protégé dans le système de justice militaire américain. La persistance de l’influence illicite des commandements ne s’élève pas à ce niveau.

VII.      ANALYSE

1)    La Commission a-t-elle ignoré ou mal apprécié les éléments de preuve ou omis de motiver adéquatement son appréciation des éléments de preuve?

[60]      Sauf effondrement complet de l’appareil étatique, les États sont présumés être en mesure de protéger leurs citoyens. Il incombe au demandeur de réfuter cette présomption selon la prépondérance des probabilités au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État à le protéger. Le demandeur peut déposer « le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et [faire valoir] que les dispositions prises par l’État pour les protéger n’ont pas aidées [sic], ou son propre témoignage au sujet d’incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l’État ne s’est pas concrétisée » (Ward, précité, aux pages 724 et 725).

[61]      Le fardeau de réfuter la présomption s’alourdit lorsque l’État en cause est une démocratie bien établie. Comme la Cour fédérale l’écrit dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko, 1996 CanLII 3981 (C.A.), au paragraphe 5 :

Lorsque l’État en cause est un état démocratique comme en l’espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause: plus les institutions de l’État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s’offrent à lui. [Note en fin de texte omise.]

La Cour d’appel fédérale a aussi considéré ce fardeau accru en ce qui concerne les États‑Unis, faisant observer ce qui suit dans l’arrêt Hinzman, précité, au paragraphe 46 :

Les États-Unis sont un pays démocratique où les pouvoirs des trois branches du gouvernement sont limités par un système de freins et contrepoids, ce qui comprend un appareil judiciaire indépendant et des protections constitutionnelles assurant l’équité du processus. Les appelants ont donc le lourd fardeau de devoir réfuter la présomption selon laquelle les États‑Unis sont en mesure de les protéger et, pour ce, ils doivent prouver qu’ils ont épuisé tous les recours disponibles aux États-Unis sans avoir obtenu gain de cause avant de demander l’asile au Canada. Dans l’arrêt Ministre de l’Emploi et de l’Immigration c. Satiacum (1989), 99 N.R. 171 (C.A.F.) (Satiacum), à la page176, il a été demandé à la Cour de se pencher sur une prétention selon laquelle la protection étatique aux États-Unis était insuffisante et la Cour a formulé des commentaires sur la difficulté de la tâche incombant au demandeur tentant d’établir l’absence de protection étatique aux États-Unis :

Dans le cas d’un État non démocratique, il peut être facile de faire la preuve contraire, mais en ce qui a trait à un État démocratique comme les États-Unis, il se peut qu’il faille aller jusqu’à démontrer, par exemple, que le processus de sélection du jury est gravement atteint dans la région en question ou que l’indépendance ou le sens de l’équité des juges est en cause.

[62]      La Cour convient avec le défendeur que les conclusions de la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Hinzman et Satiacum, précités, lient la Cour et qu’elles liaient également la Commission, mais elle ne peut interpréter ces arrêts comme infirmant l’arrêt Ward, précité, de la Cour suprême. La Cour suprême a statué de manière claire dans l’arrêt Ward qu’un revendicateur d’asile peut réfuter la présomption de protection de l’État en établissant que des personnes placées dans une situation semblable n’ont pas pu bénéficier du dispositif de protection étatique.

[63]      Le demandeur avait donc la possibilité de présenter des éléments de preuve sur des individus placés dans une situation semblable pour démontrer que le système de justice militaire aux États-Unis n’offrait pas une avenue dont il pouvait se prévaloir dans son pays afin d’obtenir la protection de l’État, étant donné l’absence d’indépendance ou d’impartialité ou l’absence de moyens de défense relativement à l’accusation de désertion. Mais le demandeur devait également démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les recours qui s’offraient à lui auraient tous conduit à un traitement inéquitable à cause du système de justice militaire américain.

[64]      Il incombait à la Commission, quant à elle, de prendre en considération l’ensemble des éléments de preuve présentés. Cela ne l’obligeait pas à résumer dans sa décision tous les éléments de preuve, dans la mesure où elle traitait de manière appropriée des éléments qui contredisaient ses conclusions (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (C.F. 1re inst.); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.) (QL)). L’obligation d’apprécier ces éléments de preuve était une expertise des experts affiants qui les présentaient (voir Gunes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 664; Begashaw c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 462).

[65]      L’obligation de la Commission de s’expliquer s’inscrit en proportion directe à la pertinence des éléments de preuve présentés.

[66]      Les éléments de preuve présentés par le demandeur sur l’indépendance et l’impartialité du système de cour martiale aux É.-U. provenaient de plusieurs personnes reconnues comme des experts du droit militaire américain. M. Fidell est professeur de droit à l’université Yale et président du National Institute of Military Justice depuis 1991. M. Rehkopf, qui a été un juge-avocat dans la U.S. Air Force, a publié de nombreux articles sur les façons de se désengager de l’armée aux États-Unis.

[67]      Or, après avoir résumé les éléments de preuve pendant plusieurs pages, la Commission se contente d’une analyse quelque peu limitée des dépositions des cinq experts affiants. Sa seule conclusion veut que, bien qu’elle soit problématique, l’influence illicite des commandements peut néanmoins constituer un moyen de défense. Cela ainsi que les mécanismes autocorrecteurs prévus à l’article 37 [de l’UCMJ] démontrent l’existence de la protection de l’État. La Commission n’a fait aucun commentaire particulier sur les déclarations des experts affiants sur l’inefficacité de ces mécanismes autocorrecteurs. La Commission ne traite pas de leurs conclusions quant au processus de sélection du jury, l’absence d’inamovibilité des juges militaires et l’insuffisance des juges en appel. Elle n’indique pas non plus pour quelles raisons elle préférait la déposition du professeur Hansen à celle des quatre autres experts affiants. Mais elle a néanmoins conclu ainsi au paragraphe 93 de sa décision : « L’efficacité de la protection de l’État est un facteur à prendre en considération, mais j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de preuve ne montrent pas que le système de justice militaire américain est gravement atteint ». Cette conclusion de la Commission était-elle raisonnable?

[68]      Comme le juge de Montigny l’a écrit dans la décision Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1194, [2011] 1 R.C.F. 36, alors qu’il faisait également un commentaire [au paragraphe 52] sur l’évaluation d’une déposition de M. Rehkopf par la Commission, « il ne suffisait pas pour le commissaire de résumer la preuve présentée par la demanderesse. Il aurait dû l’examiner et l’évaluer dans ses motifs ». Le juge de Montigny a ajouté ceci au paragraphe 69 :

[…] je suis d’avis que son affidavit valait plus que l’opinion d’une personne ordinaire que le commissaire pouvait rejeter sans motif. De toute évidence, M. Rehkopf avait beaucoup d’expérience en tant qu’avocat militaire et avait agi à titre d’avocat de la défense, de procureur et de juge pendant de nombreuses années. Le commissaire était tout à fait libre de se fier à une autre preuve qu’à celle fournie par M. Rehkopf.

La Cour conclut que l’omission de la Commission d’apprécier les éléments de preuve sur l’indépendance et l’impartialité du système des cours martiales américain et d’expliquer pourquoi elle préférait des éléments de preuve contraires à ceux du demandeur était déraisonnable, car les éléments de preuve documentaires dont la Commission n’a pas tenu compte dans ses motifs touchent à l’une des questions centrales soulevées par la revendication du demandeur.

[69]      En ce qui concerne l’arrêt Huet-Vaughn de la Cour d’appel des É.-U. pour les Forces armées, la Cour convient avec le demandeur que l’interprétation qu’en a faite la Commission était déraisonnable. La Cour d’appel des États-Unis pour les Forces armées énonce ceci (aux paragraphes 43 et 45) :

[traduction] Dans la mesure où la capitaine Huet-Vaughn a quitté son unité à cause de réserves morales ou éthiques, ses convictions n’étaient pas pertinentes parce qu’elles ne constituaient pas un moyen de défense […]

[…]

Dans la mesure où les actions de la capitaine Huet-Vaughn représentaient un refus d’obéir à un ordre qu’elle considérait comme illégal, les éléments de preuve offerts n’étaient pas pertinents. La soi-disant « défense de Nuremberg » ne s’applique qu’aux actes individuels commis en temps de guerre; elle ne s’applique pas à la décision du gouvernement de déclencher une guerre. Le devoir de désobéir à un ordre illégal s’applique seulement à un « acte positif qui constitue un crime », lequel est « si hors du champ de compétence juridique du commandant qu’il est impossible de douter rationnellement de son illégalité ». La capitaine Huet-Vaughn n’a présenté aucun élément de preuve indiquant qu’elle a personnellement reçu l’ordre de commettre un « acte positif » qui constituerait un crime de guerre.

[70]      La Commission conclut [aux paragraphes 43 et 44] que cette décision n’établissait pas en principe que « le fait de soulever un ordre illégal comme [moyen de] défense ne s’applique que dans des cas extrêmes, comme des crimes de guerre ou de graves infractions à la Convention de Genève » et que « la [cour d’appel des forces armées des États-Unis] n’a pas décidé si une personne pouvait soulever la question de savoir si elle s’était vue ou non ordonner de commettre un acte illégal ».

[71]      Cependant, le demandeur prétend devant la Commission qu’il n’y a pas de défense contre l’accusation de désertion, et non contre celle de désobéissance aux ordres. Cela est corroboré par les dépositions de deux experts et de trois militaires américains. Quoique la Commission ait résumé ces dépositions dans sa décision, elle ne les a pas évaluées et n’a pas expliqué pourquoi elle les rejetait. Elle a plutôt mis l’accent sur l’existence d’un droit d’appel dans le système des cours martiales et conclut que des individus dans une situation simi7laire auraient pu interjeter appel devant la Cour suprême américaine, ce qu’ils n’ont pas fait, et qu’il subsistait donc des recours pour obtenir la protection de l’État.

[72]      La Cour considère qu’il s’agit là d’une conclusion déraisonnable. Premièrement, comme le demandeur l’a noté dans sa réplique, l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême des É.‑U. a été refusée dans l’affaire Huet-Vaughn, de sorte que c’est le droit qui prévaut. De plus, les dépositions des professeurs, de l’intervenant et des militaires, outre l’affaire Huet-Vaughn, démontrent que l’accusation de désertion est considérée comme une infraction de responsabilité stricte pour laquelle le motif de la désertion n’est pas pertinent.

[73]      Le Guide du HCNUR reconnaît que le fait de poursuivre les déserteurs ne constitue pas, en règle générale, de la persécution. Cependant, le paragraphe 171 formule une réserve :

N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

[74]      Quoique la Commission ait noté avec raison que, suivant la décision du juge Zinn dans la décision Lowell, précitée, le demandeur doit d’abord démontrer l’absence de la protection de l’État avant de soulever les faits en vertu du paragraphe 171 du Guide des procédures du HCNUR, l’argument du demandeur touchait directement à la question de la protection de l’État.

[75]      Le fait que le demandeur ne pourrait pas présenter d’éléments de preuve portant sur le motif de sa désertion ni l’illégalité de la conduite exigée de lui en Afghanistan, éléments qui seraient susceptibles de démontrer une violation des Conventions de Genève sur les règles des conflits armés, touche directement à l’existence de la protection de l’État.

[76]      Comme la Cour l’a souligné plus haut, la Commission avait l’obligation de considérer les éléments de preuve présentés et de traiter des éléments qui contredisaient ses conclusions. Elle devait faire une analyse adéquate et expliquer pourquoi elle rejetait ces éléments de preuve. L’absence d’analyse et de motifs quant à la question des moyens de défense applicables à l’accusation de désertion dans une instance en cour martiale aux É.-U. était déraisonnable.

2) L’analyse de la protection de l’État de la Commission est-elle erronée?

[77]      Le demandeur soutient devant la Commission que la protection de l’État était inexistante en ce qui avait trait à l’exercice discriminatoire du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Le demandeur a présenté à la Commission des éléments de preuve qui indiquaient que, bien qu’une grande partie des déserteurs bénéficient d’un renvoi par mesure administrative, ceux qui se prononcent publiquement contre la guerre en Iraq étaient sélectionnés pour être traduits en cour martiale pour désertion. La Cour a reconnu qu’un nombre disproportionné de personnes qui se sont prononcées contre les guerres en Iraq et en Afghanistan ont été effectivement poursuivies pour désertion.

[78]      Par exemple, dans la décision Rivera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 814, le juge Russell a révisé une décision de la Commission en ce qui avait trait à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de poursuivre dans le but d’infliger un traitement plus sévère aux individus s’étant prononcés contre la guerre par le moyen d’un procès en cour martiale. Au paragraphe 101, le juge Russell a conclu ce qui suit à propos de la décision de la Commission :

[…] il faut reprendre l’ensemble de l’analyse relative à la protection de l’État en tenant compte du risque allégué, et de la preuve à l’appui, à savoir que les autorités américaines n’appliqueront pas une loi d’application générale de façon neutre, mais qu’elles choisiront la demanderesse principale comme cible de poursuites et de sanctions simplement du simple fait de ses opinions politiques, alors que d’autres déserteurs, qui ne se sont pas prononcés contre la guerre en Iraq, ont fait l’objet de renvoi par mesure administrative.

[79]      En l’espèce, la Commission a largement ignoré les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement à des individus placés dans des situations similaires et au pouvoir discrétionnaire du poursuivant. La Commission conclut que le système de justice bénéficiait de ce pouvoir discrétionnaire et que son exercice était approprié en présence de facteurs aggravants.

[80]      Le paragraphe 169 du Guide des procédures du HCNUR indique que :

Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

[81]      À ce titre, il ressort du Guide des procédures du HCNUR, ainsi que de la jurisprudence précitée, que l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de poursuivre pour infliger à un déserteur une peine d’une sévérité disproportionnée en raison de ses opinions politiques peut constituer de la persécution.

[82]      La Cour conclut qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de ne pas apprécier les éléments de preuve déposés concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre en fonction des opinions politiques.

[83]      De même, la Commission a conjecturé qu’il fallait présumer que la recevabilité de la défense fondée sur l’influence illicite des commandements était pertinente quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de poursuivre. Aucun élément de preuve présenté à la Commission n’étayait cette conclusion.

[84]      Comme la Cour d’appel fédérale l’énonce dans l’arrêt Satiacum, précité, la Commission ne peut fonder ses conclusions sur des éléments de preuve qui soient « purement conjecturale et théorique ». La Cour conclut en conséquence que l’analyse à laquelle la Commission s’est livrée sur l’utilisation abusive du pouvoir discrétionnaire de poursuivre dans les instances en cour martiale aux É.-U. était déraisonnable.

[85]      Vu l’analyse qui précède en ce qui a trait à la mauvaise appréciation par la Commission des éléments de preuve relatifs à l’existence de la protection de l’État et ses conclusions déraisonnables concernant l’utilisation du pouvoir discrétionnaire de poursuivre, la Cour détermine qu’il serait incorrect de confirmer cette décision.

[86]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier.

ANNEXE

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 ch. 27

3. […]

(3) L’interprétation et la mise en œuvre de la présente loi doivent avoir pour effet :

[…]

d) d’assurer que les décisions prises en vertu de la présente loi sont conformes à la Charte canadienne des droits et libertés, notamment en ce qui touche les principes, d’une part, d’égalité et de protection contre la discrimination et, d’autre part, d’égalité du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada;

[…]

f) de se conformer aux instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire.

[…]

Interprétation et mise en œuvre

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Définition de « réfugié »

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Personne à protéger

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Personne à protéger

HCNUR. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/IP/4/Eng/REV.1

60. En pareil cas, compte tenu des difficultés que présente manifestement l’évaluation des lois d’un autre pays, les autorités nationales seront souvent amenées à prendre leur décision par référence à leurs propres lois nationales. En outre, il peut être utile de se référer aux principes énoncés dans les divers instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, qui ont force obligatoire pour les états parties et qui sont des instruments auxquels ont adhéré nombre des états parties à la Convention de 1951.

[…]

169. Un déserteur ou un insoumis peut donc être considéré comme un réfugié s’il peut démontrer qu’il se verrait infliger pour l’infraction militaire commise une peine d’une sévérité disproportionnée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Il en irait de même si l’intéressé peut démontrer qu’il craint avec raison d’être persécuté pour ces motifs, indépendamment de la peine encourue pour désertion.

170. Cependant, dans certains cas, la nécessité d’accomplir un service militaire peut être la seule raison invoquée à l’appui d’une demande du statut de réfugié, par exemple lorsqu’une personne peut démontrer que l’accomplissement du service militaire requiert sa participation à une action militaire contraire à ses convictions politiques, religieuses ou morales ou à des raisons de conscience valables.

171. N’importe quelle conviction, aussi sincère soit-elle, ne peut justifier une demande de reconnaissance du statut de réfugié après désertion ou après insoumission. Il ne suffit pas qu’une personne soit en désaccord avec son gouvernement quant à la justification politique d’une action militaire particulière. Toutefois, lorsque le type d’action militaire auquel l’individu en question ne veut pas s’associer est condamné par la communauté internationale comme étant contraire aux règles de conduite les plus élémentaires, la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission peut, compte tenu de toutes les autres exigences de la définition, être considérée en soi comme une persécution.

United States Army. Uniform Code of Military Justice, 10 U.S.C. §§801 à 946 (2006)

37. Unlawfully Influencing Action of Court

(a) No authority convening a general, special, or summary court-martial, nor any other commanding officer, may censure, reprimand, or admonish the court or any member, military judge, or counsel thereof, with respect to the findings or sentence adjudged by the court, or with respect to any other exercises of its or his functions in the conduct of the proceedings. No person subject to this chapter may attempt to coerce or, by any unauthorized means, influence the action of a court-martial or any other military tribunal or any member thereof, in reaching the findings or sentence in any case, or the action of any convening, approving, or reviewing authority with respect to his judicial acts. The foregoing provisions of the subsection shall not apply with respect to (1) general instructional or informational courses in military justice if such courses are designed solely for the purpose of instructing members of a command in the substantive and procedural aspects of courts-martial, or (2) to statements and instructions given in open court by the military judge, president of a special court-martial, or counsel.

(b) In the preparation of an effectiveness, fitness, or efficiency report on any other report or document used in whole or in part for the purpose of determining whether a member of the armed forces is qualified to be advanced, in grade, or in determining the assignment or transfer of a member of the armed forces or in determining whether a member of the armed forces should be retained on active duty, no person subject to this chapter may, in preparing any such report (1) consider or evaluate the performance of duty of any such member, as counsel, represented any accused before a court-martial.

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