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T-2024-01

2002 CFPI 1278

Arthur Froom (demandeur)

c.

Le ministre de la Justice (défendeur)

Répertorié: Froom c. Canada (Ministre de la Justice) (1re inst.)

Section de première instance, juge Gibson--Toronto, 27 novembre; Ottawa, 9 décembre 2002.

Extradition -- Le ministre de la Justice a pris un arrêté introductif d'instance conformément à l'art. 15 de la Loi sur l'extradition -- La demande de contrôle judiciaire a été radiée par le protonotaire au motif que le législateur a conféré aux cours supérieures provinciales la compétence en matière d'extradition -- Le processus d'extradition du Canada se divise en quatre phases: 1) l'État partenaire présente une demande; 2) le ministre autorise le procureur général à demander à la cour supérieure provinciale une ordonnance d'incarcération s'il est convaincu que les conditions prévues par la Loi sont réunies; 3) la demande d'extradition est entendue et une ordonnance d'incarcération jusqu'à remise est délivrée en application de l'art. 29 de la Loi; 4) conformément à l'art. 40 de la Loi, le ministre peut ordonner l'extradition vers l'État partenaire qui en a fait la demande -- L'art. 57(1) de la Loi sur l'extradition exclut la compétence de la Cour fédérale lorsqu'il s'agit d'une décision prise en vertu de l'art. 40, mais la Loi demeure silencieuse relativement à un arrêté introductif d'instance pris en vertu de l'art. 15(1) -- Appel accueilli -- Les Règles de la Cour fédérale (1998) ne confèrent pas au protonotaire le pouvoir de trancher des requêtes concernant la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne -- Il subsistait un doute quant à savoir si le protonotaire avait compétence en l'espèce -- La décision contestée posait une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal -- Le juge saisi de l'appel doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début -- La question à trancher était de savoir si l'avis de requête était manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli -- Lorsque le Parlement a modifié, en 1990, la Loi sur la Cour fédérale de manière à permettre le contrôle judiciaire des décisions prises dans l'exercice d'une prérogative royale, il voulait faire en sorte que bien peu de chose soit à l'abri du contrôle judiciaire -- Les juges d'extradition ne se considèrent pas investis du pouvoir de réviser un arrêté introductif d'instance -- L'argument selon lequel la Cour devrait refuser d'exercer la compétence qu'elle peut avoir parce que cela serait incompatible avec le régime de la Loi, devrait être examiné dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

Compétence de la Cour fédérale -- Section de première instance -- Appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance par laquelle un protonotaire a radié une demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance pris par le ministre de la Justice en vertu de la Loi sur l'extradition -- Le protonotaire a estimé que le législateur a voulu que les cours supérieures provinciales aient compétence en matière d'extradition -- L'art. 57(1) de la Loi sur l'extradition exclut la compétence de la Cour fédérale en ce qui concerne les décisions ministérielles prises en vertu de l'art. 40 (extradition vers le partenaire qui en fait la demande), mais non pour ce qui est d'un arrêté introductif d'instance -- Les Règles de la Cour fédérale (1998) ne confèrent pas au protonotaire le pouvoir de trancher des requêtes concernant la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne -- Le demandeur a été arrêté puis libéré sous engagement -- Il subsiste un doute quant à savoir si le protonotaire avait compétence -- Puisque la décision contestée pose une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, la C.F. 1re inst. doit exercer en appel son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début -- L'argument selon lequel le législateur a voulu conférer aux cours supérieures des provinces la compétence en matière d'extradition est fondé sur une décision qui se distingue de la présente affaire -- Lorsque le Parlement a conféré, en 1990, à la Cour fédérale le contrôle judiciaire des décisions prises dans l'exercice d'une prérogative royale, cela signifiait que bien peu de chose pouvait être à l'abri du contrôle judiciaire -- L'argument selon lequel la Cour ne devrait pas exercer sa compétence parce que cela serait incompatible avec le régime de la Loi, devrait être examiné dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

Il s'agit d'un appel interjeté par voie de requête à l'encontre d'une ordonnance rendue par un protonotaire qui a radié une demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance pris par le ministre de la Justice en vertu de l'article 15 de la Loi sur l'extradition. En raison de l'arrêté introductif d'instance, le demandeur a été arrêté à la suite d'une requête ex parte présentée devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario, mais il a ensuite été libéré après avoir souscrit un engagement de fournir un dépôt en espèces et une caution. Par conséquent, il a été privé de sa liberté pendant un certain temps et la liberté dont il jouit à l'heure actuelle est de nature conditionnelle. Dans de brefs motifs qu'il a fournis à l'appui de sa décision, le protonotaire a expliqué que le législateur voulait que les cours supérieures provinciales règlent rapidement les procédures d'extradition afin que le Canada s'acquitte promptement de ses obligations internationales.

Le processus d'extradition du Canada se divise en quatre phases distinctes: 1) Un État partenaire présente au ministre une demande d'extradition. 2) Le ministre examine la demande d'extradition pour décider si les conditions prévues par la Loi sur l'extradition sont ou ne sont pas réunies. Si elles le sont, le ministre de la Justice autorise le procureur général à demander à une cour de justice supérieure la délivrance d'une ordonnance d'incarcération. L'arrêté introductif d'instance énonce les infractions punissables au Canada qui correspondent aux crimes alléguées (dans la présente affaire: fraude, complot en vue de commettre une fraude, complot en vue de recycler les produits de la criminalité et recyclage des produits de la criminalité). 3) Un juge de la cour supérieure provinciale entend la cause et ordonne, le cas échéant, l'incarcération jusqu'à la remise, en application de l'article 29 de la Loi sur l'extradition, puis il fait rapport au ministre conformément à l'article 38. 4) L'article 40 de la Loiconfère au ministre le pouvoir d'ordonner l'extradition d'une personne incarcérée jusqu'à remise vers le partenaire qui demande l'extradition.

Il importe de noter que le paragraphe 57(1) de la Loi sur l'extradition exclut la compétence de la Cour fédérale pour ce qui est du contrôle judiciaire d'une décision prise par le ministre en vertu de l'article 40 et confère cette compétence à la cour d'appel provinciale. La Loi n'exclut pas de manière équivalente la compétence de la Cour pour ce qui est d'un arrêté introductif d'instance pris en vertu du paragraphe 15(1).

Le présent appel soulève quatre questions: 1) le protonotaire avait-il compétence pour radier la demande de contrôle judiciaire? 2) si oui, quelle est la norme de contrôle applicable? 3) la Cour a-t-elle compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance? 4) Si oui, doit-elle exercer cette compétence au vu des faits de la présente affaire?

Jugement: l'appel par voie de requête doit être accueilli.

1) En vertu du paragraphe 50(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), le protonotaire a compétence pour entendre toute requête présentée en vertu des Règles, à l'exclusion d'une requête concernant la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne. Dans la présente affaire, un mandat d'arrestation a été exécuté et le demandeur a été incarcéré. Par conséquent, on peut soutenir que la requête en radiation concernait la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne parce que le demandeur cherchait à faire annuler l'arrêté en vertu duquel il a été incarcéré et demeure maintenant en liberté conditionnelle. La décision du protonotaire aurait pour effet d'éteindre la contestation du demandeur à l'égard de l'arrêté en vertu duquel sa liberté a été compromise et continue de l'être. Même s'il subsiste un doute quant à savoir si le protonotaire avait bel et bien compétence pour décider de la requête, il n'était pas nécessaire de trancher cette question de manière définitive compte tenu des conclusions que la Cour a tirées sur d'autres questions soulevées dans le présent appel.

2) Il est admis que la décision contestée soulevait une question «ayant une influence déterminante sur l'issue du principal», selon le sens attribué à cette expression par le juge MacGuigan dans l'arrêt Aqua-Gem Investments Ltd. Par conséquent, la Cour saisie de l'appel devait exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début pour décider si l'avis de requête du demandeur était «manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli».

3) L'avocate du ministre a allégué que le législateur voulait que la compétence à l'égard des affaires d'extradition soit conférée aux cours supérieures des provinces et, à l'appui de cet argument, elle a fait référence à la décision de la Section de première instance dans Garcia c. Canada (Ministre de la Justice). Cette décision se distingue toutefois de la présente affaire quant aux faits et aussi parce qu'elle est fondée sur une version antérieure de la Loi sur l'extradition. Comme l'a mentionné le juge Décary, J.C.A. s'exprimant au nom de la Cour, dans Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), lorsque le Parlement a modifié, en 1990, l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale de manière à permettre le contrôle judiciaire des décisions prises dans l'exercice d'une prérogative royale, il révélait son intention de faire en sorte que bien peu de chose soit à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), une affaire de révocation de la citoyenneté, le juge Lemieux n'était pas convaincu que le ministre, lorsqu'il a donné l'avis, n'exerçait pas un pouvoir prévu par une loi au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Il a estimé que l'arrêt Complexe Cousineau était pertinent.

Les juges ayant compétence sous le régime de la Loi sur l'extradition ont clairement laissé entendre qu'ils n'étaient pas compétents pour ce qui est du contrôle judiciaire de l'exercice du pouvoir du ministre de délivrer un arrêté introductif d'instance. Dans Federal Republic of Germany c. Schreiber, le juge Watt a expliqué que «le ministre de la Justice est le gardien des intérêts dans la souveraineté canadienne » et que sa décision, «bien que de nature politique, touche à des questions de droit étranger qui se situent au-delà de l'autorité du juge présidant à l'audition de la demande d'extradition». Il a plus précisément indiqué, dans une observation faite dans le cadre de la même affaire, que sa compétence ne l'autorisait pas à examiner la validité de l'arrêté introductif d'instance.

Tel qu'il a été mentionné précédemment, la compétence de notre Cour pour ce qui est du contrôle judiciaire d'un arrêté d'extradition est expressément exclue par le paragraphe 57(1), mais, et il s'agit d'une différence significative, la Loi demeure silencieuse quant au contrôle judiciaire d'une décision du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance. Par conséquent, le Parlement a choisi de ne pas exclure la compétence de la Cour dans ce cas.

4) L'argument du ministre selon lequel la Cour ne devrait pas exercer la compétence qu'elle pourrait avoir, parce qu'il existe un autre recours possible et que cet exercice serait incompatible avec le régime législatif et la prompte exécution des obligations internationales du Canada en matière d'extradition, devrait être examiné dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire plutôt que dans le cadre d'une requête en radiation.

lois et règlements

Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2(1) «office fédéral» (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1), 18(1) (mod., idem, art. 4), 18.1 (édicté, idem, art. 5).

Loi sur l'extradition, L.C. 1999, ch. 18, art. 2 «partenaire», 15, 16(1), 18(1), 29, 38, 40, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 57(1).

Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, règle 384.

jurisprudence

décisions suivies:

Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425; [1993] 1 C.T.C. 186; (1993), 93 DTC 5080; 149 N.R. 273 (C.A.); David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588; (1994), 58 C.P.R. (3d) 209; 176 N.R. 48 (C.A.); Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694; (1995), 125 D.L.R. (4th) 559; 184 N.R. 260 (C.A.).

décision appliquée:

Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 257; (2000), 24 Admin. L.R. (3d) 74; 186 F.T.R. 16; 7 Imm. L.R. (3d) 40 (1re inst.).

distinction faite d'avec:

Garcia c. Canada (Ministre de la Justice) (1997), 129 F.T.R. 174 (C.F. 1re inst.).

décision examinée:

Federal Republic of Germany v. Schreiber, [2000] O.J. no 2618 (C.S.J.) (QL).

décision citée:

États-Unis d'Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462; (1997), 33 O.R. (3d) 478; 147 D.L.R. (4th) 399; 115 C.C.C. (3d) 481; 8 C.R. (5th) 79; 44 C.R.R. (2d) 189; 213 N.R. 321; 101 O.A.C. 321.

APPEL par voie de requête d'une ordonnance ([2002] 4 C.F. 345) par laquelle un protonotaire a radié une demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance délivré par le ministre de la Justice en vertu de l'article 15 de la Loi sur l'extradition. Appel accueilli.

ont comparu:

Lorne Waldman et David B. Cousins pour le demandeur.

Dale L. Yurka et Sean Grandet pour le défendeur.

avocats inscrits au dossier:

Jackman, Waldman & Associates, Toronto, et David B. Cousins, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par

Le juge Gibson:

INTRODUCTION

[1]Les présents motifs s'inscrivent dans le cadre d'un appel interjeté par voie de requête à l'encontre d'une ordonnance rendue le 2 avril 2002 [[2002] 4 C.F. 345], par laquelle le protonotaire Roger Lafrenière a radié la demande de contrôle judiciaire du demandeur (M. Froom) à l'égard d'une décision du ministre de la Justice (le ministre) relative à un arrêté introductif d'instance pris en vertu de l'article 15 de la Loi sur l'extradition1. M. Froom a invoqué 18 moyens à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire.

[2]Dans le présent appel par voie de requête, M. Froom demande les réparations suivantes:

1. une ordonnance annulant la décision par laquelle le protonotaire Roger Lafrenière a rejeté, en date du 2 avril 2002, la demande de contrôle judiciaire du demandeur déposée le 13 novembre 2001;

2. une ordonnance enjoignant qu'il soit par ailleurs procédé au contrôle judiciaire de la décision conformément aux Règles de la Cour fédérale;

3. l'adjudication des dépens relatifs à la présente requête et de ceux relatifs à l'audience tenue le 2 avril 2002, devant le protonotaire;

4. toute autre ordonnance que la Cour jugera indiquée.

CONTEXTE

[3]La requête présentée au protonotaire Lafrenière par le ministre demandait, outre la réparation accordée par le protonotaire, un jugement rejetant la demande de contrôle judiciaire de M. Froom et l'adjudication des dépens. À titre subsidiaire, le ministre a sollicité une ordonnance visant à radier certains paragraphes de la demande de contrôle judiciaire de M. Froom et son affidavit à l'appui, en plus d'une autorisation de déposer des affidavits après le délai prescrit dans les Règles de la Cour fédérale (1998)2 et d'une ordonnance visant à gérer la demande à titre d'instance à gestion spéciale conformément à la règle 384. En ce qui a trait aux réparations subsidiaires, le protonotaire Lafrenière a écrit ce qui suit au paragraphe 3 de ses motifs:

Les parties ont convenu à l'audience qu'il serait plus efficace d'attendre qu'il soit statué sur la demande du ministre de radier la demande principale, avant d'examiner le recours subsidiaire. Les observations des avocats ont donc été limitées à la question de savoir si l'avis de demande devait être radié en entier. Les autres mesures sollicitées par le ministre ont été reportées jusqu'à ce qu'une décision soit rendue sur cette question.

La demande du ministre pour les réparations subsidiaires demeure en suspens.

[4]En raison de l'arrêté introductif d'instance, M. Froom a été arrêté le 11 septembre 2001 à la suite d'une requête ex parte présentée par le procureur général du Canada devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Il a ensuite été libéré après avoir souscrit un engagement de fournir un dépôt en espèces de 25 000 $ et une caution de 20 000 $. Par conséquent, bien que M. Froom demeure en liberté, il a été, en raison de l'arrêté introductif d'instance pris par le ministre, privé de celle-ci pendant un certain temps et la liberté dont il jouit à l'heure actuelle est conditionnelle.

[5]Le protonotaire Lafrenière a fourni des motifs brefs mais convaincants à l'appui de sa décision qui fait l'objet du présent appel et il a conclu en ces termes [aux paragraphes 28 et 29]:

Le législateur a manifestement voulu que les cours supérieures provinciales règlent rapidement les procédures d'extradition afin que le Canada s'acquitte promptement de ses obligations internationales. Je suis convaincu que la procédure d'extradition envisagée dans la Loi sur l'extradition constitue non seulement un cadre subsidiaire approprié pour l'examen des questions soulevées par Froom dans son avis de demande, mais la seule à sa disposition.

Pour les motifs indiqués précédemment, je conclus que la demande de contrôle judiciaire n'a aucune chance d'être accueillie et doit donc être radiée.

LE RÉGIME DE LA LOI SUR L'EXTRADITION

[6]Le protonotaire Lafrenière, dans les motifs de la décision portée en appel, décrit le processus d'extradition d'une personne du Canada selon deux phases distinctes--la phase judiciaire et la phase ministérielle. Devant la Cour, les avocats étaient d'accord pour dire que le processus comportait en fait trois phases, toutes les trois englobées dans le processus à deux phases décrit par le protonotaire Lafrenière. Pour ma part, j'estime que le processus d'extradition du Canada se divise en quatre phases distinctes.

[7]La première phase consiste en la présentation au ministre d'une demande d'extradition émanant d'un partenaire3, à savoir:

2. [. . .]

[. . .] État ou entité qui est soit partie à un accord d'extradition, soit signataire d'un accord spécifique avec le Canada ou dont le nom figure à l'annexe [de la Loi sur l'extradition].

[8]La deuxième phase est celle où le ministre examine la demande d'extradition pour décider s'il est convaincu que les conditions prévues par la Loi sont ou ne sont pas réunies. Suivant les faits de la présente affaire, le ministre, apparemment par l'intermédiaire de son représentant, a conclu que les conditions pertinentes étaient effectivement satisfaites. Dans le document de l'arrêté introductif d'instance, le ministre prescrit l'arrêté et précise qu'il est convaincu que les conditions pertinentes sont satisfaites dans les termes suivants:

Le ministre de la Justice autorise le procureur général du Canada à demander à la Cour supérieure de justice [de l'Ontario] la délivrance d'une ordonnance pour l'incarcération d'Arthur Kissel, alias Arthur Froom, recherché par les ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE pour subir son procès. Les infractions punissables au Canada qui correspondent à la conduite alléguée sont les suivantes:

· complot en vue de commettre une fraude, contrairement au paragraphe 380(1) et à l'alinéa 465(1)c) du Code criminel du Canada;

· fraude, contrairement au paragraphe 380(1) du Code criminel du Canada;

· complot en vue de recycler les produits de la criminalité, contrairement à l'article 462.31 et à l'alinéa 465(1)c) du Code criminel du Canada;

· recyclage des produits de la criminalité, contrairement à l'article 462.31 du Code criminel du Canada4.

[9]Tel qu'il a été mentionné précédemment, et conformément au paragraphe 16(1) de la Loi sur l'extradition, le procureur général du Canada a demandé et obtenu la délivrance d'un mandat pour l'arrestation de M. Froom. Le mandat a été exécuté, M. Froom a été incarcéré puis libéré sous condition, conformément au paragraphe 18(1) de la Loi.

[10]La troisième phase du processus d'extradition est celle de l'audition de la cause devant un juge de la cour supérieure provinciale compétente, à savoir, en l'espèce, comme le mentionne le protonotaire Lafrenière dans ses motifs, la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Même si ce processus a été entrepris à l'endroit de M. Froom, il n'a pas abouti, peut-être en raison de la procédure devant la Cour, sinon il en serait résulté, s'il avait été établi que M. Froom était passible d'extradition, une ordonnance d'incarcération jusqu'à sa remise, en l'application de l'article 29 de la Loi. Si cette ordonnance était rendue contre M. Froom, le juge qui rend l'ordonnance ferait rapport au ministre conformément à l'article 38 de la Loi.

[11]En vertu de l'article 49 de la Loi sur l'extradition, il est interjeté appel de l'ordonnance d'incarcération devant la cour d'appel compétente.

[12]Vient ensuite la quatrième phase. L'article 40 de la Loi sur l'extradition confère au ministre le pouvoir d'ordonner, par un arrêté signé de sa main, la remise aux autorités qui demandent l'extradition d'une personne incarcérée jusqu'à sa remise. Avant la prise de l'arrêté d'extradition par le ministre, la personne susceptible d'être visée par celui-ci peut présenter ses observations au ministre «sur toute question touchant son extradition éventuelle vers le partenaire»5.

[13]Les articles 44 à 46 de la Loi sur l'extradition énoncent les situations où le ministre doit refuser d'ordonner l'extradition, tandis que l'article 47 énonce celles où le ministre peut refuser de l'ordonner. L'article 48 de la Loi exige que le ministre ordonne la libération de la personne intéressée s'il décide de ne pas prendre d'arrêté d'extradition à son endroit.

[14]Le paragraphe 57(1) de la Loi sur l'extradition est particulièrement pertinent quant aux présents motifs. Il est rédigé comme suit:

57. (1) Malgré la Loi sur la Cour fédérale, la cour d'appel de la province où l'incarcération a été ordonnée a compétence exclusive pour connaître, conformément au présent article, de la demande de révision judiciaire de l'arrêté d'extradition pris au titre de l'article 40.

[15]Il importe de noter que le paragraphe 57(1) de la Loi exclut la compétence de notre Cour pour ce qui est du contrôle judiciaire d'un arrêté d'extradition pris en vertu de l'article 40 de la Loi et confère cette compétence à la cour d'appel de la province intéressée. La Loi n'exclut pas de manière équivalente la compétence de notre Cour, dans la mesure où il y a compétence, relativement à une décision du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi. Un processus de prise d'arrêté introductif d'instance entaché d'une ou de plusieurs irrégularités ne fait pas partie des situations visées aux articles 42 à 47 de la Loi, en vertu desquels le ministre doit ou peut refuser de prendre un arrêté d'extradition.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]Le présent appel par voie de requête soulève quatre questions:

1) Le protonotaire avait-il compétence pour radier la demande de contrôle judiciaire de M. Froom?

2) Si le protonotaire Lafrenière avait compétence, quelle est la norme de contrôle applicable dans le présent appel?

3) La Cour a-t-elle compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance pris en vertu de la Loi sur l'extradition?

4) Si la Cour a compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance, doit-elle exercer cette compétence au vu des faits de la présente affaire?

ANALYSE

1) Un protonotaire a-t-il compétence pour radier un arrêté introductif d'instance?

[17]La compétence d'un protonotaire pour entendre et trancher des requêtes présentées en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998)6 découle du paragraphe 50(1). Les parties pertinentes du paragraphe qui sont applicables en l'espèce sont rédigées comme suit:

50. (1) Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles--à l'exception des requêtes suivantes--et rendre les ordonnances nécessaires s'y rapportant:

    [. . .]

f) une requête concernant la mise en liberté ou l'incarcération d'une personne;

[18]Tel qu'il a été mentionné précédemment, en vertu d'un arrêté introductif d'instance pris contre lui par le ministre, le procureur général du Canada s'est adressé au tribunal compétent pour obtenir un mandat d'arrestation à l'endroit de M. Froom. Ce mandat a été exécuté et M. Froom a été incarcéré puis libéré sur parole. Par conséquent, il est à tout le moins possible de soutenir que la requête en radiation présentée au protonotaire Lafrenière est «une requête concernant la mise en liberté ou l'incarcération [de M. Froom]». Par sa demande de contrôle judiciaire, M. Froom cherche à faire annuler l'arrêté en vertu duquel il a été incarcéré et en vertu duquel il demeure maintenant en liberté conditionnelle. La requête en radiation, si elle est accueillie, et elle a par ailleurs été accueillie par le protonotaire Lafrenière, aurait pour effet d'éteindre la contestation de M. Froom à l'égard de l'arrêté en vertu duquel sa liberté a été compromise et continue de l'être.

[19]Les avocats du ministre allèguent que le lien entre la requête en radiation et le droit à la liberté de M. Froom est tout simplement trop distant pour exclure la compétence d'un protonotaire en vertu de l'alinéa 50(1)f) des Règles, tant dans sa version anglaise que dans sa version française.

[20]Malheureusement, cette question n'a apparemment pas été soulevée devant le protonotaire Lafrenière et n'a donc pas été tranchée dans la décision faisant l'objet du présent appel. Pour ce motif et à la lumière de mes conclusions, je ne discuterai pas davantage de cette question et je n'essaierai pas de la trancher de manière définitive, en dépit du fait que je doute sérieusement que le protonotaire ait eu compétence pour décider de la requête en radiation dont il a été saisi.

2) Quelle est la norme de contrôle applicable?

[21]Dans la décision Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd.7, M. le juge MacGuigan a écrit ce qui suit aux pages 462 et 463:

Je souscris aussi en partie à l'avis du juge en chef [dissident en partie] au sujet de la norme de révision à appliquer par le juge des requêtes à l'égard des décisions discrétionnaires de protonotaire. Selon en particulier la conclusion tirée par lord Wright dans Evans v. Bartlam, [1937] A.C. 473 [], et par le juge Lacourcière, J.C.A., dans Stoicevski v. Casement (1983), 43 O.R. (2d) 436 [], le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants:

a) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits,

b) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal.

Si l'ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. [Citations omises; non souligné dans l'original.]

Dans un renvoi en bas de page, le juge MacGuigan a fait la remarque suivante concernant le concept «the final issue of the case» ou «influence déterminante sur l'issue du principal»:

Il y a lieu de noter que la formulation employée par lord Wright, «the final issue of the case», n'a pas du tout le même sens que «the final issue in the case». Il a voulu dire par là «influence déterminante sur l'issue du principal» et non «influence déterminante sur le litige principal selon le mérite de la cause». [Italiques dans l'original.]

Il n'a pas été contesté devant la Cour que la décision du protonotaire Lafrenière faisant l'objet du présent appel soulève une ou plusieurs questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, selon le sens attribué à cette expression par lord Wright et le juge MacGuigan. Dans les circonstances alors, il n'a pas non plus été contesté que je dois exercer mon propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début pour examiner les questions soulevées devant le protonotaire Lafrenière.

[22]Je suis également guidé par les propos de M. le juge Strayer dans David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc.8, qui a écrit ce qui suit à la page 597:

[. . .] le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même. La présente cause illustre bien le gaspillage de ressources et de temps qu'entraîne l'examen additionnel d'une requête interlocutoire en radiation dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire qui devrait être sommaire. La présente requête en radiation a donné lieu, inutilement, à une audience devant le juge de première instance et à plus d'une demi-journée devant la Cour d'appel, ainsi qu'au dépôt, devant cette dernière, de plusieurs centaines de pages de documents.

À la page 600, le juge Strayer poursuit en disant ceci:

Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5 [maintenant la Règle 4], pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête. [Non souligné dans l'original.]

Même si la présente affaire soulève la question de l'interprétation des lois et de l'intention du législateur, en plus de celle portant sur la pertinence des allégations contenues dans l'avis de requête de M. Froom, je suis convaincu que la seule question à trancher demeure de savoir si l'avis de requête de M. Froom est «manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli».

3) La Cour a-t-elle compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance pris par le ministre en vertu de la Loi sur l'extradition?

[23]L'avocate du ministre a insisté sur le fait que cette question doit être tranchée en se référant au régime de la Loi sur l'extradition et à l'intention du législateur. Elle a allégué qu'il ressort clairement du dossier des débats du Parlement avant l'adoption de la Loi et du régime de la Loi elle-même, ainsi que de la jurisprudence pertinente, que le processus d'extradition se caractérise essentiellement par ce qui suit:

- Premièrement, les procédures d'extradition doivent être réglées rapidement par le tribunal compétent afin de garantir l'exécution rapide des obligations internationales du Canada9.

- Deuxièmement, même si le processus d'extradition est conçu pour être expéditif, il comporte des garanties procédurales qui permettent aux personnes recherchées pour extradition d'avoir droit à un procès équitable.

- Troisièmement, la compétence à l'égard des affaires d'extradition est conférée, en vertu de la Loi sur l'extradition, aux cours supérieures des provinces, et non à la Cour fédérale du Canada.

À l'appui de la troisième et dernière proposition, l'avocate a cité la décision Garcia c. Canada (Ministre de la Justice)10. Même s'il est évident que cette décision rendue par le juge Teiltelbaum soutient la proposition pour laquelle elle a été citée, je suis convaincu qu'elle se distingue de la présente affaire quant aux faits et aussi parce qu'elle est fondée sur une version antérieure de la Loi sur l'extradition.

[24]Le paragraphe 18(1) de la Loi sur la Cour fédérale11 confère à la Section de première instance la «compétence exclusive» pour accorder un grand nombre de réparations contre un «office fédéral», suivant la définition donnée à ce terme au paragraphe 2(1) [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 1] de cette Loi. En vertu de l'article 18.1 [édicté, idem, art. 5] de la même Loi, ces réparations peuvent être obtenues au moyen d'une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général du Canada ou par «quiconque est directement touché par l'objet de la demande».

[25]Dans Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux)12, M. le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit aux pages 701 et 702:

En modifiant en 1990 l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, de manière à désormais permettre le contrôle judiciaire des décisions prises dans le cadre de l'exercice d'une prérogative royale, le Parlement, à n'en pas douter, faisait une concession considérable au pouvoir judiciaire et infligeait un recul extrême à la Couronne en tant que pouvoir exécutif, si tant est qu'on puisse qualifier de recul le fait d'assujettir l'État encore davantage au pouvoir judiciaire. Ce qu'il faut retenir de cette modification importante, c'est que le Parlement ne s'est pas satisfait de l'assujettissement au pouvoir judiciaire de l'«Administration fédérale» dans l'entendement traditionnel de cette expression et qu'il a voulu que bien peu de chose, désormais, ne soit à l'abri du contrôle judiciaire. Dans ce contexte, j'avoue avoir du mal à donner à l'alinéa 18(1)a) une interprétation telle qu'elle mette les ministres à l'abri de ce contrôle lorsqu'ils exercent les pouvoirs de gestion les plus usuels de la Couronne, codifiés par surcroît par législation et règlement.

[26]Même si on peut difficilement affirmer que le pouvoir de délivrer un arrêté introductif d'instance qui est conféré au ministre par la Loi sur l'extradition est un «pouvoir de gestion usuel», je suis convaincu qu'il s'agit d'un pouvoir de gestion codifié par législation.

[27]Dans l'affaire Fast c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)13 qui porte sur une requête en radiation d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par notre Cour dans une affaire de révocation de la citoyenneté, dans laquelle un processus particulier prévu par loi assez différent du processus d'extradition, mais néanmoins analogue à celui-ci, a été mis en oeuvre, M. le juge Lemieux a écrit au paragraphe 40:

En outre, je ne suis pas convaincu que le ministre et le procureur général ont prouvé que le ministre, lorsqu'il a donné l'avis, n'exerçait pas un pouvoir prévu par une loi au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et, sur ce point, les arrêts Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [] et Krause c. Canada, [] sont pertinents. [Citations omises.]

[28]Il est permis de croire qu'on pourrait dire la même chose au vu des faits de la présente affaire.

[29]Les juges ayant compétence sous le régime de la Loi sur l'extradition ont clairement laissé entendre qu'ils ne se considèrent pas comme étant investis, en vertu de la Loi, de la compétence de réviser, d'une manière équivalente au contrôle judiciaire, l'exercice du pouvoir de délivrer un arrêté introductif d'instance par le ministre. Dans Federal Republic of Germany v. Schreiber14, M. le juge Watt donne l'explication qui suit au paragraphe 65:

[traduction] Le ministre de la Justice est le gardien des intérêts dans la souveraineté canadienne. Au début du processus, son rôle consiste à s'assurer que la demande d'extradition du partenaire est conforme à la Loi et au traité qui s'applique. Il est bien possible que sa décision, bien que de nature politique, touche à des questions de droit étranger qui se situent au-delà de l'autorité du juge présidant à l'audition de la demande d'extradition. [Non souligné dans l'original.]

[30]Dans une observation datée du 3  novembre 2000 dans la même affaire15, le juge Watt a mentionné ce qui suit:

[traduction] Ensemble, la Loi sur l'extradition et le traité applicable, qui définissent les limites de la compétence d'un juge présidant à l'audition d'une demande d'extradition, ne m'autorisent pas à examiner la validité:

i. du mandat d'arrestation provisoire, ou

ii. de l'arrêté introductif d'instance.

pour le motif de la délégation inacceptable d'un pouvoir ministériel ou de la partialité ministérielle réelle ou appréhendée. [Souligné dans le document des sources du demandeur.]

[31]La délégation inacceptable d'un pouvoir ministériel et la partialité ministérielle réelle ou appréhendée sont deux des questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire de M. Froom. Ainsi, si l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre dans la délivrance d'un arrêté introductif d'instance peut faire l'objet d'un examen judiciaire, ce n'est pas un rôle qui revient au juge d'extradition.

[32]Comme il a été mentionné précédemment, le ministre intervient au début et à la fin du processus d'extradition. Dès réception d'une demande d'extradition de la part d'un partenaire, le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire pour prendre un arrêté introductif d'instance. Ce rôle est celui que le ministre joue au début du processus et qui correspond à la deuxième phase du processus d'extradition décrite précédemment. Une fois terminée l'étape judiciaire du processus, où intervient le juge d'extradition, le ministre décide, dans son rôle de fin de processus, de délivrer ou non un arrêté d'extradition, ce qui correspond à la quatrième étape du processus d'extradition décrite précédemment. Encore une fois, tel que je l'ai déjà mentionné dans les présents motifs, la Loi sur l'extradition énonce les situations où le ministre doit refuser de prendre un arrêté d'extradition. Elle énonce également les situations où le ministre peut à son gré refuser de prendre un arrêté d'extradition. À mon avis, aucune des situations énoncées ne vise le cas où une personne qui est l'objet d'un processus d'extradition arrive à convaincre le ministre qu'il a fait erreur en délivrant un arrêté introductif d'instance à son endroit.

[33]La compétence de notre Cour pour examiner une décision ministérielle de prendre un arrêté d'extradition est expressément exclue par le paragraphe 57(1) de la Loi sur l'extradition et cette compétence est conférée à la cour d'appel de la province où l'incarcération a été ordonnée. Par opposition, et je vois cela comme une différence significative, la Loi sur l'extradition demeure muette quant au contrôle judiciaire d'une décision du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance. À mon avis, il est manifeste que le Parlement savait qu'il pouvait exclure la compétence de notre Cour sous le régime de la Loi sur la Cour fédérale et conférer cette compétence au juge d'extradition ou à la cour d'appel de la province visée. Il a, de façon claire et non équivoque, choisi de ne pas le faire pour les décisions du ministre de prendre un arrêté introductif d'instance.

[34]Considérant cette analyse, j'estime que, même si le protonotaire Lafrenière a formulé des arguments probants à l'appui de sa thèse voulant que notre Cour n'ait pas compétence pour procéder à l'examen judiciaire d'une décision relative à la délivrance d'un arrêté introductif d'instance, il est possible d'élaborer des arguments tout aussi probants pour démontrer que notre Cour possède cette compétence sous le régime de la Loi sur la Cour fédérale et, en l'absence d'une exclusion de cette compétence, notre Cour devrait considérer qu'elle peut l'exercer pleinement.

4) Si la Cour a compétence pour entendre la demande de contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance, devrait-elle néanmoins éviter de l'exercer?

[35]L'avocate du ministre, sans reconnaître que notre Cour a compétence pour procéder au contrôle judiciaire d'un arrêté introductif d'instance, a allégué que, si la Cour a compétence, elle ne devrait pas l'exercer parce qu'il existe un autre recours approprié et que cet exercice serait incompatible avec le régime de la Loi sur l'extradition et la prompte exécution des obligations internationales du Canada en matière d'extradition.

[36]Je suis d'avis qu'il s'agit d'une question qu'il conviendrait mieux de trancher dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire plutôt que dans le cadre d'une requête en radiation de cette demande.

CONCLUSION

[37]Considérant l'analyse qui précède, et malgré les motifs réfléchis du protonotaire dans la décision en appel devant la Cour, je ne saurais conclure que, suivant les termes employés par le juge Strayer dans David Bull Laboratories (Canada) Inc.16, il s'agit d'un cas très exceptionnel où la demande de contrôle judiciaire est «manifestement irréguli[ère] au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli[e]». Par conséquent, le présent appel par voie de requête sera accueilli, la décision dont appel est interjeté sera annulée et la requête du ministre pour radier la demande de contrôle judiciaire de M. Froom sera rejetée. Les autres éléments de la requête du ministre laissés en suspens par le protonotaire Lafrenière et dont la Cour n'a pas été saisie devraient être présentés sans délai pour qu'ils soient tranchés.

DÉPENS

[38]M. Froom a droit à ses dépens pour la requête en radiation du ministre, tant en appel que devant le protonotaire Lafrenière, quelle que soit l'issue de la cause.

1 L.C. 1999, ch. 18.

2 DORS/98-106.

3 Définition de «partenaire» à l'art. 2 de la Loi sur l'extradition.

4 Dossier de la requête du demandeur, p. 000065.

5 Art. 43 de la Loi sur l'extradition.

6 Supra, note 2.

7 [1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

8 [1995] 1 C.F. 588 (C.A.).

9 Voir États-Unis d'Amérique c. Dynar, [1997] 2 R.C.S. 462, au par. 122.

10 (1997), 129 F.T.R. 174 (C.F. 1re inst.).

11 L.R.C. (1985), ch. F-7 [art. 18(1) (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4].

12 [1995] 2 C.F. 694 (C.A.).

13 [2001] 1 C.F. 257 (1re inst.).

14 [2000] O.J. no 2618 (C.S.J.).

15 Sources de M. Froom, vol. 3, onglet 52.

16 Supra, note 8.

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