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[2013] 1 R.C.F. 203

IMM-5706-10

2011 CF 643

Masoud Boroumand (demandeur)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Boroumand c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Tremblay-Lamer—Toronto, 17 mai; Ottawa, 3 juin 2011.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Contrôle judiciaire de la décision d’un coordonnateur de l’examen des risques avant renvoi (ERAR), selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à l’asile aux termes de l’art. 114(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) — Le demandeur a été incarcéré pour trafic de drogue, et a été exclu de la protection accordée aux demandeurs d’asile — L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur serait exposé à un risque s’il retournait en Iran — Cependant, le délégué du ministre a rejeté la demande d’asile en vertu de l’art. 112(1) de la LIPR — La Cour fédérale a ordonné qu’une nouvelle décision soit rendue par un délégué du ministre — Par la suite, le demandeur a obtenu une réhabilitation, et a soutenu qu’il n’était plus interdit de territoire pour grande criminalité — Le coordonnateur de l’ERAR a indiqué que la réhabilitation n’annulait pas la décision d’exclusion; le demandeur n’a pas obtenu le statut de personne protégée; toute nouvelle décision relative à sa demande était désormais théorique — Il s’agissait de savoir si le coordonnateur de l’ERAR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas droit à l’asile — Le demandeur ne faisait plus l’objet de l’incapacité énoncée à l’art. 112(3)c) de la LIPR, aux termes de la réhabilitation et de l’art. 5b) de la Loi sur le casier judiciaire — Cependant, le demandeur n’avait pas automatiquement droit à l’asile — La réhabilitation n’a pas pour effet de restaurer la demande d’asile originale et d’éliminer simultanément toutes les conséquences négatives qu’emporte le statut de personne visée à l’art. 112(3) — Toute autre décision sur la demande d’asile est devenue théorique par suite de la réhabilitation — La mesure de renvoi n’est plus exécutoire — Si le demandeur devait être frappé d’une mesure de renvoi à l’avenir, il aurait la possibilité de présenter une demande en vertu de l’art. 112(1) — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un coordonnateur de l’examen des risques avant renvoi (ERAR), selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à l’asile aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

Le demandeur, un citoyen de l’Iran, est arrivé au Canada muni d’un faux passeport. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement pour trafic de drogue et frappé d’une mesure d’expulsion. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a décidé que le demandeur n’avait pas droit à l’asile, conformément à l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Le demandeur a sollicité l’asile en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR, et un agent d’ERAR a conclu que le demandeur serait exposé à un risque s’il retournait en Iran. Cependant, un délégué du ministre a rejeté la demande d’asile du demandeur. La Cour fédérale a annulé la décision et ordonné qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre délégué du ministre. Après avoir été réhabilité relativement à sa déclaration de culpabilité, le demandeur a avisé les autorités de l’immigration qu’il n’était plus interdit de territoire pour grande criminalité, aux termes de l’alinéa 112(3)b) de la LIPR. Le coordonnateur de l’ERAR a indiqué que la réhabilitation, dans le cas du demandeur, n’annulait pas la décision d’exclusion. Le coordonnateur de l’ERAR a également déterminé que le demandeur n’avait pas obtenu le statut de personne protégée par suite de sa demande d’asile, et que toute nouvelle décision relative à sa demande était désormais théorique.

La question en litige était de savoir si le coordonnateur de l’ERAR a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas droit à l’asile au titre du paragraphe 114(1) de la LIPR, malgré sa réhabilitation.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La décision de la CISR de ne pas donner droit à l’asile au demandeur, conformément à l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention, équivaut à une « incapacité » ayant un effet prospectif. Aux termes de la réhabilitation et de l’alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire, le demandeur ne devrait plus faire l’objet de l’incapacité énoncée à l’alinéa 112(3)c) de la LIPR. Cependant, cela ne signifie pas qu’il a automatiquement droit à l’asile. Aucune décision d’accueillir la demande d’asile du demandeur n’a jamais été prise au sens du paragraphe 114(1) de la LIPR. De fait, le paragraphe 114(1) ne s’applique pas. La réhabilitation ne devrait pas avoir pour effet de restaurer la demande originale du demandeur et d’éliminer simultanément toutes les conséquences négatives qu’emporte le statut de personne visée au paragraphe 112(3), ouvrant ainsi automatiquement la voie à l’asile. Tel n’est pas l’effet envisagé à l’article 5 de la Loi sur le casier judiciaire. Le coordonnateur de l’ERAR a donc conclu à juste titre que toute autre décision relative à la demande d’asile était effectivement devenue théorique par suite de la réhabilitation. La demande de renvoi, qui sous-tend la demande d’asile, n’est plus exécutoire. Si le demandeur devait être frappé d’une mesure de renvoi exécutoire à l’avenir, il aurait de nouveau la possibilité de soumettre une demande en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR. Le cas échéant, en supposant que sa situation ne change pas, le demandeur ne sera pas considéré comme une personne visée aux alinéas 112(3)b) ou 112(3)c) de la LIPR.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47, art. 5 (mod. par L.C. 2010, ch. 5, art. 5; ch. 17, art. 64).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 71, 72(1), 96, 97, 98, 112, 113, 114.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6, art. 1F.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 144 (1re inst.).

décision différenciée :

Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 35, [2007] 4 R.C.F. 515.

décisions examinées :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3.

décisions citées :

Boroumand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1219, [2008] 3 R.C.F. 507; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, [2002] 1 C.F. 200.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision d’un coordonnateur de l’examen des risques avant renvoi, selon laquelle le demandeur n’avait pas droit à l’asile aux termes du paragraphe 114(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Lorne Waldman pour le demandeur.

Mary Matthews pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

[1]        La juge Tremblay-Lamer : Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision d’un coordonnateur de l’examen des risques avant renvoi (le coordonnateur) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), datée du 16 septembre 2010, dans laquelle le coordonnateur a décidé que le demandeur n’avait pas droit à l’asile aux termes du paragraphe 114(1) de la LIPR.

I. Le contexte

[2]        Le demandeur est un citoyen de l’Iran. Il est arrivé au Canada en 1988 muni d’un faux passeport espagnol, et sans visa.

[3]        En septembre 1992, il a été déclaré coupable de trois infractions de trafic de stupéfiants et condamné à quatre années d’emprisonnement. En février 1993, le demandeur a été frappé d’une mesure d’expulsion en raison de ces déclarations de culpabilité.

[4]        En avril 1993, le demandeur a sollicité l’asile. Par décision datée du 22 février 1994, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a décidé que le demandeur n’avait pas droit à l’asile en raison des déclarations de culpabilité, conformément à l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés [28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6] (la Convention). La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée le 8 septembre 1994.

[5]        Le renvoi du demandeur avait été fixé au 23 août 1995, mais il s’est enfui de la province de l’Ontario et s’est rendu en Colombie-Britannique où il a usurpé l’identité de son frère. En décembre 2002, le demandeur a été arrêté et détenu par les autorités de l’immigration jusqu’en octobre 2004, lorsqu’il a été mis en liberté sous caution.

[6]        En 2004, le demandeur a sollicité l’asile en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR. Un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR) a interrogé le demandeur et, le 4 octobre 2004, a conclu que celui-ci serait [traduction] « probablement exposé à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, à son retour en Iran, par suite de ses déclarations de culpabilité pour trafic de drogue ».

[7]        Cependant, le traitement de la demande d’asile requérait plus qu’un simple examen des risques. Puisque le demandeur était une personne visée au paragraphe 112(3) de la LIPR, étant interdit de territoire pour grande criminalité en raison des déclarations de culpabilité de 1992 (alinéa 112(3)b)) et ayant été débouté de sa demande d’asile le 22 février 1994 sur le fondement de la section F de l’article premier de la Convention (alinéa 112(3)c)), le sous-alinéa 113d)(i) de la LIPR exigeait que le dossier soit examiné à la lumière des facteurs de risque énoncés à l’article 97 et au regard des critères servant à déterminer si le demandeur constituait un danger pour le public au Canada. L’affaire a été déférée au délégué du ministre pour qu’il procède à l’analyse requise.

[8]        Le 29 mars 2007, le délégué du ministre a rejeté la demande d’asile. Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire et, le 21 novembre 2007, le juge Frederick Gibson de la Cour a accueilli la demande, annulé la décision et ordonné qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre délégué du ministre (Boroumand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1219, [2008] 3 R.C.F. 507).

[9]        Le 21 décembre 2009, avant que ne soit rendue une nouvelle décision, la Commission nationale des libérations conditionnelles a accordé la réhabilitation au demandeur au titre de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C‑47, en lien avec les déclarations de culpabilité de 1992.

[10]      Par lettre datée du 18 janvier 2010, l’avocat du demandeur a avisé les autorités de l’immigration que celui-ci avait obtenu la réhabilitation et que, de ce fait, il n’était plus interdit de territoire pour grande criminalité ni visé au paragraphe 112(3) de la LIPR. L’avocat a alors demandé qu’il lui soit confirmé si, en raison de l’avis positif relatif au risque émis en 2004, et du fait que le demandeur n’était plus visé au paragraphe 112(3), celui‑ci avait automatiquement droit à l’asile et pouvait donc demander la résidence permanente pour ce motif. L’avocat a indiqué que le demandeur présenterait une demande officielle de résidence permanente à titre de personne protégée.

II. La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[11]      Par lettre datée du 16 septembre 2010, un coordonnateur de l’ERAR de CIC a répondu à la lettre de l’avocat du 18 janvier 2010. Il a indiqué que la réhabilitation avait un effet prospectif et que, dans le cas du demandeur, elle n’annulait pas la décision d’exclusion rendue le 22 février 1994 au titre de l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention.

[12]      Quoi qu’il en soit, la mesure de renvoi prise contre le demandeur en 1993 n’était plus exécutoire par suite de la réhabilitation, de sorte que l’ordonnance de nouvelle décision rendue par la Cour fédérale était effectivement devenue théorique. Le coordonnateur a fait remarquer que le demandeur pourrait refaire une demande d’asile en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR s’il était frappé d’une autre mesure de renvoi exécutoire.

[13]      Essentiellement, le coordonnateur a décidé que le demandeur n’avait pas obtenu le statut de personne protégée par suite de sa demande d’asile de 2004 et que toute nouvelle décision sur sa demande était désormais théorique.

III. Le cadre législatif

[14]      Aux termes du paragraphe 112(1) de la LIPR, la personne visée par une mesure de renvoi exécutoire peut demander la protection au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration :

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

Demande de protection

[15]      Il est précisé au paragraphe 112(3) que certains groupes de demandeurs n’ont pas droit à l’asile. Ces groupes incluent les personnes ayant été trouvées interdites de territoire pour grande criminalité en raison d’une déclaration de culpabilité, ainsi que les personnes ayant été déboutées de leur demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention :

112. […]

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

[…]

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

Restriction

 [16]     Bien qu’une décision favorable n’emporte pas l’octroi de l’asile aux personnes visées au paragraphe 112(3), le paragraphe 114(1) de la LIPR stipule qu’elle aura néanmoins pour effet de surseoir au renvoi de ces personnes. Pour tous les autres demandeurs, une décision favorable a pour effet de conférer l’asile :

114. (1) La décision accordant la demande de protection a pour effet de conférer l’asile au demandeur; toutefois, elle a pour effet, s’agissant de celui visé au paragraphe 112(3), de surseoir, pour le pays ou le lieu en cause, à la mesure de renvoi le visant.

Effet de la décision

[17]      Non seulement une décision favorable aura-t-elle un résultat différent pour les personnes visées au paragraphe 112(3), mais les demandes de ces dernières seront également examinées au regard de critères différents. Les alinéas 113c) et d) de la LIPR reconnaissent qu’il existe essentiellement deux façons de traiter les demandes aux termes du paragraphe 112(1) : une pour les demandeurs non visés au paragraphe 112(3) et l’autre pour les demandeurs visés au paragraphe 112(3). Pour le premier groupe, l’examen doit s’appuyer sur les articles 96 à 98 de la LIPR (dispositions concernant les réfugiés au sens de la Convention et les personnes à protéger). Pour le deuxième groupe, les facteurs de risque énoncés à l’article 97 doivent être mis dans la balance contre les facteurs défavorables tels que la sécurité du public canadien :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

[…]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

Examen de la demande

IV. La question en litige

Le coordonnateur a-t-il commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas droit à l’asile au titre du paragraphe 114(1) de la LIPR malgré sa réhabilitation?

V. La norme de contrôle

[18]      Déterminer l’effet de la réhabilitation sur une demande d’asile en instance fondée sur le paragraphe 112(1) de la LIPR est principalement une question d’interprétation de la loi. Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (Khosa), au paragraphe 44, la Cour suprême du Canada a mentionné que « [l]es erreurs de droit sont généralement assujetties à la norme de la décision correcte ». Toutefois, il y a lieu de faire preuve de retenue lorsqu’un tribunal spécialisé interprète sa propre loi (Khosa, précité, au paragraphe 44; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 54).

[19]      Je reconnais, certes, qu’un agent d’ERAR — et, en l’espèce, un coordonnateur de l’ERAR — possède une expérience notable dans l’interprétation et l’application des articles 112 à 114 de la LIPR, mais cette expérience n’englobe pas l’interprétation et l’application des dispositions sur la réhabilitation prévues dans la Loi sur le casier judiciaire. Par conséquent, la norme de contrôle à appliquer en l’espèce est la décision correcte.

VI. Analyse

[20]      Le demandeur soutient que le coordonnateur a commis une erreur en concluant qu’il était toujours visé au paragraphe 112(3) de la LIPR et devait donc faire l’objet du deuxième mode de traitement, plus restrictif, de sorte que l’asile lui serait refusé maintenant et à l’avenir, aux termes du paragraphe 112(1).

[21]      Le demandeur allègue en fait que la réhabilitation qu’il a obtenue en 2009 le retire effectivement du groupe des personnes visées au paragraphe 112(3). Selon lui, l’alinéa 112(3)b) ne s’applique plus, parce qu’il n’est plus interdit de territoire pour grande criminalité. Il maintient aussi que l’alinéa 112(3)c) ne s’applique plus. À cet égard, s’il admet avoir été débouté de sa demande d’asile au titre de l’alinéa c) de la section F de l’article premier, il affirme que la restriction ne peut plus lui être appliquée à la lumière du principe établi par la Cour dans la décision Smith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 144 (1re inst.) (Smith), où il est statué que la réhabilitation empêche toute sanction future découlant de la condamnation visée par la réhabilitation.

[22]      Le défendeur ne conteste pas l’argument du demandeur selon lequel l’alinéa 112(3)b) de la LIPR ne s’applique plus dans son cas. Il conteste toutefois les observations que le demandeur a formulées au sujet de l’alinéa 112(3)c) de la LIPR. Le défendeur fait valoir que le coordonnateur a déclaré, à juste titre, que le demandeur demeurait visé à l’alinéa 112(3)c) : il avait fait une demande d’asile et cette demande avait été rejetée en février 1994, sur le fondement de l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention.

[23]      Le défendeur invoque l’arrêt Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 35, [2007] 4 R.C.F. 515 (Nazifpour), pour appuyer la proposition selon laquelle une conclusion d’exclusion ne peut pas être réexaminée à la lumière de nouveaux éléments de preuve, notamment la réhabilitation. Quoi qu’il en soit, la réhabilitation a un effet prospectif et ne vient pas annuler les décisions prises antérieurement (Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3 (Therrien), et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Saini, 2001 CAF 311, [2002] 1 C.F. 200 (Saini)).

[24]      Bien que l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Nazifpour, précité, découle d’une série de faits similaires, je souscris néanmoins à l’opinion du demandeur selon laquelle cette affaire n’est pas pertinente eu égard à la question soulevée ici. L’unique question intéressant la Cour d’appel [fédérale] dans l’arrêt Nazifpour consistait à savoir si l’article 71 de la LIPR avait pour effet d’éliminer la compétence de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de rouvrir un appel formé contre une mesure de renvoi pour considérer de nouveaux éléments de preuve. La Cour a tranché en ce sens et déterminé que, en dépit de la réhabilitation accordée dans le cas du demandeur, la SAI n’avait pas compétence pour rouvrir l’appel.

[25]      Dans le cas présent, le demandeur ne souhaite pas que la SAI rouvre l’appel ni que la Section de la protection des réfugiés réexamine la décision d’exclusion rendue en février 1994. Le demandeur soutient plutôt que les sanctions découlant de la décision d’exclusion — c.-à-d. irrecevabilité de la demande d’asile et traitement différent d’une demande d’asile aux termes du paragraphe 112(1) — ne peuvent s’appliquer après la réhabilitation.

[26]      L’article 5 [mod. par L.C. 2010, ch. 5, art. 5; ch. 17, art. 64] de la Loi sur le casier judiciaire énonce l’effet prévu de la réhabilitation accordée sous le régime de cette loi. Soulignons particulièrement l’alinéa 5b) qui stipule, en partie, que la réhabilitation « fait cesser toute incapacité ou obligation […] que la condamnation pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements » :

5. La réhabilitation a les effets suivants :

[…]

b) d’autre part, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, elle entraîne le classement du dossier ou du relevé de la condamnation à part des autres dossiers judiciaires et fait cesser toute incapacité ou obligation — autre que celles imposées au titre des articles 109, 110, 161, 259, 490.012, 490.019 ou 490.02901 du Code criminel, du paragraphe 147.1(1) ou des articles 227.01 ou 227.06 de la Loi sur la défense nationale ou de l’article 36.1 de la Loi sur le transfèrement international des délinquants — que la condamnation pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements.

Effacement de la condamnation

[27]      Dans la décision Smith, précitée, aux paragraphes 16 à 20, le juge Andrew MacKay a examiné la jurisprudence pertinente et a déterminé que la réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire avait pour effet de « lav[er] la personne visée de la souillure causée par la condamnation et [de] limit[er] les utilisations qui [pourraient] être faites de la condamnation ». La réhabilitation n’a pas pour effet d’effacer la condamnation comme si elle n’avait jamais existé — elle existe toujours — elle empêche seulement que, à l’avenir, toute incapacité puisse découler de la déclaration de culpabilité.

[28]      Dans la décision Smith, précitée, le juge MacKay examinait une demande de contrôle judiciaire concernant une mesure d’expulsion et une mesure d’exclusion. La mesure d’expulsion avait été prise sur la foi d’une déclaration de culpabilité ayant par la suite fait l’objet d’une réhabilitation, tandis que la mesure d’exclusion a été fondée sur la mesure d’expulsion. Le juge MacKay s’est demandé : 1) si les mesures en question équivalaient à une « incapacité » au sens de l’alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire, et 2) si cette incapacité découlait de la condamnation au sens de l’alinéa 5b). Il a conclu que la mesure d’exclusion et la mesure d’expulsion constituent une « incapacité », soit la perte du droit de demeurer au Canada, et que les deux mesures étaient suffisamment liées à la condamnation pour que l’on puisse dire qu’il s’agit d’une incapacité découlant de la condamnation.

[29]      Dans le cas présent, je suis d’avis que la décision de la CISR d’exclure le demandeur en vertu de l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention équivaut à une « incapacité » ayant un effet prospectif. D’une part, cette décision empêche le demandeur d’obtenir l’asile dans toute demande future fondée sur le paragraphe 112(1) de la LIPR. Après examen du dossier, il ressort également que la décision de la CISR, à cet égard, s’appuyait exclusivement sur la condamnation visée par la réhabilitation. La CISR a précisé ce qui suit :

[traduction] Le tribunal croit que le trafic d’héroïne, drogue illicite, fait par le demandeur […] est contraire aux buts et principes des Nations Unies. Après examen de l’ensemble de la preuve, le tribunal est donc d’avis que le demandeur d’asile, Masoud Boroumand, n’est pas un réfugié au sens de la Convention, parce qu’il est expressément exclu de la définition, telle qu’énoncée à l’alinéa c) de la section F de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, parce qu’il est coupable d’actes contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Je crois que la décision d’exclusion rendue par la CISR le 22 février 1994 impose maintenant au demandeur une incapacité qui découle de la condamnation visée par la réhabilitation. De fait, aux termes de la réhabilitation et de l’alinéa 5b) de la Loi sur le casier judiciaire, le demandeur ne devrait plus faire l’objet de l’incapacité énoncée à l’alinéa 112(3)c) de la LIPR.

[30]      Cette conclusion ne va pas à l’encontre des arrêts Therrien et Saini, précités, qui ont été invoqués par le défendeur. Ces causes appuient la proposition selon laquelle l’octroi d’une réhabilitation n’a pas un effet rétroactif en effaçant la condamnation comme telle; elle fait simplement cesser l’incapacité résultante à l’avenir. Dans l’arrêt Therrien, la Cour suprême du Canada, suivant le même raisonnement que le juge MacKay dans la décision Smith, a statué que « sans faire disparaître le passé, le pardon efface les conséquences pour l’avenir » (Therrien, précité, au paragraphe 127). Il ne fait aucun doute que la décision d’exclusion était valide au moment où la CISR l’a rendue. Cependant, du fait de la réhabilitation, cette décision ne peut avoir pour effet de continuer à priver le demandeur du droit d’asile aux termes du paragraphe 112(3) de la LIPR.

[31]      Bien que le demandeur ne soit plus une personne visée au paragraphe 112(3) de la LIPR, cela ne veut pas dire, à mon avis, qu’il a automatiquement droit à l’asile.

[32]      Le demandeur laisse entendre que l’évaluation favorable des risques effectuée en octobre 2004 doit maintenant être considérée comme une décision d’accueillir la demande originale en vertu du paragraphe 112(1) et d’octroyer l’asile au demandeur, conformément au paragraphe 114(1). Toute autre approche, allègue le demandeur, équivaudrait à une incapacité continue et serait contraire à l’article 5 de la Loi sur le casier judiciaire. Je ne suis pas d’accord.

[33]      S’il est vrai qu’un agent d’ERAR a déterminé que le demandeur serait exposé à un risque s’il retournait en Iran en 2004, aucune « décision d’accueillir » la demande d’asile du demandeur n’a jamais été prise au sens du paragraphe 114(1) de la LIPR. De fait, cette disposition ne s’applique pas. Il importe de se souvenir que l’évaluation des risques de 2004 faisait suite à une mesure de renvoi exécutoire qui avait été prise en conséquence directe des déclarations de culpabilité de 1992. S’il n’y avait pas eu de mesure de renvoi exécutoire, le demandeur n’aurait pas eu accès au processus d’ERAR. Le demandeur ne peut alléguer aujourd’hui que la réhabilitation devrait avoir pour effet de restaurer sa demande d’asile originale — puisqu’elle était fondée sur la mesure de renvoi qui, elle, avait été prise en raison des déclarations de culpabilité — et d’éliminer simultanément toutes les conséquences négatives qu’emporte le statut de personne visée au paragraphe 112(3), ouvrant ainsi automatiquement la voie à l’asile. Tel n’est pas l’effet envisagé à l’article 5 de la Loi sur le casier judiciaire.

[34]      Le coordonnateur a donc conclu à juste titre que toute autre décision sur la demande d’asile de 2004 était effectivement devenue théorique par suite de la réhabilitation. La mesure de renvoi prise en 1993, qui sous-tend la demande d’asile de 2004, n’est plus exécutoire.

[35]      Si le demandeur devait être frappé d’une mesure de renvoi exécutoire à l’avenir, il aurait de nouveau la possibilité de soumettre une demande en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR. Dans une demande future, en supposant que sa situation ne change pas, le demandeur ne sera pas considéré comme une personne visée aux alinéas 112(3)b) ou 112(3)c) de la LIPR.

[36]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

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