Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

[2013] 1 R.C.F. 359

T-1001-10

2011 CF 786

MJ (demandeur)

c.

Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (défendeur)

et

Le procureur général de l’Ontario (intervenant)

Répertorié : MJ c. Canada (Sécurité publique et Protection civile)

Cour fédérale, juge Campbell—Toronto, 22 et 27 juin 2011.

Libération conditionnelle — Communication de dossiers — Contrôle judiciaire d’une décision de communiquer à l’intervenant un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation au titre de l’art. 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire — L’intervenant cherchait à faire admettre le dossier en tant que preuve de faits similaires dans le cadre d’une poursuite en matière criminelle intentée contre le demandeur — Le défendeur a communiqué le dossier sans en aviser la personne concernée, conformément à la politique applicable — Le demandeur a exercé ses droits à l’application régulière de la loi en matière criminelle pendant un voir-dire sur l’admissibilité du dossier — Il s’agissait de savoir si le défendeur était tenu de faire preuve d’équité procédurale avant que l’on décide de communiquer le dossier — L’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) étaie l’argument selon lequel il n’y a pas lieu de faire preuve d’équité procédurale avant que le demandeur ne soit visé par l’utilisation du dossier communiqué — En l’espèce, le demandeur n’a été visé que lorsque le dossier a été utilisé dans le cadre d’une requête visant à le faire admettre en tant que preuve de faits similaires — Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il convient d’accorder au demandeur le droit à l’application régulière de la loi en matière criminelle — Il n’y avait pas d’attentes selon lesquelles le dossier serait classé à part — Il n’existe aucun lien en droit entre l’exercice, par la Commission nationale des libérations conditionnelles, d’un pouvoir discrétionnaire en matière de révocation d’une réhabilitation et l’exercice, par le défendeur, d’un pouvoir discrétionnaire en matière de communication d’un dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation — L’absence de risque sur le plan d’exécution de la loi lorsqu’on donne un avis d’une demande de communication n’enlève rien à la validité de la politique du défendeur — Le défendeur a donné des motifs clairs et convaincants pour communiquer le dossier — Demande rejetée.

Justice criminelle et pénale — Preuve — Communication de dossiers — Le défendeur a communiqué à l’intervenant un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation au titre de l’art. 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire — L’intervenant cherchait à faire admettre le dossier relatif à une affaire visée par la réhabilitation du demandeur en tant que preuve de faits similaires dans le cadre de la poursuite en matière criminelle intentée contre le demandeur — Le défendeur a communiqué le dossier sans en aviser la personne concernée, conformément à la politique applicable — Le demandeur a exercé ses droits à l’application régulière de la loi en matière criminelle pendant un voir-dire sur l’admissibilité du dossier — En l’espèce, le demandeur n’a été visé que lorsque le dossier a été utilisé dans le cadre d’une requête visant à le faire admettre en tant que preuve de faits similaires — Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il convient d’accorder au demandeur le droit à l’application régulière de la loi en matière criminelle — Il n’y avait pas d’attentes selon lesquelles le dossier serait classé à part.

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Motifs — Équité procédurale — Le défendeur a communiqué un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation au titre de l’art.6(3) de la Loi sur le casier judiciaire — L’intervenant cherchait à faire admettre le dossier relatif à une affaire visée par la réhabilitation du demandeur en tant que preuve de faits similaires dans le cadre de la poursuite en matière criminelle intentée contre le demandeur — Le défendeur a communiqué le dossier sans en aviser la personne concernée, conformément à la politique applicable — Le demandeur a exercé ses droits à l’application régulière de la loi en matière criminelle pendant un voir-dire sur l’admissibilité du dossier — Il s’agissait de savoir si le défendeur devait faire preuve d’équité procédurale avant que l’on décide de communiquer le dossier — En l’espèce, le demandeur n’a été visé que lorsque le dossier a été utilisé dans le cadre d’une requête visant à le faire admettre en tant que preuve de faits similaires — Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il convient d’accorder au demandeur le droit à l’application régulière de la loi en matière criminelle.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du défendeur de communiquer un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation au titre du paragraphe 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire.

La politique du défendeur de prendre une telle décision sans en aviser la personne concernée a été appliquée à l’égard du dossier relatif à une affaire visée par la réhabilitation du demandeur, dans le cadre d’une poursuite criminelle engagée contre le demandeur par l’intervenant devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Le défendeur a déclaré que le fait que le demandeur ait repris ses activités criminelles et qu’il ait commis antérieurement des infractions d’ordre sexuel constituait un motif évident de communication. L’intervenant a confirmé que le dossier communiqué était utilisé dans le cadre d’une requête visant à le faire admettre en tant que preuve de faits similaires. Un voir-dire sur le dossier a eu lieu, dans le cadre duquel le demandeur a exercé les droits dont il jouissait à l’égard de l’application régulière de la loi en matière criminelle.

Il s’agissait de déterminer si le défendeur était tenu de faire preuve d’équité procédurale, avant que l’on décide de communiquer un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation au titre du paragraphe 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Tant que le demandeur n’est pas « visé » par l’utilisation que l’on se propose de faire du dossier communiqué, il n’y a pas lieu de faire preuve d’équité procédurale. Les principes généraux énoncés dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) par la Cour suprême du Canada étayent cet argument lorsqu’on les considère dans le contexte de la Loi sur le casier judiciaire et de l’utilisation qui sera faite du dossier communiqué. En l’espèce, il n’y a pas eu atteinte aux droits du demandeur à l’équité procédurale jusqu’à ce que le dossier soit utilisé dans le cadre d’une requête visant à le faire admettre en tant que preuve de faits similaires, lors du procès relatif aux accusations portées contre le demandeur. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il convenait d’accorder au demandeur le droit à l’application régulière de la loi en matière criminelle, comme cela avait déjà été fait. Il n’y a eu aucun manque de protection de dossier en l’espèce : à l’époque où le demandeur a obtenu sa réhabilitation, la Commission nationale des libérations conditionnelles l’a averti que « la réhabilitation ne garantit pas qu’un organisme municipal ou provincial ou un simple citoyen ne communiquera pas un dossier judiciaire, car la Loi sur le casier judiciaire ne s’applique qu’aux dossiers tenus au niveau fédéral ». Le demandeur ne pouvait pas s’attendre à ce que le dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation soit classé à part, et non utilisé contre lui. Il n’existe aucun lien en droit entre l’exercice, par la Commission nationale des libérations conditionnelles, d’un pouvoir discrétionnaire en matière de révocation d’une réhabilitation et l’exercice, par le défendeur, d’un pouvoir discrétionnaire en matière de communication d’un dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation. Le fait que le risque que l’on fait courir sur le plan de l’exécution de la loi en donnant avis d’une demande de communication puisse ne pas entrer en jeu dans chaque cas n’enlève rien à la validité de la politique du défendeur. Cela ne porte pas atteinte, non plus, à la légitimité d’une décision du défendeur de communiquer un dossier quand un avis n’est pas donné dans un cas où un tel risque n’existe pas. La communication d’un dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation ne porte pas atteinte, en soi, à un intérêt que détient la personne concernée. Enfin, la décision du défendeur de communiquer le dossier n’était pas empreinte de partialité, compte tenu des motifs clairs et convaincants que le défendeur a donnés pour rendre la décision contestée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47, art. 2.1 (édicté par L.C. 1992, ch. 22, art. 2; 2010, ch. 5, art. 7.2(A), 7.5(F)), 5a)(i) (mod., idem, art. 5), (ii) (mod., idem), 6(2) (mod. par L.C. 2000, ch. 1, art. 5(A); 2010, ch. 5, art. 7.1(A)), (3), 7.1 (édicté par L.C. 1992, ch. 22, art. 7; 2000, ch. 1, art. 7; 2010, ch. 5, art. 7.1(A)).

Règlement sur le casier judiciaire, DORS/2000-303, art. 4

JURISPRUDENCE CITÉE

décision appliquée :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

décision examinée :

Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 329 R.N.-B. (2e) 1.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision du défendeur de communiquer un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation au titre du paragraphe 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire. Demande rejetée.

ONT COMPARU

Gavin C. Holder pour le demandeur.

Melanie Toolsie pour le défendeur.

Jeremy Schaffer pour l’intervenant.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Gavin Holder, Toronto, pour le demandeur.

Le sous-procureur général du Canada pour le défendeur.

Le procureur général de l’Ontario pour l’intervenant.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        Le juge Campbell : La question fondamentale à résoudre dans la présente demande est de savoir si le ministre défendeur est tenu de faire preuve d’équité procédurale, avant que l’on décide de communiquer un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation au titre du paragraphe 6(3) de la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. (1985), ch. C-47 (la LCJ). La politique qu’applique à l’heure actuelle le ministre est de prendre une telle décision sans en aviser la personne concernée. Cette politique a été appliquée à l’égard du dossier relatif à une affaire visée par la réhabilitation du demandeur, ce qui a donné lieu à la présente demande de contrôle judiciaire. Selon le demandeur, la décision que le ministre a rendue est entachée d’une erreur de droit, parce qu’on ne l’a pas avisé qu’un service de police avait demandé que le dossier lui soit communiqué pour s’en servir dans une poursuite criminelle intentée contre lui, et qu’on ne lui a pas donné la possibilité d’être entendu avant que la décision soit rendue.

I.          Le régime législatif de la LCJ

[2]        Le résumé des principales dispositions de la LCJ qui suit présente le contexte législatif dans lequel s’inscrit la décision faisant l’objet du présent contrôle.

[3]        La Commission nationale des libérations conditionnelles « a compétence exclusive en matière d’octroi, de refus et de révocation des réhabilitations » (article 2.1 [édicté par L.C. 1992, ch. 22, art. 2; 2010, ch. 5, art. 7.2(A), 7.5(F)]). Quand une personne se voit octroyer une réhabilitation, celle-ci « a) […] établit la preuve […] (i) [que la Commission nationale des libérations conditionnelles], après avoir mené les enquêtes, a été convaincue que le demandeur s’était bien conduit [et que] (ii) la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur » (sous-alinéas 5a)(i) [mod. par L.C. 2010, ch. 5, art. 5] et (ii) [mod., idem]). En ce qui concerne la garde des dossiers, « [t]out dossier ou relevé de la condamnation visée par la réhabilitation que garde le commissaire [de la GRC] ou un ministère ou organisme fédéral doit être classé à part des autres dossiers ou relevés relatifs à des affaires pénales et il est interdit de le communiquer […] sans l’autorisation préalable du ministre » (paragraphe 6(2) [mod. par L.C. 2000, ch. 1, art. 5(A); 2010, ch. 5, art. 7.1(A)]). Est tout particulièrement pertinente dans le cas présent la condition selon laquelle le ministre, avant de donner l’autorisation de communiquer un dossier, doit « être convaincu que la communication sert l’administration de la justice » (paragraphe 6(3)) (non souligné dans l’original).

[4]        L’article 4 du Règlement sur le casier judiciaire, DORS/2000-303 (le RCJ) exige que le ministre, pour décider s’il y a lieu d’autoriser la communication ou non, doit tenir compte des critères suivants : les infractions pour lesquelles le demandeur (appelé « postulant » dans le RCJ) a été condamné, y compris celles à l’égard desquelles la réhabilitation lui a été octroyée ou délivrée, et leur pertinence quant au but de la communication; la nature des infractions, et le fait que celles-ci aient ou non mis en cause la violence, des enfants ou des personnes vulnérables, ou l’abus de confiance; le temps écoulé depuis la perpétration des infractions à l’égard desquelles la réhabilitation lui a été octroyée ou délivrée; l’âge du demandeur au moment de la perpétration des infractions à l’égard desquelles la réhabilitation lui a été octroyée ou délivrée; les peines infligées pour les infractions commises, y compris celles à l’égard desquelles la réhabilitation lui a été octroyée ou délivrée.

[5]        Une caractéristique importante de la LCJ est le fait que, pour ce qui est de la révocation proposée d’une réhabilitation par la Commission nationale des libérations conditionnelles, cette dernière « en avise par écrit le réhabilité et lui fait part de son droit de présenter ou de faire présenter pour son compte les observations qu’il estime utiles soit par écrit soit, dans le cas où elle l’y autorise, oralement dans le cadre d’une audience tenue à cette fin » (article 7.1 [édicté par L.C. 1992, ch. 22, art. 7; 2000, ch. 1, art. 7; 2010, ch. 5, art. 7.1(A)]). Il n’existe dans la LCJ aucune disposition en matière d’équité procédurale semblable à l’égard d’une décision proposée, par le ministre, de communiquer un dossier.

II.         La politique du ministre au sujet des décisions en matière de communication

[6]        La preuve par affidavit de Mme Mary Elizabeth Campbell, directrice générale de la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui est chargée du traitement des demandes de communication des dossiers relatifs à une condamnation visée par une réhabilitation, présente la politique qu’applique le ministre, de même que sa raison d’être (affidavit de Mary Elizabeth Campbell, dossier du défendeur, pages 3 et 4) :

[traduction] La formulation de toute recommandation de communication est faite en tenant compte de ces exigences législatives, de l’objet de la réhabilitation ainsi que des circonstances dans lesquelles la communication est autorisée en vertu de la LCJ.

La LCJ n’exige pas, pas plus qu’elle n’anticipe, que le réhabilité bénéficie d’une audience, en personne, par écrit, par voie électronique ou d’une autre façon, avant que le ministre examine une demande de communication.

Lorsqu’on formule une recommandation au ministre au sujet d’une communication à une fin restreinte et particulière, on tient compte des facteurs d’intérêt public que le ministre doit prendre en considération : si la communication sert l’administration de la justice ou est souhaitable pour la sûreté ou la sécurité du Canada ou d’un État allié ou associé au Canada. Le ministre tient également compte d’un certain nombre d’aspects relatifs à la personne que prescrit la loi, comme les alinéas 4c) et d) du Règlement. Il n’est pas exigé, pour se prononcer sur ces facteurs, que le réhabilité présente des observations.

Pour ce qui est de la formulation de cette recommandation, le législateur n’a pas jugé nécessaire ou pertinent que le réhabilité ait une occasion de soumettre des observations, car ce dernier ne serait vraisemblablement pas en mesure de considérer ce qui servirait l’administration de la justice au moment de décider s’il convient de communiquer un dossier ou non.

Cela découle du fait que la notification de la communication d’un dossier de réhabilitation pourrait mettre en péril la raison même pour laquelle la communication est demandée. Par exemple, le fait d’aviser un délinquant réhabilité qu’une demande a été déposée en vue d’obtenir un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation pourrait avoir un impact marqué sur une enquête criminelle, une poursuite criminelle ou une autre activité en matière d’exécution de la loi.

Le fait d’aviser un délinquant réhabilité qu’un dossier relatif à une affaire pénale visée par une réhabilitation sera communiqué pourrait lui aussi avoir un impact marqué sur une enquête criminelle, une poursuite criminelle ou une autre activité en matière d’exécution de la loi. [Non souligné dans l’original.]

III.        La décision que le ministre a rendue en l’espèce

A.        Le respect de la LCJ et du RCJ

[7]        Dans son affidavit, Mme Campbell décrit comme suit les circonstances qui ne sont pas contestées en l’espèce (affidavit de Mary Elizabeth Campbell, dossier du défendeur, pages 4 à 6) :

[traduction] Le ou vers le mois d’avril 2010, le Service de police de la région de Peel a demandé par écrit au ministre de communiquer des dossiers relatifs à des affaires pénales visées par une réhabilitation concernant le demandeur en l’espèce [pour s’en servir dans un procès à venir] […]

J’ai confié l’examen initial de la demande à un analyste principal de la Direction, Bill Wilson, qui a entrepris de l’analyser dans le contexte du régime créé par la LCJ et le RCJ, de même que les politiques pertinentes. J’ai entièrement souscrit à son analyse, que nous avons présentée au sous-ministre et dont l’essentiel est exposé ci-dessous.

La lettre du Service de police de la région de Peel comprenait les points saillants suivants : le demandeur avait été inculpé d’agression sexuelle et de contacts sexuels; les accusations concernaient deux enfants, âgés de dix et onze ans; les accusations avaient trait à des incidents survenus en juin 2003; le Service de police de la région de Peel avait en main un ancien rapport de police qui l’amenait à croire que le demandeur avait été auparavant reconnu coupable de plusieurs infractions criminelles, dont une d’ordre sexuel; le procès du demandeur, en rapport avec les récentes accusations, devait avoir lieu le 14 juin 2010.

Les faits particuliers de cette affaire, dont il a été tenu compte dans la formulation de la recommandation soumise par la Direction au sous-ministre, et par la suite au ministre, comprenaient ce qui suit : l’âge du demandeur à l’époque des déclarations de culpabilité antérieures : en 1985 à l’âge de 23 ans; en 1987, et en 1988 quand il avait été condamné à une peine de 15 mois assortie d’une ordonnance de probation de 12 mois sur déclaration de culpabilité; la nature des déclarations de culpabilité de 1988, à savoir des contacts sexuels avec une personne de sexe féminin âgée de moins de 14 ans et des voies de fait causant des lésions corporelles; la nature des nouvelles accusations portées contre le demandeur pour agression sexuelle et contacts sexuels mettant en cause deux enfants âgés de moins de 14 ans; le fait que les enquêteurs de la police étaient déjà au courant de l’existence d’une réhabilitation; le but pour lequel le Service de police de la région de Peel demandait la communication, c’est-à-dire pour s’en servir dans le cadre de la poursuite des nouvelles accusations; le fait que la non-autorisation de la demande de communication des dossiers du demandeur se rapportant à une affaire pénale visée par une réhabilitation minerait la capacité de l’avocat du ministère public provincial d’apprécier si les nouvelles accusations devaient faire l’objet d’une instruction ou non ou, subsidiairement, cela écarterait des éléments de preuve que le tribunal pourrait juger pertinents.

Compte tenu des facteurs qui précèdent, j’ai appuyé une recommandation au sous-ministre selon laquelle la communication servait l’administration de la justice, ainsi que l’autorise le paragraphe 6(3) de la LCJ.

Le sous-ministre a souscrit à la recommandation et, le ou vers le 26 avril 2010, il a soumis l’analyse et la recommandation qui précèdent au ministre pour examen et approbation […]

Le ou vers le 27 avril 2010, le ministre, se fondant sur l’analyse qui précède qu’on lui avait soumise, a exercé son pouvoir d’autoriser la communication, parce qu’elle servait l’administration de la justice.

[8]        Il est convenu que les recommandations qu’ont formulées Mme Campbell et le sous-ministre font partie des motifs de la décision que le ministre a rendue. En particulier, la déclaration du sous-ministre selon laquelle [traduction] « aucune autre accusation n’a été enregistrée depuis 1988; cependant, le sujet a été accusé antérieurement d’infractions d’ordre sexuel mettant en cause des enfants [et le fait que] l’enquêteur, l’avocat du ministère public et le tribunal devraient être mis au courant des déclarations de culpabilité antérieures est un motif évident de communication » (affidavit de Mary Elizabeth Campbell, dossier du défendeur, page 10). Dans le cadre de sa recommandation au ministre, le sous-ministre a présenté une ébauche d’ordonnance à lui faire signer et, avec l’autorisation signée du ministre, le passage suivant constitue le reste des motifs : [traduction] « il est évident que [MJ] a repris ses “activités criminelles” et il faudrait donc que son dossier soit disponible pour les besoins du tribunal » (dossier de l’intervenant, page 60).

[9]        Cependant, l’avocat du demandeur soutient qu’il y a lieu d’annuler la décision du ministre, parce qu’on n’a pas dûment tenu compte des facteurs qu’exige le RCJ, lesquels ont été cités ci-dessus, au paragraphe 4 des présents motifs. Cet argument repose sur le fait que, avant que l’on présente au ministre la demande de communication, il a été demandé à la Commission nationale des libérations conditionnelles de révoquer la réhabilitation du demandeur et, le 22 janvier 2011, cette demande a été rejetée sans que des motifs soient fournis (voir : dossier de requête du demandeur, onglet 4E, page 2). Selon cet argument, le ministre ne peut pas se prévaloir de l’expertise de la Commission nationale des libérations conditionnelles en matière de libérations conditionnelles et, pour arriver à une décision au sujet de la communication du dossier, il était tenu de s’informer des motifs de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles, ou de permettre à un représentant de cette dernière de prendre part à son processus décisionnel.

[10]      Je rejette cet argument, parce qu’il ne repose sur aucun fondement législatif ou réglementaire. Le mandat et le pouvoir qu’ont la Commission nationale des libérations conditionnelles et le ministre sous le régime de la LCJ s’excluent mutuellement. À mon avis, pour ce qui est des éléments de preuve, la décision du ministre respecte entièrement les exigences de la LCJ et du RCJ.

IV.       L’utilisation faite du dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation

[11]      Au cours des plaidoiries, l’avocat du procureur général de l’Ontario a confirmé que le dossier communiqué sera utilisé dans le cadre de la poursuite en matière criminelle actuellement engagée contre le demandeur devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, à la suite d’une requête visant à faire admettre ce document en preuve au procès, en tant que preuve de faits similaires (voir : dossier de l’intervenant, pages 28 à 43). L’avocat du procureur général de l’Ontario a également confirmé que l’admission du document dépendait de l’issue d’un voir-dire dans lequel le demandeur bénéficie de tous les droits à l’application régulière de la loi en matière criminelle. En fait, pendant le temps qui s’est écoulé entre la date de la communication du dossier et la date de l’audition de la présente demande, la Cour supérieure a agi en tenant compte de cette exigence. Un voir-dire sur le dossier a déjà eu lieu, et dans le cadre de ce voir-dire, le demandeur a exercé les droits dont il jouit à l’égard de l’application régulière de la loi en matière criminelle, une décision doit être rendue sur son admission le 30 juin 2011, et le procès est censé débuter le 2 août 2011. Il est convenu que, si la décision du ministre est annulée par suite de la présente demande, le dossier relatif à une peine visée par une réhabilitation ne pourra pas être utilisé au procès.

V.        La communication et le principe de l’équité procédurale

[12]      Le principal argument de l’avocat du demandeur est le suivant : l’application en l’espèce de la politique du ministre, ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, est entachée d’une erreur de droit, parce qu’elle est contraire au principe selon lequel « [l]es décideurs publics sont tenus de faire preuve d’équité lorsqu’ils prennent des décisions touchant les droits, les privilèges ou les biens d’une personne » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 79). Selon l’avocat du demandeur, la communication du dossier porte atteinte à un intérêt que détient son client et, cela étant, ce dernier avait droit à ce qu’on l’avise de la demande de communication qui était en instance ainsi qu’à la possibilité de soumettre des observations au ministre, au sujet de la question de la communication.

[13]      L’intérêt que détient le demandeur est décrit comme étant le fait d’être menacé d’une sanction pénale si son dossier est communiqué et, comme ses droits en tant que personne font partie de l’administration de la justice, il aurait fallu faire preuve à son endroit d’équité procédurale, afin de favoriser cet intérêt avant la communication.

[14]      L’avocate du ministre et l’avocat du procureur général de l’Ontario soutiennent qu’il n’y avait aucune obligation d’équité envers le demandeur. Deux motifs sont invoqués à l’appui de cet argument : comme il a été décrit plus tôt, contrairement à la situation de la révocation d’une réhabilitation, il n’est pas exigé dans la LCJ qu’avant qu’une décision soit rendue sur la communication d’un dossier, la personne qui y est nommée en soit avisée; de plus, comme la décision du ministre n’est pas déterminante, il n’y a pas lieu de faire preuve d’équité procédurale.

[15]      Pour ce qui est de ce dernier argument, le volet central de l’analyse est le paragraphe 22 de la décision qu’a rendue la juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 :

Bien que l’obligation d’équité soit souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d’examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données. Je souligne que l’idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leur [sic] points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur. [Non souligné dans l’original.]

[16]      Selon cet argument, tant que le demandeur n’est pas « visé » par l’utilisation que l’on se propose de faire du dossier communiqué, il n’y a pas lieu de faire preuve d’équité procédurale. À mon avis, les principes généraux qu’a énoncés la juge L’Heureux-Dubé étayent cet argument lorsqu’on les considère dans le contexte de la LCJ et de l’utilisation qui sera faite du dossier communiqué. Je conclus qu’il n’y a pas d’atteinte aux droits qu’a le demandeur à l’équité procédurale tant que le dossier est utilisé dans le cadre d’une requête visant à le faire admettre en tant que preuve de faits similaires, lors du procès relatif aux accusations portées contre le demandeur, et que ce n’est qu’à ce moment-là qu’il convient d’accorder à ce dernier le droit à l’application régulière de la loi en matière criminelle. En fait, comme il a déjà été mentionné, cela a déjà été fait.

VI.       Les arguments accessoires

[17]      L’avocat du demandeur fait valoir qu’étant donné que le Service de police de la région de Peel était au courant, du fait de ses propres dossiers, de l’existence du dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation, que les dossiers de ce type doivent être classés à part des autres dossiers relatifs à des affaires pénales que garde le commissaire de la GRC, en application du paragraphe 6(2) de la LCJ, et qu’il est nécessaire de préserver la confiance du public envers la police, il faudrait que le manque évident de protection en l’espèce soit [traduction] « réputé inacceptable » en infirmant la décision du ministre. Je rejette cet argument, car, selon moi, il n’y a eu aucun manque de protection. À l’époque où le demandeur a obtenu sa réhabilitation, la Commission nationale des libérations conditionnelles l’a averti que [traduction] « la réhabilitation ne garantit pas qu’un organisme municipal ou provincial ou un simple citoyen ne communiquera pas un dossier judiciaire, car la LCJ ne s’applique qu’aux dossiers tenus au niveau fédéral » (dossier de requête du demandeur, onglet 4B, page 2).

[18]      L’avocat du demandeur soutient également qu’étant donné que la Commission nationale des libérations conditionnelles n’avait pas révoqué la réhabilitation de son client, bien que celui-ci ait été accusé de nouvelles infractions, le demandeur s’attendait à ce que le dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation soit classé à part, et non utilisé contre lui. Je rejette cet argument, car il n’existe aucun lien en droit entre l’exercice, par la Commission nationale des libérations conditionnelles, d’un pouvoir discrétionnaire en matière de révocation d’une réhabilitation et l’exercice, par le ministre, d’un pouvoir discrétionnaire en matière de communication d’un dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation.

[19]      L’avocat du demandeur soutient par ailleurs qu’étant donné que, par principe, les demandes de communication sont réglées ex parte, à cause d’un risque possible pour les enquêtes de police et les poursuites, il aurait fallu, en l’espèce, en aviser le demandeur parce qu’aucun risque n’était en jeu; le demandeur avait déjà été accusé de nouvelles infractions criminelles quand la demande de communication a été déposée.

[20]      À mon avis, le risque que l’on fait courir sur le plan de l’exécution de la loi en donnant avis d’une demande de communication, comme il en est question dans la politique du ministre, est réaliste. Le fait que le risque puisse ne pas entrer en jeu dans chaque cas n’enlève rien à la validité de la politique, et ne porte pas non plus atteinte à la légitimité d’une décision du ministre de communiquer un dossier quand un avis n’est pas donné dans un cas où un tel risque n’existe pas. Il en est ainsi parce que, comme il a été conclu plus tôt, la communication d’un dossier relatif à une affaire visée par une réhabilitation ne porte pas atteinte, en soi, à un intérêt que détient la personne concernée.

[21]      L’avocat du demandeur fait valoir, en dernier lieu, qu’il conviendrait d’infirmer la décision du ministre pour cause de crainte raisonnable de partialité. L’argument est le suivant : étant donné que le ministre actuel a proposé d’apporter à la LCJ des modifications qui feraient en sorte qu’il soit impossible à une personne ayant eu trois déclarations de culpabilité antérieures d’obtenir la réhabilitation, que le demandeur a eu trois déclarations de culpabilité antérieures et que le ministre a décidé de communiquer le dossier, la décision de ce dernier est suspecte pour cause de partialité. Je rejette cet argument, car, à mon avis, la simple coïncidence des facteurs indiqués ne constitue pas un fondement crédible d’un argument de partialité par rapport aux motifs clairs et convaincants que le ministre a donnés pour rendre la décision contestée.

VII.      Conclusion

[22]      Je conclus donc que, dans la décision qui fait l’objet du présent contrôle, l’application de la politique du ministre n’est pas entachée d’une erreur de droit.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Sur consentement, l’intitulé est modifié de façon à nommer le demandeur « MJ ».

Pour les motifs exposés, la présente demande est rejetée.

Je n’accorde aucuns dépens.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.